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CHRISTOPHE S.
LA CRITIQUE DU PARISCOPE / PREMIERE / 29 - 01 - 2014
par Marie Plantin
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La pluie qui tombe. Drue. Fatale. Puis l’orage qui s’invite. Le plateau traversé
d’éclairs éblouissants, inquiétants, inaugure l’histoire qui nous attend, présage
de la suite, sombre et lumineuse à la fois. Ainsi s’ouvre le récit de "Christophe
S". Sous la pluie. Dans un train. Un accident en provoque l’arrêt prolongé. Le
verdict tombe : suicide sur la voie. «J’aimerais partager une minute de silence
avec vous». Elle s’adresse à lui pour la première fois dans l’anonymat du wagon
restaurant. Il lui plaît. Elle a remarqué sa voix. Il est chanteur d’opéra, ça ne
s’invente pas. Il a remarqué ses mains, la grâce de ses mains. Ils se parlent, se
découvrent, se comprennent. Passent la nuit ensemble. C’est une rencontre,
éphémère et sans lendemain. Qui ne donnera rien. Pas d’histoire d’amour, pas
d’enfant, pas de futur à deux possible. L’intensité puis le néant. Elle s’insurge,
se révolte, demande des comptes, des nouvelles. Pourquoi ? Elle dresse un
questionnaire. Mais questionne dans le vide. Appelle dans le silence. Une
déception, pas la première mais celle de trop.
Que reste-t-il du contact de deux êtres ? Quelle réaction chimique, épidermique,
psychologique à la rencontre de deux esprits, de deux corps ?
"Christophe S". Sous ce titre énigmatique se blottit un texte magnifique, paysage
intérieur d’un instant T, d’un évènement en marge de la vie telle qu’on la
connaît, chronologique et ordinaire. Une parenthèse auscultée à la loupe. Un
«temps suspendu». "Christophe S" est la chronique, à la fois à vif et à distance,
réelle et imaginaire, d’une rencontre, de sa promesse et de sa dissolution. Un
poème dramatique, d’une forme mouvante et émouvante, une introspection dans
les diverses facettes d’un état donné, ses zones obscures, ses ridicules aussi.
Une femme écrit sur un homme. Sa rencontre avec cet homme. Et s’interroge
sur les hommes en général. Le Masculin. Si loin. Si proche. Clyde Chabot est
une metteur en scène extrêmement concernée par les écritures contemporaines
qui depuis quelques années puise dans sa propre intimité la matière de ses
propositions scéniques, expériences de plateau funambules, ondoyant entre
profondeur tragique et mise à distance burlesque.
Elle a couché sur le papier son aventure, de sa plume sensible et rêveuse, nourrie
de références théâtrales. Elle convoque Sarah Kane et Rodrigo Garcia dans son
exploration de l'infini sentimental. Du point de naissance du sentiment
amoureux. Elle s’écrit elle-même tout en se réinventant par le biais de l’écriture
dramatique. Et confie sa parole à une comédienne, Laëtitia Spigarelli, sur le fil
entre douleur et ironie. Sur ses talons, celle-ci tangue, elle chavire à vue. Elle
traverse à son tour les étapes de cette histoire douloureuse. A ses côtés, en
contrepoint lyrique, apparaissant, disparaissant, Julien Marine, contre-ténor,
semble le fantôme de l’homme évoqué. Mirage de chair. Sa voix s’envole dans
les aigus tandis que Laëtitia s’effondre, tente de se reprendre, revit la scène
comme un film qu’on se repasserait en boucle, pour mieux ramener l’absent.
Mais elle tourne en rond, ne brasse que ses propres mots sans réponse, passe
d’un point à un autre de sa mémoire dans une scénographie éclatée où chaque
espace a des airs de petit autel de fortune. Là une bougie, un lecteur CD, une
plante verte. Ici des livres à même le sol, paysage littéraire, ersatz de
bibliothèque. En avant-scène, un pupitre en bois avec micro, chaire où se libère
le flot de questions, de suppositions, d’extrapolations.
"Christophe S" est la prière d’une femme romantique et cultivée, son incantation
à l’homme volatilisé. Un bouleversant adieu.