Contribution du Pr. Sy Mamoudou
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Contribution du Pr. Sy Mamoudou
Chapitre 3 Sultan Njoya (1876-1933), Seydina Limamoulaye (1843-1909) et Simon Kimgangu (1887-1951) : des acteurs dans la réhabilitation de la personnalité négro-africaine Par Mamoudou SY Chargé de cours Département d’histoire Université Cheik Anta Diop – Dakar/ Sénégal Je présente ces trois personnages africains en me basant sur des faits tirés de leur cycle de vie, en mettant un accent sur leurs points communs. Cette présentation croisée de ces 3 leaders dans un but de favoriser pour reprendre une expression du philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne « un dialogue intraculturel » panafricain, partager la connaissance que nous avons de nos illustres personnages, voir comment inscrire leurs actions dans nos programmes d’enseignement respectifs. Au Sénégal, Njoya est connu des élèves de l’enseignement secondaire pour lesquels la leçon 2 de la classe de seconde porte sur la problématique de l’histoire africaine : sources et procédés d’investigation (archéologie, tradition orale, linguistique). Mais seulement comme inventeur d’une écriture africaine. Pas plus. Simon Kimbangu reste inconnu des étudiants et élèves sénégalais. Les élèves sénégalais ignorent que Njoya est un grand intellectuel, un producteur de savoir et que, grâce à lui, l’Afrique n’est pas seulement une civilisation de l’oralité comme on a coutume de dire et de lire. Je m’évertue dans mes enseignements destinés aux étudiants géographes (cours magistral sur l’historiographie africaine) à insister sur ce point. Seydina Limamoulaye est connu des élèves et étudiants sénégalais mais en tant que fondateur d’une confrérie. Je place ma communication sous le signe d’une invitation à la connaissance mutuelle entre Africains, d’une Afrique définie par Cheikh Anta Diop, comme constituée d’un territoire d’une culture et d’une race (les nègres) berceau de la première civilisation, d’une Afrique, dit Mamadou Diouf « dont la cohésion et la signification se révèlent dans une trajectoire singulière qui débute par le processus d’hominisation et continue sous forme de migrations internes et externes au continent, d’une Afrique qui parraine la sortie de l’Europe de la barbarie et l’introduit dans la longue marche vers la modernité que sa civilisation grecque d’abord, latine ensuite inaugure » (Diouf, 1999 : 6). Je vais revisiter les œuvres de trois personnages en insistant sur le fait qu’ils ont tous œuvré pour une libération intellectuelle de leurs peuples, l’instauration d’une justice sociale, encouragé l’équité, gage d’un développement durable. Je cite l’Ambassadeur H. Komidor Njimoluh, Délégué général à l’organisation du 51 colloque : « L’Afrique positive a toujours existé. La jeunesse a besoin d’être fière de son passé. Ce passé n’est pas toujours triste. Il regorge de richesses pour notre élévation. Offrons aux bâtisseurs du futur africain la mémoire de nos peuples car demain n’est qu’un long cheminement du passé ». Les grands points de ma communication sont : dans une première partie, je vais énumérer des points communs aux trois hommes en liaison avec le thème du colloque c'est-à-dire en quoi ils ont contribué chacun à sa façon à l’évolution du savoir, au savoir-être et au savoir-faire de leurs sociétés respectives, contribuant ainsi d’une façon remarquable à l’évolution de la civilisation Africaine. Il semble avoir une contradiction dans leurs actions car ils ont eu à combattre pour départir les Africains de certaines de leurs pratiques ancestrales. Il s’agissait de pratiques négatives, rétrogrades qui débarrassées, éliminées, ont permis de libérer psychologiquement l’Africain. C’est en quoi le fait de combattre des pratiques négro-africaines a contribué en même temps à rehausser l’homme noir, car ces trois hommes ont proposé des alternatives crédibles à leurs contemporains. I/Qu’est-ce qui justifie le choix de ces trois hommes ? Ils partagent, de l’observation de leur biographie, des points communs. A — Ils ont vécu à cheval entre le 19e et le 20e siècle B — Le poids du rêve, de la prédiction, de la prophétie, de la prédication dans leur cycle de vie : c’est un rêve qui marque pour Njoya le point de départ du processus de l’invention d’une écriture africaine, la venue de Seydina Limamoulaye ou Mame Limamoulaye a été annoncée à une délégation de dignitaires lébous (une communauté vivant principalement dans la presqu’ile de Dakar et parlant le wolof) dans laquelle se trouvait son père. Le destin de Seydina Limamoulaye a été prédit par Ahmadou Hamet Ba lorsque son père et ses compagnons étaient venus faire acte d’allégeance à ce dernier dans son fief au Fouta Toro à Wouro Mahdiyou (nord Sénégal). Seydina Limamoulaye avait, à son tour, prédit le monde agité dans lequel nous vivons aujourd’hui. Seydina Limamoulaye et son fils Seydina Issa Laye sont des Noirs qui réclament être la réincarnation de Blancs : Seydina Limamoulaye est considérée par la communauté des Layènes comme la nouvelle forme du Prophète Mohamed. Son fils Seydina Issa Laye est vu par les Layènes, comme la nouvelle forme de Jésus Christ. Avant de lancer son appel, Seydina Limamoulaye était un pécheur et en campagne dans les côtes de la Gambie, sa future mission était annoncée par un sage du nom de Kéba Mansaly à lui et à l’un de ses amis : sache que Dieu va te charger d’une mission prophétique dans la prolongation de celle de Mouhamed. Seydina Limamoulaye en lançant son appel avait déclaré : l’arabe blanc s’est noirci. Quant à Simon Kimbangu, il se proclame envoyé du seigneur Jésus Christ sur terre. Il avait prédit la future libération de l'homme noir sur les plans spirituel et physique, l'indépendance du Congo et la reconstitution de l'Empire Kongo, prophétisant la « deuxième indépendance » (dipanda dianzole en kikongo). Simon Kimbangu devint catéchiste à 15 ans, et il reçut une vision divine le 52 chargeant d’aller soigner soignant les malades, rendant accessible l’Évangile au peuple plus que le faisaient les missionnaires européens. C- Les trois hommes ont œuvré pour la réhabilitation de la personnalité négro-africaine : ainsi, Njoya inventa une écriture, et produisit un savoir livresque et cartographique ; les deux autres sont des serviteurs de deux religions révélées proposant à leurs sociétés d’opérer des ruptures sous forme d’interdictions et de recommandations : l'abolition de tout syncrétisme religieux, l'éradication de la danse érotique, la destruction des fûts de danse, et la fin de la polygamie. Ils s'opposent également à toute forme de sorcellerie. En diminuant la crainte en la magie et la sorcellerie, ils ont contribué à développer la confiance mutuelle et à renforcer l’intégration intercommunautaire. Seydina Limamoulaye, lui, a commencé à prêcher en 1883. Il combat les pratiques néfastes et rétrogrades : il interdit le gaspillage, les chansons traditionnelles et les danses profanes durant la cérémonie de baptême ou de mariage. L’une des innovations majeures apportées par Seydina Limamou réside dans le fait de donner la petite fille en mariage (une sorte de réservation) le jour de son baptême. Devenue grande, la fille se marie avec son promis. Il a recommandé aussi à la communauté des layènes de circoncire les nouveaux nés, le 8e jour après leur naissance ou au plus tard dans les 15 premiers jours de leur vie. Par ailleurs, pour éradiquer les conflits communautaires fréquents en Afrique, il demanda aux layènes se donner mutuellement le nom de Dieu dans leurs salutations, mettant en veilleuse leurs noms de familles sénégalais qui font allusion à une hiérarchie sociale basée sur les castes qui n’avaient qu’une valeur professionnelle liée à la division du travail. Ce fut pour Seydina Limamoulaye une méthode efficace pour lutter contre l’inégalité sociale, l’ordre féodal et le particularisme communautaire. Grâce à son action, dans la communauté layène, on peut se marier sans considération d’appartenance de caste, de catégorie sociale ou d’ethnie. Il n’y a pas de métier réservé à une caste. Habitant au bord de la mer, la communauté layène se tourna sans hésiter vers l’exploitation des ressources halieutiques et l’exploitation des riches terres des Niayes (longue bande de terres fertiles et humides qui longent la côte atlantique de Saint-Louis à Dakar). Cela va booster la pêche artisanale maritime et la culture maraichère. Seydina Limamoulaye en encourageant l’ignorance des barrières communautaristes, chauvines est un fervent agent d’une intégration africaine par les peuples. D – Ils ont été victimes de la pression coloniale Simon Kimbangu, Seydina Limamoulaye et Njoya ont tous les trois subi l’enfermement colonial. Pour Simon Kimbangu, les missionnaires européens ne pouvaient accepter pourquoi leur travail d’évangile sur le terrain qui dure depuis des années, allié à leurs oeuvres de bienfaisance n’avaient pas atteint efficacement leurs objectifs, alors que les disciples de Kimbangu exécutaient ses recommandations avec enthousiasme et dévotion ! Les disciples de Simon Kimbangu pensèrent alors que les missionnaires européens retenaient les secrets de la chrétienté, vus comme source de la puissance européenne et de la richesse, 53 et le prêche de Kimbangu, vu comme un prophète ayant parlé à Dieu, fournit donc un moyen d'accéder à ces secrets. Simon Kimbangu est identifié avec le dieu Nzambi, l'être suprême du Congo, et prêche la proximité de Dieu avec son peuple. Simon Kimbangu était fier d’être un noir africain. Il savait la situation dans laquelle se trouvait sa communauté. Il était conscient du fait que la roue de l’histoire allait tourner. Il le dit à ses fidèles lors d’un culte matinal le samedi 10 septembre 1921 à Mbanza Nsanda : « ... aujourd’hui, nous sommes encore persécutés, mais au temps fixé par le Seigneur, les Blancs deviendront des Noirs et les Noirs des Blancs ; c'est-à-dire que nous assumerons les fonctions que ceux-ci exercent encore chez nous aujourd’hui, tandis qu’ils se verront contraints de se soumettre à nos décisions. Nous serons les maîtres chez nous comme ils le sont chez eux. En dépit des persécutions qu’ils nous font subir, nous avons l’obligation de les aimer, de ne pas les haïr car cela serait contraire à l’Évangile ». Cette prophétie a soit été mal rapportée à l’administration coloniale belge, soit elle a été tronquée. Cette dernière semblait n’avoir retenu qu’un segment de phrase de la prophétie de Simon Kimbangu : « … les Blancs deviendront des Noirs et les Noirs des Blancs ». Dans le cadre du contexte colonial où les libertés individuelles étaient assez restreintes, le droit à l’initiative limitée, les propos tenus disséqués ; il était certain que Simon Kimbangu était dans la ligne de mire des autorités belges. Elles devaient rassembler les pièces à conviction pour stopper le travail de réhabilitation de la personnalité négro-africaine menée par cet ancien catéchiste Avec l’aide complaisante des religieux locaux (à l’image de Jésus Christ avec les pharisiens ou de Cheikh Ahmadou Bamba lors de sa convocation à, Saint Louis en septembre 1895 avant son arrestation et sa déportation au Gabon à Mayombé pour 7 ans), Simon Kimbangu fut victime d’une chasse à l’homme menée par les autorités coloniales belges. Stratège et très croyant, Simon Kimbangu sachant cela, va se rendre délibérément à ses dernières dans son village natal de Nkamba, le lundi12 septembre 1921 dans l’après-midi. Ce fut le jour même de la célébration de son 34e anniversaire. Plusieurs autres personnes se firent librement arrêter le même jour avec lui, suivant l’exemple de leur guide bien aimé et respecté. Simon Kibangu fut enfermé et jugé d’une façon expéditive à Thysville (de nos jours Mbanza-Ngungu). Un jury militaire a été institué pour la circonstance. Il était sous la direction du commandant De Rossi. Le tribunal statua sur le « phénomène Simon Kimbangu » du 29 septembre au 3 octobre 1921. Comme Simon Kimbangu est un Noir ambitieux, un directeur de conscience, il fallait le neutraliser avant que son action n’éveille la conscience populaire. Ainsi, il fut condamné à la peine de mort et à 120 coups de fouet. Simon Kibangu et ses compagnons d’infortune n’avaient aucun avocat pour leur défense. Ils furent victimes des préjugés et de l’arrogance du juge européen. L’interrogatoire était orienté et subjectif. Des exemples comme ça sont nombreux dans l’histoire des procès expéditifs menés par des colons en Afrique. Le plus connu est celui du 5 septembre 1895 débouchant sur la condamnation à la déportation de Cheikh Ahmadou Bamba. Durant le procès bâclé de Simon 54 Kimbangu, en réponse à la question du juge qui lui demandait s’il était prophète, le prévenu rétorqua sans broncher : « Mono i ntumua mfumu e to Yisu Klisto, Mono ki ngunza ko » (en langue kikongo), ce qui signifie en langue française : Je suis l’Envoyé du Seigneur Jésus Christ, je ne suis pas un prophète. Ceci est pourtant clair, mais une confusion s’y est quand même greffée, par la suite. Les missionnaires lui ont collé, en fin de compte, le nom de prophète. La peine de mort infligée à Papa Simon Kimbangu le 3 octobre 1921 fut commuée en travaux forcés à perpétuité le 22 novembre 1921 par Sa Majesté le Roi Albert 1er de Belgique, suite à une requête introduite le 4 novembre 1921 par la « Baptist Missionary Society » auprès du Roi de Belgique. Le 3 décembre 1921, Simon Kimbangu eut lieu le début du transfèrement sur Léopoldville (de nos jours, Kinshasa) par train spécial sous une escorte de plusieurs dizaines de soldats et un officier belge. Certains milieux étaient cependant mécontents de la décision prise par le Roi Albert 1er. D’autres souhaitaient une élimination physique de Simon Kimbangu qui devenait à leurs yeux une menace et un obstacle à leurs œuvres d’asservissement mental de l’homme africain noir. Seydina Limamoulaye et l’enfermement colonial Seydina Limamou Laye est né en 1843 dans la région de Dakar, plus précisément à Yoff. Il commence sa prédication le 24 mai 1883, à l'âge de 40 ans, se présentant comme l'imam des « Bien Guidés » ou « imamoul Mahdi » tant attendu. Au début du 19e siècle, le marabout toucouleur qui avait reçu la délégation des dignitaires lébous, avait prédit la venue d’un envoyé de Dieu parmi leur descendance et leur avait recommandé de donner le prénom de Imamoul Mahdi aux nouveaux nés de sexe masculin. Sur les quatorze qui portèrent ce prénom, seul Limamou Laye survécut. En 1883, déjà orphelin de père, Limamou Laye perd sa mère et s'isole pendant trois jours de suite sans boire ni manger. Au terme de cette retraite spirituelle, il dit être l'envoyé de Dieu, disant : « Adjibo dahiya laye ya marsaral ins wal djin ini raasouloulahi ileykoum » (« Venez à l'appel de Dieu, vous hommes et djinns, je suis l'envoyé de Dieu. L'arabe blanc s'est noirci »). Seydina Limamoulaye se proclame la réincarnation du prophète Mohamed. Une partie de sa communauté le prend d’abord pour fou, mettant son comportement sur le compte d'un envoûtement ou du chagrin causé par la perte de sa mère. Son oncle fut même exclu de la grande place du village par ses amis (ils lui diront : « va soigner ton neveu qui est devenu fou). Cependant, Limamou Laye attirait des personnes qui venaient volontairement devenir ses disciples. Elles affluaient à Yoff. L’ordre local religieux établi musulman commença à paniquer ; de même que les dignitaires de la religion traditionnelle africaine. Plus que des disciples ignares, des érudits musulmans comme Ababacar Mbaye Sylla (cadi de Dakar), Abdoulaye Diallo ou Ndiké Wade (grands érudits venant de Saint Louis) répondirent positivement à son appel. D’autres venaient des quatre coins du Sénégal. Seydina Limamou Laye dira alors : " Le maître de ces 55 temps-ci [Sayda haza zamâni] est venu. Entre lui et les savants, il y a des différences [de conceptions religieuses] et ceux-ci l’ont rejeté. » À l’image des grands directeurs de conscience, des représentants des ordres religieux établis (musulman et traditionnel) qui ne l’avaient jamais supporté entamèrent un travail de sape et de médisance, le mettant en mal avec les autorités coloniales françaises. Ainsi, son sort semble être scellé. Les colonisateurs avaient déjà neutralisé la plupart des résistants armés africains qui avaient osé défier leur puissance. Que faire face à ce combattant armé de la foi, qui dénonçait le syncrétisme religieux et détruisait des propres mains les idoles ? Les autorités françaises le conduisirent sur l'île de Gorée avec son disciple Abdoulaye Diallo. Seydina Limamou Laye demeura trois mois à Gorée. À son retour sur la terre ferme, Seydina Limamou Laye continua à enseigner et à prêcher la droiture et un culte religieux musulman « propre et sincère », débarrassé des traditions syncrétiques qu'il jugeait non conformes à l'islam. Le village de Yoff (où se trouve l’aéroport international de Dakar) devenait petit et un site de recasement pour ses nombreux disciples fut trouvé et baptisé du nom de Médine, ce fut Kem Médine qui fut déformé en Cambérène. D’autres sites jalonnent l’histoire de l’installation et de la consolidation de la confrérie layène. Nous pouvons citer Ngor, Guentaba (Malika), Ndingala, Diamalaye (Yoff). Des lieux où Limamou Laye a réalisé des miracles et guérit des malades. La plupart de ces lieux ont un puits béni à l’image de l’eau bénie recueillie à Nkamba. II/ un souci commun de relier le passé à l’avenir Nous ne reviendrons pas dans cette communication sur les détails de la vie et l’oeuvre de Sultan Njoya car mes collègues qui m’ont précédé dans les autres panels ont analysé en long et en large sa biographie. En tous les cas, les actes posés par ces trois hommes ont heureusement été maintenus et vivifiés par leur descendance. Ce qui entrevoit une pérennisation de leurs oeuvres pionnières : à Cambérène(Sénégal), Nkamba (R.D.C.), comme à Foumban (Cameroun) existent un ordre légal, une organisation pyramidale dont un descendant direct de ces trois hommes assure la direction avec : Un khalife général des Layènes qui se nomme, Seydina El Hadji Abdoulahi Thiaw Lahi et qui préside aux destinées de la communauté Layène depuis 2001. À Nkamba, c’est Papa Simon Kimbangu Kiangani qui est le Chef spirituel, Représentant légal de l’Église Kimbanguiste depuis 2001 ouvrant ainsi comme au Sénégal d’ailleurs, l’ère des petits fils. À Foumban, depuis le 10 aout 1992, Ibrahim Mbombo Njoya est l’actuel souverain bamoun et préside aux destinées de sa communauté et est aussi sénateur, perpétuant la tradition de son royaume, tout en le faisant ancrer dans la modernité. Dans les trois endroits, il y a une ambition de lier le passé au futur, le spirituel à l’économique. Chez les layènes aussi il y a pérennisation de l’oeuvre du fondateur reliant le passé, présent, et le futur : La 133e édition de l’Appel de Seydina Limamoulaye a célébré le dimanche 9 juin 2013 à Cambérène, la manifestation religieuse était placée sous le thème suivant : « Équité et justice 56 comme solutions aux problèmes de l’heure». C’est aussi le même souci qui anime les bamoun. Le ngoun chez les Bamoun a été restauré par le roi actuel en 1993. C’est un grand moment aux dimensions multiples : un moment de solidarité communautaire car les populations affluant à Foumban remettant des denrées alimentaires pour nourrir certaines couches de la population et aussi être stockées dans le grenier du palais afin de garantir la sécurité alimentaire (Mouiche, 2005). Un grand moment de dialogue démocratique, de bonne gouvernance, de prise de parole par le peuple sur la marche du pays et à la suite de quoi le souverain prononce le discours de trône qui rassemble au discours sur l’État de la nation qui existe dans beaucoup de pays. Le ngoun a aussi une dimension festive, une foire, une fête foraine. Elle est devenue une biennale et porte un thème qui en 2004 était : La lutte contre la pauvreté et la misère » selon Ibrahim Mouiche. Pour dire que de nos jours, avec le processus d’harmonisation des concepts véhiculés par les ONG, les organisations multilatérales on a l’impression que l’on réinvente la roue car si je cite Ibrahim Mouiche qui définit « » le développement comme la capacité d’un système politique à initier et à contrôler les changements positifs qui concernent les besoins fondamentaux de la société, la participation de tous les segments sociaux et culturels fondés sur le bien-être social. Alors le souverain du bamoun a depuis longtemps boosté son pays afin de réaliser un développement durable (Mouiche, 2005). Une liaison entre le passé, le présent et le futur apparait aussi dans la communauté kimbanguiste. Un exemple édifiant est l’invention de l’écriture Mandombe. C’est Simon KIMBANGU qui a inspiré l’inventeur, bien des années après sa mort, d’une écriture originale pour le peuple noir, appelée Mandombe. Cette écriture négro-africaine est une révélation divine par Simon Kimbangu à Wabeladio Payi destinée à l’homme noir. C’est en 1978 que Simon KIMBANGU s'adressa miraculeusement à Wabeladio Payi, pour lui inspirer l'écriture Mandombe, après qu'il lui ait apparu et donné en songe les deux chiffres « 5 et 2 » en ces termes : « Vous avez vu les chiffres des activités matérielles. C'est avec ces deux chiffres que vous réaliserez tout ce dont vous aurez besoin pour votre bien-être matériel ». Cette écriture offre une perspective nouvelle d’éclosion pour la civilisation négro-africaine. Par le biais d’une production intellectuelle riche et variée. Elle préconise l’évolution multiforme des sciences, partant de la mécanique, de l’art, de l’architecture, des lettres, de la géométrie… Cette écriture est enseignée dans les écoles primaires, secondaires et supérieures kimbanguistes de l’Afrique centrale : RDC, Angola, Congo-Brazzaville… Il existe des centaines d’instructeurs dans les CENA (Centre de l'Écriture négroafricaine) de la RDC et des autres pays d’Afrique centrale. F — Autres similarités Existence de puits bénis dans les sites layenes et la rivière bénite de Nkamba Existence d’instituts islamiques, d’université USK, radios, Fondations 57 Des producteurs de savoir Seydina Limamoulaye, un illettré, auteur d’un ouvrage dicté Avant sa disparition en 1909, à l’âge de 66 ans, il avait produit un livre, divisé en six parties et connu sous le nom de « Sermon », qu'il demanda à ses serviteurs de transmettre. Illettré, comme le prophète Mohamed, il ne l'avait pas écrit lui-même mais dicté en wolof à ses disciples, notamment Matar Lo, qui s’est chargé de le traduire et de le transcrire en arabe. Après sa disparition, son fils Seydina Issa Laye qui avait 33 ans, comme prédit par les livres sur la venue de Issa (Jésus Christ), lui succéda. Mais l'image de Seydina Issa Laye aussi est double puisque sa vie possède des points communs avec celle du christ tel que cela est raconté dans les milieux layène. Seydina Issa resta 40 ans (1949) sur le khalifat de son père Seydina Limamou Laye. III/INTERROGATIONS ET PISTES DE RECHERCHE SUR Njoya Après avoir énuméré les points communs aux trois hommes, je voudrais maintenant me focaliser sur le Sultan Njoya en m’appuyant sur le plan méthodologique sur un riche support documentaire photographique. En passant, je dirais que je suis vraiment impressionné par la richesse des photos et objets exposés sur lui en particulier, et sur les bamoun, en général; ainsi que la variété géographique des localités où l'on peut les trouver; la plupart de mes supports ont été pris à Berlin. Voici quelques interrogations que je voudrais partager avec les experts ici présents. Quel est le poids du contexte historique dans les actes qu’il posa durant sa vie ? Il fut un vrai manager : un homme qui a su s’entourer de collaborateurs très doués et qui a su utiliser au maximum leur intelligence, usant d’une stratégie pacifique même s’il avait fait face à deux guerres civiles. Sous son magistère, il dut gérer 6 moments-mutations survenus dans son royaume que sont : 1) l’entrée de l’islam (1894-1896), 2) l’entrée des premiers Européens (6/7/1902), 3) entrée du christianisme reformé (avant 1906), 4) l’administration coloniale allemande (1903-1915), 5) l’administration britannique (1915-1916) et 6) l’administration française (à partir de 1916). - Sultan Njoya, un vrai Africain, le sens de donner et de partager. Mais est-ce que certains milieux européens ne considéraient pas ses cadeaux comme calculés ? En effets, ses relations avec les Européens semblent être plus complexes. Njoya a eu tour à tour des relations avec les Allemands, les Anglais et les Français. J’ai été frappé par la façon dont certains auteurs africanistes comme Christaud Geary (Geary, 1981) ont interprété le don du trône royal fait au Kaiser allemand en 1908, ainsi que la promesse de cadeau faite au roi anglais en 1915 et consignée dans un document d’archives lorsque ces derniers occupèrent Foumban un court laps de temps. Il y voit des dons calculés. Geary (1981) semble présenter Njoya comme un calculateur, offrant le trône en signe de gratitude au kaiser allemand suite à l’attaque de 1906 contre ses voisins nso et la récupération d’une partie des restes de son père (la tête) gardée en trophée. 58 Un autre exemple de son « jeu » est donné avec une photo prise avec un uniforme allemand, avec des épaulettes, une tenue confectionnée par ses propres tailleurs. Sur le même registre, Geary écrit que lorsque les relations avec l’Allemagne devinrent froides, en 1912, il sembla plus proche des Foulbé en arborant une tenue musulmane. Geary ne connaissant pas le sens du cadeau chez l’Africain dit aussi que le Sultan était déçu du cadeau donné en retour par le kaiser : un appareil musical. Une autre interrogation à mon avis pertinente est l’interprétation des relations entre Njoya et le marchand Rudolph Oldenburg. Sur cette photo (à insérer à la page 10), on le voit poser son pied sur le trône royal sur lequel est assis Njoya. À Berlin, un collègue allemand m’a dit que selon un spécialiste, ce geste aurait fâché la garde rapprochée du Sultan. C’est ce dernier qui la dissuada de ne pas le corriger. Pourquoi ? Est-ce un signe de manque de respect ou de familiarité entre les deux hommes ? Conclusion Sultan Njoya, Limamoulaye et Simon Kimbangu sont des hommes inconnus dont l’histoire codifiée doit être transformé en savoir didactique et enseigné aux élèves africains dans les lycées et collèges et aux étudiants dans le cadre d’un programme panafricain qui décloisonne notre histoire. Il nous faut en Afrique, nous connaitre d’abord au niveau national, je veux dire au niveau national, ensuite engager un programme de connaissance mutuelle transnationale de nos hommes exceptionnels. Ces trois hommes ont de nombreux points communs, ils sont pour nous autres historiens, exceptionnels, car notre profession nous autorise sans user du négationnisme, du révisionnisme ou du parti pris à pouvoir déceler les perles rares. En tant que spécialiste de l’histoire africaine, travaillant sur la période moderne et contemporaine, je trouve difficile d’écarter ces trois Africains du tableau d’honneur continental tant ils ont été décisifs dans l’évolution de leurs contemporains, malgré les écueils auxquels ils firent face. Malgré la jalousie de ceux qui savaient que leurs intérêts sont menacés ; revenant sur le Sultan Njoya et le comparant aux monarques des 18es, 19e et 20e siècles, on note qu’il s’agit d’un progressiste. Revisiter l’oeuvre exceptionnelle de Njoya, qui a régné sur le pays bamum à la fin du 19e et au début du 20e siècle, c’est aborder l’oeuvre d’un homme d’exception, ouvert à l’islam comme au christianisme, inventeur de génie, toléré sous le protectorat allemand, combattu pendant le mandat français. Ce denier aspect mérite d’être étudié plus amplement. Je termine en me référant encore à Cheikh Anta Diop qui, selon Mamadou Diouf, invitait les Africains à renouer avec une continuité historique qui avait déjà installé l’Afrique et les sociétés africaines au coeur de la production de l’universel humain qu’elle inaugure avec l’hominisation et consolident avec la civilisation égyptienne reconnue comme la première civilisation humaine. 59 Bibliographie - Alexandra Loumpet-Galitzine, La cartographie du roi Njoya (royaume Bamoun, ouest Cameroun), CFC, Numéro 210, décembre 2011. Ibrahim MOUICHE, ‟Chefferies traditionnelles, culture et développement local au Cameroun » », 9 pages, onzième Assemblée générale du CODESRIA, 2005, Maputo. Mamadou Diouf, L'historiographie indienne en débat: colonialisme, nationalisme et sociétés postcoloniales, KARTHALA Editions, 1999, 494 pages 12 Christraud Geary, ‟Bamun Thrones and Stools »’, African Arts, 14, 1981, pp. 32-43. Christraud Geary, ‟Bamun Two-figures Thrones: additional Evidence’’, African Arts, vol 16, 4, 1983, pp. 46- 53. Webographie IBRAHIMA MBODJ, ‟La solidarité dans le message de Seydina Limamoulaye » », site internet www.layène.sn, Dakar Mamadou Laye Diop, Technicien en Horticulture, Cambéréne, www.layène.sn Film video : l'histoire du Prophète SEYDINA LIMAMOU LAYE rassoloulahi, 9mn 32, www.layène.sn http://www.nekongo.org/communaute/mythekimbangu.html 60