Coup de foudre à Bluebell Cove - Rendez-vous à

Transcription

Coup de foudre à Bluebell Cove - Rendez-vous à
SÉRIE : INÉVITABLES RENCONTRES
ABIGAIL GORDON
Coup de foudre à Bluebell Cove
Rendez-vous à Bluebell Cove
ABIGAIL GORDON
Coup de foudre
à Bluebell Cove
Collection : Blanche
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise
sous le titre :
WEDDING BELLS FOR THE VILLAGE NURSE
Traduction française de
C. DUTEIL
Ce roman a déjà été publié en mai 2010
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© 2010, Abigail Gordon.
© 2010, 2016, Traduction française : Harlequin.
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ISBN 978-2-2803-4373-2 — ISSN 0223-5056
1.
Par la fenêtre du taxi qui longeait la route côtière en
ce bel après-midi d’été, Jenna Balfour contemplait la vue
en contrebas, magnifique, immuable. Une bande de sable
doré éternellement prise d’assaut par les puissantes vagues
crêtées de blanc de l’océan Atlantique que des surfeurs
étaient venus défier, armés de leurs planches.
Elle avait toujours adoré cet endroit, même quand elle
faisait ses études d’infirmière à Londres. Et, lorsqu’elle
rentrait pour les vacances, la première chose qu’elle faisait
était de descendre à la plage pour surfer sur les vagues.
Mais tout était différent aujourd’hui. Elle n’avait pas revu
la maison où elle avait grandi depuis deux ans… depuis
qu’elle avait insisté pour voir le monde avant de rejoindre
le cabinet médical que Barbara Balfour dirigeait avec une
efficacité redoutable, comme celle-ci le souhaitait.
Son père avait compris les réticences de Jenna. Avocat
à la retraite, il avait le contact facile et traitait avec une
affection malicieuse sa pétillante fille unique aux yeux
bleus comme la mer et aux cheveux couleur de blé mûr.
N’ayant guère de temps pour les discussions familiales,
sa mère préférait les résultats à la rhétorique. Le père et
la fille savaient que, pour elle, le cabinet passait avant la
famille, et ils s’y étaient résignés, Barbara Balfour étant
par ailleurs très estimée de ses patients et de son personnel.
Mais inévitablement la situation avait fini par dégénérer
entre Barbara et sa fille, et malgré les efforts de Keith
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Balfour pour ramener la paix entre les deux femmes qu’il
aimait Jenna était partie vivre son rêve révoltée et furieuse,
à défaut d’avoir la bénédiction de sa mère.
Elle l’avait vite regretté, mais, aussi têtue que sa mère,
elle n’était jamais revenue, jusqu’au jour où un appel de
son père avait balayé sa colère, la jetant dans le premier
avion en partance de la ville française où elle effectuait
des remplacements comme infirmière.
Il l’appelait souvent pour bavarder, mais cette fois son
ton était grave, et ce qu’il lui avait appris l’avait profondément choquée. Contrainte à une retraite prématurée, sa
mère avait dû quitter son cabinet bien-aimé, atteinte par
une polyarthrite rhumatoïde sévère.
— Elle a besoin de cannes pour se déplacer et c’est
difficile avec ses mains enflées. Nous utilisons parfois un
fauteuil roulant, avait‑il expliqué.
Jenna avait observé un long silence.
— La maladie était‑elle déclarée quand maman a voulu
me faire entrer au cabinet dès l’obtention de mon diplôme ?
— Elle avait vu un rhumatologue, oui, mais elle ne
s’attendait pas à une détérioration aussi rapide et maintenant
elle a besoin de toi, Jenna, même si elle refuse de l’admettre.
— Oui, bien sûr, s’était‑elle empressée de répondre,
tristement consciente que c’était bien la première fois que
sa mère avait besoin de quelqu’un. Laisse-moi un ou deux
jours pour prendre mes dispositions, j’arrive dès que possible.
— Dois-je prévenir ta mère de ta venue ?
— C’est à toi de voir, papa. Fais pour le mieux. Elle
n’a jamais beaucoup aimé les surprises, tu sais.
— Celle-ci lui plaira, avait‑il décrété d’un ton rassurant
avant de prendre congé de sa fille.
Aujourd’hui elle était de retour, et dans quelques
instants elle allait retrouver cet endroit si cher à son cœur.
Découvrir d’autres pays s’était révélé intéressant et elle
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n’aurait manqué cela pour rien au monde, mais l’herbe
n’était pas toujours plus verte de l’autre côté des collines,
comme elle s’en était rendu compte. En réalité, elle avait
surtout voulu élargir un peu ses horizons avant de revenir
dans son cher Devon.
Il n’y avait aucune voiture devant la maison lorsque le
taxi s’engagea dans l’allée, et le cœur de Jenna manqua un
battement. Son père était au courant de sa venue même si
sa mère l’ignorait, alors où étaient‑ils ?
Comme elle glissait la clé dans la serrure de la solide
porte d’entrée qui avait résisté à bien des tempêtes, le
téléphone sonna, et elle s’empressa d’aller décrocher.
— Ah, Jenna, tu es là, souffla la voix de son père
dans l’appareil. Je n’ai pas dit à ta mère que tu venais. J’ai
préféré lui réserver la surprise. Et quand elle a proposé
d’aller à la campagne pour un brunch cet après-midi, je ne
pouvais guère lui annoncer ton arrivée de but en blanc, tu
sais comme elle déteste l’imprévu… Nous sommes dans
le salon de thé et nous ne serons pas de retour avant deux
bonnes heures, ça te laissera le temps de t’installer avant
tes retrouvailles avec ta mère.
— Mmm, je suppose, oui, murmura Jenna. A tout à
l’heure, alors… Qu’est‑ce qu’on fera si maman ne veut pas
de cette joyeuse réunion de famille ?
— Nous aviserons le moment venu, articula son père
avant de raccrocher.
Il ne lui fallut que quelques minutes pour se préparer
un sandwich et un café, après quoi Jenna monta défaire
ses valises. En passant devant la chambre de ses parents,
elle aperçut du matériel destiné à améliorer le quotidien
des personnes à mobilité réduite par la porte entrouverte.
Comment les choses avaient‑elles pu changer aussi
radicalement ? songea-t‑elle avec abattement. Sa mère avait
toujours paru invincible, rien ne semblait pouvoir percer
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sa carapace, et pourtant une maladie aussi douloureuse
qu’insidieuse l’avait fait, anéantissant sa liberté de mouvement et la stupéfiante énergie qui l’avait toujours animée.
Retrouver sa chambre donnant sur les falaises rocheuses
qui surplombaient la mer réconforta un peu Jenna. Elle était
telle qu’elle l’avait laissée, avec sa planche de surf posée
contre le mur. La caressant avec affection, elle se dit que
c’était peut‑être la meilleure façon d’oublier ses soucis et
de dissiper le malaise que lui procurait la maison vide.
L’éclatant soleil estival et la mer bleue eurent raison de
ses hésitations. Enfilant un maillot de bain deux pièces,
elle chaussa des sandales et, une serviette sous le bras,
elle ramassa sa planche de surf. Elle ferma la porte de
la maison derrière elle et descendit à pas lents le chemin
qui menait à la plage pour savourer pleinement le plaisir
de son retour.
— Salut, Jenna, où étais-tu passée ? s’exclama une voix
masculine comme elle arrivait sur la plage. On ne t’a pas
vue depuis des lustres.
C’était Ronnie, un des surveillants de plage, et toute
au plaisir de le revoir elle éclata de rire, ses problèmes
momentanément oubliés. Superbe athlète de trente-six
ans, heureux en ménage et père de famille comblé, Ronnie
habitait un cottage de l’autre côté de la baie, et il avait
toujours eu un mot gentil pour la fille du Dr Balfour quand
elle venait surfer.
— Je suis partie quelque temps, mais je suis revenue
pour de bon.
— Super ! commenta-t‑il, enthousiaste. On manque de
jolies filles depuis ton départ.
— Je n’en doute pas, commenta-t‑elle avec humour.
Où est tout le monde par cette belle journée ensoleillée
de la pleine saison estivale ?
Elle avait vu quelques surfeurs dans l’eau par la fenêtre
du taxi, mais il n’en restait qu’un qui s’apprêtait à partir,
regagnant le rivage avec sa planche sous le bras.
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— Ils ont dû aller à l’ouverture d’un nouveau parc à
thème de la région… ou à la pêche.
Du coin de l’œil, Jenna vit que le surfeur avait ramassé
sa serviette et qu’il se frictionnait énergiquement pour se
sécher. Elle ne put s’empêcher d’admirer son corps musclé
qui aurait pu faire pâlir d’envie l’athlétique Ronnie.
Elle remarqua machinalement ses cheveux bruns mouillés
qui brillaient au soleil et la souplesse de ses longs doigts.
Il s’était détourné et elle ne voyait plus la cicatrice qui
barrait son torse, mais son œil exercé d’infirmière avait eu
le temps de noter qu’elle était rouge et enflée, donc récente.
— Ça ne va pas fort pour ta mère, hein ? commenta
Ronnie avec sympathie.
— Non, répondit‑elle tristement, peu désireuse de
s’appesantir sur la question tant qu’elle n’aurait pas revu
sa mère.
— Si tu m’embrassais pour fêter ton retour ? suggéra
le jovial Ronnie dans l’espoir de lui remonter le moral.
Elle sourit.
— Pour ça, tu devras me supplier à genoux.
Il obtempéra en riant. Jenna planta un baiser sur le sommet
de son crâne et le laissa pour se diriger vers le rivage.
Le surfeur solitaire avait fini de se sécher et, comme
il se détournait pour ramasser sa planche, ils faillirent se
heurter.
— Pardon, articula-t‑il sèchement.
— Ce n’est rien, répondit‑elle gentiment, troublée par
l’éclat sombre de son beau regard.
C’était sans doute un touriste, et elle s’étonna qu’il ne se
montre pas plus cordial. Faisant un écart pour l’éviter, elle
s’avança vers l’eau en savourant d’avance ses retrouvailles
avec les grosses vagues de l’Atlantique.
Quand elle se retourna, l’homme avait disparu, et
Ronnie aussi. Elle avait la plage pour elle toute seule et,
le cœur battant de joie, Jenna fonça dans les vagues avec
sa planche, prête à chevaucher la prochaine déferlante.
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Elle aurait pu rester là des heures, mais un bref coup
d’œil à sa montre lui apprit que ses parents allaient bientôt
rentrer. Le moment qu’elle redoutait tant approchait à
grands pas.
La surfeuse blonde était‑elle la fille prodigue des Balfour ?
Lucas Devereux s’interrogeait en se dirigeant vers le parking
où il avait garé sa voiture, ses pieds mouillés claquant sur
la vieille chaussée de pierre.
Il avait entendu son échange avec le surveillant de plage
et le nom correspondait, tout comme la désinvolture qu’elle
avait affichée… Il s’était souvent demandé comment cette
fille avait pu abandonner sa mère sur un coup de tête dans
l’état où la malheureuse se trouvait.
Bien sûr, Keith était resté auprès de Barbara, et il était
plus facile à vivre que sa femme. Elle avait un caractère
bien trempé, alors que son époux aspirait seulement à la
tranquillité, et à en juger par ce que Lucas avait entendu
dire le pauvre homme n’en avait pas eu beaucoup.
Ils s’étaient rencontrés à la poste l’autre jour, et l’ancien
avocat lui avait annoncé le retour de sa fille en précisant
qu’il voulait faire la surprise à son épouse souffrante et
qu’il serait reconnaissant à Lucas de n’en parler à personne.
Il avait répondu sèchement qu’il n’avait pas l’habitude
de se mêler des affaires des autres et que nul n’apprendrait
de sa bouche le retour de Jenna Balfour. Mais, si c’était
bien elle qu’il avait vue sur la plage, la nouvelle allait vite
faire le tour de la petite communauté de Bluebell Cove.
Comme il roulait vers l’intérieur des terres, laissant la
côte derrière lui, les murs blancs du cabinet médical The
Tides surgirent devant lui avec leurs jardinières de fleurs
estivales et le long banc de bois sur lequel les patients
attendaient leur tour quand le temps le permettait.
Après avoir quitté l’hôpital où il travaillait depuis sa
spécialisation et où il avait été soigné suite à l’accident qui
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avait failli lui coûter la vie, il s’était laissé convaincre par
son ami Ethan Lomax de se tourner quelque temps vers
la médecine de proximité dans une petite ville côtière du
Devon blottie entre une plage de sable blond et la campagne verdoyante.
Il y avait loué The Old Chart House, une belle propriété
située non loin du cabinet médical, et c’est là qu’il se rendait,
la mine aussi sombre que quand il avait croisé la fille qu’il
supposait être Jenna Balfour.
Si les Balfour traversaient un moment difficile, il n’avait
rien à leur envier. La seule personne au courant était
Ethan, qui avait succédé à la redoutable Barbara Balfour
à la tête du cabinet lorsque la maladie l’avait contrainte à
en abandonner la direction.
Ethan était souvent venu lui rendre visite à l’hôpital
après le terrible incident qui avait bouleversé sa vie, lui
donnant envie de renoncer définitivement à la médecine.
Il réalisait une intervention de routine quand la patiente,
âgée d’une trentaine d’années, était entrée en état de choc
et était morte sur la table d’opération. Elle n’avait pas réagi
à la réanimation, et il avait eu la pénible tâche d’apprendre
la tragique nouvelle à son mari.
Fou d’indignation et de chagrin, l’homme avait sorti
un couteau de sa poche et l’avait poignardé à la poitrine.
La mince tenue de chirurgie qu’il portait offrait une
protection dérisoire, et la profonde blessure avait mis ses
jours en danger.
Lors de ses visites à l’hôpital, Ethan lui avait souvent
répété qu’il y avait une place pour lui à Bluebell Cove, et
que travailler dans un environnement plus calme et moins
stressant qu’un grand hôpital lui serait bénéfique.
A l’époque, cela n’intéressait pas Lucas, l’avenir lui
apparaissant alors comme un abîme noir et sans fond.
Mais, tandis que son corps se remettait lentement, il
avait repris goût à la vie et s’était arraché au gouffre qui
menaçait de l’engloutir.
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*
* *
Ethan n’arrêtait pas de vanter les mérites de l’existence
paisible à Bluebell Cove où les chirurgiens de sa qualité
se faisaient rares, et Lucas avait fini par l’écouter. Il avait
demandé un congé illimité à l’hôpital où il exerçait depuis
cinq ans comme chef du service de chirurgie cardiovasculaire, et il n’avait pas eu à le regretter. Tombé sous le
charme de la petite ville côtière, il était en train d’acheter
The Old Chart House et comptait en convertir une partie
en clinique de chirurgie cardiaque pour occuper le temps
qu’il ne passait pas au cabinet médical.
Mais le cauchemar qui l’avait conduit ici le tourmentait
encore. Et, sous une apparence de sang-froid et de compétence, il était torturé par la douleur, la désillusion, la peur
de ne plus jamais être l’homme confiant et sûr de lui qui
avait toujours pris la vie à bras-le-corps.
Il y avait une chose sur laquelle son ami ne s’était pas
permis de lui prodiguer ses conseils : la rupture de ses
fiançailles avec Philippa Carswell, qui travaillait avec lui à
l’unité de chirurgie cardiaque de l’hôpital de Hunter’s Hill.
Ils avaient rompu juste avant l’agression dont il avait
été victime. A l’époque, certains avaient même cru que
cette rupture avait affecté son travail et causé la mort de
sa patiente sur la table d’opération.
Mais, tandis que Lucas luttait contre la mort après son
agression, l’enquête avait montré qu’il n’avait commis
aucune faute professionnelle, et que le décès de la femme
était dû à une embolie massive qui avait bloqué l’artère
pulmonaire, provoquant une mort brutale.
Jenna se tenait sur le seuil de la maison quand son père
aida sa mère à descendre de voiture. Elle avait envie de
courir la serrer dans ses bras, mais se contint. D’une part
elles s’étaient séparées en mauvais termes, et d’autre part
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sa mère n’avait pas l’habitude d’être à son désavantage.
Une approche prudente s’imposait.
Se redressant, soutenue par ses deux cannes, Barbara
leva les yeux et vit sa fille, et Jenna sentit sa gorge se serrer.
Interdite, sa mère blêmit.
— Jenna ! D’où viens-tu ?
— De l’autre côté de la Manche, maman, répliqua-t‑elle
doucement en s’approchant. Pourquoi diable ne pas m’avoir
dit ce qui t’arrivait ? Je ne serais jamais partie si j’avais su.
Barbara esquissa un sourire glacial.
— Je n’ai pas l’habitude de supplier. Il n’était pas question
de me servir de mon futur handicap pour te faire rester…
Je suppose que tu es derrière tout ça, Keith ? questionnat‑elle en se tournant vers son mari.
— Oui, répondit‑il fermement. Et ne me dis pas que
tu n’es pas contente.
— Combien de temps penses-tu rester ? demanda
Barbara à sa fille.
— Aussi longtemps que tu auras besoin de moi. Je suis
rentrée pour de bon.
Le visage de sa mère se décomposa.
— Même si je suis toujours aussi tyrannique et acariâtre ?
Je ne vous mérite pas, tous les deux…
— On s’en souviendra, n’est‑ce pas, Jenna ? plaisanta
Keith en souriant avec soulagement.
Un jour, il dirait à Jenna ce qui avait animé sa mère
pendant toutes ces années où elle avait fait passer sa famille
après son cher cabinet. Mais, pour l’instant, Barbara,
épuisée par cette promenade à la campagne, avait besoin
de se reposer.
Plus tard ce soir-là, Jenna contemplait le soleil couchant
qui embrasait l’horizon au-delà de la plage. Sa mère dormait
et son père regardait la télévision.
Elle avait aidé Barbara à se déshabiller et à faire sa
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toilette, et en se couchant sa mère avait pris sa main dans
ses doigts enflés et avait murmuré simplement :
— Je dormirai mieux maintenant que je n’ai plus à me
soucier de savoir si tu es en sécurité.
Consciente que cet aveu était sa façon à elle de lui témoigner son affection, Jenna l’avait embrassée sur le front.
— Ne dérange pas papa si tu as besoin d’aide cette nuit.
Appelle-moi, d’accord ?
— Oui, avait promis docilement sa mère avant qu’elles
éclatent de rire, amusées par cette inversion des rôles.
A présent, le soir tombait, et il y avait encore beaucoup
de monde sur la plage et dans l’eau pour profiter de la fin
de journée.
Elle rejoignit son père dans le salon.
— Je vais me promener un moment, annonça-t‑elle.
— Bien sûr. Je serai sûrement couché quand tu rentreras
et je te verrai au petit déjeuner, belle enfant, répliqua-t‑il
avec un clin d’œil malicieux. Tu sais, j’ai toujours espéré
que quand tu reviendrais tu serais accompagnée de
l’homme de ta vie.
— J’ai connu un ou deux types gentils, mais je n’ai
pas trouvé le bon. A mon avis, il est encore à l’étude,
conclut‑elle d’un ton léger et, un bref instant, l’image du
beau ténébreux croisé sur la plage s’imposa à elle.
En cheminant lentement sur la route qui s’enfonçait à
l’intérieur des terres, Jenna songea que personne n’avait
parlé du cabinet médical depuis son retour. Le moment
venu, que dirait‑elle à sa mère ?
Le problème ne se poserait pas si le personnel du cabinet
était au complet. Serait‑elle déçue si c’était le cas ? La
question était entre les mains d’Ethan Lomax, désormais
l’associé principal. C’est à lui qu’elle devrait s’adresser si
elle voulait travailler au cabinet.
Elle avait toujours souhaité faire une carrière paramé16
dicale et aujourd’hui elle était prête à mettre en pratique
les compétences et les connaissances acquises pendant sa
formation. La plupart des amies rencontrées au cours de
ses études avaient choisi la voie hospitalière, mais leurs
mères à elles n’étaient pas la meilleure généraliste à des
kilomètres à la ronde, et elles n’attendaient pas de leur
progéniture le même dévouement…
Le pub local était situé tout près du cabinet, et en
s’approchant elle vit que toutes les tables en terrasse étaient
occupées, chacun voulant profiter de la douceur de la nuit.
Quelqu’un l’interpella et elle agita la main mais ne
s’attarda pas. Passant devant le cabinet médical, elle se
dirigea vers The Old Chart House, une belle demeure qui
était à l’abandon la dernière fois qu’elle l’avait vue.
Un homme était en train de tondre la pelouse avec un
engin puissant et, bien qu’il lui tournât le dos, elle reconnut
immédiatement le surfeur croisé l’après-midi.
A cet instant, il orienta la tondeuse vers la rue et leurs
yeux se rencontrèrent.
— Bonsoir, dit‑il. Nous nous sommes vus sur la plage,
si je ne m’abuse.
— En effet, répondit‑elle. Je suis surprise de trouver
cette maison occupée. Elle est vide depuis une éternité.
— C’est ce que j’ai cru comprendre, commenta-t‑il,
les bras négligemment posés sur le guidon de la tondeuse.
Je l’ai d’abord louée, puis j’ai décidé de rester à Bluebell
Cove, et je viens d’apprendre que le propriétaire acceptait
de me la vendre.
— C’est une très belle demeure. Je vous félicite.
— De quoi ? riposta-t‑il sèchement. D’acheter un logis
beaucoup trop grand pour moi ?
— Vous vivez seul ?
— Oui. Et vous, où habitez-vous ?
Comme s’il ne le savait pas…
— Pour le moment, chez mes parents, dans une maison
appelée Four Winds House.
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Ainsi, il ne s’était pas trompé, songea Lucas. Il avait
bien affaire à la fille des Balfour, qui avait troqué son
bikini pour une robe en coton bleue assortie à ses yeux.
A une époque, il n’aurait pas été insensible à ses charmes,
mais son aventure avec Philippa l’avait refroidi. A en juger
par ce qu’il avait entendu dire, cette fille ne valait pas
mieux que son ex. Comment avait‑elle pu abandonner sa
mère malade ?
N’ayant plus ses parents, il enviait ceux qui avaient
une famille.
Son père était mort alors qu’il fréquentait l’école de
médecine quinze ans plus tôt et, étant enfant unique, il
s’était montré très protecteur avec sa mère jusqu’à ce qu’elle
soit à son tour emportée par un cancer.
Rousse flamboyante et passionnée, Philippa Carswell
était son adjointe à la direction de l’unité de cardiologie de
l’hôpital de Hunter’s Hill. Il était amoureux d’elle et n’avait
jamais douté qu’elle partageait ses sentiments.
Outre l’attirance qu’elle exerçait sur lui, il admirait sa
détermination à arriver au plus haut niveau de la profession.
Jusqu’à ce qu’il découvre qu’elle n’hésiterait pas à l’écraser
pour satisfaire son ambition.
Lucas avait toujours entretenu de bonnes relations avec
Robert Dawson, quinquagénaire à la tête du trust de gestion
de l’hôpital de Hunter’s Hill, et à l’occasion d’un dîner son
ami l’avait prévenu que Philippa convoitait son poste et
qu’elle ne reculerait devant rien pour l’obtenir.
Robert était l’intégrité même, et Lucas l’avait cru. Quand
il avait questionné Philippa, elle lui avait ri au nez et avait
froidement rétorqué qu’en amour comme à la guerre tous
les coups étaient permis.
Les hostilités déclarées, Philippa avait pris conscience
qu’elle était allée trop loin. Elle avait fait ses bagages et
était partie pour l’Amérique, le laissant meurtri et aigri visà-vis des femmes, en particulier lorsqu’elles étaient jolies.
Découvrir qu’elle s’était servie de lui pour assouvir ses
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ambitions avait été un premier coup dur pour lui, mais le
second avait été encore pire, et de celui-là il porterait à
jamais la cicatrice dans sa chair.
Cela faisait partie des aléas de la profession médicale,
et il s’en serait passé, mais il avait pardonné à son agresseur, et il essayait de continuer sa vie sur le mode paisible
prôné par Ethan en donnant des consultations deux fois
par semaine au cabinet dirigé par son ami. Il comptait
aussi ouvrir sous peu une clinique privée dans la maison
qu’il venait d’acquérir.
C’était une vie différente de celle qu’il avait envisagée,
et il ignorait si elle lui apporterait le bonheur, mais seul
le temps le dirait.
Tandis qu’il laissait vagabonder ses pensées, Jenna
l’observait avec circonspection, s’interrogeant sur son
identité sans oser le questionner.
Mais sa curiosité ne devait pas être satisfaite, et les
lèvres de l’inconnu restèrent scellées. Une chose était sûre,
s’il avait acheté The Old Chart House, elle allait le voir
souvent, et cette pensée la troublait.
— Eh bien, au revoir, lança-t‑elle aimablement, brisant
le silence qui s’éternisait. J’espère que vous serez heureux
dans votre nouveau logis.
Il parut un peu déconcerté.
— Merci… Je reconnais que je suis tombé amoureux
de l’endroit, de la maison, de la plage, et des champs
verdoyants du Devon qui s’étendent à perte de vue, crut‑il
bon de préciser comme pour se justifier. Ces choses-là sont
immuables, ajouta-t‑il d’une voix durcie.
— Euh… oui, commenta-t‑elle en se détournant pour
s’éloigner avec un signe de la main.
Quand elle fut partie, il demeura immobile, le regard
fixe, sévère. Qu’est‑ce qui lui avait pris de bavarder avec
elle ? Si elle cherchait de la compagnie, elle avait choisi la
mauvaise personne. Il s’était peut‑être comporté comme un
imbécile une fois, mais il n’était pas près de recommencer !
19
*
* *
En s’éveillant tôt le lendemain matin, Jenna entendit
des rires d’enfants par la fenêtre ouverte, avec le timbre
plus grave d’adultes les mettant en garde contre la marée.
Quelque part, on avait allumé un feu, et l’agréable odeur
du bacon grillé flottait jusqu’à elle.
Si sa mère avait été en meilleure santé, elle aurait été
presque heureuse. Leurs retrouvailles s’étaient avérées
moins stressantes qu’elle le craignait, et si Barbara la laissait
l’aider au lieu de s’accrocher à son indépendance Jenna
pourrait travailler à temps partiel tout en s’occupant d’elle.
Elle rangeait la vaisselle du petit déjeuner quand elle
entendit une voix familière sur la terrasse où ses parents
prenaient le soleil. C’était Ethan Lomax qui sembla surpris
de la voir.
— Jenna ! Tu es rentrée définitivement ou c’est juste
une visite ?
— Je suis de retour au bercail, répondit‑elle en souriant,
contente de revoir l’aimable médecin qui avait remplacé sa
mère à la tête du cabinet. Je n’en ai pas encore parlé à papa
et maman car je viens d’arriver, mais j’aimerais m’occuper
d’elle tout en travaillant à mi-temps comme infirmière.
— Je peux me débrouiller…, commença sa mère.
Ignorant ses protestations, Ethan sourit.
— Inutile de chercher un poste ailleurs. Nous avons
justement besoin d’une infirmière à temps partiel pour les
consultations du matin et deux après-midi par semaine
pour assister Lucas dans ses consultations de cardiologie.
— Lucas ! Des consultations de cardiologie ! Qui est‑ce ?
Et depuis quand le cabinet peut‑il s’offrir ce genre de chose ?
— Depuis qu’un de mes amis a décidé de changer d’air,
répliqua Ethan en souriant. Alors, ça t’intéresse ?
— Evidemment ! Si papa et maman sont d’accord.
— Tu sais déjà ce que j’en pense, dit sa mère.
— Je n’ai rien contre, renchérit son père, mais je ne
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veux pas que tu te sentes piégée par nos affaires maintenant
que tu es rentrée, Jenna. Tu as ton diplôme d’infirmière,
à présent.
— Une infirmière est toujours une infirmière, où qu’elle
soit. Mes projets ont été différés, mais j’ai toujours voulu
travailler au cabinet un jour s’il y avait un poste pour
moi. Les femmes de la famille Balfour doivent se serrer
les coudes, non ?
A une époque, ce commentaire lui serait resté en travers
de la gorge, mais aujourd’hui, devant le triste spectacle de
sa mère vaincue par la maladie, elle en pensait chaque mot.
Ethan consulta sa montre.
— Je dois y aller. Alors, c’est décidé, Jenna ? Tu vas
te joindre à nous ?
— Oui. Absolument.
Elle aurait accepté de balayer les rues ou de vider les
poubelles si cela lui avait permis de voir le même bonheur
sur le visage de sa mère.
Elle raccompagna Ethan jusqu’au portail.
— Passe cet après-midi si tu peux, dit‑il. Ça a dû te
causer un choc quand tu as vu ta mère, ajouta-t‑il en baissant
la voix. Elle allait encore bien quand tu es partie, non ?
— Apparemment oui, acquiesça-t‑elle avec tristesse.
Je n’avais aucune idée de ce qui se passait, et elle s’est bien
gardée de me le dire. Ce n’est pas son genre.
— Je sais, soupira-t‑il.
Quand il fut parti, son père crut bon de préciser :
— Ethan passe tous les matins en se rendant au cabinet
pour s’assurer que nous allons bien. C’est un chic type.
L’après-midi touchait à sa fin quand Jenna put enfin se
rendre au cabinet médical. En pénétrant dans le hall de
réception, elle fut saisie par une impression d’irréalité. Ce
lieu avait été le domaine réservé de sa mère, et maintenant
21
elle était là à son tour, une autre Balfour allait faire partie
du cabinet The Tides.
Elle ne connaissait pas l’employée de la réception, et
comme elle s’avançait pour lui exposer la raison de sa
venue la porte d’un cabinet de consultation s’ouvrit derrière
elle. Pivotant sur elle-même, elle se trouva nez à nez avec
le mystérieux surfeur et propriétaire de The Old Chart
House… Etait‑il également médecin, ou représentant en
matériel médical ?
Elle fut fixée quand, jetant un coup d’œil dans sa
direction, il déclara au vieil homme dont il prenait congé :
— Je veux vous revoir la semaine prochaine, monsieur
Enderby, et si d’ici là vous avez de la tachycardie ou des
problèmes respiratoires, appelez-moi immédiatement et
nous aviserons. L’électrocardiogramme que nous venons
de faire ne montre aucune anomalie pour l’instant, mais
n’oubliez pas que mes consultations de cardiologie sont
là pour vous aider.
— C’est probablement d’avoir perdu mon chien de
berger qui m’a mis dans cet état, bougonna le vieux fermier.
J’avais Jess depuis si longtemps.
— C’est peut‑être l’explication, commenta-t‑il avec un
sourire sympathique.
Jenna n’avait jamais eu droit à un tel traitement, mais
pourquoi cet inconnu se serait‑il montré affable avec elle ?
Il vivait peut‑être seul, mais sans doute le souhaitait‑il. A
moins qu’il soit déjà pris.
George Enderby s’immobilisa en voyant la jeune femme.
— Jenna ! Depuis quand es-tu rentrée à Bluebell Cove,
ma chère petite ?
— Depuis hier, répondit‑elle avec un grand sourire.
— Et tu vas rester ?
— Oui, monsieur Enderby. Je vais travailler ici le matin,
et deux après-midi par semaine, j’assisterai le cardiologue
dans ses consultations.
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— Tu m’en vois ravi, et je me sens déjà mieux, gloussa
malicieusement le vieillard.
Il s’éloigna en trottinant, laissant la jeune femme intégrer
cette nouvelle de taille : le surfeur de la plage et le Lucas
qui travaillait maintenant au cabinet ne faisaient qu’un.
Il était nouveau ici, comme la réceptionniste, et bientôt
elle, Jenna, même si, pour la plupart des gens, elle ne serait
pas une inconnue, mais la fille de Barbara.
Ce matin, Ethan avait parlé d’un cardiologue qui donnait
des consultations ici. C’était donc cet homme en élégant
costume sombre et cravate club ! Disparus le short de bain
de leur première rencontre et le bermuda décontracté de
leur seconde entrevue.
Le vieux fermier avait pris congé, et la réceptionniste
était au téléphone. L’homme l’observait froidement.
— Je présume que vous êtes Jenna Balfour et que vous
venez voir Ethan ? Il a demandé qu’on s’occupe de vous
s’il n’était pas rentré de ses visites. La réceptionniste sera
ravie de vous préparer une tasse de thé quand elle aura
un moment.
Vexée, elle répliqua, glaciale :
— Ça ira, merci. Il semble que vous ayez compris qui
je suis, alors si vous vous présentiez ?
— Lucas Devereux, en convalescence à la campagne,
et médecin à ses heures.
Elle lui tendit la main.
— Heureuse de vous connaître, docteur Devereux.
Il hésita une fraction de seconde avant de lui serrer
fermement la main.
— C’est gentil à vous. A présent, si vous voulez bien
m’excuser, j’ai un patient qui m’attend, déclara-t‑il.
23
ABIGAIL GORDON
Coup de foudre à Bluebell Cove
A peine Jenna s’est-elle installée comme infirmière dans une
petite ville du Devon qu’on lui présente le Dr Lucas Devereux,
un brillant chirurgien qui, comme elle, a choisi d’exercer
loin du stress londonien. Hélas, s’il se montre irréprochable
en tant que confrère, cet homme très séduisant ne peut
s’empêcher, en privé, de lui manifester une étrange hostilité.
Une hostilité qui n’a d’égale que l’attirance que Jenna
éprouve à son égard…
Rendez-vous à Bluebell Cove
Lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte, Francine est
bouleversée. Ne vient-elle pas tout juste de divorcer,
reprochant à Ethan, son mari, de se soucier davantage de
sa carrière de médecin que de leur vie de famille ? Pourtant,
elle ne regrette pas un seul instant d’avoir cédé, une dernière
fois, au désir qu’elle n’a jamais cessé d’éprouver pour lui
malgré leurs querelles, et se sent prête à en assumer les
conséquences. Reste à annoncer la nouvelle à Ethan et à
accepter sa réaction, quelle qu’elle soit…
Hilliquae expero intempor magnisti volupta sserit,
À Noël, les coeurs se cherchent et se trouvent !
quiatem sape comnihicit incia cusr.
1er janvier 2016
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