Impitoyable Unforgiven
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Impitoyable Unforgiven
Impitoyable Unforgiven Clint Eastwood 3 raisons de voir le film 1. Une façon magistrale de poser la question de la violence. 2. Une interrogation sur la justice, le bien et le mal. 3. Les héros sont fatigués : un western crépusculaire. Pitch Après le succès relatif de Chasseur blanc, cœur noir (1990), Clint Eastwood était désireux de revenir sur des thèmes universels tels que la violence et la justice qu’il avait déjà abordés dans ses précédents opus, mais sous des angles différents. Il souhaitait, de plus, clarifier certains malentendus qu’une partie de la critique entretenait depuis longtemps à son endroit. Impitoyable est donc né de cette volonté de mettre les choses au point en même temps que d’un besoin d’autocritique : « Par le passé, avoue l’acteur-réalisateur, il y avait beaucoup de gens tués gratuitement dans mes films. » Ce sont les événements et les conflits intérieurs que les États-Unis ont connus au début des années 1990 – émeutes des minorités à la suite du meurtre d’un jeune Noir battu à mort par des policiers à Los Angeles – qui ont inspiré le sujet du film. Impitoyable parle donc naturellement de violence, et plus précisément de la manière dont un homme imprégné de justice commet l’erreur fatale de croire que les actes violents auxquels il se livre pourront constituer une leçon qui découragera les gens de troubler l’ordre public. Or, la violence engendre la violence, nous dit le film, et le héros obtient exactement l’effet inverse de ce qu’il recherchait. Zoom Bande-annonce Dans cette image programmatique, la première du film, Will Munny est penché sur la tombe de son épouse. C’est la tombée de la nuit, une mélodie douce un peu mélancolique accompagne cet instant de recueillement au cours duquel le personnage est filmé de loin, à bonne distance morale. Aussi est-il important de comprendre d’emblée la volonté du cinéaste de retravailler les codes du western classique et traditionnel. Cet homme qui apparaît, petite silhouette en ombre chinoise, n’est déjà plus que l’ombre de lui-même. C’est un être appartenant au passé, porteur d’une mythologie westernienne de la violence qu’il essaiera de fuir pendant une bonne partie du film. En vain. Car, selon la logique implacable du destin, la machine infernale va se remettre en branle, ne serait-ce que le temps d’un film dont cette image est la première mais aussi la dernière. Plus le film se déroule, plus la violence refait surface et les vieilles cicatrices que le héros croyait refermées vont se rouvrir. S’inscrit par conséquent ici la dualité tragique d’un être déchiré entre ses aspirations intimes (sa femme, le foyer, l’éducation de ses enfants…) et sa nature profonde d’homme violent. La déchirure de Will tient à cette rupture entre son idéalisme et la réalité de ce qu’il est. Entre son regret douloureux d’un passé proche avec sa femme et la lutte contre une époque lointaine qui le dégoûte. Aussi le héros va-t-il devoir renquiller pour donner l’exemple et assurer l’avenir de ses enfants. Or, il faut le répéter, le héros n’est plus que le fantôme des westerns d’antan. Le genre, comme le bonhomme, est grippé, et nous allons assister à des scènes grotesques où il peine à se remettre littéralement en selle. William Munny va ainsi s’égarer dans 1 8 Impitoyable Unforgiven Clint Eastwood un monde nouveau où les codes habituels du genre sont mis à mal : fin de la domination masculine sur le monde, dérision de la virilité, ébranlement des mythes de l’Ouest idéalisés par deux personnages aveuglés (le Kid, Beauchamp)… Dans ce western crépusculaire, les codes du genre changent et les mythes s’estompent, épuisés, au profit d’un certain réalisme. Carnet de création Des hommes et un orage : l’élaboration du scénario Eastwood élabore son scénario autour de Little Bill Daggett (Gene Hackman), un personnage représentant la Loi, qui se veut du côté du bien mais qui provoque le mal par erreur de raisonnement (Little Bill fait régner l’ordre dans sa ville par la terreur). Le cinéaste lui oppose un autre personnage rongé par la culpabilité concernant les actes violents dont il a été l’auteur dans le passé. Le schéma dramaturgique est alors fixé : un homme, croyant anéantir la violence par la violence, ouvre les portes de sa ville à un déchaînement de haine et entraîne son adversaire, pourtant désireux de s’amender, dans sa chute. Tous deux sont à la fois les auteurs et les victimes de cette violence. Reste au cinéaste à trouver un genre cinématographique pouvant correspondre à cette thématique. « Ce thème, explique Eastwood, est intéressant dans un western parce que l’histoire du western s’est toujours bâtie autour de comportements violents, d’une frontière de la violence chez l’homme. » Eastwood décide encore d’orienter le ton du film vers la démystification de l’Ouest où les cow-boys, habituellement courageux, invulnérables et sans états d’âme, seraient ici vieillissants, fatigués, et travaillés par leur comportement violent d’autrefois. Aussi le réalisateur n’a-t-il pas voulu que l’acte final apparaisse comme le triomphe de la vengeance. Il lui importait que tous les protagonistes ne gagnent rien au bout du compte. Pire, qu’ils soient même, comme dans une tragédie, les perdants d’une histoire qui les a rattrapés et dépassés. Le scénario achevé, Eastwood commence à penser aux « couleurs » de son film, à la sonorité de son histoire, à la tonalité de sa mise en scène. Pour lui, Impitoyable est un film qui va s’assombrissant. À mesure que l’intrigue progresse, l’atmosphère se charge d’électricité et les personnages sont traversés par des éclairs de violence de plus en plus fréquents. Il imagine un film d’abord lumineux, qui serait ensuite éclairé comme un film en noir et blanc. L’orage devient alors une évidence et prend même tellement d’importance qu’il devient un personnage à part entière, un acteur déterminant du drame. Et c’est ainsi que de lourds nuages s’amoncèellent à mesure que les protagonistes s’approchent de leur cible. En venant rendre « la » justice exigée par le chœur furieux de femmes, ils apportent l’orage avec eux : le proverbe ne dit-il pas « qui sème le vent récolte la tempête » ? Parti pris Patrick Brion « Par sa rigueur tragique, Impitoyable semble boucler à la fois la carrière westernienne d’Eastwood mais aussi toute l’histoire traditionnelle du western hollywoodien. Eastwood en profite au passage pour inviter le spectateur à se poser quelques questions. Que se serait-il passé, en effet, si Daggett, au lieu de se contenter de demander quelques poneys au bourreau de Delilah et de son complice, les avaient réellement condamnés ? […] Volontiers masochiste, Impitoyable montre un Munny humilié, frappé et rampant sous la pluie dans la boue. Ce sera pourtant le même Munny, devenu exterminateur à la suite de la mort de son ami Logan, qui reviendra à Big Whiskey et châtiera les coupables, laissant à la fin une ville sale et boueuse. Une fois cette mission accomplie, Munny retournera auprès de ses enfants. » Patrick Brion, Clint Eastwood, éd. de La Martinière, 2001. 2 8 Impitoyable Unforgiven Clint Eastwood Matière à débat Un western crépusculaire En regardant Impitoyable, il est important de se souvenir qu’Eastwood est d’abord un acteur. Et que celui-ci a débuté sérieusement au cinéma dans des films du réalisateur italo-américain Sergio Leone tels que Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus et Le Bon, la Brute et le Truand. Autant de films appartenant à un sous-genre westernien né dans les années 1960, le « western-spaghetti », qui réinvente le western classique alors passé de mode. Le principe de fonctionnement du « western-spaghetti » est de pousser la mythologie du Far- West jusqu’au maniérisme en accentuant le pouvoir de sa légende. L’affabulation accordée non seulement à l’histoire mais surtout aux personnages se trouve au cœur de la construction de ces films volontiers emphatiques. L’acteur Eastwood a été l’un de ces personnages, cow-boys sans foi ni loi qui se veulent mythiques, en représentation permanente, forcés de se comporter en héros qui s’accomplissent dans une hyper-violence. Et c’est en souvenir de cette mythologie que le cinéaste Eastwood a réalisé son film. C’est-à-dire en héritier d’une tradition remontant non seulement à son aîné (Leone) qui lui a permis de naître au cinéma mais aussi au père-fondateur du western classique : John Ford lui-même (La Chevauchée fantastique, La Prisonnière du désert). Aussi a-t-on raison de dire qu’Impitoyable est un western crépusculaire, présentant la vision désenchantée d’un monde autrefois aussi magique que tonique. La question, que se pose ici Eastwood, est de savoir ce que deviennent les héros et leur légende une fois que les mythes et les valeurs se sont effondrés. Adressée au western qui, à l’heure du tournage d’Impitoyable, est un genre moribond, cette question nostalgique devient l’élément moteur du film. Il s’agit par conséquent de ranimer un genre en voie de disparition, de le faire revenir « d’entre les morts » en quelque sorte. Un peu comme le personnage incarné par Eastwood, Will Munny, qui est littéralement un « revenant », un ancien cow-boy sanguinaire devenu littéralement un vacher, et qui va devoir incarner à nouveau cet être qu’il voudrait avoir tué en lui. C’est pourquoi l’on assiste à un début de film loin des règles du genre avec un héros courant après ses cochons, le nez dans la boue, ou (ce qui est plus grave) peinant à monter en selle, sans cesse désarçonné. D’où l’aspect funèbre et las du film. Il n’y a guère ici qu’un jeune myope, le Kid, et un écrivassier, Beauchamp, pour « voir » en lui et ses pairs des super-héros et « raconter » leurs exploits. Will Munny n’est plus qu’un héros vidé de sa substance et c’est pourquoi la machinerie rouillée du western peine à se remettre en marche. Dans ce champ de ruines des valeurs et où les cicatrices ne touchent pas seulement les corps, même le paysage, d’une grande platitude, se trouve banalisé jusqu’à la désolation, loin des espaces magnifiés par le western d’antan. À voir La Chevauchée fantastique (Stagecoach, 1939) de John Ford : un des chefs-d’œuvre de l’auteur, parfait exemple du western légendaire auquel le « western-spaghetti » est évidemment redevable. Philippe Leclerc Eastwood sape les règles du genre en s’attaquant d’emblée à ce qui fait son fondement : la virilité masculine. Il se ridiculise lui-même, et tourne le machisme en dérision en en faisant le point de départ du drame où l’on voit un cow-boy, blessé dans son orgueil de mâle, mutiler une prostituée après qu’elle a ri de la petite taille de son sexe. Fini donc le comportement chevaleresque du cow-boy de l’Ouest (respect des dames, protection des faibles…). Fini aussi le saloon comme lieu de détente et de rencontre (certes plus ou moins mal famé). Le lieu est un endroit de débauche avec alcool, jeux et prostituées. En un mot, un bordel. Passerelles •Analyse du film et commentaire de scènes •Tout sur l’acteur-réalisateur Clint Eastwood À lire •Simsolo (Noël), Clint Eastwood, un passeur à Hollywood, éd. Cahiers du cinéma, 2003. •Ortoli (Philippe), Clint Eastwood, la figure du guerrier, éd. L’Harmattan, 1994. 3 © SCÉRÉN-CNDP Envoi La mise en question du mythe de la virilité