universite pierre et marie curie - CMGE

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universite pierre et marie curie - CMGE
UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE
(PARIS VI)
Faculté de médecine Pierre et Marie Curie
ANNEE 2008
N°2008PA06GO34
THESE
DOCTORAT EN MEDECINE
MEDECINE GENERALE
PAR
Clémentine AUREGAN
Née le 3 avril 1980 à Saint-Germain-En-Laye
Présentée et soutenue publiquement le 17 décembre 2008
Les représentations cinématographiques de la
relation médecin-malade
Sous-titre: illustration cinématographique du rapport du médecin aux trois dimensions du
corps malade
Thèse dirigée par Le professeur Philippe CORNET
Jury :
Président : Professeur Arnaud BASDEVANT
Professeur Philippe FOSSATI
Professeur Jean-Jacques ROUBY
1
2
A César
A Agathe, A Alexandra, A Michelle, A Laetitia
A mes parents
A David et Gwenola, A Pauline, Marc et Gustave
A Caroline, A Clément
A Bichette
Au Professeur Philippe Cornet, au Docteur Marie-Hélène André
3
4
TABLE DES MATIERES
I. INTRODUCTION ............................................................................................................. 7
II. MATERIELS ET METHODES ...................................................................................... 9
II.1. Histoire de la médecine ................................................................................................. 9
II.2. La définition des trois corps ....................................................................................... 10
III.3. La représentation cinématographique du rapport au corps dans la
relation médecin-malade .................................................................................................... 10
III. RESULTATS ET ANALYSE ...................................................................................... 11
III.1. Evolution historique de la pensée médicale et du rapport de la science
médicale au corps malade................................................................................................... 11
III.1.1. Le temps de la pensée chamanique ........................................................................ 11
III.1.2. La désacralisation de la médecine .......................................................................... 12
III.1.3. Le corps anatomique ............................................................................................. 14
III.1.4. Le temps de l’infectiologie
et de la physiologie : l’accès à l’infiniment petit ................................................................ 18
III.1.5. Une nouvelle conception du corps fondée sur
la génétique et l’immunologie .......................................................................................... 23
III.2. Les trois corps : une trinité "unitaire" ..................................................................... 27
III.2.1. Le « corps réel » .................................................................................................... 27
III.2.2. Le « corps imaginaire » ......................................................................................... 30
III.2.3. Le « corps symbolique »........................................................................................ 34
III.2.4. Les trois corps appréhendés par les
psychiatres au cours de l’histoire ...................................................................................... 38
III.3. Représentation cinématographique du rapport au corps dans la
relation médecin-malade .................................................................................................... 45
III.3.1. La représentation de la relation du médecin
au « corps objet » ............................................................................................................. 45
III.3.1.1. Le corps examiné ........................................................................................... 45
5
III.3.1.2. Le corps expérimental .................................................................................... 54
III.3.1.3. Le corps organe .............................................................................................. 69
III.3.2. Le médecin et le patient face au « corps imaginaire » dans le cinéma .................... 79
III.3.2.1. Du point de vue du malade ............................................................................. 79
III.3.2.1.1. Le rapport au corps identitaire et sexué .................................................... 79
III.3.2.1.2 . Le rapport au corps malade et mortel : la représentation
imaginaire du corps malade par le malade lui-même et son statut de corps mortel ..... 91
III.3.2.1.3. Le rapport au schéma corporel ............................................................... 120
III.3.2.2. Du point de vue du médecin ......................................................................... 121
III.3.3. Vision cinématographique du médecin face à l’aspect symbolique du
corps malade ................................................................................................................... 122
III.3.3.1. Le corps du patient et sa dimension sociale ................................................... 123
III.3.3.2. Le corps malade en tant que « corps langage ».............................................. 131
IV. CONCLUSION ........................................................................................................... 153
V. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES, FILMOGRAPHIQUES, ET SITES
INTERNET INDEXES ..................................................................................................... 155
V.1. Bibliographie ............................................................................................................. 155
V.2. Filmographie 1 .......................................................................................................... 159
V.3. Sites Internet indexés ................................................................................................ 160
VI. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES, FILMOGRAPHIQUES, ET SITES
INTERNET NON INDEXES ........................................................................................... 161
VI.1. Livres et ouvrages consultés non indexés................................................................ 161
VI.2. Filmographie 2 (films visualisés pour cette thèse) .................................................. 162
VI.3. Sites Internet consultés non indexés........................................................................ 168
6
I. INTRODUCTION
La relation médecin-malade n’a cessé d’interroger et de fasciner les médecins, les patients, les
artistes, les médias, la société en général. En témoignent les nombreuses œuvres dédiées à ce
sujet dans le domaine littéraire, pictural, cinématographique et télévisuel, avec, notamment, la
multiplication des séries médicales télévisées. Celles-ci, couronnées de succès médiatique,
montrent l’intérêt, jamais démenti, du public pour cette relation énigmatique du médecin au
malade et à la maladie. Le rapport médecin-malade fait l’objet d’interrogations toujours
renouvelées, alimentées par sa médiatisation croissante. Ainsi, il fascine et inquiète : la
technicité toujours plus performante tend vers une médecine déshumanisée, toute puissante,
source de préoccupations morales et éthiques. Cependant, malgré les prouesses techniques qui
permettent d’explorer et de percer certains mystères du corps, le rapport médecin-malade a
évolué quant à la forme, mais sans doute pas quant au fond. Il reste une confrontation entre
deux êtres : le médecin armé de son savoir, et le malade qui lui confie son corps et son propre
savoir.
J’ai choisi de m’intéresser à l’image de cette relation entre un médecin et son patient exposée
dans un des médias majeurs : l’art cinématographique. Le cinéma, au même titre que la
littérature, la sculpture ou les chansons, semble en effet traduire à travers la vision des
réalisateurs le regard que porte la société sur la relation médecin-malade. L’outil
cinématographique, art du mouvement, reflète la relation médecin malade qui, malgré son
évolution, reste immuable, intemporelle. J’ai choisi d’explorer, au travers de ces images
cinématographiques, le rapport du médecin au corps malade selon une approche particulière
qui met en jeu le concept des trois dimensions du corps auxquelles le médecin est confronté
dans sa pratique quotidienne. Tour à tour:
-
« corps objet », sujet de médecine
-
« corps imaginaire », double image de ce même corps, l’une celle du malade, l’autre, celle
du médecin
-
« corps symbolique », rapport entre le corps du sujet et l’extérieur, ce qui n’est pas le
sujet lui-même mais dont il participe, plus précisément sa dimension sociale, politique et
culturelle.
J’exposerai au cours de ce travail tout d’abord l’évolution historique de la pensée médicale
qui éclaire le rapport du médecin au corps malade au travers d’influences successives puis
7
j’aborderai la notion du corps dans ses trois dimensions (« corps objet », « corps imaginaire »
et « corps symbolique ») que je tenterai de préciser. Enfin j’illustrerai l’une et l’autre au
travers de scènes cinématographiques choisies pour leur exemplarité.
8
II. MATERIELS ET METHODES
Mon approche méthodologique préalable a reposé sur trois axes de recherche principaux :
-
l’histoire de la médecine
-
la définition des trois corps
-
la représentation cinématographique du rapport au corps dans la relation médecin-malade.
II.1. Histoire de la médecine
J’ai réalisé une recherche sur Internet par une entrée initiale exhaustive : « histoire de la
médecine », puis par des mots clés génériques ou conceptuels : « histoire de la santé
publique », « histoire de la psychiatrie », « hépatoscopie », « solidisme », « animisme »,
« psychosomatique », « vitalisme », « pneumatisme », « humorisme », « variolisation » et par
des noms illustres de la médecine et de la philosophie, dont : Averroès, Avicenne, Celse,
Claude Bernard, Marin Cureau de la Chambre, Descartes, Galien , Galileo Galilei, Harvey,
Hippocrate, Laennec, Maïmonide, Platon, Razès, Santorio Santorio.
En complément, j’ai effectué une recherche bibliographique à la bibliothèque de la ville de
Paris, à la Bibliothèque Interuniversitaire de Médecine (BIUM), ainsi qu’une série
d’entretiens non directifs sur la thématique de l’histoire de la médecine auprès du Professeur
Philippe Cornet et du psychanalyste Michel Durel qui m’ont conseillé des ouvrages et m’ont
guidée dans les grandes lignes de l’évolution de la médecine et de l’histoire de la
psychosomatique.
A partir de l’ensemble des sources documentaires retrouvées, j’ai opéré une sélection sur les
critères suivants : les grands bouleversements et les grandes étapes de la pensée médicale et
philosophique par rapport au corps du malade, puis j’ai choisi les étapes les plus illustratives
de l’évolution du rapport au corps dans le continuum de la pensée médicale.
9
II.2. La définition des trois corps
Afin d’éclairer les concepts relatifs à la notion du « corps objet », du « corps imaginaire » et
du « corps symbolique », j’ai choisi d’explorer plusieurs champs disciplinaires : la psychiatrie,
la psychanalyse, l’art, au travers de la peinture et la sculpture, et l’anthropologie. Pour cela, je
me suis référée à ma culture personnelle en faisant des choix représentatifs d’œuvres qui
m’apparaissaient emblématiques. Par ailleurs, j’ai effectué des recherches sur Internet et à la
B.I.U.M. par mots clés tels que « corps réel », « corps imaginaire » et « corps symbolique », et
réalisé une série d’entretiens non directifs sur la thématique des trois corps auprès du
Professeur Philippe Cornet, du psychanalyste Michel Durel et de Christine Aurégan,
professeur de lettres. Ces derniers m’ont apporté une vision plus exhaustive et plus claire de
l’approche psychanalytique de la notion des trois corps. Afin d’exploiter l’ensemble de mes
sources, j’ai sélectionné parmi elles les éléments les plus illustratifs des concepts relatifs aux
trois dimensions du corps.
III.3. La représentation cinématographique du
rapport au corps dans la relation
médecin-malade
Je me suis appuyée sur mes connaissances personnelles et j’ai effectué des recherches à la
Bibliothèque du Film (B.I.F.I.) par une requête informatique : « cinéma et médecine », afin de
consulter des ouvrages consacrés aux films représentant des médecins. J’ai mené des
entretiens non directifs auprès de cinéphiles connus de mon entourage. Ces recherches m’ont
conduite à visualiser une centaine de films centrés sur la mise en scène de la relation médecinmalade. Parmi ces films, j’ai identifié ceux qui abordent les trois thématiques corporelles, puis
j’ai sélectionné les films qui répondaient le mieux à ma question initiale de thèse, à savoir,
leur exemplarité dans la représentation du rapport au corps dans la relation médecin-malade.
J’ai résumé ces films puis décrit et analysé les scènes les plus emblématiques de mon propos.
De plus ce choix a été opéré de telle façon qu’il illustre la permanence de cette représentation
particulière dans l’ensemble des genres cinématographiques.
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III. RESULTATS ET ANALYSE
III.1. Evolution historique de la pensée médicale
et du rapport de la science médicale au corps
malade
L’histoire de la médecine illustre l’évolution de la relation du médecin au malade et de la
représentation du corps malade.
III.1.1. Le temps de la pensée chamanique
Depuis la nuit des temps la médecine n’a eu de cesse d’évoluer tant dans ses théories que ses
pratiques, modifiant peu à peu son rapport au corps humain. La figure du médecin sous toutes
ses formes est restée celle d’un « sujet supposé savoir » selon Jacques Lacan, d’un
intermédiaire entre les hommes et une connaissance mystérieuse le rendant capable de
soigner.
Les premières traces de médecines archaïques datent de la préhistoire, l’ « ante médecine »
selon Henri Ey période où l’anatomie et le fonctionnement du corps sont ignorés. [1] Les
pratiques religieuses - « religio » signifie « relier » en latin - permettent de soigner en
recourant à la magie, la prière, la divination, l’exorcisme ou en invoquant des forces
spirituelles. [2, 66] Il semble que les premières pratiques de chamanisme datent de la
préhistoire comme le souligne le paléontologue Jean Clottes. [3] Le chamane est un
intermédiaire entre l’homme et Dieu ainsi que les forces de la nature. Il est capable d’extraire
le mal du corps, ce mal provenant souvent d’une faute commise par le malade - ces pratiques
perdurent d’ailleurs aujourd’hui notamment dans les civilisations amérindiennes et en
Afrique - . [4, 5] La transmission du savoir, de ce pouvoir de soin et de guérison, se fait alors
oralement.
Les pratiques chamaniques prennent en compte la dimension spirituelle du sujet malade dans
la représentation qu’il a de son corps et dans la façon dont il l’exprime. La dimension mentale
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de la pathologie est prise en compte: le chamanisme peut être considéré comme un embryon
de psychanalyse.
Il faut attendre l’époque sumérienne, culture écrite la plus ancienne vers 3300 avant JC, pour
trouver les premières traces de ces médecines archaïques. [6, 7] Cette civilisation laisse le
premier manuel de médecine: une tablette d’argile retrouvée dans les ruines de Nippur. Pour
les mésopotamiens, la maladie est une malédiction envoyée par les dieux. De longues listes
techniques nous renseignent sur les pratiques « médicales » présentées sous forme de phrases :
en premier lieu une « protase » présente l’état du malade et une « apodose » précise le
diagnostic et, parfois, à la suite, le traitement à prodiguer. Ces « diagnostics » recouvrent
différents domaines comme la gynécologie, la psychiatrie ou l’ophtalmologie. On retrouve
aussi de longues listes de pharmacopée. [6] Les Assyro-Babyloniens pratiquent également
l’hépatoscopie, art divinatoire consistant à tirer des présages de l’examen de foies d’animaux
sacrifiés, le foie étant considéré dans la haute antiquité comme l’organe noble par excellence
où siégent toutes les émotions et les sentiments. Les bârû, prêtres babyloniens, exercent leur
art sur le foie des moutons par l’intermédiaire duquel s’exprime le dieu, notamment pour ce
qui concerne les affaires du royaume. L’hépatoscopie se répand ensuite chez les étrusques
avant d’atteindre la Rome antique. [6]
III.1.2. La désacralisation de la médecine
A l’ère de l’Égypte ancienne (entre 3000 et 1500 ans avant JC) apparaît la première figure de
médecin: Imhotep (né aux alentours de 2700 avant JC) à la fois médecin, haut fonctionnaire,
moraliste, écrivain, astronome et architecte (pyramide de Sakkarah). [2, 6] Ce personnage
représente la fusion entre une médecine divine, sacerdotale et praticienne ; les dieux tout
puissants disposent de la santé du peuple et des mesures rituelles d’hygiène collective sont
prescrites sous des prétextes religieux. Il représente une première tentative d’appréhender la
maladie au travers d’un désordre inhérent au corps d’un individu et non dû à l’influence
divine. Il pratique une médecine organisée avec une ébauche de terminologie en anatomie,
des thérapeutiques, des tests médicaux. En témoignent un grand nombre de papyrus médicaux,
qui montrent des hommes capables de diagnostics médicaux et de pratiquer des opérations
chirurgicales, ainsi que de nombreux textes sur des tablettes d’argile ou sur les murs comme à
Kom Ombo. Ces textes sont écrits en hiéroglyphes dont quelques uns reprennent des
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fragments du corps humain. [3] Le corps devient écriture, concept que nous retrouverons dans
la notion de « corps symbolique ».
Du point de vue des origines de la psychiatrie, le papyrus Edwin Smith datant de 1500 avant
JC apporte la première description écrite des rapports entre le cerveau et le fonctionnement
mental. [6, 8]
Les grecs achèvent de désacraliser la médecine. Tout d’abord dans la mythologie grecque, les
anciens ont de nombreux dieux et demi-dieux capables de guérir tels Jupiter, Pantocator,
Apollon et Asclépios (Esculape chez les romains), fils du dieu Apollon et de Coronis (fille de
Phégias roi des Lapithes), dieu de la médecine (élevé par le centaure Chiron qui lui enseigne
l’art de la guérison). [2, 6] Asclépios représente un trait d’union entre la médecine divine et la
médecine humaine. La mythologie grecque est
empreinte de notions médicales et
psychanalytiques. Dans le complexe d’Oedipe, Sophocle (428 à 348 avant JC) évoque une
épidémie de peste qui décime la population sous le règne d’Œdipe. La communauté devient
un corps collectif : qu’un membre de la communauté ait commis une faute et tout le corps
communautaire en est affecté. On retrouve également la notion de faute à l’origine des
maladies source d’un sentiment de culpabilité. [3] Dans le domaine des maladies mentales, les
poèmes d’Homère relatent la folie comme une offense des Dieux. [9]
Bien avant Hippocrate, dès le VIème siècle avant JC, les philosophes naturalistes, à l’image
de Pythagore qui établit l’universalité des quatre éléments, ou Thalès de Milet, ou encore
Alcméon qui fonde la théorie des quatre humeurs, poseront les bases d’une médecine
dissociée de la magie. [1]
Hippocrate de Cos en Asie mineure (470 à 377 avant JC) né parmi les Asclépiades (famille
médicale dont les membres prétendaient descendre du dieu de la médecine), est l’un des
premiers médecins à vouloir écarter toute intervention divine dans le processus de maladie.
[2] Toute maladie est, selon lui, de cause naturelle et non d’origine divine. Lui et ses disciples
mettent en avant l’intérêt capital de l’interrogatoire et de l’examen clinique; ils considèrent
l’observation comme une clé fondamentale de la médecine qui prévaut sur la théorie.
Hippocrate effectue une première approche de la physiologie avec sa théorie des humeurs
inspirée des philosophes naturalistes. Le corps humain est constitué de quatre éléments (le feu,
l’eau, la terre et l’air) sur lesquels se plaquent quatre caractères (le chaud, le froid, le sec et
l’humide) et à l’intérieur du corps circulent quatre humeurs (le sang, la lymphe, la bile jaune
et la bile noire) qui doivent se trouver en équilibre. [10, 11, 12] Selon Hippocrate « Il y a
santé parfaite et bien être quand ces humeurs sont dans une juste proportion entre elles ». La
maladie est un déséquilibre. Il convient de remarquer que les maladies, de l’âme et du corps
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sont réunies dans cette théorie des humeurs : selon Hippocrate, toutes les maladies sont
physiques. Il effectue une classification des troubles mentaux Ŕ la manie, la mélancolie, la
paranoïa et l’épilepsie - en relation avec les quatre tempéraments. [9,10] Il tente d’organiser et
de rationaliser la notion de soin. Le médecin doit aider le patient à prévenir la maladie en
prescrivant une vie de sagesse qui associe le suivi d’un régime alimentaire adapté au patient et
la pratique sans excès de la gymnastique. En cas de maladie, le médecin doit aider le malade à
se guérir lui-même avec des mesures médicamenteuses, puisées dans une pharmacopée
empirique issue de l’expérience seule. D’autres thérapeutiques telles que les saignées, les
purgatifs et les vomitifs et la chirurgie peuvent aussi aider au rétablissement de l’équilibre
selon Hippocrate. [10] Les théories hippocratiques marquent l’émancipation de la pensée
médicale avec une tentative de nosographie, de nosologie et de compréhension des maladies
qui influencent la médecine occidentale pendant des siècles. La notion d’homéostasie se
rapproche de la physiologie et peut représenter une ébauche de la théorie moderne du
rétrocontrôle endocrinien et même des concepts psychanalytiques de Freud sur l’équilibre
entre les pulsions. Par ailleurs, Hippocrate introduit la notion d’équilibre du corps en
interaction avec son environnement, les hommes étant influencés par le climat, la qualité des
sols et des eaux… L’enseignement d’Hippocrate est contenu dans le « corpus Hippocratum ».
Il s’oppose à l’école de Cnide qui affirme la primauté de la théorie et prône le solidisme Ŕ
théorie selon laquelle la maladie est la conséquence d’une lésion d’un organe solide - . Selon
ses membres, à chaque maladie correspond un traitement spécifique identique, quelque soit le
malade. [2] Par ailleurs, il convient de rappeler l’importance d’Hippocrate qui introduit des
principes moraux dans la pratique de la médecine, énoncés dans le serment d’Hippocrate qui
instaure la confraternité entre médecins, l’égalité des hommes devant la maladie, la défense de
la vie avant tout et le respect du secret médical. Ces principes constituent la base morale et
éthique de la relation médecin-malade.
III.1.3. Le corps anatomique
Dès le IIIème siècle avant JC jusqu’à la fin de l’époque romaine, on constate un recul de
l’observation raisonnée au profit de systèmes philosophiques après la mort du « père de la
médecine », même si l’hygiène reste une préoccupation importante : Platon (428 à 348 avant
JC) introduit dans sa philosophie la notion de « pneuma » ou souffle vital, principe aérien
immatériel errant dans nos vaisseaux et dont la perturbation des mouvements explique les
14
maladies. [2,6] Cette théorie donne une représentation symbolique du corps animé par le
souffle vital. Il décrit une hiérarchisation du psychisme en distinguant l’âme supérieure, siège
du courage et de l’ambition - localisée dans le cœur et l’âme inférieure nutritive située dans le
foie. Aristote (384 avant JC), son élève, privilégie la philosophie pour connaître la nature, il
relègue la médecine à une place secondaire. Selon lui le cœur a une place majeure; il est le
siège de l’âme. Il distingue l’âme végétative et l’âme intellective humaine dont la volonté vise
à l’obtention du plaisir et à l’élimination de la douleur. [2] Ces notions semblent préfigurer le
Moi, le Çà et le Surmoi de Freud. Il pratique également de nombreuses dissections d’animaux.
Ainsi, on observe un recul de la pensée du soin d’Hippocrate, au profit de théories
philosophiques abstraites. Cependant la connaissance du corps se précise avec la découverte
du corps anatomique. Par la suite les anatomistes d’Alexandrie au début du IIIème siècle
avant notre ère pratiquent des dissections sur l’homme, grâce à la bienveillance des Ptolémée,
pharaons d’origine grecque : Hérophile (né en 330 avant JC) et Erasistrate (né en 320 avant
JC) étudient respectivement le système nerveux et vasculaire. [2, 6] La seconde moitié du
IIème siècle avant notre ère est marquée par l’arrivée des médecins grecs à Rome. Un peu
plus tard, Celse, au premier siècle de notre ère, est le premier à avoir écrit un ouvrage complet
sur la médecine classant les maladies. Une figure majeure apparaît au IIème siècle après JC :
Galien. C’est un héritier spirituel d’Hippocrate, influencé par les écrits aristotéliciens et les
acquis anatomiques de l’école d’Alexandrie. [2, 13, 14] Il effectue des dissections de gros
animaux, dont les conclusions sont souvent extrapolées de façon erronée à l’homme. Il
développe en parallèle une physiologie finaliste selon laquelle la position des organes est
idéale pour leur fonctionnement; en outre, il affirme que chaque trouble provient de la lésion
d’un organe, ce qui aboutit à un morcellement du corps. Galien conserve cependant la théorie
d’Hippocrate sur les quatre humeurs et les quatre éléments auxquels il ajoute quatre
complexions ou quatre tempéraments (bilieux, sanguin, lymphatique et mélancolique),
l’équilibre de cet ensemble conditionnant la santé physique et mentale. Galien enseignait
notamment que les femmes mélancoliques risquaient davantage de développer une lésion du
sein que les femmes sanguines. [3] Galien effectue ainsi une première approche globale de
l’individu en affirmant que son caractère peut influencer sa santé. On peut parler d’une
première approche de la psychosomatique. [3] Aristote et Galien sont reconnus par l’Eglise
bien plus qu’Hippocrate. Leurs données anatomiques et physiologiques erronées seront
érigées en dogmes immuables par le christianisme pendant treize siècles. [2] Par ailleurs c’est
à l’époque de Galien que remontent à Rome les débuts de la santé publique
avec la
construction d’égouts, de fontaines permettant la distribution d’eau propre, de latrines, de
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thermes publics, et de valetudinaria (1ers hôpitaux). [6] On assiste ici à l’émergence d’une
nouvelle notion : par opposition avec la malédiction du corps social évoquée précédemment
dans le complexe d’Œdipe, la médecine tend à protéger le corps social au travers de l’hygiène
collective.
Au Moyen Âge pèse la chape dogmatique de l’église chrétienne sur l’Occident. En Occident
dans le monde chrétien, l’enseignement est placé sous l’égide de l’Eglise. Les médecins sont
obligatoirement des clercs, ils pratiquent une médecine distante du corps du malade avec un
examen limité à la prise du pouls et au mirage des urines. Les médecins sont formés à la
philosophie, l’astrologie et l’alchimie et le grec se perd au profit du latin. [2, 6, 66] Les
thérapeutiques sont influencées par les théories de Galien avec les saignées et les purges. Les
médecins clercs prescrivent des médicaments fabriqués par l’apothicaire et ne peuvent
pratiquer la chirurgie (« ecclesia abhorret a sanguine »). Ils s’éloignent du corps, lieu de
péché. Etre malade signifie d’abord être pécheur. Guérir l’âme importe plus que de guérir le
corps relégué au second plan, ce qui renvoie à la dimension symbolique du corps. Du point de
vue des pathologies mentales, le spirituel l’emporte aussi sur l’approche scientifique des
pathologies. Ainsi l’Eglise tranche entre le bien et le mal. La pathologie est interprétée comme
un signe de Dieu. L’Eglise distingue deux types de pathologies mentales: les « crétins », les
«purs », considérés comme les enfants de Dieu et protégés par l’Eglise et les «possédés » ainsi
que les sorcières qui sont soumis à l’exorcisme. [4, 9] La prière et la confession peuvent être
considérées comme une forme de psychanalyse. L’hôpital de l’Hôtel Dieu est créé par l’Eglise
pour recueillir les pauvres et les malades. Parallèlement, l’orient byzantin et judéo-islamique,
perpétue la tradition médicale antique et pratique une médecine très moderne. [2] L’hôpital de
Damas propose une pharmacie très développée et de nombreuses planches anatomiques, fruits
de l’observation. De grands médecins font avancer la médecine arabe: Rhazès [15, 16]
(IXème au Xème siècle) responsable de l’hôpital de Bagdad décrit dans « de pestilentia » les
signes permettant de reconnaître des maladies infectieuses telles que la rougeole et la variole,
et fait progresser la nosologie. Avicenne (fin du 10eme siècle) est un médecin persan dont
l’œuvre majeure « Quanun » ou « canon de la médecine » consacrée à une description
nosologique des maladies constitue la base de l’enseignement de la médecine en Europe où il
détrône Galien. Averroès (XIIème siècle), philosophe et médecin vivant en Andalousie, crée
l’Averroïsme, philosophie selon laquelle l’âme dans chaque être humain est considérée
comme une substance individuelle périssable mais capable de s’unir à l’intelligence dans
l’acte de l’entendement. Ce médecin philosophe est condamné par l’Eglise pour ses tendances
critiques et raisonnantes. Son élève Maïmonide est l’auteur d’un serment destiné aux
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médecins. En Occident, des progrès s’effectuent au IXème siècle avec l’école de Salerne en
Italie qui, grâce à l’enseignement de Constantin l’africain (XIème siècle) auteur de
nombreuses traductions de l’arabe, aura un rôle phare en Occident. Il faudra ensuite attendre
trois siècles pour voir se créer d’autres universités médicales en France à Montpellier, Paris,
Toulouse et dans toute l’Europe, notamment en Italie à Padoue. L’enseignement est toujours
très dépendant de l’Eglise. C’est à la fin du Moyen Age que des progrès sont réalisés par les
chirurgiens barbiers tels Henri de Mondeville (1260 à1320) et Guy de Chauliac (14ème siècle)
qui commencent à pratiquer quelques dissections humaines grâce à l’autorisation
exceptionnelle de l’Eglise qui autorise ainsi officiellement l’intrusion dans le corps
anatomique. [6, 15, 16]
A la Renaissance se produit une double émancipation. [2] La pensée médicale et les arts
évoluent en partie grâce à la Réforme, portée par des figures tels que Galilée, Rabelais ou
Luther, qui remet en question les idées du Moyen Âge de la toute puissance de l’Eglise; elle
permet ainsi une ouverture au monde par la découverte de nouveaux continents et la
reconnaissance de l’idée que le soleil se trouve au centre du monde. On voir ressurgir les
goûts artistiques de l’Antiquité avec le perfectionnement de la représentation du corps humain
à travers le retour à l’ordre universel numérique et géométrique élaboré par les grecs (nombre
d’or…). Cette ouverture au monde détermine une approche anatomique moderne : en
témoignent les œuvres de Léonard de Vinci (fin du XVème siècle) qui se met au service de
l’anatomiste Della Torre en dessinant des muscles, des organes comme le cœur, des gros
vaisseaux et l’utérus ainsi que des dissections de cadavres. [17, 18] Les dessinateurs de la
perspective tels que Michel Ange (début du XVIème siècle), Dürer ou de Vinci restent malgré
tout centrés sur une recherche de l’esthétique tandis que les anatomistes tels que Jacques
Dubois et Charles Estiennes (XVIème siècle) s’appuient sur la rigueur scientifique. Parmi
eux, Andréas Vésale né en Hollande, considéré comme le père de l’anatomie moderne,
pratique de nombreuses dissections et critique Galien. [6, 15, 16]
Le domaine des maladies mentales bénéficie également de cette émancipation de la pensée :
au XVIème siècle, Jean de Wier en Belgique défend la thèse médicale des troubles psychiques
et écarte la théorie satanique. [9, 67]
17
III.1.4. Le temps de l’infectiologie et de la
physiologie : l’accès à l’infiniment petit
La médecine fait aussi de grands progrès au XVIème siècle en infectiologie avec Fracastor qui
réfute l’origine divine des épidémies et introduit l’idée des « seminaria », germes vivants
responsables des maladies contagieuses. Il existait déjà des préoccupations sur l’hygiène mais
la notion de l’existence d’éléments extérieurs au corps responsables des maladies est nouvelle.
[6, 15] Comme nous l’avons évoqué précédemment, depuis l’Antiquité, les théories médicales
expliquent les maladies comme le résultat de désordres internes, qu’ils touchent l’équilibre
des humeurs de l’humorisme ou les organes solides selon le solidisme. La physiologie naît
avec Paracelse, premier médecin hostile aux théories humorales, qui remet en question la
théorie pneumatiste et l’existence du « souffle vital ». [6, 15, 16] Il critique les dogmes
catholiques et affirme que le sang veineux est épuré par le poumon pour revenir ensuite au
cœur. Il sera brûlé à Genève avec ses livres sur l’ordre de Calvin. Autre figure importante,
Santorio Santorio (1561-1636), élève de Galilée, l’un des fondateurs de la physiologie
expérimentale, mesure et compare les apports et les pertes de poids chez l’homme, ce qui lui
permet de découvrir le phénomène de la transpiration et commence à mesurer rationnellement
à l’aide d’instruments la température du corps humain. [15, 16] Avec la physiologie, la
médecine tend à comprendre le fonctionnement du corps humain et non plus seulement à
connaître sa structure. Par ailleurs le développement des armes à feu (arquebuse et mousquet)
permet à la chirurgie auparavant dénigrée de progresser. Ambroise Paré, chirurgien de guerre,
le premier à pratiquer la ligature des artères avant l’amputation, devient docteur en chirurgie
sous Henri II [6, 15, 16]. En parallèle, les préoccupations de la santé publique sont marquées
par l’installation dans les villes d’établissements d’hébergement en cas d’épidémies.
Cependant les hôpitaux et hospices servent toujours essentiellement à l’hébergement des
pauvres et des infirmes.
Les XVIIème et XVIIIème siècles sont des périodes de grands conflits philosophiques entre
fervents matérialistes et spiritualistes: l’une de ces doctrines matérialistes, le mécanisme,
réduisait la vie à des phénomènes cinétiques et dynamiques dans lesquels la matière
n’intervenait que par le jeu de forces en mouvement. [2] Cette théorie se rapproche de la
notion de « corps objet », purement matériel. Elle s’oppose à deux conceptions
statiques héritées de l’antiquité : d’une part l’humorisme selon lequel les pathologies résultent
d’un déséquilibre des humeurs et d’autre part le solidisme qui met au premier plan les organes
18
solides. Les maladies affecteraient primitivement les parties solides du corps vivant. [2] Il
s’ensuit un conflit d’idées entre les iatrophysiciens qui réduisent le corps à ses éléments
solides et tendent à expliquer la vie par un ensemble d’actions mécaniques bien réglées, le
corps est une machine soumise aux lois de la physique, et les iatrochimistes qui donnent une
part prépondérante aux humeurs et qui affirment que les maladies sont dues à des phénomènes
chimiques complexes. [2] Parallèlement perdurent les doctrines spiritualistes qui tendent vers
la notion de corps symbole. L’animisme défendu par George de Stahl au XVIIIème siècle
affirme que l’âme, entité immatérielle distincte des parties du corps vivant, préside à la vie
physique du corps humain, et le vitalisme qui distingue les corps vivants des corps inanimés
par l’existence d’un « principe vital » ou âme sensitive, principe régulateur des actes de la vie
indépendamment de l’action de l’âme et des lois physiques. Cette dernière théorie nous
rapproche un peu de la physiologie avec la notion de régulation du vivant sans lien avec une
intervention de l’âme ou de la physique mais la définition de cette force régulatrice reste plus
qu’imprécise. Descartes, éminent rationaliste du XVIIème siècle, rapproche les théories
matérialistes et spiritualistes en prônant un dualisme entre le corps-machine et l’âme. Il
affirme : « je ne suis point cet assemblage de membres que l’on appelle le corps humain ».
Malgré ces conflits entre théoriciens, la médecine fait à cette période des progrès
considérables dans la connaissance du corps humain. Mirko Grmek, historien de la médecine,
parle de « première révolution biologique ». [19] Cette période voit en effet la physiologie
s’épanouir avec des découvertes majeures comme celle de la circulation sanguine par Harvey
en 1628, complétée par celle de la circulation lymphatique en 1662. [15, 16] Antoine Laurent
Lavoisier, grâce à ses expérimentations, découvre au XVIIIème siècle le second des grands
mécanismes vitaux : la respiration. On s’intéresse au fonctionnement du corps et non plus
seulement à sa structure et au classement des maladies. Le corps perd de son mystère, le
médecin s’éloigne de l’âme.
Dans ce courant physiologiste, qu’en est-il de l’évolution de l’anatomie?
En effet la médecine ne s’est pas désintéressée du corps anatomique, préoccupation centrale
au Moyen Age. La connaissance de la constitution du corps humain continue de progresser
grâce à des anatomistes de renom tels que Giovanni Battista Morgagni auteur de nombreuses
dissections humaines. [2] L’anatomie du cerveau avec les travaux de Sylvius et Willis est de
mieux en mieux connue. Sous le Consulat et l’Empire, la dissection et l’enseignement au lit
du malade deviennent obligatoires, l’enseignement médical est désormais laïc. Les progrès de
l’instrumentation issus de l’ingéniosité de l’esprit humain, avec notamment l’invention du
19
forceps par Chamberlen contribuent à percer le mystère du corps anatomique. [6, 15, 16] La
découverte du microscope par Leeuwenhoek (1632 à 1723) permet à l’homme d’accéder à
l’infiniment petit, à la « microanatomie » : la découverte des capillaires complète la
connaissance de la circulation sanguine et l’histologie voit le jour : Marcello Malpighi (1628 à
1694) décrit pour la première fois les cellules et Bichat écrit son « traité des membranes » en
1799.
L’accès à l’infiniment petit permet également le développement de l’embryologie : le danois
Sténon et le hollandais Reiner de Graaf identifient les follicules ovariens en 1673 puis
Leeuwenhoek découvre les spermatozoïdes en 1676. [15, 16]
De même, l’infectiologie ébauchée à la Renaissance connaît un tournant décisif : la
microscopie permet la découverte des bactéries. Les maladies peuvent être dues à des
éléments extérieurs au corps. En plus de la connaissance du fonctionnement du corps, la
médecine tend désormais à expliquer l’origine des maladies, ce qui lui permet de mieux les
soigner. Un autre progrès majeur est réalisé : le procédé de variolisation pratiqué en Europe
par Edward Jenner à partir de 1796 consiste à injecter de la vaccine pour prévenir la variole et
ouvre ainsi la perspective d’éviter de grandes épidémies. [15, 16]
Parallèlement, la chirurgie contribue à percer les mystères du corps humain : la première
appendicectomie est réalisée avec succès par Claudius Aymand en 1763. [6, 15, 16]
Qu’en est-il de la santé publique ?
La santé publique demeure une préoccupation essentielle : Joseph Ignace Guillotin met en
place sous le Consulat le premier programme de santé publique : une surveillance sanitaire est
mise en place. On assiste parallèlement à une diminution de la mainmise du clergé sur les
établissements de charité : au XVIIème siècle, les rois créent des hôpitaux généraux pour les
contagieux, les incurables et les pauvres. [6]
Concernant la prise en charge des maladies mentales, le XVIIème siècle est marqué par un
personnage emblématique : Marin Cureau de la Chambre - 1596 à 1669 -, médecin personnel
du Chancelier Pierre Séguier sous le règne de Louis XIII, qui dans un de ses ouvrages intitulé
« les charactères des passions » (1640) traite de « l’art de connaître les hommes ». [3, 20] Il y
évoque l’effet des passions sur le corps et constitue en cela un précurseur de la
psychosomatique. Selon lui, les esprits, instruments de l’âme, jouent un rôle dans les
manifestations physique des passions. Par ailleurs ses têtes-à-têtes réguliers avec le cardinal
Mazarin seraient d’après Salomon Diamond (1906 à 1998), historien de la psychologie, « le
20
premier exemple connu d’une psychothérapie programmée ». A partir du XVIIIème siècle, on
assiste à l’émergence de la psychiatrie moderne avec l’apparition d’une nosologie: Cullen en
1785 utilise le terme de névrose et propose une classification des troubles psychiques
d’essence neuro-fonctionnelle et Pinel écrit un traité médico-philosophique sur l’aliénation
mentale dont la diffusion en Europe marque la naissance de la psychiatrie. Les premiers asiles
naissent et une loi sur les aliénés est promulguée. [9]
Au XIXème siècle, le médecin se rapproche toujours davantage de l’intimité du corps du
patient et la médecine devient de plus en plus scientifique. [2, 6, 66]
L’examen clinique du patient devient fondamental, rendant le rapport du médecin au corps du
patient de plus en plus tactile : le médecin palpe, ausculte, percute le corps malade : L’examen
cardiopulmonaire se perfectionne grâce à l’apport du stéthoscope inventé par Laennec en
1819. Il introduit l’auscultation médiate et établit une nosologie des affections thoraciques. La
percussion thoracique inventée par Auenbrugger au siècle précédent est répandue par
Corvisart. [15,16] L’examen neurologique progresse aussi grâce à des cliniciens tels que
Charcot et Babinski. La médecine se spécialise aboutissant à un morcellement du corps
humain : on démontre qu’une pathologie peut être localisée, limitée à un organe, ce qui rend
la théorie des humeurs et des tempéraments définitivement obsolète, et ce qui n’est pas sans
rappeler l’approche cnidienne prônant le solidisme. L’examen clinique peut s’aider d’examens
paracliniques qui contribuent à déchiffrer les désordres du corps humain : le premier dosage
de l’urée est effectué en 1836. Les progrès de la physique participent également : Einthoven
étudie notamment l’activité électrique du cœur avec son elektrokardiogram, l’endoscopie
permet d’explorer toujours plus profondément le corps humain mais c’est surtout la radiologie
annoncée par les découvertes faites à la fin du XIXème siècle (découverte des rayons X en
1895 appliquée dès 1897 en médecine par Béclère avec la radioscopie et les travaux de Pierre
et Marie Curie sur la radioactivité) qui achève de percer l’enveloppe charnelle de l’homme.[2]
Qu’en est-il de la physiologie ?
Le développement de la physiologie et de la physiopathologie connaît son apothéose au
XIXème siècle avec les travaux de Claude Bernard qui met au point de nouvelles méthodes
fondées sur la rigueur du raisonnement expérimental : il crée une pensée scientifique en
développant une médecine basée sur les expériences et leur reproductibilité à l’instar de la
physique et la chimie. [2, 6, 21] Il introduit la notion de milieu intérieur, de sécrétion interne,
d’autorégulation du vivant et affirme l’unicité du monde vivant. Une de ses découvertes
21
fondamentales est celle de la sécrétion de glucose par le foie en 1853. Par la suite Brown
Sequard en 1889 définit l’existence de substances circulantes dans le sang, ouvrant la voie à
l’endocrinologie qui se développe au siècle suivant. Le corps n’est plus considéré comme une
machine mais plutôt comme une usine chimique. La physiologie contribue à une meilleure
compréhension de l’origine des maladies, préoccupation majeure au XIXème siècle : la
médecine ne se contente plus d’observer et de classer les maladies, elle cherche à les
expliquer.
Qu’en est-il du domaine de l’infiniment petit ?
L’histologie aide à mieux expliquer l’origine des maladies grâce notamment à l’étude des
cancers par Virchow en 1862. Parallèlement, en infectiologie, les découvertes s’enchaînent :
les microorganismes responsables des maladies infectieuses sont isolés à partir de 1876 par
Robert Koch en Allemagne, Louis Pasteur en France et leurs élèves. A la fin du siècle, les
sérums, les antitoxines et les vaccins donnent l’espoir de vaincre des infections jusque là
incurables.
Dans le domaine de la génétique, Mendel publie en 1865 ses travaux sur
l’hérédité qui resteront longtemps ignorés. [6, 15, 16]
Qu’en est-il de la chirurgie ?
A la fin du XIXème siècle, la chirurgie fait de grands progrès: elle profite des débuts de
l’anesthésiologie (découverte en 1846 par les dentistes de l’anesthésie générale à l’ether), des
avancées dans le domaine de l’asepsie (en 1847 Semmelveis à Vienne prône l’importance du
lavage des mains) et de l’antisepsie (Lister en 1866 propose des solutions à base de phénol), et
des perfectionnements de l’instrumentation (à noter l’invention des pinces hémostatiques).
[15, 16] La chirurgie peut enfin devenir audacieuse: les premières exérèses d’organe sont
effectuées et les traitements chirurgicaux se banalisent à la fin du siècle.
Dans le domaine des maladies mentales, le XIXème siècle est marqué par l’essor de la
psychiatrie : la description nosologique se poursuit avec les travaux notamment d’Esquirol et
de Kraepelin, à l’origine de systèmes de classification des désordres psychiques, comme la
schizophrénie et la psychose maniaco-dépressive. Des progrès s’observent également dans les
traitements : Charcot, connu pour ses études sur l’hystérie effectuées à la Pitié-Salpêtrière, et
Bernheim, développent l’hypnose. [9]
22
III.1.5. Une nouvelle conception du corps fondée
sur la génétique et l’immunologie
Le XXème siècle est marqué par une révolution de la conception du corps humain grâce aux
progrès de la médecine :
Les examens paracliniques toujours plus perfectionnés continuent de décrypter le corps
humain: la radiologie se développe, de nouvelles techniques toujours plus invasives émergent
telles que le cathétérisme à partir de 1953. [2, 66]
La recherche de l’étiologie des maladies se poursuit, une importance croissante étant accordée
aux troubles pathologiques liés aux altérations cellulaires, enzymatiques, immunologiques et
génétiques d’une grande complexité. Ainsi l’oncologie apparaît. [2, 66]
L’endocrinologie se développe considérablement : la période de 1900 à 1923 est marquée par
la découverte de plus en plus d’hormones dont l’insuline en 1921. Au cours de la période
allant de 1920 à 1950, ces hormones sont synthétisées chimiquement et utilisées dans un but
thérapeutique. [2]
La génétique vit également un véritable essor (à noter entre autres : la redécouverte en 1900
par De Vries des travaux de Mendel, la mise en évidence en 1953 de l’ADN par Watson et
Crick et en 1997 le clonage du premier mammifère: Dolly). [15, 16] La notion d’hérédité
bouleverse la vision du corps par la médecine. Ainsi, le corps malade, à travers l’héritage
génétique, renvoie au corps de l’autre et au corps social. Le corps et les maladies qui
l’affectent sont le symbole d’une filiation, d’une liaison aux autres.
L’immunologie, autre façon d’envisager la physiologie humaine, voit aussi le jour au XXème
siècle: les groupes sanguins sont identifiés au début du XXème siècle, par Landsteiner, et le
système HLA est mis en évidence par Dausset en 1958, ouvrant la voie aux greffes (à noter la
première greffe cardiaque en 1966): le morceau du corps d’un étranger ou d’un animal peut
être intégré à un autre corps. La notion d’auto-immunité permet aussi d’expliquer de
nombreuses pathologies et introduit l’idée que notre corps peut se retourner contre lui-même
et le détruire. [6]
Qu’en est-il de l’infectiologie ?
Les vaccinations Ŕ notamment le BCG en 1921- et les sérums voient leur utilisation se
généraliser dans les pays occidentaux faisant disparaître les grandes épidémies infectieuses.
23
Les antibiotiques tels que la pénicilline découverte en 1943, permettent de soigner bon
nombre d’infections jusque là incurables. [2, 6, 15]
L’utilisation des médicaments, intermédiaires entre le médecin et le patient, s’appuie sur la
pharmacologie expérimentale, qui permet d’étudier avec une rigueur scientifique les
médicaments et leurs effets : on est bien loin des thérapeutiques symboliques du chamane et
de l’empirisme des thérapeutiques des siècles précédents.
Qu’en est-il de la santé publique ?
La santé des populations devient une préoccupation majeure au XXème siècle: l’accent est
mis sur les mesures d’hygiène collective et individuelle et les techniques de dépistage se
généralisent. La notion de prévention rappelle les théories hippocratiques prônant un juste
équilibre dans l’hygiène de vie afin de maintenir la santé. Cependant cette attention est portée
particulièrement sur la santé des populations, du corps social dans son ensemble, et non plus
sur le corps individuel.
Enfin le XXème siècle constitue une époque floride dans le domaine de la psychiatrie. La
classification des troubles psychiques et de la psychopathologie progresse : sont décrits le
délire chronique interprétatif, la bouffée délirante aiguë par Magnan et la PHC par G. Ballet.
S. Freud - 1856 à 1939 -, figure pour le moins emblématique, crée la psychanalyse. Différents
courants se développent : la psychopathologie générale, la psychanalyse, la phénoménologie
d’Husserl, la psychologie biologique, les théories cognitivo-comportementales et les
approches socio-culturelles. [9]
24
Conclusion :
Dans l’ensemble de cet exposé, apparaît une continuité des différents courants de la pensée
médicale qui s’inscrivent, malgré leur complexité, dans une pensée homogène: ces différents
points de vue ne s’annulent pas, mais s’ajoutent les uns aux autres, et se complètent pour
aboutir à la complexité et la diversité de la médecine contemporaine. Les médecines modernes
sont multiples, et le médecin est amené à endosser tour à tour le rôle d’anatomiste, de
physiologiste ou de chamane, comme nous le montrerons par la suite au travers des
représentations cinématographiques de la relation médecin-malade.
Par ailleurs, au cours de l’évolution de la pensée médicale, nous assistons à l’émergence d’une
médecine des trois corps consacrée à l’étude des organes, de la physiologie et influencée par
des notions métaphysiques mettant en jeu l’âme et le corps. Ceci nous conduit à une réflexion
sur les notions de « corps objet », « corps imaginaire » et « corps symbolique » que nous
expliciterons par la suite. En effet le médecin ne peut restreindre sa relation de soins au seul
corps anatomique ou « corps objet », il se doit d’intégrer les dimensions particulières des
« corps imaginaires et symboliques » tels que le patient les livre dans son discours.
25
26
III.2. Les trois corps : une trinité « unitaire »
Il existe de multiples façons de définir les différentes dimensions du corps. Notre but est de
montrer le rapport du médecin au corps malade. Nous avons choisi d’illustrer cette relation en
nous appuyant arbitrairement sur une approche singulière. Nous avons considéré le corps
selon trois aspects, le corps en tant que « corps objet », « corps imaginaire » et « corps
symbolique », qui permettent de structurer notre propos. Dans cette partie, nous allons tenter
de définir et d’expliciter ce point de vue par les notions qui s’y rapportent. À cet effet, nous
utiliserons des exemples issus de notre pratique clinique, mais aussi des apports de la
psychiatrie, et d’illustrations artistiques. D’autres points de vue auraient eu leur pertinence,
mais nous avons souhaité explorer plus particulièrement cette approche.
De quels corps parlons-nous lorsque nous évoquons le « corps réel », le « corps imaginaire »
et le « corps symbolique » ?
III.2.1. Le « corps réel »
Le « corps objet » est le corps sujet de médecine, exploré dans sa structure en tant que corps
anatomique, voire de corps atomique. Il s’agit du corps autopsié, manipulé, observé, soumis à
l’expérimentation et analysé dans son fonctionnement par la physiologie : le médecin s’y
trouve chaque jour confronté et l’explore, le palpe, l’écoute au cours de son examen clinique
avec l’aide de ses instruments, notamment le stéthoscope hérité de Laennec. Comme nous
l’avons vu précédemment ce « corps objet » prend toute son importance, assez tardivement
dans l’histoire de la médecine à partir du XIXème siècle avec la création des premières
Universités ou écoles de médecine telles Padoue, Montpellier, ou Paris ; [2] elle se poursuivra
jusqu’à nos jours. Le médecin l’explore également grâce aux examens paracliniques qui
donnent accès à l’infiniment petit notamment par le biais de l’histologie, mais aussi par les
examens radiographiques qui le pénètrent au-delà de l’enveloppe charnelle. Ce « corps objet »
de science, morcelé par les différentes spécialités médicales, est étudié organe par organe, ce
qui renvoie au courant du solidisme de l’Antiquité évoqué précédemment.
Dans le domaine artistique, ce « corps objet » ou corps anatomique est représenté dans
l’Antiquité sous la forme de statues à la nudité fièrement dévoilée : les statues des grecs
27
Illustration 1: Statut de Phidias
Illustration 2: Plafond de la
chapelle Sixtine
Illustration 3: Planche anatomique
de Léonard de Vinci
Illustration 4: La leçon d'anatomie de
Rembrandt, 1632
28
Phidias (illustration 1) au Vème siècle avant JC et Praxitèle au IVème siècle avant JC donnent
à voir des corps nus, fidèles représentations de la plus simple des vérités anatomiques. Il s’agit
du corps nu, sans voile, auquel le médecin est confronté. Cependant le but premier de cette
statuaire est esthétique, elle expose un corps magnifié qui tend à un idéal symbolique de
perfection. À la Renaissance, de nombreux peintres, fortement inspirés par la tradition
antique, explorent le corps humain au-delà de son enveloppe charnelle pour nous livrer sa
vérité anatomique. Michel-Ange, au-delà de l’œuvre magnifique de la Chapelle Sixtine
(illustration 2), effectue par sa représentation des corps, un véritable travail d’anatomiste.
Léonard de Vinci réalise des planches anatomiques en collaboration avec l’anatomiste Della
Torre ( illustration 3) et dessine des muscles, des organes, comme le cœur et l’utérus. Quant à
Rembrandt, il peindra un peu plus tard « La leçon d’anatomie » (illustration 4), un tableau qui
met en scène le maître et ses élèves face à un cadavre. Les peintures religieuses (illustration
5), n’échappent pas à la tentation de cette représentation lorsqu’elles montrent le corps du
Christ sur la croix, soulignant la vérité anatomique du corps cadavre. Toutefois ce corps est
toujours partiellement recouvert, tel un corps sans sexe, échappant symboliquement à la
réalité humaine.
Par la suite, nous reviendrons sur la relation du médecin au « corps objet » à travers sa
représentation cinématographique. Le médecin, par sa fonction même, se doit d’explorer
soigneusement le corps anatomique au cours de son examen clinique et paraclinique, mais il
ne peut s’y limiter. Il se trouve confronté au cours de sa consultation aux autres dimensions
du corps malade ; le « corps imaginaire » et le « corps symbolique ».
Illustration 5: Le corps du Christ mort dans la tombe de Holbein, 1521
29
III.2.2. Le « corps imaginaire »
Nous entendons par « corps imaginaire » ce qui concerne l’inconscient accessible à la
psychanalyse et la psychiatrie. Il s’agit de la représentation qu’a le malade de sa maladie et de
son corps, et qu’il nous livre à travers son discours et son histoire. Nombreuses sont les
théories psychanalytiques sur la définition du « corps imaginaire ». Nous les évoquerons par
la suite.
Au cours de la consultation, les patients nous parlent de leur corps et de la façon dont ils
interprètent leurs maux. L’anorexique au corps décharné percevra une image spéculaire
déformée d’un corps obèse. A l’inverse, nous avons choisi d’illustrer cette notion à travers
une situation clinique impliquant une patiente obèse que nous avons rencontrée dans notre
pratique :
Au cœur d’une journée de consultations se présente une femme au visage triste, la
cinquantaine, vêtue d’une longue robe noire à la coupe ample et droite visant sans doute à
masquer son corps obèse. Cette femme, suivie régulièrement depuis quelques mois, apporte
consciencieusement toutes les trois semaines son carnet alimentaire. Malgré son désir
manifeste de maigrir, son corps semble résister. A l’écouter plus avant, elle nous révèle sa
façon singulière de se représenter son corps :
« Comment vous voyez vous lorsque vous vous regardez dans une glace ?
- Je n’ai pas de glace chez moi, docteur. Cela fait des années que je les ai toutes supprimées.
Mon seul miroir est mon miroir de poche qui me permet de me maquiller les yeux le matin. »
Cette femme ne se voit pas parce qu’elle ne se regarde pas. Elle n’a jamais une vision globale
de son corps, et se limite à une vision réduite à ses yeux. Tout se passe comme si elle avait
oublié son corps dont l’image globale reflétée par le miroir ne lui correspond plus. La patiente
en cessant de se confronter à la glace, finit par ne plus se représenter. Cet exemple souligne
l’importance de l’image spéculaire du corps à travers le miroir et à travers le regard de l’autre
dans la notion de « corps imaginaire ».
Dans la mythologie grecque, la figure de Narcisse est particulièrement emblématique. Fils du
dieu fleuve Céphise et de la nymphe Liriope, Narcisse, alors qu’il s’abreuve à une source, voit
son image dans l’eau et en tombe amoureux. [22] Il reste alors de nombreux jours à se
contempler dans l’eau et désespéré de ne pouvoir saisir sa propre image, il finit par dépérir et
par mourir. Narcisse voit dans le miroir un reflet si parfait qu’il ne se reconnaît pas et se
consume d’amour pour un objet inatteignable. Le « Narcissisme » est évoqué pour la première
30
fois par Sigmund Freud dans ses théories sur l’homosexualité en tant que pulsion sexuelle
concentrée sur le « moi » du sujet. [23, 24, 25] Ce mythe n’est pas aussi sans rappeler le
« stade du miroir » évoqué entre autres par Jacques Lacan, notion que nous développerons par
la suite. [26, 27]
L’image perçue par le patient à travers le miroir, déformée ou fidèle, haïe ou vénérée, nous
renvoie à sa vision imaginaire du corps et de ses pathologies.
Tout autant, le médecin a sa propre représentation imaginaire du corps du malade. Comme
nous l’avons évoqué dans notre première partie, les médecins entretiennent depuis l’Antiquité
un rapport imaginaire avec le corps humain : en témoignent notamment la théorie des
humeurs d’Hippocrate, reprise par Galien (131-201), et les idées de Platon (428-348) décrites
dans la Timée : « Chez les femmes, ce qu’on appelle matrice ou utérus est un animal qui vit
en elles avec le désir de faire des enfants. [3, 28] Lorsqu’il reste stérile après la période de la
puberté, il a peine à le supporter, il s’indigne, il erre par tout le corps, bloque les conduits de
l’haleine, empêche la respiration, cause une gêne extrême et occasionne des maladies de
toutes sortes… ». C’est de ce mal utérin que s’origine sémantiquement le mot « hystérie ». [3]
31
Illustration 10: Crépuscule à
Venise de Claude Monet, 1908
Illustration 9: Autoportrait de
Lucian Freud, 1985
Illustration 11: Nature morte
avec coupe de fruits et
mandoline de Juan Gris,
1919
Illustration 13: Nu descendant
l'escalier de Marcel Duchamp,
1913
Illustration 12: Personnages sur la
plage de Pablo Picasso, 1931
32
Dans
le
domaine
artistique,
l’autoportrait
est
particulièrement emblématique de la notion de « corps
imaginaire ». Chaque peintre se représente comme il
s’imagine : Rembrandt (1606-1669) fait preuve d’une
certaine objectivité (illustration 6) tandis que Gustave
Courbet (1819-1877) montre une certaine autosuffisance
(illustration 7). Egon Schiele (1889-1918) se peint sous la
forme d’un corps décharné (illustration 8), de même que
Illustration 6: Autoportrait de
Rembrandt, 1665
Lucian Freud né en 1922, petit fils de Sigmund Freud,
qui se représente sous la forme d’un vieillard (illustration
9). A partir du XXème siècle, les peintres nous proposent
une réalité déformée avec l’Impressionnisme (illustration
10), le Cubisme (illustration 11) et les figures colossales
de Picasso
(illustration 12).
Le
« Nu descendant
l’escalier » de Marcel Duchamp qui provoqua l’hilarité et
le scandale lors de son exposition de l’Armory Show à
New York en 1913 (illustration 13), révèle un corps nu
Illustration 7: Autoportrait au
sous la forme d’une figuration en mouvements. En rupture chien noir de Gustave Courbet,
avec le code du nu classique, le corps ne pose pas, il 1842
déambule. Ainsi le corps anatomique ne peut être vu ; il est esquissé par une représentation du
mouvement au travers de quelques vingt différentes positions
statiques qui suggèrent l’acte successif de la descente. « J’ai voulu
créer une image statique du mouvement […]. Peint comme il l’est
en sévères couleurs bois, le nu anatomique n’existe pas, ou du
moins ne peut être vu, car je renonçais complètement à
l’apparence naturaliste d’un nu… », explique le peintre lors d’un
documentaire télévisé sur cette période de 1911-1912. [68] Cette
œuvre souligne les tendances futuristes de Duchamp vers la
photodynamique en rupture avec la conception figée de la
représentation du corps.
Illustration 8:
Autoportrait au gilet d'
Egon Schiele, 1911
33
Elle rappelle la photographie du coureur par Georges Demeny et Etienne-Jules Marey,
physiologiste français (1830-1904), qui étudièrent le mouvement de la course en juxtaposant
les images du corps dans les différentes phases du mouvement (illustration 14). Cette
rencontre entre la science et l’art annonce le cinéma, art du mouvement par essence.
La transition du « corps imaginaire » au « corps symbolique » est illustrée dans la chrétienté.
De la notion que « Dieu a fait l’homme à son image » découle la notion de « corps
symbolique » et de filiation. Le corps de l’homme est à l’image de son père et créateur.
Illustration 14: Le coureur de George Demeny et Étienne-Jules
Marey, 1890-1900
III.2.3. Le « corps symbolique »
Par « corps symbolique » nous entendons la représentation du lien qui existe entre un sujet et
tout ce qui n’est pas son corps, à savoir le social, le culturel, le politique et le sublime qu’il
soit mystique ou pas. C’est le corps sujet d’étude de l’anthropologie.
Dans la pratique clinique, le médecin se trouve confronté quotidiennement à la lecture de la
dimension symbolique du corps. Pour exemple cette consultation qui met en scène une femme
d’une quarantaine d’années d’origine antillaise.
Madame M. consulte car elle souhaite perdre du poids et s’inquiète de l’influence de son
obsession sur ses enfants.
Au fil de l’interrogatoire, elle relate ses multiples tentatives d’amaigrissement depuis
l’adolescence qui se sont inexorablement soldées par des échecs. Son obésité date de
l’adolescence lorsqu’elle vivait aux Antilles dans sa famille. Les questionnements sur sa
famille la poussent à confier la violence physique qu’exerçait son père sur sa femme et ses
enfants. Concernant ses rapports avec ses parents, elle affirme tristement :
34
« Ma mère ne m’a jamais aimée. Elle me regardait avec dégoût. Je lisais dans son regard
que je lui rappelais mon père. Prendre du poids m’a permis d’effacer cette ressemblance, je
ne l’avais jamais réalisé. »
S’ensuit une courte pause. Puis la consultation se poursuit après avoir convenu d’un autre
rendez vous, et la patiente prend congé. Nous ne la reverrons pas.
Cette consultation est emblématique de la notion de corps, symbole de filiation. La patiente
cherche inconsciemment à le transformer afin d’effacer ce lien avec un père haï. Elle
interprète également l’image que lui renvoie le regard de sa mère : l’autre devient donc miroir.
Une autre version que celle relatée précédemment du mythe de Narcisse renvoie également à
la notion de corps symbole : selon Nonnos de Panopolis, poète grec du Vème siècle de l’ère
chrétienne, Narcisse aurait une sœur jumelle dont il est très épris. Lorsque celle-ci meurt, il
prend l’habitude de se rendre près d’une source où, en se contemplant, il retrouve l’image de
sa sœur. [29] C’est bien d’un autre corps dont il est question bien qu’il s’agisse de rencontrer
au travers de cet autre corps son propre reflet.
Dans la première partie de ce travail consacrée à l’histoire de la médecine, on constate la
préoccupation majeure de la médecine pour la dimension symbolique du corps malade. En
témoignent les pratiques chamaniques où le chaman livre, à l’intérieur du corps du patient, un
combat avec les forces de la nature responsables des maux du possédé et donne ainsi un sens à
sa maladie. [69] La symbolisation par le mot, le rite, la prière ou le geste permet une
humanisation du trouble. La maladie apporte aussi une reconnaissance sociale. Au Moyen
Age, avec la mainmise de l’Eglise sur la médecine, les maladies sont interprétées comme
l’expiation d’une faute. [4] Le corps exprime une culpabilité originelle.
Ceci n’est pas sans rappeler les premières approches sociales relatives au début de l’épidémie
du S.I.D.A. lorsqu’il semblait ne toucher que les homosexuels et les toxicomanes. La
stigmatisation pour faute contre la morale s’était déjà exprimée à propos de la syphilis comme
expression d’une sexualité adultérine ou libertine dans les siècles précédents.
Plus récemment la psychosomatique, loin des superstitions religieuses, tend à donner un sens
aux maladies en considérant le symptôme comme un langage : le « corps objet » se trouve en
effet débordé en permanence par le « corps imaginaire » et le « corps symbolique ». [30, 31]
Certaines maladies auraient une causalité psychique. Le malade à travers son discours
exprime la représentation qu’il a de sa maladie et le sens qu’il lui donne dans son histoire. Le
langage permet au patient d’enrichir par sa propre connaissance, parfois insue à lui-même,
35
Illustration 15: Statuette
préhistorique
Illustration 17:
L'assomption de la
Vierge du Titien, 1518
Illustration 16: Homme qui
marche d'Alberto Giacometti, 1947
Illustration 18: L'inquiétude du poète
de Giorgio de Chirico, 1913
36
une approche médicale centrée uniquement sur le « corps objet ». Nous développerons par la
suite ces notions.
Dans le domaine artistique, les statuettes préhistoriques (illustration 15) représentant des
femmes callipyges aux courbes et formes épanouies, symboles de fécondité, illustrent bien
cette notion de « corps symbolique » : l’exposition de l’excès échappe à la volonté de
représenter le réel pour donner à l’œuvre une dimension qui dépasse le corps anatomique au
bénéfice du symbole. L’inverse peut-être vrai, l’extrême maigreur des personnages de
Giacometti (illustration 16) nous invite à une vision qui n’est pas celle de la réalité du corps.
Dans les peintures religieuses du Moyen Âge en Occident (illustration 17), l’âme au cours de
l’Assomption de la Vierge Marie est représentée par un corps qui s’élève, tandis que l’Eglise
d’Orient célébrait seulement « la Dormition », c’est-à-dire le sommeil de la Vierge et
l’élévation de la seule âme au ciel. Au XXème siècle, les peintres surréalistes utilisent les
symboles dans leur peinture : ainsi Giorgio de Chirico (1888 à 1978) exprime dans ses œuvres
un réalisme onirique fondé sur un illusionnisme figé peuplé de mannequins inquiétants, reflets
de l’Inconscient. « L’Inquiétude du poète » datant de 1913 (illustration 18) semble exprimer la
nostalgie d’un rendez-vous manqué en juxtaposant différents symboles : une représentation du
corps féminin par l’intermédiaire d’une statue, un régime de bananes et d’arcades, symboles
érotiques, opposés à un train en partance.
C’est ainsi que le « corps symbolique » représente un lien social et culturel, étudié par les
anthropologues. David Le Breton dans son texte intitulé « De l’efficacité symbolique », article
faisant référence à un célèbre texte de Claude Lévi-Strauss intitulé « L’efficacité
symbolique » (1949) où il est question de chamanisme, définit le corps symbolique comme un
corps culturel dont les limites et les définitions varient en fonction des cultures : « Le corps
n’échappe pas à la règle du jeu qui fait de toute chose un effet de la prégnance sociale et
culturelle à l’intérieur de limites infiniment variables ». [32, 33, 69] On parle du corps
anatomophysiologique individuel pour la médecine occidentale, du corps réseau d’énergies
pour la médecine chinoise, du corps diffus dans le groupe avant tout membre d’une
communauté pour les médecines traditionnelles. Ces différents points de vue expliquent la
diversité des médecines qui reflètent les nombreuses perspectives quant aux réalités du corps.
Chaque médecine s’adresse à un corps différent. Le patient doit adhérer au point de vue de la
médecine qu’il a choisie pour en espérer un effet positif. Selon sa vision du corps, chaque
médecine apporte un sens différent à la souffrance. Ainsi, David Le Breton nous donne dans
son texte l’exemple des souffrances de l’accouchement chez les Indiens Cuna à Panama.
Lorsque des difficultés apparaissent au cours d’un accouchement, le groupe vient requérir
37
l’aide du chaman. Les complications sont attribuées au fait que Muu, la puissance responsable
de la création du fœtus, s’est écartée de sa tâche principale et s’est emparée de la Purba, c’està-dire l’âme de la parturiente. Le chaman se livre à une lutte farouche contre Muu pour
rechercher la Purba et la restituer à la patiente, rendant alors l’accouchement possible. Selon
un consensus adopté par ce groupe social, le chaman donne une forme et un sens symbolique
à la souffrance, il s’agit de l’ « efficacité symbolique ».
Si l’on admet que le corps social est une des dimensions du « corps symbolique », alors il est
intéressant d’en appréhender la dimension politique. Le corps sujet de médecine est un enjeu
politique : en témoignent les « Plan cancer » de Jacques Chirac, plus récemment le « Plan
Alzheimer », et l’amendement Mariani, qui propose des tests ADN pour les candidats au
regroupement familial et réduit le lien familial à une notion purement génétique.
Les notions de « corps objet », « corps imaginaire » et « corps symbolique » sont inspirées du
domaine de la psychiatrie et de la psychanalyse. Nous allons montrer l’émergence de ces
concepts à travers l’évolution de la psychiatrie.
III.2.4. Les trois corps appréhendés par les
psychiatres au cours de l’histoire
Si l’on aborde le point de vue des psychiatres et des psychanalystes pour nous éclairer sur la
définition des trois corps, on s’aperçoit que la psychiatrie appréhende l’individu dans une
approche globale. Les trois corps cohabitent dans la pensée psychiatrique, intimement mêlés.
La distinction entre les trois dimensions du corps y est beaucoup plus difficile à faire, à la
différence de la médecine où le « corps objet » prédomine. Nous allons le montrer en
reprenant de façon synthétique l’évolution de la relation de la psychiatrie au corps des
patients, orientée par le contexte historique, au travers de quelques figures marquantes de la
psychiatrie et de la psychanalyse. Nous exposerons certaines théories psychanalytiques sur le
corps de façon simplifiée dans un souci didactique afin d’expliciter notre propos.
C’est Philippe Pinel (1745-1826) qui illustre le premier tournant de la psychiatrie quant à son
rapport au corps des patients. [34, 67] Jusqu’alors considérés comme des créatures possédées,
plus ou moins dangereuses, les aliénés étaient attachés avec des chaînes. Pinel fera supprimer
les fers des malades mentaux alors qu’il est médecin-chef à l’hôpital de Bicêtre. Au-delà d’un
38
acte d’humanité, c’est aussi la reconnaissance du patient dans sa dimension d’être souffrant.
Cette reconnaissance des aliénés en qualité de malades, et de ce fait de sujets, est
vraisemblablement en relation avec le courant révolutionnaire et la déclaration des droits de
l’homme et du citoyen. Tout être humain mérite des égards. Le contexte historique a modifié
le regard des soignants sur les malades mentaux, permettant une rupture par rapport à des
pratiques telles que l’exorcisme. Pinel est à l’origine de la première classification des
maladies mentales, œuvre qui intéressera nombre de générations de médecins. Philippe Pinel
est un proche d’Anne-Catherine Helvétius, femme du philosophe Helvétius qui s’opposa à
Rousseau sur ses approches de l’éducation des enfants. Ce nouveau regard sur l’enfant, dans
le contexte des Lumières, témoigne aussi de la même vision de l’être humain comme singulier
dans ses droits à la protection de la société qui l’héberge.
C’est à Johann Christian August Heinroth, médecin psychiatre allemand (1773-1843) que l’on
doit un regard très singulier sur le patient puisqu’il réunit pour la première fois la psyché et le
soma pour se risquer à proposer la notion de psychosomatique, sans toutefois la nommer, où
se fait la réunion du « corps objet », support de la lésion, et des « corps imaginaires et
symboliques ». [34, 67] De façon implicite, sans le conceptualiser, le philosophe Antiphon
d’Athènes (- 480 à Ŕ 410) tient une consultation dans un temple près de l’agora de Corinthe où
il soulage par le verbe les souffrances des patients. [35] Ce premier cabinet de psychothérapie
a-t-il inspiré au XVIIème siècle Marin Cureau de la Chambre (1594-1669), médecin du
chancelier Siguier, puis de Mazarin qui, à l’image d’Antiphon le sophiste, assurait à son
illustre patient des soins par la parole, le rendant précurseur de la psychothérapie ? [3, 20] Du
philosophe grec jusqu’à Heinroth en passant par Cureau de la Chambre, autant de tentatives
d’appréhender, dans une démarche thérapeutique, le corps
souffrant des malades au travers de ses trois dimensions.
A la suite de Pinel, son élève Etienne-Jean Georget (17951828) affinera la classification de son maître. Ce psychiatre,
médecin-chef à la Salpêtrière commandera au peintre
Théodore Géricault une série de tableaux représentants des
aliénés (illustration 19). La représentation picturale est
saisissante, en particulier sur les expressions des regards.
Les tableaux, au delà de leur valeur illustrative pour les
Illustration 19: Le monomane ou
étudiants de Georget, contribuent à saisir une représentation
Le fou aliéné de Théodore
de la folie empreinte sur le corps du sujet malade. Ainsi la
Géricault, 1822
39
peinture vient au secours de la nosographie pour mieux circonscrire la maladie dans le visage
halluciné du malade : elle offre une représentation imaginaire de la maladie mentale.
La monomane du jeu de Théodore Géricault
La monomane de l'envie ou
La hyène de la Salpêtrière de
Théodore Géricault, 1821
Jean-Martin Charcot (1825-1893) peut-être considéré avec Guillaume Duchenne de Boulogne
(1806-1875) comme le fondateur de la neurologie moderne. [34, 67] Ses travaux sur l’hystérie
ont replacé le sujet au centre de son approche de la psychopathologie. S’il ne nous échappe
pas que ses présentations cliniques procèdent de l’exposition du corps objet de science, il
convient de souligner la rupture qu’il opère en considérant l’hystérie comme une
psychopathologie et non comme une forme théâtrale de simulation. Il prend en compte le
malade dans sa globalité physique, imaginaire et mentale, et s’appuie sur l’histoire du sujet.
De nombreux psychiatres et neurologues viendront enrichir la nosologie de leurs disciplines
de la fin du XIXème siècle à nos jours. C’est au milieu du XXème siecle qu’un courant
radical quant à la vision du malade mental, se fait jour. Le patient malade psychiatrique n’est
que le résultat des contraintes sociales ou familiales sur les plus faibles des individus qui
composent le groupe. Le courant antipsychiatrique fondera son approche du malade mental
sur une critique politique. La folie n’est que la manifestation dédiée à un être de la famille qui
en serait l’émissaire, les autres se tirant à moindre dommage des pressions extérieures, le
malade est en quelque sorte le symptôme de sa famille, telle se résumerait la théorie défendue
par les anglais Cooper et Laing. [36, 37] En Italie, Franco Basaglia voit dans le malade le
40
résultat de l’oppression sociale à laquelle le sujet malade ne peut répondre qu’en se
démarquant des modèles culturels et sociaux. La maladie mentale témoignerait de la maladie
sociale et la folie en serait une réponse pour y échapper. Les sujets les plus fragiles, les plus
démunis, les moins « adaptés » aux violences de la société développent des maladies
mentales. Que ce soit chez David Cooper et Ronald Laing ou Franco Basaglia, l’être souffrant
est en relation permanente avec un environnement qui l’opprime : de cette relation le « corps
symbolique » prend toute sa place pour peu que l’on veuille voir la résonance qui se fait entre
le corps de l’être souffrant et le corps social. Pour les anti-psychiatres, il existerait un
continuum entre la norme et le pathologique, sans rupture entre deux mondes.
Le XXème siècle verra l’apport déterminant de la psychanalyse quant à la question du corps
tridimensionnel. On ne retiendra que la référence au « corps imaginaire » comme étape
constitutive du sujet au travers du stade du miroir. Le psychologue et neuropsychiatre Henri
Wallon (1879-1962) est le premier a ébaucher la notion de stade du miroir comme l’un des
stades constitutifs de l’appropriation par l’enfant de son identité. [38] Le processus, qui se
produit lors du stade émotionnel de Wallon de six à douze mois, comprend quatre grandes
étapes décrites par René Zazzo, l’un de ses élèves : l’enfant reconnaît tout d’abord l’image de
l’autre, puis il prend son image pour celle d’un autre enfant et semble jouer avec. S’ensuit un
malaise éprouvé par l’enfant face à son reflet dont il se détourne obstinément. Enfin, l’enfant
vient à s’identifier à sa propre image. Il se sert de l’image extériorisée du miroir pour unifier
son corps. On doit à J. Lacan (1901-1981) le développement plus avant de ce concept qui
permet de cerner le moment où un enfant construit son identité au travers de sa propre image
reconnue comme lui-même dans un miroir. [26, 27] Dans une communication faite au
XVIème Congrès international de la psychanalyse, à Zurich, le 17 juillet 1949, J. Lacan parle
de « stade du miroir comme formateur de la fonction du « Je » telle qu’elle nous est révélée
dans l’expérience psychanalytique ». Ainsi, pour J. Lacan, ce stade est formateur de la
fonction sujet, le « je », de l’enfant âgé entre six et dix huit mois. Cette fonction ne peut se
mettre en place que par la présence de l’autre. En effet, pourquoi dire « je » s’il n’y a personne
à qui l’opposer ? Le sujet est donc social, il a besoin de l’autre pour se constituer. A un stade
où l’enfant a déjà fait sur le mode angoissant l’expérience de l’absence de sa mère, le stade du
miroir manifesterait la prise de conscience rassurante de l’unité corporelle. Selon J. Lacan,
l’enfant jubile en contemplant l’image de son unité, à un moment où il ne maîtrise pas
physiologiquement cette unité. Ce vécu du morcellement corporel et le décalage que provoque
cette image spéculaire entière, permettent l’identification de l’enfant à sa propre image,
41
identification qui n’est qu’une anticipation imaginaire aliénante. D’autres psychanalystes
comme Françoise Dolto (1908-1988) ont fait part de leur approche personnelle autour du
concept du stade du miroir. [39, 40, 41] Alors que pour J. Lacan le miroir est une surface
plane réfléchissante, pour F. Dolto, il est une surface réfléchissante de toute forme sensible,
visible comme psychique : le miroir n’est pas seulement l’image scopique, il peut aussi bien
être la voix ou toute forme sensible. Pour F. Dolto, le sujet pré-spéculaire existe dès la
conception. Elle parle de cohésion du corps autour des références olfactives et viscérales
qu’elle appelle « narcissisme primordial ». Le stade du miroir est donc certes un structurant
symbolique, réel et imaginaire mais il est surtout l’inscription définitive du sujet dans son
corps biologique, une fin et non un début. L’opposition n’est plus dans un face à face mais
plutôt entre deux images différentes. Enfin, concernant la réaction de l’enfant face à son
image, contrairement à Lacan qui affirme que l’enfant jubile, Françoise Dolto considère que
l’enfant souffre de cette castration symboligène, passant de l’image inconsciente du corps à
l’assujettissement de celle-ci à l’image réfléchie. Elle nous dit dans « L’image inconsciente du
corps » p.151: « C’est l’expérience du miroir seulement qui donne à l’enfant le choc de saisir
que son image du corps ne suffisait pas à répondre pour les autres de son être connu d’eux.
Qu’elle n’est donc pas totale. Ce qui ne veut pas dire que l’image scopique réponde de lui.
Cette blessure irrémédiable de l’expérience symbolique, on peut l’appeler le trou symbolique
dont découle, pour nous tous, l’inadaptation de l’image du corps et du schéma corporel dont
nombre de symptômes viseront à réparer l’irréparable dommage narcissique. » Il ne se réduit
pas seulement à cette image que lui renvoie le miroir et devant laquelle s’extasie sa mère.
Le « stade du miroir » est donc un processus essentiel pour distinguer l’extérieur et l’intérieur
(le moi intéroceptif et extérieur) et différencier le Moi et l’Autre, la relation affective que
l’enfant entretient avec les autres de symbiotique (relatif à un soutien mutuel) devient
anaclitique (conscience de ce soutien). L’enfant découvre également que l’Autre dans la glace
n’est qu’une image et non un être réel : il passe du réel à l’imaginaire.
C’est sûrement du côté des psychanalystes qui s’intéressent à la psychosomatique qu’il y a le
plus matière à trouver une réflexion autour du corps du malade dans toutes ses dimensions.
[30, 31, 42] Sandor Ferenczi (1873-1933), neuropsychiatre, avance une interprétation
originale de l’épilepsie comme maladie imputable à la souffrance de la mère au moment de la
naissance : l’épilepsie se développerait chez l’enfant dont la mère aurait frôlé la mort au
moment de l’accouchement. [42] L’épilepsie chez le patient serait l’expression du danger de
mort de sa propre mère, créant un lien entre ces deux êtres. La crise d’épilepsie correspondrait
42
à une tentative de suicide par blocage respiratoire. Georg Groddeck (1886-1934), auteur du
« livre du ça » publié en 1921, pour sa part affirme que toute maladie est psychosomatique;
[43] ainsi, la réflexion autour de la relation du sujet à son corps malade met en scène la lésion
du corps propre, l’imaginaire qu’elle mobilise, et la dimension symbolique qui renvoie à
l’histoire du sujet et de sa famille. Il écrit à S. Freud en mai 1917 qu’il a « la ferme conviction
que la distinction entre l’esprit et le corps n’était qu’un mot, et non une distinction essentielle,
que l’esprit et le corps sont une entité qui héberge un çà, une puissance par laquelle nous
sommes vécus alors que nous pensons vivre […]. Je soutiens que l’homme est animé par
l’Inconnu, une force merveilleuse qui dirige à la fois ce qu’il fait et ce qu’il advient. ». Pour
G. Groddeck, il n’y a pas de différence de nature entre les pathologies psychiques et
organiques, rompant avec la vision d’un homme partagé entre soma et psyché. Toute maladie
devient l’expression du « corps symbolique ». G. Groddeck apporte une vision unitaire,
globale de l’individu, proche du surhomme de Friedrich Nietzsche. J. Lacan, quant à lui, nous
dit en réponse à une question sur la psychosomatique en 1975 : « Il est certain que c’est dans
le domaine le plus encore inexploré. Enfin c’est tout de même de l’ordre de l’écrit. Dans
beaucoup de cas, nous ne savons pas le lire. Il faudrait dire ici quelque chose qui introduirait
la notion d’écrit. Tout se passe comme si quelque chose était écrit dans le corps, quelque
chose qui est donné comme une énigme. […] Oui le corps considéré comme un cartouche,
comme livrant le nom propre ». Ainsi, le psychanalyste se doit d’écouter ou de lire le corps et
son symptôme. C’est au psychanalyste Jean Guir que l’on doit les avancées les plus novatrices
et actuelles en matière de psychosomatique. [44] Il situe le phénomène psychosomatique Ŕ il
ne parle pas de maladie psychosomatique, et encore moins de malade psychosomatique Ŕ dans
un effet de « cristallisations » de signifiants présents dans l’inconscient du malade, tels que
des signifiants de date, de nom propre ou de lésion. C’est par le langage que le sujet exprime
son symptôme, qui, s’il est signe, peut être sens. L’expression libre de la part du patient, les
liens qu’il fait entre sa pathologie et sa vie contribuent à remodeler un sens à sa maladie. C’est
un « corps qui parle d’un mal de quelque chose » selon F. Moreau. [45] Un trouble de la
relation au père serait sous-jacent : la lésion aurait fonction d’un « appel au père » ; ainsi il se
met en place une jouissance paradoxale mortifère autour du phénomène psychosomatique. La
maladie permet de jouir du corps de l’autre et de se l’approprier symboliquement par un lien
imaginaire. Pour exemple la fille d’un homme décédé d’un AVC, rencontrée au cours de
consultations, développera à huit ans - l’année du décès de son père - une migraine qui ne
cesse de s’aggraver avec le temps la liant toujours plus intimement avec son père disparu. Si
nous écoutons J. Guir : « L’inscription psychosomatique dans le corps du patient retrace donc
43
en définitive l’histoire du corps d’un autre. […] Le sujet se fait représentant organique d’une
histoire des corps de sa lignée, en écho à l’inscription aberrante des signifiants de sa filiation.
L’organe atteint fonctionne comme un organe volé à un autre et tente de jouir comme s’il
appartenait à cet autre. […] Le sujet atteint d’un trouble psychosomatique fonctionne donc
avec un morceau du corps d’un autre ». J. Guir, médecin, formé à l’Institut Pasteur, défend
une « psychosomatique lacanienne » fondée sur la théorie du signifiant et son écriture dans le
corps. Concernant les « phénomènes psychosomatiques », il relève une prévalence particulière
du patronyme du patient, des dates qui jalonnent son histoire ou celle de sa famille, des
holophrases, véritables mot phrases que l’on retrouve dans l’ombilic des rêves, qui peuvent
apparaître au cours de la cure. Là, plus que jamais, le corps du malade est sollicité au travers
de sa dimension pathologique, mais tout autant dans ses dimensions imaginaires et
symboliques.
Ainsi, les psychiatres conçoivent le corps comme un « corps parlant » et donnent au langage
un rôle essentiel. Le corps n’est pas morcelé comme dans la médecine, il est appréhendé dans
sa totalité.
Conclusion :
J’ai choisi de réaliser une lecture de la relation médecin-malade en analysant le rapport du
médecin aux trois dimensions réelle, imaginaire et symbolique du corps malade. Cette
approche de la corporéité s’inspire de concepts psychanalytiques extrêmement complexes.
L’objet de mon travail n’était pas de les expliciter mais d’en rechercher la pertinence pour un
usage des médecins dans leur pratique quotidienne. Le médecin généraliste, par son approche
globale, occupe une place privilégiée dans la prise en compte des trois dimensions du corps :
le « corps objet » par l’intermédiaire d’un examen clinique attentif, le « corps imaginaire » et
le « corps symbolique » au travers du discours du patient, de son histoire et de la connaissance
de son environnement. L’accompagnement thérapeutique, inscrit dans la durée, laisse au
médecin et au patient, pour le premier le temps de ne pas réduire sa pratique au seul corps de
la science, pour le second la possibilité de ne pas se soumettre à une approche morcelée de
son corps souffrant.
44
III.3. Représentation cinématographique du
rapport au corps dans la relation médecinmalade
Pour la lecture cinématographique de la relation médecin malade, nous adoptons une approche
centrée sur la relation du médecin aux trois corps de son patient. Il nous est possible dans un
choix arbitraire de l'illustrer pour chacun de ces corps.
III.3.1. La représentation de la relation du
médecin au « corps objet »
Nous parlons du « corps objet » en tant que corps objet de la science, c'est-à-dire le corps
anatomique, le corps organe, le corps des fonctions physiologiques, le corps déchiffré par
l'imagerie médicale. Ce corps est manipulé, touché, examiné, disséqué, exploré, ce corps qui
serait le corps cadavre, la vie en plus.
III.3.1.1. Le corps examiné
L'examen clinique est un des temps essentiels au cours de la consultation. L'attention du
médecin est centrée sur l'individu ou plutôt sur son corps anatomique, soumis à un examen
minutieux, tel un objet. Plusieurs scènes dans « Journal intime » [46] soulignent cette
approche.
45
Journal intime:
Film italien, 1993
Metteur en scène : Nanni Moretti
Genre : comédie
Interprètes: Nanni Moretti, Renato Carpentieri, Antonio Neiwiller
Résumé: Nanni Moretti (N.M.) joue son propre rôle, celui d'un quadragénaire solitaire qui
nous livre sa vision critique de la société italienne contemporaine. Dans une première partie, il
flâne en Vespa dans les rues de Rome en période estivale, interpellant à sa guise les habitants
des quartiers visités. Puis il accompagne un ami dans un voyage initiatique à travers plusieurs
grandes îles italiennes, dans une quête du lieu idéal où travailler dans le calme et la sérénité.
Enfin, il narre le parcours médical cauchemardesque qu'il a réellement réalisé avant qu'on lui
diagnostique enfin un lymphome. Le scénario utilisé dans ce chapitre est rythmé par les
innombrables ordonnances faites par chaque médecin rencontré vainement.
Premier plan: Nanni Moretti est assis à une table dans une épicerie et feuillette un paquet
d'ordonnances: « Cher journal, j'ai conservé toutes les ordonnances que j'ai accumulées au
cours d'une année [...]. Donc rien de ce chapitre n'a été inventé [...]. »
46
Scène 1: Nanni Moretti est couché dans une chambre aux murs blancs. Vêtu d'un pyjama et
d'une robe de chambre négligemment nouée, il semble épuisé. Il s'agit de sa dernière scéance
de chimiothérapie, des soignants en tenue civile, probablement des infirmiers à domicile, le
manipulent silencieusement pour lui poser un casque réfrigérant.
Scène 2: N.M. se rend dans un institut dermatologique réputé de Rome où les malades font la
queue très tôt le matin et patientent munis d'un ticket.
Scène 3: Dans une salle d'examen, N.M. est examiné par un médecin trentenaire, à l'allure
sévère et distante, accentuée par ses lunettes. Ils sont séparés par un bureau, le médecin
s'adresse au patient sans le regarder:
47
« Moretti Giovanni né à Brunico le 19/08/1935, habitant Rome.
- ...
Le dermatologue se tournant vers son interlocuteur:
- On vous a déjà soigné pour cette maladie?
- Non
- De quoi souffrez-vous?
- D'un prurit extrêmement fort.
- Il y a longtemps?
- Depuis déjà des semaines, presque un mois.
- Où çà?
- Aux pieds et aux bras...
- Quand est-ce que vous en souffrez le plus?
- C'est la nuit, le plus souvent c'est la nuit. »
Dans le plan suivant, N.M. est étendu en caleçon sur une table d'examen, le médecin procède
à l'examen clinique, scrutant la peau du malade avec une lampe et manipulant son corps
comme un pantin. Il poursuit également son interrogatoire sans jamais le regarder.
« La peau est un peu sèche, voyons plus bas.
N.M. comprend qu'il lui faut baisser son caleçon.
- Tenez-le » lui enjoint le dermatologue en lui parlant de son sexe.
[...] Il recherche sans expliquer au patient un dermographisme cutané en traçant de grandes
lignes sur son torse.
- Oui, il y a des altérations.
48
Il lui soulève les jambes comme un pantin et examine scrupuleusement leur face postérieure.
- Vous avez eu une hépatite. D'autres maladies graves à signaler?
-Non »
[...]
Le médecin se lave les mains soigneusement et fait signe au patient de se rhabiller.
Tous deux se réinstallent de part et d'autre du bureau et le dermatologue rédige son
ordonnance.
« Alors écoutez je vous donne nystamène en comprimé avant le dîner, flantadine un
comprimé tous les matins à jeun pendant une semaine et 1/2 comprimé tous les matins la
semaine d'après... »
Le patient écoute consciencieusement.
Le dernier plan englobe l'ordonnance.
Scène 4: Suite à l'échec du premier traitement, N.M. consulte à nouveau à l'institut
dermatologique. Cette fois, N.M. est examiné par un médecin d'une quarantaine d'années à la
calvitie débutante.
[...]
« Il y a un dermographisme des plus évidents, signe je crois d'une allergie alimentaire. [...]
Nous pouvons aussi nous trouver devant un problème nerveux, d'un stress; c'est la vie que
nous menons, que vous menez, Monsieur Moretti. [...]
- Je vous donne Fristamine un comprimé par jour pendant un mois [...]. »
La scène se termine par un plan sur une nouvelle ordonnance.
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Scène 5: N.M. consulte l'assistant d'un célèbre dermatologue romain qui lui rédige une
nouvelle ordonnance:
« [...] Je vous donne autre chose: Ampho 3 pour la douche et après la douche Hydroskin... »
Cette fois-ci le patient quitte le cabinet sans même prendre l'ordonnance.
Scène 6: N.M. se rend en allergologie à l'institut dermatologique où un technicien effectue des
tests épicutanés à raison de trente piqûres dans le dos par jour pendant une semaine. Les
analyses révèlent une liste interminable d’allergies alimentaires, interdisant à peu près toute
nourriture...
Scène 7: Le réalisateur obtient enfin, grâce à ses relations, un rendez-vous avec le « prince des
dermatologues ». La grande bibliothèque remplie de livres, les meubles en bois précieux et
enfin le Professeur habillé en civil donnent un caractère chaleureux à la pièce. Cependant le
célèbre dermatologue fournit une ordonnance encore plus complexe que les précédentes,
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mêlant différents médicaments et de nombreuses crèmes avec des recommandations
d'utilisation détaillées.
Scène 8: Après ces nombreux échecs, N.M. décide de consulter un autre dermatologue moins
connu que le « prince des dermatologues » mais qui lui a été chaudement recommandé.
En voix off: « Tu vas chez le médecin parce que tu vas mal et en fin de compte tu payes pour
t'entendre dire :
- Moi je vous trouve défaitiste et d'après moi, c'est plus un facteur psychologique, ça dépend
de vous : par exemple, là, pour quelle raison vous grattez vous?
- Eh, le prurit!
- Entre nous, il n'y a pas d'urgence et pourtant vous vous grattez! Bon bref.
Le médecin rédige une nouvelle ordonnance.
- Bon, des médicaments je vous en ai donnés mais souvenez-vous d'une chose : tout dépend
de vous! »
Scène 9: Déçu par la médecine occidentale universitaire, le réalisateur se tourne vers la
réflexologie. Le voici massé voluptueusement par une femme d'une quarantaine d'années à
l'air inspiré qui lui affirme avec assurance:
« Il faut absolument éviter les aliments rouges [...]. Vous vous êtes blessé au gros orteil cette
nuit? Le gros orteil, c'est la tête, vous avez voulu vous faire mal à la tête cette nuit et ça se
voit. »
51
Scène 10: N. M. s'en remet à la médecine chinoise. Le premier plan montre le patient assis
entre deux médecins d'origine chinoise, chacun tient un de ses bras et lui ausculte avec
attention le pouls en silence. Ils échangent ensuite leurs observations en chinois. Puis ils
l'interrogent avec l'aide d'un traducteur:
« Vous vous exposez au vent?
- Non, je prends souvent ma Vespa, mais...
Le traducteur l'interrompant:
- Dans la médecine traditionnelle chinoise, le prurit correspond à la présence de vent dans le
sang. »
S'ensuit une séance d'acupuncture.
Par la suite, le Docteur Yang s'aperçoit que le patient tousse beaucoup et lui prescrit une
radiographie de thorax. L'examen révèle l'existence d'une masse autour du poumon. N.M.
bénéficie d'un scanner thoracique dans une clinique. Son corps est manipulé comme un objet.
Il progresse peu à peu dans l'appareil alors qu'une voix neutre lui répète : « Ne bougez plus, ne
respirez plus ! »
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Le radiologue de la clinique annonce abruptement aux amis de N.M. qu'il est atteint selon lui
d'un sarcome pulmonaire et affirme sans ménagement que son état est incompatible avec toute
forme de traitement. N.M. subit une opération, le chirurgien s'exclame lors de l'examen
extemporané de la pièce opératoire :
« Je parie une de mes roupettes qu'on est en présence d'un lymphome hodgkinien, les deux,
non mais une, oui. »
Le réalisateur conclue cette expérience ainsi :
« En tout cas j'ai appris une chose d'eux : la première c'est que les médecins savent parler
mais ne savent pas écouter. »
Discussion:
Cette série de scènes montre la tendance de la médecine occidentale à considérer le corps avec
distance, comme un objet. Les patients à l'institut dermatologique sont identifiés par des
numéros sur des tickets et attendent patiemment leur tour pour être examinés, comme du
bétail. Les médecins effectuent une mise à distance du corps du patient au cours de l'examen
clinique en choisissant leurs mots avec des phrases aux tournures impersonnelles et en
manipulant les corps comme des pantins. Dans la scène trois, le dermatologue procède à un
interrogatoire policier se limitant à une description sémiologique pure faisant fi du contexte et
constate « La peau est sèche » et non « Votre peau est sèche », « Il y a des altérations », « Il y
a un dermographisme ». Le patient est nié en tant que sujet ; il n'est qu'un corps qui présente
des signes, à classer dans un syndrome. Le malade est appréhendé comme une taxonomie.
53
Cette mise en distance permet au médecin de se déresponsabiliser: n'est-il pas plus confortable
de demander au malade « Est-ce que ça fait mal ? », plutôt que « Est-ce que je vous fais
mal ?», ce qui revient à assumer sa place et sa responsabilité dans le lien au malade. Dans la
scène 3, le médecin réalise des gestes techniques tels que la recherche d'un dermographisme
cutané et examine chaque partie du corps du patient sans aucune explication. On peut
remarquer que lors de l'auscultation, temps essentiel de l'examen clinique, le malade doit se
taire. Le médecin écoute le discours d'un organe. Les examens complémentaires achèvent
cette distanciation, comme en témoigne la scène du scanner pulmonaire où le corps, démuni,
subit un examen selon un protocole standardisé, rythmé par une voix neutre, sans visage
auquel se rattacher, qui ordonne « On ne respire plus ». Dans le même registre, la réalisation
d'un électrocardiogramme implique le silence et l'immobilité du patient.
Ce film ne remet pas en question, bien entendu, le bien-fondé de l'examen clinique, mais
souligne la nécessité de ne pas se détacher du discours du patient pour le classer dans un
syndrome.
III.3.1.2. Le corps expérimental
Le corps du malade est représenté dans le cinéma comme un objet soumis à l'expérimentation
des scientifiques et des médecins. Le corps de l'individu est ainsi mis au service du collectif
en permettant le progrès scientifique ; il profite en même temps aux ambitions et à la gloire
des médecins, comme le montrent les films « Johnny s'en va-t-en guerre » [47],
« M.A.S.H. » [48], « Frankenstein » [49, 50], « Docteur Jekyll and Mister Hyde » [51], et
« Docteur Jerry and mister Love » [52].
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Johnny s'en va-t-en guerre :
Film américain, 1965
Réalisateur : Dalton Trumbo
Genre : drame
Interprètes: Timothy Bottoms, Byron Morrow, Alice Nunn,
Marge Redmond, Donald Sutherland.
Résumé : Le dernier jour de la Première Guerre Mondiale, un jeune soldat, Joe Bonham est
gravement mutilé par un obus. Il a perdu ses bras, ses jambes et toute une partie de son visage.
Il ne peut ni parler, ni entendre, ni sentir mais reste conscient. Considéré comme blessé non
identifié, il est maintenu en vie artificiellement dans un hôpital militaire à des fins
expérimentales. Les médecins le croient décérébré, privé de toute pensée, de toute sensation,
réduit à un état végétatif. Confiné dans un lit, comme un simple objet recouvert de
pansements, il réalise peu à peu son état et revit des souvenirs dans un rêve éveillé qui prend
parfois des allures de cauchemar, entretenu par les sédatifs. Il tente désespérément de
communiquer, mais en vain. Seule une jeune infirmière comprend qu'il est capable de
ressentir. Bouleversé, il utilise sa tête pour communiquer en morse avec elle et la supplie de
lui accorder la mort. Mais les médecins, malgré leur responsabilité dans l'état de Joe, vont en
décider autrement.
Scène 1 :
Premier plan: L'impact d'un obus projette de la terre dans le ciel.
Deuxième plan: L'écran est noir. On entend le bruit régulier d'une respiration artificielle.
Troisième plan: L'écran est toujours noir mais on entend une conversation entre plusieurs
interlocuteurs:
« Comment avez-vous fait pour le ramener si vite?
- L'équipe médicale a entendu le sifflement de l'obus.
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Et lui aussi apparemment car le ventre et la poitrine sont presque intacts. »
Quatrième plan: Trois visages de chirurgiens en tenue de bloc sont penchés vers quelque
chose ou quelqu'un qu'on ne voit pas. Ils échangent des propos d'un ton détaché.
« C'est étonnant comme ils se replient tous en position foetale!
- Qu'y-a-t’il de si curieux à ça? Ils protègent leurs parties génitales [...]
- On a pu l'identifier?
- Non, colonel.
- Alors nous considèreront qu'il est des nôtres. Je m'occuperai personnellement de ce cas
jusqu'à ce que les cicatrisations soient totales.
- Ça peut prendre un sacré bout de temps, colonel Perry !
- Vous n'oseriez pas prétendre, capitaine, que l'observation d'un tel cas ne mérite pas un an de
la vie d'un chirurgien! Ça en vaut la peine!»
Scène 2 : Le corps de Joe est transporté vers un hôpital militaire. La scène se déroule avec en
bruit de fond des roulements de tambour et une voix off qui s'exprime sur un ton solennel:
« Blessé non identifié inscrit sous le numéro 407: ordre post-opératoire du colonel Perry,
chirurgien en chef dans l'armée des Etats-Unis. »
56
S’ensuivent les instructions émises par le colonel, qu’il déclame sur un ton sentencieux, plein
d'assurance:
« Bien que le cervelet permette encore certains mouvements limités, de tels mouvements ne
signifient rien. Il se pourrait que des mouvements brusques et répétitifs se produisent parfois;
on devra les traiter comme des spasmes musculaires réflexes, c'est-à-dire par sédatifs. Le
cerveau a subi des dégâts très importants et irréparables. Si je n'étais pas absolument certain
de cela, je n'aurais pas accepté de le laisser survivre. La seule et unique raison qui m'ait
poussé à prolonger son existence, c'est l'espoir que nous apprendrons de lui des moyens de
mieux soigner les autres.[...] Il est rappelé au personnel soignant qu'il doit s'interdire tout
sentiment émotif à l'égard d'un patient.[...] Afin d'éviter une quelconque émotion, n'oubliez
pas qu'il est tout à fait impossible à un être décérébré d'éprouver la douleur ou le plaisir, de se
souvenir, de rêver ou d'avoir la moindre pensée et qu'en conséquence ce jeune homme
demeurera sans pensée ni sensation jusqu'au jour où inévitablement il mourra. »
Dans les scènes suivantes, le corps de Joe, recouvert de draps, est entreposé dans une pièce
sans fenêtre, une ancienne lingerie. En voix off, on entend les pensées du jeune homme.
Chaque sensation physique provoque des réminiscences de son passé où il se voit, le corps
indemne: pour exemple, son réveil après l'intervention dans le noir lui rappelle la première et
dernière nuit passée avec sa fiancée avant son départ.
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Les visites du chirurgien se succèdent. Il contrôle d'un air détaché les progrès de la
cicatrisation de Joe, donnant ses ordres d'un ton sec aux infirmières. Le blessé sent la présence
des soignants par les vibrations que leurs pas provoquent sur le sol mais ses questionnements
désespérés demeurent sans réponse. Il réalise peu à peu son état:
Tout d'abord lorsqu'on lui retire les agrafes au niveau des moignons:
En voix off :
« Je sens bien qu'ils touchent mon bras mais je ne sens pas du tout ma main. Ce qui tient la
main au bout du bras, c'est le poignet. Mais le poignet ne se trouve pas si haut! A présent, j’ai
l'impression que le bout de mon bras est encore plus haut, qu'il est au niveau de mon
épaule![...] Oh non, je vous en prie, pas l'autre bras! »
Dans une autre scène, les bandages du visage sont retirés.
Le chirurgien constate d'un air satisfait:
« Les greffes ont bien pris. »
Les questionnements de Joe se font toujours plus pressants:
« C'est curieux cette sensation de frais et de quelque chose d'humide. [...] Il faut réfléchir: à
l'intérieur du trou, c'est humide, sur les bords, c'est sec... Mais j'ai oublié où c'est le sec, il faut
le ressentir, ça y est, je sens le sec ; mais alors jusqu'où va le trou? Si haut que ça, quoi? Plus
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d'yeux, je n'ai plus d'yeux, plus de bouche, de langue, de dents, de nez, plus de visage du tout,
alors un vide! Oh mon dieu, c'est moi! »
S'ensuit l'arrivée d'une jeune infirmière au beau et doux visage qui va le bouleverser. Elle le
soigne avec compassion et douleur contrairement aux prescriptions du colonel. L'ouverture
des volets redonne à Joe la sensation de la caresse du soleil ainsi qu'un repère temporel. Le
jour de l'an, elle lui écrit sur le torse avec ses doigts « MERRY CHRISTMAS », et rétablit la
possibilité d'un échange avec le blessé. Par la fonction de langage restituée, Joe retrouve sa
condition d'être humain, de « corps parlant », et tente de lui répondre en morse par des
mouvements saccadés de la tête.
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La dernière scène montre la visite générale du colonel: des chirurgiens militaires, un prêtre,
des infirmières sont réunis autour du corps de Joe. Un traducteur confirme que le patient
s'exprime bien en morse et lui demande ce qu'il veut par des impacts répétés avec ses doigts
sur le front de Joe.
« Je veux sortir pour que les gens puissent voir ce que je suis. Montrez-moi comme un
phénomène dans les foires afin que les gens voient ce qu'on m'a fait, laissez-moi sortir! »
Devant le refus qui lui est opposé, il s'exclame puis répète sans cesse: « Tuez-moi! »
Toute l'équipe se retire sauf l'infirmière qui, après avoir refermé la porte, tente de l'aider à
mourir en clampant le tuyau du respirateur, mais elle est surprise et interrompue par l'irruption
dans la pièce d'un chirurgien qui lui ordonne de se retirer et referme les volets laissant Joe
dans le noir :
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« Tout ce qu'ils veulent c'est me rejeter dans ces ténèbres où je suis en train de sombrer, [...]
SOS au secours aidez-moi, répète Joe sans relâche. »
Discussion:
Ce film anti-militariste dénonce le statut de « corps objet » du blessé, presque un objet-corps,
un outil expérimental. Les chirurgiens considèrent Joe comme un corps réduit à l'état
végétatif, comme le montre le discours prononcé par le colonel : « N'oubliez pas qu'il est tout
à fait impossible à un être décérébré d'éprouver la douleur ou le plaisir, de se souvenir, de
rêver ou d'avoir la moindre pensée et qu'en conséquence ce jeune homme demeurera sans
pensée ni sensation jusqu'au jour où inévitablement il mourra ». Du point de vue des
médecins, le corps du soldat est nié dans son être et dans son identité ; il est le « blessé non
identifié inscrit sous le numéro 407 ». Leurs constats froids, lors de l'intervention, sur la
propension des soldats à se protéger à l'approche de la mort en position fœtale, soulignent ce
détachement ; les soldats sont considérés comme de la « chair à canon », des animaux guidés
par leur instinct. Joe est nié en tant que sujet. Les chirurgiens font abstraction des dimensions
imaginaire et symbolique de son corps tandis que Joe, lui, a conscience de son être : « Je sens
bien qu'ils touchent mon bras mais je ne sens pas du tout ma main... ». Le colonel Perry
assimile Joe à un objet recouvert de pansements, qu'il souhaite soumettre à des
expérimentations : « La seule et unique raison qui m'ait poussé à prolonger son existence,
c'est l'espoir que nous apprendrons de lui des moyens de mieux soigner les autres ». Il
s'approprie ce corps mutilé, anonyme et le désigne comme « un cas à observer », une chance
pour un chirurgien. Ses certitudes scientifiques quant à l'état décérébré du patient sont
absolues. Le corps de Joe est sacrifié, mis au service malgré lui de la collectivité. Il est
manipulé et permet aux chirurgiens d'accéder à la connaissance et à la gloire. Le colonel Perry
se dédouane de cet acharnement thérapeutique au nom de la science. Ce concept renvoie, de
façon caricaturale, aux principes des essais cliniques et de leurs dérives possibles qui posent
des problèmes éthiques. Jusqu'où peut on aller dans l'exploitation du corps humain au nom de
la science, du progrès et de l'intérêt collectif?
Au-delà d'une critique des excès de la science, ce film constitue un pamphlet anti-militariste:
Joe représente le symbole du soldat sacrifié à des fins politiques. Dalton Trumbo dénonce son
statut de chair à canon, corps sacrifié à l'autel de la guerre.
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Sur un ton plus léger, le film de M.A.S.H. datant de la même époque, s’insurge également
contre l’absurdité de la guerre.
M.A.S.H. :
Film américain, 1970
Réalisateur : Robert Altman
Genre : comédie
Interprètes : Donald Sutherland, Elliot Gould, Tom Skeritt
Résumé : Un trio de chirurgiens talentueux est appelé sous les drapeaux pendant la guerre de
Corée au sein d'une unité médicale, la Mobile Army Surgical Hospital. Ils s'adonnent
joyeusement sur un ton décalé à des farces de potaches et des délires lubriques, alcooliques et
rebelles. Une ambiance permanente de carnaval règne, renversant toutes les valeurs
traditionnelles de l'époque. Les trois comparses construisent leur propre comédie contre
l'absurdité de la guerre.
Discussion : L'affiche annonce cette atmosphère volontairement désinvolte et légère dans un
contexte de guerre où les corps ensanglantés des blessés défilent ; une main exhibe le symbole
de paix, l’index et le majeur relevés, surmontés d'un casque militaire négligemment suspendu,
tandis que la main se prolonge par de longues jambes de femmes chaussées de hauts talons...
Le contraste est frappant avec l’affiche de « Johnny s'en va-t-en guerre » sur laquelle une
main blanche envahit l'écran sur fond noir, l'index et le majeur tendus en signe de message de
paix. Une silhouette noire anonyme de soldat, l'arme au poing, se détache au travers de la
main, perdue au milieu des barbelés. Loin du ton léger et non moins marquant de l'affiche de
M.A.S.H., cette image apparaît comme une supplication pour la paix.
Dans M.A.S.H., les farces de potaches rythmant la vie des officiers alternent avec des scènes
particulièrement sanglantes où les trois chirurgiens opèrent les corps mutilés des soldats dans
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une ambiance apparemment détachée, volontairement cynique. Là encore, ce film dénonce le
statut de «corps objet» du patient soldat.
Les expériences scientifiques sur le corps humain les plus audacieuses ne se limitent pas aux
périodes de guerre.
Ainsi, dans « Frankenstein », film d’horreur
américain réalisé par James Whale en 1931, avec
Boris Karlov (à noter une autre version plus
récente de Kenneth Branagh datant de 1994), basé
sur le livre de Mary Shelley « Frankenstein ou le
Prométhée moderne » paru en 1817, Henry
Frankenstein,
un
jeune
savant,
veut
créer
artificiellement la vie. Aidé de Fritz, son serviteur
bossu, il façonne un corps humain en assemblant
divers membres prélevés sur des cadavres dérobés dans des cimetières. Ayant détruit par
maladresse le cerveau sain demandé, Fritz procure au savant celui d'un criminel. Alors qu'au
dehors la tempête fait rage, la foudre vient animer la créature constituée de membres prélevés
sur des cadavres. Le monstre, qui a été enfermé dans une cellule, doit subir les sévices de
Fritz. Fou de colère, il l'étrangle. Le baron Frankenstein, ignorant les expériences de son fils
Henry, veut hâter son mariage. Henri est enfin convaincu qu’il faut éliminer le monstre,
cependant celui-ci s'enfuit après avoir étranglé le professeur et noyé accidentellement une
petite fille, Maria. Le corps de Maria ayant été découvert, les paysans s'arment et se munissent
de torches pour faire une battue. Assommé, Frankenstein est entraîné dans un moulin à vent
par le monstre. Dans un combat désespéré avec sa créature, il est précipité du haut du toit sur
le sol où il gît grièvement blessé, tandis que les paysans mettent le feu au moulin. Hurlant de
terreur et de douleur, le monstre disparaît dans le brasier.
63
Discussion :
Dans ce film, il est aussi question de l’exploitation expérimentale du corps, au service des
ambitions démesurées d’un scientifique, poussée à l’extrême. Frankenstein utilise des
dépouilles anonymes, et assemble ces corps pour créer « sa chose ». On peut parler de
« science contre nature ». La créature de Frankenstein correspond à l’image même du mal. A
son aspect physique monstrueux, assemblage chaotique de morceaux de cadavres, s’associe
l’âme d’un assassin. Le savant Frankenstein fait figure de créateur, de père symbolique du
monstre. Leurs destins sont irrémédiablement liés et la perte de l’un entraîne la mort de
l’autre. Sa créature monstrueuse n’est jamais nommée et, privée de nom, son existence est
niée dans le monde des hommes. Victime de la vindicte populaire, le monstre s’en trouve
sublimé.
Docteur Jekyll and Mister Hyde :
Film américain, 1931
Réalisateur : Rouben Mamoulian
Genre : Horreur, fantastique, Science fiction
Interprètes : Frederik March, Miriam Hopkins
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Résumé : Convaincu qu’il est possible de dissocier chimiquement le bien et le mal au sein du
psychisme humain, un soir, le Docteur Jekyll, scientifique estimé de tous, se dédouble après
avoir absorbé une potion, en un Mister Hyde monstrueux et sadique, affranchi de toutes les
contraintes morales de l’époque victorienne si stricte. Progressivement cette part maléfique de
lui-même va phagocyter son être et entraîner sa perte.
Scène 1 : Le Docteur Jekyll déclame ses théories devant un amphithéâtre comble d’étudiants
passionnés. Il s’exprime sur un ton emphatique, appuyé par une gestuelle théâtrale :
« Je voudrais vous parler d’un prodige plus grand : l’âme humaine. Mon analyse de cette âme,
la psyché humaine, m’amène à croire qu’en vérité l’Homme n’est pas un mais deux : celui qui
tend vers tout ce que la vie a de noble, c’est le moi bon. L’autre cherche à exprimer les
pulsions nées de la relation trouble qui le lie viscéralement à la terre. C’est le moi mauvais.
Au sein de l’âme humaine, ces deux moi luttent sans fin enchaînés pourtant l’un à l’autre.
Pour le Mal, cette chaîne signifie répression, pour le Bien, remords. Si les deux moi pouvaient
être séparés l’un de l’autre, le bien en nous serait plus libre. Quels sommets n’atteindrait-il
pas ? Et le soi-disant Mal, une fois libéré, s’accomplirait et ne nous troublerait plus. Je crois
que le jour approche où cette séparation sera possible […]. »
Les élèves sortent de la salle dans une atmosphère enfiévrée ; les exclamations tour à tour
scandalisées ou admiratives fusent.
Scène 2 : Après avoir rendu visite à une petite fille blessée dans un dispensaire, le Docteur
Jekyll arrache une femme battue des bras de son agresseur lors d’un détour dans les faubourgs
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misérables de Londres. La femme se révèle être une prostituée et tente de lui témoigner sa
reconnaissance en l’attirant dans ses bras. Le Docteur est attiré par les plaisirs de la chair et
doit se faire violence :
« Je veux être propre aussi bien en pensées et en désir qu’en actions. Il n’y a qu’un seul
moyen : séparer nos deux natures. »
Scène 3 : ou la transformation :
Le Docteur Jekyll est enfermé depuis plusieurs jours dans son laboratoire, sans s’alimenter ni
boire, travaillant à son projet. Ses yeux maquillés accentuent son aspect inquiétant. De
multiples flacons et tuyaux bouillonnent autour de lui, dans une effervescence effrayante.
Tandis qu’il s’apprête à boire son breuvage, il écrit une dernière lettre d’amour à sa fiancée.
Puis il verrouille sa porte, fixe la potion en levant son verre, et s’approche d’une glace. Il
ingurgite d’un trait sa boisson tout en observant son image. Tout à coup, il semble en proie à
une terrible souffrance, il s’étouffe et son visage se transforme. Ses traits, dans une succession
de plans, prennent un aspect monstrueux. Il tend la main vers le miroir où se mire son image
déformée puis s’effondre sur le sol. La caméra tourne, tourne, brouillant l’image tandis que
des réminiscences, des visages, des paroles mêlées lui apparaissent : « C’est inconvenant ! »
s’exclament ses collègues après son discours dans l’amphithéâtre, « un homme peut-il oublier
l’eau quand il a soif ?», « revenez vite », lui enjoint la prostituée qu’il a sauvée. Il s’observe
enfin dans la glace : la créature présente un visage simiesque, prognathe, aux traits grossiers,
ses mouvements sont saccadés, brutaux, comme ceux d’un animal, il respire vite et
bruyamment. Mister Hyde s’exclame ravi :
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« Libre ! Enfin libre ! »
Scène 4 : Alors qu’il se rend au dîner d’annonce de son mariage, le Docteur Jekyll passe par
un parc londonien. Il aperçoit un oiseau dans un arbre qui vient d’échapper à la mort, et
s’assoit, émerveillé par la grâce de cette image :
« Tu n’étais pas né pour mourir, immortel oiseau! Nulle génération d’affamés ne te piétine! »
Tout à coup apparaît un chat noir, symbole du mal, qui s’approche furtivement de l’oiseau sur
la branche.
« Non ! », s’exclame le Docteur Jekyll, tandis que le chant de l’oiseau dévoré s’interrompt.
Le Mal a vaincu.
« Tu n’étais pas né pour mourir », répète amèrement le Docteur Jekyll.
Soudain, il ressent la transformation s’opérer en lui sans avoir bu la potion.
« Mais il est mort, mort ! » s’écrie t’il.
Le Mal prend le dessus. Le Docteur Jekyll sous les traits de Mister Hyde ne se rend pas à son
dîner. Il fait irruption chez sa maîtresse et l’étrangle, en l’appelant « mon oiseau », puis
s’enfuit dans les rues sombres de Londres.
Scène 5 : Lorsque la transformation devient permanente, Mister Hyde, après l’assassinat de la
prostituée, est pris au piège par la police. Il implore l’aide d’un de ses collègues et rival:
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« Je suis un assassin, aidez-moi !
- Nul ne peut vous aider, Jekyll. Vous avez commis le blasphème suprême, nul ne peut violer
les lois de son espèce sans être damné, il n’y a pour vous ni aide en ce monde ni pardon dans
l’au-delà », répond le Docteur Lanyon.
Désespéré, il implore Dieu :
« Oh Dieu, je n’ai pas voulu çà. J’ai vu une lueur mais sans voir où elle menait. J’ai empiété
sur votre domaine. Je suis allé où l’Homme ne doit pas aller. Pardonnez-moi. »
Mister Hyde est tué pendant une rixe avec la police. Il se transforme à nouveau et reprend
l’aspect du Docteur Jekyll, pleuré seulement par son fidèle valet.
Discussion :
Là encore, le corps est l’objet d’expériences scientifiques. L’originalité consiste dans le fait
que l’expérimentateur choisit son propre corps comme théâtre de ses expériences dans son
laboratoire. Lui-même absorbe le contenu de sa fiole et subit des dommages corporels
irrémédiables.
De même que dans « Frankenstein », un savant issu de la bonne société, se substitue à Dieu,
guidé par un orgueil scientifique démesuré visant à percer le mystère de la vie et de l’âme
humaine. Dépassé par sa créature, il perd tout ce qu’il possède, victime d’une sorte de
punition divine.
On peut également faire un parallèle avec « Faux-Semblants » [53] de David Cronenberg,
que nous évoquerons dans la partie suivante, où deux jumeaux gynécologues dotés d’un
orgueil scientifique démesuré, se livrent à des expériences machiavéliques et finissent eux
aussi par sombrer.
68
Dans « Docteur Jerry and Mister Love », film comique réalisé
en 1963, Jerry Lewis nous dépeint sur un ton plus léger le
portrait stéréotypé d’un savant fou dépassé par sa créature. Le
professeur Kelp est un professeur de chimie très maladroit. Ses
cours sont plus distrayants qu’instructifs. Secrètement, il prépare
un élixir grâce auquel il se transforme en un crooner séduisant
répondant au nom de « Buddy Love ». Ce dernier échappe très
vite à son contrôle. Il s’agit biensûr d’une parodie triviale du
film « Docteur Jekyll and Mister Hyde », mais on y retrouve la
thématique de l’exploitation expérimentale du corps.
III.3.1.3. Le corps organe
Le cinéma nous montre le corps du malade réduit par les scientifiques à un corps morcelé, un
corps organe. Les films « Faux-Semblants » et « L'aventure intérieure » [54] illustrent bien
cette idée.
Faux-Semblants :
Film américain, 1989
Réalisateur : David Cronenberg
Genre : drame psychologique et film d'horreur, inspiré de
« Twins » best-seller de 1977
Interprètes: Jeremy Irons, Geneviève Bujold, Heidi Von
Palleske
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Résumé : Elliot et Beverly Mantle, deux jumeaux surdoués, vouent dès leur plus jeune âge
une passion aux questions d'ordre médical, notamment sexuelles. Devenus adultes, ils se
consacrent à la gynécologie et possèdent une luxueuse clinique très prisée où les stars et les
nantis viennent confier leurs problèmes de stérilité. Malgré leurs dissemblances de caractère
(Beverly, travailleur acharné, réservé, sensible et Elliot, personnage social dominateur à
l'assurance inébranlable qui collectionne les conquêtes), ils partagent tout : leur appartement,
leurs patientes, et leurs conquêtes, jouant de leur ressemblance physique. La rencontre de
Claire Niveau, actrice célèbre d'âge mûr, rongée par la drogue et l'alcool, qui consulte pour
stérilité, va bouleverser l'unité apparemment parfaite des deux frères. Atteinte d'une
malformation utérine exceptionnelle, un utérus tricorne, elle suscite l'intérêt d'Elliot qui après
l'avoir séduite la livre à son frère. Beverly ne tarde pas à tomber amoureux de l'actrice et la
naissance de ce sentiment intime, personnel, va peu à peu désunir ces frères presque siamois.
Berverly se laisse entraîner par Claire dans un univers désespéré de drogue et de luxure. Il
sombre peu à peu dans la folie et fabrique des instruments gynécologiques des plus étranges,
presque des instruments de torture. On peut s’interroger : s’agit-il de punir les femmes,
responsables de sa séparation d'avec Elliot et de son morcellement ? Les deux frères
sombreront dans la folie. Enfermés dans leur appartement, Beverly sacrifie son frère sur une
table d'examen à l'aide de ses instruments en lui ouvrant le ventre puis se donne la mort. Le
film se termine par un plan sur les deux jumeaux étendus, sans vie, côte à côte, sur des tables
d'examen.
Au début du film, le réalisateur nous montre l'intérêt des jumeaux dans leur enfance pour les
questions médicales. Ainsi, ils s'exercent à la dissection sur des poupées mannequins,
prémices de la relation au « corps objet ». Par la suite, on les voit étudiants, occupés à étudier
des cadavres en cours d'anatomie à la faculté. Leur professeur montre un certain étonnement
en remarquant dans leur matériel un instrument supplémentaire que Beverly a lui-même
élaboré pour l'examen gynécologique, une sorte de spéculum terminé par une diabolique griffe
de métal. Le professeur s'empresse de souligner que ce genre de matériel ne doit en aucun cas
être utilisé sur des corps vivants.
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Scène 1 : La scène se déroule dans une salle d'examen luxueusement équipée de la clinique
des frères Mantle. Le premier plan montre un drap blanc tendu tenu par deux doigts d'une
main gantée. La main gantée abaisse le drap, le visage de Beverly Mantle apparaît, l'air
préoccupé.
« Alors, y a bien tout ce qu'il faut, Docteur ? » prononce une voix féminine ; on ne distingue
par encore le corps dont elle provient.
« Oui, il y a tout. »
On visualise enfin une femme d'une quarantaine d'année, l'air sophistiqué et désabusé, le corps
livré en position gynécologique recouvert d'un drap blanc.
« Plus deux ou trois choses qui ne devraient pas y être, ajoute-t-il le dos tourné.
- Pas drôle.
- Euh non je ne voulais pas être drôle... Veuillez m'excuser une minute, je reviens tout de
suite. »
Il quitte la pièce. La femme désormais seule dans la pièce abandonne son air cynique et
soupire, envahie par un désarroi manifeste. Elle craint de ne pouvoir être mère.
Beverly pénètre dans le bureau de son frère, manifestement sur le départ, vêtu d'un élégant
smoking, en pleine conversation téléphonique.
« Lee, j'aimerais que tu vois ça avant de partir.
- Impossible, je suis déjà en retard !
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- C'est une trifidée!!!Je n'ai jamais vu ça !
- Oui j'arrive tout de suite, c'est le Docteur Mantle, que la voiture m'attende. »
Elliot consulte rapidement la fiche de la patiente. Il s'écrit l'air enthousiaste :
« Claire Niveau, la grande Claire Niveau ! Qu'est-ce qu'elle fait chez nous? Sa vie est vide
parce que sans enfant, récite-t-il l'air cynique.
- Oh! D'où tires-tu ta science ?
- Oh je t'en prie Bev, tout le monde sait ça ! Tu ne lis jamais ce genre de presse ? Sans enfant
la vie des stars est vide !
- Et bien j'espère que ce genre de presse peut nous expliquer comment la rendre fertile parce
que moi je n'en sais rien.
- Bon alors, voyons si moi, j'ai une solution Lee !
- Tu penses à ton dîner avec la femme du président ? rappelle Elliot d'un ton narquois.
- Hélas la bella comtessa attendra un peu ! »
Elliot après avoir revêtu une blouse pénètre dans la pièce, se substituant à son frère. Il est
identique à son frère mais son air est différent, plus audacieux. Il enclenche le fauteuil
électrique tout en regardant la patiente dans les yeux.
« Bien, je vais voir cela ! »
La caméra alterne durant l'examen des plans sur leurs deux visages.
« Mmh... », soupire la femme en tournant la tête traduisant la sensation désagréable d'une
main étrangère dans son corps.
« Oui ! C'est fantastique ! s'exclame Elliot l'air inspiré.
- Jamais personne n'a montré une telle admiration de mon anatomie et de mon intimité !
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- Vous devez savoir ce qu'est la beauté intérieure ! Je pense que les organes mériteraient qu'on
leur fasse des concours de beauté; la plus belle rate par exemple, les reins les plus parfaits !
Pourquoi le corps tout entier n'aurait-il pas des critères de beauté, internes et externes ? »
proclame Elliot, sentencieux.
Scène 2 : Dans un grand restaurant huppé, Claire Niveau, son agent et Elliot sont attablés.
« Docteur, parlez-moi de mon utérus !
- Et bien, le vôtre a trois parties, trois cols menant à trois cavités différentes. C'est
fabuleusement rare ! »
L'agent poursuit son repas l'air dégoûté.
« Avez-vous des problèmes de règles ? »
Cette fois l'agent se retire précipitamment, bredouillant une excuse.
« En fait j'ai presque jamais mes règles, une ou deux fois dans l'année, mais pas très
enthousiastes. (Elliot hoche la tête l'air entendu). Je pourrais avoir des jumeaux, vous croyez,
un dans chaque compartiment ? Questionne-t-elle Elliot d'un ton faussement ingénu.
- Non ça n'est pas ça du tout.
- Ah bon et c'est comment alors ? »
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Scène 3 : Après le dîner, Elliot et Claire Niveau ont une relation sexuelle ardente. Comme à
son habitude, Elliot le confie à son frère et lui offre de lui succéder. Beverly se rend donc au
domicile de l'actrice. Elle l'accueille se serrant lascivement contre lui.
« Qu'est ce que tu m'as fait hier soir, j'en vibre encore de partout tu sais!!! Puis changeant de
ton : alors Docteur quels sont les pronostics? Est-ce que je peux avoir un bébé oui ou non ?
-Tu me demandes ça, là ?
-Les résultats devaient être prêts pour aujourd'hui !
- Il n'y a aucune chance que tu aies jamais un enfant, annonce abruptement Beverly l'air gêné.
- J'en suis pas surprise, constate Claire contenant manifestement sa tristesse. »
Claire reprend ensuite son attitude sensuelle, mais Beverly ne sait comment réagir. Leur
entrevue tourne au fiasco. Il rentre au cabinet alors qu'une patiente s'enfuit en pleurant de la
salle d’examen, suivie d'Elliot. Celui-ci déclare, désabusé :
« Je n'ai pas l'art et la manière avec les sérieuses...Déjà là ?
- Je n'ai pas l'art et la manière avec les frivoles, rétorque Beverly.
- C'est une actrice, toujours en représentation, on ne sait jamais qui elle est, quel rôle elle
joue. »
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Scène 4 : Claire Niveau est nue, ligotée avec des instruments médicaux, des garrots, des
pinces. Elliot lui fait l'amour. Après le plaisir, l'actrice fond en larmes dans les bras de son
amant.
« Qu'est ce qu'il y a ? Demande-t-il avec douceur.
- Je ne serai jamais enceinte, je n'aurai jamais d'enfant, sanglote t’elle tout en l'embrassant
avec effusion. Quand je serai morte, je serai simplement morte. J'aurais jamais été une femme,
juste une fille. »
Elle l'étreint avec force.
« Tu peux toujours adopter un bébé, lui suggère-t-il maladroitement.
- Ce serait pas pareil, il ne ferait pas partie de mon corps. Ne dis rien, je t'en prie, je suis si
vulnérable, une plaie toujours béante. »
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Scène 5: Beverly se prépare à opérer sous cœlioscopie pour rendre une femme fertile. La
scène comporte un caractère sacré, cérémoniel, ses fidèles assistants l'habillent
solennellement, tel un cardinal qui revêt sa robe de pourpre avant d'officier. Les bras en croix,
il a le regard perdu vers un ailleurs. Il pénètre dans la salle d'examen et commence l'opération,
ses assistants sont vêtus de rouge. Des étudiants dans une pièce vitrée adjacente suivent
l'opération que commente Elliot en élégante tenue de ville à l'aide d'un micro :
« Il serait bien sûr exagéré de dire que nous pouvons fabriquer un nouveau jeu de trompes de
Fallope avec les premiers accessoires venus. Ces trompes sont des organes hautement
spécialisés mais grâce à certaines techniques dont nous disposons, il est possible de modifier
certains autres canaux, disons une veine ou bien comme aujourd'hui un lymphatique fémoral
auquel nous allons assigner la fonction de transporter l'œuf de l'ovaire à l'utérus. »
Discussion:
Les deux frères Mantle sont depuis leur plus jeune âge fascinés par les mystères du corps
anatomique, tout particulièrement le corps féminin. Ils dissèquent des poupées mannequins
puis une fois à la faculté, ils étudient des cadavres. Leur fascination pour percer l'enveloppe
charnelle les conduit à inventer de nouveaux instruments permettant des explorations toujours
plus poussées. Ces outils prennent un caractère inquiétant : leur but n'est pas d’éviter la
douleur mais de percer l'enveloppe charnelle, avec une cruauté voulue: ainsi le spéculum
terminé par une griffe de métal ne manque pas d'inquiéter leur professeur d'anatomie.
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Ils vouent un culte aux organes. Beverly manifeste un enthousiasme déplacé face à l'utérus de
Claire Niveau : « C'est une trifidée ! Je n'ai jamais vu ça ! », tandis qu’Elliot s'emporte devant
la malade : « Oui c'est fantastique ! », et lui parle de concours de beauté pour les organes
qu'elle pourrait remporter aisément, alors qu'il est question de stérilité. L’organe glorifié par
les deux frères est l’utérus, dépositaire du mystère du corps féminin.
Dans un registre plus léger, « L’aventure intérieure », film réalisé
par Joe Dante en 1987, met en scène des scientifiques qui
investissent le corps humain et l’explorent organe par organe. Le
lieutenant Joe Dante accepte de participer à une expérience
scientifique dans un cadre militaire consistant à l’injecter dans le
corps d’un lapin. L’expérience est bouleversée par l’irruption
d’espions ennemis et, après de multiples péripéties, le lieutenant est
injecté par erreur dans le corps d’un simple employé de magasin,
nommé Jack, névrosé et dépressif. Dans une scène, le lieutenant dans son vaisseau miniaturisé
désire accéder au champ visuel de son hôte accidentel.
« Connexion nerf optique première phase », annonce l’ordinateur central. « Coordonnées
trajectoire nerf optique. »
S’affiche alors sur l’écran un plan du système veineux menant de la veine supérieure du grand
fessier où le vaisseau a été injecté à la veine jugulaire droite et au chiasma optique.
« Entrée dans le vaisseau sanguin, commente l’ordinateur. »
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Le vaisseau s’achemine dans une veine, éclairé par ses phares, dans les turbulences
provoquées par le courant d’hématies.
« Censeur optique primo armé. »
Le censeur optique est envoyé et se fixe sur la rétine de Jack, provoquant une douleur intense
dans son œil.
On voit apparaître le champ visuel de Jack sur l’écran de l’ordinateur du lieutenant et des
scientifiques à l’origine de l’expérience.
Jack se trouve ainsi morcelé, visité, organe par organe. Les images de l’intérieur du corps sont
retransmises sur l’écran des scientifiques. La science prend possession du corps humain.
En général, le cinéma nous montre des médecins qui appréhendent le corps de leur malade
uniquement par le biais de l’organe dont il se plaint. Dans « Journal intime », il n’est question
que de la peau et du prurit du réalisateur, sujets de tous les commentaires : « La peau est un
peu sèche », « il existe un dermographisme des plus évidents ». De même les jumeaux
gynécologues de « Faux-Semblants » se fascinent pour l’utérus tricorne de leur patiente. Le
médecin nous est également représenté dans « Johnny s’en va-t-en guerre » et dans « Docteur
Jekyll and Mister Hyde » comme un scientifique sans scrupule, prêt à soumettre le corps
malade, tel un objet, à toutes les expériences, afin de servir sa gloire personnelle et le progrès.
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III.3.2. Le médecin et le patient face au « corps
imaginaire » dans le cinéma
III.3.2.1. Du point de vue du malade
Le « corps imaginaire » représente la façon dont on imagine et dont on vit son propre corps.
L'image du corps se construit selon J. Lacan au moment du « stade du miroir ». C'est une
phase essentielle dans le développement de l'enfant où il apprend à se reconnaître d’abord
dans l'image de l'autre puis dans son propre reflet pour constituer un être total. Cette étape est
donc constitutive du sujet et unificatrice. Certaines pathologies peuvent aboutir à une vision
déformée du corps, telle l'anorexique au corps décharné dont le miroir renvoie l'image d'un
corps aux rondeurs disgracieuses. Mais le corps n'est pas seulement une image, c'est aussi un
corps vivant, une somme de sensations. Il est le lit d'une histoire, d'un vécu. Le schéma
corporel désigne ce schéma anatomique et fonctionnel du corps.
III.3.2.1.1. Le rapport au corps identitaire et sexué
Le corps est porteur d'une identité. Dans « Johnny s'en va-t-en guerre », le corps amputé,
tronqué du soldat se trouve privé de son identité aux yeux des médecins et de la société. Joe
est le « blessé non identifié inscrit sous le matricule 407 » ; il est nié en tant que sujet.
De même, « Les yeux sans visage » [55], film de Georges Franju, que nous détaillerons
ultérieurement, nous montre un corps défiguré, celui de Christiane, privé de son identité. Sans
visage, Christiane se considère comme absente au monde et à elle-même.
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Le médecin est également confronté au corps sexué du patient qui le renvoie à sa propre
sexualité. Ainsi dans « Le cri de la Soie » [56], la sexualité s'exprime par le biais du
fétichisme.
Le cri de la soie:
Film français, 1996
Réalisateur : Yvon Marciano
Genre : Drame
D’après l'oeuvre et les travaux de Gaétan de Clairambault (18721934)
Interprètes : Marie Trintignant (Marie), Sergio Castellitto (Gabriel), Anémone (Cécile)
Résumé:
« Le cri de la soie » s'inspire librement de la vie et des travaux du psychiatre Gaétan de
Clairambault. Le Docteur Gabriel de Villemer - ainsi nommé dans le film - exerce la fonction
d'expert psychiatre dans une prison et se voit chargé de l'expertise psychiatrique de Marie,
jeune couturière analphabète, qui purge une peine pour vol de tissus. Celle-ci ne trouve son
plaisir sensuel que dans le contact de la soie et non dans le rapport au corps de l'autre. Gabriel
écoute avec attention et compassion sa patiente, et ce d'autant qu'il partage cette fascination
pour les étoffes. Il devient l'amant de Marie et bascule dans le fétichisme, oscillant entre
l'attachement à l'objet érotique que représente la soie et son attirance pour le corps de sa
patiente. Atteint de cataracte, il mettra fin à ses jours dans une dernière transgression,
incapable de supporter sa déchéance, malgré l'aide de sa fidèle gouvernante.
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Scène 1: Premier entretien entre le Docteur de Villemer et Marie Benjamin : dans un bureau
vétuste, mal éclairé, à l'atmosphère humide de la prison de Fresnes, Marie Benjamin et le
Docteur de Villemer sont assis face à face séparés par une table. Une tierce personne affublée
d'une blouse blanche recueille les paroles échangées grâce à sa machine à écrire. Cet entretien
a l'allure d'un interrogatoire policier, froid et distant:
« Marie Benjamin, mariée sans enfant, âge 28 ans. C’est bien ça?
-Oui.
-Ne sait ni lire ni écrire, est-ce exact ?
-Oui. »
La patiente ne regarde pas son interlocuteur qui l'interroge froidement sur les faits qui lui sont
reprochés. Ses réponses sont laconiques.
Scène 2: Les entretiens suivants deviennent de plus en plus intimes. Le Docteur de Villemer
l'interroge sur sa première expérience sexuelle avec une étoffe, sur les types de tissus qu’elle
affectionne, sur son premier vol. La patiente s'anime, ses yeux brillent, elle raconte avec
passion ses tendances à cet homme qui semble la comprendre. Le Docteur de Villemer
demande au greffier de sortir de la pièce, affirmant le caractère intime et confidentiel de leur
échange.
« Certains tissus ne m'attirent pas : la marcelline, non, le velours peut-être, mais c'est pas
comme la soie.
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- Pourquoi ?
- Elle crie.
- Elle crie ?
- Oui quand on la froisse, ça fait... ça ne ressemble à rien d'autre [...] Quand je la froisse, je la
sens mieux, j'entends son cri, ça augmente mon plaisir [...] C'est comme voler un peu de ciel.
[...]
- Quand vous vous caressez, est ce qu'il vous arrive de penser à un homme ?
- Ah non, non, jamais. [...] Je pense qu'à me donner du plaisir, c'est tout, c'est comme si les
hommes n'existaient plus. »
Le regard du psychiatre exprime une frustration, le sentiment qu'il ne ne pourra jamais
participer au plaisir, à la vie charnelle de cette femme.
Scène 3 : La vengeance : Villemer expose le cas de sa patiente devant une assemblée de
médecins. Marie Benjamin est assise sur une chaise seule face à une assemblée de psychiatres
qui la scrutent et la jugent. Le Docteur de Villemer déambule parmi ses confrères et pose
froidement des questions à sa patiente, révélant à tous son intimité, sans lui accorder le
moindre regard.
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« Comme si les hommes n'existaient plus, c'est bien l'expression que vous avez employée ?
- Oui.
- Pouvez-vous parler plus fort ? Ces messieurs ne vous entendent pas [...]. Va-t-on en déduire
que vous n'aimez pas les hommes ?
- Non.
- Avez-vous déjà ressenti une attirance pour des personnes de votre sexe ?
- Non, jamais.
- Nous sommes bien obligés de vous croire. »
(Rires complices dans l'assemblée)
« La malade que vous venez d'entendre n'est pas une fétichiste ordinaire, vous n'aurez pas
manqué de remarquer en effet un certain nombre de particularités qui ne font pas partie du
tableau usuel de la perversion fétichiste... »
Gabriel de Villemer analyse froidement le cas de sa patiente devant elle, tel un tableau qu'on
commente.
Scène 4 : Marie apprend que Gabriel est rentré de la guerre et lui rend visite. Une amitié
s'installe entre eux, puis ils deviennent amants. Elle lui apprend à coudre, et la sensualité
s'installe à travers le travail de l'étoffe. Leurs corps s'étreignent enroulés dans des tissus qu'ils
pétrissent avec passion. Le contact entre les deux corps s'établit grâce aux étoffes.
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Discussion :
La scène 3 fait référence au « corps objet ». Le psychiatre effectue la présentation clinique du
cas de Marie Benjamin, exposée comme un animal devant une assemblée de confrères, son
intimité dévoilée à tous. La patiente subit une analyse sémiologique froide et peine à
dissimuler son humiliation. Il s'agit de la présentation de l'image d'un corps, celui de la
malade, au travers de l'image d'une maladie, le fétichisme. Le corps est exposé devant une
assemblée; dès lors la relation individuelle entre le médecin et son malade s'en trouve trahie.
Cette scène fait référence aux présentations cliniques des hystériques de Charcot à La PitiéSalpêtrière et aux patients atteints de pathologies dermatologiques à l'hôpital Saint-Louis. Ce
mode de présentation n'est pas sans rappeler également l'enseignement au lit du malade dans
les hôpitaux où le cas du malade est expliqué devant une légion d'externes. Le film traite avant
tout du corps imaginaire, du corps sexué à travers le fétichisme. Le fétichisme implique un
morcellement du corps. Le désir sexuel est concentré sur une seule partie du corps. On perçoit
au fur et à mesure des entretiens, une identification du médecin à sa malade, lui-même étant
fasciné par les étoffes. Non seulement il cherche à comprendre sa patiente, mais il se reconnaît
en elle. Le corps de Marie devient objet de désir. Il semble torturé par la frustration de ne
pouvoir lui procurer du plaisir. La jeune femme exclut totalement le corps de l'homme de sa
vie sexuelle; les étoffes semblent la combler entièrement. Le psychiatre finit par partager le
fétichisme de sa patiente, miroir de ses propres pulsions. Lors de son séjour dans le Maghreb,
le Docteur de Villemer photographie sans relâche des femmes recouvertes de drapements
traditionnels et ne cesse de contempler ces images. Après son suicide, l'attirance entre la fidèle
gouvernante de Gabriel et Marie nous est révélée. Il semblerait donc que la soie, symbole
éminemment féminin, ne soit non pas un substitut du corps de l'homme dans l'acte sexuel,
mais plutôt une image, celui du corps féminin... Ce fétichisme découlerait donc d'une
homosexualité refoulée... Marie Benjamin dissimulerait par cette tendance, une obsession du
corps féminin, image de son propre corps. Par ailleurs, si l’on en croit l’interprétation de S.
Freud du fétiche comme substitut du phallus maternel, de la castration du corps de la mère, on
comprend que Marie Benjamin se passe de l’homme dans sa sexualité. Le fétiche correspond
à une partie du corps ou de ce qui entoure le corps féminin, une sorte de prolongement.
Jacques Lacan, lui, considère que le fétiche a une valeur d’ « objet a », c'est-à-dire d’objet du
désir et de la jouissance, déterminant phallique renvoyant au « grand Autre ». Le fétiche en
tant qu’unicité, jouissance exclusive, est un clone d’un réel un où les relations et donc le
manque n’existent pas encore. [70]
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Le cas de la jeune femme relève également d'une relation pathologique à l'objet qui n'est pas
sans rappeler la fascination étrange pour les chaussures du vieux père dans « Le journal d'une
femme de chambre », film français réalisé par Luis Buñuel en 1964, satire des moeurs de la
bourgeoisie provinciale des années trente. Dans une scène, le vieil homme, ancien cordonnier,
chausse avec un air concupiscent la jeune et séduisante servante Célestine d'une paire de
bottines.
Dans « Faux-Semblants », film inspiré de faits réels que nous avons évoqué précédemment,
mettant en scène des frères jumeaux gynécologues meurtriers, les deux frères issus de la
même vie intra-utérine sont l'image l'un de l'autre et vivent dans une parfaite osmose
gémellaire : « Je suis toi et tu es moi », tel est leur refrain incantatoire et magique, rassurant,
bien qu'Elliot soit nettement dominant. Ils s'assimilent dans leurs rêves à des frères siamois.
Ils s'échangent indifféremment trophées, malades et conquêtes amoureuses. Là encore, les
deux frères affichent un narcissisme démesuré ; leur amour respectif semble ne pouvoir se
concentrer que sur leur propre image, reflétée par le frère jumeau, allant jusqu'à rendre
commune leur vie sexuelle.
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L'intrusion de Claire Niveau va déséquilibrer leur symbiose : Beverly en tombe éperdument
amoureux, ce qui introduit une notion de possession, d'intimité, de secret qui sépare les deux
frères. Leur identité s'en trouve morcelée et Beverly sombre peu à peu dans la folie. Il
s’identifie à son amante qui l'entraîne dans la spirale de la drogue et de l'alcool. La jubilation
éprouvée par Beverly en contemplant son frère, image parfaitement identique à lui-même et
par cela unificatrice et rassurante, est brisée par l'apparition d'une différence entre les deux
frères. Dans cette situation ultime, la dualité adverse des deux frères n’est pas sans rappeler le
Docteur Jekyll et le Mister Hyde. Deux facettes affectives, émotionnelles, comportementales
dans un « même » corps. La division psychique du sujet a été de nombreuses fois source
d’inspiration pour les artistes. Ainsi, « Le vicomte pourfendu », d’Italo Calvino, en est une
magistrale illustration dans la littérature. Dans son exercice, le médecin est confronté à la
division du sujet au travers de l’ambivalence, des pulsions contraires de vie ou de mort, de la
confiance ou de l’abandon, tendances opposées d’un même être de chair, d’un même corps.
Le « corps imaginaire » renvoie également à la façon dont on vit son corps et sa propre
sexualité. Dans les troubles de l'identité sexuelle, le médecin a le pouvoir d'aider à la
transformation du corps du malade, afin que son apparence corresponde à la représentation
imaginaire de sa sexualité. Cette métamorphose permet une unification entre l'image du corps,
son vécu sexuel, et sa représentation identitaire sexuée. Lorsque l'image reflétée par le miroir,
et perçue par l'entourage, ne correspond pas au moi pré-spéculaire décrit par Françoise Dolto,
cela provoque une blessure narcissique irrémédiable. [40] Le film « Adam est Eve » [57],
datant des années 50, traite audacieusement pour l’époque de ce sujet, et montre le
cheminement de cette transformation.
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Adam est Eve
Film français, 1953
Réalisateur : René Gaveau
Genre : Comédie dramatique
Interprètes : Michel Carvel, Jean Carmet, Thérèse Dorny, Jean
Tissier, et Anouk Berjak
Résumé : Charles Beaumont, jeune garçon sportif, promis à un
avenir bourgeois et sûr, adulé par sa famille et sa fiancée, ressent d'étranges sensations. Sa
fiancée Claire ne l'attire plus ; il semble qu'une transformation s'opère en lui. Il ne peut se
confier qu'à son fidèle ami Gaston. Il n'ose rompre ses fiançailles par peur de son père qui voit
dans cette union le moyen d'associer son commerce de boulanger à celui des pompes funèbres
du père de Claire. Il fait appel à la psychanalyse, mais celle-ci ne peut rien faire pour lui. Sa
nuit de noces est un véritable désastre. Il s'enfuit, désespéré, et se réfugie dans une clinique où
il se soumet aux expérimentations d'un professeur qui promet de le réconcilier avec lui-même
en transformant son corps en celui d'une femme. La transformation est longue et laborieuse,
mais lui permet de devenir enfin lui-même, Charlotte. Soutenu par son fidèle ami Gaston, il
refait son apparition dans le monde extérieur après deux ans d'absence. Rejeté par sa famille,
il gagne sa vie en tant que meneuse de revue dans un cabaret où il/elle danse à moitié nue.
Charlotte trouvera le bonheur en épousant un de ses soupirants qui se révèlera lui-même être
une femme transformée en homme...
Au début du film, Charlie ressent des sensations étranges, des changements semblent s'opérer
en lui qu'il attribue à des maux d'estomac : « J'ai l'impression que tout ce que j'éprouve vient
de l'estomac » confie t’il à son ami Gaston. Dans son régiment, au réveil, il éprouve pour la
première fois un sentiment inconnu, la pudeur, et refuse de s'habiller devant ses compagnons.
Scène 1: Charlie décide d'aller voir un psychanalyste, une sommité médicale. Ce professeur, à
sa grande surprise, se révèle être une femme d'âge moyen élégamment vêtue. Elle s'exprime
avec grandiloquence. Charlie répond en murmurant, assis dans un fauteuil. Le psychiatre se
tient debout, derrière, appuyée sur le dossier du siège ; elle manifeste ainsi une présence non
visible mais oppressante.
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« La dernière fois que vous avez rencontré une femme, que s'est-il passé ?
- Rien, rien, rien, absolument rien.
- Non, mais vraiment rien ? Enfin, je ne parle pas de toute l'octave, mais un simple accord,
une note même...
- Non une pause, un soupir, une mesure pour rien.
- Votre mère désirait-elle un garçon ou une fille ?
- À l'époque, elle ne me faisait pas ces confidences...
- Elle avait tort ! Avez-vous eu beaucoup d'aventures féminines ?
- Beaucoup...Vous croyez que c'est dû à ça?
- Non [...]
- Mon cas est grave ?
- Inhibition émotive confusionnelle avec tendance à l'exagération des syndromes, rien de très
simple, vous voyez.
- En effet !
- Rêvez-vous quelque fois que vous êtes marié ?
- Souvent !
- Marié avec qui ?
-Dans mes rêves de mariage, il n'y a pas d'homme, seulement deux mariées en robe blanche...
- Double blanc! Complexe du domino ! S'exclame la psychiatre d'un air triomphal.
- Vous vous mariez demain ?
- Oui!Il y a quelque chose à faire d'ici là ?
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- Mmh...Il faudrait un long traitement.
- Ça peut revenir ?
- Ça peut revenir à 500 000 francs. »
La nuit de noces est un fiasco. Charlie s'enfuit au petit matin et se réfugie auprès de sa
psychiatre. Lorsqu'il lui demande, désespéré, de l'aider, elle lui répond en lui posant une main
consolante sur l'épaule :
« A ce point là, ça n'est plus de moi que ça va dépendre. »
Scène 2: La psychiatre adresse son patient à un chirurgien qui se consacre à la transformation
des corps. Le chirurgien à la longue barbe blanche, la psychiatre en élégante tenue de ville, un
assistant et Charlie en peignoir, sont réunis dans une salle d'examen. Le chirurgien prend des
mesures, et l'assistant les note consciencieusement sur un carnet.
« Cinquante et un, quarante deux, trente trois, dix sept, cinq et six.
- Dix sept, cinq et six, répète l'interne.
- Tu as peur ? Interroge le chirurgien en s'adressant à Charlie.
- Non !
- Il faut avoir peur, ça fait partie du traitement.
- Tu es prêt ?
- Ça dépend, à quoi?
- Réponds simplement, ici c'est moi qui pose les questions. Es-tu prêt, vraiment ? Verrier,
quelque chose d'amusant pour toi! lance le chirurgien à son assistant.
- Appendicite ?
- Non! Ablation de moustache ! Rétorque le professeur l'air goguenard. C'est un cas très
intéressant, ce sera mon chef d'œuvre ! [...] Cas tout à fait adapté à mon génie ! Si j'avais été
89
né cent ans plus tôt, Alfred de Musset aurait donné le jour à deux enfants dont Georges Sand
aurait été le père! Quel dommage!
- C'est fait, professeur et sans anesthésique ! intervient son assistant avec fierté.
- Merci ! Ah, charmant, délicieux ! N'est-il pas mieux comme ça ! Mmh … il est magnifique,
un premier pas vers la transformation finale ! Ecoute bien à partir de maintenant, tu n'es plus
en circulation, tu m'appartiens, tu es mon bien, ma chose. Tu vas écrire chez toi pour rassurer
ton monde, compris ? Bon, parfait, on va te montrer ta chambre. J'ai deux oursins à finir, deux
wistitis à expédier et je suis à toi. »
Après deux ans passés clandestinement dans la clinique, Charlie devient Charlotte.
Discussion :
On retrouve ici le rapport du médecin au « corps objet » notamment dans la scène 2, où
Charlie est présenté par son chirurgien comme « un cas très intéressant... », tout à fait adapté à
son génie. Au cours de la consultation, on prend ses mesures comme on le ferait d'un
vêtement. Il va subir les expérimentations audacieuses de son chirurgien, qui recherche la
gloire à travers la transformation de son corps : « Tu seras mon chef d'œuvre ! ». Le film nous
offre une caricature de médecin prêt à toutes les expériences : « J'ai deux oursins à finir, deux
wistitis à expédier et je suis à toi ».
Le thème central du film est la transsexualité : Charlie ressent peu à peu une transformation en
lui, comme si son corps n'était plus vraiment le sien. Le chirurgien va l'aider à correspondre à
l'image mentale qu'il a de son corps, à se réapproprier son identité sexuelle : Charlie devient
Charlotte. Sa féminisation lui permet enfin de s'épanouir, elle assume son corps et l'expose en
dansant dans un cabaret où elle tient la vedette. Elle accepte enfin avec enthousiasme le
mariage avec un homme qui se révèle lui-même être un transsexuel. L'intérêt du film selon
nous réside essentiellement dans son sujet, particulièrement audacieux pour l'époque.
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III.3.2.1.2. Le rapport au corps malade et mortel : la représentation imaginaire
du corps malade par le malade lui-même et son statut de corps mortel
Le statut de malade apporte au sujet une identité mais il lui rappelle surtout sa dimension de
corps mortel. Le corps en santé devient à la suite du verdict de la médecine, un corps malade.
On connaît la chanson [58]:
Film français, 1997.
Réalisateur : Alain Resnais.
Genre : Comédie.
Interprètes : Sabine Azema, Pierre Arditi, André Dussolier
Résumé: « On connaît la chanson » met en scène la valse des sentiments. Simon, modeste
employé dans une agence immobilière, dont la véritable passion consiste à écrire des pièces de
théâtre pour la radio, aime Camille, brillante étudiante en histoire, dont il devient le confident.
Marc Duveyrier, patron de Simon, agent immobilier sans scrupule, séduit Camille suite à un
malentendu. Marc tente de vendre malhonnêtement un appartement à Odile, la soeur de
Camille, malgré la désapprobation muette de son mari Claude. Celui-ci supporte mal la
réapparition de Nicolas, ancien amant d'Odile, après des années d'absence. Nicolas, qui se
révèle être en pleine dépression, devient le confident de Simon...
91
Scène 1 : Nicolas en pleine crise de la quarantaine, en instance de divorce, qui présente tous
les symptômes de la dépression et de l'hypochondrie, consulte de nombreux médecins afin de
comprendre son mal: deux consultations médicales se succèdent, chacune introduite par les
paroles de la chanson de Gaston Ouvrard, prononcées par Jean Pierre Bacri, « Je n'suis pas
bien portant », « J'ai la rate qui s'dilate, j'ai le foie qu'est pas droit, j'ai le ventre qui se rentre,
j'ai l'pylore qui s'colore...".
La première scène se déroule dans un cabinet chaleureux et douillet, face à un médecin à
l'allure débonnaire avec son embonpoint et son noeud papillon d'un autre temps :
« [...] Et dans votre vie en général, ça va, vous n'avez pas de souci?
- Parfait, parfait, ma vie en général... Je ne sais pas si vous vous souvenez mais la dernière fois
qu'on s'est vus, vous m'avez donné une cure de Stimusil pendant deux ou trois semaines ; j'ai
l'impression que ça avait bien marché, ça.
- Je vais vous en mettre. Alors attention, le vitamose, y a des petits effets secondaires. Pas
toujours mais ça peut arriver. Alors là vous arrêtez tout de suite.
- Quel genre d'effets secondaires ?
- Off, des rougeurs, des bouffées de chaleur, des picotements...
-Ah mais moi j'en ai tout le temps des rougeurs, des bouffées de chaleur, des picotements...
-Bon, bah, on va enlever le vitamose. »
92
Nicolas, soupirant :
- Là ça me le fait, j'ai mal dans la poitrine, j'arrive plus à respirer, j'ai pensé à la tuberculose,
moi, c'est ridicule?
Le médecin, sèchement, à bout de patience, lui tendant ses ordonnances :
Ridicule. »
Scène 2 : Dans la deuxième scène, Nicolas, l'air toujours désemparé et abattu, se retrouve
confronté à une femme d'une cinquantaine d'année, l'air acerbe, le regard froid, aux gestes
théâtraux :
« Qu'est ce que je peux faire?
- Pour l'instant rien du tout. [...] En tout cas arrêtez le Néparil, c'est un conseil que je vous
donne, dit-elle d'un ton scandé, l'air menaçant. C'est aberrant pour moi de donner ça [...] En
fait je vais vous expliquer, c'est très simple. Quand vous arrêtez, vos défenses immunitaires
chutent et forcément la première cochonnerie qui passe elle est pour vous. Voilà. »
La scène se termine par un gros plan sur le visage de Jean Pierre Bacri, l'air plus égaré que
jamais.
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Discussion :
On est dans la représentation imaginaire que le patient se fait de son propre corps qu'il
imagine malade, illustrée par la chanson : « J'ai la rate qui se dilate... ». Se considérer comme
malade confère à Nicolas un statut, alors qu’il est en pleine déroute sentimentale et
professionnelle. Sa quête de la guérison donne un sens à son existence. Ce film souligne
également la représentation imaginaire que chaque médecin a du corps du patient. Leurs
différents points de vue s’opposent : il n’existe pas une seule interprétation de la réalité de la
maladie.
Se représenter son corps comme malade revient à accepter son caractère mortel. Dans « Le
petit prince a dit » [59], la sentence de corps mortel s'abat sur un enfant chez qui l'image de
la mort est particulièrement insupportable.
Le Petit Prince a dit :
Film français, 1992,
Réalisatrice : De Christine Pascal
Genre : Drame psychologique
Interprètes : Marie Kleiber, Anémone, Richard Berry
Résumé :
Violette, petite fille de dix ans replète et maladroite, vit avec son père Adam. Celui-ci est
médecin et se consacre à la recherche dans un laboratoire. Il est séparé de sa femme Mélanie,
comédienne fantasque et délurée. Adam voue une adoration à sa fille mais se montre exaspéré
par sa voracité et sa gaucherie. Il entretient une liaison avec sa jeune assistante, Lucie, femme
moderne et rationnelle, au corps mince et sculptural, mal acceptée par la petite Violette.
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Alarmés par l'exacerbation des maladresses de leur fille, Adam et Mélanie adressent Violette à
un neurologue qui lui découvre une tumeur cérébrale gliale, étendue et inopérable. Adam
prend alors la décision de soustraire sa fille au corps médical afin de lui éviter un pénible
acharnement thérapeutique. Ils s'enfuient tous deux vers l'Italie, dans une sorte de « road
movie » en tête à tête, afin de rejoindre Mélanie qui répète à Milan une pièce avec sa troupe.
Puis la famille reformée se réunit en Provence dans la propriété familiale. Lucie les y rejoint
mais se voit exclue de ce drame : elle ne peut comprendre le refus des parents de prolonger la
vie de leur enfant au prix de soins médicaux aussi pénibles soient-ils. Elle finit par s'éclipser.
La cellule familiale se voit ainsi recréée autour de Violette afin qu'elle vive ses derniers mois
dans la sérénité et le bonheur.
Scène 1: Adam vient chercher sa fille qui a passé une semaine de vacances avec sa mère dans
la propriété familiale en Provence. La petite se précipite dans les bras de son père qui
s'exclame avec une effusion sincère, la faisant voler dans ses bras :
« Tu m'as manquée, mon amour, la semaine m'a parue longue, longue, longue ! »
Violette signale à son père que Mélanie voudrait lui parler. Elle attend sagement dehors jouant
à l'équilibre sur un tronc d'arbre suspendu au-dessus de l'eau. Adam rejoint Mélanie dans la
cuisine.
Dans le plan suivant, Adam vocifère, l'air exaspéré :
« Elle a toujours été maladroite cette gamine, ça ne peut pas être pire que d'habitude ! »
Mélanie est assise fumant nerveusement une cigarette.
« Elle est gauche, elle est gauche, on va pas la refaire !
- Ça évidemment non !
- Bon alors !
- Alors elle a mal à la tête et elle a mal aux yeux aussi...
- Et alors ! C'est de son âge ça. C'est la croissance.
- Bien sûr. Elle a vomi trois fois cette semaine.
95
- Elle mange trop. Je t'avais prévenue.
- C'est toi le toubib ?... [...]
- Tu l'as montrée à Marie ?
-Ben oui, bien sûr!
- Alors qu'est-ce qu'elle lui a fait Marie ? Elle lui a imposé les mains, elle lui a fait mangé des
graines et fait boire des tisanes ? lance Adam l’air goguenard.
- C'est elle qui m'a demandé de lui prendre rendez-vous si tu veux savoir. Elle est pas bornée,
elle. Quand elle sait qu'elle peut rien faire pour quelqu'un, elle l'envoie à l'hôpital.
- Ah ben alors si Marie l'a dit, y a pas à discuter, elle a toujours raison, Marie!
- Mais qu'est-ce que ça te coûte de vérifier ?
- Mais rien ça ne me coûte rien en effet, sauf que j'ai autre chose à foutre que d'emmerder
Violette avec des conneries pareilles. [...]
- Jean-Pierre l'a prise en urgences le 29 à 18h30 [...]. Je serai pas là, tu iras ? implore-t-elle.
- Oui j'irai, bien sûr que j'irai, répond-il sur un ton rassurant.
- Mmh... Quelque chose pour le chèque... T'as l'intention de participer aux frais pour cette
semaine ? Ah oui c'est vrai avec tout ce qu'elle bouffe ! »
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Scène 2 : Cédant aux instances de Mélanie, Adam conduit sa fille consulter un ami
neurologue, Jean-Pierre. Tous trois sont réunis dans une salle de consultation. Jean-Pierre est
penché sur la petite et Adam les observe assis, l'air pensif et distant dans un autre plan. Il ne
partage nullement les inquiétudes de sa femme. Jean-Pierre procède à un examen
neurologique. La petite, vêtue d’une culotte et d'un maillot de corps qui souligne ses rondeurs
observe l'examinateur d'un air concentré. Il lui montre chaque mouvement afin qu'elle les
exécute.
« Alors tu vas prendre ton index et tu vas le poser sur ton nez, une fois comme ça et l'autre
main, voilà. Maintenant, tu vas fermer les yeux, et tu refais la même chose... Ouais vas-y un
peu plus vite, un peu plus vite, oui ! »
Le médecin observe d'un air bienveillant l'enfant qui réalise parfaitement les manœuvres.
L'examen semble ludique aux yeux de l'enfant.
« Bon d'accord, tu connais les marionnettes, et bien, fais-le, fais le vite parce qu'elles vont très
vite ! Bon très bien d'accord [...]. Est-ce que c'est vrai que tu as souvent mal à la tête ?
- Mais non, intervient le père sans attendre la réponse de sa fille, Enfin, tu connais Mélanie ?
- Si c'est vrai ! rétorque la petite d'un air de défi, et quand je me réveille le matin je suis pas
très bien. »
Jean-Pierre posant la main de manière protectrice sur la tête de l'enfant :
« T'es pas très bien... Bon allez on va s'étendre un peu là [...] »
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Violette s'allonge avec confiance sur la table d'examen.
« Et on va voir si t'es forte. Tu résistes, ouais d'accord, tu mets tes doigts comme ça, tu serres,
ouais très bien, ouais très bien et maintenant tu tends comme ça tes bras les paumes en l'air,
voilà, et tu fermes les yeux. »
Pour la première fois, le test montre une anomalie : Violette ne parvient pas à maintenir son
bras gauche qui effectue des mouvements pendulaires de bas en haut.
Jean-Pierre hésitant : « Ouais, ouais… »
Le père fixe la scène d'un air imperturbable.
Le médecin poursuit rapidement son examen comme pour effacer la scène. Il teste les réflexes
ostéo-tendineux qui se révèlent normaux.
« Très bien, voilà, parfait, et maintenant une petite torture inattendue ! »
Il teste les réflexes cutanés plantaires, Violette éclate d'un rire sonore.L'examen se poursuit en
position debout.
« Tu fais comme si tu marchais le long d'un fil, tu vois un pied devant l'autre et tu feras ça les
yeux fermés, hein, alors voilà tu peux y aller, viens ! »
Il se tient face à elle et lui tend les bras. L'enfant dévie de la ligne et paraît complètement
ataxique. Le père observe la scène toujours silencieux, impavide, dans l'attitude du penseur.
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Le médecin, embarrassé, masquant son inquiétude :
« Ouais bon, bon tu vas t'asseoir là, voilà tu t'assois près du lit et on va regarder un peu ces
yeux. [...] Ouais tu regardes bien en face de toi, tu la vois bien ma lampe de poche et tu vas
me dire si tu la vois là. »
Il place la lampe dans l'hémichamp visuel droit puis gauche de Violette. Celle-ci s'exclame en
souriant, croyant à un tour de magie :
« Tiens c'est marrant, elle est double. »
Le médecin observe un silence puis reprend : « Tu la vois double, bon. [...] »
Il se retourne à peine, et évite de regarder le père.
« Bon... Et bien écoute... Euh... On va faire un petit scanner.
- D'accord, répond docilement la petite.
- C'est rien du tout, c'est juste pour voir », la rassure-t-il.
Scène 3: Violette est étendue sur l'appareil. On entend le vrombissement de la machine.
Tandis qu'une infirmière pose la perfusion, elle écoute silencieusement les paroles rassurantes
de Jean-Pierre qui caresse sa cuisse et son bras à plusieurs reprises, protecteur, et lui
chuchote :
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« C'est moi qui suis de l'autre côté, la rassure-t-il. Allez mon vieux, tu sais la règle, pas de
parents ici, va te boire un café, t'inquiète pas, c'est juste pour la forme, je suis pas inquiet. »
Il presse le bras de son ami tout en tentant de le repousser, doucement.
« Je suis pas inquiet ! », affirme-t-il, en effectuant des mouvements de dénégation de la tête.
Le père se retrouve seul dans le couloir et semble saisi d'une idée. Il prend l'ascenseur d'un air
déterminé et se rend dans une pièce reliée à la salle d'examen ; il assiste ainsi plan par plan au
déroulement du scanner de son enfant.
Adam procède par étape, calmement, tel un somnambule. Il allume l’ordinateur, voit les
coupes défiler, s'assoit et branche le son.
On entend le neurologue commenter les images avec un manipulateur de radiologie.
« Les espaces péricérébraux sont fins m'enfin à son âge c'est...
Des mots nous échappent, Adam amplifie le son.
- Pas d'asymétrie entre les hémisphères, belle ligne médiane, pas d'hémorragie, pas d'effet de
masse. En tout cas c'est rassurant pour la partie sus-tentorielle. »
La caméra fait un plan sur la petite étendue immobile dans l'espace clos du scanner, comme
dans un tombeau, le vrombissement de la machine donne un caractère inhumain et terrifiant à
la scène. Son corps progresse lentement dans la machine.
100
Jean-Pierre poursuit ses commentaires.
« Mmh, là c'est vrai que les ventricules sont un peu dilatés, je me demande si elle ne nous fait
pas un peu d'hydrocéphalie.
- Toujours pas de lésion dans les hémisphères en tout cas », réplique son assistant.
Jean-Pierre reprend : « Ah voilà les carrefours ventriculaires... Ouais c'est un peu, c'est un
peu...Vas-y encore, vas-y avance... Le troisième ventricule, il est un peu dilaté tu vois, mais
faut attendre de voir les cornes temporales, avance encore... »
Les coupes défilent inexorablement. La caméra fixe le visage du médecin qui semble rendu
muet par ce qu'il découvre. Puis le visage du père s'affiche, l'air sombre, comme s'il savait
déjà. Lui parviennent les commentaires de son ami, consterné.
« Ah merde, c'est quant même un peu bizarre. Ah ! Merde, le tronc est complètement
tuméfié... Vas-y avance... Ah c'est pas vrai, regarde moi ça, les cornes temporales sont
toujours là, le tronc est tout gonflé, tu veux voir les coupes après, ouais, ouais, vas-y, vas-y...
Ah là c'est clair, y a sûrement une lésion. Ah ouais, pas de doute, y a sûrement une tumeur,
vraisemblablement une tumeur gliale, reviens voir deux coupes en arrière... »
Le père se lève, le visage résolu ; il enfile sa veste machinalement et sort de la pièce, il fait
irruption dans la salle d'examen sans émettre un mot, arrache sa fille avec violence de ce
tombeau mécanique, la saisit par la main et l'entraîne hors de la pièce, ignorant son ami qui
tente de l'arrêter :
101
« Attends, attends, mais qu'est-ce que tu fous ? »
Il traîne la petite qui tente fébrilement de le suivre sans résistance, trottant à ses côtés,
confiante en son père, vêtue simplement de sa culotte et de son justaucorps.
Ils se précipitent dehors sous une pluie torrentielle, Adam installe sa fille dans la voiture, et
démarre brutalement. Violette silencieuse se rhabille, jette quelques regards sur son père ; elle
semble avoir compris.
« T'as oublié mes chaussures ! s'exclame-t-elle d'un ton de reproche.
-…
- J'ai faim! », lance-t-elle comme pour affirmer qu'elle est toujours vivante.
Elle attache sa ceinture. Le père conduit muet, imperturbable, les essuie-glaces sont lancés à
pleine vitesse.
Dans le plan suivant, il fait nuit, la voiture est à l'arrêt. Violette se réveille seule, à l'arrière, du
sommeil profond et candide des enfants. Lentement, avec application, elle refait la manœuvre
doigt-nez de l'examen neurologique, qui semble avoir déclenché un déchaînement
d'événements.
Scène 4 : Il fait jour. Adam est dans la chambre d'un motel, au téléphone, il prévient la
nourrice Minerve de leur départ tout en surveillant sa fille à travers la fenêtre qui joue autour
de la piscine. Il s'exprime avec une légèreté feinte mais très vite, il comprend que la nourrice
est au courant. Lucie se saisit du téléphone :
« Adam, c'est moi ! Adam j'ai vu Jean-Pierre, il m'a montré le résultat du scanner. J'ai
téléphoné à De Vries, il est à San Francisco, il serait d'accord pour poser un drain mais à
Détroit seulement et avec son équipe. Adam tu m'écoutes ? Adam tu es là ? Adam ! Adam ! »
Adam oppose un silence inébranlable à son amie, et fixe sa fille qui fait de l'équilibre autour
de la piscine. Soudain Violette crie et tombe dans la piscine, son père lâche le combiné. Et se
précipite tout habillé dans l'eau. Il ramène sa petite vers le bord.
Violette s'exclame en riant :
102
« Oh ! Mais tu m'as fait peur !
- Oh ! Mais toi aussi tu m'as fait peur, espèce de folle. »
Ils jouent et s'éclaboussent.
« Allez nage, que je t'attrape. »
L'enfant rit, confiante. Adam sort de la piscine et l'encourage à nager :
« Allez tu barbotes là. On se dépêche, allez c'est bien ! Allez vite on revient, allez c'est pas
comme ça que je t'ai appris à nager. Allez ça traîne là. Tire sur les bras, sors-moi les fesses
[...] Qu'est-ce que t'es molle, Allez. »
L'enfant se soumet du mieux qu'elle peut à cet entraînement mais finit par s'interrompre
essoufflée, épuisée.
« Continue bon dieu, continue !
- J'en peux plus papa, j'ai mal à la tête ! »
Violette prend sa tête dans ses mains, son père se jette dans la piscine, la prend dans ses bras
en l'embrassant.
« Serre-moi fort. Pardon mon bébé, pardon mon amour, c'est fini, c'est fini !
- Je veux aller voir maman à Milan, dit-elle sanglotant dans les bras de son père.
103
- Pardon, pardon ! »
Scène 5: Adam et Violette prennent leur petit déjeuner sur la terrasse déserte d'un hôtel au
bord de la mer. Le père observe silencieusement sa fille avaler gloutonnement des beignets.
La petite s'aperçoit du regard distant de son père, s'interrompt, gênée, la bouche encore
maculée de crème, puis s'effondre de la chaise. Adam se précipite vers sa fille et lui caresse
tendrement les cheveux. Les yeux cernés, soulignant son état, elle relève le visage et interroge
son père :
« Papa, c'est quand que je vais mourir ?
- Tu ne vas pas mourir, qu'est-ce qui te prend ? Lui oppose-t-il faiblement.
104
- J'ai quelque chose dans la tête, je l'ai bien vu. »
L'enfant parle calmement, avec sérieux.
« On ne meurt pas seulement parce qu'on a quelque chose dans la tête, c'est idiot de faire des
réflexions de ce genre.
- Tu veux pas me dire la vérité ?
- Si pourquoi tu dis ça ?
- Tu sais, quand j'étais sur la montagne à la frontière, et bien je me suis vue.
- Comment ça tu t'es vu ?
- Je me suis vue d'en haut, couchée dans l'herbe, je m'étais envolée avec le papillon, vers le
papillon, vers la lumière blanche.
- Ah bon !
- Mais oui je te l'ai déjà raconté le papillon qui est venu sur la montagne.
- J'avais pas compris ça, reraconte-moi alors.
- Quand t'es parti chercher la voiture, ma tête est devenue lourde. Petit à petit elle est devenue
légère, légère et là le papillon est sorti de ma tête et là je me suis envolée avec lui dans la
105
lumière blanche. C'est là que je me suis vue couchée dans l'herbe. Tu vois c'était moi, mais
c'était pas vraiment moi.
- C'est à cause de ça que tu crois que tu vas mourir ?
- Oui. Tu crois que le papillon, c'était mon âme ? »
Le père se tait, retire ses lunettes.
« Tu veux que je t'explique ?
- Mmh … »
Il saisit une serviette en papier, le symbole même de l'évanescence, et dessine dessus.
« Est-ce que tu sais... C’est pas tout à fait comme ça, en fait le mal il est à l'intérieur. Tu vois
ça c'est le cerveau... »
Il dessine l'esquisse d'un cerveau puis s'interrompt et reprend une autre serviette.
« Non, d'abord il faut commencer par le commencement. D'abord il y a les cellules. Ça, c'est
une cellule avec son noyau et ses chromosomes. Enfin dans tout le cerveau il y a des cellules
et elles sont organisées ensemble en tissus, comme ça. Et tu vois, parfois, on sait pas pourquoi
ça se passe pas bien. Y a une cellule qui dégénère et qui se multiplie et ça devient de
mauvaises cellules toutes groupées ensemble et ça fait ce qu'on appelle une tumeur qui grossit
de plus en plus si on la laisse faire. »
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Le père poursuit ses explications malgré son émotion.
« Un amas de mauvaises cellules ça devient mauvais pour le cerveau parce que ça touche
des... parce que ça touche des... »
Il ne parvient pas à terminer sa phrase. Violette intervient avec douceur et naïveté, consolant
son père.
« Mais si c'est comme ça t'as qu'à l'enlever, t'as qu'à m'ouvrir, voir le mal et puis me l'enlever !
- Mais tu comprends, c'est plus compliqué. Le cerveau c'est dangereux parce qu'on risque...On
risque... »
Il masque son visage avec ses mains et pleure pour la première fois devant sa fille. Violette le
considère gravement sans pleurer. Ils se prennent la main sur la table du petit déjeuner.
« Maman aussi elle doit être triste toute seule après ce coup de téléphone. On pourrait aller
aux Oeillères en France et là on pourra lui dire de venir pour la consoler.
- C'est là que t'as envie d'aller ?
- Oui ! »
Scène 6 : La famille est réunie comme le souhaite Violette dans la maison de vacances en
Provence. Lucie, l'amie d'Adam est partie. La cellule familiale est recréée autour de l'enfant.
Au crépuscule dans une chambre à l'étage, Mélanie et Violette construisent un autel avec des
bougies pour rappeler le chien de la petite, qui s'est enfui laissant l'enfant désœuvrée.
« Tu crois que ça va marcher ? interroge Violette, hésitante.
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- Je le crois pas, je sais que ça va marcher, répond la mère en chuchotant comme dans un lieu
sacré. Il suffit de le vouloir toutes les deux ensemble, parce que tu sais quand tu te concentres,
ça crée une force et rien ne peut résister à cette force.
- Çà marche aussi sur les humains? interroge Violette l'air confiante en sa mère.
- Mais oui et quelques fois c'est même sur les humains que ça marche le mieux, tiens vas-y
termine.
- Non ! S’oppose Violette, en tendant la bougie.
- Pourquoi ?
- Je suis trop maladroite. »
La mère soutient Violette pour allumer la bougie.
« Allez la bougie. Allez, bravo ma chérie. Très bien, allez regarde là, tu vois on ferme les
yeux et on pense et on pense très fort toutes les deux. »
Elles collent leurs visages se serrant l'une contre l'autre.
« Il faut qu'il revienne, je veux que le chien revienne, reviens le chien, tu penses très fort avec
moi Violette.
- Parle pas trop, tu me déconcentres. »
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Pendant leurs prières, le père assis seul dehors sur un tronc, voit le chien revenir :
« Ah ! Tu es là toi. Tu ne crois pas qu'on a assez de misères comme çà ? »
Lorsqu'il revient à la maison, la mère est étendue auprès de Violette qui s'endort. Elle regarde
son enfant à la lueur des bougies. Adam se penche sur son enfant.
« Elle dort, presque, murmure Mélanie. »
Violette entrouvre les yeux, aperçoit son père et chuchote : « Papa, regarde ! »
Elle exécute les mouvements de doigt-nez et les marionnettes.
« C'est bien Violette, tu sais, le chien est revenu.
- Je suis un petit peu fatiguée.
- Je le sais, dors, dors maintenant, lui enjoint-il doucement en lui caressant le visage.
- Bonne nuit papa !
- Bonne nuit ma chérie ! »
Il serre avec force un oreiller contre lui comme pour éponger sa tristesse. On visualise en plein
écran le visage paisible de l'enfant que les parents regardent s'endormir. L'image passe de la
couleur au noir et blanc.
109
Discussion:
On retrouve le rapport au « corps objet » dans la scène 3, où l'imagerie froide découpe et
détaille le corps de Violette. Planche par planche, les images défilent et révèlent le mal dont
souffre l'enfant. Le médecin réalise avec distance une description anatomique des structures
de son cerveau : « Belle ligne médiane, pas d'hémorragie, pas d'effet de masse ». Il étudie les
limites de la tumeur: « Reviens voir deux coupes en arrière [...]. Regarde comme c'est limité
au bout, regarde là, tu vois là, on a vraiment l'extension inférieure de la tumeur ». Ce langage
froid scientifique est vecteur d'une sentence de mort pour le père. Le contraste entre le langage
technique et la vulgarité, le médecin ne se sachant pas écouté et ponctuant ses phrases de
« merde » et de « ouais » (« Ah ! merde, le tronc est complètement tuméfié ») rend l'annonce
d'autant plus réelle et insupportable.
Le corps médical s'apprête à soumettre l'enfant tel un objet à un acharnement thérapeutique
dans le but de prolonger sa vie au prix de souffrances et de manipulations douloureuses
comme la pose d'un drain. Les parents s'opposent à cette idée et tiennent à assurer à leur fille à
peine âgée de neuf ans une vie d'enfant jusqu'à la fin.
Dans la scène 5 du petit déjeuner, Adam répond aux demandes de sa fille au sujet de la mort
par des explications sur l'oncogenèse. Incapable de se projeter dans l'imaginaire de la mort de
sa fille, il dessine sur une serviette les chromosomes, les noyaux, les cellules et les tissus. Il
évoque les mutations : « Parfois on ne sait pas pourquoi, ça se passe pas bien. Y a une cellule
qui dégénère et qui se multiplie ». Il nous offre un imaginaire manichéen du corps
anatomique, parlant de « mauvaises cellules ». Adam tente d'exorciser le concept de la mort
de sa fille en lui donnant des notions d'oncologie qui ne répondent pas à ses interrogations.
La scène 1 souligne le contraste entre l'examen clinique de l'enfant et celui de l'adulte décrit
dans « Journal intime » où l'adulte est réduit à un « corps objet », une sorte de pantin dont on
néglige les émotions. Au contraire, le neurologue, face à l'enfant, doit l'amadouer et pénétrer
dans son monde imaginaire, il se met lui-même en scène et donne un aspect ludique et humain
à la consultation: « Tu connais les marionnettes, eh ben alors fais-le! ». Il la tutoie et
commente chacun des tests d'un air rassurant. Ce contraste est peut être dû à une attitude
profonde du médecin qui, contrairement au dermatologue dans « Journal intime », donne à la
relation à son malade une dimension humaine. Il semble également s'opérer un processus
d'identification: le médecin s'imagine peut être que Violette pourrait être son enfant.
110
Ce film nous contraint à projeter l'image d'un corps mortel sur celui d'un enfant. Adam ne peut
imaginer son enfant en tant que corps malade. La sentence de mort assénée par les médecins
fait basculer le statut de l'enfant, fait par essence pour vivre dans l'imaginaire collectif, à un
corps qui va mourir. Le père se réfugie dans un déni obstiné, comme le montre la scène 1 où il
s'évertue à banaliser tous les symptômes de Violette énumérés par sa femme, lui le médecin,
aveuglé par sa position de père aimant :
« Elle a toujours été maladroite cette gamine, ça ne peut pas être pire que d'habitude [...]
- Elle a mal à la tête, elle a mal aux yeux aussi.
- Et alors c'est de son âge, c'est la croissance !
- Elle a vomi trois fois cette semaine.
- Elle mange trop, je t'avais prévenue ! »
Il s'accroche aux rondeurs de sa fille, à sa voracité, à sa candeur; cette enfant bouillonnante de
vie ne peut mourir. Il cherche même à l'empêcher de mourir en la rendant invincible. Dans la
scène 4, après avoir cru qu'elle se noyait, il la soumet à un exercice de natation jusqu'à
l'épuisement. Elle finit par demander grâce.
Violette, elle, accepte la mort avec calme et simplicité. Ainsi elle interroge son père dans la
scène 5 : « Papa quand est-ce que je vais mourir ? [...] J'ai quelque chose dans la tête, je l'ai
bien vu ». Contrairement à son père, qui n'évoque que des théories scientifiques expliquant la
dégénérescence de la matière, elle affronte le concept de mort et parvient à s'y projeter. Dans
la scène 5, elle décrit l'indicible : sa propre mort, son âme symbolisée par un papillon quittant
son corps : « Ma tête était lourde, petit à petit elle est devenue légère, légère, et là le papillon
est sorti de ma tête et là je me suis envolée avec lui vers la lumière blanche, c'est là que je me
suis vue couchée dans l'herbe. Tu vois, c'était moi, mais c'était pas vraiment moi ».
Dans la scène 6, la mère emmène sa fille dans son monde imaginaire en édifiant un autel où se
recueillir pour rappeler le chien perdu. Elle lui permet de s'évader dans un monde de rêve et
d'espoir aussi primordial que le monde trop réel où son enfant a été projetée violemment.
La scène se termine sur le visage paisible et confiant de l'enfant en train de s'endormir,
observé par ses parents. L'image passe des couleurs au noir et blanc du souvenir puis à la
111
lumière blanche de la mort. La mort de Violette est ainsi représentée et semble enfin acceptée
par ses parents.
Le rapport du corps malade à la mort est illustré par d’autres films qui soulèvent la même
interrogation : comment la corporéité, dans ce qu’elle a de plus objectale, pousse un sujet à en
explorer, au travers de la maladie, sa dimension imaginaire et symbolique ?
Dans « Docteur Françoise Gailland » [60], comédie dramatique de Jean-Louis Bertucelli,
avec Annie Girardot, une femme médecin se fait une radiographie de poumon. Elle l'affiche
sur un négatoscope à l'hôpital et ne semble rien voir, comme si elle présentait un scotome de
lecture. Un confrère de passage commente froidement la radiographie, ignorant le patient
concerné : « Oh là là, sale truc ». La caméra zoome sur le visage sidéré du Docteur Gailland.
Ce film met en scène une femme médecin qui doit se projeter dans la maladie et la mort. Dans
le service qu'elle dirige à l'hôpital, le Docteur Françoise Gailland n'a pas la réputation de
mâcher ses mots, encore moins celle de perdre son temps. Efficace et précise, elle parcourt les
salles, suivie de sa cohorte d'assistants et d'étudiants, rassurant les malades pessimistes,
plaisantant avec ceux-ci ou rudoyant ceux-là. Habituée à côtoyer la maladie et la mort des
autres avec la distance nécessaire, la voilà contrainte de s’imaginer sa propre déchéance et son
statut de corps mortel.
« La mort en direct » [61], drame français de Bertrand
Tavernier, réalisé en 1979, avec Romy Schneider et Harvey
Keitel, met en scène dans un futur proche une femme,
Katherine Mortenhoe, qui apprend qu’elle est atteinte d’une
maladie mortelle. Dans ce pays où la mort est évacuée tout
comme les sentiments, où même les livres s'écrivent par
ordinateur, elle va mourir. Et parce que tout s'achète, le
directeur d'une chaîne de télévision, Ferriman, offre à
Katherine Mortenhoe de lui acheter sa mort, de diffuser, en
direct, les dernières semaines de son agonie. Déjà, des
portraits publicitaires ornent les murs et les autobus de la
ville. Kathryn est célèbre. Mais cela, elle le refuse. Puisqu'il s'agit de comédie, elle décide d'en
jouer une autre : elle signe le contrat qui fait d'elle cette « star » éphémère, elle laisse presque
112
tout à son second mari, faible et veule, et elle s'enfuit, perruquée, méconnaissable... On peut
toujours s'enfuir, mais arrive-t-on à s'échapper ? Depuis le début, un homme, Roddy, à la
solde de Ferriman, surveille Kathryn. Une opération délicate a fait de Roddy un homme
caméra. En effet, ses yeux, filment tout ce qu'il voit, notamment Katherine dont il gagne
l'amitié. Celle-ci fuit, loin, toujours plus loin, sans savoir que ses moindres gestes sont
transmis à la station où Ferriman et ses hommes trient les images reçues et les diffusent en
tranches quotidiennes : « La mort en direct », comme si vous y étiez. Jusqu’au jour où Roddy,
écoeuré, jette la source de lumière qui lui assure la vue et devient aveugle. Katherine, qui a
tout compris, guide son « espion » jusqu'à la maison où vit, en ermite, son premier mari,
Gerald Mortenhoe. Ferriman finit enfin par révéler la vérité : Katherine n'est pas malade. Ce
sont les médicaments prescrits par le médecin qui la rendent malade. Lorsque Roddy parvient
jusqu'à la propriété isolée de Mortenhoe, il est trop tard ; fidèle à son destin, dans l'espoir de
confondre à jamais ses bourreaux, Katherine s'est donnée la mort en ingérant la totalité de ses
soi-disant médicaments.
Scène 1 : Des chirurgiens ophtalmologistes non visibles interrogent Roddy, d’un ton
inquisiteur, sur les suites de son opération.
Scène 2 : Roddy sort de l’hôpital. A l’écran se succèdent une série d’affiches, au titre
accrocheur, « Death Watch : the ultimate adventure » qui découvrent partiellement le visage
de celle qui va mourir.
113
Scène 3 : Les deux journalistes discutent tranquillement derrière un miroir sans tain, ornant un
cabinet médical aux meubles cossus. Le médecin, l’air préoccupé, déambule nerveusement
dans la pièce. Il nettoie ses lunettes et regarde le miroir. Une sonnerie retentit.
« Madame Mortenhoe est ici, annonce la voix d’une secrétaire dans l’interphone.
- Faites la entrer, je vous prie lui intime le médecin. »
Les journalistes communiquent leurs dernières instructions au Docteur :
« Je vous le répète Docteur, je veux que ce soit fait avec une extrême délicatesse !
- Je ne suis pas un débutant, c’est mon métier, rétorque le médecin, exaspéré
- Non, c’est mon métier. Reprend le journaliste. Il ne faut pas seulement qu’elle apprenne la
chose, il faut qu’elle l’assimile, qu’elle l’assimile totalement. »
On voit la patiente se diriger dans le couloir.
« Il y a assez de lumière pour voir son entrée ? », interroge l’un des journaliste, relié à la régie.
Le médecin ouvre la porte et débarrasse Katherine de son imperméable, ils semblent familiers.
« Madame Mortenhoe, Katherine, entrez !
- Bonjour Docteur.
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- Çà marche votre maison d’édition ? »
Elle lui tend un livre.
« Ah! Merci beaucoup.
- S’il y a quelqu’un à remercier, c’est Harriet !
- Harriet ? Répète le médecin, amusé.
- Oui, Harriet, mon ennemie, ma machine.
- C’est toujours la guerre entre vous ?
- Elle est en train de gagner.
- C’est parce qu’elle ne se laisse pas entamer. »
Katherine rit, ils semblent complices, presque intimes.
« Elle gagne parce que tout le monde veut des livres où tout le monde est joli, dans un monde
de rêves.
- Katherine ! Le monde n’est pas si laid que ça ! dit il lui saisissant la main.
- Non, mais hélas, il n’est pas aussi léger, ni aussi mignon, ni aussi sécurisé que le croit
Harriet, n’est ce pas, Docteur ? »
Soudainement il se détourne vers le miroir, gêné et répond, laconique : « Non. »
Il se réfugie derrière son bureau, tandis que Katherine se tourne vers le miroir, étonnée. Elle
s’en approche, faisant face malgré elle aux deux journalistes :
« Tiens, c’est nouveau !
- Quoi ?
- Ce miroir.
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- Non, il a toujours été là… Je vous en prie, dit-il en lui faisant signe de s’asseoir. Elle prend
place en le remerciant.
- Sensationnel ! s’enthousiasme un des journalistes dissimulés. »
Le médecin soupire.
« Qu’est ce qu’il y a ? Mes derniers tests sont aussi mauvais que les premiers ?
- A votre dernière visite, vous m’avez dit que vous oubliez des noms, que vous laissez tomber
des objets.
- Ça m’arrive et alors ? rétorque-t-elle, d’un ton léger. Oui, je me ruine à remplacer ma
vaisselle cassée, et après ? »
Katherine cherche à banaliser, à plaisanter. Le médecin, lui, semble vouloir lui faire deviner
quelque chose. Soudain grave, les yeux baissés, il lui annonce abruptement :
« Il semble que vous soyez en train de mourir. »
La caméra fait le tour de la table et filme le visage de Katherine de profil, muette.
« Quoi ! Parce que j’ai oublié un nom par ci par là. Qu’est-ce que ça veut dire, « il semble
que » ?
- Vous allez mourir », lui lance-t-il sans ciller.
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Le visage de Katherine se transforme, décomposé, des larmes apparaissent.
« Qu’est-ce que c’est que ce truc là, personne ne meurt plus de maladies, la chirurgie est un
massacre, on vous charcute, on vous recoud.
- Pas d’opération, coupe-t-il, d’un ton sans équivoque.
- Je le veux et je serai opérée, s’obstine-t-elle, révoltée.
- C’est inutile. »
Ils paraissent se livrer à un combat, l’un affrontant l’autre.
« Cette opération, je l’exige !
- Ça ne l’arrêtera pas !
- Ça n’arrêtera pas quoi ? Qu’est ce que j’ai Docteur ? Quel que soit le mal, quel qu’en soit le
prix, je veux que ça s’arrange, j’ai le temps, faites le tout de suite. »
Se penchant vers elle, solennel :
« Katherine, il n’y a aucun espoir de guérison, il n’y en a aucun par la chirurgie.
- J’ai combien de temps ?
- Pas longtemps.
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- Combien de temps ? Insiste-t-elle.
- Deux mois, peut être moins.
- Combien, Docteur ? Très bien, je m’en vais alors, dit elle plus calmement.
- J’aurais cru que vous voudriez savoir.
- Non, je vais le vivre, alors le reste qu’est ce que j’en ai à faire. Bon d’accord, mais faites vite
alors. »
Il attend comme pour faire durer l’attente.
« En fait c’est ça qui est incurable.
- Quoi ?
- Votre impatience. Vous êtes en état de révolte permanente, tout vous scandalise, votre nature
est ainsi faite, c’est vrai, non ?
- Oui
- Vous croyez pouvoir changer ?
- Je ne le veux pas.
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- Non. Beaucoup de gens avaient des ulcères, des cancers, ou perdaient la tête, nous ne leur
permettons plus. J’ai quand même consulté des confrères, vous pouvez les voir. »
Elle semble au supplice, son visage exprime une détresse indicible, celle de la mort.
« Non, merci beaucoup, Docteur. »
Elle se lève brusquement, saisit son sac et son imperméable.
« Attendez Katherine ! »
Il se lève, la rejoint.
« Vous allez souffrir.
- Et alors ?
- On peut vous l’éviter. Alors n’attendez pas, ceci vous aidera. »
Il lui tend une boîte de pilules et lui pose une main sur l’épaule.
« Je vous accompagne ! », lui dit-il, à nouveau plus humain, comme soulagé.
« Pff… On fait le montage au fur et à mesure ? », interroge l’un des journalistes derrière la
glace, cynique et détaché.
Discussion :
Dans ce film, le corps médical annonce à Katherine qu’elle va mourir, la contraignant à se
représenter sa maladie et sa mort : « Il semble que vous soyez en train de mourir. »
Ses derniers instants sont filmés à son insu et retransmis « en direct » à la télévision. On est
au-delà de la représentation imaginaire. Les médias offrent au public, adepte de réalisme et de
sensations fortes, la représentation par l’image de la maladie et de la mort. « Le public à soif
d’authenticité. On vous paye pour mourir jeune en public », lance un journaliste à Katherine
pour la convaincre. Le vecteur rendant possible ce spectacle est une caméra implantée dans
l’œil d’un journaliste complice. Tout le film est basé sur un jeu de miroir et d’images, celle de
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la maladie et de la mort filmées avec la complicité de la médecine. Les écrans aussi sont
multiples : le miroir sans tain, les lunettes et les yeux du médecin, la caméra implantée dans
les yeux du journaliste, l’écran de télévision. Ainsi l’annonce du diagnostic est réalisée dans
un cabinet médical de ville, dont un des murs est équipé d’un miroir sans tain derrière lequel
le journaliste est posté, ce qui lui permet de retransmettre les images à la régie par
l’intermédiaire de sa caméra. Katherine reste un moment en suspens devant le miroir
récemment installé :
« Tiens, c’est nouveau !
- Quoi ?
- Ce miroir.
- Non, il a toujours été là… »
Ce miroir lui renvoie l’image de sa propre mort. Le réalisateur dénonce la cruauté et le
mensonge de l’image : ces images sont triées avant d’être retransmises au public en différé, en
dépit du titre de l’émission, « La mort en direct ». Par ailleurs, on apprend à la fin que
Katherine n’est pas malade. Les images ont trompé le public et Katherine qui se donne la
mort, tandis que le journaliste, écoeuré par cette cynique mise en scène, perd la vue en
s’arrachant la source de lumière implantée dans ses yeux pour filmer.
III.3.2.1.3. Le rapport au schéma corporel
Le « corps imaginaire » inclut la façon dont on imagine son corps, mais aussi la manière dont
on le vit. Le schéma corporel est un schéma anatomique et fonctionnel du corps, un schéma
sensoriel, complété par le vécu corporel. Il renvoie au corps réel. Les psychomotriciens y sont
particulièrement attentifs. La perte d'un membre perturbe ce schéma corporel. Le corps garde
en mémoire le membre perdu qui devient « fantôme ». C’est le corps imaginaire construit à
partir des souvenirs et des émotions. Dans « Johnny s'en va-t-en guerre », le corps amputé de
Joe est réduit à un tronc sans visage. Johnny conserve dans ses rêves la réminiscence d'un
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corps indemne, imaginaire. Cependant au fur et à mesure du film, lors des soins tactiles qui lui
sont administrés qui lui procurent un ressenti sensoriel, il va réaliser son état et modifier son
schéma corporel; il n'est qu'un corps sans jambe, sans bras ni visage: « Plus d'yeux, je n'ai plus
d'yeux, plus de bouche, de langue, de dents, de nez, plus de visage du tout, alors un vide! Oh
mon dieu, c'est moi! »
III.3.2.2. Du point de vue du médecin
Les médecins entretiennent un rapport imaginaire avec le corps du malade et y projettent leurs
propres croyances. Ainsi dans « Journal intime », le prurit du réalisateur est successivement
d'origine allergique puis psychologique, le patient devient responsable de ses symptômes. La
réflexologie et la médecine chinoise montrent d'autres visions imaginaires du corps. La
reflexologue affirme que le gros orteil représente la tête et qu'une blessure au pied témoigne
de la volonté du patient de se faire mal à la tête. Dans un autre registre, la médecine chinoise
affirme que le prurit correspond à du vent dans les veines. Chaque médecin et chaque
médecine interprètent différemment le corps et son langage.
Dans « On connaît la chanson », Nicolas multiplie les consultations pour comprendre son
mal et chaque médecin lui donne une interprétation différente, aggravant son désarroi.
Dans « Docteur Jekyll and Mister Hyde », Jekyll, lui aussi, tend à démontrer sa propre
représentation imaginaire du corps et de l’âme qui l’habite. Son but est de démontrer le
manichéisme de l’âme humaine, pour en séparer les deux pôles : « Le moi bon […] qui tend
vers tout ce que la vie a de noble » et « le moi mauvais » qui « cherche à exprimer les pulsions
nées de la relation trouble qui le lie à la terre ». Ce « moi mauvais » rappelle le « das es » de
Nietzsche, repris par Groddek et Freud. Le noble but du savant, plus que la satisfaction de
son orgueil, est de libérer le Bien en nous de l’influence du Mal, comme il l’exprime devant
son assemblée d’étudiants admiratifs. Après la réalisation de son expérience et sa première
transformation physique, le Docteur oscille entre deux aspects physiques, qui sont en quelque
sorte la représentation imaginaire corporelle du Bien et du Mal. Le Mal apparaît comme un
homme monstrueux, aux traits grossiers, à l’allure simiesque, Mister Hyde, comme on le voit
121
sur l’affiche, tandis que le bien est représenté par un homme à la silhouette mince et au visage
noble et pur, le respectable Docteur Jekyll. Le valeureux Docteur Jekyll se consacre aux
indigents, porte un amour éthéré à sa noble fiancée et fréquente la digne bourgeoisie
victorienne. Mister Hyde, lui, qui n’est pas digne de porter le titre de Docteur, s’adonne au
crime, à la luxure et entretient une liaison avec une prostituée dans les bas fonds de Londres.
L’âme et le corps semblent indissociables, chaque facette de la psyché humaine étant
représentée par un corps différent (deux images corporelles de l’âme, comme si le corps
portait la marque de l’âme qui l’habite). Contrairement à ce qu’escomptait le Docteur Jekyll,
c’est finalement la part sombre de sa personnalité qui triomphe, et s’impose, même sans
l’usage de la potion et le conduit à sa perte. A sa mort rédemptrice, il reprend l’aspect du
Docteur Jekyll.
Ainsi, dans le cinéma, les patients, tels Nicolas dans « On connaît la chanson », se
représentent leur corps, en puisant dans leur imaginaire. L’enfant dans « Le petit prince a
dit », comme l’adulte, même médecin dans le « Docteur Françoise Gailland », se confrontent
à leur statut de corps mortel. En outre, malgré sa fonction de scientifique, le médecin conserve
une façon subjective d’imaginer le corps et les maladies. Pour exemple, les innombrables
médecins consultés par Nicolas dans « On connaît la chanson » interprètent chacun
différemment ses troubles. L’image du corps revêt une signification symbolique puisqu’elle
reflète un lien aux autres.
III.3.3. Vision cinématographique du médecin
face à l’aspect symbolique du corps malade
Le « corps symbolique » désigne tout ce qui relie le corps d'un individu à ce qui n'est pas son
corps, à savoir le social, le culturel et le politique. Il définit ainsi l'appartenance à un corps
social. Il inclue également le corps en tant que langage, ou système de signifiants et renvoie à
la psychosomatique.
122
III.3.3.1. Le corps du patient et sa dimension
sociale
Le médecin, selon le code de déontologie, doit faire abstraction de l’origine sociale des
patients qu’il soigne. Chaque corps, quel que soit le statut social et l’origine du malade, mérite
les soins les plus attentifs. Cette notion est particulièrement bien montrée dans « La
chevauchée fantastique » [62].
La chevauchée fantastique :
Film américain, 1939,
Réalisateur : John Ford,
Genre : Western,
Inspiré de la nouvelle « Boule de suif » de Guy de Maupassant,
Interprètes: John Wayne, Claire Trevor, Andy Devine, John
Carradine
Résumé : Une diligence traversant le territoire apache de Geronimo en direction de Lodsburg,
réunit 9 personnages dans un huis clos, microcosme de la société américaine du Grand Ouest:
le Docteur Joshua Boone, médecin déchu alcoolique, Dallas, prostituée chassée par la
communauté bien-pensante de la ville, madame Mallaury l'épouse enceinte et respectable d'un
officier de cavalerie qu'elle souhaite à tout prix rejoindre, Hatfield, un joueur professionnel
qui l'accompagne par galanterie, Monsieur Peacok, un représentant en whisky souhaitant
rejoindre sa famille à Kansas City, Ringo Kid, hors-la-loi respecté, hanté par la volonté de
venger son frère et son père assassinés par les frères Plummer, Gatewood, banquier s'enfuyant
avec l'or de la banque, Curly Wilcox, le shérif qui accompagne sur cette route dangereuse le
123
conducteur de la diligence et Buck, simple d'esprit. Cette assemblée va faire le difficile
apprentissage de la cohabitation sous la menace constante des indiens. Lors de leur parcours
semé d'embûches, madame Mallaury, aidée du Docteur Boone, mettra au monde une petite
fille. La dualité des personnages est mise en relief, les individus peu recommandables se
révélant être les plus respectables. C’est ainsi que le Docteur Boone est sublimé dans l'épreuve
en assumant sa fonction de médecin compétent et sage. Dallas et Ringo, personnages aux
grands cœurs, quant à eux, vont vivre une idylle et expriment leur volonté de fonder un foyer.
Scène 1: Le Docteur Boone, médecin déchu alcoolique, est rejeté et chassé au même titre que
Dallas, une prostituée, par la « ligue de l'ordre par la loi » réunissant la communauté bienpensante de la ville. Ils sont contraints à quitter la ville et embarquent avec sept autres
personnes dans la diligence.
124
Scène 2 : La diligence fait halte dans une auberge au confort fruste, perdue au milieu des
étendues désertiques de l'Arizona. Madame Mallaury, qui vient d'apprendre que son mari a été
blessé lors d'affrontements avec les apaches, s'évanouit dans la salle à manger.
Le Docteur Boone est alors sollicité par l'assemblée. Il se tient chancelant, le regard aviné, une
bouteille de whisky à la main.
Hatfield s'exclame sur un ton méprisant: « Voilà un spécimen de médecin professionnel! ».
Contre toute attente, le Docteur Boone referme avec fermeté sa bouteille de whisky, retire sa
veste et demande:
« Du café! Donnez-moi beaucoup de café et très fort ! »
Soutenu par Ringo et le shérif, il se fait vomir.
« Est ce que votre ivrogne est en meilleur état? s'enquiert Hatfield, l'air dédaigneux.
[...] Secouez-le! »
Après avoir reçu plusieurs verres dans la figure, le Docteur Boone, une serviette sur l'épaule,
un seau d'eau chaude à une main et sa sacoche à l'autre main, semble enfin prêt à assumer sa
fonction. Il pénètre enfin dans la chambre improvisée de la patiente. Dallas fait office
d'infirmière dévouée, au service de cette femme prude qui l'a rejetée à plusieurs reprises.
Dans la nuit éclairée par un croissant de lune, alors que les hommes rassemblés autour d'un
jeu de cartes baignent dans une atmosphère enfumée de tripot, le cri d'un coyote masque les
vagissements d'un nouveau-né. Dans cette situation désespérée, alors que les employés de la
125
ferme ont fui emportant fusils et armes, le médecin déchu se dépasse afin d'aider à donner la
vie.
L'enfant, enveloppé de linges blancs, symboles d'espoir, est présenté aux hommes par la
prostituée. Le Docteur Boone ressort humblement en bras de chemise, silencieux, fumant un
cigare. Considéré à nouveau avec respect par ses pairs, il trinque avec eux, célébrant
l'événement.
« Un hourra pour le Docteur Boone: Hip Hip Hip! »
Au matin, reprenant ses habitudes et son air gaillard, le médecin se sert un verre de whisky.
Mais il s'interrompt dans son geste, reprenant un air grave, et jette avec ostentation le contenu
de son verre dans le feu.
« Vous ne trinquez pas Docteur?
- Non merci. »
Il se dirige vers la chambre de sa malade.
Scène 3 : Madame Mallaury gît dans un lit aux draps blancs, le visage las, tandis que Dallas
s'affaire autour d'elle et prend soin de l'enfant.
Le Docteur Boone, les mains dans les poches, le visage échevelé, la barbe naissante, interroge
sa malade avec bienveillance et attention.
126
« Bonjour, alors on se sent un peu mieux? se tournant vers Dallas: Déjà levée Dallas?
- Elle ne s'est pas couchée, je crois qu'elle m'a veillée toute la nuit, répond madame Mallaury,
avec retenue, tandis que Dallas baisse les yeux.
- Oh je n'étais pas fatiguée, répond Dallas modestement. De toutes façons, j'aurais fait
l'impossible pour rester éveillée et bercer l'enfant. »
Le Docteur Boone, s'adressant à la patiente et au nouveau-né: « Je vais vous conduire à
Lodsburg jeune coyote, c'est comme ça qu'ils t'ont baptisé hier en entendant tes premiers
cris... »
Il se penche vers l'accouchée et lui prend la main. Ils échangent un long regard.
« Comment allez-vous?
- Bien merci, un peu fatiguée [...]
- Il faut vous reposer Madame Mallaury. Ne soyez donc pas si fière. J'ai peut être aidé
plusieurs centaines d'enfants à venir au monde, le même miracle s'est accompli et ce sera
éternel, chaque maman aura toujours le plus joli. »
A peine s'est-il retiré de la chambre, Joshua Boone est sollicité par Dallas, sous le sceau de la
confidence. Elle lui demande conseil: une femme de son espèce est-elle digne d'accepter la
demande en mariage de Ringo?
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« Si vous croyez que je sais où est le bien et le mal, et bien essayez si vous pouvez et bonne
chance, réplique le Docteur Boone, gravement.
- Merci Docteur. »
Joshua Boone assumera également le rôle de confident auprès de Ringo, comme pour bénir
leur union.
Même le cynique Hatfield reconnaît la respectabilité du Docteur Boone en s'exclamant
solennellement: « Je vous demande le respect dû à ses compétences médicales ».
Les êtres réprouvés, bannis de la société, gagnent leur dignité grâce à leur dévouement auprès
de la figure symbolique de pureté qu'incarne madame Mallaury. Il est rendu hommage aussi à
Dallas: « Madame, il est doux d'avoir un coeur charitable et compatissant », lui déclare
Monsieur Peacok.
Scène 4 : Dans la diligence lancée à pleine allure pour rejoindre Lodsburg, alors que le
Docteur Boone s'apprête à reprendre sa consommation, Monsieur Peacok reçoit une flèche
dans la poitrine. Joshua Boone se voit sollicité à nouveau, tandis que les hommes de la
diligence affrontent les indiens. Le Docteur se penche sur le blessé pour lui administrer ses
soins malgré la frénésie et le danger environnants. Pendant les combats, Dallas protège
l'enfant, le serrant contre elle avec force.
Scène 5 : L'arrivée à Lodsburg : Dallas se voit contrainte de rendre l'enfant à Madame
Mallaury. Celle-ci, étendue sur un brancard de fortune, lui témoigne sa reconnaissance avec
retenue:
128
« Dallas, si je puis vous être utile à quelque chose... »
Elle s'interrompt, les yeux baissés.
« Je sais, lui répond Dallas gravement. »
Après que Ringo soit parvenu à venger sa famille, le Docteur Boone et le shérif vont s'allier
pour réunir Ringo et Dallas, en encourageant leur fuite. Ils donnent leur bénédiction à l'union
de ces deux êtres injustement réprouvés par la société et leur accordent le droit au bonheur. Ils
ont prouvé qu'ils en sont dignes et qu'ils méritent l'accès au mariage et à la parenté.
Le film se conclue sur une note légère, Curly Wilcox proposant au Docteur Boone:
- Docteur, si je vous payais un petit verre! »
Les deux héros conservent leur bonhomie et leur humanité attachante.
Discussion:
Ce western met en scène des figures sociales archétypiques. La femme est représentée
initialement dans sa dualité, celle de la femme respectable, épouse et mère, symbole de pureté,
incarnée par la hiératique Madame Mallaury et celle de la prostituée déchue, dévouée au
plaisir physique, représentée par Dallas. Seule la femme mariée semble digne d'accéder à la
maternité. Cependant, au fur et à mesure du film, Dallas, initialement considérée comme
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« une femme perdue », se voit réhabilitée grâce à son dévouement auprès de Madame
Mallaury et de son enfant, dont elle prend soin telle une infirmière. Monsieur Peacok, luimême père de huit enfants, lui montre sa reconnaissance: « Madame, il est doux d'avoir un
coeur charitable et compatissant ». Elle sera dans le dénouement élevée au rang d'épouse et
donc autorisée à être mère. Cette vision binaire de la femme se retrouve dans « FauxSemblants » où la femme stérile, privée du rôle de mère, se complait dans une vie de
débauche, monstrueuse à ses propres yeux et aux yeux de la société, à l'image de son utérus
tricorne, tandis que les épouses suivies par les jumeaux gynécologues sont des femmes
vertueuses et sages.
De même, Joshua Boone, médecin déchu, ivrogne, rejeté par la communauté, sera sublimé
dans l'épreuve. Il renonce temporairement à l'alcool pour prendre soin de Madame Mallaury et
l'aider à donner la vie: « J'ai peut-être aidé plusieurs centaines d'enfants à venir au monde, le
même miracle s'accomplit et ce sera éternel ». Une fois sa sagesse reconnue de tous, même de
Hatfield comme celui-ci l'exprime dans cette phrase « Je vous demande le respect dû à sa
compétence médicale », il fait figure de père, de sage et même office de prêtre. Les futurs
époux incarnés par Ringo et Dallas viennent lui demander conseil, et sa bénédiction, pour leur
union. En témoigne cette réponse: « Si vous croyez que je sais où est le bien et le mal, et bien,
essayez si vous pouvez et bonne chance! ». Cette rédemption s'obtient au contact d'un corps
pur, image de la vertu que représente Madame Mallaury. Après s'être réapproprié son rôle de
médecin, il prodigue ses soins et ses conseils à chacun, Madame Mallaury, Ringo le hors-laloi, Dallas, et Monsieur Peacok, sans distinction sociale ou morale.
« Faux-Semblants » de David Cronenberg, fait référence également à la dualité de la
représentation symbolique du corps féminin. La femme est représentée sous deux aspects: les
femmes frivoles dédiées à la satisfaction de la chair à laquelle se voue Elliot et les femme
sérieuses faites pour enfanter, terrain de prédilection de Beverly. Claire Niveau, du fait de sa
stérilité, se plonge dans la débauche et la luxure. Elle se désespère de ne pouvoir donner la
vie, cette faculté de se prolonger soi: « Quand je serai morte, je serai simplement morte, j'aurai
jamais été une femme, juste une fille ». Lorsqu' Elliot lui suggère d'adopter, elle répond: « Ce
ne serait pas pareil, [...] je suis si vulnérable, une plaie toujours béante ». Sa stérilité la rend
monstrueuse à ses yeux et aux yeux de la société, comme l'illustre symboliquement son utérus
tricorne: ce n'est pas une femme aux yeux de la société mais une trifidée, une mutante! Ce
130
sentiment de vide, de perte de la fonction de reproduction, elle semble vouloir le combler par
une activité sexuelle débridée et par l'amour de son amant qu'elle choisit symboliquement
gynécologue. Leurs rapports, agrémentés à l'aide d'instruments gynécologiques, assimilent le
rapport sexuel à l'examen gynécologique. Ainsi, ce que cherchent à percer les deux frères
Mantle depuis leur enfance, c'est avant tout le mystère de la femme, le mystère du sexe et de
la maternité. La dérive de Claire n'est pas sans rappeler les troubles engendrés par l'absence de
grossesse décrits par Platon dans la Timée: « Chez les femmes, ce qu’on appelle matrice ou
utérus est un animal qui vit en elles avec le désir de faire des enfants. Lorsqu’il reste stérile
après la période de la puberté, il a peine à le supporter, il s’indigne, il erre par tout le corps,
bloque les conduits de l’haleine, empêche la respiration, cause une gêne extrême et
occasionne des maladies de toutes sortes… ».
III.3.3.2. Le corps malade en tant que « corps
langage »
Le rapport du médecin au « corps langage », en tant que système de signifiants, est mis en
scène au cinéma dans des films emblématiques tels que « Barberousse » [63] et « La
maladie de Sachs » [64] qui peignent le portrait de médecins humanistes.
Barberousse :
Film japonais, 1965,
Réalisateur : Akiro Kurosawa,
Genre : Drame,
Interprètes : Toshiro mifune (Barberousse), Yuso Kayame (l’interne)
131
Résumé :
Un jeune interne, le Docteur Naburo Yasumoto, voit ses plans de brillante carrière contrariés
lorsqu’il n’obtient qu’un poste d’adjoint dans un dispensaire à Edo (ancien nom de Tokyo).
Cet établissement est dirigé par le Docteur Barberousse qui a fait le choix de se dévouer aux
pauvres, loin des gloires universitaires, mais jouissant du respect de chacun pour ses
compétences et sa sagesse. Le jeune Yasumoto se laissera peu à peu influencer par la figure de
Barberousse qui deviendra son maître.
Scène 1 : la mort de Rokusuke :
Rokusuke, vieillard agonisant, gît dans une pièce vide sous les yeux de Barberousse et de son
jeune interne Yasumoto. Le vieil homme, atteint d’un cancer, demeure mutique depuis son
entrée dans le dispensaire, seuls ses yeux expriment sa souffrance. Barberousse, s’adressant à
son élève :
132
« Examine le. Dis-moi le nom de sa maladie.
- Cancer de l’estomac.
- Erreur. C’est bien un cancer, mais il s’est attaqué au pancréas. »
Barberousse fait ensuite un exposé sur la sémiologie du cancer du pancréas puis il reprend :
« On parle de l’art médical, mais c’est vraiment peu de choses. Ce Rokusuke était un artisan
en laque. Depuis qu’il est arrivé à l’hôpital, il n’a pas prononcé un mot, même pas pour
exprimer sa souffrance. Il devait sans doute souffrir d’une douleur encore plus grande. »
On apprendra plus tard que la femme de Rokusuke est devenue dans le passé la maîtresse d’un
de ses élèves laqueurs, que sa fille aimée et chérie l’a maltraité et chassé de sa propre maison,
le laissant démuni, sans ressource. Par la suite l’amant de la mère vieillissante épousera la fille
contre son gré et lui donnera trois enfants. Ce père abandonné exprimera sa souffrance en
développant une maladie mortelle et cessera de parler.
Discussion :
D'emblée dans la scène 1, nous sommes à nouveau confrontés à la relation au « corps objet »
par l'initiation à la clinique médicale et au cheminement diagnostique ; mais rapidement
Barberousse invite son élève à s'interroger sur ce que sous-tend le mutisme du vieil homme. Il
n'y a aucune raison organique objective pour que ce patient cancéreux se taise. Rokusuke
renonce à la parole et laisse son corps exprimer une souffrance et une solitude indicibles. Il
règle un conflit psychique par une parole confisquée. Que veut-il dire en se taisant? Qu’a-t-il à
nous dire qui ne peut être dit ? Cette façon de chercher un sens dans les maux affectant un
corps n’est pas sans rappeler les théories de J. Lacan selon lesquelles les symptômes sont
adressés à un autre comme système de signifiants. L’inconscient est structuré comme un
langage (citation de J. Lacan intervenant sur France culture en juillet 1973). Le langage fait
défaut à Rokusuke, la maladie mortelle lui tient lieu d’expression de l’indicible. C’est le corps
qui témoigne, une fois pour toute, de sa perte affective irréparable. Son amour fustigé n’est
rien, sa carcasse maltraitée n’est rien, son argent capté n’est rien, la perte définitive du lien à
sa fille entraîne la sienne, inéluctablement. Nous retrouvons ce qui est avancé par la
133
psychanalyse : l’être humain est un être de langage. Le malade ne peut traduire ses émotions
par le langage. C’est ce que le Docteur Sifnéos décrit avec la notion d’alexithymie.
Barberousse constitue une figure emblématique de médecin : exerçant la médecine comme un
sacerdoce, il prend en compte toutes les dimensions du corps afin de comprendre et de lutter
contre les maladies de ses patients.
Scène 2 : Otoyo, une enfant de douze ans, contrainte à la prostitution dans une maison close,
est retirée des mains de ses tortionnaires à la suite d’un combat mené par Barberousse.
L’enfant innocente et fardée, atteinte dans son corps mais encore davantage dans son cœur,
comme brûlée vive, est installée dans une chambre de l’hôpital, meublée uniquement d’un lit.
Enfermée dans son mutisme, elle s’abandonne aux soins attentifs de l’interne Yasumoto qui la
veille sans relâche à la flamme d’une bougie, touché par la détresse de cet enfant démunie,
malgré ses hautes aspirations scientifiques et sociales. Durant plusieurs jours, l’enfant est
consumée par la fièvre ; puis elle passe par une phase de rejet de l’attention de son bienfaiteur
en lançant violemment contre un mur un bol qu’il lui tend. Enfin, toujours mutique, elle
s’évertue à nettoyer la pièce comme pour se purifier et retrouve l’usage du langage, ce lien à
l’autre en qui elle a retrouvé confiance. Sa guérison passe également par les soins qu’elle
prodigue à un autre enfant démuni. Barberousse estime en effet que donner aux patients un
rôle actif dans les soins aux autres leur permet de se soigner eux-mêmes.
134
Discussion :
Cette scène évoque la dimension symbolique du corps, la souffrance de l’enfant s’exprimant
par le mutisme et la fièvre.
On y reconnaît également la notion de « corps imaginaire » : Otoyo soignant un autre enfant
malade, découvre en lui une image en miroir et cette identification lui permet de retrouver une
unité, source d’apaisement et d’avoir un rôle actif dans sa propre guérison.
« La maladie de Sachs » met aussi en scène un médecin à l’écoute du corps de ses malades.
La maladie de Sachs :
Film français, 1999,
Réalisateur : Michel Deville,
Genre : Comédie dramatique,
D’après le livre « la maladie de Sachs » de Martin Winckler
Interprètes : Albert Dupontel (le Docteur Sachs), Valérie Dreville
(Pauline Kasse), Dominique Raynaud (Mme Le Blanc).
Résumé :
Le film relate dans un monologue intérieur le travail du Docteur Sachs, jeune médecin
récemment installé à la campagne qui bénéficie de par son dévouement et sa capacité d’écoute
d’une solide patientèle. Ses malades défilent dans son cabinet lui confiant leurs plaintes, leur
désarroi, leurs angoisses qui envahissent la vie de Sachs. Celui-ci, célibataire et solitaire,
rédige chaque soir des écrits dans son journal, où il déverse les souffrances et les peines dont
il a été témoin dans la journée. Il réalise ainsi une sorte de « catharsis », en cherchant à
analyser et évacuer le mal des patients qui le ronge. La rencontre d’une jeune patiente dont il
réalise l’avortement et dont il tombe amoureux, fera renaître en lui la capacité de s’abstraire
de la souffrance des autres et de vivre pour lui-même.
135
Saynète 1 : La rencontre :
Le Docteur Sachs, lors d’une vacation à l’hôpital, rencontre Pauline Kasse, rédactrice de
presse, au cours de l’entretien précédant son avortement. La scène se déroule dans une pièce
froide sans décor, le Docteur Sachs et la patiente sont séparés par un bureau. La jeune femme
au visage triste fixe avec dureté de ses yeux clairs le Docteur Sachs qui tente de lui témoigner
son empathie. Tout d’abord mutique, elle finit par prendre la parole : « Je ne peux
m’empêcher de vous détester parce que vous allez m’avorter et parce que vous comprenez que
je vous déteste ».
Saynète 2 : l’intervention
La femme est en position gynécologique, rendue anonyme sous les champs stériles, éclairée
par la lumière aiguë et brutale du bloc opératoire. Le Docteur Sachs, muni de ses instruments
tendus par les penseuses, réalise l’avortement.
Saynète 3 : la visite post-opératoire
Le Docteur Sachs rend visite à ses patientes installées dans la même chambre d’hôpital et leur
dit : « Vous avez le droit de pleurer ». Pauline Kasse reste mutique, le visage figé tourné vers
la fenêtre. Le Docteur Sachs lui lance un regard appuyé, dépassant la simple compassion.
Saynète 4 : le suivi ambulatoire
La visite de contrôle à distance de l’intervention se déroule dans la même pièce que l’entretien
précédant l’intervention. Le visage de Pauline Kasse est radieux, elle quitte son mutisme et lui
136
avoue son attirance. Elle espère que le destin leur permettra de se rencontrer de façon fortuite
en d’autres circonstances.
Saynète 5 : rencontre dans une bibliothèque
Pauline Kasse et le Docteur Sachs se rencontrent par hasard dans les rayons d’une librairie,
lieu dédié aux mots, qu’ils affectionnent tous deux et qui les lieront. Ils s’autorisent enfin à
débuter leur histoire et mêleront leurs corps et leurs vies. Le Docteur Sachs confiera enfin les
maux de ses patients à l’oreille attentive de sa compagne en lui lisant ses carnets.
Discussion :
Dans la saynète 2, le Docteur Sachs est confronté au « corps objet » : il réalise un geste
technique, l’avortement, maniant ses instruments dans un environnement neutre, le corps de la
patiente recouvert de champs stériles, livré de façon anonyme sur la table d’opération.
Très vite, la souffrance de Pauline Sachs exprimée par son mutisme et son hostilité manifeste,
séduit le Docteur Sachs et lui offre un miroir de sa propre solitude. On est dans un processus
d'identification réciproque mettant en jeu le « corps imaginaire ».
Le film est centré essentiellement sur la fonction symbolique du corps, y compris le corps de
Sachs, dont il faut décrypter le langage. Au début, le Docteur Sachs est silencieux. Il écoute et
s'occupe de ses patients mais qui s’occupe de Sachs? Son corps reste mutique, il s'exprime
cependant par des signes de fatigue, de lassitude et noircit les pages de ses carnets avec ses
137
pensées accumulées lors de rares moments de solitude. Lorsqu'il rencontre l'amour, un être
prêt à prendre soin de lui, il déverse un flot de paroles continue et se libère partiellement de
son fardeau: « la maladie de Sachs », cette préoccupation permanente des autres en dépit de
soi.
Dans la première scène, Pauline dit ses affects: « Je vous déteste (vous allez enlever une vie
que j'aurais aimé garder si...) et vous savez pourquoi je vous déteste ? ». Pauline parle d'un
autre corps, celui de la future mère: elle regrette ce « corps imaginaire » qui aurait pu
s'arrondir, sentir bouger l'enfant en lui. L’avortement est éminemment symbolique : Pauline
renonce à la fonction symbolique de l’enfantement. Le Docteur Sachs est confronté au corps
de la femme enceinte, symbole de fécondité, dont il doit arracher une vie naissante. La
solitude qui découle de cet arrachement, sera finalement comblée par la naissance d’un
sentiment amoureux entre le médecin et sa patiente. Pauline transfère-t-elle le lien d'amour
avec son enfant imaginaire sur son amant? Peut-on parler d'une réparation symbolique de la
perte d'un enfant par l'amour d'un homme? Lacan dit: « le transfert, c'est l'amour ».
Le film « Les yeux sans visage » évoque un autre transfert, celui de l’amour quasi incestueux
d’un père pour sa fille
Les yeux sans visage :
Film franco-italien, 1960
Réalisateur : George Franju
Genre : Drame, Epouvante, Horreur
Interprètes : Pierre Brasseur, Alida Valli, Edith Scob
138
Résumé :
Grâce à une substitution de cadavre, le Docteur Genessier, chirurgien de grand renom, laisse
croire à la mort de sa fille Christiane, défigurée à la suite d'un accident de voiture dont il fut
involontairement responsable. Fou d'amour pour elle, il est prêt à tout entreprendre pour lui
redonner un visage et la débarrasser du masque qui, pour l'instant, ne la quitte plus. Il charge
son assistante, une étrangère prénommée Louise, d'attirer des jeunes filles dans sa propriété de
la banlieue parisienne. Un laboratoire secret y est installé où le médecin conduit des
expériences d'hétérogreffe, un procédé de son invention. Il s'agit de découper le derme des
victimes pour le greffer sur le visage détruit de Christiane. L'opération, qui a déjà raté une
première fois, est répétée sur une étudiante suisse, Edna, qui se suicide, lorsqu'elle découvre
l'horrible mutilation qu'elle a subie. Genessier, qui croit d'abord à un succès, doit bientôt
reconnaître son échec. Mais un nouvel espoir lui est offert en la personne de Paulette, que la
police, enquêtant sur la disparition de plusieurs jeunes filles, a pris le risque d'introduire dans
sa clinique. Paulette est déjà ligotée sur la table du laboratoire lorsque Christiane, bouleversée
par tant d'atrocités commises en son nom, décide de la libérer, puis tue Louise, avant de lâcher
d'énormes chiens, cobayes de Genessier, qui bientôt se jettent sur lui et le dévorent. Portant
toujours son masque, Christiane s'éloigne dans la nuit, une nuée de colombes autour d'elle.
Scène 1 : Genessier, assisté de Louise, opère Edna : il découpe la peau de son visage pour la
greffer, tel un masque, sur celui de Christiane.
Dans le laboratoire, le masque qu’il porte, empêche le spectateur de savoir ce que pense
Genessier tandis qu’il se livre à ses terribles expériences.
Scène 2 : Tout d’abord Christiane se contemple pour la première fois depuis l’accident dans
un miroir : elle commence à se reconnaître. Elle peut à nouveau accéder au statut de sujet et se
139
réapproprier son image. Puis quatre images se succèdent rapidement, montrant les étapes de la
défiguration de Christiane, tandis que Genessier, en voix off, les commente froidement de son
œil aiguisé de scientifique. Le film prend une allure de documentaire. Christiane passe de
visage sujet à visage objet.
Scène 3 : Le professeur fait sa visite dans sa clinique. Il examine un petit garçon sans doute
atteint d’une maladie grave. Sa mère se tient dans le dos de Genessier, au fond de la chambre.
Le chirurgien est assis sur le lit du garçonnet et le soumet à des tests simples. Les réponses
sont systématiquement fausses. Cette scène tourne autour de trois visages : celui, innocent,
inconscient de lui-même de l’enfant, celui inquiet, impatient du diagnostic et tentant de n’en
rien laisser paraître de la mère et celui de Genessier impassible et donc illisible. Quand il dit à
la mère qu’il a bon espoir, il ment (nous l’apprendrons bientôt). Il affiche un visage qui se tait
et ferme tout regard sur lui. Il semble impossible de faire parler ce visage. Les yeux du
spectateur sont privés de visage où se reposer.
Scène 4 : Paulette se réveille, voit Christiane s’approcher d’elle et prend peur, mais celle-ci la
détache. Louise entre, Christiane la tue d’un coup de scalpel dans le cou. Tandis que Paulette
s’enfuit, Christiane libère les chiens et les colombes. Dehors son père est attaqué et tué par les
chiens. Christiane s’en va dans la nuit, les colombes autour d’elle.
140
Discussion :
Genessier est avant tout un scientifique dévoré par
l’ambition. Ses motifs pour sauver le visage de sa fille sont
ambigus : on ignore s’il est motivé par l’amour paternel ou
sa vanité de chirurgien. Les corps, y compris celui de sa fille
dont il décrit froidement la déchéance dans la scène 2,
servent ses expériences qui le transforment en assassin
méthodique. Le cinéma de Franju, notamment dans la scène
2 où se succèdent les plans de l’évolution de la défiguration
de Christiane, vient au service de la science, avec lequel il
entretient une étroite proximité. Cet art se définit en effet comme l’enregistrement mécanique
de la réalité, un langage spontané du visible.
« Les yeux sans visage » souligne avant tout le rôle essentiel du visage dans l’image
corporelle. Le visage est porteur de l’identité. Il est à la fois une partie du corps et l’espace
abstrait où s’atteste l’être humain en tant que sujet. Sans visage, Christiane se considère
comme morte aux yeux du monde comme à ses propres yeux. Son père la déclare même
décédée. Son visage originel se limite à ses yeux, son regard (non sans rappeler la patiente que
nous avions décrite avec son miroir de poche dans la partie précédente). Son masque à l’allure
figée et mélancolique, laisse au spectateur un sentiment de mystère, de peur. Quelle vérité
terrifiante cache-t-il ? L’allogreffe du visage d’Edna, bien que n’étant pas le sien, semble
permettre à Christiane de se reconnaître. Les visages semblent interchangeables. Son corps
mutilé, incomplet, a besoin d’autres corps pour le compléter. Le visage devient un masque
bien ajusté. A sa nouvelle défiguration, elle redevient absente à elle-même et aux autres.
Ce film évoque également une autre absence : la figure impassible de Génessier, notamment
dans la scène 3, renvoie au masque porté par sa fille. Ses traits semblent se taire, il ferme tout
regard sur lui. Le visage du médecin ment à la mère et à l’enfant. Il est impossible de lire dans
le miroir de son âme.
141
Le réalisateur attire aussi notre attention sur la dimension symbolique du corps : le visage fait
figure en théorie de miroir de l’âme. Ce film tend à démontrer le contraire. Les visages, les
images semblent interchangeables par le biais de l’allogreffe. L’âme, la dimension
symbolique, transcendantale de l’homme, demeure inaccessible.
L’âme de Christiane, privée de visage, est représentée suivant deux pôles : celui de la pureté,
matérialisée par une colombe, tandis que sa noirceur est incarnée par la meute de chien qui
attaquent son père.
Le réalisateur nous parle avant tout du lien d’amour et d’appartenance d’un père pour sa fille.
Le visage de sa fille constitue symboliquement le prolongement de Genessier. La perte de son
visage ampute son enfant autant que lui-même et le pousse aux pires horreurs. Rendre à sa
fille son identité revient à se réapproprier la sienne. Comme le montre la scène 2, Genessier
oscille entre son amour de père, presque incestueux, et ses ambitions de scientifique. Alors
que Christiane, en redevenant sujet et donc femme grâce à son nouveau visage, risque de lui
échapper, il l’enferme dans son discours scientifique, à l’intérieur duquel il n’y a que des
objets.
L’affiche est particulièrement emblématique du film : le visage masqué, anonyme, d’Edith
Scob, à l’expression triste, presque suppliante, envahit l’écran, détaché de son corps. Encadré
d’une coiffure jeune et sage, il souligne son innocence. Ses yeux saillants, creusés, contrastent
avec l’aspect mat et estompé de son masque. Telle une pensée, ce visage semble émaner du
buste du personnage de Pierre Brasseur, penché sur le corps de l’une de ses victimes terrifiée,
dans le bas de l’affiche.
A ces expériences virtuelles d’allogreffes font écho les dernières prouesses d’allogreffe de
visage humain. En novembre 2006, les équipes du professeur Bernard Duchauvelle du CHU
d’Amiens et du Professeur Jean-Michel Dubernard du CHU de Lyon effectuent en
collaboration la première allogreffe d’une partie de visage humain sur le triangle nez-lèvresmenton d’une femme de trente huit ans, défigurée après avoir été mordue par un chien. Par la
suite, en avril 2006, une équipe chinoise procède à la greffe de l’ensemble nez-joue-lèvre
supérieure, à l’hôpital de Xijing de Xian, au centre de la Chine, sur un paysan âgé de trente
ans grièvement blessé par un ours brun.
142
Ainsi, le visage est garant de notre identité. Dans « Bienvenue à Gattaca » [65], c’est le
patrimoine génétique qui définit les êtres.
Bienvenue à Gattaca :
Film américain, 1998
Réalisateur : Andrew Niccol
Genre : Science fiction
Interprètes: Ethan Hawke, Uma Thurman, Jude Law
Résumé : Dans un futur proche, la science a vaincu les secrets de la génétique, on peut dès la
conception d’un enfant, le protéger de toute maladie et orienter son devenir. Vincent (Ethan
Hawke) est un enfant naturel au cœur fragile dont l’espérance de vie n’excède pas trente ans
selon les médecins, contrairement à son frère cadet et rival Hampton, qui, lui, a été conçu avec
les méthodes modernes permettant la sélection du génome le plus performant possible à partir
des différentes combinaisons des génomes parentaux. Le patrimoine génétique imparfait de
Vincent le réduit à des tâches subalternes dans la société, tandis qu’il caresse le rêve
impossible de partir dans l’espace un jour en intégrant Gattaca. C’est un centre d’étude et de
recherche pour l’élite des jeunes gens génétiquement parfaits, promis à une longue vie de
succès en particulier dans le domaine de l’aérospatial. Jérôme Eugène Morrow (Jude Law),
champion de natation, candidat idéal pour Gattaca, voit son avenir se réduire à néant à la suite
d’un accident qui le confine dans un fauteuil roulant. Avec l’aide d’un généticien peu
scrupuleux, Vincent et Jérôme déjouent les systèmes de contrôle et d’identification génétique
de Gattaca et vont ainsi pouvoir obtenir ce que chacun souhaite : le génome de l’un qui ouvre
à Vincent les portes de Gattaca, contre l’aide financière de l’autre.
143
Scène 1 : La naissance de Vincent, ou la condamnation de l’enfant naturel.
Vincent vient au monde : la scène montre les souffrances de la mère, tandis que s’affairent
autour d’elle infirmières, sage femmes, et médecins au regard froid et aux visages fermés. Ils
effectuent les gestes techniques, machinalement. Le père se tient dans une pièce attenante,
séparée d’une vitre. L’atmosphère est glaciale, silencieuse.
En voix off, Vincent raconte : « Je ne comprendrai jamais ce qui a poussé ma mère à placer sa
confiance dans les mains de Dieu plutôt que dans celle de son généticien local. Dix doigts, dix
orteils, c’est tout ce qui comptait autrefois. »
Une femme saisit l’enfant avant même que sa mère ait pu le tenir dans ses bras. On prélève au
bébé une goutte de sang sur la plante du pied. Le prélèvement est soumis à l’analyse d’un
automate.
Vincent poursuit : « …plus maintenant. Le jour où je suis né, alors que je n’étais âgé que de
quelques secondes, le moment exact et la cause de ma mort étaient déjà connus. »
La femme lit le résultat rendu par la machine, le visage inexpressif, tandis que l’enfant hurle
dans les bras de sa mère :
« Affection neurologique : 60% de probabilité, psychose maniaco-dépressive : 40% de
probabilité, hyperactivité : 89% de probabilité, trouble cardiaque : 89% de probabilité, risque
de mort prématurée, espérance de vie trente ans et deux mois. »
On distingue derrière la vitre le visage triste du père qui s’exclame, amer :
« Trente ans !
144
- Le nom sur le certificat ? interroge sèchement l’infirmière.
- Hampton ! répond la mère.
- Non ! Vincent Hampton, s’écrie le père, avec brusquerie. Oui c’est un joli nom.
- Je sais qu’il fera quelque chose, tu feras quelque chose ! », affirme madame Hampton, en
serrant la main de son enfant.
L’enfant grandit, maladroit, fragile, comme imprégné de sa sentence et de la détresse de ses
parents. Il est exclu de la plupart des institutions, sous le prétexte fallacieux que l’assurance ne
le couvrira pas. Les parents décident donc de recourir aux techniques modernes pour leur
prochain enfant.
Scène 2 : Le couple, accompagné de Vincent, se rend dans un cabinet meublé avec modernité.
Ils s’installent l’air inquiet derrière le bureau, tandis que le médecin, le dos tourné, est penché
sur un microscope.
Le médecin :
« Les ovules qu’on vous a prélevés… (Il doit vérifier le prénom) Marie, ont été fécondés avec
le sperme d’Antonio, votre mari. »
Il se retourne enfin, muni de sa fiche et poursuit :
145
« Après une présélection, comme vous le voyez, nous nous retrouvons avec deux garçons
sains et deux filles très saines, annonce-t-il, tandis que les parents regardent un écran qui
montre quatre embryons. Naturellement pas de prédisposition à aucune des principales
maladies héréditaires. Il ne reste plus qu’à choisir le candidat le plus compatible. Tout d’abord
nous pouvons choisir le sexe, y avez-vous réfléchi ?
- Nous voudrions que Vincent ait un petit frère, vous voyez, pour jouer avec lui. »
Le médecin semble enfin s’apercevoir de la présence de Vincent, il se penche vers lui,
souriant.
« Bien sûr ! Ça va Vincent ? »
Il reprend son air sérieux et lit la fiche descriptive : « Bien, vous avez spécifié des yeux
noisettes, des cheveux châtains et la peau claire. J’ai pris la liberté d’éradiquer tout risque de
préjudice potentiel tels que la calvitie prématurée, myopie, alcoolisme, prédisposition aux
dépendances… ». Les parents, satisfaits, se regardent en hochant la tête.
146
Marie l’interrompt, hésitante, confuse :
« Nous ne voudrions pas qu’il ait des maladies, certes, mais…
- Nous nous demandions seulement… Ce serait bien de laisser quelques petites choses au
hasard ! reprend monsieur Hampton, venant au secours de sa femme.
- Vous voulez donner à votre enfant le meilleur départ possible ? demande le médecin. Faitesmoi confiance, il reste déjà suffisamment d’imperfections. Non, votre enfant n’a pas besoin de
fardeaux supplémentaires. Et gardez à l’esprit que cet enfant est toujours vous, simplement le
meilleur de vous. Vous pourriez concevoir de façon naturelle un millier de fois et ne jamais
atteindre un tel résultat. »
En voix off, la voix de Vincent commente : « Voilà comment mon frère Hampton vint au
monde, un fils que mon père considérait digne de son nom. »
Scène 3 : Vincent, en tenue de nettoyage, pénètre dans l’enceinte fermée de Gattaca. En voix
off, il explique : « Mon père avait raison, mon véritable Curriculum Vitae était dans mes
cellules. J’appartiens à une nouvelle sous-classe qui n’était plus déterminée ni par le statut
social ni par la couleur de la peau. Non, nous avons fait maintenant de la discrimination une
science ».
Scène 4 : Vincent fait appel aux services d’un généticien peu scrupuleux afin d’usurper
l’identité génétique d’un autre, un des « élus ».
147
Le généticien, décrivant Eugène : « Ses références sont impeccables : une espérance de vie
incroyable, il va pratiquement vivre éternellement. Il a un QI au-delà de toute évaluation, il a
plus de 10/10 d’acuité visuelle, et le cœur d’un bœuf, il pourrait traverser un mur en courant. »
L’homme en question apparaît à l’écran, offrant une image tout autre, celle d’un corps voûté,
confiné dans un fauteuil roulant.
Le généticien poursuit : « S’il pouvait encore courir. C’était un grand champion de natation.
Vincent, vous pourriez réussir n’importe quoi avec la double hélice d’ADN de ce gars-là. [...]
Ce n’est pas le lieu de naissance qui les intéresse, c’est la façon dont vous avez été conçu. Le
sang n’a pas de nationalité, tant qu’il contient ce qu’ils cherchent. C’est le seul passeport dont
vous avez besoin. »
En voix off, la voix de Vincent continue sa narration : « Ainsi commença le processus
consistant à devenir Jérôme. La myopie est un des signes les plus évidents d’une naissance
défavorisée. […] Je suis un pirate génétique, un « dégen-éré ». […]. Pendant ce temps Jérôme
prépare des échantillons de son corps supérieur pour que je puisse me faire passer pour lui :
des poches d’urines pour les tests fréquents de dépistage de substances illicites, des petites
réserves de sang accolées au bout du doigt pour les contrôles de sécurité, et des flacons
remplis d’autres traces comme les cheveux, les phanères, les squames […]. Tandis qu’Eugène
me procurait une nouvelle identité, je payais le loyer. »
Scène 5 : Irène, une collègue de Vincent à Gattaca, a dérobé un échantillon de cheveux du
supposé Jérôme et le soumet à un test de compatibilité. Après avoir patienté derrière d’autres
femmes, elle tend l’échantillon à travers une fente.
« Vous voulez un séquençage complet ? Interroge la technicienne.
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- Oui, merci », répond Irène, gênée.
Les échantillons de cheveux sont introduits dans un tube, analysé dans un automate, le résultat
sort, propulsé automatiquement sans nécessité de contact humain, dans un tube en plastique.
« 9.3, beau parti ! », commente la technicienne.
Discussion :
Dans ce film, les êtres sont manipulés par la science comme des objets, avec froideur. La
scène 1 de la naissance de Vincent est particulièrement emblématique : l’enfant est examiné
avec rudesse en salle de naissance et le verdict de ses tares génétiques est annoncé
abruptement devant ses parents : « affection neurologique 60% : de probabilité, psychose
maniaco-dépressive : 40% de probabilité, hyperactivité : 89% de probabilité, trouble
cardiaque : 89% de probabilité, risque de mort prématurée, espérance de vie : trente ans et
deux mois ». L’individu est dépersonnalisé, les affects ignorés dans une société dystopique
aux libertés réduites, aux émotions contrôlées, à l’univers aseptisé. La science réalise une
industrialisation de la procréation : on choisit le génome de son enfant, le meilleur possible.
Dans la scène 2, le généticien s’adresse aux parents de Vincent à propos de leur futur enfant :
« Vous avez spécifié des yeux noisettes, des cheveux châtains et la peau claire. J’ai pris la
liberté d’éradiquer tout risque de préjudice potentiel tels que la calvitie prématurée, myopie,
alcoolisme, prédisposition aux dépendances …». La croissance du fœtus est ensuite
programmée scientifiquement sous le contrôle d’ordinateurs, surveillés par les généticiens. Le
« produit » final est l’enfant le meilleur possible, compte tenu du génome de ses parents.
Même les sentiments sont niés, les couples se forment selon des tests de comptabilité de leur
patrimoine génétique : dans la scène 5, Irène s’entend féliciter pour son éventuelle union avec
le supposé Jérôme : « 9.3, beau parti ! ».
« Bienvenue à Gattaca » nous questionne aussi sur la notion de « corps imaginaire » : les deux
frères, Vincent et Hampton, issus de techniques de naissance différentes, sont le reflet de leurs
parents. Vincent de naissance naturelle, au génome imparfait, n’est pas digne de recevoir le
prénom de son père. Tandis qu’Hampton, promis à un grand avenir, offre une image parfaite,
valorisante de ses parents.
149
Vincent et Eugène ont des corps et un bagage génétique qui ne reflètent pas leur destinée :
Eugène, au génome particulièrement performant, est réduit à une vie confinée dans un fauteuil
roulant, suite à un accident de voiture. Le généticien se plaît à décrire les performances
théoriques d’Eugène : « Ses références sont impeccables : une espérance de vie incroyable, il
va pratiquement vivre éternellement. Il a un QI au-delà de toute évaluation, il a plus de 10/10
d’acuité visuelle, et le cœur d’un bœuf, il pourrait traverser un mur en courant. ». L’homme en
question apparaît à l’écran, offrant une image tout autre, celle d’un corps voûté, confiné dans
un fauteuil roulant. La science malgré sa toute puissance ne peut contrôler de tels incidents.
Vincent, lui, emprunte l’« image génétique » d’Eugène pour réaliser ses projets et accéder aux
étoiles : il achète l’identité d’Eugène en prélevant des échantillons d’urine, de sang, de
cheveux…
Le thème central du film est la dimension symbolique du corps et de l’être : les scientifiques
sont au service des politiques et de l’économie. En améliorant l’être humain par des
manipulations génétiques destinées à les protéger des maladies et à leur promettre un grand
avenir, ils contribuent à la croissance du pays. Les êtres au génome imparfait sont des
invalides, comme le souligne Vincent : « Mon père avait raison, mon véritable Curriculum
Vitae était dans mes cellules. J’appartiens à une nouvelle sous-classe qui n’était plus
déterminée ni par le statut social ni par la couleur de la peau. Nous avons fait maintenant de la
discrimination une science ». Le réalisateur dénonce l’eugénisme, à savoir l’amélioration des
caractères héréditaires de l’espèce humaine par une intervention délibérée. La société décrite
n’est pas sans rappeler l’Allemagne nazie et sa race aryenne. Il fait référence aux propos de
Watson après sa découverte en 1962 de l’hélice d’ADN : « Nous avons longtemps pensé que
notre futur était dans les étoiles, maintenant nous savons qu’il se trouve dans nos gènes ». La
génétique a été proposée récemment pour sélectionner les immigrants dans le cadre du
rapprochement familial avec l’amendement Mariani, pourquoi ne servirait elle pas dans un
futur proche à éradiquer des maladies pour améliorer l’espèce humaine ?
Au terme de notre réflexion, nous constatons que le corps malade nous est représenté dans le
cinéma dans sa dimension symbolique : chaque malade est un homme social, comme nous le
montre le western « La chevauchée fantastique ». Par ailleurs, quelle que soit son origine
sociale, le corps malade est avant tout une narration de son vécu, parfois entendue par le
médecin s’il s’en donne la peine, tels Barberousse et le Docteur Sachs.
150
Conclusion :
Ainsi, le cinéma nous donne à voir un médecin tour un tour vaniteux, dévoué à la science,
considérant le corps malade comme un assemblement d’organes, théâtre de ses expériences
scientifiques, ou confronté à l’imaginaire de la maladie et de la mort, ou encore préoccupé par
la dimension symbolique du corps malade, un corps qui parle de son histoire et des liens qui
l’unissent aux autres. Cette représentation cinématographique du médecin est révélatrice de
l’imaginaire collectif, de ce que le public, et donc les malades, imaginent. Il semble proche de
la réalité : chaque praticien, en particulier en médecine générale, est en effet confronté au
corps malade, dans sa trinité complexe et mystérieuse.
151
152
IV. CONCLUSION
A la lecture de ce travail, on constate que le rapport du médecin au corps du malade a évolué
dans un paradoxe, d’une part un continuum enrichi des grandes innovations de la science, et
d’autre part une permanence quant aux dimensions objectale, imaginaire et symbolique du
corps. La Préhistoire et l’Antiquité placent préférentiellement le corps dans une dimension
symbolique, en particulier dans une relation aux divinités par l’intermédiaire d’un tiers, avec
notamment le chamanisme et les théories philosophiques prolifiques. Cependant dès
Hippocrate, la notion de « corps objet » est présente en tant que corps anatomique avec son
traité des soins orthopédiques avant même les premières dissections. Puis la chape de
l’obscurantisme religieux pèse tout au long du Moyen Âge, le corps devenant le berceau du
langage de Dieu. A la Renaissance, le grand courant anatomiste mettra au premier plan le
corps objet de science. Toutefois la dimension symbolique du corps n’est pas exclue, la
religion gardant une place essentielle dans la vie communautaire. S’il fallait en être
convaincu, la multitude des productions artistiques, en particulier picturale, serait là pour
nous le rappeler. C’est à partir du dix neuvième siècle, avec l’avènement de la physiologie,
puis au vingtième avec celui de la génétique et de l’immunologie, que le « corps objet » de la
science est triomphant. Il faut l’apport de la psychanalyse, mais aussi de la psychiatrie dans
son approche de la psychose, pour que le corps du malade acquière sa dimension imaginaire.
La reconnaissance de l’enfant en tant que sujet, et le processus d’identification au stade du
miroir, ont achevé de mettre en place ce processus.
Le cinéma, art du mouvement, représentatif de l’imaginaire collectif, regorge de références à
la relation médecin-malade. On constate qu’il existe une permanence dans la représentation de
la relation médecin-malade dans le cinéma et ce, quels que soient les genres
cinématographiques. Tour à tour, le patient est perçu comme un « corps objet », examiné avec
distance selon un protocole standardisé, dans les drames, ou corps anatomique morcelé, ou
encore corps expérimental, soumis à la toute-puissance des scientifiques dans les films
fantastiques et les films de guerre. Le malade, face au médecin, peut devenir « corps
imaginaire », gardien de son identité, et d’une représentation fantasmée de sa maladie, en
décalage avec la vision du praticien, lui-même imprégné de ses propres croyances. Suite au
verdict du médecin qui le juge malade, le patient vient à s’accepter comme un corps mortel.
La maladie fait office de révélateur et transforme dans l’intimité du malade la vision qu’il a de
153
son propre corps. Chez le médecin, s’il est lui-même atteint d’une maladie, la dimension
imaginaire s’opère de la même façon que pour toute autre personne. Un processus
d’identification peut naître entre ces deux êtres dans un jeu de miroir, notamment dans les
comédies et les drames. Enfin le médecin est confronté en permanence à la dimension
symbolique du corps, appréhendé comme un corps social, notamment dans les westerns qui
mettent en scène des personnages correspondant à des archétypes sociaux. Il se doit également
de déchiffrer le langage exprimé par le patient à travers son corps qui éclaire ses symptômes,
notion évoquée en particulier dans les drames psychologiques décrivant des médecins
empreints d’une grande humanité.
Le cinéma, en tant que mode d’expression artistique des sociétés, a porté à l’écran la relation
médecin-malade, nous décrivant un médecin souvent stéréotypé. Les contraintes techniques et
le support même du film sont-elles à l’origine de cette vision parfois réduite ? La littérature
qui l’a, elle aussi, exploré, en a-t-elle une autre vision ?
Ce thème m’a particulièrement interpellée car en tant que médecin nous devons nous placer à
chaque consultation dans un rapport aux trois dimensions du corps du malade dont l’analyse
nous aide à comprendre les symptômes confiés par le patient. En particulier en médecine
générale, nous sommes conduits à appréhender le malade dans sa globalité, corps examiné
exploré, écouté, replacé dans son contexte social et son histoire.
154
V. Références bibliographiques,
filmographiques, et sites Internet indexés
V.1. Bibliographie
1 EY H.
Naissance de la médecine
Masson, 1996, 230p
2 Lithium-migrants
Encyclopedia universalis, 1971, Vol. 10, p.683-689
3 DUREL M.
Essai sur une histoire de la psychosomatique
Non publié
4 ELLENBERGER H.F.
Histoire de la découverte de l’inconscient
Fayard, 1994, 974p
5 BONHOMME J.
Le miroir et le crâne : Parcours initiatique du Bwete Misoko (Gabon)
CNRS EDITIONS, Editions de la maison des sciences et de l’homme, 2005, 247p
6 HALIOUA B.
Histoire de la médecine
Paris: Masson 2e ed., 2004, p.8-13
7 THORWALD J.
Histoire de la médecine dans l’Antiquité
Paris : Hachette, 1966, 331p
8 BARDINET T.
Les Papyrus médicaux de l’Egypte pharaonique
Fayard (Collection : Penser la médecine), 1995, 583p
9 HOCHMANN J. : Psychiatre et psychanalyste
Histoire de la psychiatrie
Paris : Presses Universitaires de France (Collection Que sais-je ? n°1428), 2004, 127p
155
10 HIPPOCRATE
Œuvres complètes
Traités Eaux, Airs et Lieux/ Epidémies/ Maladies/ Des maladies des femmes/ Du médecin/ De
la nature de l’homme
Traduction Emile Littré
Paris : Editions Union littéraire et artistique, 1955, 5 vol. de 353p, 370p, 346p, 355p, 381p
11 HIPPOCRATE
De l’art médical
Livre III Chirurgie :1) des fractures 2) des articulations 3) des plaies de la tête 4) de l’officine
du médecin
Bibliothèque classique (Collection Livre de poche), 1994, p.199-353
12 JOUANNA J. : Professeur de littérature et de civilisation grecque à Paris IV, directeur de
recherche au CNRS
Hippocrate
Fayard, 1992, 648p
13 GRMEK M. : Professeur d’histoire de la médecine et des sciences biologiques à l’Ecole
pratique des hautes études
Le Chaudron De Médée: L’expérimentation sur le vivant dans l’Antiquité
Les empêcheurs de tourner en rond, (Collection Les empêcheurs de tourner en rond), 1997,
170p
14 RAY N.
Le chaudron de Médée : L’expérimentation sur le vivant dans l’Antiquité, Mirko D. Grmek
Devoir d’Histoire de la Biologie, DEA d’épistémologie et histoire des sciences et des
techniques, Université paris VII, Mars 2004
Non publié
15 SOURNIA J.C.
Histoire de la médecine et des médecins
Paris : Larousse, 2003, 585p
16 DUPONT M.
Dictionnaire historique des médecins célèbres
Paris : Larousse (Collection Les grands dictionnaires culturels), 1999, 672p
17 KELLER A.
Le traité de peinture de Leonard de Vinci
Ed. Jean de Bonnot, 1977, 117p
18 O’MALLEY C.D., SAUNDERS J.B.
Leonardo da Vinci on the human body
New York: Gramercy Books, 2003, 512p
19 GRMEK M.
La première révolution biologique. Réflexion sur la physiologie et la médecine au XVIIème
siècle
Paris : Payot (Collection Bibliothèque scientifique Payot), 1990, 358p
156
20 DARMON A.
Les corps immatériels : esprits et images dans l’œuvre de Marin Cureau de la Chambre
Librairie philosophique J. Vrin, 2002, 165p
21 BERNARD C.
Introduction à l’étude de la médecine expérimentale
Paris : Champs Flammarion, 2008, 381p
22 OVIDE
Les métamorphoses
Traduction de G.T.Villenave
Paris : Ed. F.Gay, Ch.Guestard, 4tomes, 1806, Livre III, p.339-510
23 FREUD S.
La vie sexuelle : Pour introduire le narcissisme
Paris: P.U.F, 1969, p.81
24 FREUD S.
Trois essais sur la théorie de la sexualité
Paris : Gallimard, 1925, p.67-168
25 LAPLANCHE J., PONTALIS J.B.
Vocabulaire de la psychanalyse : Narcissisme
Paris: P.U.F, 1978, p.262
26 LACAN J.
Ecrits : Le stade du miroir comme formateur de la fonction JE telle qu’elle nous est révélée
dans l’expérience psychanalytique, communication faite au XVIème Congrès international de
psychanalyse, Zurich, 1949
Paris : Seuil, 1966, 93-100, 900p
27 LACAN J.
Le stade du miroir. Théorie d'un moment structurant et génétique de la constitution de la
réalité, conçu en relation avec l'expérience et la doctrine psychanalytique
Communication au XIVème Congrès psychanalytique international, Marienbad International
Journal of Psychoanalysis, 1937
28 PLATON
Œuvres complètes
La Timée-Critias 91-92b.
Traduit par Emile Chambry
Paris : Les Belles Lettres, 1925
29 NONNOS DE PANOPOLIS
Les Dionysiaques
Traduction F.Vian
Paris : Ed. Belles Lettres, 2003, tome XVIII : Chant XLVIII
157
30 KAMIENIECKI H.
Histoire de la psychosomatique
Paris : P.U.F (Collection Que sais-je ? n°2851), 1994, 128p
31 MARTY P.
La psychosomatique de l’adulte
Paris : P.U.F (Collection Que sais-je ? n°1850), 6ème édition 2004, 127p
32 LE BRETON D.
Anthropologie du corps et modernité
Paris : P.U.F (Collection Quadrige), 2000, 190-191, 272p
33 LEVI STRAUSS C.
L’efficacité symbolique
Plon (Collection : Anthropologie structurale), 1958, p.205-226
34 HOCHMANN J.
Histoire de la psychiatrie
Paris : P.U.F (Collection : Que sais-je ?), 2004, 127p
35 ONFRAY M.
Les sagesses antiques, contre-histoire de la philosophie
Ed. Grasset, 2006, tome 1, p.89-104
36 COOPER D.
Psychiatrie et anti-psychiatrie
Paris : Seuil, (Collection : Points-Essais), 1978, 187p
37 COOPER D.
Le langage de la folie
Paris : Seuil, 1978, 178p
38 WALLON H.
L'évolution psychologique de l’enfant
Armand Colin, Paris 1941, rééd. 2002, 187p
39 NASIO J.D.
Mon corps et ses images
Paris : Payot, (Collection Désir Payot), 2007, 264p
40 DOLTO F.
L’image inconsciente du corps
Paris : Points, (Collection Points essais, n°251), 2000, 375p
41 DOLTO F., NASIO J.D.
L’enfant du miroir
Paris : Payot, 2002, 158p
158
42 CORNET P.
Le médecin généraliste et les phénomènes psychosomatiques
Mémoire de D.U. : Comorbidités somatiques et psychiatriques, année universitaire 20042005, Université paris VI, Faculté de médecine Pierre et Marie Curie
Non publié
43 GRODDECK G.
Le livre du çà
Paris : Gallimard poche, 1976, 326p
44 GUIR J.
Psychosomatique et cancer
Paris : Point Hors Ligne, 1998 (épuisé), 154p
45 MOREAU F.
Ecoute psychosomatique : deux situations cliniques de pierre Marty
L’Esprit du temps, (Collection : Les perspectives psychanalytiques), 1998, 155p
V.2. Filmographie 1
46 JOURNAL INTIME, Nanni Moretti, 1993
47 JOHNNY S’EN VA-T-EN GUERRE, Danold Trumbo, 1976
48 M.A.S.H, de Robert Altman, 1970
49 FRANKENSTEIN, James Whale, 1931
50 FRANKENSTEIN, Kenneth Branagh, 1994
51 DOCTEUR JEKYLL AND MISTER HYDE, Rouben Mamoulian, 1931
52 DOCTEUR JERRY AND MISTER LOVE, Jerry Lewis, 1963
53 FAUX-SEMBLANTS, David Cronenberg, 1988
54 L’AVENTURE INTERIEURE, Joe Dante 1987
55 LES YEUX SANS VISAGE, George Franju, 1960
56 LE CRI DE LA SOIE, d’Yvan Marciano, 1996
57 ADAM EST EVE, de René Gaveau, 1953
58 ON CONNAIT LA CHANSON, Alain Resnais, 1997
159
59 LE PETIT PRINCE A DIT, de Christine Pascal, 1992
60 DOCTEUR FRANÇOISE GAILLAND, Jean-Louis Bertucelli, 1975
61 LA MORT EN DIRECT, Bertrand Tavernier, 1980
62 LA CHEVAUCHEE FANTASTIQUE, de John Ford, 1939
63 BARBEROUSSE, d’Akira Kurosawa, 1965
64 LA MALADIE DE SACHS, Michel Deville, 1999
65 BIENVENUE A GATTACA, Andrew Niccol, 1997
V.3. Sites Internet indexés
66 CHU-ps/enseignement/ressourcesenligne/étudesmédicales/parniveau/PCEM1/sciences
humainesetsociales/histoiredelamédecine
Auteurs : GONZALES P., JOSSET P.
Histoire et épistémologie de la médecine
consulté le 02/08/08
67 www.ch-charcot56.fr/histoire/histpsy/1antiqu.htm: Site du Centre Hospitalier spécialisé de
Saint Avé, auteurs : Docteur GOLDFARB, BAUDOUIN, ETIENNE M., TESSON M.,
consulté le 02/10/08
68 http://www.artair.canalblog.com
Rubrique: Art moderne 1900-1960
Titre : Marcel Duchamp : nu descendant l’escalier
Marcel Duchamp. Extrait d’un documentaire TV
Consulté le 03/08/08
69 http://www.passereve.com/journal/HTM/efsy.html
LE BRETON David, De l’efficacité symbolique, 25 octobre 2004
70 http://www.etudes-lacaniennes.net/Etudes/Psychanalyse/perversion/perv-fetichisme.htm
Site de Didier Moulinier, psychanalyste et psychiatre, né le 23/05/59 à Périgueux, Docteur à
l’université de paris
Consulté le 03/07/08
160
VI. Références bibliographiques,
filmographiques, et sites Internet non indexés
VI.1. Livres et ouvrages consultés non indexés
LACAN J.
Le Symbolique, l’Imaginaire et le Réel
Conférence à la société française de psychanalyse, prononcée le 8 juillet 1953,
Version parue dans le Bulletin de l’Association Freudienne, 1982, n°1
PIERRE A., BENAVIDES T., GIROMINI F.
Corps et psychiatrie
Heures de France, 2004, 2ème ed. 258p
LAMBOTTE M.C.
L’apport Freudien : « Stade du miroir »
Paris : Larousse Bordas, 1993, p.245, 326
VALAS P.
Un fétiche pour les ignorants : La psychosomatique
Essaim, revue de psychanalyse, N°2, p.23-38, Avril 1998, Erès
DANTZER R.
L’illusion psychosomatique
Paris : O Jacob, (Collection Poches O.J.), 1989, 320p
FISCHLER C.
L’homnivore
Paris : Odile Jacob, 1993, 440p
KELLER P.H.
La médecine psychosomatique en question
Paris: O. Jacob, 1997, 282p
PLATON
Le Cratyle
Paris Garnier Flammarion, (GF n° 954, Ed poche), 1999, 317p
PLATON
Le Banquet
Paris : Garnier Flammarion, 1964, 187p.45-46
161
BROUSSOULOUX C.
Cinéma et médecine : le médecin à l’écran : les représentations du médecin et de la médecine
au travers d’un demi-siècle de cinéma français (1945-2000)
Paris : Ellipses, (Collection : sciences humaines en médecine), 2001, 110p
CLOAREC M., GUIRAUDON G.
Le médecin et le cinéma
Paris : La vie médicale, rééd. 1971, 70p
LESOEURS G.
La santé à l’écran : médecine et patients au cinéma
Paris : Téraèdre, (Collection L’anthropologie au coin de la rue), 2003, 160p
ANGELIER F., BRETECHER P., DESBARATS C.
La raison en feu ou la fascination du cinéma pour la folie
Saint Sulpice-Sur-Loire : ACOR, 1999, 45p
thèses consultées
BOGEN M.
Cinéma et médecine
Strasbourg, 2001
JULIEN G.
La représentation symbolique de la médecine dans l’histoire du cinéma
Paris 12 Créteil, 2003
VI.2. Filmographie 2 (films visualisés pour cette
thèse)
ADAM EST EVE, de René Gaveau, 1953
A LA FOLIE , PAS DU TOUT, Laetitia Colombani, 2002
AMOK, Joël Farges, 1993
ANNA M, Michel Spinosa, 2007
BARBEROUSSE, d’Akira Kurosawa, 1965
BELLE DE JOUR, Luis Buñuel, 1967
162
BIENVENUE A GATTACA, Andrew Niccol, 1997
BONJOUR TOUBIB, Louis Cuny, 1957
BRITTANIA HOSPITAL, Lindsay Anderson, 1982
CAS DE CONSCIENCE, Richard Brooks, 1950
CELA S’APPELLE L’AURORE, Luis Buðuel, 1955
CHERI BIBI, Marcello Pagliero, 1954
COMA, Michael Crichton, 1978
CONFIDENCES TROP INTIMES, Patrice Leconte, 2004
CRIS ET CHUCHOTEMENTS, Ingmar Bergman, 1972
DIVORCE HEUREUX, Henning Carlsen, 1975
DOCTEUR EHRLICH’S MAGIC BULLET, William Dietele, 1940
DOCTEUR FRANÇOISE GAILLAND, Jean-Louis Bertucelli, 1975
DOCTEUR JERRY AND MISTER LOVE, Jerry Lewis, 1963
DOCTEUR JEKYLL AND MISTER HYDE, Rouben Mamoulian, 1931
DOCTEUR JIVAGO, David Lean, 1965
DOCTEUR LAENNEC, Maurice Cloche, 1948
DOCTEUR POPAUL, Claude Chabrol, 1972
EYES WIDE SHUT, Stanley Kubrick, 1992
FAUX-SEMBLANTS, David Cronenberg, 1988
FILLE DANGEREUSE, Guido Brignone, 1952
FRANKENSTEIN, James Whale, 1931
FRANKENSTEIN, Kenneth Branagh, 1994
FREUD, PASSIONS SECRETES, John Huston, 1962
HAUTS LES COEURS, Solveig Anspach, 1999
IL Y A DES JOURS ET DES LUNES, Claude Lelouch, 1990
163
ITTO, Marie Epstein et Jean Benoît Levy, 1934
J’AI HORREUR DE L’AMOUR, Laurence Ferrra-Barbosa, 1996
JE N’AI PAS TUE LINCOLN, John Ford, 1936
JOHNNY S’EN VA-T-EN GUERRE, Danold Trumbo, 1976
JOURNAL INTIME, Nanni Moretti, 1993
KANSO SENSEÎ, Shohei Imamura, 1998
KNOCK, Guy Le Franc, 1951
LA CHAMBRE 108, Daniel Moosman, 1993
LA CHEVAUCHEE FANTASTIQUE, de John Ford, 1939
LA CITE DE LA JOIE, Roland Joffé, 1992
LA CLE SUR LA PORTE, Yves Boisset, 1976
LA COLLINE DES POTENCES, Delmer Daves, 1959
LA DEBANDADE, Claude Berri, 1999
L’ADVERSAIRE, Nicole Garcia, 2002
LA FILLE AUX YEUX GRIS, Jean Faurez, 1945
LA GUEULE OUVERTE, Maurice Pialat, 1974
LA LUTTE HEROIQUE, Hans Steinhoff, 1939
LA MACHINE, François Dupeyron, 1994
LA MALADIE DE SACHS, Michel Deville, 1999
LA MINUTE DE VERITE, Jean Delannoy, 1952
L’AMOUR A MORT, François Truffaut, 1984
L’AMOUR D’UNE FEMME, Jean Grémillon, 1953
LA MORT EN DIRECT, Bertrand Tavernier, 1980
LA NEF DES FOUS, Stanley Kramer, 1975
L’ANGE EXTERMINATEUR, Juan Luis Buðuel, 1975
164
LA PETITE FILLE EN VELOURS, Alan Bridges, 1978
LA PORTE S’OUVRE, Joseph Leo Mankiewicz, 1956
LA POURSUITE INFERNALE, John Ford, 1946
L’ARMEE DES DOUZE SINGES, Terry Gilliam, 1995
LA ROSE ECORCHEE, Claude Mulot, 1969
LA TRIBU, Yves Boisset, 1991
L’AVENTURE INTERIEURE, Joe Dante, 1987
LA VIE D’UN HONNETE HOMME, Sacha Guitry, 1952
LE CAS DU DOCTEUR LAURENT, Jean-Paul Le Chanois, 1956
LE CHATEUA DE LA DERNIERE CHANCE, Jean-Paul Paulin, 1946
LE CORBEAU, Georges Clouzot, 1943
LE CRABE TAMBOUR, Pierre Schoendoerffer, 1977
LE CRI DE LA SOIE, d’Yvan Marciano, 1996
LE FRUIT DEFENDU, Henri Verneuil, 1952
LE GRAND BLANC DE LAMBARENE, Bassek Ba kobhio, 1994
LE GUERISSEUR, Yves Ciampi, 1999
LE JOURNAL D’UNE FEMME EN BLANC, Claude Autant-Lara, 1965
L’ENFANT SAUVAGE, François Truffaut, 1969
LEONOR, Juan Luis Buñuel, 1975
LE PETIT PRINCE A DIT, de Christine Pascal, 1992
LES CAVALIERS DE L’ORAGE, Gérard Vergez, 1983
LES CORPS IMPATIENTS, Xavier Giannoli, 2003
LE SEPTIEME CIEL, Benoît Jacquot, 1997
LES HOMMES EN BLANC, Ralph Habib, 1955
LES INVASIONS BARBARES, Denys Arcand, 2003
165
LE SIXIEME SENS, M. Night Shyamalan, 1999
LES LACHES VIVENT D’ESPOIR, Claude Bernard Aubert, 1960
LES LIONS SONT LACHES, Henri Verneuil, 1961
LES MAINS D’ORLEAC, Karl Freund, 1935
LES ORGUEILLEUX, Yves Allegret, 1953
LES PASSAGERS DE LA NUIT, Delmer Daves, 1947
LES YEUX DE L’AMOUR, Denys de la Patellière, 1959
LES YEUX SANS VISAGE, George Franju, 1960
LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE, Fritz Lang, 1932
LE TOUBIB, P. Granier Deffere, 1979
LE VIAGER, Pierre Tchernia, 1972
LE VIEUX FUSIL, Robert Enrico, 1975
L’HOPITAL, Arthur Miller, 1971
L’ODYSSEE DU DOCTEUR WASSEL, Cécile B.De Mille, 1944
LOOKER, Michael Crichton, 1981
MABUSE LE JOUEUR, Fritz Lang, 1932
MADAME BOVARY, Claude Chabrol, 1991
M.A.S.H., de Robert Altman, 1970
MON ONCLE BENJAMIN, Edouard Molinaro, 1969
MONSIEUR VINCENT, Maurice Clauche, 1947
MORTEL TRANSFERT, Jean-Jacques Beineix, 2001
NON COUPABLE, Henri Decoin, 1947
OMBRES ET LUMIERES, James Frawley, 1989
ON CONNAIT LA CHANSON, Alain Resnais, 1997
ON MURMURE DANS LA VILLE, J.L.Mankiewicz, 1951
166
ON NE TRICHE PAS AVEC LA VIE, René Delacroix, 1949
OPERATION CLANDESTINE, Blake Edwards, 1972
ORANGE MECANIQUE, Stanley Kubrick, 1971
PASSAGE A L’ACTE, Francis Girod, 1996
QUE LA FETE COMMENCE, Bertrand Tavernier, 1975
RAK, Charles Belmont, 1972
REGRLMENTS DE COMPTES, Fritz Lang, 1953
SAUVE-TOI LOLA, Michel Drach, 1986
SEPT MORTS SUR ORDONNANCE, J.Rauffio, 1975
SON DERNIER RÖLE, Jean Gourguet, 1946
SOUDAIN L’ETE DERNIER, J. L.Mankiewicz, 1960
SOUS LE PLUS GRAND CHAPITEAU DU MONDE, Cécile B.De Mille, 1952
TENDRE EST LA NUIT, Henry King, 1962
THE DOCTOR, Randa Hains, 1991
THE DOCTEUR AND THE GIRL, Curtis Bernhardt, 1949
THE GIRL IN WHITE, John Sturges 1952
THE GREAT MOMENT, Preston Sturges, 1944
UN GRAND PATRON, Yves Ciampi, 1951
VERTIGES, Mauro Bolognini, 1975
VINCENT, FRANÇOIS, PAUL ET LES AUTRES, Claude Sautet, 1974
VIVRE, Akiro Kurosawa, 1952
Z, Costa Gavras, 1969
167
VI.3. Sites Internet consultés non indexés
http://www.biu-montpellier.fr/academie/academie_edition/fichiers_conf/Dumas2006.pdf
Histoire de la psychiatrie publique à Montpellier, par DUMAS R., de l’Académie des
Sciences et des Lettres de Montpellier
Séance du 04/12/2006, Conférence n°3951, Bull.37, pp 197-203 (2007) n°3951, Bull. 37, pp.
197-203 (2007)
http://leonarddevinci.unblog.fr/2007/12/31/lanatomie-et-leonard-de-vinci/
Planches anatomiques, Leonard de Vinci
consulté le 03/07/08
http://ugo.bratelli.free.fr/Platon/Platon-Timee.htm
PLATON, La Timée, traduction d’Emile Chambry
consulté le 06/08/08
http://pagesperso-orange.fr/espace.freud/topos/psycha/psysem/miroir.htm
Espaces Lacan : le stade du miroir
Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je
telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience psychanalytique
Jacques Lacan : Communication faite au XVIème Congrès international de psychanalyse,
à Zürich, le 17 juillet 1949
http:www.Freud-Lacan.com
Site de l’Association Lacanienne Internationale fondée
En 1982 par Charles Melman et d’autres
Qu’est-ce que la psychosomatique ? B. Vandermersch. 2005, psychanalyste
consulté le 03/07/08
http://aejcpp.free.fr/lacan/1953-07-08.htm
LACAN J.
Conférence « Le symbolique, l’imaginaire et le réel » du 8 juillet 1953 prononcée pour ouvrir
les activités de la Société française de Psychanalyse
consulté le 03/06/08
168
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