Je t`aime de tout mon cœur Comme à toutes les récrés, nous étions

Transcription

Je t`aime de tout mon cœur Comme à toutes les récrés, nous étions
Je t’aime de tout mon cœur
Comme à toutes les récrés, nous étions assises parterre, à l’ombre, près du grillage. Nos
plateau repas gisaient intactes à nos pieds : nous n’osions manger ou prononcer le
moindre mot.
L’heure était grave, il fallait parler ! Trouver une solution !
Baissant les yeux, je saisis mon portable. Pianotant sur les touches argentées de
l’appareil, je parlai la première :
- Tu l’aimes ?
Elle mordit ses lèvres, rougit, ferma les yeux et d’une voix étranglée, demanda :
- Lequel ?
- Celui-là bien sur !!!
- Je ne sais pas, dit-elle calmement en posant une main sur son ventre.
Elle l’aimait mais il ne lui inspirait que du dégout. Elle lui en voulait tellement car
c’était à cause de lui que son petit-ami l’avait plaqué hier ; c’était à cause de lui qu’elle
avait pleuré toute la nuit; c’était sa faute à lui si nous étions là aujourd’hui à chercher un
moyen de régler le problème !
-
Si seulement il n’avait jamais existé…tout ça c’est de sa faute, sa faute, sa faute…. ,
répéta-t-elle, avant de fondre en larmes- encore une fois !
-
Je comprends pas, confessai-je en passant ses bras autour d’elle. S’il te fait souffrir
pourquoi tu ne le largues pas, hein ?
Je l’aime…murmura-t-elle, entre deux sanglots.
Non ! tu ne l’aimes pas… tu crois que tu l’aimes mais… c’est faux ! tu ne l’aimes !
Ça fait quand même un mois, je te rappelle !
Et alors, ça ne veut rien dire ! Un mois ça ne signifie rien…c’est à partir de six ou
neuf mois que ça devient une vrai relation…
Tu dois avoir raison. Après tout, avec mon ex, on était ensemble depuis près d’un
an… ça c’est une relation !
-
Les yeux toujours humides, elle se mit à rire en se tenant le ventre. Son visage déformé
par cet accès soudain de rire, elle avait l’air d’une junkie en manque, d’une folle…
Effrayée, je la serrai de toutes mes forces contre moi et chuchotai :
- Oui, ça c’est une vraie relation…d’ailleurs je suis sûre que vous vous remettrez
ensemble dès que tu te seras débarrasser du petit gêneur…
- T’en est sûre ? vraiment il voudra encore de moi…
- J’en mettrais ma main au feu, dis-je en souriant, et tiens si on le lui demander
demain ?
- Oui, demain.
Nous baissâmes la tête et pleurâmes, chacune dans les bras de l’autre. Cette étreinte,
humide et salée, sembla durer une éternité ; nous dûmes toutefois se séparer et sécher nos
larmes lorsque la cloche sonna. Je me rinçai le visage et retournai en classe comme-ci de
rien n’était.
L’après-midi passa en un clin d’œil et je la retrouvai à la sortie des cours – comme
d’habitude. On monta dans le bus, s’assit ensemble, et descendit à la quatrième station.
On marcha un moment en silence, scrutant les vitrines des magazines aux alentours, et
finit par s’arrêter devant une statue de Kali, déesse indienne de la mort.
- C’est là ! derrière…tu veux venir ?
Sa voix était hésitante et ses yeux embués. Elle tremblait, rongeait ses ongles, déjà
courts, et semblait prête à s’évanouir à tout moment. J’avais tellement mal pour elle que
je saisis sa main.
- Oui, je viens.
La pièce était sale, délabrée, meublée de façon frugale, et me rappelait étrangement
l’appartement des Lorilleux, « c’était une pièce étranglée, une sorte de boyau». Pendant
que je contemplai la seule plante de toute la salle, une vieille femme fit son apparition,
nous dévisagea et avec un drôle d’accent demanda laquelle d’entre nous avez le cœur
brisé. À ces mots, je relâchai sa main et fis un pas en arrière ; elle légèrement troublée,
vacillante fit un pas en avant. La grand-mère se saisit d’elle et toute deux disparurent
derrière une porte blanche.
Je restai un moment assise, seule, sur une chaise branlante à côté de la seule plante de
toute la salle.
Elles finirent par réapparaitre. Elle s’appuyant sur la vieille, les jambes légèrement
écartés et l’autre souriant, renforçant la profondeur de ses rides.
-
C’est fini… plus de petit gêneur, murmura-t-elle.
Se détachant de l’ancêtre, elle s’élança en avant et se nicha dans mes bras. Ses cheveux
étaient défaits, son visage de marbre, ses joues rouges, et sur ses cuisses nues,
ruisselaient – une fois encore - de petits filets de sang. Elle s’était assoupie dans mes
bras, comme la dernière, le mois dernier, après avoir fait l’amour pour la première fois
avec son copain.
-
La prochaine fois si vous voulez avorter venez plutôt, plus le petit gêneur est jeune,
plus il s’enlève facilement, dit la grand-mère en ricanant.