Famille , communauté de personnes - Paroisse sainte
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Famille , communauté de personnes - Paroisse sainte
FAMILLE, COMMUNAUTE DE PERSONNES Jacques de Longeaux, prêtre du diocèse de Paris, professeur de théologie morale, président de la Faculté Notre-Dame au Collège des Bernardins Revue théologique des Bernardins, janvier – avril 2015. Pages 53-76 Réflexions sur l’exhortation apostolique « Familiaris Consortio » sur les tâches de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui par Jean-Paul II (1981) Evolutions Baisse continue du nombre de mariages (malgré une embellie au début des années 2000) Généralisation de la vie commune avant le mariage Banalisation et institutionnalisation d’autres formes de vie à deux que le mariage (concubinage, pacs) Proportion importante de divorces Diversification des formes de vie familiale (familles recomposées, monoparentales, homoparentales, etc.) Egalisation des conditions entre les enfants nés dans le mariage ou hors mariage Ouverture du mariage civil aux couples de même sexe Suppression du Code Civil, sinon dans la pratique, de toute différence de statut entre mari et femme Ces évolutions résultent de plusieurs facteurs : Emancipation de la femme Primauté de l’individu sur l’institution Accès à la maîtrise de la procréation Une anthropologie de communion L’enracinement personnaliste du mariage L’être humain est une personne, parce qu’il « a été créé à l’image de Dieu capable de connaître et d’aimer son Créateur » (Gaudium and Spes 12). D’après Jean-Paul II le mariage est personnaliste avant d’être institutionnel « Familiaris Consortio (Jean-Paul II) versus Casti Connubii (Pie XI) Pie XI a une perspective institutionnelle : le mariage est une institution fondée par Dieu à l’origine, puis restaurée par le Christ, qui l’a élevé à la dignité de sacrement de la loi nouvelle pour les baptisés. Alors que Pie XI se réfère à la création d’une institution par le législateur divin, Jean-Paul II enracine le mariage dans l’être personnel de l’homme et de la femme créés à l’image de Dieu. L’institution du mariage n’est pas une ingérence indue de la société ou de l’autorité, l’imposition extrinsèque d’une forme, elle est une exigence intérieure du pacte d’amour conjugal qui s’affirme publiquement comme unique et exclusif pour que soit vécue ainsi la pleine fidélité au dessein du Dieu créateur. Cette fidélité, loin d’amoindrir la liberté de la personne, la met à l’abri de tout subjectivisme et de tout relativisme, et la fait participer à la sagesse créatrice. 1 La communion, un mode d’existence spécifiquement personnel La personnes est un être de relation qui s’accomplit dans une existence en communion. L’anthropologie personnaliste que développe Jean-Paul II s’oppose autant à l’individualisme qu’au collectivisme. L’homme, par sa nature profonde, est un être social et, sans relation avec les autres, il ne peut ni vivre ni épanouir ses qualités. La révélation trinitaire éclaire d’une lumière nouvelle la nature sociale de l’homme et en dévoile la profondeur. Jean Paul II aborde le mystère trinitaire comme un « mystère de communion personnelle d’amour ». L’insistance porte sur la distinction des personnes divines et leur union d’amour plutôt que sur leur unité substantielle. En présentant le mariage et la famille comme une communion et communauté d’amour fondée sur la nature personnelle de l’être humain, image de la communion trinitaire, Jean-Paul II dépasse une notion seulement juridique, contractuelle, hiérarchique du mariage, ainsi qu’une approche qui serait purement biologique et affective de la conjugalité et de la parenté. La famille est une expression privilégiée de l’identité humaine spécifique ; elle est la réalisation originaire de la vocation de l’être personnel à vivre avec et pour autrui. Le corps signifiant Jean-Paul II rappelle souvent l’affirmation de Gaudium and Spes ; l’être humain est « un dans son corps et dans son âme » GS 14 Dans Familiaris Consortio. Puisque l’homme est un esprit incarné, c'est-à-dire une âme qui s’exprime dans un corps et un corps animé par un esprit immortel, il est apte à l’amour dans sa totalité unifiée. L’amour embrasse aussi le corps humain et le corps est rendu participant de l’amour spirituel (FC 11). Une éthique de communion La famille est la première école, l’école fondamentale de la vie sociale ; comme communauté d’amour, elle trouve dans le don de soi la loi qui la guide et la fait croître. Le don de soi qui anime les époux entre eux se présente comme le modèle et la norme de celui qui doit se réaliser dans les rapports entre les frères et soeurs, et entre les diverses générations qui partagent la vie familiale (FC 37). Le don de soi est la loi qui guide la famille, la norme des rapports entre époux et entre frères et sœurs. Selon Jean-Paul II l’amour qui construit la communion des personnes doit être la loi fondamentale de la vie conjugale et familiale, le principe qui anime sa vie. Il donne sens aux devoirs mutuels entre les membres de la famille ; il doit orienter, l’éducation des enfants ; il permet de vivre pleinement l’insertion sociale de la famille ; il qualifie sa mission ecclésiale. Face aux questions actuelles La définition de la famille comme communauté de personnes peut sembler éloignée de la vie réelle des familles souvent marquée par les conflits et séparations. En quoi cet enseignement peut-il éclairer les conduites concrètes ? Un chemin à suivre Jean-Paul II ne se place pas sur le plan empirique. Il ne prétend pas décrire comment les familles vivent effectivement. Il indique avant tout une direction pour guider les conduites, un objectif pour orienter les choix de vie et soutenir les efforts, un chemin sur lequel avancer. Alors que les règles morales sont souvent perçues comme des contraintes que l’Eglise cherche à imposer aux croyants, et même à la société, le pape vent montrer qu’elles sont les conditions d’un chemin d’amour véritable. 2 Actualité de l’approche personnaliste 35 ans après Familiaris Consortio, l’approche personnaliste de l’amour, du mariage et de la famille reste d’actualité . D’une part, l’Eglise ne doit pas renoncer à se placer du point de vue de la personne, alors que la réalité de la personne et sa dignité sont aujourd’hui relativisées de plusieurs côtés. D’autre part, cette perspective permet de sortir de l’opposition entre une approche qui serait « doctrinaire », « verticale » de la morale familiale, et une autre qui serait « pastorale », « à l’écoute des réalités ». Le point de vue personnaliste s’oppose à la réduction utilitariste de l’être humain. Il résiste également à la tendance individualiste libérale. Le propre de la personne est de vivre en relation et de s’accomplir dans le don. Ceci s’oppose à une conception seulement contractuelle du mariage où il est question d’échange de biens et de prestations, plutôt que de don mutuel. Le personnalisme de Jean-Paul II montre d’une part que la communion suppose la liberté : il n’y a pas d’authentique communion de personnes qui ne soit pas libre. Il montre d’autre part que la communion fondée sur la parole dans laquelle la personne s’engage est la plus belle construction de la liberté humaine, qui donne sens à la vie. Communion et altérité La communion n’est pas la fusion, ni la réduction de l’autre à soi. Dans l’union la plus profonde, chacun rester soi, et même, à un certain niveau, chacun reste seul. La famille est aussi le lieu où se vit, non seulement la différence de sujet à sujet, mais encore les différences objectives, inscrites dans les corps, entre hommes et femmes, entre adultes et enfants. Alors que l’on assiste à une évolution vers la privatisation ou dé-institutionnalisation de la vie conjugale, une éthique personnaliste de la communion insiste au contraire sur la contribution du mariage à la vie de la société. Vulnérabilité et solidarité La famille est le premier lieu de l’entraide intergénérationnelle, mais aussi de la solidarité en cas de chômage, de maladie ou de tout autre épreuve de la vie. On sait que de nombreux « décrochages » sociaux, qui peuvent conduire jusqu’à la rue, viennent de la brisure du lien familial. Questions débattues Ruptures Qu’en est-il du divorce ou des divorcés-remariés ? Le divorce entérine le sentiment de l’un des deux époux, ou des deux, que leur relation conjugale est un échec, que l’amour a disparu, qu’ils sont devenus indifférents, étrangers l’un à l’autre et parfois ennemis. Cependant la communion conjugale ne repose pas seulement sur la qualité de la relation. Dans le sacrement, les époux la reçoivent du Christ. Elle est un don de l’Esprit Saint, qui est en personne la communion du Père et du Fils. L’Eglise ne peut pas renoncer à enseigner l’indissolubilité du mariage, sous prétexte qu’un nombre important de couples divorcent. Si elle le faisait, elle serait infidèle à l’Evangile, et ne ferait que se conformer au cours du monde. Son enseignement ne dérangerait plus personne, mais il deviendrait insignifiant. Au contraire, notre société attend de l’Eglise qu’elle continue à défendre une haute conception du mariage, à condition qu’elle en montre le sens et l’objet (vivre en communion). En même temps, l’Eglise possède la sagesse et l’expérience. Elle connaît les difficultés de la vie. Elle doit tenir compte du fait que sur le chemin de l’amour-communion, des couples connaissent l’échec, des 3 conjoints sont injustement abandonnés. L’Eglise se doit donc d’accompagner les couples en difficulté, d’accueillir les époux séparés. Les divorcés-remariés font partie de l’Eglise, ils ne sont pas hors de la communion ecclésiale. Cette question entraîne une réflexion de toute l’Eglise sur le sens de l’Eucharistie et de la Pénitence, ainsi que sur la dimension ecclésiale des sacrements, et sur la nature de l’Eglise elle-même. Filiation Alors que beaucoup estiment que plus la conception est libre, volontaire, programmée, maîtrisée, plus elle est conforme à la dignité humaine, l’Eglise met au contraire en avant la valeur personnaliste de l’acte conjugal d’amour corporel. La personne humaine mérite d’être conçue dans une union corporelle, expression de l’amour conjugal, plutôt que par une manipulation en laboratoire. Unions de même sexe Familiaris Consortio n’aborde pas la question aujourd’hui brûlante des unions de personnes de même sexe ; C’est un point sur lequel le prochain synode devra prolonger l’exhortation de Jean Paul II. Deux hommes, deux femmes peuvent vivre un véritable amour. Pour l’Eglise, la sexualité conjugale présente une différence et possède une valeur spécifique par rapport à tout autre forme de sexualité, du fait, d’une part que les époux se sont engagés pour la vie, et d’autre part que leur union est naturellement apte à transmettre la vie ; l’objectivité corporelle fait partie intégrante de cette forme spécifique, originelle, de communion des personnes qu’est l’union conjugale ; Conclusion Présenter le mariage comme une communion et la famille comme une communauté d’amour qui regroupe les époux, les parents et les enfants, et même au-delà (famille élargie) semble à contrecourant d’une société, la nôtre, qui insiste davantage sur l’individu, son autonomie et ses droits. Elle est pourtant toujours d’actualité. 4