Contribution du Pr. Sy Mamoudou

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Contribution du Pr. Sy Mamoudou
Chapitre 3
Sultan Njoya (1876-1933), Seydina Limamoulaye (1843-1909) et
Simon Kimgangu (1887-1951) : des acteurs dans la réhabilitation de
la personnalité négro-africaine
Par
Mamoudou SY
Chargé de cours
Département d’histoire
Université Cheik Anta Diop – Dakar/ Sénégal
Je présente ces trois personnages africains en me basant sur des faits tirés de
leur cycle de vie, en mettant un accent sur leurs points communs. Cette
présentation croisée de ces 3 leaders dans un but de favoriser pour reprendre
une expression du philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne « un
dialogue intraculturel » panafricain, partager la connaissance que nous avons de
nos illustres personnages, voir comment inscrire leurs actions dans nos
programmes d’enseignement respectifs. Au Sénégal, Njoya est connu des élèves
de l’enseignement secondaire pour lesquels la leçon 2 de la classe de seconde
porte sur la problématique de l’histoire africaine : sources et procédés
d’investigation (archéologie, tradition orale, linguistique). Mais seulement
comme inventeur d’une écriture africaine. Pas plus. Simon Kimbangu reste
inconnu des étudiants et élèves sénégalais. Les élèves sénégalais ignorent que
Njoya est un grand intellectuel, un producteur de savoir et que, grâce à lui,
l’Afrique n’est pas seulement une civilisation de l’oralité comme on a coutume
de dire et de lire.
Je m’évertue dans mes enseignements destinés aux étudiants géographes (cours
magistral sur l’historiographie africaine) à insister sur ce point. Seydina
Limamoulaye est connu des élèves et étudiants sénégalais mais en tant que
fondateur d’une confrérie. Je place ma communication sous le signe d’une
invitation à la connaissance mutuelle entre Africains, d’une Afrique définie par
Cheikh Anta Diop, comme constituée d’un territoire d’une culture et d’une race
(les nègres) berceau de la première civilisation, d’une Afrique, dit Mamadou
Diouf « dont la cohésion et la signification se révèlent dans une trajectoire
singulière qui débute par le processus d’hominisation et continue sous forme de
migrations internes et externes au continent, d’une Afrique qui parraine la sortie
de l’Europe de la barbarie et l’introduit dans la longue marche vers la modernité
que sa civilisation grecque d’abord, latine ensuite inaugure » (Diouf, 1999 : 6).
Je vais revisiter les œuvres de trois personnages en insistant sur le fait qu’ils ont
tous œuvré pour une libération intellectuelle de leurs peuples, l’instauration
d’une justice sociale, encouragé l’équité, gage d’un développement durable. Je
cite l’Ambassadeur H. Komidor Njimoluh, Délégué général à l’organisation du
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colloque : « L’Afrique positive a toujours existé. La jeunesse a besoin d’être
fière de son passé. Ce passé n’est pas toujours triste. Il regorge de richesses
pour notre élévation. Offrons aux bâtisseurs du futur africain la mémoire de nos
peuples car demain n’est qu’un long cheminement du passé ».
Les grands points de ma communication sont : dans une première partie, je vais
énumérer des points communs aux trois hommes en liaison avec le thème du
colloque c'est-à-dire en quoi ils ont contribué chacun à sa façon à l’évolution du
savoir, au savoir-être et au savoir-faire de leurs sociétés respectives, contribuant
ainsi d’une façon remarquable à l’évolution de la civilisation Africaine. Il
semble avoir une contradiction dans leurs actions car ils ont eu à combattre pour
départir les Africains de certaines de leurs pratiques ancestrales. Il s’agissait de
pratiques négatives, rétrogrades qui débarrassées, éliminées, ont permis de
libérer psychologiquement l’Africain. C’est en quoi le fait de combattre des
pratiques négro-africaines a contribué en même temps à rehausser l’homme
noir, car ces trois hommes ont proposé des alternatives crédibles à leurs
contemporains.
I/Qu’est-ce qui justifie le choix de ces trois hommes ?
Ils partagent, de l’observation de leur biographie, des points communs.
A — Ils ont vécu à cheval entre le 19e et le 20e siècle
B — Le poids du rêve, de la prédiction, de la prophétie, de la prédication dans
leur cycle de vie : c’est un rêve qui marque pour Njoya le point de départ du
processus de l’invention d’une écriture africaine, la venue de Seydina
Limamoulaye ou Mame Limamoulaye a été annoncée à une délégation de
dignitaires lébous (une communauté vivant principalement dans la presqu’ile de
Dakar et parlant le wolof) dans laquelle se trouvait son père. Le destin de
Seydina Limamoulaye a été prédit par Ahmadou Hamet Ba lorsque son père et
ses compagnons étaient venus faire acte d’allégeance à ce dernier dans son fief
au Fouta Toro à Wouro Mahdiyou (nord Sénégal). Seydina Limamoulaye avait,
à son tour, prédit le monde agité dans lequel nous vivons aujourd’hui. Seydina
Limamoulaye et son fils Seydina Issa Laye sont des Noirs qui réclament être la
réincarnation de Blancs : Seydina Limamoulaye est considérée par la
communauté des Layènes comme la nouvelle forme du Prophète Mohamed.
Son fils Seydina Issa Laye est vu par les Layènes, comme la nouvelle forme de
Jésus Christ. Avant de lancer son appel, Seydina Limamoulaye était un pécheur
et en campagne dans les côtes de la Gambie, sa future mission était annoncée
par un sage du nom de Kéba Mansaly à lui et à l’un de ses amis : sache que
Dieu va te charger d’une mission prophétique dans la prolongation de celle de
Mouhamed. Seydina Limamoulaye en lançant son appel avait déclaré : l’arabe
blanc s’est noirci.
Quant à Simon Kimbangu, il se proclame envoyé du seigneur Jésus Christ sur
terre. Il avait prédit la future libération de l'homme noir sur les plans spirituel et
physique, l'indépendance du Congo et la reconstitution de l'Empire Kongo,
prophétisant la « deuxième indépendance » (dipanda dianzole en kikongo).
Simon Kimbangu devint catéchiste à 15 ans, et il reçut une vision divine le
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chargeant d’aller soigner soignant les malades, rendant accessible l’Évangile au
peuple plus que le faisaient les missionnaires européens.
C- Les trois hommes ont œuvré pour la réhabilitation de la personnalité
négro-africaine : ainsi, Njoya inventa une écriture, et produisit un savoir
livresque et cartographique ; les deux autres sont des serviteurs de deux
religions révélées proposant à leurs sociétés d’opérer des ruptures sous forme
d’interdictions et de recommandations : l'abolition de tout syncrétisme
religieux, l'éradication de la danse érotique, la destruction des fûts de danse, et
la fin de la polygamie. Ils s'opposent également à toute forme de sorcellerie. En
diminuant la crainte en la magie et la sorcellerie, ils ont contribué à développer
la confiance mutuelle et à renforcer l’intégration intercommunautaire.
Seydina Limamoulaye, lui, a commencé à prêcher en 1883. Il combat les
pratiques néfastes et rétrogrades : il interdit le gaspillage, les chansons
traditionnelles et les danses profanes durant la cérémonie de baptême ou de
mariage. L’une des innovations majeures apportées par Seydina Limamou
réside dans le fait de donner la petite fille en mariage (une sorte de réservation)
le jour de son baptême. Devenue grande, la fille se marie avec son promis. Il a
recommandé aussi à la communauté des layènes de circoncire les nouveaux nés,
le 8e jour après leur naissance ou au plus tard dans les 15 premiers jours de leur
vie. Par ailleurs, pour éradiquer les conflits communautaires fréquents en
Afrique, il demanda aux layènes se donner mutuellement le nom de Dieu dans
leurs salutations, mettant en veilleuse leurs noms de familles sénégalais qui font
allusion à une hiérarchie sociale basée sur les castes qui n’avaient qu’une valeur
professionnelle liée à la division du travail. Ce fut pour Seydina Limamoulaye
une méthode efficace pour lutter contre l’inégalité sociale, l’ordre féodal et le
particularisme communautaire. Grâce à son action, dans la communauté layène,
on peut se marier sans considération d’appartenance de caste, de catégorie
sociale ou d’ethnie. Il n’y a pas de métier réservé à une caste. Habitant au bord
de la mer, la communauté layène se tourna sans hésiter vers l’exploitation des
ressources halieutiques et l’exploitation des riches terres des Niayes (longue
bande de terres fertiles et humides qui longent la côte atlantique de Saint-Louis
à Dakar). Cela va booster la pêche artisanale maritime et la culture maraichère.
Seydina Limamoulaye en encourageant l’ignorance des barrières
communautaristes, chauvines est un fervent agent d’une intégration africaine
par les peuples.
D – Ils ont été victimes de la pression coloniale
Simon Kimbangu, Seydina Limamoulaye et Njoya ont tous les trois subi
l’enfermement colonial. Pour Simon Kimbangu, les missionnaires européens ne
pouvaient accepter pourquoi leur travail d’évangile sur le terrain qui dure depuis
des années, allié à leurs oeuvres de bienfaisance n’avaient pas atteint
efficacement leurs objectifs, alors que les disciples de Kimbangu exécutaient
ses recommandations avec enthousiasme et dévotion ! Les disciples de Simon
Kimbangu pensèrent alors que les missionnaires européens retenaient les secrets
de la chrétienté, vus comme source de la puissance européenne et de la richesse,
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et le prêche de Kimbangu, vu comme un prophète ayant parlé à Dieu, fournit
donc un moyen d'accéder à ces secrets.
Simon Kimbangu est identifié avec le dieu Nzambi, l'être suprême du Congo, et
prêche la proximité de Dieu avec son peuple. Simon Kimbangu était fier d’être
un noir africain. Il savait la situation dans laquelle se trouvait sa communauté. Il
était conscient du fait que la roue de l’histoire allait tourner. Il le dit à ses fidèles
lors d’un culte matinal le samedi 10 septembre 1921 à Mbanza Nsanda : « ...
aujourd’hui, nous sommes encore persécutés, mais au temps fixé par le
Seigneur, les Blancs deviendront des Noirs et les Noirs des Blancs ; c'est-à-dire
que nous assumerons les fonctions que ceux-ci exercent encore chez nous
aujourd’hui, tandis qu’ils se verront contraints de se soumettre à nos décisions.
Nous serons les maîtres chez nous comme ils le sont chez eux. En dépit des
persécutions qu’ils nous font subir, nous avons l’obligation de les aimer, de ne
pas les haïr car cela serait contraire à l’Évangile ».
Cette prophétie a soit été mal rapportée à l’administration coloniale belge, soit
elle a été tronquée. Cette dernière semblait n’avoir retenu qu’un segment de
phrase de la prophétie de Simon Kimbangu : « … les Blancs deviendront des
Noirs et les Noirs des Blancs ».
Dans le cadre du contexte colonial où les libertés individuelles étaient assez
restreintes, le droit à l’initiative limitée, les propos tenus disséqués ; il était
certain que Simon Kimbangu était dans la ligne de mire des autorités belges.
Elles devaient rassembler les pièces à conviction pour stopper le travail de
réhabilitation de la personnalité négro-africaine menée par cet ancien catéchiste
Avec l’aide complaisante des religieux locaux (à l’image de Jésus Christ avec
les pharisiens ou de Cheikh Ahmadou Bamba lors de sa convocation à, Saint
Louis en septembre 1895 avant son arrestation et sa déportation au Gabon à
Mayombé pour 7 ans), Simon Kimbangu fut victime d’une chasse à l’homme
menée par les autorités coloniales belges. Stratège et très croyant, Simon
Kimbangu sachant cela, va se rendre délibérément à ses dernières dans son
village natal de Nkamba, le lundi12 septembre 1921 dans l’après-midi. Ce fut le
jour même de la célébration de son 34e anniversaire. Plusieurs autres personnes
se firent librement arrêter le même jour avec lui, suivant l’exemple de leur guide
bien aimé et respecté. Simon Kibangu fut enfermé et jugé d’une façon
expéditive à Thysville (de nos jours Mbanza-Ngungu). Un jury militaire a été
institué pour la circonstance. Il était sous la direction du commandant De Rossi.
Le tribunal statua sur le « phénomène Simon Kimbangu » du 29 septembre au 3
octobre 1921. Comme Simon Kimbangu est un Noir ambitieux, un directeur de
conscience, il fallait le neutraliser avant que son action n’éveille la conscience
populaire. Ainsi, il fut condamné à la peine de mort et à 120 coups de fouet.
Simon Kibangu et ses compagnons d’infortune n’avaient aucun avocat pour leur
défense. Ils furent victimes des préjugés et de l’arrogance du juge européen.
L’interrogatoire était orienté et subjectif. Des exemples comme ça sont
nombreux dans l’histoire des procès expéditifs menés par des colons en Afrique.
Le plus connu est celui du 5 septembre 1895 débouchant sur la condamnation à
la déportation de Cheikh Ahmadou Bamba. Durant le procès bâclé de Simon
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Kimbangu, en réponse à la question du juge qui lui demandait s’il était
prophète, le prévenu rétorqua sans broncher : « Mono i ntumua mfumu e to
Yisu Klisto, Mono ki ngunza ko » (en langue kikongo), ce qui signifie en
langue française : Je suis l’Envoyé du Seigneur Jésus Christ, je ne suis pas un
prophète. Ceci est pourtant clair, mais une confusion s’y est quand même
greffée, par la suite. Les missionnaires lui ont collé, en fin de compte, le nom de
prophète.
La peine de mort infligée à Papa Simon Kimbangu le 3 octobre 1921 fut
commuée en travaux forcés à perpétuité le 22 novembre 1921 par Sa Majesté le
Roi Albert 1er de Belgique, suite à une requête introduite le 4 novembre 1921
par la « Baptist Missionary Society » auprès du Roi de Belgique.
Le 3 décembre 1921, Simon Kimbangu eut lieu le début du transfèrement sur
Léopoldville (de nos jours, Kinshasa) par train spécial sous une escorte de
plusieurs dizaines de soldats et un officier belge. Certains milieux étaient
cependant mécontents de la décision prise par le Roi Albert 1er. D’autres
souhaitaient une élimination physique de Simon Kimbangu qui devenait à leurs
yeux une menace et un obstacle à leurs œuvres d’asservissement mental de
l’homme africain noir.
Seydina Limamoulaye et l’enfermement colonial
Seydina Limamou Laye est né en 1843 dans la région de Dakar, plus
précisément à Yoff. Il commence sa prédication le 24 mai 1883, à l'âge de 40
ans, se présentant comme l'imam des « Bien Guidés » ou « imamoul Mahdi »
tant attendu. Au début du 19e siècle, le marabout toucouleur qui avait reçu la
délégation des dignitaires lébous, avait prédit la venue d’un envoyé de Dieu
parmi leur descendance et leur avait recommandé de donner le prénom de
Imamoul Mahdi aux nouveaux nés de sexe masculin. Sur les quatorze qui
portèrent ce prénom, seul Limamou Laye survécut.
En 1883, déjà orphelin de père, Limamou Laye perd sa mère et s'isole pendant
trois jours de suite sans boire ni manger. Au terme de cette retraite spirituelle, il
dit être l'envoyé de Dieu, disant : « Adjibo dahiya laye ya marsaral ins wal djin
ini raasouloulahi ileykoum » (« Venez à l'appel de Dieu, vous hommes et djinns,
je suis l'envoyé de Dieu. L'arabe blanc s'est noirci »). Seydina Limamoulaye se
proclame la réincarnation du prophète Mohamed.
Une partie de sa communauté le prend d’abord pour fou, mettant son
comportement sur le compte d'un envoûtement ou du chagrin causé par la perte
de sa mère. Son oncle fut même exclu de la grande place du village par ses amis
(ils lui diront : « va soigner ton neveu qui est devenu fou). Cependant, Limamou
Laye attirait des personnes qui venaient volontairement devenir ses disciples.
Elles affluaient à Yoff. L’ordre local religieux établi musulman commença à
paniquer ; de même que les dignitaires de la religion traditionnelle africaine.
Plus que des disciples ignares, des érudits musulmans comme Ababacar Mbaye
Sylla (cadi de Dakar), Abdoulaye Diallo ou Ndiké Wade (grands érudits venant
de Saint Louis) répondirent positivement à son appel. D’autres venaient des
quatre coins du Sénégal. Seydina Limamou Laye dira alors : " Le maître de ces
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temps-ci [Sayda haza zamâni] est venu. Entre lui et les savants, il y a des
différences [de conceptions religieuses] et ceux-ci l’ont rejeté. »
À l’image des grands directeurs de conscience, des représentants des ordres
religieux établis (musulman et traditionnel) qui ne l’avaient jamais supporté
entamèrent un travail de sape et de médisance, le mettant en mal avec les
autorités coloniales françaises. Ainsi, son sort semble être scellé. Les
colonisateurs avaient déjà neutralisé la plupart des résistants armés africains qui
avaient osé défier leur puissance. Que faire face à ce combattant armé de la foi,
qui dénonçait le syncrétisme religieux et détruisait des propres mains les
idoles ? Les autorités françaises le conduisirent sur l'île de Gorée avec son
disciple Abdoulaye Diallo. Seydina Limamou Laye demeura trois mois à Gorée.
À son retour sur la terre ferme, Seydina Limamou Laye continua à enseigner et
à prêcher la droiture et un culte religieux musulman « propre et sincère »,
débarrassé des traditions syncrétiques qu'il jugeait non conformes à l'islam. Le
village de Yoff (où se trouve l’aéroport international de Dakar) devenait petit et
un site de recasement pour ses nombreux disciples fut trouvé et baptisé du nom
de Médine, ce fut Kem Médine qui fut déformé en Cambérène. D’autres sites
jalonnent l’histoire de l’installation et de la consolidation de la confrérie layène.
Nous pouvons citer Ngor, Guentaba (Malika), Ndingala, Diamalaye (Yoff). Des
lieux où Limamou Laye a réalisé des miracles et guérit des malades. La plupart
de ces lieux ont un puits béni à l’image de l’eau bénie recueillie à Nkamba.
II/ un souci commun de relier le passé à l’avenir
Nous ne reviendrons pas dans cette communication sur les détails de la vie et
l’oeuvre de Sultan Njoya car mes collègues qui m’ont précédé dans les autres
panels ont analysé en long et en large sa biographie. En tous les cas, les actes
posés par ces trois hommes ont heureusement été maintenus et vivifiés par leur
descendance. Ce qui entrevoit une pérennisation de leurs oeuvres pionnières : à
Cambérène(Sénégal), Nkamba (R.D.C.), comme à Foumban (Cameroun)
existent un ordre légal, une organisation pyramidale dont un descendant direct
de ces trois hommes assure la direction avec :
Un khalife général des Layènes qui se nomme, Seydina El Hadji Abdoulahi
Thiaw Lahi et qui préside aux destinées de la communauté Layène depuis 2001.
À Nkamba, c’est Papa Simon Kimbangu Kiangani qui est le Chef spirituel,
Représentant légal de l’Église Kimbanguiste depuis 2001 ouvrant ainsi comme
au Sénégal d’ailleurs, l’ère des petits fils.
À Foumban, depuis le 10 aout 1992, Ibrahim Mbombo Njoya est l’actuel
souverain bamoun et préside aux destinées de sa communauté et est aussi
sénateur, perpétuant la tradition de son royaume, tout en le faisant ancrer dans la
modernité.
Dans les trois endroits, il y a une ambition de lier le passé au futur, le spirituel à
l’économique. Chez les layènes aussi il y a pérennisation de l’oeuvre du
fondateur reliant le passé, présent, et le futur : La 133e édition de l’Appel de
Seydina Limamoulaye a célébré le dimanche 9 juin 2013 à Cambérène, la
manifestation religieuse était placée sous le thème suivant : « Équité et justice
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comme solutions aux problèmes de l’heure». C’est aussi le même souci qui
anime les bamoun. Le ngoun chez les Bamoun a été restauré par le roi actuel en
1993. C’est un grand moment aux dimensions multiples : un moment de
solidarité communautaire car les populations affluant à Foumban remettant des
denrées alimentaires pour nourrir certaines couches de la population et aussi
être stockées dans le grenier du palais afin de garantir la sécurité alimentaire
(Mouiche, 2005). Un grand moment de dialogue démocratique, de bonne
gouvernance, de prise de parole par le peuple sur la marche du pays et à la suite
de quoi le souverain prononce le discours de trône qui rassemble au discours sur
l’État de la nation qui existe dans beaucoup de pays. Le ngoun a aussi une
dimension festive, une foire, une fête foraine. Elle est devenue une biennale et
porte un thème qui en 2004 était : La lutte contre la pauvreté et la misère »
selon Ibrahim Mouiche. Pour dire que de nos jours, avec le processus
d’harmonisation des concepts véhiculés par les ONG, les organisations
multilatérales on a l’impression que l’on réinvente la roue car si je cite Ibrahim
Mouiche qui définit « » le développement comme la capacité d’un système
politique à initier et à contrôler les changements positifs qui concernent les
besoins fondamentaux de la société, la participation de tous les segments
sociaux et culturels fondés sur le bien-être social. Alors le souverain du bamoun
a depuis longtemps boosté son pays afin de réaliser un développement durable
(Mouiche, 2005).
Une liaison entre le passé, le présent et le futur apparait aussi dans la
communauté kimbanguiste. Un exemple édifiant est l’invention de l’écriture
Mandombe. C’est Simon KIMBANGU qui a inspiré l’inventeur, bien des
années après sa mort, d’une écriture originale pour le peuple noir, appelée
Mandombe. Cette écriture négro-africaine est une révélation divine par Simon
Kimbangu à Wabeladio Payi destinée à l’homme noir. C’est en 1978 que Simon
KIMBANGU s'adressa miraculeusement à Wabeladio Payi, pour lui inspirer
l'écriture Mandombe, après qu'il lui ait apparu et donné en songe les deux
chiffres « 5 et 2 » en ces termes : « Vous avez vu les chiffres des activités
matérielles. C'est avec ces deux chiffres que vous réaliserez tout ce dont vous
aurez besoin pour votre bien-être matériel ». Cette écriture offre une perspective
nouvelle d’éclosion pour la civilisation négro-africaine. Par le biais d’une
production intellectuelle riche et variée. Elle préconise l’évolution multiforme
des sciences, partant de la mécanique, de l’art, de l’architecture, des lettres, de
la géométrie…
Cette écriture est enseignée dans les écoles primaires, secondaires et supérieures
kimbanguistes de l’Afrique centrale : RDC, Angola, Congo-Brazzaville… Il
existe des centaines d’instructeurs dans les CENA (Centre de l'Écriture négroafricaine) de la RDC et des autres pays d’Afrique centrale.
F — Autres similarités
Existence de puits bénis dans les sites layenes et la rivière bénite de
Nkamba
Existence d’instituts islamiques, d’université USK, radios, Fondations
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Des producteurs de savoir
Seydina Limamoulaye, un illettré, auteur d’un ouvrage dicté
Avant sa disparition en 1909, à l’âge de 66 ans, il avait produit un livre, divisé
en six parties et connu sous le nom de « Sermon », qu'il demanda à ses
serviteurs de transmettre. Illettré, comme le prophète Mohamed, il ne l'avait pas
écrit lui-même mais dicté en wolof à ses disciples, notamment Matar Lo, qui
s’est chargé de le traduire et de le transcrire en arabe.
Après sa disparition, son fils Seydina Issa Laye qui avait 33 ans, comme prédit
par les livres sur la venue de Issa (Jésus Christ), lui succéda. Mais l'image de
Seydina Issa Laye aussi est double puisque sa vie possède des points communs
avec celle du christ tel que cela est raconté dans les milieux layène. Seydina Issa
resta 40 ans (1949) sur le khalifat de son père Seydina Limamou Laye.
III/INTERROGATIONS ET PISTES DE RECHERCHE SUR Njoya
Après avoir énuméré les points communs aux trois hommes, je voudrais
maintenant me focaliser sur le Sultan Njoya en m’appuyant sur le plan
méthodologique sur un riche support documentaire photographique. En passant,
je dirais que je suis vraiment impressionné par la richesse des photos et objets
exposés sur lui en particulier, et sur les bamoun, en général; ainsi que la variété
géographique des localités où l'on peut les trouver; la plupart de mes supports
ont été pris à Berlin. Voici quelques interrogations que je voudrais partager avec
les experts ici présents.
Quel est le poids du contexte historique dans les actes qu’il posa durant sa vie ?
Il fut un vrai manager : un homme qui a su s’entourer de collaborateurs très
doués et qui a su utiliser au maximum leur intelligence, usant d’une stratégie
pacifique même s’il avait fait face à deux guerres civiles. Sous son magistère, il
dut gérer 6 moments-mutations survenus dans son royaume que sont : 1)
l’entrée de l’islam (1894-1896), 2) l’entrée des premiers Européens (6/7/1902),
3) entrée du christianisme reformé (avant 1906), 4) l’administration coloniale
allemande (1903-1915), 5) l’administration britannique (1915-1916) et 6)
l’administration française (à partir de 1916).
- Sultan Njoya, un vrai Africain, le sens de donner et de partager. Mais est-ce
que certains milieux européens ne considéraient pas ses cadeaux comme
calculés ? En effets, ses relations avec les Européens semblent être plus
complexes. Njoya a eu tour à tour des relations avec les Allemands, les Anglais
et les Français. J’ai été frappé par la façon dont certains auteurs africanistes
comme Christaud Geary (Geary, 1981) ont interprété le don du trône royal fait
au Kaiser allemand en 1908, ainsi que la promesse de cadeau faite au roi anglais
en 1915 et consignée dans un document d’archives lorsque ces derniers
occupèrent Foumban un court laps de temps. Il y voit des dons calculés. Geary
(1981) semble présenter Njoya comme un calculateur, offrant le trône en signe
de gratitude au kaiser allemand suite à l’attaque de 1906 contre ses voisins nso
et la récupération d’une partie des restes de son père (la tête) gardée en trophée.
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Un autre exemple de son « jeu » est donné avec une photo prise avec un
uniforme allemand, avec des épaulettes, une tenue confectionnée par ses propres
tailleurs. Sur le même registre, Geary écrit que lorsque les relations avec
l’Allemagne devinrent froides, en 1912, il sembla plus proche des Foulbé en
arborant une tenue musulmane. Geary ne connaissant pas le sens du cadeau
chez l’Africain dit aussi que le Sultan était déçu du cadeau donné en retour par
le kaiser : un appareil musical.
Une autre interrogation à mon avis pertinente est l’interprétation des relations
entre Njoya et le marchand Rudolph Oldenburg. Sur cette photo (à insérer à la
page 10), on le voit poser son pied sur le trône royal sur lequel est assis Njoya.
À Berlin, un collègue allemand m’a dit que selon un spécialiste, ce geste aurait
fâché la garde rapprochée du Sultan. C’est ce dernier qui la dissuada de ne pas
le corriger. Pourquoi ? Est-ce un signe de manque de respect ou de familiarité
entre les deux hommes ?
Conclusion
Sultan Njoya, Limamoulaye et Simon Kimbangu sont des hommes inconnus
dont l’histoire codifiée doit être transformé en savoir didactique et enseigné aux
élèves africains dans les lycées et collèges et aux étudiants dans le cadre d’un
programme panafricain qui décloisonne notre histoire. Il nous faut en Afrique,
nous connaitre d’abord au niveau national, je veux dire au niveau national,
ensuite engager un programme de connaissance mutuelle transnationale de nos
hommes exceptionnels. Ces trois hommes ont de nombreux points communs, ils
sont pour nous autres historiens, exceptionnels, car notre profession nous
autorise sans user du négationnisme, du révisionnisme ou du parti pris à pouvoir
déceler les perles rares. En tant que spécialiste de l’histoire africaine, travaillant
sur la période moderne et contemporaine, je trouve difficile d’écarter ces trois
Africains du tableau d’honneur continental tant ils ont été décisifs dans
l’évolution de leurs contemporains, malgré les écueils auxquels ils firent face.
Malgré la jalousie de ceux qui savaient que leurs intérêts sont menacés ;
revenant sur le Sultan Njoya et le comparant aux monarques des 18es, 19e et
20e siècles, on note qu’il s’agit d’un progressiste. Revisiter l’oeuvre
exceptionnelle de Njoya, qui a régné sur le pays bamum à la fin du 19e et au
début du 20e siècle, c’est aborder l’oeuvre d’un homme d’exception, ouvert à
l’islam comme au christianisme, inventeur de génie, toléré sous le protectorat
allemand, combattu pendant le mandat français. Ce denier aspect mérite d’être
étudié plus amplement. Je termine en me référant encore à Cheikh Anta Diop
qui, selon Mamadou Diouf, invitait les Africains à renouer avec une continuité
historique qui avait déjà installé l’Afrique et les sociétés africaines au coeur de
la production de l’universel humain qu’elle inaugure avec l’hominisation et
consolident avec la civilisation égyptienne reconnue comme la première
civilisation humaine.
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Bibliographie
-
Alexandra Loumpet-Galitzine, La cartographie du roi Njoya (royaume
Bamoun, ouest Cameroun), CFC, Numéro 210, décembre 2011.
Ibrahim MOUICHE, ‟Chefferies traditionnelles, culture et
développement local au Cameroun » », 9 pages, onzième Assemblée
générale du CODESRIA, 2005, Maputo.
Mamadou Diouf, L'historiographie indienne en débat: colonialisme,
nationalisme et sociétés postcoloniales, KARTHALA Editions, 1999,
494 pages 12
Christraud Geary, ‟Bamun Thrones and Stools »’, African Arts, 14,
1981, pp. 32-43.
Christraud Geary, ‟Bamun Two-figures Thrones: additional Evidence’’,
African Arts, vol 16, 4, 1983, pp. 46- 53.
Webographie
IBRAHIMA MBODJ, ‟La solidarité dans le message de Seydina
Limamoulaye » », site internet www.layène.sn, Dakar
Mamadou Laye Diop, Technicien en Horticulture, Cambéréne,
www.layène.sn
Film video : l'histoire du Prophète SEYDINA LIMAMOU LAYE
rassoloulahi, 9mn 32, www.layène.sn
http://www.nekongo.org/communaute/mythekimbangu.html
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