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point chaud Vivement dimanche ? Pour certains coiffeurs, le dimanche est un jour comme un autre, et ils aimeraient pouvoir travailler. Alors, LES SALONS OUVERTS LE DIMANCHE : UNE BONNE CHOSE POUR LA PROFESSION ? L’Éclaireur ouvre le débat. L e moins que l’on puisse dire, c’est que la question du travail du dimanche fait couler de l’encre… Quelle que soit la branche, les syndicats de salariés y sont, le plus souvent, très hostiles. Sur le Net, les deux camps font assaut d’arguments, à coups de sites dédiés et de groupes Facebook. Sur le terrain, souvent à Paris ou dans sa proche banlieue, des coiffeurs ont décidé d’ouvrir le dimanche. Parfois durant plusieurs années. Et ce, même si, juridiquement, ils sont sur le fil du rasoir. A tel point que certains n’ont témoigné que sous couvert d’anonymat. Appelons-le Benoît. Installé quelque part dans Paris, il ouvre son salon le dimanche. « C’est une de mes plus grosses journées ! J’ai vraiment une demande pour ce jour-là, c’est un service en plus : cérémonies, fêtes familiales… » Mais il a conscience que sa situation est ambiguë : « Il L’ÉCLAIREUR • 16 JANVIER 2012 ne faut pas faire travailler de salariés, je le sais (même si certains de mes collaborateurs seraient demandeurs). Ce jour-là, je ne travaille qu’avec des free-lance… La réglementation reste floue en ce qui concerne mon propre travail, en tant que chef d’entreprise. » CHEF D’ENTREPRISE : UNE LIBERTÉ TRÈS SURVEILLÉE Pour sa part, Sébastien Emery, franchisé Jean-Claude Biguine dans le 14ème arrondissement de Paris, dans le quartier de Montparnasse, ne décolère pas : « J’ai ouvert pendant SUR LE VIF « Chef d’entreprise versus vie privée » Eric Pfalzgraf (salons « Coiffirst ») «N ous attendons avec impatience de pouvoir ouvrir le dimanche ! Nous avons déjà des demandes de la clientèle, le téléphone sonne les dimanches ; on a testé, entre un quart et un tiers des collaborateurs seraient volontaires. Cela dit, c’est vrai que le fossé entre petits et gros salons pourrait se creuser. Et puis il y a l’équilibre privé/professionnel. En tant que chef d’entreprise, ouvrir le dimanche serait un plus ; en tant qu’homme, je reconnais que c’est le seul jour où je bénéficie d’une trêve, bien appréciable. » 13 point chaud POINT JURIDIQUE Une ouverture strictement encadrée P ourquoi, dans certains quartiers (comme le Marais, à Paris), les magasins de vêtements ouvrent-ils leurs portes tous les dimanches, alors que celles des salons restent obstinément closes ? En fait, le commerce de vêtements dépend de la mairie, alors que la coiffure relève du préfet… Deux cas de figure : • Le département est régi par un arrêté préfectoral (datant de 1989) de fermeture des dimanches. Si la profession souhaite ouvrir certains jours, cela doit se faire par le biais d’une dérogation demandée au préfet, avec consultation des partenaires sociaux. « Mais la raison doit être conjoncturelle, par exemple les fêtes de fin d’année, pas pour chaque dimanche », souligne Philippe Thouron pour la FNC. • Le département n’est pas régi par cet arrêté préfectoral. Le coiffeur désireux d’ouvrir le dimanche doit faire une demande individuelle au préfet ; une action groupée est aussi envisageable. Quid des chefs d’entreprise qui travaillent seuls le dimanche ? Travailleurs indépendants, on peut imaginer qu’ils font ce qu’ils veulent. Mais ce n’est pas si simple. D’après les services juridiques de la FNC, qui conseillent dans tous les cas de se rapprocher de la préfecture, ces commerces, s’ils emploient habituellement des salariés, doivent tout de même respecter la fermeture du dimanche même si aucun collaborateur ne travaille ce jour-là, puisqu’il ne s’agit pas de commerces sans salariés. Celui qui travaille habituellement sans salarié ne serait pas, théoriquement, tenu au respect de la fermeture du dimanche. Mais pour ne pas fausser le jeu de la libre concurrence entre établissements, ces salons se doivent de respecter l’arrêté préfectoral (s’il y en a un). « Le risque : accroître le fossé entre les ‘‘gros’’ salons, avec beaucoup de personnel, et les autres. » CAS PARTICULIER Les centres commerciaux R égulièrement, les coiffeurs installés en centre commercial se trouvent pris entre deux feux… Entre une loi qui n’autorise pas ou 14 très peu l’ouverture des salons le dimanche, et un bailleur (le centre commercial) qui exige que tous les commerces soient ouverts… sous peine d’amende ! Pour Michèle Duval (CNEC) et Philippe Thouron (FNC), la réponse est catégorique : « Le droit du travail prime toujours sur le droit commercial. Si un coiffeur est installé dans un centre commercial ouvert les dimanches, et dont le bailleur veut l’obliger à faire de même, il doit renvoyer ce dernier vers le décret de 1989, qui établit qu’un salon ne peut ouvrir ses portes sans autorisation. » 2 ans le dimanche, puis j’ai arrêté en septembre dernier : l’inspection du travail est venue me voir, et on m’a interdit de continuer. Pour les salariés, je comprends… mais moi ? Je suis travailleur non salarié, j’ai acheté mon fonds de commerce, j’ai le droit de faire 70 heures par semaine si je veux… mais surtout pas le dimanche ! C’est surtout ça qui me choque : on achète un fonds, et on ne peut pas bosser comme on veut. » Et il poursuit : « Un chausseur est installé à côté de mon salon. Pour lui, pas de problème ! C’est aberrant : notre secteur est en crise, et on ne fait rien pour le dynamiser. » David Fellous (« Artiste coiffeur coloriste »), installé dans le Marais (Paris 4ème), ouvre le dimanche depuis 4 ans : « Dans le Marais, tout est ouvert ce jour-là… A l’époque, j’ai demandé aux commerçants voisins, qui m’ont répondu que ça ne posait pas de problème. » Sauf que… les commerçants voisins ne relèvent pas du même régime. Depuis, David a eu la visite de l’inspection du travail, et a fait une demande d’autorisation. « J’espère que je l’aurai ! » Et les coiffeurs de pointer les nombreux petits salons « bouiboui » qui ouvrent, en toute impunité, dans différents quartiers de Paris et d’Ile-de-France : « Les contrôles, c’est un peu au petit bonheur la chance… » Du côté des syndicats, même patronaux, le travail régulier du dimanche ne suscite pas, c’est le moins que l’on puisse dire, l’enthousiasme. « Nous ne sommes pas dogmatiques sur le sujet, explique par exemple Philippe Thouron, délégué national au dialogue social et 16 JANVIER 2012 • L’ÉCLAIREUR point chaud SUR LE VIF paritaire à la Fédération nationale de la coiffure. Mais ouvrir les salons le dimanche ne me paraît pas une bonne solution : nos coutumes, nos traditions prévoient de se reposer ce jour-là. De plus, notre métier a déjà du mal à recruter. Si les salariés doivent travailler le dimanche, ce sera un vrai frein au recrutement ! » « Le CNEC est favorable à un accord qui permettrait d’ouvrir 4 dimanches par an, au choix du chef d’entreprise, précise pour sa part Michèle Duval, secrétaire générale de l’organisation patronale. Le but : désamorcer les problèmes qui se posent chaque année aux coiffeurs installés en galeries marchandes, coincés entre les exigences d’ouverture du bailleur (voir encadré) et les arrêtés préfectoraux qui le leur interdisent. Mais l’ouverture systématique ne présente pas d’intérêt, à part pour quelques exceptions, et risque de coûter cher aux entreprises : salaire double, journées de récupération… » Pour les salariés, Guy Marin, secrétaire général du syndicat FO coiffure-esthétique, est clair : « Je soutiendrai toujours les opposants au travail du dimanche. J’estime qu’à part les secteurs dans lesquels c’est indispensable (santé…), interdire le travail du dimanche garantit que les salariés aient au moins une journée de repos. Certains s’affirment volontaires ? Pour moi, ce n’est pas un argument, on trouvera même des gens prêts à travailler 7 jours sur 7. » « En Angleterre, le dimanche est un jour comme un autre » Patrick Ahmed (salons « Medley ») «J e trouve que ce serait une bonne idée, à condition que les salariés soient volontaires et qu’il y ait des compensations financières. On voit des apprentis en BP obligés de travailler chez MacDo le dimanche pour boucler leurs fins de « Ce qui me choque : on achète un fonds de commerce, et on ne peut pas travailler comme on veut. » Sébastien Emery ETRANGERS ET RENDEZVOUS DU LUNDI Au final, quels sont les arguments des « coiffeurs du dimanche » ? Pour Sébastien Emery, « il est faux de dire que ça ne consiste qu’à déplacer la clientèle. Le dimanche, je n’avais pratiquement que de la clientèle additionnelle : touristes, personnes envoyées par les hôtels, présentes à Paris pour des salons professionnels… Paris accueille des millions de personnes par an, les étrangers ne comprennent pas pourquoi ils trouvent porte close ! » David Fellous SUR LE VIF « Et pourquoi pas jusqu’à minuit ? » Laurent Voisinet (salons « Les astuces de Laurent », Tours) «E n province, ouvrir le dimanche ne se fait pas tellement, sauf cas exceptionnel, comme les fêtes… Je n’y suis pas favorable, car bientôt on sera au fauteuil 7 jours sur 7… et pourquoi pas le soir jusqu’à minuit ? D’autant que les jeunes générations n’ont pas L’ÉCLAIREUR • 16 JANVIER 2012 mois, ne seraient-ils pas mieux à gagner de l’argent au salon ? J’ai travaillé en Angleterre où le dimanche est un jour comme un autre. Chez Vidal Sassoon, je peux vous assurer que la question ne se posait même pas ! » le même investissement que nous et veulent du temps libre. Ça pèserait sur ceux qui travaillent seuls, ou à 2 ou 3. Je trouve qu’il y a d’autres problèmes à régler avant : la TVA réduite, les grilles de salaires qui ne sont pas très élevées… » ajoute : « Le samedi, les femmes ont plein de choses à faire, elles gèrent leur vie familiale. Le dimanche, elles viennent se faire belles, elles prennent le temps nécessaire et sont plus détendues. Dans certains coins, le dimanche devient un jour comme les autres, ça rentre dans les mœurs. » Deux coiffeurs, David Fellous et Danielle Z., évoquent aussi « toutes ces catastrophes du samedi qu’on rattrape les dimanches : les femmes qui se sont bricolé des couleurs toutes seules, et qui ne peuvent pas aller travailler comme ça le lundi ! » Pour Danielle, « j’ai la niaque, le dimanche ! J’ai une bonne énergie, j’ai l’impression que les gens me rendent visite à la maison. Je reçois aussi beaucoup d’étrangers, des Libanais, des Syriens, qui ont des rendez-vous professionnels importants le lundi. » Tout en reconnaissant que « ce qui me facilite les choses, c’est que je n’ai plus d’enfants à charge. » Reste que, comme le font remarquer certains coiffeurs, ouvrir le dimanche risquerait d’accroître le fossé entre salons riches en personnel, et « petites affaires », où le chef d’entreprise se sentirait obligé d’être – encore – plus présent. Le débat est ouvert… Catherine Sajno 15