penDu, traîné à La potenCe et équarri :

Transcription

penDu, traîné à La potenCe et équarri :
comprendre le moyen âge : société
Frédéric Wittner
« Pendu, traîné
à la potence
et équarri « :
punir les traîtres en Angleterre à la fin du Moyen Âge
C
ontrairement à une idée encore couramment répandue, l’époque médiévale ne fut pas « particulièrement » cruelle quant au recours à la torture (certes
couramment admise comme procédure judiciaire, car
seule à même de faire prononcer à l’accusé des aveux valides)
ou aux peines capitales prononcées dans les cas les plus graves.
Cela ne revient pas à dire que les tribunaux civils ou ecclésiastiques étaient nécessairement cléments et « humains », au sens
où l’on pourrait l’entendre aujourd’hui à la lumière de notre
culture humaniste où prévalent les Droits de l’Homme. Il faut
éviter amalgames et anachronismes, et remettre les choses
dans leur contexte.
La religion chrétienne, dans sa promesse de rédemption, est
plutôt réticente au recours à la peine capitale. Le rapport entre
le corps et l’âme fait l’objet d’une interrogation constante. La
peine de mort n’a d’ailleurs jamais été officiellement formalisée dans le droit canonique. Même si l’on regarde du côté des
tribunaux d’Inquisition, mis en place à partir du XIIIe siècle
pour juger des affaires d’hérésie, les condamnations à mort
sont largement minoritaires au regard du nombre de sentences prononcées. Bien que l’Église voie d’un mauvais œil
Fig. 1
© B.L
La peine de mort, à l’époque médiévale, est
une solution extrême rarement employée.
Toutefois, il y a des crimes qui à l’époque
ne sauraient être punis à la légère, comme
l’hérésie, la sorcellerie, et surtout, la
trahison. Une sentence particulièrement
radicale s’impose en Angleterre à la fin du
Moyen Âge : les coupables de haute trahison
sont ainsi « hanged, drawn and quartered »
(pendus, traînés et mis en quarts). Une
procédure exceptionnelle.
En général (dans la plupart des pays) les nobles félons condamnés
à la peine de mort sont décapités à l’épée. Enluminure tirée
des Chroniques de Froissart, v. 1470 – Londres, British Library,
Harley 4379 fol. 64.
l’intrusion des pouvoirs civils dans la justice, elle défère souvent les cas les plus graves devant les tribunaux temporels,
pour application de la peine capitale. La même tendance est
observable dans le droit byzantin.
Les coutumes germaniques préfèrent également privilégier les
alternatives à la peine de mort : ainsi, les Francs ont fait codifier un des aspects essentiels de leur coutume : le paiement du
wergeld (prix du sang), compensation pécuniaire échelonnée à la
gravité du crime commis. On cherche alors à éviter la pratique de
la vengeance privée et à garantir la paix et la stabilité des lignées.
Bien que le nombre de crimes passibles de la peine capitale tende
à augmenter à l’époque carolingienne puis féodale, celle-ci reste
avant tout dissuasive, car spectaculaire et toujours publique
(donc, infâmante) : décapitation pour les nobles (fig. 1), pendaisons pour les voleurs et les roturiers en général, rares bûchers
pour les hérétiques (comparativement au nombre de condamnations) ou plus tardivement les coupables de sorcellerie.
Histoire et Images Médiévales
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ZOOM SUR le moyen âge : société
comprendre
lecture
© BnF
Fig. 2
Ancien favori du roi Édouard II d’Angleterre, Hugues le Despenser (le Jeune) fut condamné pour haute trahison
et condamné à être « hanged, drawn and quartered », en public, le 24 novembre 1326.
Le cas anglais
Certains crimes sont pourtant considérés comme encore plus
graves et requièrent la mort. Évidemment, tout acte de violence
perpétré contre le roi (un régicide), personne sacrée, induit cette
peine. Par extension, celui qui est convaincu de félonie, de trahison envers son seigneur, encourt la peine capitale. Par exemple,
en 1350, le connétable Raoul II de Brienne est décapité le lendemain de son arrestation par ordre du roi de France Jean II (on le
soupçonne d’intelligence avec l’ennemi anglais). Avec le temps
et l’affermissement du pouvoir monarchique, la notion de haute
trahison apparaît. C’est à la fois un crime envers le roi et envers
l’État. La peine encourue est particulièrement dure : de la décapitation pour un noble, elle peut aller jusqu’à l’écartèlement.
En Angleterre, elle prend une tournure beaucoup plus radicale
et systématique. Les coupables de crime de haute trahison sont
condamnés à être « pendus, traînés à une claie et démembrés ».
Une procédure particulièrement violente, spectaculaire et infâ-
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Histoire et Images Médiévales
mante. Si l’on garde en tête certains cas de vengeances privées
des plus extrêmes (Brunehaut, reine mérovingienne, fut humiliée et « promenée » plusieurs jours durant à dos de chameau,
puis traînée par les cheveux attachée à un cheval, avant que l’on
brûle sa dépouille ; Andronic Ier, empereur byzantin, fut également humilié dans les rues de Constantinople à dos de chameau, affamé, torturé et mutilé. Ces deux cas sont exceptionnels), il n’y a rien qui rappelle cette coutume, qui sera tout de
même inscrite dans le droit anglais jusqu’en 1870 !
Une sentence codifiée et exemplaire
Les XIIe et XIIIe siècles avaient déjà vu introduire en Angleterre
dans les procédures judiciaires des sentences violentes comme
l’émasculation, le démembrement, la décapitation. Matthieu Paris,
dans sa Chronica majora, décrit comment un homme, qui avait
voulu assassiner Henri III, fut traîné jusqu’à être déchiqueté, puis
décapité, démembré, et ses membres envoyés aux quatre coins de
l’Angleterre pour être exposés à un gibet à titre d’exemple. Sous
le règne d’Édouard Ier, la sentence semble s’être imposée pour
punir les traîtres, y compris des nobles. Dafydd ap Gruffydd,
prince gallois en révolte, fut sans doute le premier noble à recevoir formellement la sentence : il fut pendu (sans que mort s’en
suive comme le prévoit la procédure), éviscéré et ses entrailles
brûlées devant son visage. Ses restes furent également éparpillés
et dressés sur un gibet pour un temps. Évidemment, les condamnés étaient avant tout passablement lynchés et insultés par une
foule déchaînée. Certains pouvaient se voir infliger le spectacle
du supplice d’autres condamnés, avant d’être eux-mêmes exécutés. Ils avaient tout de même droit à une ultime confession.
William Wallace, leader des rebelles écossais au début du
XIVe siècle, subit ce sort. Sous le règne d’Édouard II, Andrew
Harclay et Hughes le Despenser (fig. 2) furent aussi « hanged, drawn
and quartered ». La peine fut finalement fixée par écrit en 1351, par le
Treason Act édicté par Édouard III. De tous les actes de trahison,
la haute trahison fut clairement identifiée comme le crime le plus
grave. Ceux qui en seraient coupables subiraient désormais ce
sort (les femmes devraient être « seulement » traînées et brûlées).
La peine devait être prononcée à plusieurs reprises durant
l’époque médiévale et moderne, sous le règne des Tudors,
des Stuart (fig. 3), durant la guerre civile anglaise ou après
la restauration de la monarchie. Les conflits religieux ou
civils donneraient matière à accuser de haute trahison. Un
ensemble de lois a été voté au cours de l’histoire anglaise afin
d’interpréter comme trahison ou outrage certaines actions
qui pouvaient être considérées comme nuisant à l’autorité
de la monarchie constitutionnelle. En 1685, 300 «traîtres» qui
avaient voulu renverser Jacques II subirent ce châtiment. Un
tribunal dont la sentence fut si sévère qu’il devait rester dans
l’Histoire sous le triste surnom des Assises sanglantes.
François Henri de la Motte fut en tout cas le dernier personnage connu à avoir subi ce supplice en Angleterre, le 27 juillet
1781, pour avoir espionné la flotte britannique pour le compte
de la France. Que l’on ne conclue pas à un excès de barbarie
des Anglais, les coupables de régicide (crime de lèse-majesté)
étant aussi sévèrement punis ailleurs (en France, Ravaillac
ou Jacques Clément endurèrent un terrible supplice avant
d’être écartelés). Cependant, ce recours à une procédure
précise, inscrite dans le droit jusqu’à l’époque contemporaine,
est originale. n
On recourut encore assez souvent à cette peine sous la dynastie
des Stuart. Ici, l’exécution de Thomas Armstrong en 1683.
Fig. 3
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