Le conte philosophique

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Le conte philosophique
LE CONTE PHILOSOPHIQUE
Genre à deux versants Comme son nom l'indique, le conte philosophique comporte deux versants: l'un fictionnel, le rattachant à
une forme narrative brève -le conte- qui se caractérise le plus souvent par une présence du merveilleux et, pour le moins, d'une
certaine fantaisie; l'autre, plus séreux (" philosophique"), qui fait référence aux thèmes et aux enjeux de l'oeuvre, et à une démarche
de lecture. Le titre des contes inscrit parfois ces deux versants: Candide ou l'optimisme, Zadig ou la destinée.
Le conte philosophique entre donc dans la catégorie des oeuvres qui, particulièrement aux XVII° et XVIII° siècles, s'attachent à un
double objectif: divertir et instruire
Le conte philosophique dans l'histoire littéraire : La vogue du conte au XVIII°S
Le genre du conte n'obéit pas à des règles précises; il se définit toutefois par sa brièveté et par des aventures imaginaires et plaisantes. En 1754,
le conte est défini par 'Encyclopédie comme un « récit fabuleux» dont« le but est moins d'instruire que d'amuser ». Les romanciers du
XVIII°s avancent souvent « masqués» (on se défie de la fiction narrative et de la censure) et prétendent bien souvent avoir écrit des mémoires,
des confessions, avoir retrouvé un manuscrit, des lettres…, dont ils ne seraient finalement que les traducteurs ou les éditeurs.
Pourtant sous l'influence des Mille el Une Nuits, traduit en 1704 et dans le prolongement des œuvres de La Fontaine ou de Perrault, le genre
du conte (particulièrement oriental) est à la mode.
L'invention du conte correspond à l'ambition des philosophes des Lumières:
- libérer l'homme des dogmes et des préjugés par le recours à la raison,
- permettre le développement de l'esprit critique et de la liberté de pensée .
-> les thèmes abordés : critique de l'intolérance religieuse, du fanatisme, des superstitions, de la justice, de l'arbitraire monarchique, des faux
savants .. et volonté de vulgarisation
Enfin le développement des sciences expérimentales va de pair avec la découverte du monde, par le biais de l'observation et du voyage, d’où nait
souvent la sagesse du héros dans les contes,
Ce genre est pratiqué par un auteur majeur du XVIII°s : Voltaire ,
même si tous ses contes ne sont pas exactement philosophiques
et si l'écriture des contes est tardive dans sa carrière
Caractéristiques de ses récits :
- structure dynamique du conte : structure traditionnelle
le voyage comme épreuve initiatique Le cheminement narratif se double donc d'un
cheminement philosophique le voyage spatial est voyage intellectuel
Voltaire Quentin de la Tour
- L'organisation en chapitres courts, centrés sur un thème ou une aventure (donnés par le titre), ce qui produit une impression d'éclatement et
de décousu; cet éclatement donne à lire le désordre même du monde
- Le cadre spatio-temporel à l'exception de L ‘Ingénu) les contes voltairiens reposent sur un éloignement spatio-temporel propre aux contes
traditionnels,
- Narration et focalisation : dans la plupart des contes, l’auteur s'efface derrière une situation fictive d'énonciation, et le point de vue varie
(focalisation interne et narrateur omniscient ) avec des intervention qui ont pour fonction d'assurer une fois encore une complicité avec le
lecteur .
- Les personnages voltairiens sont généralement réduits à une série de traits caractéristiques - Ce sont donc effectivement plus des personnages
de contes que de romans, aux noms évocateurs qui accentuent ce souci de stylisation: Candide renvoie à la naïveté du héros (de même que
l'Ingénu); Zadig (par son étymologie) suggère la justice ; Micromégas (« petit-grand ») résume à lui seul la question de la relativité (du grand
et du petit, du bien et du mal). Les personnages se définissent par leur fonction dans le récit.
Les contes semblent pour la plupart adopter une fin heureuse, mais à nuancer Plutôt que de" happy end ", il convient de parler, d'une fin
raisonnable qui consacre la « leçon» philosophique du conte, plus que l'aventure des héros.
- Présence du tragique et présence constante du comique :
Scènes licencieuses et situations scabreuses (dans la tradition des fabliaux médiévaux et du Décaméron de Boccace) +• parodie burlesque ,
comique de mots, comique de caractère ...
S'inscrivant dans la tradition de contestation des Lumières, le conte philosophique en adopte les principales cibles. l'intolérance religieuse et
plus particulièrement le fanatisme. Lutter contre « l'infâme» est le mot d'ordre de l’oeuvre de Voltaire, mot d'ordre qui trouve sa concrétisation
dans les combats de l'auteur menés par exemple lors de l'affaire Calas, critique de la religion.(horreur et l'absurdité de l'Inquisition…)
L'absolutisme, l'arbitraire politique À travers cette contestation politique se dessine le rêve voltairien d'une monarchie tempérée et éclairée, les
préjugés scientifiques (-> affirmation du primat de la raison.)
L'ironie comme arme ou le rire dévastateur de Voltaire
L'arme majeure de l'écriture de Voltaire est l'ironie. Celle-ci fonctionnant sur le régime de l'implicite et de la double entente, implique un mode
de lecture actif. Le lecteur· doit décrypter, derrière les affirmations du narrateur, la véritable pensée de l'auteur. L’antiphrase « le Père-à-
tous » dans L 'Ingénu, symbole de l'hypocrisie, est un « bon confesseur»), l'oxymore (la guerre chez Candide est une « boucherie héroïque »),
l’hyperbole (les juges obtus de Zadig sont appelés « étoiles de justice, abîmes de sciences, miroirs de vérité ", les périphrases (le pape, « vieux
des Sept montagnes») reposant sur le décalage ou l'étrangeté en sont les figures stylistiques principales.
L'efficacité argumentative de l'ironie tient à son principe même.
- elle démonte de l'intérieur une idée, une situation en en suggérant l'absurdité ou l'horreur,
- elle remplace d’un mot un long raisonnement.
- elle convainc et séduit dans le même mouvement.
Le conte parfois juxtapose plusieurs réponses: Le mode de pensée de Voltaire reste celui du doute et de la constante remise en question des
certitudes. S'il y a une « leçon » des contes, elle est plutôt à chercher du côté d’une morale de l'action qui laisse l'homme, à son échelle, capable
d'influer sur « le monde comme il va », du côté d'une invitation au combat pour « écraser l'infâme ».