LE MEDECIN ET LA MORT

Transcription

LE MEDECIN ET LA MORT
UNIVERSITE D’ARTOIS
FACULTE DE DROIT DE DOUAI - ALEXIS DE TOCQUEVILLE
LE MEDECIN ET LA MORT
Thèse pour le Doctorat en Droit (loi du 26 janvier 1984 – arrêté du 30 mars 1992
modifié par l’arrêté du 25 avril 1992)
Présentée et soutenue publiquement
le 10 octobre 2007
par
Magali CONTRAFATTO
Directeur de thèse :
Monsieur David BAKOUCHE
Professeur à l’Université d’Artois
Membres du jury :
Madame Françoise LABARTHE
Professeur à l’Université Paris Sud -XI
Monsieur Charles COUTEL
Professeur à l’Université d’Artois
Madame Sophie HOCQUET-BERG
Maître de conférence à l’Université de Metz
Monsieur Bruno PY
Maître de conférence à l’Université de Nancy II
Madame Dorothée BOURGAULT-COUDEVYLLE
Maître de conférence à l’Université d’Artois
-1-
L’Université d’Artois n’entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans les thèses. Ces opinions
devront être considérées comme propres à leurs auteurs.
-2-
Pour mon père
Pour Maryline, François et Annabelle.
Pour Mme Marie, Nicole Lapeyronie
ma grand-mère « adoptive ».
Qu’elle trouve ici le témoignage de toute mon affection
et le remerciement de son amitié, de sa jeunesse et de sa sagesse.
Pour m’avoir notamment enseigné
que la plus belle chose à vivre
était la vie.
-3-
REMERCIEMENTS
À M. le professeur David Bakouche
qui a accepté de diriger la rédaction de cette thèse
et m’a fourni une aide toujours précieuse.
Pour sa disponibilité, ses critiques et ses encouragements,
l’hommage de mon respect et de ma profonde reconnaissance.
À Mme Dorothée Bourgault-Coudevylle,
qui m’a accordé sa confiance pour assurer la direction de ses travaux dirigés,
m’a conduite sur le chemin de la thèse
et m’a accompagnée jusqu’à son achèvement.
Pour sa disponibilité, ses conseils et son soutien,
toute ma gratitude et mon plus profond respect.
À Mme le professeur Françoise Labarthe,
M. le professeur Charles Coutel,
Mme Sophie Hocquet-Berg,
M. Bruno Py,
qui ont accepté d’apprécier ce travail,
mes remerciements les plus sincères et ma plus profonde considération.
À tous ceux, juristes ou non, amis, professionnels et étudiants,
qui m’ont apporté leur amitié, leur soutien et leur concours,
mes remerciements les plus sincères et toute ma sympathie.
-4-
TABLE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS
aff.
A.D.M.D
A.J.D.A
AJ
Al.
AN
anc.
Arch. Phil. dr.
art.
Ass. Plén.
affaire
Associations pour le droit de Mourir dans la dignité
Actualité juridique de droit administrative
Famille Actualité juridique famille
Alinéa
Assemblée nationale
ancien
Archives de philosophie du droit
Article
Assemblée Plénière
Bull. civ.
Bull. crim.
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambres civiles)
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambre criminelle)
CAA
Cass. ch. mixte
Cass. civ.
Cass. crim.
C.C.
C.E.
C.E.D.H.
Ch.
Ch. réunies
chron.
Coll.
comm.
Concl.
Cons. Const.
Contra
C.P.
CSP
Cour administrative d’appel
arrêt d’une chambre mixte de la Cour de cassation
arrêt d’une chambre civile de la Cour de cassation
arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation
Code civil
Conseil d’Etat
Cour européenne des droits de l’homme
chambre
arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation
Chronique
Collection
commentaire
Conclusions
Conseil constitutionnel
solution contraire
Code pénal
Code de la santé publique
D.
D.
DC
Defrénois
(dir.)
Doc. Fr.
doct.
Dr.
Dr. adm.
Dr. fam.
Droits
Dr. pén.
Dalloz
Décret
Décision du Conseil constitutionnel
Répertoire général du notariat Deférenois
sous la direction de
Documentation française
doctrine
Droit
Droit administratif
Revue de droit de la famille
Droits, Revue française de théorie juridique
Droit pénal
éd.
édition
-5-
ex.
exemple
Fasc.
Fascicule
Gaz. Pal.
Gazette du Palais
Ibid.
infra
I.R.
Ibidem, au même endroit
ci-dessous
informations rapides
J.-Cl.
J.-Cl.
J.C.P.
J.O.
Code civil Juris-Classeur civil
Code pénal Juris-Classeur pénal
Juris-Classeur périodique (Semaine juridique, édition générale)
Journal officiel
L.G.D.J.
L.
Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence
Loi
Méd. & Droit
Méd.& Hyg.
Médecine et Droit
Médecine et Hygiène
n°
NCPC
numéro
Nouveau Code de procédure civile
Obs.
Op. cit.
Ord.
Observations
Opere citato, dans l’ouvrage cité
Ordonnance
p.
préc.
préf.
Pouvoirs
P.U.
P.U.A.M.
P.U.F.
page
précité
préface
Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et
politiques
Presses Universitaires
Presses Universitaires d’Aix Marseille
Presses Universitaires de France
Rapp.
R.D.P.C.
RD pub.
RD sanit. soc.
Réan. Urg.
Rép. civ. Dalloz
Resp. civ. et assur.
Rev. crit. Lég. jur.
Rev. gén. dr. méd.
Rev. pénit.
R.R.J.
Rev. sc. Crim
Rapport
Revue de droit pénal et de criminologie
Revue de droit public
Revue de droit sanitaire et sociale
Réanimation Urgences
Répertoire de droit civil Dalloz
Responsabilité civile et assurances
Revue critique de législation et de jurisprudence
Revue générale de droit médical
Revue pénitentiaire et de droit pénal
Revue de la recherche juridique, Droit prospectif
Revue de science criminelle et de droit pénal comparé
-6-
RFD
R.I.D.C.
R.I.D.P.
RJPF
RTD civ.
R.T.D.H.
adm. Revue française de droit administratif
Revue internationale de droit comparé
Revue internationale de droit pénal
Revue juridique Personnes et Famille
Revue trimestrielle de droit civil
Revue trimestrielle des droits de l’homme
s.
S.
sc.
somm.
somm. comm.
ss.
supra
suivant
Sirey
sciences
sommaire
sommaire commenté
sous
ci-dessus
t.
TA
T.G.I.
Th.
Trib. Corr.
tome
Jugement du tribunal administratif
Tribunal de grande instance
Thèse
Tribunal correctionnel
univ.
universitaire
V.
V°
vol.
Voir
verbo : mot
volume
-7-
SOMMAIRE
(Une table des matières détaillée figure à la fin de l’ouvrage)
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE
LE ROLE TRADITIONNEL DU MEDECIN : LUTTER CONTRE LA MORT
Titre I : L’important pouvoir d’intervention du médecin face à la mort
Chapitre I : La mission du médecin : conserver la vie
Chapitre II : Le médecin face à la responsailité de la mort
Titre II : La limitation du pouvoir décisionnel du médecin face à la mort
Chapitre II : L’obligation absolue pour le médecin de respecter la mort du patient
Chapitre II : L’obligation relative pour le médecin de respecter la volonté de mourir du
patient
SECONDE PARTIE
LE ROLE OCCASIONNEL DU MEDECIN : DONNER LA MORT
Titre I : Une réponse contestée du droit français à l’euthanasie et au suicide assisté
Chapitre I : Le débat médical
Chapitre II : La condamnation relative de l’euthanasie et du suicide assisté par le droit
français.
Titre II : Une adaptation souhaitée du droit français à l’euthanasie et au suicide assisté
Chapitre I : L’expérience étrangère euthanasique
Chapitre II : La perspective d’une loi française sur l’euthanasie et le suicide assisté
CONCLUSION GENERALE
-8-
LES MEDECINS
Le médecin Tant-pis alloit voir un malade
Que visitoit aussi son confrère Tant-mieux.
Ce dernier espéroit, quoique son camarade
Soutint que le gisant iroit voir ses aïeux.
Tous deux s’étant trouvés différents pour la cure,
Leur malade paya le tribut à nature,
Après qu’en ses conseils Tant-pis eut été cru.
Ils triomphoient encor sur cette maladie.
L’un disoit : « Il est mort ; je l’avois bien prévu.
– S’il m’eût cru, disoit l’autre, il seroit plein de vie. »
Jean de La Fontaine
Les Fables, Livre cinquième, Fable XII.
-9-
INTRODUCTION GENERALE
« Je ne dispute donc pas que la médecine ne soit utile à quelques hommes, mais je dis
qu’elle est funeste au genre humain » écrit Jean-Jacques Rousseau dans L’Emile ou De
l’éducation. Peut être avait-il pressenti que le médecin serait toujours perçu comme
cassandre : appelé pour soigner, mais annonçant la mort.. La mort est un vaste sujet1 qui offre
un champ de réflexion matérialiste, philosophique, biologique et éthique, social et religieux.
L’étude du couple passionnel que forment les médecins et le droit est, elle, classique2. Le
droit n’a pas vocation à régler les grands problèmes philosophiques ou métaphysiques : de
fait, il semble dédramatiser la mort3. Rien n’est plus inévitable que la mort, tout vivant qui
vient de naître est promis à cesser d’être. Incertaine quant à sa date – « vous ne savez ni
l’heure, ni le jour, ni le lieu » dit l’Evangéliste –, la mort est certaine dans la réalisation de
l’événement. Présente à la conscience durant la vie 4 du fait de la connaissance de ses
1
L.-V. Thomas estime : « On ne peut disserter sur la mort que de manière encyclopédique, hétérogène, jamais
exhaustive. Prendre la mort comme objet de recherche, c’est en effet la réifier, donc l’occulter en la réduisant à
une somme de statistiques, à un ensemble de déterminants physico-chimiques, à un système de représentations
ou d’institutions. D’ailleurs, on ne peut parler de ce qu’on maîtrise. Et maîtriser la mort n’a pas de sens ; aussi
comprend-on la réflexion désabusée d’un anthropologue : « Ben quoi la mort ? La mort, rien ! Il n’y a pas de
savoir sur la mort dans les livres, ce n’est pas un livre qui le dit ». Mort et pouvoir, préf. de J.-D. Urbain, Petite
bibliothèque Payot, t. 361, Paris, 1999, p. 8.
2
B. Py estimait : « Or, le juriste étant à la fois un acteur et un observateur de la vie en société, doit tout à la fois
prévoir, comprendre et appliquer ces règles très concrètes de comportement social face au fait individuel
quotidien de mort et simultanément, il doit élever son esprit pour tenter de mesurer les implications de ces règles
juridiques sur la définition même de l’humain. La réflexion sur la mort est LA question fondamentale parce que
Homo sum : humani nil a me alienum puto, Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger.
(citant Terence [190-159 av. J.-C.), Le bourreau à soi-même, I, 1, 25.), La mort, P.U.F. Coll. Que sais-je ?, 1997,
p. 124.
3
V. Bonnin : « Parce que la mort saisit tout de l’humain, le propos juridique est plus incomplet que d’habitude :
il est rare qu’il s’aventure dans la complexité des pensées les plus intimes, celles où se font et se défont nos
préparatifs avant le dernier aller simple. Il côtoie pourtant des choix qui reposent sur des sentiments, une
expérience dont la souffrance a pu marquer les contours, sur la foi aussi. Par les rapports qu’il établit
inévitablement avec ces autres perceptions de la mort, il tend à devenir, à l’instar de la métaphysique – recherche
liée à la mort s’il en est – un métalangage. », La mort voulue pour soi-même (du suicide à la mort demandée à
autrui), R.R.J. 1995-1, p. 207. J. Savatier : «La règle de droit n’a pas pour objet de répondre aux grands
problèmes philosophiques ou métaphysiques : qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce que la vie ? Elle n’accorde de
droits à l’homme que si d’autres hommes le reconnaissent comme vivant. », Définition de la mort, rapport
juridique, in Les droits de l’homme devant la vie et la mort, Actes du colloque de l’Université de Besançon,
Revue des droits de l’homme, tome 7, 1974, p. 394 ; il n’en serait pas de même si le droit était d’essence
religieuse, comme le font remarquer J. Vedrinne et J.-M. Elchardus, Du droit à la clinique, une question
d’éthique, in Le suicide, sous le dir. de F. Terré, P.U.F., 1994, p. 160 ; le discours religieux a lui pour but de dire
tout de l’humain. Enfin, M. Moulin explique : «Chacun sait, même s’il a de bonnes ou de moins bonnes raisons
de ne pas le reconnaître, que dans ce domaine, les convictions intimes et les divergences de vue ne reposent pas
nécessairement et uniquement sur les clivages philosophiques ou religieux auxquels nos traditions culturelles et
philosophiques nous ont accoutumés.», A la recherche de la bonne mort perdue, in L’euthanasie ou la mort
assistée, sous la dir. de C. Suzanne, De Boeck Université de Bruxelles, 1991, p. 15.
4
« Chaque jour, j’observe la mort à l’œuvre dans le miroir » disait Jean Cocteau.
- 10 -
caractères inéluctable et irrécusable, la mort est quotidienne, ordinaire et universelle. Rien
n’est plus naturel et plus familier que la mort. Notre civilisation est d’ailleurs résolument
« mortifère »5 : jamais les guerres n’ont, en effet, été aussi meurtrières et les menaces sur la
vie aussi importantes. En outre, la mort est un phénomène biologique banal, comme la
naissance ; elle est aussi un phénomène démographique ; elle est enfin un fait divers que le
journaliste chronique tous les jours. Et pourtant toujours elle semble lointaine6, surtout si l’on
est jeune. Ce sont les autres qui meurent 7 . La mort est mise à l’écart, hors de portée en
quelque sorte, avant de resurgir brutalement, à la mort d’un proche ou à l’annonce d’une
maladie grave voire incurable. Elle apparaît alors comme une agression, un « scandale »8. La
mort est « inhumaine, irrationnelle, insensée comme la nature lorsqu’elle n’est pas
domestiquée »; il n’y a finalement de bonne mort « que vaincue et soumise à la loi » 9 . En
bref, la mort demeure « hors catégorie » 10 : « elle est inclassable, unique en son genre,
monstruosité solitaire, elle est sans rapport avec tous les autres événements qui, tous,
s’inscrivent dans le temps »11.
Selon la foi de chacun ou l’absence de foi, on croira à une vie éternelle, à la
réincarnation ou à un point final. Pourtant, aussi grande soit cette foi et peut être plus encore
en l’absence de foi, la mort fait peur. Insaisissable, par nature inconnue, on tente par tout
moyen de la repousser. Les progrès de la médecine moderne ont attisé la crainte de celle-ci
5
Cité par L.-V. Thomas, En guise d’ouverture : Problèmes de la mort aujourd’hui (anthropologie et histoire), in
La mort aujourd’hui, sous la dir. de L.-V. Thomas, B. Rousset et Trinh Van Thao, Actes du Colloque organisé
par le C.U.R.S.A., octobre 1975, éd. Anthropos, Publications du Centre universitaire de recherche sociologique
d’Amiens, Paris, 1977, p. 17.
6
Déjà, en 1662, Bossuet relevait-il, dans son sermon sur la mort : « C’est une étrange faiblesse de l’esprit
humain, que jamais la mort ne lui soit présente quoi qu’elle se mette en vue de tous côtés et en mille formes
diverses […]. Les mortels n’ont pas moins de soin d’ensevelir les pensées de la mort que d’enterrer les morts
mêmes ». Sermon sur la mort, éd. d’art Edouard Pelletan, Paris, 1921, pp. 25-26. V. également Pascal, cité par E.
Morin, L’homme et la mort, éd. du Seuil, coll. Points, 1976, p. 232 : «L’homme n’ayant pas pu supprimer la
maladie ni la mort, s’est avisé que le mieux pour être heureux était de n’y point songer ».
7
La mort reste, pour chacun, un fait qui trouble la perception qu’on en a. L.-V. Thomas estime : La mort
« n’offre aucune prise puisqu’elle est hors de portée, au-delà des bornes de l’entendement et de l’expérience. On
ne sait rien de sa propre mort car s’imaginer mort, c’est encore s’éprouver vivant. La formule d’Epicure garde
toute sa vérité : « Tant que nous existons, la mort n’est pas. Quand la mort est là, nous ne sommes plus ». Pas
d’expérience de la mort de l’autre non plus : nous ne la vivons que de l’extérieur, en spectateur, en projetant sur
l’agonisant nos propres fantasmes. De toute façon il n’y a pas deux morts qui se ressemblent ; celle d’autrui ne
peut rien m’apporter car « Chacun de nous est le premier à mourir » (E. Ionesco) ». Mort et pouvoir, op. cit., pp.
15-16. V. également E. Lévinas, La Mort et le Temps, éd. Le livre de poche, biblio, essais, Paris, 1992, p. 9 :
« Tout ce que nous pouvons dire et penser de la mort et du mourir et de leur inévitable échéance, il nous semble
de prime abord que nous le tenions de seconde main. Nous le savons par ouï-dire ou par savoir empirique ».
8
V. Jankélévitch, La mort, Flammarion, Coll. champs, Paris, 1977, p. 8.
9
J. Baudrillard, L’échange symbolique et la mort, éd. Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, Paris,
1976, p. 248.
10
L.-V. Tomas, La mort, P.U.F., Coll. Que sais-je ?, n° 236, 5e éd., 2003, p. 17.
11
V. Jankélévitch, La mort, Flammarion, Coll. champs, Paris, 1977.
- 11 -
par le sentiment que la médecine pouvait tout, repoussant toujours plus loin les limites de la
vie et l’échéance de la mort. La réalité est plus cruelle. Le monde est aussi celui de la mort.
Pourtant, parler de la mort aujourd’hui est souvent tabou12. Un constat est devenu classique :
parce-que la médecine sauve de plus en plus de vies, qu’elle gagne sur la maladie et recule
l’échéance de la mort, cette dernière est souvent perçue comme un échec. C’est oublier, d’une
part, que la mort fait partie de la vie – chaque vie qui naît, porte en elle sa mort - , d’autre
part, que la médecine est une science humaine, comprenant des doutes, des ignorances et des
erreurs. On dit souvent qu’il est l’heure, que notre heure est venue, parfois on en ressent
l’injustice, « il est trop tôt ». Et c’est au médecin que l’on en veut pour ne pas nous avoir
préservé de cette mort. Au contraire, il arrive que l’on le remercie de son aide, de sa
présence…
Le lien entre la mort et la médecine est presque évident de nos jours. Lors de celle-ci,
la présence du médecin et du personnel soignant est parfois la seule et il se noue un lien
particulier entre le patient et le médecin. Cette relation est porteuse de toutes les espérances.
Elle l’est parfois de toutes les craintes. La science ne peut éternellement retarder le moment
fatidique. En France, 65 personnes meurent chaque heure et, chaque année, environ 560 000
cadavres viennent grossir le lot des défunts. 75 % des décès ont lieu à l’hôpital ou dans une
maison de retraite (ils étaient de 39 % en 1969). Alors quand vient la fin de la vie, la vieillesse
et la maladie, la souffrance, certains pensent qu’au delà d’un certain seuil, il est préférable de
mourir et réclament le droit de mourir. « Mourir cela n’est rien, mais vieillir » disait Jacques
Brel.
Cerner, délimiter la mort n’est donc pas aisée pour les penseurs, les poètes ou les
religieux. Le droit n’y semble pas plus habile. Il a été résolu qu’il était nécessaire de définir la
mort (SI). Le droit s’attache davantage à saisir le moment de la mort, laquelle est marquée par
une évolution historique singulière dont l’aboutissement est la médicalisation de la mort (SII).
Les progrès de la médecine ont donc conduit les individus et l’Etat à repenser le rapport du
médecin à la mort. Le praticien s’est trouvé confronté à de nouvelles exigences et
responsabilités, lesquelles ont conduit au renouvellement de la place du médecin face à la
mort dans la société (SIII).
12
V. Sur le sujet : M. Hulin, La face cachée du temps, Fayard, 1985.
- 12 -
SECTION I - DEFINIR LA MORT
De façon simpliste, la mort biologique ou la disparition de l’individu vivant consiste
en l’arrêt complet, définitif, c’est-à-dire irréversible, des fonctions vitales, notamment au
niveau du triangle cerveau-cœur-poumon. Pourquoi meurt-on, de quoi meurt-on, comment
meurt-on restent des questions fondamentales auxquelles il est malaisé de répondre. « Si ce
n’était l’urgence de préciser le moment propice pour le prélèvement d’organes et celui de
l’inhumation ou de la crémation, il n’y aurait probablement pas de définition légale de
mourir »13. La mort n’est-elle pas, en effet, ce « rien »14 ? Mais toute la difficulté réside dans
la connaissance de ce « rien », de sa légitimité théorique et de sa maturité en tant qu’ «objet »
scientifique15. Aucune démarche médicale ne parvient exactement à cerner la mort, tant sur le
plan des critères que sur la définition et, plus la connaissance de la mort progresse
scientifiquement, moins on s’avère capable de préciser quand et comment elle intervient. Rien
de plus malaisé, en effet, que de situer dans le temps le passage de la vie à la mort dans la
mesure où l’on meurt toujours progressivement16. De fait, il n’y a pas vraiment un instant
précis sauf… pour le médecin qui doit obligatoirement délivrer un certificat autorisant
l’inhumation ou l’incinération et sauf pour le médecin légiste qui doit chercher à quel moment
le sujet a cessé de vivre ou, enfin, pour l’officier d’état civil responsable de l’enregistrement
officiel du fait clinique de la mort, pour en faire un fait juridique.
Définir la mort obéit à deux ordres de préoccupations : la première est le souci
légitime de cerner « l’objet mort » et, la seconde, « une urgence pratique » permettant à la fois
de procéder aux prélèvements d’organes, de réaliser les obsèques afin que les cadavres ne
soient pas sources d’infection ou vecteurs d’épidémies et, enfin d’assurer la transmission du
patrimoine. Cette double nécessité oblige alors le médecin et le législateur à trouver une
définition commune qui puisse les contenter17. Aujourd’hui, la définition de la mort est un
13
L.-V. Thomas, La mort, Coll. Que sais-je ?, P.U.F., n° 236, 5e éd., 2003. V. également, L.-M. Raymondis,
Problème juridique d’une définition de la mort, A propos des greffes d’organes, RTD civ. 1969, p. 3.
14
V. Jankélévitch, La mort, Flammarion, Coll. Champs, Paris, 1977, p. 40.
15
Trinh Van Thao, Avant-propos in La mort aujourd’hui, sous la dir. de L.-V. Thomas, B. Rousset et Trinh Van
Thao, Actes du colloque organisé par le C.U.R.S.A., octobre 1975, éd. Anthropos, Publications du Centre
universitaire de recherche sociologique d’Amiens, Paris, 1977, p. 9.
16
L.-V. Thomas complète : « non seulement dans l’agonie, mais aussi, à la limite dans la mort subite, à la fois
par degrés et par morceaux : la mort est un processus », La mort, op. cit., p. 17. La mort est un phénomène
progressif et non instantané. « La constatation de la mort a toujours été une chose difficile. Elle ne se fait que par
échelons. Il y a des tissus qui meurent les premiers, si bien que la mort n’est pas un moment, mais une période ».
P. Coste-Floret, La greffe du cœur devant la morale et le droit, Rev. sc. crim., 1969, p. 799.
17
V. à ce sujet : L.-M. Raymondis, Problèmes juridiques d’une définition de la mort, R.T.D. civ., 1969, p. 29 ; R.
Nerson, L’influence de la biologie et de la médecine légale de la mort, Gaz. Pal. 1988, I, p. 300 ; C. Chabault,
- 13 -
consensus entre le monde médical et le milieu juridique. Si hier, on se contentait de constater
l’arrêt du pouls et du cœur, la cessation de la respiration repérée à l’aide d’un duvet ou d’un
miroir placés devant la bouche, le manque de réceptivité et de réactions aux stimuli d’ordre
sensoriel et les premiers aspects de la thanatomorphose (refroidissement du corps, rigidité
cadavérique, déshydratation et lividités), on y adjoint désormais – car les preuves de la mort
ne sauraient être alternatives mais bien cumulatives
18
– la certitude du tracé
encéphalographique nul19.
Pendant des siècles, nul ne chercha à donner une définition juridique de la mort. La
question semblait relever de l’évidence. Au demeurant, il eût été bien difficile en l’état de la
science de fournir un telle définition. Pourtant, le développement des connaissances
scientifiques va doucement conduire à une définition de la mort dont l’élément le plus
pertinent est qu’elle n’est pas un instant mais une période. Cela explique l’évolution
historique de la définition de la mort20, jadis caractérisée par la fin de la respiration, puis par
Notion de personne et mort, ou le statut juridique du cadavre, Petites affiches, 3 mai 1996, p. 4 ; P. de Goustine,
Le nouveau constat de la mort en cas d’utilisation du cadavre, R.D. sanit. soc., 1997, p. 524.
18
B. Portnoi, A propos de la définition légale de la mort, Gaz. Pal. 1988, 1, doctr., p. 300.
19
L.-V. Thomas, La mort, op. cit., p. 32. : « On assiste au cours du temps, et en milieu hospitalier du moins à un
glissement des signes impressionnistes aux critères techniques davantage sophistiqués : la mort n’est pas
seulement une maladie, elle se trouve scientifisée au maximum ». Cependant, la définition scientifique de la mort
n’est pas résolue pour autant et il importera peut-être un jour d’aller plus loin dans la recherche de nouveaux
critères. « Si un jour les données actuellement à peu près acquises pour les êtres inférieurs sont transposées à
l’homme, si des substances appelées stimulines sont capables de transformer des cellules indifférenciées en
cellules cérébrales, si ces cellules neuves viennent repeupler un cerveau déshabité, alors l’éléctroencéphalogramme s’animera à nouveau et, avec lui, les fonctions du cerveau, la vie. Alors académies comités,
experts, législateurs et ministres devront proposer une nouvelle définition de la mort » : J. Bernard, Grandeur et
tentations de la médecine, Paris, Buchet-Chastel, 1977, cité par L.-V. Thomas, La mort, op. cit., p. 33.
20
Le diagnostic de la mort a fortement évolué au rythme des progrès réalisés dans la technologie exploratoire.
Deux circulaires, de 1948 et 1958, fixèrent le moment de la mort à la cessation de toute activité cardiaque et
circulatoire. La circulaire n° 32 du 3 février 1948 précisait ainsi que le diagnostic de mort pouvait être établi, en
dehors et en plus de l’examen direct, par deux méthodes d’exploration, l’artériotomie et l’épreuve à la
fluorescéine d’Icard. La circulaire du 19 septembre 1958 prévoyait une troisième méthode dite « signe d’éther »,
consistant en une injection sous-cutanée de ce produit (celle-ci diffuse dans les tissus si la mort du sujet n’est
qu’apparente, et ressort en jet si elle est réelle quand on retire l’aiguille : J. Savatier, Et in hora mortis nostrae, le
problème des greffes d’organes prélevés sur un cadavre, D. 1968, chron. p. 89). L’application de ces critères où
il devint possible grâce aux développements des moyens de réanimations, comme les massages cardiaques, de
ramener à la vie des personnes dont le cœur s’était arrêté de battre. Dès lors, il était nécessaire de changer de
critère d’analyse. Le nouveau critère établi par la circulaire n° 67 Jeanneney du 24 avril 1968 (texte non publié
au J.O.), fut fondé sur la preuve de l’altération irrémédiable du système nerveux central dans son ensemble et
résulte des travaux de deux chercheurs français, Mollart et Goulon, établissant en 1959 que la destruction totale
des cellules cérébrales, hémisphères et tronc cérébral, entraîne à brève échéance l’arrêt des fonctions
caractéristiques de la vie au niveau des organes. La technique diagnostique principale devient alors la preuve de
la disparition prolongée de tout signal encéphalographique, démontrant l’absence irrémédiable d’activité
cérébrale. Des discussions se sont cependant ouvertes au sujet de la fiabilité scientifique de cette technique de
constatation de la mort et des différences existant entre l’électroencéphalogramme plat et l’électroencéphalogramme nul. La question fut résolue par la circulaire Kouchner du 21 janvier 1991, relevant que l’examen
para-clinique de référence devait être l’électroencéphalogramme nul, aéractif au cours de deux enregistrements
- 14 -
la cessation de tout battement cardiaque et enfin aujourd’hui, par la disparition définitive de
toute activité cérébrale.
La loi ne donne pas de définition de la mort, et en droit commun, la réalité du constat de décès
est suffisamment garantie par le respect d’un délai d’inhumation : des signes positifs ne
laissent plus alors aucun doute sur la certitude de la mort. Mais sitôt le corps peut servir
l’intérêt thérapeutique d’autrui, le constat de mort doit se faire sans délai, de façon à éviter
que les organes convoités ne se nécrosent. On explique ainsi comment la définition de la mort
a évolué au gré des techniques médicales, de la destination du cadavre à d’autres fins que
l’inhumation et des besoins que le recyclage de l’enveloppe corporelle dans l’intérêt
thérapeutique d’autrui allait faire naître. Avant même le vote, le 22 décembre 1976, de la loi
« Caillavet » organisant le prélèvement d’organes, le progrès des techniques de réanimation
avait permis de prélever des organes fonctionnels, contribuant ainsi à améliorer sensiblement
les conditions de réalisations des greffes thérapeutiques. Aussi à la demande des praticiens de
la transplantation, une simple circulaire, publiée le 24 avril 1978, était venue substituer le
critère de « la mort cérébrale », ou « coma dépassé », à celui retenu jusqu’alors de « l’arrêt de
la circulation sanguine », inadapté au développement des prélèvements d’organes ou de tissus
humains21. Ce critère visait donc exclusivement les personnes décédées en réanimation dont
certaines fonctions vitales étaient artificiellement maintenues. Le dispositif « Caillavet », mis
en place entre 1976 et 1978 pour encadrer ces pratiques22, renvoyait à la circulaire de 1968 en
ce qui concerne les procédés permettant de constater la mort.
La situation était insatisfaisante. D’une part, la légitimité et l’autorité limitées d’une circulaire
ont toujours suscité la critique, d’autant plus inévitable en l’espèce que le domaine concerné
était sensible et que la définition retenue de la mort se heurtait à l’intuition commune, l’image
du mort corps froid et statique étant en totale inadéquation avec la vision du défunt qui respire
encore lorsqu’il est maintenu sous respiration artificielle. D’autre part, la pertinence
scientifique des critères retenus pour diagnostiquer la mort cérébrale dans la circulaire de
1968 a rapidement été l’objet de controverses23.
répétés au cours d’une période d’observation avec un intervalle suffisant, en général de l’ordre de six heures : B.
Py, La mort et le droit, P.U.F., Coll. Que sais-je ? , n° 3339, 1997, pp. 18-20.
21
V. Sur les débats scientifiques qui perdurent sur la définition de la mort, P. Lambert, La mort en débat,
(recension d’un article de S. Laureys, « Death, unconsciousness and the brain », Nature Reviews Neuroscience,
vol. VI, n° 11, nov. 2005), Sciences humaines mai 2006, n° 171, p. 16.
22
La loi du 22 décembre 1976 (J.O. 23 décembre 1976 est complétée par le décret du 31 mars 1978 (J.O. 4 avril
1978) lui-même précisé par la circulaire du 3 avril 1978 (J.O. 5 avril 1978).
23
P. Ddemay de Goustine, Le nouveau constat de la mort en cas d’utilisation du cadavre (décret et arrêté du 2
décembre 1996), RD sanit. soc. 1997.524 et s., spéc. p. 532-533.
- 15 -
La loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et
produits du corps humain, à l’assistance médicale et au diagnostic médical, qui remplace
aujourd’hui la loi Caillavet, n’apportait cependant aucune amélioration des règles en ce
domaine et renvoyait à un futur décret. Il fallut ainsi attendre le décret n° 96-1041 du 2
décembre 1996 pour qu’enfin les pouvoirs publics s’attachent à renforcer la fiabilité du
constat de mort précoce.
Codifié aujourd’hui aux articles R. 1232-1 et suivant du Code de la santé publique, le premier
de ces textes dispose : « Si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le
constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont
simultanément présents : 1° Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ; 2°
Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ; 3° Absence totale de ventilation
spontanée. ». Le texte poursuit en précisant que l’absence de ventilation spontanée est vérifiée
par une épreuve d’hypercarnie et que, de plus, en complément de trois critères cliniques
précédents, il doit être recouru, pour attester du caractère irréversible de la destruction
encéphalique, soit à deux encéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle
minimum de quatre heures, soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation
encéphalique. Ce texte a le mérite de regrouper tous les constats précoces de mort, et non
seulement ceux qui concernent des personnes placées en réanimation, dès lors qu’il est
envisagé de prélever des éléments sur cadavre. Il semble ainsi attester d’un encadrement plus
important du pouvoir d’expertise du médecin dans la détermination de la mort.
Pour sa part, la jurisprudence ne consacrait la référence à la mort cérébrale qu’en 1993. Par le
célèbre arrêt Milhaud24, en date du 2 juillet 1993, le Conseil d’Etat utilisa en effet pour la
première fois la définition de la mort cérébrale. Il était reproché au Professeur Milhaud
d’avoir commis une faute en faisant sur une personne en état de mort cérébrale une expérience
ne répondant pas « à une nécessité scientifique reconnue ». Le Conseil d’Etat, pour fonder sa
décision, notait que « la mort n’a pas été constatée dans des conditions analogues à celles qui
sont définies par les articles 20 à 22 du décret du 31 mars 1978 », soit le décret d’application
de la loi Caillavet.
24
G. Lebreton, Le droit, la médecine et la mort, D. 1994, chron., p. 352 ; D. 1994, p. 74, note J.-M. Peyrical ;
J.C.P. G 1993, II, 22133, note P. Gonod ; AJDA 1992, p. 233, obs. J.-P. Théron ; J.-P. Théron et R. Schwartz,
L’euthanasie et l’expérimentation sur cadavres face à la déontologie médicale, R.D. sanit. soc., p. 46.
- 16 -
Les signes cliniques ordinaires suffisent généralement à prouver le fait de mort sans
risque d’erreur et sans qu’il soit besoin de recourir à une technologie poussée25. Il n’existe que
deux circonstances particulières qui supposent que le médecin s’assure de la destruction
définitive du cerveau, qui caractérise la mort encéphalique. La première hypothèse correspond
au projet de prélèvement d’organes sur un cadavre, la seconde à la cessation des mesures de
réanimation qui semblent inutiles ; il faut affiner au maximum les conditions du constat du
fait de mort. Les médecins doivent, d’une part, éviter de prélever sur un être encore vivant, un
élément vital, ce qui serait prohibé comme étant un homicide, d’autre part, ne pas arrêter trop
tôt des actes thérapeutiques, ce qui pourrait être qualifié de non-assistance à personne en
danger.
En dehors de l’hypothèse de greffe d’organes, le législateur s’est abstenu de donner
une définition juridique de la mort. Seule la circulaire du 3 avril 1978 interprétative du décret
du 31 mars 1978 et renvoyant à la précédente circulaire du 24 avril 1968, livre quelques
indications : le constat du décès doit s’appuyer sur « le caractère destructeur et irrémédiable »,
résultant spécialement de la disparition de tout signal encéphalogramme pendant une durée
jugée suffisante. Ainsi, il ne saurait être conclu qu’il y a deux définitions juridiques de la
mort, et ce malgré les arguments de certains auteurs exposant qu’il existerait un régime de
droit commun fondé sur l’apparence de la mort et un autre d’exception « qui organise la
détermination précoce de la mort pour des raisons scientifiques et thérapeutiques ». Le droit
français, à l’instar de nombreux droits étrangers, consacre une seule et même notion de la
mort : la définition cérébrale au sens médical.
La raison principale d’un tel choix fut sans conteste la possibilité offerte à la médecine de
réaliser des transplantations d’organes post mortem que la loi autorise à des fins
thérapeutiques ou scientifiques dès l’instant où le donneur n’a pas fait connaître son
opposition de son vivant26. De plus, scientifiquement, les anciens critères relatifs à l’arrêt du
25
« Les quatre signes classiques de la mort […] le refroidissement, la rigidité […], le dessèchement oculaire et
les colorations. », R. Saury, L’éthique médicale et sa formulation juridique, Sauramps, 1991, p. 118.
26
Les auteurs « s’amusent » souvent à souligner que la première greffe du cœur a opportunément eu lieu 3 jours
seulement après la circulaire du 24 avril 1968. M. Portnoi exprime ainsi : « Les raisons de la circulaire de 1968
sont très liées à la vague des greffes du cœur qui déferlait à l’époque : l’équipe du Pr. Cabrol était prête pour
tenter la première greffe française, mais il lui fallait l’autorisation de prélever un cœur "frais"de donneur, dans
des circonstances qui ne soient plus un homicide, c’est-à-dire sur un patient qu’on puisse dire mort, mais chez
qui la persistance de la circulation sanguine aurait permis une excellente conservation de l’organe. La
coïncidence de dates est, à cet égard, troublante. La circulaire est datée du 24 avril et la greffe, réalisée à
l’hôpital de la Pitié, est du 27 avril. […] Nous ne mettons pas en doute la conscience du Pr. Cabrol, mais nous
restons troublés à l’idée qu’il ait pu attendre, scalpel en main, l’arrivée à l’hôpital de la circulaire pour faire
déclarer la mort de "son" donneur. » : À propos de la définition légale de la mort, op. cit. ; B. Beignier, La mort,
- 17 -
cœur ou à la cessation de la respiration étaient devenus obsolètes compte tenu des nouvelles
techniques de réanimation. Une troisième raison est toutefois plus fine. L. Schwartzenberg
souligne que « la nouvelle définition de la mort qui est passée dans les textes n’est ni
médicale, ni biologique, ni scientifique ; c’est une définition métaphysique. On définit la mort
d’un être humain à partir du moment où sa conscience est morte. On le déclare mort non parce
que ses organes ont arrêté de vivre, mais parce qu’il est mort à l’espèce humaine. On établit
une différence entre l’espèce humaine et toutes les autres espèces vivantes. Cette différence
s’appelle la conscience » 27 . L’auteur mettait ainsi en valeur l’aspect relationnel de la vie
humaine, notion à laquelle la société semble s’attacher davantage qu’à celle de vie biologique.
Allant plus loin, la vie reposant sur la vie du cerveau, c’est-à-dire sur la capacité d’un individu
à communiquer, à entrer en contact avec les autres, si l’individu ne le peut plus, faudra-t-il
considérer, un jour, qu’il est mort à la vie humaine ? Le décret du 2 décembre a un mérite : il
permet de bien distinguer diverses phases du coma : simple, profond, chronique, dépassé. Seul
ce dernier est synonyme de mort cérébrale. Le coma chronique est ce que l’on a coutume de
dénommer « l’état végétatif » ou encore « mort corticale ». On voit qu’il aurait été possible
d’opter – aucun pays n’y a consenti à ce jour – en faveur du critère de la mort corticale sur
celui de la mort cérébrale. « Criminelle tentation d’ôter la vie pour la sauver »28.
Le monopole du médecin quant au diagnostic et au traitement des maladies humaines
englobe le monopole du diagnostic de la mort qui se traduit par la rédaction d’un certificat de
décès, attestation officielle de la mort « réelle et constante » d’un individu29. L’existence du
certificat
30
de décès entraîne plusieurs conséquences, parmi lesquelles la possibilité
Juris-Classeur Code civil, Art. 16 à 16-12, Fasc. 70, n° 6 : « On peut ainsi dire que c’est pour permettre au cœur
de rester le maître de la vie qu’on lui retira définitivement le rang de sentinelle de la mort ».
27
Cité par L.-V. Thomas, La mort, op. cit, p. 33 ; R.-P. Riquet, Communication à l’Académie des sciences
morales et politiques, cité par P.-J. Doll, La discipline des greffes, transplantations et des autres actes, Masson,
1970, p. 218 : « La mélodie d’une âme ne peut ni se construire ni se faire entendre des autres êtres humains, sans
le secours du cerveau. Privé de cerveau, comme Paganini de son violon, l’être humain perd toute aptitude à une
vie proprement humaine ».
28
B. Beignier, note sous Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, Mme Duperon, épse Castex c/ Sté Les Mutuelles du Mans
assurances [arrêt 33D], JCP G 1997, II, 22830. La jurisprudence française condamne fermement l’assimilation
de la mort corticale (ou état végétatif) avec la mort cérébrale. C’est la position retenue, après quelques
divergences entre la deuxième chambre civile et la chambre criminelle, par les arrêts des 22 février et 28 juin
1995 (Bull. civ. II, n° 61 et Bull. crim., n° 224 ; JCP G 1996, II, 22570, note Y. Dagorne-Labbé ; M.-A. Péano,
Méd. & Droit 1995, n° 15, p. 10 : exposés des thèses en présence : Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit et
responsabilité : Dalloz-Action 1996, n° 740 et s., on peut critiquer ces décisions au regard de la responsabilité
mais non au regard des personnes, c’est d’ailleurs ce qui expliquait la jurisprudence différente entre le criminel
et le civil).
29
Ordre national des médecins, Guide d’exercice professionnel, Flammarion, 1998, V° certificat de décès, fasc.
61, p. 503.
30
Du latin certificare, de certus, certain… Cf. G. Cornu, Vocabulaire juridique, P.U.F., 3e éd. 1992, V°
certificat.
- 18 -
d’envisager une sépulture (permis d’inhumer). Le contenu du certificat de décès va être
déterminant à la fois pour les actes juridiques (acte de décès, ouverture de la succession), pour
des mesures sanitaires (transport, épidémiologie) et même pour de décisions médico-légales
(autopsies). A la lumière de ce certificat de décès, l’officier d’état civil dresse l’acte de décès,
dernier acte de l’état civil concernant l’individu. Ici s’achève le travail du médecin soignant,
auquel seul cette étude sera consacrée. On ne saurait cependant occulter toute l’importance
juridique qui découle du constat de mort, notamment sur l’établissement d’une filiation ou sur
le règlement d’une succession. Le moment du décès, le jour et l’heure indiqués sur le constat
de décès peuvent avoir des conséquences juridiques considérables. Dans le cadre de la
filiation, selon la règle de l’infans conceptus, un enfant est réputé né chaque fois que tel est
son intérêt31. La date de la mort d’une personne peut avoir donc une grande importance dans
l’établissement d’un lien de filiation et ensuite, dans le règlement de la succession. Hormis ce
cas particulier, la datation de la mort peut affecter par exemple des dispositions testamentaires
ou contractuelles qui liaient le défunt. La date de la mort figurant dans un acte de décès
présente donc des enjeux juridiques conséquents32.
Si la médecine n’est pas étrangère au mort, il nous a semblé plus important de traiter
des vivants. Seront ainsi exclus de ce travail, d’une part, le médecin légiste et d’autre part, le
médecin et le cadavre33. On ne peut manquer toutefois de noter déjà un rapport particulier à
« la personne du mort ». Si le cadavre est une chose, « il n’est pas une chose comme les autres
en ce qu’elle est sacrée »34. « Parce qu’il est l’ultime trace terrestre d’un être qui fut sans
douter aimé, peut être admiré, respecté, écouté… »35, le mort a le droit au respect de ce qu’il a
été et ce qu’il est devenu. Ainsi, il est rappelé que « les principes déontologiques
fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui s’imposent au médecin dans ses
31
Ici, on peut s’apercevoir comment la mort peut rejoindre la vie. On observe également l’influence de la
médecine sur le droit. Ne faudra-t-il pas envisager un jour une évolution de la règle de l’infans conceptus
puisque la médecine permet désormais d’établir de manière très fiable la datation de la fécondation de l’ovule
d’une femme, la science permet encore d’établir parfaitement un lien de filiation.
32
B. Py, Enjeux juridique de la date de la mort figurant dans un acte de décès (Cass. civ. 19 oct. 1999), Méd. &
Droit 2001, p. 23. V. pour une affaire de contrat d’assurance sur la vie : Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, note B.
Beignier, JCP G 1997, II, 22830.
33
A l’exception des prélèvements d’organes sur la personne décédée. V. pour le cas très particulier du décès
périnatal : I. Corpart, Décès périnatal et qualification juridique du cadavre, J.C.P. G 2005, I, 171, p. 1743. Et
aussi, F. Granet, Etat civil et décès périnatal, J.C.P. 1999, I, 124 ; C. Neirinck, L’embryon humain : une
catégorie juridique à dimension variable, D. 2003, p. 841 ; P. Murat, Décès périnatal et individualisation de l’être
humain, RD sanit. soc. 1995, p. 451 ; C. Philippe, La variabilité de l’enfant nouveau-né, D. 1996, chron. p. 29 ;
C. Philippe, La viabilité … encore, RD sanit. soc. 2003, p. 316.
34
F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, Dalloz, 7e éd, 2003, n° 32.
35
B. Teyssié, Droit civil, Les personnes, Litec, 8ème éd., 2003, p. 107, n° 61.
- 19 -
rapports avec son patient, ne cessent de s’appliquer avec la mort de celui-ci »36. De même,
l’article L. 1232-5 du Code de la santé publique, tel qu’issu de la loi du 6 août 2004, oblige
les médecins ayant procédé à un prélèvement ou à une autopsie médicale sur une personne
décédée, de s’assurer «de la meilleure restauration possible du corps ». Plus encore, le droit
pénal incrimine l’outrage à la mémoire des morts – par violation ou profanation de tombeaux,
sépultures ou monuments édifiés en leur souvenir –, et l’atteinte à l’intégrité du cadavre37.
La mort est en effet avant tout un fait de la nature. Cependant, ce fait peut avoir des
effets juridiques variés selon la manière dont il se produit. En effet, les conséquences ne sont
pas les mêmes selon que la mort est accidentelle ou naturelle, subie ou volontaire. Ainsi, la
mort accidentelle oblige-t-elle à indemniser les préjudices subis par le défunt et par ses
proches. De même, la mort provoquée est-elle considérée comme anormale et punissable. Le
droit ne tolère pas le fait pour une personne de donner, volontairement ou non, la mort à un
autre, même consentante. Le décalogue commandait déjà : « Tu ne tueras point » ; le principe
reste aujourd’hui valable. L’homicide est source de responsabilité pénale et civile et la gravité
des peines encourues ou des indemnisations allouées, variables selon les circonstances de
l’infraction, atteste combien le respect de la vie, ou plutôt du caractère fortuit de la mort, est
un élément essentiel 38 . La seule tolérance existante est relative au suicide qui n’est plus
considéré par la loi pénale comme un acte fautif.
Cependant, des progrès de la science est né le débat sur l’euthanasie, dont la définition
est délicate. Le mot euthanasie est employé avec des adjectifs multiples (active, passive,
volontaire, involontaire), et en association avec d’autres termes tels que l’aide à mourir, le
suicide assisté, mort dans la dignité. L’étymologie en est connue « la belle mort » devenue
« la bonne mort » c’est à dire naturelle, sans souffrance, et vécue à son heure, ce qui n’est pas
à proprement parler l’euthanasie médicale. Au XVIIe siècle, le Chancelier anglais Francis
Bacon s’insurge contre le mythe de la souffrance salvatrice et recommande aux médecins
d’adoucir le passage de la vie à la mort. En 1623, l’humaniste utilise le mot « euthanasie »
pour préciser la conduite des soignants à l’approche de la mort. : « […] l’office du médecin
n’est pas seulement de rétablir la santé, mais aussi d’adoucir les douleurs et les souffrances
attachées aux maladies ; et cela non pas seulement en tant que cet adoucissement de la
36
C.E., 2 juillet 1993, J.C.P. 1993, II, 22133, note P. Gonod ; D. 1994, p. 74, note J.-M. Peyrical.
Articles 225-17 et s. du Code pénal.
38
N. Baillon-Wirtz, La famille et la mort, Préface P. Crocq, Defrénois, Coll. Doctorat et Notariat, thèse n° 17,
2006, n° 8.
37
- 20 -
douleur, considéré comme un symptôme périlleux, contribue et conduit à la convalescence,
mais encore afin de procurer au malade, lorsqu’il n’y a plus d’espérance, une mort douce et
paisible ; car ce n’est pas la moindre partie du bonheur que cette euthanasie. […] Mais de
notre temps les médecins semblent se faire une loi d’abandonner les malades dès qu’ils sont à
leur extrémité ; au lieu qu’à mon sentiment, s’ils étaient jaloux de ne point manquer à leur
devoir, ni par conséquent à l’humanité, et même d’apprendre leur art à fond, ils
n’épargneraient aucun soin pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus de
douceur et de facilité. »39. L’euthanasie prônée par Bacon n’est pas celle qui est couramment
envisagée aujourd’hui, c’est-à-dire la mort donnée. Les méthodes préconisées sont simples :
positionnement correct du malade dans son lit, aération de la chambre, refus de recours
inutiles à la chirurgie, présence des proches et soulagement de la souffrance40.
Selon cette première acception, l’euthanasie consiste à respecter le processus naturel de la
mort, en essayant de supprimer les désagréments qui l’accompagnent et d’apaiser les
souffrances de l’agonie. Une telle approche correspond sans aucun doute à celle de Paul
Emile Littré lorsque ce dernier définissait l’euthanasie par la notion de « bonne mort, mort
douce et sans souffrance »41. Un glissement du terme s’est opérée à la fin du XIXe siècle.
L’euthanasie est devenue la mort devancée. Elle est désormais comprise
comme une
intervention ou une omission délibérée d’un tiers, médecin ou non, ayant pour objet d’abréger
la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave évolutive afin de soulager ses souffrances.
Nombreux sont ceux qui accusent les médecins d’avoir volé aux hommes leur droit de
mourir, ce qu’ils ont de plus cher avec leur droit de vie. Un malaise est né de la sur
médicalisation de la mort 42 . François Sarda dénonce « notre civilisation [qui] fausse trop
souvent le moment et la conscience de la mort. » Il s’interroge : « il pourrait venir que les
malades voient leur famille agir au nom du vol d’une mort d’homme. […] Le pouvoir de
39
F. Bacon, Instauratio Magna, 1re partie, Livre IV, Chap. II, trad. Oeuvres philosophiques par M. Bouillet,
Hachette, 1834, cité par P. Vespieren, v° Euthanasie, Encyclopaedia Universalis, Paris, 1993, et par B. Beigner,
Respect et protection du corps humain, La mort, Juris-Classeur droit civil, Fasc. 70, n°36.
40
Montaigne – qui avait assisté La Boétie jusqu’à sa fin – souhaitait également qu’une personne compétente
puisse accompagner le mourant lors de son dernier voyage : « Si nous avons besoin de sage-femme à nous mettre
au monde, nous avons bien besoin d’un homme encore plus sage à nous en sortir. ». Essais, Livre III, Chap. IX.
41
P.-E. Littré, Dictionnaire de la langue française (1863-1873), v° Euthanasie, nouvelle édition publiée et
diffusée par Encyclopaedia Britannica France, 1994-1998.
42
De nombreux ouvrages témoignent de ce malaise. V. par exemple, S. Fabien, Messieurs les médecins rendeznous notre mort. – Hans Jonas, Le droit de mourir, Traduit de l’allemand par Ph. Ivernel, Rivages poche, Petite
bibliothèque, n° 196, 2000. – F. Sarda, Le droit de vivre et le droit de mourir, éd. Seuil, Paris, 1975.
- 21 -
faire, heureuse ou non, souriante ou horrible, inquiète ou sereine, une mort d’un individu est
humainement le plus puissant après le droit de grâce. Peut-il être confisqué ? »43.
Le droit protége la vie humaine et admet difficilement qu’une personne puisse lui
préférer la mort. Il restreint ainsi un ultime espace de liberté. Emergence d’une revendication
sociale, mais aussi médicale, le refus de soins, le suicide assisté ou non, l’euthanasie n’en
malmènent pas moins les principes juridiques traditionnels. Mais elle invite aussi le juriste à
s’interroger sur la pertinence et donc la permanence de ces principes. La doctrine est
d’ailleurs généralement embarrassée. A côté du droit à la vie, elle s’interroge en effet sur
l’existence éventuel d’un droit à la mort, tout en contestant aussitôt cette hypothèse, source
d’implications menaçantes44. L’euthanasie est illégale. Elle semble condamnée à demeurer en
dehors du vocabulaire juridique médical. Il n’en est plus de même du « droit au refus de
soins » ou de la « prise en charge de la douleur ». Toutefois, ces notions traduisent aussi une
volonté du « mieux mourir ». Ce désir contemporain est le fruit d’une évolution de la manière
dont la mort a été appréhendée.
SECTION II – LES APPROCHES DE LA MORT
La revendication actuelle de la maîtrise de la mort et donc de sa vie, est
l’aboutissement d’une évolution historique, laquelle fut marquée par deux processus : la
désacralisation de la mort (§I) et la désocialisation de la mort (§II). Cette revendication
s’inscrit désormais dans la médicalisation de la mort (§III).
§ I - La mort désacralisée
Le fléchissement des croyances est en effet la première raison de la nouvelle approche
de la mort. A l’origine, la mort apparaissait comme un fait établi, dont la survenance reposait
sur une décision divine. Mais, au XIIe siècle, elle prend un connotation négative et est
redoutée du fait du jugement dernier. La résurrection se mérite. Elle repose sur une conduite
terrestre conforme aux exigences chrétiennes. La promesse d’éternité inspire des sentiments
nouveaux et celui qui, auparavant attendait le terme de son existence avec résignation, va
43
F. Sarda, Le droit de vivre et le droit de mourir, éd. Seuil, 1975, p. 62 et p. 100.
Voir notamment, F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, La Famille, Les incapacités, Dalloz, 7e
éd., 2003, n° 90 ; J. Robert, Le corps humain et la liberté individuelle en droit français, Travaux de l’Association
Henri Capitant, T. XXVI, 1975, p. 470 ; M.-F. Callu, Autour de la mort : variations sur « Madame se meurt,
Madame est morte », RTD civ., 1999, p. 336.
44
- 22 -
désormais vivre dans la crainte du jugement dernier et de la pesée des âmes45. La mort est un
examen redouté car « au petit nombre des élus s’oppose la foule des réprouvés et nul ne peut
préjuger de la sentence du Souverain-Juge. » 46 . L’idée de biographie et de destinée
individuelle se forme à cette époque. Ce processus d’individualisation, qui connaîtra son
apogée au XIXe siècle, est à l’origine de l’angoisse contemporaine de la mort.
À partir du XVIe siècle, le thème du jugement dernier est toutefois en perte de vitesse.
Lui succède tout d’abord celui de l’ars moriendi, c’est-à-dire l’art de bien mourir. L’idée
soutenue est que la manière dont la personne affrontera les forces du mal au terme de son
existence dépendra son salut. L’angoisse de la damnation est entretenue par le développement
d’une imagerie macabre. A la fin du Moyen-Âge, la mort n’apparaît plus comme un trépas,
mais comme une certitude de fin et de décomposition. A l’art de bien mourir, la Renaissance
substitue l’art de bien vivre c’est-à-dire de penser à la mort toute sa vie, dans l’espoir de s’y
accoutumer47.
Les XVIIIe et XIXe siècles amorcent le mouvement de désacralisation de la mort sous
l’influence des réformateurs et des humanistes, qui manifestent un scepticisme grandissant à
l’égard du Salut et de l’Au-delà. L’approche religieuse de la mort recule devant la conception
scientifique et rationnelle de la destinée humaine. La crainte du Néant conduit à des angoisses
obsessionnelles, telle la phobie d’être enterré vivant 48 . Les rites de sépultures et cultures
populaires de la mort (toilette du défunt, exposition du corps pendant deux jours, cris des
proches, douleur exprimé…), délivrés de signification religieuse, ont pour objectif premier
d’éviter un ensevelissement prématuré. L’horreur de la pourriture et le sentiment que la mort,
par ses émanations fétides et nauséabondes, pourrait être contagieuse complète la peur du
45
Ph. Ariès : « Finie donc l’assimilation ancienne des croyants à des saints. Nul, parmi le peuple de Dieu, n’est
assuré de son salut […] », L’homme devant la mort, vol. 1, 1977, éd. Seuil, Coll. Histoire, 1985, p. 104.
46
F. Lebrun, Les hommes et le mort en Anjou au XVIIe et XVIIIe siècles, cité par L.-V. Thomas, Anthropologie
de la mort, éd. Payot, 1975, p. 342.
47
Montaigne explique : « Le but de notre carrière, c’est la mort, c’est l’objet nécessaire de notre visée : si elle
nous effraie, comme est-il possible d’aller un pas en avant sans fièvre ? Le remède du vulgaire, c’est de n’y
penser pas. Mais de quelle brutale stupidité lui peut venir un si grossier aveuglement ? […] Si c’était ennemi qui
se peut éviter, je conseillerais d’emprunter les armes de la couardise. Mais puisqu’il ne se peut, puisqu’il vous
attrape fuyant et poltron aussi bien qu’honnête homme, […] apprenons à le soutenir de pied ferme et à la
combattre. Et pour commencer à lui ôter son plus grand avantage contre nous, prenons voie toute contraire à la
commune. Ôtons-lui l’étrangeté, pratiquons-le, accoutumons-le, n’ayons rien si souvent en la tête que la mort. »,
Essais, Livre I, Chap. XX. Pascal reprochait au contraire cette attitude à Montaigne et ne pouvait « excuser ses
sentiments tout païens sur la mort », Pensées, 63.
48
Les rumeurs relatives aux inhumations prématurées ont longtemps persisté, quelques faits divers ayant parfois
contribué à les alimenter. En 1948, le Dr. Huet aurait ainsi révélé au cours d’une séance du Conseil municipal de
Paris, que 60 à 80 personnes étaient enterrées vivantes chaque année dans le département de la Seine. Cf. X.
Labbée, La condition juridique du corps humain avant la naissance et après la mort, Presses universitaires de
Lille, 1990, p. 25, note 25.
- 23 -
Néant. Sous la pression des hygiénistes, les inhumations dans les églises sont mises en cause
et les cimetières sont déplacés hors des villes. Par une loi du 28 décembre 1804, l’Eglise perd
son monopole sur le service extérieur des pompes funèbres qui revient aux communes.
Dès lors, le culte des morts, dernier stade de la laïcisation, s’apparente à du
fétichisme : des mèches de cheveux sont conservés tandis que les photographies des morts
prennent leur place pour atténuer leur disparition. A la fin du XIXe siècle, le fléchissement des
croyances a pour conséquence naturelle l’augmentation des pratiques des sciences
paranormales. Le spiritisme promet le maintien d’un lien entre les vivants et les morts, tandis
que se développe au XXe siècle l’ésotérisme, la parapsychologie et les idées de réincarnation.
Cette désacralisation s’accompagne de nouvelles interrogations sur la mort : quel est le sens
de la vie ? à quoi sert-il de souffrir ? En 1982, prenant acte de cette évolution, les
représentants du culte catholique reconnaissent la nécessité de trouver une réponse : « Si le
christianisme veut se présenter comme porteur de salut, il est mis au défi de donner sens
d’abord à l’avant mort, c’est-à-dire à cette période qui commence dès que la santé de
quelqu’un est très sérieusement menacée, avec ce long cortège de souffrances,
d’appréhensions et de luttes incertaines. »49 . Parallèlement à la désacralisation de la mort,
s’opère un mouvement de désocialisation de la mort50. Auparavant publique et partagée, la
mort devient secrète et solitaire.
§ II - La mort désocialisée
Pendant toute la période du Moyen-Âge, la mort est réglée par un rituel coutumier :
révision de la vie, publicité et scène des adieux. Des signes précurseurs annonçant à l’homme
sa mort prochaine, celui s’organise et se prépare à quitter les siens51. Le mort préside à sa
mort. La mort est alors un événement public qui affecte la continuité du groupe social parce
que la communauté est affaiblie par la perte d’un de ses membres. La période de deuil
s’achève souvent par des fêtes et permet de ressouder la société. Bien que le XVIe siècle
amorce un changement dans les représentations de la mort, le rite collectif et social de celle-ci
se prolongera jusqu’au milieu du XIXe siècle. A compter de cette période, à la communauté se
49
Bulletin du secrétariat de la conférence épiscopale française, L’homme d’aujourd’hui devant la mort, mai
1982.
50
Sur ce sujet, voir G. Guidicelli-Delage, La société face à la mort, in Problèmes juridiques, médicaux et sociaux
de la mort, Cujas, Coll. Travaux de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers, 1979-1, p. 3 et s.
51
V. J. de la Fontaine, Le Laboureur et ses enfants, in Les Fables, Livre V, Fable IX.
- 24 -
substitue la famille. La publicité devient indécente et seuls les proches du mourant, capables
et devant surmonter leur « dégoût » face à l’agonie, sont autorisés à entrer dans sa chambre.
L’esprit romantique du XIXe va, paradoxalement, être à l’origine de l’isolement du
mourant. Pour lui donner l’occasion de vivre sa mort et d’y jouer un rôle, encore faut-il
l’avertir du caractère désespéré de son état, de l’incurabilité de sa maladie. Ce point très
délicat de l’exercice de la médecine, à la fois constat d’impuissance et douleur infligée à un
patient, soulève de multiples interrogations qui sont loin d’être résolues, encore aujourd’hui.
Sous l’ancien régime, la tradition veut pourtant que le médecin dise la vérité au malade. La
raison en est qu’il ne doit pas priver celui-ci de la possibilité de se réconcilier avec Dieu52.
Mais cette ligne de conduite est totalement tombée en désuétude après la révolution et le
discours dominant largement le XIXe siècle et continuera de régner pendant longtemps au
XXe siècle est celui de l’occultation, parfois véhément. Le médecin ne doit pas révéler au
malade qu’il est un mourant en sursis53. La première et la principale raison est la charité : dire
la vérité à un incurable, ôter l’espoir des derniers jours d’une vie, cela paraît cruel, d’autant
plus que le pronostic n’est pas toujours sûr. Il faut y ajouter cependant la crainte et la
répugnance psychologique à endosser ce rôle : « Ne soyez jamais le messager de la fatale
nouvelle, le malade quitterait la vie en vous maudissant », prévient ainsi Renon en 190954. La
solution la plus couramment employée consiste donc à éviter la confrontation avec le patient,
mais à dire la vérité à la famille, laquelle se fait complice du médecin. Par amour pour celui
qui part, on lui cache sa situation. On tente de protéger l’être aimé en lui évitant tout
sentiment d’angoisse et de désespoir. Le mensonge préside au chevet du mourant 55 . Le
mourant n’est cependant pas dupe. Mais il participe à la grande mascarade. Pour éviter de
52
Rousseau écrivant à Voltaire fait une terrible présentation de la situation du mourant : « Est-il une fin plus
triste que celle d’un mourant qu’on accable de soins inutiles, qu’un notaire et des héritiers ne laissent pas
respirer, que les médecins assassinent dans son lit à leur aise, et à qui des prêtres barbares font avec art savourer
la mort ? Pour moi, je vois partout les maux auxquels nous assujettit la nature sont beaucoup moins cruels que
ceux que nous y ajoutons. », Lettre à M. de Voltaire, 18 août 1756, in Œuvres complètes, éd. Seuil, t. 2, p. 317.
53
Ainsi, Campardon expose dans sa thèse : « Si l’homme de l’art ne peut plus guérir un malheureux qui se
confie à ses soins, il doit au moins l’entretenir dans les douces illusions dont il a le bonheur de se nourrir
jusqu’au dernier moment », Du courage dans les maladies, 1819, p. 37, cité par A. Carol, Les médecins et la
mort, XIXe-XXe siècle, Aubier, p. 19.
54
Renon, Devoirs des médecins vis-à-vis des malades, Revue de vulgarisation des sciences médicales, octobre
1909, p. 295.
55
V. Jankélévitch : « Pour éluder l’obstacle de l’indicibilité, […] on peut d’abord éviter de prononcer les mots de
ce problème tabou… Si par hasard le discours sur la mort portait malheur au téméraire, au sacrilège qui ose dire
l’indicible ou seulement nommer l’innommable, après avoir pensé l’impensable ? […] Si on mourrait de parler
de la mort ? […] Car le sujet pensant et parlant, après tout, est lui-même mortel ! », La mort, 1966, Flammarion,
éd. 1997, p. 60.
- 25 -
blesser les survivants, de déranger l’ordre établi, il accepte de jouer son rôle56. Tous les signes
annonciateurs autrefois de la mort prochaine, sont méticuleusement écartés57. La scène des
adieux n’a plus de sens puisque le mourant va « bien vite guérir ». Le mourant, enfermé dans
le mensonge, n’a plus d’autre choix que de mourir esseulé.
Ainsi, progressivement, la mort a été repoussée hors de la société. Elle est devenue
clandestine, le deuil s’est individualisé et a perdu sa fonction sociale. La société ne « se fige »
plus pour un décès, et il devient indécent pour les familles de s’arrêter trop longtemps ou de
porter, ce qui est jugé ostensible, le deuil58. Personne n’est plus aujourd’hui « préparé à son
rôle de deuilleur, auquel on n’a pas le droit de penser à l’avance, d’où l’anxiété […], la
hantise de mal s’acquitter de ce rôle »59. Dans les civilisations occidentales, marquées par la
rentabilité, la santé est devenue un facteur d’intégration essentiel. Les vieillards ou les
malades évoquent souvent l’idée d’être un poids, une charge 60 et dénoncent aussi leur
situation de dépendance. L’affirmation de l’individualisme est génératrice de phobies,
difficiles à dépasser puisque nourries par la société elle-même. Edgar Morin note que « la
douleur provoquée par une mort n’existe que si l’individualité était présente et reconnue. »61.
La disparition de l’être anonyme est peu perturbatrice tandis que celle de l’être proche, intime,
« unique », provoquera une douleur violente 62 . De plus, les exigences de nos sociétés ont
altéré le travail de deuil. Le chagrin ne peut plus être extériorisé : « La désocialisation interdit
désormais la prise en charge de l’angoisse par le groupe dans son intégralité. » 63 . Cette
56
Ph. Ariès : « Le mourant et son entourage jouent la comédie du "rien n’est changé", de "la vie continue comme
avant" et du "tout est encore possible". », L’homme devant la mort, vol. 2, op. cit., p. 271.
57
Observant que la mort est devenue « une mort interdite », G. Guidicelli-Delage écrit : « Le "ne pas se sentir
mourir" a remplacé dans notre langage commun le "sentant sa mort prochaine" du Moyen-Âge. En réalité, il doit
arriver souvent, mais les morts ne font plus de confidences, que le malade sache bien à quoi s’en tenir mais fasse
semblant de ne pas savoir. Ce qui importe au fond, c’est au moins que le malade sache ou ne sache pas, que, s’il
sait, il ait l’élégance et le courage d’être discret. », La société face à la mort, art. préc., p. 7.
58
Philippe Ariès qualifie le XXe siècle de période de la « mort interdite » et explique : « La vérité commence à
faire question. La première motivation du mensonge a été le désir d’épargner le malade, de prendre en charge
son épreuve. Mais très tôt ce sentiment, dont l’origine nous est connue, a été recouvert par un sentiment
différent : éviter, non plus au mourant mais à la société, à l’entourage lui-même, le trouble et l’émotion trop
insoutenables causés par la laideur de l’agonie et la simple présence de la mort en pleine vie heureuse, car il est
désormais admis que la vie est toujours heureuse ou doit toujours en avoir l’air… », Essai sur l’histoire de la
mort en Occident du Moyen-Âge à nos jours, op. cit., p. 68.
59
L.-V. Thomas, Anthropologie de la mort, op. cit., p. 152.
60
« C’est proprement ne valoir rien que de n’être utile à personne » : Descartes.
61
E. Morin, L’homme et la mort, 1970, Seuil, Coll. Essais, éd. 1978, p. 41.
62
V. Jankélévitch : « Entre l’anonymat de la troisième personne et la subjectivité tragique de la première, il y a
le cas intermédiaire et en quelque sorte privilégié de la deuxième personne ; entre la mort d’autrui, qui est
lointaine et indifférence, et la mort propre, qui est à même notre être, il y a la proximité de la mort du proche.
Aussi la nôtre. », La mort, op. cit., p. 29.
63
L.-V. Thomas, Anthropologie de la mort, op. cit., p. 394.
- 26 -
évolution va définitivement s’achever par la prise en charge impersonnelle de la mort par les
médecins, les familles leur confiant le mourant au sein de l’hôpital.
§ III – La mort médicalisée
Il semble difficile, aujourd’hui, de concevoir une mort où la médecine et les médecins
seraient absents – à l’exception de certaines morts violentes ou aux marges de notre société,
cela va de soit. Chacun a fait ou fera un jour l’expérience de ces visites douloureuses à
l’hôpital, où le mourant – parfois encore simplement l’incurable – semble accaparé déjà par la
technique et séparé de l’affection. Résignés ou demandeurs, nous avons pris l’habitude que la
médecine prennent en charge les derniers instants de nos vies. Cet état de chose tient pourtant
d’une évolution récente : il n’y a guère qu’une trentaine d’années que les décès à l’hôpital
l’ont emporté sur les décès à domicile, faisant oublier du même coup d’autres façons de
mourir, moins « techniciennes »64 . L’absence de la mort à l’hôpital répond d’abord à une
fuite. L’hôpital traîne une réputation noire, ce lieu dont on ne revient pas65. L’hôpital présente
le nouvel archétype de la mauvaise mort : une mort pauvre et solitaire, comme la décrit Léon
Roger-Milès dans une visite à Saint-Louis en 1891 : « Il y a des yeux qui regardent, sans
pensée, sans réflexion, avec une terreur muette ; il y a aussi des yeux éteints, vitreux, qui ne
savent plus regarder ! Ceux là, le soir du jour les a surpris pour la dernière fois : tout à l’heure,
les brancardiers, prévenus viendront les enlever, sans qu’ils aient entendu une voix leur jeter
le suprême adieu de l’amitié et de l’humanité… »66. Aujourd’hui encore, la mort à l’hôpital
reste un pis-aller, que beaucoup redoutent. Si les raisons de cette réticence ont en partie
changé, la peur de la mort anonyme, insignifiante et indifférente en constitue une composante
essentielle. Ceci explique partiellement le succès des soins palliatifs, ou le développement de
l’euthanasie dans l’opinion, ainsi que les retours in extremis au domicile. Le mourant cherche
à s’attribuer sa mort, à en rester maître.
64
A. Carol, Les médecins et la mort, XIX e- XX e siècle, Aubier, Coll. historique, 2004, p. 1.
Cette réputation est en partie justifiée par les épidémies de fièvre puerpérale et autres gangrènes qui y
sévissent. Elle est d’ailleurs assumée par l’administration elle-même au grand damne des médecins :
« L’Administration hospitalière, rappelle-ton ainsi à la fin du Second Empire, remplit avant tout une mission de
bienfaisance ; son devoir ne consiste pas seulement à traiter les malades susceptibles de guérison ou l’état
présente à l’observation scientifique un intérêt particulier, elle doit, en dehors des infirmes dont la place est à
l’hospice, recueillir, pour leur donner les soins et adoucir au moins les souffrances, les malades qui, parvenus à
la dernière période d’affections chroniques, n’abordent pas l’hôpital que pour y mourir ». (Circulaire adressée
par le Conseil général des Hospices parisiens aux directeurs, citée par Accueillir et soigner, l’AP-HP, 150 ans
d’histoire, 1999, p. 62.
66
L. Roger-Milès, La cité de la misère, 1891, p. 133, cité par A. Carol, Les médecins et la mort, op. cit., p. 10.
65
- 27 -
Sans doute, faut-il parler, entre le début du XIXe siècle et le milieu du suivant, d’un processus
de médicalisation de la mort. Michel Vovelle et Philippe Ariès soulignent en effet la montée
en puissance, à partir de la fin du XVIIIe siècle, de la figure du médecin dans les apprêts qui
entourent la mort. Cantonnée à d’étroites sphères sociales sous l’Ancien Régime, la présence
médicale devient plus fréquente au XIXe siècle, banale au XXe. « Aux siècles pour lesquels le
prêtre était l’intermédiaire obligé du dernier passage commence à faire suite le temps du
triomphe de la médecine », écrit ainsi Michel Vovelle à propos de cette entrée dans la mort
bourgeoise du XIXe siècle67.
Il est pourtant presque paradoxal de parler de la médicalisation de la mort. Comment
la médecine pourrait-elle s’approprier ce qui signe son échec, ce qui marque justement, les
limites de son pouvoir ? Ceci n’est en fait que le prolongement de la médicalisation de la
société en général68. Deux phénomènes se sont conjugués : le premier pourrait être qualifié
d’ « épopée glorieuse » de la médecine, le second procède de la demande populaire de mieuxêtre et de santé. Cette double démarche n’est pas sans nuage : incompréhension, embûches,
décalages quasi insurmontables la jalonnent. Or, cette collaboration laborieuse bute justement
sur la mort, sur cette inefficacité tragique qui met à mal la médecine.
Tant que la destinée des hommes était liée au divin, les sciences ne s’intéressaient pas
au corps humain. Nul n’aurait osé s’opposer à la volonté de Dieu. Si les praticiens juifs
introduisirent la médecine au XIIe siècle en occident, le rôle du médecin ne fut socialement
reconnu qu’au XVe siècle. La chirurgie se développe au service des puissants, les traités de
médecine se multiplient à partir du XVIe siècle. Très précis et très détaillés, ces traités
décrivent par exemple minutieusement les formes et degrés de la douleur. Il n’est cependant
pas question de la soulager, mais de l’utiliser comme un symptôme. L’idée que l’on peut
guérir le corps humain, voire retarder le décès, prend doucement place dans les esprits.
Toutefois, longtemps, malgré quelques belles victoires – la rage, la variole à la fin du XIXe
siècle – la médecine reste impuissante face à de nombreuses pathologies et sans traitement
crédible. Reste que la consommation médicale se banalise au milieu du XXe.
La médicalisation de la mort s’explique aussi par deux ressorts propres. En premier lieu,
l’attachement à la vie, la raréfaction relative de la mort – notamment épidémique – rend plus
67
M. Vovelle, La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, 1983, p. 530.
V. sur la médicalisation de la société : J. Léonard, La Médecine entre les pouvoirs et les savoirs, 1981 ; O.
Faure, Les français et leur médecine au XIXe siècle, 1993.
68
- 28 -
légitime le désir de vivre, la résignation moins impérative. On l’a rappelé le médecin prend la
place du prêtre dans cette laïcisation du salut. Avec la théorie de l’Evolution, au XIXe siècle,
« l’Homme vint à se considérer non plus comme une créature divine, mais comme le résultat
d’une évolution strictement biologique »69. Cet investissement croissant, cet espoir se module
tout d’abord en fonction des catégories sociales, des fronts de christianisation, et finit par
toucher tout le monde au XXe siècle. Il modifie à sa suite les rapports de l’homme à la
douleur : moins bien acceptée elle perd sa dimension collective, tout comme la mort, pour
devenir, au fil du temps, une injustice vécue personnellement, dont on rend comptable,
aujourd’hui, les professionnels de santé. L’individu n’entend plus subir la destinée commune
mais suivre sa propre vie.
Dans le même temps, les médecins s’évertuent à conquérir la mort, comme ils l’ont fait de la
naissance. Les médecins ont investi le champ de la naissance, traditionnellement laissé aux
femmes et peu médicalisée, pour en faire une spécialité stratégique 70 . Un mouvement
analogue s’opère autour de l’autre extrémité de la vie, autour de la mort. Les médecins
exigent d’intervenir pour sauver des vies trop tôt condamnées par l’ignorance. Mais le but
recherché n’est pas alors le bien mourir, comme on se préoccupe de bien faire naître : ce qui
préoccupe les médecins, c’est davantage de s’assurer de la réalité de la mort en lui donnant,
en quelque sorte, la garantie scientifique71. Pourtant, là aussi c’est d’abord la santé publique
qui motive cette intrusion dans l’intime plus que le bien-être individuel. Ce décalage apparent
entre l’offre et la demande explique peut être déjà les reproches faits à la médecine
aujourd’hui, et notamment à la médecine de la fin de vie.
Très rapidement donc, les progrès de la médecine contribuent à améliorer l’espérance
de vie. De 1800 à 1960, celle-ci a doublé : de 35 ans, la longévité moyenne est passée à 70
ans. La fin des famines, la maîtrise des épidémies grâce aux vaccins, la découverte de
l’anesthésie et les avancées en matière chirurgicale ont permis une évolution remarquable. Au
XXe siècle, l’efficacité de la lutte contre la mort est ainsi démontrée scientifiquement.
Cependant, le corps médical va bientôt être victime de sa puissance. L’importance de la mise
en jeu de la responsabilité médicale est proportionnelle aux développements des nouvelles
technologies72. Plus la science progresse, plus il est reproché aux médecins de ne pas avoir
69
G. Lemonde, Demande d’euthanasie : quels repères éthiques ?, th. (méd.) Lyon I, 1993, p. 11.
V. J. Gélis, La sage-femme ou le Médecin, 1988.
71
A. Carol, Les médecins et la mort, op. cit., p. 13.
72
Sur l’augmentation des procès engagés contre les médecins (celle-ci serait de 15% chaque année), voir les
statistiques reproduites par M. Akida, La responsabilité pénale des médecins du chef d’homicide et de blessures
70
- 29 -
employé tous les moyens mis à leur disposition. L’opinion publique ne veut plus reconnaître
les incertitudes de leur art et se montre de plus en plus exigeante. La santé, la maladie et la
mort vont donc être unies à l’action et au pouvoir des médecins. La mort n’est plus
acceptable, voire acceptée.
Face au mourant, les proches se sentent démunis. Ce sentiment est renforcé par les
contraintes de la vie sociale. Il est difficile de s’arrêter de travailler pour accompagner le
mourant. Enfin, la survenue de la maladie compromet l’équilibre familial73. Persuadée de leur
incapacité à accompagner le mourant, les familles se déchargent de cette responsabilité sur
une institution qu’elles estiment spécialisée : l’hôpital, qui apparaît comme la meilleure
solution. Dans le même temps, le statut du mourant se transforme, il est devenu le malade74,
c’est-à-dire un individu qu’il faut soigner. Les auteurs soulignent que cette confusion
mourant/malade est très perturbatrice. A ces deux situations correspondent, en effet, deux
attentes contradictoires : « la maladie suppose l’espérance d’un rétablissement, alors que le
cérémonial du mourir implique la conclusion apaisée de la biographie personnelle »75.
On meurt de plus en plus souvent dans un environnement médicalisé, hospitalier même. La
présence du médecin au chevet du mourant est donc assurée, au moins potentiellement, ou
plus exactement structurellement. Mais la rançon de la médicalisation croissante est peut être
une dépersonnalisation, un appauvrissement des rapports médecin-mourant : quoi qu’on fasse,
l’hôpital reste le lieu de soins collectifs, de diagnostics et de suivis médicaux de plus en plus
éclatés. Paradoxalement donc, le médecin s’éloigne d’un chevet où il ne peut (ne veut parfois)
que passer, et où le personnel infirmier assure tant bien que mal une continuité incertaine. La
médicalisation de la mort est donc plus technique qu’humaine. Le religieux continue dans la
par imprudences, Préface A. Chavanne, L.G.D.J., Coll. Bilb. sc. crim., T. 29, 1994, p.1/2, n° 2. Selon l’auteur,
trois facteurs principaux expliqueraient ce phénomène : la complexité des techniques instrumentales et la
dangerosité des moyens thérapeutiques et médicamenteux, l’esprit d’initiative des médecins et, enfin, les
transformations sociales, ibid., p. 53, n° 57. Adde : J.-P. Delmas Saint-Hilaire, La responsabilité médicale en
matière de thérapeutique médicamenteuse face au droit pénal, R.D.P.C., 1963-1964, p. 503 et s. ; M. Véron,
Traité de droit médical, L. Mélennec (sous la dir.), T. 3, La responsabilité pénale du médecin, Maloine, 1984, p.
6 et s. ; J. Penneau, V° Médecine, Rép. Civil Dalloz, n° 480 et s.
73
J.-P. Harpes : «…nos sociétés, laïcisées, n’ont pas seulement favorisé l’avènement d’une puissante exigence
d’autonomie, mais sont largement marquées par l’idéal d’une vie active, épanouie, saine et sportive, par celui
d’une prolongation, jusqu’à un âge avancé, de la jeunesse et de l’efficience. La certitude de la mort, même privée
de souffrance physique, est (ou peut du moins être) difficile à supporter dans cette optique. », Les justifications
contemporaines de l’euthanasie, in Euthanasie et éthique, p. 27 et s, spéc. p. 30.
74
V. Jankélévitch : « Normale et pathologique à la fois, […] la mort est la maladie de la santé ! », La mort, op.
cit., p. 53.
75
A. Amat, Mort et activité hospitalière, in Mort, Ethique et Spiritualité, M. Montheil et l’ASP 17 (sous la dir.),
éd. L’esprit du temps, 1997, p. 31. Dans le même sens, voir J. Ziegler : « Puisque la mort elle-même est occultée,
masquée, évacuée […], l’agonie ne peut avoir de statut autonome. […] Il faut au contraire qu’elle soit engloutie
dans la dégradation générale de la maladie. », Les vivants et la mort, Seuil, Coll. Essais, 1975, éd. 1978, p. 139.
- 30 -
seconde moitié du XXe siècle le repli amorcé les décennies précédentes. L’extrême onction ne
se pratique plus. La cohabitation des générations recule, ainsi que l’éclatement géographique
des familles, qui, tous deux, rendent difficile la présence à l’hôpital. « La mort solitaire est un
risque presque inévitable de la mort hospitalière, par définition et quelles que soient les
bonnes volontés des uns et des autres, puisque le mourant est retiré de son lieu de vie pour
être mieux soigné »76.
La question du bien mourir, pourtant inhérente à la médecine, ne devient aiguë qu’à
partir du moment où la chimie donne aux médecins des moyens d’agir – entraînant par la
même d’autres problèmes. La médecine ne peut échapper à la demande sociale. Elle est
aujourd’hui rattrapée par des questions que soulève la définition clinique de la mort réelle, qui
ravivent de façon presque inattendue les angoisses passées concernant les morts apparentes77
et les inhumations prématurées. Il suffira par exemple de se pencher sur la question des dons
d’organes.
Mais la réalité, que le corps social refuse de voir, est que le corps médical n’est que le
reflet de ses propres angoisses. « Dans la société marchande, le mourant ne sait pas mourir, et
le médecin est incapable de lui expliquer le sens de la mort »78. Le médecin confronté à la
mort sera face à son échec et à sa propre mort79. Un médecin avoue : « Je m’imagine, la perf
au bras, les yeux au plafond, entendant le bruit des allées et venues, dans le couloir, seul et
sachant que c’est mon tour d’y passer…Non, il vaut mieux mourir chez soi. » 80 . Deux
attitudes sont alors constatées. Ces attitudes ne sont pas « médicales » mais humaines, en ce
sens qu’elles ne sont pas propres aux médecins. Mais, parce que les praticiens sont des
professionnels, ces réactions face à la mort prennent – peut être leur donnons nous – une
coloration particulière.
76
A. Carol, Les médecins et la mort, op. cit., p. 273. Un médecin avoue : « Je m’imagine, la perf au bras, les
yeux au plafond, entendant le bruit des allées et venues, dans le couleur, seul et sachant que c’est mon tour d’y
passer…Non, il vaut mieux mourir chez soi. ».
77
V. C. Milanesi, Mort apparente, mort imparfaite, médecine et mentalités au XVIIIe siècle, Paris, Payot, 1991.
78
J. Ziegler, Les vivants et la mort, op. cit, p. 129.
79
N. Elias : « La vue d’un mourant ébranle la défense phantasmatique que les hommes tendent à édifier comme
un rempart contre l’idée de leur propre mort. Leur amour d’eux-mêmes leur murmure à l’oreille qu’ils sont
immortels. », La solitude des mourants, 1982, S. Muller (trad.), éd. Christian Bourgois, Coll. Détroits, éd. 1998,
p. 37.
80
Cité par D’Adler, « Les risques du métier », La Mort à vivre. Autrement, 1987, p. 87.
- 31 -
La première consiste, lâchement ? en une fuite. Le médecin ne se rend plus
qu’exceptionnellement au chevet du malade en phase terminale 81 . L’hôpital, consistant en
l’apport de soins collectifs, permet plus facilement une telle attitude. Il faut reconnaître
également que le lieu n’est pas adapté pour les soins aux mourants et que les praticiens sont
avant tout formés pour une médecine curative.
A l’inverse, les médecins peuvent s’engager dans une lutte acharnée contre la mort, jusqu’à
l’obstination, la négation de la mort. Cette attitude est facilitée par les progrès techniques de la
médecine et semble dominer depuis une cinquantaine d’années. Cette solution peut être
renforcée par la demande de la famille qui insiste pour que « tout le possible soit fait »82. Le
comportement de la famille est dicté par l’instinct de conservation et le refus de la fatalité.
Mais si les soins se révèlent finalement inutiles, que l’agonie se prolonge, l’espoir initialement
créé par la médecine va se retourner contre elle. La famille aura le sentiment d’avoir été dupée
par les médecins et leur science. Quant au mourant, il aura été victime de ce que le Dr. Debray
a nommé un acharnement thérapeutique83. Le médecin est alors accusé d’excès, de mépris du
patient 84 . Progressivement, l’impression qui l’emporte est que le pouvoir médical vole à
l’homme sa propre mort 85 , alors que le respect dû à l’être humain exige « qu’elle soit
reconnue, non plus seulement comme un état réel, mais comme un événement essentiel, un
événement qu’il n’est pas permis d’escamoter. »86.
A partir des années 1970, deux approches sont donc faites de la médecine. Pour
certains, le mythe de l’immortalité est devenu une réalité. La science va permettre tôt ou tard
d’abolir la mort87. De nos jours, on observe le développement de pilules anti-vieillissement, la
81
J. Ziegler : « Certains médecins succombent à une tentation compréhensible. Ils adoptent un comportement de
déviation. Ne pouvant partager le processus du mourir du patient, ne sachant quoi répondre aux questions
pressantes du malade, ils tâchent d’obtenir de ce dernier qu’il se taise. », Les vivants et la mort, op. cit., p. 126.
82
J.-P. Soulier : « Pour l’entourage, tant médical que familial, gagner du temps demeure la préoccupation la plus
répandue. Prolonger même contre tout espoir, constitue un besoin irrationnel. », Mourir en paix : quelle
médecine en fin de vie ?, éd. Albin Michel, 1994, p. 190.
83
Cf. J.-R. Debray, Le malade et son médecin, Flammarion, 1964.
84
En 1964, Simone de Beauvoir dénonçait les risques et les excès du pouvoir médical. À propos du médecin qui
prolongea l’agonie de sa mère, atteinte d’un cancer, elle écrira : « Grâce à des méthodes d’anesthésie
ultramodernes, le cœur, les poumons, tout l’organisme avait continué de fonctionner normalement. Sans aucun
doute, il avait réussi un superbe exploit technique ; les conséquences, sans aucun doute, il s’en lavait les
mains. », Une mort très douce, éd. Gallimard, Coll. Folio, 1964, n° 137, p. 42/43.
85
A. Carol remarque : « Nous avons peut-être oublié à quel point, jusqu’à une époque récente, l’impératif naturel
de toute médecine était la lutte pour la vie contre la mort ; à quel point le prolongement de la vie constituait une
attitude normal, légitime, dans l’espace étroit laissé par l’efficacité thérapeutique. », Les médecins et la mort, op.
cit., p. 82.
86
Ph. Ariès, L’homme devant la mort, vol. 2, 1977, éd. Seuil, Coll. Histoire, 1985, p. 299.
87
Jean Rostand écrit : « les morts devraient être simplement considérés comme temporairement incurables
jusqu’à ce que les progrès de la science parviennent à les ressusciter, en guérissant le mal par quoi ils ont
succombé, qu’il s’agisse de la maladie, d’accident ou de la vieillesse. », cité par X. Labbée, op. cit., p. 407.
- 32 -
cryogénisation connaît un véritable engouement88. De façon moins extrême, la société rejette
désormais la vieillesse et la douleur et fait appel à la science pour vivre jeune plus longtemps.
La médecine qui a permis d’exclure la mort de sa pratique quotidienne, sert désormais à
assurer confort et bien-être. Pour d’autres, plus réalistes, il est temps de contester le pouvoir
médical et de conquérir les décisions relatives à la vie. D’une façon générale, il s’agit de
contester le paternalisme médical et de mettre la médecine au service du patient. Plus loin, de
nombreuses personnes accusent les médecins de s’être érigés en « thanatocrates » 89 . Des
sociologues, des philosophes ou encore des juristes se regroupent pour que soit reconnu le
droit de mourir90.
La mort demande aujourd’hui à être ré-apprivoisée91. Chargé d’organiser les relations
sociales, de veiller à l’équilibre de celles-ci tout en protégeant la dignité de chaque individu,
le droit a été sommé d’intervenir pour réformer le rôle du médecin et les institutions et
permettre à l’homme de se réapproprier sa mort.
SECTION III - LE RENOUVELLEMENT DE LA PLACE DU MEDECIN FACE A LA
MORT DANS LA SOCIETE
Le pouvoir détenu depuis des siècles par les médecins, renforcé au XXe siècle par les
évolutions technologiques, a été confronté aux attentes des individus soucieux de voir
respecter leur autonomie et reconnaître le droit à la maîtrise de leur destinée. Dans la vision
paternaliste, le médecin n’est pas là pour répondre à une demande du patient mais pour le
soigner. Le médecin est en charge de la préservation de la vie. Il sert les intérêts de santé
publique. En ce sens, le consentement de la personne à l’acte médical paraît presque superflu.
Cette situation est jugée intolérable aujourd’hui. Le principe d’autonomie commande la prise
88
Par une décision du 6 janvier 2006, le Conseil d’Etat rappelait, dans l’affaire Raymond Martinot, que seules
l’inhumation et la crémation étaient reconnus comme modes légaux de sépulture. Le Conseil d’Etat a cependant
reconnu que la volonté du défunt que son corps soit conservé après sa mort par un procédé de congélation doit
être regardée comme une manifestation de conviction entrant dans le champ d’application de l’article 9 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Collectivités
territoriales Intercommunalité n° 3, Mars 2006, comm. 44, note J. Moreau ; I. Poirot-Mazères, « Toute
entreprise d’immortalité est contraire à l’ordre public ». – Ou comment le juge administratif appréhende …la
cryogénisation, Droit administratif, Juillet 2006, Etude n° 13. V. aussi, J. Michel, Hibernatus, le droit, les droits
de l’homme et la mort, D. 2005, Chron. p. 1742.
89
J. Ziegler : « C’est le thanatocrate et lui seul, maître de l’appareil thérapeutique, […] qui décide de la
continuation de la vie réduite ou de la mort instantanée du malade. Comme le torero dans l’arène, il décide, face
à l’être blessé, l’instant de la mise à mort », op. cit., p. 75.
90
F. Sarda : « Le respect des malades doit se repenser en d’autres termes quand la médecine doit elle-même
s’obliger, se contraindre à se rappeler que les hommes dont mortels. Nous pouvons lui demander de respecter
notre droit de mourir. », Le droit de vivre et le droit de mourir, éd. Seuil, 1975, p. 173.
91
V. sur le sujet : M. de Hennezel et J.-L. Leloup, L’art de mourir, Robert Lafont, 1997.
- 33 -
en compte de la volonté du patient. Parallèlement, à la faveur de l’évolution des techniques, le
rôle du médecin déborde du thérapeutique vers le médical. La mort ne s’immiscant plus
systématiquement dans la relation médicale, l’Etat et la personne assignent d’autres rôles aux
médecins. L’acte médical s’est ainsi profondément étoffé au XXe siècle. Il semble s’être opéré
une division entre les patients : les mourants et les incurables, pour qui la mort est prochaine,
d’une part ; les malades, pour qui la mort est un risque mésestimé dont la probabilité est très
variable, d’autre part ; et enfin, les personnes subissant à leur demande un acte médical de pur
confort, pour qui la mort est totalement occultée. La complexité et la dangerosité des moyens
thérapeutiques et médicaux, l’esprit d’initiative des médecins, enfin les transformations
sociales ont pour conséquence une augmentation des procès engagés contre les médecins. La
gravité du dommage partage la responsabilité civile et administrative entre la faute et la
solidarité nationale. Cependant, leur but, uniquement indemnitaire, pousse le patient ou ses
ayants droit vers le droit pénal, dont le caractère répressif est apprécié. La responsabilité des
médecins face à la mort ne semble pourtant pas tenir compte de la modification de la
définition de l’acte médical.
Le droit à la santé se substitue désormais au droit à la vie, et entend protéger un état
complet de bien-être physique, mental et social, et pas seulement l’absence de maladie et
d’infirmité 92 . Sous ces revendications, n’est-ce pas la mort que l’on essaye à nouveau
d’occulter ? Dans une société vouant un culte à la jeunesse et à la performance, la médecine
est appelée à repousser au loin tous les symptômes qui rappellent que l’homme n’est pas
immortel. Et puisque l’utilité de l’acte médical n’est plus uniquement thérapeutique, ne
permet-il pas de désigner aussi le fait de donner la mort ?
Il peut ainsi exister une confrontation entre le principe d’autonomie et celui du respect
dû à la vie. La mort conjugue à la fois un aspect privatif et collectif. Elle intéresse au premier
chef la personne. Toutefois, au nom d’un impératif d’ordre public et de santé publique, la
mort d’un patient développe une dimension collective, notamment en construisant une
solidarité entre les morts et les vivants. Le principe d’autonomie se heurte toujours à des
considérations autres, d’urgence, de santé publique, d’ordre public, de justice, etc.… qui
commandent parfois de ne pas prendre en compte la décision du malade. L’autonomie du
patient se heurte aussi à celle du médecin qui, éthiquement, ne peut pas non plus être écartée.
92
Définition de la santé selon l’O.M.S., Rec. int. lég. san., 1970, vol. 21, p. 467.
- 34 -
Le législateur a entendu encadrer les préoccupations de chacun et prendre acte des
évolutions survenues 93 . Cependant, si les lois bioéthiques se sont prononcées sur les
problèmes de la protection du corps humain, du respect de la volonté de la personne, des
procréations médicalement assistées, de l’eugénisme, elles n’ont pas abordé l’ensemble des
questions relatives à la mort94. La mort est riche de conséquences juridiques. Pourtant, le
Droit ne parvient pas à la cerner, à la définir, contraint de recourir à d’autres disciplines,
notamment médicales, pour l’appréhender tant bien que mal. Il est vrai que le droit n’a pas
vocation à réfléchir sur le vécu et l’angoisse du mourir 95 ; cela appartient davantage aux
philosophes, aux anthropologues et aux artistes d’imaginer et d’exprimer ce que la mort
représente. Mais parce que le pendant de la mort est la vie, et que celle-ci a été érigée en « un
droit à », le juriste se voit contraint de se pencher sur la mort. Il entretient alors parfois des
rapports conflictuels avec les autres disciplines.
Réclamant une réflexion sur l’homme, le sujet nécessite une référence à des valeurs
supérieures. Ces valeurs peuvent varier selon l’approche retenue. En effet, les notions de
personne, vie humaine, qualité de vie ou dignité n’auront pas le même sens selon que le
juriste se prononcera en faveur d’une éthique personnaliste ou utilitariste. Parce qu’il lui
appartient de « peser tous les enjeux de l’action […], de les apprécier chacun suivant son
importance relative, non d’après les convenances du moment mais sous un angle plus large,
capable de les embrasser tous dans une commune perspective et par préférence, aux valeurs
les plus élevées »96, le droit ne peut négliger l’apport des autres systèmes normatifs. Leurs
évolutions et contradictions lui permettent de construire et de préparer sa réponse.
Le questionnement relatif à la mort conduit aussi à s’interroger sur les interférences entre les
pratiques sociales et la fonction régulatrice du droit. Celui-ci est alors confronté à une
93
Lois du 29 juillet 1994 n° 94-653 relative au respect du corps humain, et n° 94-654 relative au don et à
l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic
prénatal, J.O. 30 juillet 1994, p. 11056.
94
Après avoir observé qu’il existe désormais différentes hypothèses de fin de vie, M.-F. Callu remarque qu’il
« est curieux de constater à quel point le législateur s’est peu préoccupé de la mort, peut-être parce qu’étant
inéluctable, ce fait au-delà du juridique […] », op. cit., p. 315.
95
M. le Doyen Fournier, Introduction, in Problèmes juridiques, médicaux et sociaux de la mort (diagnostic de la
mort, prélèvements d’organes, suicide, euthanasie), Journée d’Etudes du 6 mars 1972 de l’Institut de sciences
criminelles de la faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, Editions Cujas, vol. 1, 1979, p.1 ; B. Py, La
mort et le droit, P.U.F., Coll. Que sais-je ?, n° 3339, 1997, p. 7 : « Si la mort est une source intarissable de
réflexions pour l’homme sur son destin terrestre, il n’appartient pas au Droit d’interférer dans les conceptions
métaphysiques qui relèvent de l’appréciation individuelle de chacun. ».
96
J. Verhaegen, Avant-propos de Licéité en droit positif et Références légales aux valeurs, Bruylant, Bruxelles,
1982, p. 7.
- 35 -
problématique de sociologie juridique. La loi et les tribunaux doivent-ils provoquer une
évolution des mœurs, les constater ou infléchir celles-ci ou encore marquer une opposition et
rester en retrait ?
Un conflit risque enfin de naître entre les diverses disciplines du droit, la conciliation des
principes du droit civil avec ceux du droit pénal se révélant parfois délicate : alors que le
premier accorde une place de plus en plus grandissante à l’autonomie de la volonté et à la
rencontre des volontés individuelles, le second affirme son indifférence face aux accords
passés entre la victime et le délinquant.
La cohésion de Droit intéresse l’ensemble des questions relatives à la bioéthique et à la
médecine. Les difficultés relatives à la matière n’ont pas empêché le législateur d’intervenir
en 1994, mais dans ces domaines délicats le questionnement éthique et moral, voire un certain
« laisser faire scientifique », précèdent souvent le droit. Ces difficultés expliquent pour une
grande part les réserves des politiques sur les questions relatives à l’euthanasie. Le législateur
n’a cependant plus ignoré les problèmes posés par la mort. En 1999, une loi vise à garantir le
droit à l’accès aux soins palliatifs. En 2002, prenant acte des revendications des individus est
adoptée, le 4 mars, une loi relative aux droits des patients. Cette loi vise à garantir au patient
la maîtrise de sa santé et de sa vie vis-à-vis du pouvoir médical. Elle tend à rééquilibrer les
pouvoirs entre le patient et le médecin. Désormais, le médecin apparaît comme un prestataire
de service. Après l’ère de la prééminence du pouvoir du médecin, on semble être entré dans
celle du patient. La loi du 9 juin 1999 a annoncé cette option en énonçant à l’article L. 1111-2
du Code de la santé publique que « La personne malade peut s’opposer à toute investigation
ou thérapeutique »97. Le refus de soins octroyé au patient est véritablement reconnu par la loi
du 4 mars 2002, le médecin n’étant plus à l’abri de sanctions pénales. Loin de reconnaître un
droit vers la mort, il s’agit davantage de consacrer le droit du patient de maîtriser sa vie, de la
préserver avec l’aide du médecin, mais d’offrir la décision au patient lui-même. Il s’agit de
respecter la volonté du patient, d’interdire à la médecine de s’acharner inutilement, de
privilégier des soins palliatifs quelque fois, ces derniers pouvant se substituer aux
investigations curatives, de privilégier ainsi l’humain sur la technique lorsque la médecine
« classique » se trouve confrontée à ses limites. Face à sa volonté absolue parfois de préserver
la vie, le médecin se voit opposer le veto du patient, qui décide des soins qu’il accepte de
97
Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, J.O. 10 juin 1999, p. 8487.
La nouvelle numérotation correspond à l’ancien article L. 1er C. du Code de la santé publique et résulte de
l’Ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000, relative à la partie législative du Code de la santé publique. Cf. J.O.
22 juin 2000, annexe au n° 143, p. 37503.
- 36 -
subir. Le rôle du médecin se fait accompagnateur du patient et ce, surtout, dans la fin de vie et
vers la mort.
Dans cette perspective, dans les sociétés occidentales, nombreux sont ceux qui,
désireux d’aller plus loin, ont demandé le droit de ne plus vivre, « le droit de mourir à son
heure », « un droit de mourir dans la dignité » ou un « droit à la mort ». Les Pays-Bas et les
Etats-Unis ont répondu les premiers à certaines attentes en obligeant les médecins à
interrompre les techniques de réanimation et en admettant qu’il puisse assister le patient dans
son suicide ou devenir l’auteur direct de sa mort. Le Conseil de l’Europe se penchait lui aussi
sur la question de la ré-appropriation de la mort98 et conviait les Etats membres de l’Union à y
procéder. La Belgique99, Le Luxembourg100, le Portugal101, l’Italie102 ou encore la France103
ont invité leur comité d’éthique nationaux à émettre des suggestions. Malgré l’actualité de ce
sujet104, le législateur français fait œuvre de beaucoup de prudence, distinguant les pratiques
qui lui semblent tolérables de celles lui paraissant remettre en cause les fondements de la vie
sociale, pour lesquelles un statu quo est prôné. C’est ainsi qu’en 2005105, il reconnaissait le
droit pour le médecin de « laisser mourir » son patient et condamnait fermement toute
98
Cf. Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, Recommandation 1418 relative à la Protection des droits de
l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants, 26 juin 1999.
99
Belgique, Comité consultatif de bioéthique, Avis n° 1 concernant l’opportunité d’un règlement légal de
l’euthanasie, 1997.
100
Luxembourg, Commission consultative nationale d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Avis n°
1, L’aide au suicide et l’euthanasie, 1998.
101
Portugal, Conseil national d’éthique pour les sciences de la vie, Avis sur les aspects éthiques des soins de
santé ayant trait à la fin de vie, 1995.
102
Italie, Comité national pour la bioéthique, Questions de bioéthique relatives à la fin de la vie humaine, 1995.
103
C.C.N.E, Avis n° 63, Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie, 27 janvier 2000, Les cahiers du C.C.N.E. , n° 23,
2000, p. 3. Cf. J. Michaud, A propos d’un avis de Comité consultative national d’éthique, Méd. & Droit 2000,
43, 1 ; Ch. Byk, Bioéthique, Législation, jurisprudence et avis des instances d’éthique, J.C.P. 2000, I, 253, n°22 ;
J. Pousson-Petit, Propos paradoxaux sur l’euthanasie à partir des textes récents, Dr. fam. 2001, chron. 3 ; G.
Mémeteau, « La mort aux trousses », Le rapport n° 63 du C.C.N.E. du 27 janvier 2000, sur la fin de vie, l’arrêt
de vie et l’euthanasie, R.R.J., 2000-3, p. 913 ; J. Ricot, Un avis controversé sur l’euthanasie, Esprit, novembre
2000, p. 98 ; P. Vespieren, L’exception d’euthanasie, Etudes, mai 2000, p. 581.
104
Très récemment, plusieurs affaires ont défrayé la chronique : celle de Vincent Humbert, celle de Diane Pretty
ou encore celle de Paulette Druais dans laquelle un médecin, le Dr. Tramois, fut renvoyé devant une Cour
d’assises pour meurtre lié à une euthanasie. Ce médecin a été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement
avec sursis.
105
Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, J.O. n° 95 du 23 avril 2005, p. 7089, relative aux droits des malades et à la
fin de vie. E. Alfandari et Ph. Pedrot, La fin de vie et la loi du 22 avril 2005, RD sanit. Soc., 2005, n° 5, p. 751 ;
F. Alt-Maes, La loi sur la fin de vie devant le droit pénal, JCP G 2006, I, 119, p. 483 ; D. Bailleul, Le droit de
mourir au nom de la dignité humaine, à propos de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie , JCP G
2005, I, 142; J. Coelho, Libres propos sur la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et
à la fin de vie, RGDM, 2005, n° 17, p. 335 ; J. Coelho, La France est-elle sur la voie de la dépénalisation de
l’euthanasie ?, Méd. & droit 2006, p. 61 ; Y.-M. Doubet, La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades
et à la fin de vie, Petites Affiches, 23 juin 2005, n° 124, p. 6 ; S. Hocquet-Berg, Le texte sur la fin de vie : une loi
pour les malades ou pour les médecins ? , Resp. civ. et assurances, mai 2005, p. 4 ; J. Pradel, La parque assistée
par le droit. Apports de la loi du 22 avril 2005 relative aux malades et à la fin de vie, D. 2005, doctr. P. 2106 ; F.
Vialla, Droits des malades en fin de vie, D. 2005, n° 27, Point de vue, p. 1797.
- 37 -
acharnement thérapeutique. S’il acceptait que la vie du patient puisse être abrégée par l’effet
second de médicaments dont le but premier de l’administration était la gestion de la douleur,
il refusait encore qu’il puisse directement être mis fin à la vie du malade. Bien que la position
étatique soit tout à fait justifiable, on ne peut que s’interroger sur sa faculté à résister au flot
de revendications émises par la société. Prenant acte de l’indulgence des tribunaux et « de
divers mouvements d’opinion en faveur d’une modification des textes », le Comité consultatif
national d’éthique a suggéré la création d’une « exception d’euthanasie » pour garantir
l’impunité à l’auteur d’un homicide volontaire inspiré par la « compassion » 106 . Cet avis
illustre le hiatus entre les attentes de la société et les impératifs du droit. Par ailleurs, cette
consécration du laisser mourir s’accompagne d’une gestion de la mort par le médecin. Le
législateur a en effet confié aux soins du médecin la faculté d’apprécier les conditions de la
fin de vie. Sous couvert de renforcer les droits du patient et de lui en octroyer de nouveaux, le
législateur a donné de nouvelles prérogatives aux médecins. Cela semble faire apparaître que
dans le domaine de la fin de vie et de la mort, le législateur n’entend pas laisser une totale
autonomie au patient. Le médecin se trouve en effet à une égale distance entre la sphère
publique et la sphère privée. Au titre de la première, il est en charge d’une mission de service
publique de protection de la santé. En conséquence, il lui appartient de respecter la politique
de santé à fin de faire respecter, de ce point de vue, les valeurs reconnues comme
fondamentales dans la société, tel le droit à la vie. Une seconde explication peut être avancée.
Prenant conscience d’une certaine dérive consumériste de la médecine, d’un certain
déséquilibre opéré depuis plusieurs années en faveur du patient, il a tenté de trouver un
équilibre, plus réaliste et approprié, dans la relation médecin-patient, basculant à nouveau un
peu en faveur du premier. Il s’agit de trouver le point d’équilibre dans la balance pesant le
poids du médecin et celui du patient.
Dans ce mouvement de ré-appropriation de la mort, des revendications incessantes de
la société et des patients vis-à-vis de la médecine, il convient d’évaluer plus précisément la
façon dont le médecin peut et doit appréhender sa fonction aujourd’hui. Chargé d’organiser la
coexistence des libertés individuelles dans les limites de l’ordre public, le droit a donné aux
médecins le droit et le devoir de protéger la vie, donc de préserver les patients de la mort. De
même qu’en matière d’autorité parentale, le médecin semble être titulaire d’un droit-
106
C.C.N.E., Avis n° 63, Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie, 27 janvier 2000.
- 38 -
fonction107 vis-à-vis de ses patients. Mais, le droit lui impose de reconnaître la mort comme
un fait inéluctable et de respecter son patient et sa volonté. Pourtant, le droit médical disposet-il aujourd’hui de toutes les réponses permettant d’intégrer en son sein les revendications
euthanasiques de la société ? Le droit peut-il évoluer sans remettre en péril la cohérence de
ses institutions ? Le droit doit-il reconnaître la mort comme un acte volontaire et, dès lors,
octroyer au médecin le droit et la fonction de donner la mort ?
Dans l’appréhension de la vie et de la mort aujourd’hui, le médecin garde pour rôle
fondamental et traditionnel de préserver de la mort (Partie I), occasionnellement, le médecin
semble devoir avoir pour rôle de donner la mort (Partie II).
107
La notion droit-fonction a été défendue par Josserand. Elle confère à ses titulaires une mission et non un
pouvoir subjectif : c’est un ensemble de droits et de devoirs, c’est-à-dire de prérogatives qui doivent être
exercées non pas dans l’intérêt de leur titulaire, mais dans celui du bénéficiaire. Dans le cadre de l’autorité
parentale, il s’agit de l’enfant, dans le cadre de la médecine, il s’agit du patient.
- 39 -
PREMIERE PARTIE
LE RÔLE TRADITIONNEL DU MEDECIN :
LUTTER CONTRE LA MORT
- 40 -
LA MORT ET LE MOURANT
La mort ne surprend point le sage :
Il est toujours prêt à partir,
S’étant lui-même avertir
Du temps, hélas embrasse tous les temps :
Qu’on le partage en jours, en heures, en moments ;
Il n’en est point qu’il ne comprenne
Dans la fatal tribut ; tous sont dans son domaine ;
Et le premier instant où les enfants des rois
Ouvrent les yeux à la lumière
Est celui qui vient quelque fois
Fermer pour toujours leur paupière.
Défendez-vous par la grandeur ;
Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse ;
La mort ravit tout sans pudeur :
Un jour le monde entier accroîtra sa richesse.
Il n’est rien de moins ignoré ;
Et, puisqu’il faut je le die,
Rien où l’on soit moins préparé[…].
Jean de La Fontaine
Les Fables, Livre huitième, Fable I.
- 41 -
La médecine est faite pour guérir. Jusqu’à une époque récente, l’impératif naturel de
tous les médecins est la lutte pour la vie contre la mort. Dans la faible marge laissée par
l’efficacité thérapeutique, le prolongement de la vie constitue une attitude normale, légitime.
La médecine actuelle n’envisage plus la mort que dans les services de réanimation ou de
gériatrie, c’est-à-dire en cas de maladie grave ou incurable et en fin de vie. Pourtant, la mort
subsiste encore à l’aube d’un accident médical ou pour être utile à la faveur d’un don
d’organes.
L’éloignement de la mort de la médecine quotidienne a conduit à une modification du
rôle du médecin. Il lui a été demandé de réaliser d’autres objectifs, notamment celui de
préserver la santé. A ce titre, on observe une réalité nouvelle, celle du spectaculaire
renforcement de la santé publique108. Il est vrai que le médecin est à la frontière du domaine
privé et l’organisation sociétale. La santé publique exerce une emprise croissante sur nos
sociétés mais aussi une influence profonde et indéniablement perturbatrice sur l’activité
médicale. Les responsabilités du médecin sont plus nombreuses. La profession avait déjà subi
des mutations radicales109. C’est d’abord l’art médical qui a profondément évolué à la fois
quant aux techniques employées et quant à ses performances – prolongement de l’espérance
de vie et éradication d’une grande partie des épidémies infectieuses, même si parallèlement de
nouvelles maladies apparaissent110. En tant que profession ensuite, la médecine a également
profondément changé, la figure traditionnelle du médecin s’est banalisée, son autorité sociale
s’est fragilisée 111 . Enfin, l’on ne peut plus dire du métier de médecin, envisagé de façon
concrète, qu’il est enfermé dans un rôle unique, celui de soignant : il est aussi expert,
chercheur, conciliateur etc. En raison des considérations collectives imposées par la protection
de la santé publique, le métier de médecin a profondément changé.
108
V. sur le sujet : F. Bellivier, C. Noiville (ss. la dir.), Nouvelles frontières de la santé, nouveaux rôles et
responsabilités du médecin, Dalloz, 2006.
109
Si le Code de la santé publique fait référence à la « profession de médecin » (v., par ex., art. L. 4131-1), il la
rattache désormais à la catégorie plus large des « professionnels de santé », qui désigne l’ensemble des
professionnels médicaux et paramédicaux (médecins, chirurgiens dentistes, sages femmes, infirmières,
pharmaciens, etc.) (v. par ex. art. L. 1110-1-1).
110
Les causes de morbidité ont radicalement changé depuis 50 ans : la mortalité par cancer est 15 fois plus
élevée que celle liée aux maladies infectieuses – qui représentent 10% des causes de mortalité en 1945 – et ce
malgré l’apparition du sida. Parallèlement, les affections de longue durée ont explosé, comme l’asthme et les
allergies, qui progressent dans chaque tranche d’âge et ont doublé en trente ans. Par ailleurs, les pathologies
mentales se diversifient et augmentent : 15% de la classe d’âge 25-45 ans sont aujourd’hui atteints de dépression.
111
G. Tchobroutsky et O. Wong, Le métier de médecin, PUF, coll. Que sais-je ?, n° 2812, 1996. J. de
Kervasdoué, La crise des professionnels de santé, Dunod, 2003.
- 42 -
Dans le même temps, la relation du patient à son médecin a elle-même muté. Se
considérant désormais en bonne santé, le patient réclame au médecin de lui offrir des bonnes
conditions de vie, de lui permettre de vivre mieux et plus longtemps. De plus, il refuse d’être
infantilisé et dispute le pouvoir décisionnel au médecin. Le spectre de la mort s’étant éloigné
de l’intervention médicale, le médecin peut désormais parer à d’autres tâches. Il convient
donc de réguler les rapports entre le médecin, le patient et la société. La santé est devenue un
« triptyque Etat, patient, médecin », ce qui a influencé le statut et le rôle de ce dernier112.
La conséquence directe de cette évolution est un net renforcement de la responsabilité
médicale. Hormis sa responsabilité professionnelle, le médecin est susceptible d’engager sa
responsabilité civile et pénale. Il faut alors vérifier si les principes traditionnels affirmés par la
réglementation disciplinaire ou par les normes civiles et pénales répondent à la réalité de la
pratique médicale face à la mort. La survenance de la mort apparaît à ce titre incongru et
inacceptable. Elle renforce la responsabilité du médecin, même dans les disciplines les plus
difficiles. Il n’est d’ailleurs pas fait de différence selon que l’acte médical pouvait simplement
être de confort – tel un acte de chirurgie esthétique réalisé à la demande du patient – et un acte
médical à portée curative dont la réalisation présentée un caractère vitale.
Pourtant, le médecin sert toujours la santé et la vie. La chirurgie esthétique ne vise-t-elle pas à
gommer les effets du temps, à oublier la vieillesse et ses affres, à occulter la mort. La
médecine préventive a pour objectif d’éviter la survenance de maladies graves tels les
cancers. La mutation du rôle du médecin n’est donc qu’apparente. Le champ d’action du
praticien s’est juste étendu. Il garde pour rôle fondamental de lutter contre la mort.
La mort est cependant inéluctable. Le médecin ne peut l’ignorer et doit respecter ce
fait naturel. Depuis quelques années, de nouvelles disciplines médicales se développent pour
accompagner la personne en fin de vie. La prise en charge de la douleur et les soins palliatifs
aident le mourant à vivre plus sereinement ses derniers instants. L’interruption des
thérapeutiques les plus agressives répond à un objectif similaire. Le médecin interrompt les
soins parce que soit les investigations à visée curative ne sont plus efficaces, soit le patient
s’oppose à leur continuation. Le malade peut ne pas être suffisamment lucide pour exprimer
leur volonté, les médecins, de leur propre initiative, peuvent être amenés à arrêter les soins
inutiles. Une enquête réalisée par un médecin réanimateur auprès des différents
112
V. J.-M. Auby, L’intervention publique dans le domaine de la santé. La légitimité de l’intervention publique,
AJDA 1995.588 et s.
- 43 -
établissements
hospitaliers
a
montré
que
les
professionnels
étaient
confrontés
quotidiennement à des décisions de cette nature. Sur 75000 patients en réanimation, un
cinquième trouve la mort au cours de leur séjour. Parmi ces derniers, un sur deux décède
après une décision d’abstention thérapeutique, soit 11% de la population admise. Dans 43%
des cas, ce sont les traitements aidant le muscle cardiaque qui sont suspendus ; vient ensuite
l’arrêt des antibiothérapies (28%), de la ventilation artificielle (21%) et l’épuration extra
rénale (14%). La prise en charge de la douleur et la lutte contre l’obstination déraisonnable
s’inscrivent désormais par les nouvelles priorités de la médecine. Le droit médical peut-il
obliger le médecin à suspendre les traitements en cours ? Le praticien est-il en droit d’agir
ainsi de sa propre initiative ? Enfin, en cas d’incapacité du malade, ses proches sont-ils
habilités à se substituer au patient et à exprimer une volonté défaillante ? Le malade peut-il
anticiper sa défaillance et obliger le médecin par des directives écrites ?
Lorsqu’un patient s’adresse à un médecin, il désire être soigné par un spécialiste.
Généralement, sa volonté est conforme à son intérêt thérapeutique. La loi encadre donc
l’activité des médecins pour leur permettre de rétablir la santé de leurs patients tout en
respectant leur souhait. Cet impératif est rappelé par l’article 16-3 du Code civil en soumettant
l’intervention sur le corps humain à une nécessité médicale et au respect du consentement
exprimé. Cette faculté de consentir – ou de ne pas consentir – souligne le droit du patient à
l’autodétermination pour toute décision relative à sa santé. Cependant, un éventuel refus de
soins sape l’accord naturel existant entre l’objectif du médecin – lutter contre la mort – et
celui du patient. Le patient manifeste un désir qui s’oppose au rétablissement de sa santé et
risque de mettre sa vie en danger. Le respect de la vie d’une part, le droit à
l’autodétermination et à l’intégrité physique du patient d’autre part ne sont plus en
adéquation113. Le relation médecin-patient est perturbée par la volonté de mourir du patient.
La reconnaissance de l’autonomie de la volonté contre le paternalisme médical menace
de ruiner les fondements du droit médical. Elle soulève la délicate question de la protection de
l’individu contre lui-même, interrogation récurrente qui ne concerne pas seulement les
malades incurables condamnés à brèves échéances. Le problème de l’interruption des soins se
113
M.-Th. Meulders-Klein : « Les actes médicaux […] se situent très exactement à l’interface de ces règles
pénales et civiles relatives au corps humain, à l’égard duquel ils constituent une intrusion par définition,
intentionnelle de surcroît, et leur statut illustre par excellence la tension existant entre le principe de conservation
et de protection d’une part, et le principe d’autonomie de l’autre. », Le droit de disposer de soi-même : étendue et
limites en droit comparé, in Licéité en droit positif et Références légales aux valeurs, Bruylant, Bruxelles, 1982,
p. 248.
- 44 -
pose également pour les personnes refusant des thérapeutiques contraires à leurs convictions,
ou encore pour tous les désespérés qui ne souhaitent pas être réanimés après une tentative de
suicide. Un équilibre doit être recherché afin d’éviter que les revendications du mourant ne
détruisent les fondations sur lesquelles reposent l’art médical. Si la protection de la vie
l’emporte en effet, systématiquement sur la volonté de la personne, la médecine risque de
privilégier la technique au dépend de l’humain. En revanche, si l’autonomie du patient doit
toujours être respectée, quelles soient ses revendications, le médecin se transforme en simple
automate dénué de toute conscience professionnelle. Dans les deux cas, les excès de chaque
camp mettent à mal la relation médecin patient. Afin que la mort du patient soit respectée par
le médecin, la non obstination déraisonnable et la prise en charge de la douleur doivent
s’imposer au praticien comme des obligations fondamentales. Si le médecin doit entendre la
volonté du mourant de cesser tout soin, il ne saurait être omis que l’art médical sert la vie. La
résolution du conflit entre le droit à l’autodétermination et le principe de préservation de la vie
passe nécessairement par une conciliation des intérêts en présence.
Pendant longtemps, le seul fait de mort suffisait à permettre au médecin d’intervenir
sur le corps du patient. Ce pouvoir s’est modelé avec l’évolution du rôle du médecin,
notamment en reconnaissant le praticien responsable face à la mort. Nonobstant, parce que la
préservation de la vie est le fondement de la médecine, le pouvoir d’intervention du médecin
face à la mort est important (Titre I). La mort est inéluctable cependant, le médecin doit s’y
résoudre. Son pouvoir décisionnel en est ainsi limité (Titre II).
- 45 -
TITRE I
L’IMPORTANT POUVOIR D’INTERVENTION
DU MEDECIN FACE À LA MORT
Parce qu’il soigne le corps et l’âme, le médecin doit protéger l’intégrité physique des
malades tout en respectant leur faculté de détermination. Pendant longtemps, ces objectifs ne
cohabitent pas toujours, le médecin considérant l’assentiment du patient comme acquis
lorsque son intervention thérapeutique est nécessaire. Désormais, le médecin ne peut agir sans
le consentement du patient dans l’intérêt de ce dernier. Mais aujourd’hui, il est difficile de
définir le contenu de cette notion. La chirurgie esthétique par exemple montre que la volonté
de métamorphose des personnes intéressées doit parfois être limitée afin de ne pas menacer
leur santé. Si la médecine a d’abord pour objectif unique de préserver la vie, il semble que ce
but est désormais multiple. Que veut-dire exactement la médecine aujourd’hui ? Qui peut dire
où va la médecine : le médecin dans sa pratique, le patient dans la réalité de sa souffrance,
l’institution hospitalière, le ministère de la santé ? Si le XVIIIe et le XXe siècles voulaient
démarquer la médecine de l’Etat et du droit, le problème de la médecine est aujourd’hui
strictement inverse. Il s’agit désormais d’empêcher la suprématie de la médecine sur
l’ensemble des problèmes juridiques. Michel Foucault a donné un nom à cette extension du
pouvoir médical dans la société : le bio-pouvoir. Selon lui, la place de plus importante de la
médecine dans la société révèle que le pouvoir, sous différentes formes (politique, juridique,
technologique…) a investi un nouvel objet, qu’il désire désormais contrôler de fond en
comble : la vie114.
Il est impossible de répondre à ces interrogations sans essayer de comprendre l’enjeu
politique du débat. Or, celui-ci soulève un problème de compétence. Au-delà des difficultés
inhérentes à l’exercice de l’art médical, il s’agit de désigner la personne habilitée à déterminer
l’intérêt du patient. Traditionnellement, le médecin exerce essentiellement un mission
curative. Il a pour rôle de soigner et de guérir les souffrances, d’élaborer un diagnostic et
d’indiquer à ses patients la meilleure thérapeutique possible. En ce sens il incarne ce savoir et
son aptitude professionnelle fait de lui un intéressé de premier ordre. Or, progressivement son
rôle s’est transformé, essentiellement parce que l’évolution de la société a conduit les patients
114
Voir. Paul Rabinow, Le biopouvoir, Le Déchiffrage du génome, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 35-40.
- 46 -
à adopter de plus en plus une démarche préventive : se considérant en bonne santé, ils
souhaitent des conseils pour le rester. Jouissant d’un libre arbitre suffisant et bénéficiant du
principe de l’inviolabilité du corps humain, le malade semble être le principal intéressé. À ce
titre, il dispose d’un pouvoir naturel de fait. La médecine se trouve donc confrontée à un
dilemme : choisir entre un paternalisme bienveillant et un libéralisme respectueux.
Ainsi sollicités par les patients, les médecins le sont aussi par les pouvoirs publics, les
agences sanitaires, les organismes d’assurance maladie, pour remplir, en complément de leur
rôle dans leurs soins curatifs, un ensemble de missions de maintien en bonne santé de la
population. Ils exercent alors des actions de prévention et de lutte contre les déterminants
majeurs de santé (tabac, alcool, nutrition) et sont également amenés à préconiser des mesures
visant à l’amélioration de la prise en charge des malades chroniques, autrement dit à assurer
des tâches d’éducation thérapeutique115. La recherche d’un équilibre suppose donc dépasser le
cadre étroit de la relation médicale pour tenir compte du rôle joué par la société. L’activité
médicale est effectivement réglementée afin de protéger l’intérêt général. Alors que le corps
social a un intérêt direct à la conservation de ses membres, le comportement de l’un d’entre
eux peut aller à l’encontre de cet objectif. Chargé également de réguler les rapports sociaux, le
droit médical doit arbitrer l’intérêt général confronté à des intérêts particuliers, le médecin
devenant ici un intermédiaire obligé (Chapitre I).
Le développement de la charge médicale va de pair avec celle de la responsabilité du
médecin. Celle-ci est d’autant mieux comprise aujourd’hui quand le patient est décédé, sans
distinction de la finalité de l’acte médical ou de son caractère impérieux. La mort biaise le jeu
de la responsabilité. Elle semble instituer une présomption de faute et même en l’absence de
celle-ci, elle mérite compensation. Pareillement au droit commun de la responsabilité, la
responsabilité médicale civile ou administrative présente un but indemnitaire marqué. Cela ne
semble pas suffisant aux yeux du patient ou à ceux de ses ayants droit pour qui la mort est
inacceptable. La répression pénale du médecin paraît davantage recherchée désormais. Ces
responsabilités n’excluent pas l’engagement de la responsabilité professionnelle du médecin
(Chapitre II).
115
Cette mission relève avant tout de certaines institutions : l’Institut national de prévention et d’éducation pour
la santé (INPES), la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), ou encore la
CANAM. Elle vise aussi d’autres professionnels de santé spécialisés : les médecins scolaires, les médecins de
santé publique, les médecins du travail, les pharmaciens…
- 47 -
CHAPITRE I
LA MISSION DU MEDECIN : CONSERVER LA VIE116
Il ne peut être que constaté qu’aucun texte ne définit explicitement la fonction des
médecins. Comme le note Dominique Thouvenin, « le Code de déontologie médicale précise
que le médecin "exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de la
dignité" (art. 2), sans dire quelle est sa finalité ; de même "le médecin doit, en toutes
circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement, indispensables
à l’exercice de la médecine" (art. 3) sans qu’il soit indiqué en quoi il consiste. Si l’explication
des fonctions des médecins n’a pas paru nécessaire, c’est sans doute parce qu’elles sont
considérées comme allant de soi »117. Si l’on interrogeait un individu lambda, il répondrait
sans doute que la fonction du médecin est celle de soigner. Soigner ou guérir d’ailleurs ? Il
conviendrait de s’interroger. L’exercice de la science médicale est-il trop uniquement orienté
à vouloir guérir alors que son rôle fondamental est de soigner ?118
Le médecin serait donc à l’évidence celui qui tente de préserver la vie de l’individu ou
plus exactement d’empêcher que ce dernier ne décède prématurément. Pour cela, le droit
autorise les médecins à porter atteinte au corps de la personne humaine. On s’interroge ensuite
si le médecin apporte son acte médical au corps ou à la personne. En droit, le rapport au corps
à la personne n’est pas aisé. Dans le langage courant, le fait de disposer de son propre corps
revient le plus souvent à dire que l’on s’en sert en toute liberté, révélant ainsi l’existence d’un
pouvoir effectif de l’individu sur lui-même 119 . Si cet état de fait ne peut être occulté, la
question se pose de savoir si, sur le plan juridique, il existe un droit de disposer de son corps
comme il existe un droit de disposer de ses biens ?
116
Le caractère sacré de la vie s’accorde avec une certaine morale professionnelle. De nombreux médecins
définissent naturellement leur mission comme celle de prolonger la vie, l’entretenir le plus longtemps possible.
Certains préfèrent le mot de conserver, plus neutre et plus prestigieux historiquement : il fait référence à
l’épisode souvent cité, où Bonaparte visite les pestiférés de Jaffa en compagnie de Desgenettes. Emu par leurs
souffrances, Bonaparte aurait demandé au médecin militaire de les achever, et Desgenettes aurait répondu :
« Mon devoir à moi, c’est de les conserver… ».
117
D. Thouvenin, Les avatars de l’article 16-3, alinéa 1er, du code civil, D. 2000, doct. p. 485.
118
M. Abiven, Ethique pour la mort, éd. Desclée de Brouwer, 1995, p. 20.
119
« Oui, mon corps est moi-même, et j’en veux prendre soin : Guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère ».
Molière, Les femmes savantes, II, 7, Chrysale.
- 48 -
Les publicistes reconnaissent l’existence d’un droit de l’homme à disposer de son
corps fondé sur « la liberté corporelle »120 ou « la liberté physique », et plus largement sur la
liberté individuelle, droit naturel et imprescriptible de l’homme. Une très large majorité de
civilistes cependant, préfère voir dans la faculté de disposer de son corps, un droit subjectif
attaché à la catégorie des droits de la personnalité. Ce droit étant reconnu par tous, la question
est de savoir si le corps est le prolongement de la personne humaine ou au contraire est-il une
chose ? Existe-t-il une dissociation entre la personne et son corps telle qu’elle est présentée
dans la philosophie cartésienne estimant que « Ce moi, c’est-à-dire par laquelle je suis ce que
je suis, est entièrement distincte du corps »121 ? Sommes-nous notre propre corps ou avonsnous un droit sur celui-ci que l’on pourrait qualifier de droit de propriété ?
Cela a conduit le droit à s’interroger sur la relation qu’entretient la personne avec son
corps122. Si la thèse de la propriété du corps, simplement réifié, a encore ses défenseurs123, elle
s’efface devant l’opinion dominante, qualifiée de « personnaliste » et issue en grand partie
d’une tradition religieuse et philosophique proclamant l’indivisibilité du corps et de l’esprit124.
Selon celle-ci, l’homme ne peut logiquement être propriétaire d’un corps qui n’est en réalité
que « le substratum de la personne »125. Le corps d’un homme vivant n’étant pas une chose,
mais bien au contraire la personne elle-même consacrer de ce fait l’existence d’un droit de
propriété sur le corps reviendrait à en faire à la fois un objet et un sujet de droits, ce qui ne
120
J. Rivéro et H. Moutouh, Libertés publiques, t.2, 7ème éd., P.U.F., Thémis Droit public, 2003, p.32, n° 25 et s ;
C. Leclercq, Libertés publiques, 5ème éd., Litec, 2003, p. 261, n° 333 et s.
121
Descartes, Discours de la méthode, 4ème partie, Bibliothèque de la Pléiade, Ed. Gallimard, 1953, p. 148.
122
Pour une étude générale du droit de disposer de son corps et de son fondement, V. la thèse de S. HennetteVauchez, Disposer de soi ? Une analyse juridique sur les droits de la personne sur son corps, préf. E. Picard,
L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2004, p. 104 et s.
123
A. David, Structure de la personne humaine, limites actuelles entre la personne et la chose, P.U.F., Paris,
1955 ; J.-P. Baud, L’affaire de la main volée, une histoire juridique du corps, Des travaux, Ed. du Seuil, 1993 ;
V. également du même auteur : Le corps, personne par destination, Mélanges dédiés à D. Huet-Weiller, PU
Strasbourg, LGDJ, 1994, p. 13 ; J.-C. Galloux, Essai de définition d’un statut juridique pour le matériel
génétique, th. Bordeaux I, 1988 ; B. Lemennicier, Propriété du corps, Droits, P.U.F., 1991, p. 118, n°13 : « Le
corps humain est un objet comme un autre dont le propriétaire est parfaitement identifié, et la notion prédite est
universalisable, tout être humain potentiel ou non, tout esprit incorporé dans une machine biologique ou non
bénéficie d’un droit de propriété sur cette machine parce qu’il en est l’occupant et qu’il en a la possession ».
124
Catéchisme de l’Eglise catholique, Plon, 1992, n° 364 : « Le corps de l’homme participe à la dignité de
l’image de Dieu : il est corps humain précisément parce qu’il est animé par l’âme spirituelle, et c’est la personne
humaine toute entière qui est destinée à devenir, dans le corps du Christ, le Temple de l’ Esprit ».
125
J. Carbonnier, Droit civil, Les personnes, Personnalité, incapacités, personnes morales, t. 1, PUF, coll.
thémis, 21ème éd. 2000, n°4 ; F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités,
7ème éd., Dalloz, 2005, p. 16, n° 17 : « Je ne suis pas propriétaire de mon corps, puisque mon corps c’est moi,
moi en tant que je suis une personne juridique. » ; A. Seriaux, Droit naturel et procréation artificielle, quelle
jurisprudence ? D. 1985, Chron., p. 53 : Le corps « n’est pas une chose relevant de l’avoir, il fait au contraire
partie du domaine de l’être ». On retrouve d’ailleurs la même idée chez des auteurs publicistes : J.-M. Auby,
Droit de la santé, P.U.F., Thémis, 1981, p. 251 : « Le corps humain n’est pas une chose, mais un des éléments de
la personnalité humaine à la valeur duquel il participe. ».
- 49 -
peut être admis 126 . Il faut donc reconnaître que le corps et la personne ne peuvent être
totalement dissociés et qu’en conséquence, la fonction du médecin touche à la fois le corps et
l’âme. Ce lien n’est cependant pas apparu de fait évident pour les praticiens et le droit
médical.
Les médecins et la société ont toujours vu en le praticien plus que celui qui soigne. Le
médecin est respecté et respectable parce qu’il a la connaissance et le pouvoir de vie. Cette
vision est renforcée parce que le médecin est voué à la vie. La médecine n’est-elle pas perçue
comme un sacerdoce ? Parallèlement, la société attend, plus que de tout autre, que le médecin
lui porte secours. Le médecin a plus que le droit de soigner, il en a le devoir. Et pour
permettre d’exercer son art, il a été admis depuis longtemps que le médecin a le droit de
porter atteinte au corps. Parce que le médecin est titulaire des diplômes nécessaires, il lui est
octroyé le droit de soigner le corps. Dans cette dimension, la médecine ne présente qu’un
caractère objectif : le soin du corps humain de la personne. Elle s’inscrit dans une vision
paternaliste et de santé publique. On ne peut cependant occulter la personne elle-même, le
médecin soigne un corps support d’une personne individualisée, qu’il a le devoir de secourir.
Par ailleurs, cette personne est désireuse aujourd’hui d’exister face au pouvoir médical. Le
médecin n’est donc pas seulement en charge d’un corps malade mais d’un patient. Ainsi, si le
médecin a le droit de soigner un corps (Section I), il a le devoir de soigner une personne
(Section II).
SECTION I - LE DROIT DU MEDECIN DE SOIGNER LE CORPS
Alors que toute atteinte portée à l’intégrité physique de la personne humaine est
condamnée par le droit pénal, le médecin est, lui, autorisé à porter atteinte au corps du
malade. Cette permission accordée au médecin doit être justifiée. Il est vraie que le médecin a
pour mission de préserver la vie. On s’interroge alors sur la valeur accordée à la vie qui
permette une telle autorisation. C’est pourquoi il convient de revenir sur les fondements de
l’activité médicale (§I). Le droit offert au médecin nécessite de lui reconnaître les moyens
d’agir (§II).
126
P. Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz, 1963, p. 370 : « L’idée que l’on puisse avoir un
droit sur soi-même est inintelligible : c’est une confusion entre le sujet et l’objet du droit. » ; X. Dijon, Le sujet
de droit en son corps, une mise à l’épreuve du droit subjectif, préf. de F. Rigaux, Travaux de la Faculté de droit
de Namur, n° 13, Larcier, Bruxelles, 1982, p. 667 : « C’est faire comme si cet objet pouvait appartenir à un autre
que ce sujet même ou, en d’autres termes, c’est faire comme si le sujet pouvait être en son corps un autre que
soi-même ».
- 50 -
§I – Les fondements du pouvoir médical
Le petit Larousse définit le médecin comme « la personne qui est titulaire du diplôme
de docteur en médecine et qui exerce la médecine », tandis que la médecine est définie
comme la « science qui a pour but de conserver ou de rétablir la santé ». Il faut donc s’en
remettre au Code de déontologie pour rechercher les obligations du médecin. Or, ce code
étant un texte à vocation professionnelle, son champ d’application recueille des devoirs
imposés aux médecins. Sa vocation première n’est pas de reconnaître des droits aux patients,
lesquels n’apparaissent qu’en ombre chinoises au travers des obligations proclamées.
Présentation noble de la profession médicale, ce texte impose au médecin de lutter contre la
mort (A). C’est que la vie a une valeur sacrée. Elle paraît comme le bien ultime. C’est la
raison pour laquelle il devient nécessaire de s’y intéresser (B).
A – Définition de la fonction première du médecin : préserver de la mort
Dans notre société, le médecin est le seul à pouvoir porter atteinte à l’intégrité du
corps humain, à condition toutefois qu’il le fasse dans l’intérêt strictement personnel du
patient sur lequel il intervient. C’est à la lecture du code de déontologie médicale127 que l’on
est le plus à même de tenter de définir la fonction du médecin. Le médecin est celui qui soigne
– et c’est pour lui un devoir – tout individu quelque soit son âge, sa condition, et ses coutumes
et croyances dans le respect des règles de la médecine et ce dans la dignité. Cette définition
est celle qui résulte de l’esprit des articles 2, 7, 9 et 12 du code de déontologie médicale.
Le médecin est au service de la personne humaine. En ce sens, l’article 2 dispose que « le
médecin, au service de l’individu et de la santé publique exerce sa mission dans le respect de
la vie humaine, de la personne et de sa dignité ». Tandis que l’article 7 énonce « le médecin
doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes
quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou
leur non appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou
leur état de santé, leur réputation ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’ils
peuvent éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne
doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. »
127
Code de déontologie médicale, 6 septembre 1995.
- 51 -
La fonction du médecin présente donc une double dimension, répondant à la fois à
une vision particulière, individuelle de la médecine mais aussi à sa fonction collective. Il
ressort des textes que le médecin est tenu d’un devoir de soins envers tout être humain, sans
discrimination. Il apparaît également que le médecin est un agent au service de la santé
publique. Cela est transcrit tout d’abord dans l’article 2, mais aussi à l’article 9 du code de
déontologie qui répète l’obligation de soins du médecin. A quoi serait utile cette redondance
d’avec l’article 7 ? L’article 9 dispose « Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade
ou d’un blessé en péril ou informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter
assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires ». Cet article a l’avantage de la clarté,
énonçant l’obligation pour le médecin de porter secours à toute personne. Mais il ne fait que
répéter ce qu’il fallait déjà déduire de l’alinéa 2 de l’article 7. L’article 9 semble davantage
renvoyer à l’obligation de soigner sanctionnée par le Code pénal au titre du délit de non
assistance en péril. Or, cette obligation de porter secours a un sens général en droit pénal en ce
sens où elle n’est pas réserver au médecin. Elle est une obligation de solidarité de tous envers
chacun. Elle est dès lors un objectif de préservation de l’ordre public plus spécialement de
santé publique. Il s’agit donc de préserver la vie et plus loin la santé des citoyens. Cette
conception est renforcée enfin par l’article 12, alinéa 1 qui précise : « le médecin doit apporter
son concours à l’action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la
santé et de l’éducation sanitaire ». Bien que le code de déontologie fasse directement
référence à la personne, il semble que cette préoccupation a longtemps été secondaire. Les
anciens codes de déontologie et autres traités de médecine ne s’intéressaient derrière ce terme
que dans sa dimension physique. Cette vision domine encore le Code de déontologie
aujourd’hui.
Il a fallu attendre la loi du 29 juillet 1994 pour que le corps humain soit désigné
explicitement dans un énoncé juridique ; est-ce à dire que jusqu’à cette date, le corps était
méconnu du droit ? La réponse est négative. Le corps était saisi de manière indirecte en cas
d’atteintes subies. Dans cette hypothèse, le droit prévoit que celui qui a porté atteinte à la vie
d’autrui ou à son intégrité physique peut être l’objet de sanction pénales. Dans sa rédaction
issue de la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, l’article 16-3 du code
civil dispose « il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de
nécessité thérapeutique pour la personne »128. Le texte pose donc un principe – l’interdiction
128
Le terme « thérapeutique » s’est vu substituer celui de « médicale » par le loi n° 99-641 du 27 juillet 1999
portant création d’une couverture médicale universelle, le premier terme ayant été jugé trop restrictif.
- 52 -
des atteintes à l’intégrité du corps humain – qu’il limite par une exception – la nécessité
thérapeutique pour la personne. Cet article entreprend de justifier les atteintes réalisées dans le
cadre de l’activité médicale.
Il faut par ailleurs, que le médecin ait agi avec le consentement libre et éclairé de son
patient129. Toutefois, tous les auteurs reconnaissent aujourd’hui que la justification ne résulte
pas du consentement du patient130, mais de l’autorisation spéciale de la loi qui habilite les
praticiens à intervenir pour soigner ou guérir131. L’article 16-3 n’a fait que consacrer cette
interprétation en disposant qu’il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en
cas de nécessité médicale 132 . L’inconscience du malade n’empêche pas l’intervention du
médecin lorsque cette dernière obéit à une finalité thérapeutique. A contrario, si l’intervention
n’a pas de but curatif, le consentement semble insuffisant à la justifier133.
129
Le consentement sera plus largement étudié à l’occasion du refus de soins. Nous partirons du postulat que ce
dernier a toujours été régulièrement donné.
130
V. par exemple, R. Tahon : « Si c’était le consentement du patient qui assurait l’impunité du médecin,
comment ce même consentement donné à un individu qui ne serait pas médecin n’aurait-il pas pour conséquence
la même impunité ? De même tous les actes du médecin seraient licites à condition que le malade y ait
consenti. », Le consentement de la victime, R.D.P.C., 1950-1951, p. 338.
131
J. Pradel : « […] la justification se fonde en réalité sur l’autorisation de la loi et de la coutume, non sur le
consentement de la victime. La chose est évidente dans le cas du chirurgien qui peut parfaitement se passer de
l’accord du patient, par exemple en cas d’urgence et dont l’action n’est justifiée que par une permission de la loi
qui autorise tout titulaire du diplôme en médecine à accomplir sur le corps humain des actes destinés à guérir ;
c’est pourquoi la justification est exclue quand le praticien agit non dans l’intérêt thérapeutique du malade, mais
à des fins expérimentales ou esthétiques, même avec l’accord du patient. », Traité de droit pénal et de science
criminelle comparée, 12e éd., Cujas 1999. V. également R. Garrraud, Précis de droit criminel, 14e éd., Sirey,
1926, p. 68, n° 79 ; R. Vouin et J. Léauté, Droit pénal et criminologie, Thémis, 1956, p. 232/233 ; R. Merle et A.
Vitu, Traité de droit criminel, T. 1 : droit pénal général, 7e éd. Cujas, 1997, p. 603, n° 478.
132
L’exigence d’une fin thérapeutique constitue, selon A. Decocq, la cause du contrat médical : « La fin
économique (au sens large du terme) du contrat médical est guérison ou l’amélioration de l’état du malade […].
Cette fin constitue une cause licite qui légitime les atteintes à la personne prévues par le contrat. », Essai d’une
théorie générale des droits sur la personne, Préface G. Levasseur, L.G.D.J., Coll. Bibl. dr. privé, T. 21, 1960, p.
298, n° 434. Dans le même sens, R. Saury : « La cause du contrat médical est donc l’intérêt exclusif du malade.
Si l’objectif est détourné de cette finalité, la cause du contrat cesse d’être légitime. […] Le but légitime de l’acte
médical c’est en définitive l’intérêt exclusivement thérapeutique. », L’éthique médicale et sa formulation
juridique : approche médico-juridique des grands problèmes d’éthique : de la nécessité de la loi, éd. Sauramps
médical, Montpellier, 1991, p. 38.
133
Le consentement en droit pénal est traditionnellement indifférent. V. Par exemple, la célèbre jurisprudence
des stérilisateurs de Bordeaux (Crim, 1er juillet 1937, S. 1938, I, 193, note R. Tortat.). La cour d’appel, après
avoir rappelé que le consentement ne pouvait être reconnu comme une excuse absolutoire, elle estima que
l’intervention ne pouvait être davantage justifiée par une quelconque utilité médicale : « Attendu que les trois
personnes ne sauraient invoquer le consentement des opérés comme exclusif de toute responsabilité pénale,
ceux-ci n’ayant pu leur donner le droit de violer, sur leur personne, les règles régissant l’ordre public ; que c’était
évidemment les violer que d’accomplir sciemment de telles lésions corporelles que ne justifiait impérieusement
aucune nécessité médicale ou chirurgicale et que Bartosek n’avait aucune qualité pour entreprendre… ».Cette
exigence a pu, par exemple, se retrouver dans le domaine du transexualisme, l’opération consistant à changer le
sexe du patient devant être le dernier remède pour lutter contre son état pathologique. Après avoir rappelé que le
médecin « jouit d’une immunité légale dans la mesure où son intervention est justifiée par un intérêt
thérapeutique », la Cour d’appel d’Aix-en-Provence condamna les chirurgiens qui avaient « oublié l’intérêt du
patient pour satisfaire leur curiosité scientifique », 23 avril 1990, J.C.P. 1991.II.21720, note G. Mémeteau ; D.
Thouvenin, De la qualification de l’acte thérapeutique à son contrôle, D. 1991, chron. XLIII ; Rev. sc. crim.,
- 53 -
Les règles en question sont des règles de responsabilité pénale qui visent des
comportements qui sont jugés répréhensibles parce qu’ils mettent en jeu la vie des individus,
alors que notre société attache un prix particulier à la protection de la vie humaine. Ces
dispositions prennent donc en considération la personne au travers de son corps, lorsque ce
dernier est touché par autrui. Or, les médecins ont, à partir du XVIe siècle, par le biais de
l’étude anatomique du corps, séparé ce dernier de la personne qu’il incarne. En distinguant
l’homme de son corps, il a été possible d’envisager ce dernier « comme un en soi ». Ce
clivage a permis à la médecine clinicienne, qui s’est ultérieurement développée, de construire
un rapport au patient dans le cadre d’une approche anatomo-clinique du corps du malade : les
médecins soignent moins une personne malade, qu’un corps malade, même s’il est acquis que
quand ils interviennent sur le corps d’un individu, c’est bien pour le soigner, et donc dans son
intérêt. Mais le fait d’avoir affaire de manière objective au corps permet d’écarter la personne
dont il est le substrat, gommant ainsi la dimension subjective de l’individu. Il n’est dès lors
plus pris en compte que le corps et la vie de façon totalement objective. Niant la personne, le
médecin est un professionnel qui règle, répare, accorde une machine : le corps humain.
Il apparaît que le médecin a donc le devoir de soigner un individu dans son intérêt
particulier et celui de la société. Pour cela, il a le droit de porter atteinte au corps. Dans cette
dimension, les médecins ont perdu de vue la personne pour ne soigner que le corps car le but
de la médecine est de préserver la vie, perçue uniquement dans son aspect biologique. Si cela
semble critiquable, nous avons oublié peut-être à quel point, jusqu’à une époque récente,
l’impératif naturel de toute médecine était la lutte pour la vie contre la mort, à quel point le
prolongement de la vie constituait une attitude normale, légitime, dans l’espace étroit laissé
par l’efficacité thérapeutique. Dès lors, en ces circonstances, l’objectif premier de la médecine
était la recherche de l’efficacité et nul obstacle ne s’aurait se mettre en travers du chemin du
médecin cherchant à préserver la vie.
De manière plus contestable, cette attitude était également celle des médecins face à la
douleur des mourants. Roselyne Rey note justement le conflit de deux éthiques : l’une «qui
fait de la vie la valeur suprême », l’autre « qui ne veut pas de la vie à n’importe quel prix, en
1991.565, obs. Levasseur ; Gaz. Pal. 1990, 2, jur., p. 575, note Doucet. Et Crim. 30 mai 1991, Bull. crim. n° 232,
Rev. sc. crim., 1992. 74, obs. Levasseur.
- 54 -
particulier de la douleur »134. L’historien qui fréquente la littérature médicale sur la question
ne peut qu’être frappé par l’influence, longue et quasi incontestée, du premier modèle. Il suffit
pour s’en convaincre de voir comment se définit incidemment la mission du médecin dans les
débats autour de la médicalisation de l’agonie : partout il n’est question que de lutter, d’abord
et avant tout. Un échantillon de cette pensée unique : le but de l’art médical est de « reculer le
plus possible le moment de la mort » (1850) ; « reculer le plus possible l’échéance fatale »
(1890) ; « Lutter encore, lutter toujours pour la vie » (1904) ; « retarder l’échéance par tous
les moyens que la science lui fournit » (1905) ; « conserver, défendre ou prolonger la vie
humaine »135 (1913) ; qu’on n’aille pas croire qu’il s’agit là d’un archaïsme du XIXe siècle ;
au XXe siècle, cette conception « vaillante » – il est vrai de plus en plus contestée – se
maintient comme une sorte d’évidence, de dogme : le médecin reste celui qui « doit lutter
contre la mort jusqu’à la dernière extrémité » (1931), s’oblige à « prolonger jusqu’à cette
dernière seconde la flamme vacillante » (1934), « entretenir la flamme de la vie jusqu’à la
dernière minute » (1936) ; après la guerre, même, nombreux sont encore ceux pour qui la
« ligne de conduite, rigide est de lutter désespérément, de conserver contre toute
espérance »136. Enfin, en 1962 encore, Barrère et Lalou citent ces « patrons » qui affirment
presque unanimement : « Notre devoir et notre raison d’être sont de maintenir la vie envers et
contre tout, envers et contre le malade, envers et contre nous-mêmes s’il le faut ! »137.
Certes personne ne conteste aux médecins la tâche de lutter, à travers la maladie contre la
mort ; mais il s’agit ici d’une ensemble de citations extraites de débats où il est question de
mourants. C’est dire si la lutte pour la vie constitue la fonction première, fondamentale du
médecin. Si dans ces débats, il existe des conceptions plus nuancées, elles restent largement
minoritaires jusqu’à la première Guerre mondiale au moins. Comme le résume un médecin en
1914 : « Le rôle du médecin, sa raison d’être, sa devise tiennent en ce mot : Guerre à la mort !
et non pas : Guerre à la souffrance »138.
134
R. Rey, Histoire de la douleur, 1993, p. 202.
Bouisson, Traité théorique et pratique de la méthode anesthésique…, 1850, p. 548 ; Dastre, Les
Anesthésiques, 1890, p. 62 ; Morache, Naissance et mort, 1904, p. 218 ; Corriveaud, « L’euthanasie et les
médecins », Journal de la médecine de Bordeaux, 1905, p. 607 ; Variot, Gazette médicale de Paris, 1913, p. 401.
cité par A. Carol, Les médecins et la mort, Aubier, coll. Historique, 2004, p. 84.
136
Pineau-Valencienne, La mort par pitié, étude médico-légale, 1931, p. 37 ; Voivenel, Le Médecin devant la
douleur et la mort, 1934, p. 196 ; Eisenberg, La mort est-elle un remède licite à la souffrance ?, 1936, p. 10 ;
Déorbert, « L’euthanasie », Cahiers Laennec, 1949, p. 22, cité par A. Carol, Les médecins et la mort, Aubier,
coll. Historique, 2004, p. 83.
137
Barrère et Lalou, Le Dossier confidentiel de l’euthanasie, 1962, p. 148, cité par A. Carol, Les médecins et la
mort, Aubier, coll. Historique, 2004, p. 83.
138
Boulai, Gazette médicale de Paris, Janvier 1914, p. 17. cité par A. Carol, Les médecins et la mort, Aubier,
coll. Historique, 2004, p. 84.
135
- 55 -
Il ressort de cet ensemble que le médecin est là pour servir la vie envers et contre tout,
à n’importe quel prix. La volonté du malade n’est pas prise en compte. Si le médecin doit
lutter pour la vie lorsque le malade est en fin de vie, a fortiori, cette exigence est renforcée
lorsque le malade ne l’est pas. Dès lors, il paraît incongru d’exiger son consentement. À peine
se contente-t-on donc de son acquiescement passif. Le médecin a la droit de soigner car le
médecin est le gardien de la vie. Or, la vie est la valeur suprême de notre société, le droit a la
vie étant le droit le plus fondamental. Elle justifie la permission accordée au médecin.
B- La justification de la mission du médecin : la protection de la vie
S’il faut se résigner à l’inévitable puisque l’immortalité est inaccessible, le droit ne
reste pas indifférent à l’égard des comportements qui mettent en péril la vie d’autrui139. Exalté
par les conventions internationales protectrices des droits de l’homme, le droit à la vie est
celui sans l’exercice duquel tous les autres droits ne seraient que pure illusion. Figure
emblématique du respect de la personne humaine, le droit à la vie « doit être protégé par la
loi ». Cette obligation de protection qui pèse sur les Etats contraint ces derniers à mettre en
place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes à la vie140. Une
telle exaltation de la vie justifie qu’on la défende aussi contre d’autres agressions telle la
maladie. La valeur accordée à la vie dans notre société (1) conduit à l’existence d’un droit
plus effectif : le droit à la santé. Ces exigences de protection sociétales permettent d’autoriser
le médecin à porter atteinte au corps et expliquent l’étendu de son pouvoir (2).
1- Définir le droit à la vie
Si le médecin est autorisé à intervenir sur le corps du patient, c’est parce qu’il
contribue à protéger la vie. Or, le droit à la vie est considéré comme un des droits les plus
importants si ce n’est le premier droit de tout individu. Il est considéré comme une des valeurs
fondatrices de notre société141. Affirmé en tout premier dans la Convention européenne des
droits de l’homme142, ce droit apparaît être le droit le plus fondamental de l’homme143. Il
139
V. F. Debove, La mort et le droit pénal, Gaz. Pal., 2 août 2007, p. 2 et s..
En ce domaine, la vigilance du législateur dépasse d’ailleurs l’homme puisque l’animal, autre être vivant, se
trouve également placé sous la protection de la loi répressive. V. singulièrement les articles 521-1 et 521-2 du
Code pénal réprimant les sévices graves et les actes de cruauté envers les animaux.
141
V. par exemple, Com. EDH, 21 mai 1969, X. c/ Belgique, An Conv. V. 12, p. 193.
142
Cette supériorité du droit à la vie sur les autres droits fondamentaux a également été reconnue par d’autres
instances internationales. Par exemple, le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU qui qualifie ce droit comme
« le droit suprême de l’être humain » (4 avril 1985, Baboeram c/ Surinam, n° 146/1983, A/40/40, §697, cité par
140
- 56 -
constituerait une composante de l’ordre public européen 144. Cette analyse est partagée par
l’ensemble de la doctrine145. Cette première place s’explique surtout par le fait qu’il est la
condition sine qua non pour que les autres droits puissent exister146. En effet, protéger les
autres droits et permettre des atteintes à la vie serait paradoxal. Seule la protection de la vie
garantit l’effectivité des autres droits. Pourtant, le droit à la vie est un droit difficile à
délimiter.
Envisagée d’abord comme un don de Dieu147, la vie de l’homme devrait être protégée
au titre de sa valeur sacramentelle148. Tout homme qui intentait à la vie d’autrui ou à sa propre
vie commettait un sacrilège. La religion a permis de véhiculer la notion de droits de l’homme
en particulier au travers d’interdits comme le témoigne le décalogue149. Ce fondement fut
toutefois critiqué notamment suite à la dérive des monarques. Ces derniers, se prétendant
représentant de Dieu sur terre, avaient alors droit de vie et de mort sur leurs sujets. Cependant,
était déjà lié la notion d’Etat et de vie. Conçue ensuite par le droit naturel comme étant une
qualité intrinsèque de la personne 150 , il fallut trouver un autre fondement à sa protection.
F. Sudre, in Droit international et européen des droits de l’homme, coll. Droit Fondamental, 6ème éd., PUF, 2003,
p. 205.). Le droit à la vie, par son objet, fait parti de ce que l’on a coutume d’appeler le « noyau dur des droits de
l’homme » (E. Pire, La protection du droit à la vie devant la Cour européenne des droits de l’homme, L’Astrée,
n° 17, janv. 2002, p. 25.). Ce noyau dur correspond aux droits qui sont « reconnus, en des termes très proches,
par les trois principaux instruments internationaux de protection des droits de l’homme : Déclaration Universelle,
Convention européenne, et Convention américaine ». Le droit à la du vie est encore visé par l’article 6 du Pacte
international des droits civils et politiques qui dispose : « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine ».
Selon Mes. Velu et Ergec, cette rédaction démontre que « le droit à la vie préexiste à l’Etat qui le protège et ne
le confère point » (La convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, éd. Bruylant, 1990, p. 172.).
143
Le droit à a vie qui « se place […] parmi les articles primordiaux de la Convention […] et consacre une des
valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe ». Cour EDH, 7 juillet
1989, Soering c/ Royaume-Uni, §87 ; 23 mars 1995, Loizidou c/ Turquie, §72 ; 27 sept. 1995, Mc Cann c/
Royamume-Uni, A-324, Journ. Dr. Int. 1996 p. 25 obs. E. Decaux et P. Tavernier, Rev. sc. crim. 1996 p. 1984
obs. L.E. Pettiti ; JCP 1996-I-3910 n°8 obs. F. Sudre ; Rev. sc. crim. 1996 p. 462 obs. R. Koering Joulin. Plus
récemment, dans l’arrêt Streletz, Kessler et Krenz c/ Allemagne du 22 mars 2001, la Cour affirme que « le droit à
la vie constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et qu’il forme la valeur suprême dans l’échelle des
droits de l’homme », 22 mars 2001, §§ 72 et 94. Adde « Droit à la vie et répression du terrorisme », Rev. Trim.
Dr. Homme 1996 p. 252 et s.
144
La Convention veut d’ailleurs être un « instrument constitutionnel de l’ordre public européen », CEDH, 23
mars 1995, Loizidou c/ Turquie, §75, A. 324, GACEDH, n° 1.
145
J.-F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, L.G.D.J., 3e éd., n° 43 et s.
146
Dans l’arrêt Pretty c/ Royaume-Uni du 29 avril 2002, la Cour rappelle que « parmi les dispositions de la
Convention qu’elle juge primordiales[…] elle accorde la prééminence de l’article 2 […] sans lequel la jouissance
de l’un quelconque des autres droits et libertés serait illusoire », 29 avril 2002, §37, JCP G 2003, II, 10062, obs.
C. Girault. Cette jurisprudence sera plus amplement développée ultérieurement.
147
Genèse 2, 7 « Dieu donna la vie à l’homme en lui soufflant dans les narines un souffle de vie ».
148
Si l’on admet que la personne humaine est une création de Dieu, et que Dieu en est le maître, seul lui a
pouvoir de vie et de mort. En conséquence, la personne n’est que dépositaire de sa vie et de son corps, comme
est soumise à Dieu, sa volonté.
149
Décalogue offert à l’homme par l’intermédiaire de Moïse, Exode 20, 13 « Tu ne commettras pas de meurtre ».
150
Certains ont alors fait valeur que l’homme était nature. V. R. Martin, Personne, corps et volonté, D. 2000,
Chron. p. 505. n° 7.
- 57 -
Ainsi, au XVIIIe
siècle, si la vie conserve cette valeur fondamentale, ce n’est plus en
référence à la conception judéo-chrétienne, mais parce qu’elle découle de la Dignité humaine.
L’Homme, doué de raison, se distingue de l’animal. Il appartient à l’espèce humaine151. Or, le
simple fait d’appartenance à l’Humanité impose le respect de la personne. Mes. Seriaux,
Sermet et Viriot-Barrial exposent qu’il faut protéger la vie car « c’est aussi – par un bien
légitime détour – protéger l’humanité dans son ensemble, qui a besoin de la vie de chacun
d’entre nous »152. L’impératif Kantien démontre l’importance du respect de la valeur humaine
dans sa réciprocité 153 . La protection de la vie ne tient pas au fait qu’une personne est
indispensable, mais parce que l’on interdit à tous une atteinte à la vie de l’autre, on préserve
l’humanité. Ne pas respecter l’homme, c’est bafouer l’humanité toute entière 154 . Chaque
individu est porteur de l’espèce et doit se plier à la sauvegarde l’espèce. Il porte en soi
l’intégrité et le dignité de l’humanité 155 . Sa conduite doit être conforme à la finalité de
l’espèce. En ce sens, le droit à la vie apparaît comme une conséquence de la Dignité donc
chaque individu est titulaire156. Inscrite dans une société politique, la personne, porteuse de
vie, mérite protection. Elle est aussi un acteur social.
Le droit à la vie apparaît tellement fondamental qu’il dépasse la protection étatique
pour une protection universelle 157 . Le droit à la vie devient une norme jus cogens 158 . La
Convention européenne des droits de l’homme159 offre le meilleur angle de vue sur le droit à
151
Nous retrouvons cette notion à l’article 16-4 du Code civil : « Nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de
l’espèce humaine ».
152
A. Seriaux, L. Sermet, et D. Viriot-Barrrial , Droits et libertés fondamentaux, Ellipses, 1998, p. 28
153
Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Flammarion, n° 715, p. 150 : « Agis de telle sorte que tu
traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps
comme une fin et jamais seulement comme un moyen ».
154
Ce fondement a été repris dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 27 octobre 1995, Ville d’Aix-en-Provence, et
Commune de Morsang-sur-Orges, RFDA, 1995, p. 1204, concl. Frydman ; JCP, 1996, II, n°22630, note Hamon ;
à propos des « lancer de nains ».
155
« Il faut que l’homme en soi et un homme admettent que une seule et même définition, celle de l’homme. »,
Aristote, Ethique à Nicomaque, I, VI, 5, trad. J. Volquin, Flammarion.
156
La personne n’a donc en ce sens pas l’usage non plus de son corps comme dans la vision divine. V. X ;
Labbée, Esquisse d’une définition civiliste de l’espèce humaine, D. 1999, Chron. p. 437.
157
L’Etat ne protège pas toujours la vie comme l’histoire a pu le démontrer. Or, si les individus se sont unis,
c’est pour protéger la vie. « Le pouvoir est volontairement institué pour l’exécution d’un ministère, pour
l’accomplissement de finalités dont la principale est la préservation de l’homme » : J. Mourgeon, Les droits de
l’homme, coll. Que sais-je ? , n° 1720, 8ème éd., P.U.F., 2003, p. 26.
158
L. Sermet, Le droit à la vie, valeur fondamentale des sociétés démocratiques, et le réalisme jurisprudentiel,
RFDA, sept.-oct. 1999, p. 988.
159
G. Guillaume, Article 2, in L. E. Pettiti, E. Decaux, et P.H. Imbert (dir.), La Convention européenne des
droits de l’homme, Economica, 2e éd.., 1999, p. 143. F. Gölcüklü, Le droit à la vie dans la jurisprudence de la
CEDH, Mél. Pettiti, Bruylant, 1999, p. 415 et s. ; F. Sudre, Les incertitudes du juge européen face au droit à la
vie, Mél. Mouly, Litec 1998, p. 375 et s ; J. F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, L.G.D.J., 3e éd.,
2002, p. 77 et s. ; F. Tulkens, Le droit à la vie et le champ des obligations des Etats dans la jurisprudence récente
de la Cour européenne des droits de l’homme, Rev. trim. D. H., 2004, p. 1605 et s ; S. Pruvost, Droit à la vie,
- 58 -
la vie. Elle dispose en son article 2 que « le droit de tout individu à la vie est protégé par la
loi »160. Le droit à la vie étant inhérent à l’individu, il doit être protégé par les Etats. Monsieur
Sudre explique qu’il est « au premier chef opposable à l’Etat » puisque « le principe est que la
Convention règle les rapports entre l’Etat et l’individu et vise à protéger les individus contre
une ingérence des pouvoirs publics dans leurs droits »161. L’Etat doit par conséquent prendre
les mesures adéquates pour éviter le décès d’une personne, que ce décès résulte d’un acte
intentionnel ou involontaire. La protection par l’Etat est donc relativement étendue dans les
rapports entre l’autorité et les individus. Mais en outre, le droit vaut pour les individus entre
eux. En effet, l’article 2 s’applique également dans les rapports entre particuliers : c’est l’effet
horizontal dégagé par la jurisprudence. Dans les relations inter-individuelles, l’Etat doit
veiller à ce que ce droit ne pas violé.
A ce titre, le droit à la vie a été mis à mal dans le contexte de la fin de vie, donc de la
mort. La Cour européenne des droits de l’homme162 a du en effet répondre à la question de
savoir si, et dans quelles circonstances, le fait d’abréger la vie d’une autre personne peut se
justifier par le fait que cela correspond au souhait ou à l’intérêt de celle-ci. Le principe du
caractère sacré de la vie doit-il alors céder devant le principe de l’autodétermination qui exige
que l’on respecte les souhaits du malade ? En d’autres termes, on s’interroge sur l’existence
d’un éventuel droit à la mort à côté du droit à la vie. Dans cette perspective, Mme Pretty,
atteinte d’une maladie neuro-générative incurable, souhaitait mettre fin à ses jours avec l’aide
de son mari. N’ayant pu obtenir gain de cause devant les juridictions britanniques, elle portait
l’affaire devant la juridiction européenne. S’agissant du droit à la vie, elle soutenait que
l’autoriser à se faire aider pour mettre un terme à son existence ne serait pas contraire à
l’article 2 de la Convention qui garantirait non seulement le droit à la vie, mais également le
droit de choisir de continuer ou de cesser de vivre. La Cour européenne rejetait cette
argumentation. Elle considère que « le droit à la vie » garanti par l’article 2 ne peut
s’interpréter comme comportant un aspect négatif et qu’il ne saurait dès lors « sans distorsion
de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit
Droit à une qualité de vie, Mémoire de Master 2, sous la co-direction de Mme Dekeuwer-Defossez et M.
Dupuis, Université de Lille II, 2003-2004.
160
L’article 2 comporte également des restrictions exceptionnelles. En effet, malgré son importance, le droit à la
vie n’est pas absolu. Ces atteintes sont au nombre de quatre et semblent justifiées par un intérêt général. V. J.-F.
Renucci, Droit européen des droits de l’homme, L.G.D.J., 3e éd., 2002, p. 88, n° 48 et s.
161
F. Sudre, Les incertitudes du juge européen face au droit à la vie, in Mélanges Christian Mouly, Litec, 1998,
p. 381.
162
V. par exemple O. De Schutter, L’aide au suicide devant la Cour européenne des droits de l’homme, Rev.
trim. D.H., 2003, p. 71 et s. L’arrêt Pretty sera plus largement développé en la seconde partie de l’ouvrage.
- 59 -
de mourir ; il ne saurait davantage créer un droit à l’autodétermination en ce sens qu’il
donnerait à l’individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie » (§39)163. En conséquence,
la Cour fait prévaloir le caractère sacré de la vie, qui implique son inviolabilité par autrui et
considère qu’il n’est pas possible de déduire de ce texte un droit à mourir, que ce soit de la
main d’un tiers ou avec l’assistance d’une autorité publique.
Dès lors, le droit à la vie n’est entendu que dans un sens positif c’est-à-dire opposé à la mort.
Le droit à la vie, tel qu’il a été retenu par le droit, est celui de protéger « la vie pour la vie ».
De plus, le vie présente un caractère sacré. Elle justifie des interventions pour la protéger. Par
suite, la fonction traditionnelle du médecin apparaît celle de protéger la vie contre la mort. La
mort ne saurait être comprise dans ce droit à la vie et donc entrer par ce biais dans le rôle du
médecin. La mort est « l’adversaire ». L’objectif de l’Etat est de protéger cette vie, même
contre la volonté de la personne. Pour le médecin, il a l’obligation de soigner en ce sens. Le
premier des impératifs médicaux implique que tout soit médicalement tenté pour améliorer la
santé du patient, pour lui permettre de recouvrer une intégrité physique ou morale
satisfaisante et pour augmenter son espérance de vie. A cet égard, le nouvel article L. 1110-5
du Code de la santé publique, ajouté par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, précise que les
professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer une
vie digne jusqu’à la mort ». De nombreux auteurs en ont déduit que cette disposition se
présente donc comme une obligation pesant sur les professionnels de santé : soigner ne peut
donc consister à donner la mort164. D’ailleurs, l’article 38 du Code de déontologie médicale
précisait déjà que le médecin « n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».
Il est clairement admis que les obligations qui découlent de l’article 2 de la convention
sont à la fois des obligations négatives et positives. Il s’agit d’une part de s’abstenir de
provoquer la mort, ce qui en soit n’intéresse pas le droit à la santé qui découle de l’article 2, et
d’autre part, de prendre des mesures nécessaires à la protection de la vie. La première
obligation qui consiste en une abstention, est négative et passive. La seconde, qui consiste en
une action, peut être qualifiée de positive ou d’active 165 . S’agissant de cette dernière, les
autorités peuvent, dans certaines circonstances, être contraintes de prendre préventivement
163
CEDH, 29 avril 2002, D. Pretty c/ Royaume-Uni, §39.
V. par exemple, E. Chvika, Euthanasie : le droit au suicide assisté doit-il être ajouté sur la liste des droits de
l’homme ? (à propos de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 29 avril 2002, Diane Pretty c/
Royaume-Uni, Dr. famille 2003, p. 7, spéc. p. 9.
165
V. F. Tulkens, Le droit à la vie et le champ des obligations des Etats dans la jurisprudence récente de la Cour
européenne des droits de l’homme, Rev. trim. D. H., 2004, p. 1605 et s. – F. Tulkens et S. Van Drooghenbroeck,
La Cour européenne des droits de l”homme depuis 1980. Bilan et Orientations , in En tich het rechr, W.
Debeuckelaere, et D. Voorhoof (éds.), Tegenspraak, cahier 23, Bruges, Die Keure, 2003, p. 218 et s.
164
- 60 -
des mesures pour protéger les personnes dont le droit à la vie est menacé166. D’un autre côté,
l’Etat peut aussi être tenu de mettre en place des législations ou de prévoir des mécanismes
judiciaires ou non judiciaires susceptibles d’en prévenir, d’en réprimer, voire de sanctionner
les violations 167 . La Cour européenne des droits de l’homme décide ainsi que l’Etat doit
apporter aux personnes des soins médicaux 168 , et prendre les mesures nécessaires à la
protection de la vie169. Elle précisait ainsi « ces principes s’appliquent dans le domaine de la
santé publique » 170 . Allant plus avant, la Cour européenne des droits de l’homme estime
même que l’Etat peut, dans des circonstances exceptionnelles, avoir une obligation positive de
protéger les personnes contre leurs propres actes. Etaient naturellement visés les suicides171.
Les obligations pesant sur l’Etat en matière de santé publique et de préservation de la vie
restent des obligations de moyens et non de résultat. Ce sont de plus des obligations
raisonnables, c’est-à-dire « de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau
insupportable ou excessif »172. Cette solution est bien compréhensible puisqu’à l’impossible
nul ne peut être tenu. Ainsi, par exemple, la Cour E.D.H. estimait que, dans un contexte où le
risque pour la personne résulte d’un préjudice qu’elle se porterait à elle même, tel que dans le
cas d’un suicide, il doit être établi que les autorités connaissaient ou auraient dû connaître, en
temps opportun, l’existence d’un risque réel et immédiat pour la vie d’une personne
déterminée, et dans l’affirmative qu’elles ont manqué de prendre les mesures qui étaient dans
leur pouvoir et qui pouvaient raisonnablement être attendues d’elles pour éviter la réalisation
de ce risque173. L’importance du droit à la vie a pour conséquence de voir l’Etat engager sa
responsabilité lorsqu’une personne a choisi de ne plus vivre. Le suicide est, il est vrai,
uniquement perçu comme le résultat d’une maladie psychologique.
166
Il s’agit de ce que S. Van Drooghenbroeck appelle les « obligations positives matérielles », La convention
européenne des droits de l’homme. Trois années de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
1999-2001, Bruxelles, Larcier, Les Dossiers du Journal des tribunaux, n° 39, 2003, p. 29 et s.
167
Il s’agit des « obligations positives procédurales ». ibid.
168
CEDH, 10 mai 2001, Chypre c/ Turquie, §219. Sur ce point, V. P Tavernier « En marge de l’arrêt Chypre
contre la Turquie : l’affaire chypriote et les droits de l’homme devant la Cour de Strasbourg », Rev. trim. D.H.,
2002, p. 831-832.
169
CEDH, 21 mars 2002, Nitecki c/ Pologne, p. 5.
170
CEDH, 17 janvier 2002, Calvelli et Ciglio c/ Italie, §49.
171
CEDH, 16 novembre 2000, Tanribilir c/ Turquie et 3 avril 2001, Kennan c/ Royaume-Uni.
172
Osman c/ Royaume-Uni, 28 octobre 1998, § 116. La Cour en déduit que « toute menace présumée contre la
vie n’oblige pas les autorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en prévenir la
réalisation ».
173
V. Kennan c/ Royaume-Uni, 3 avril 2001 et Younger c. Royaume-Uni, 7 janvier 2003. Il s’agissait dans les
deux espèces de suicides en prison. V. Pour de plus amples développements, F. Tulkens, Le droit à la vie et le
champ des obligations des Etats dans la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme, op.
cit., pp. 1617-1620.
- 61 -
L’atteinte à la vie implique une responsabilité. Dans les rapports horizontaux, c’est-àdire entre particuliers, la Cour EDH rappela le principe de la subsidiarité du droit pénal. Ce
principe implique de ne pas recourir au droit pénal, chaque fois que l’on pourrait atteindre le
même but, par des moyens plus doux. Dans le cadre de la santé publique, la Cour estime que
le recours au droit pénal n’est pas nécessaire, sa fonction dissuasive étant incertaine. Ainsi,
par l’arrêt Calvelli et Ciglio c/ Italie du 17 janvier 2002, la Cour estime que « si l’atteinte au
droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas volontaire, l’obligation positive découlant de
l’article 2 de mettre en place un système judiciaire efficace n’exige pas nécessairement dans
tous les cas un recours de nature pénale. Dans le contexte spécifique des négligences
médicales, pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en
cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement
avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des
médecins en cause, et le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile
appropriée, tels le versement de dommages-intérêts et la publication de l’arrêt. Des mesures
disciplinaires peuvent également être envisagées »174. La Cour expose ainsi les bases de la
responsabilité du médecin, pour lequel la responsabilité pénale ne semble pas devoir être
envisagée, dans le cadre de sa fonction traditionnelle de protéger la vie contre la mort. La
finalité de l’action médicale exclurait donc un répression sévère du médecin en cas de faute. Il
existerait ainsi « une prime à la bonne volonté ». Cette vision est partagée par de nombreux
juriste. Comme nous le verrons, cette conception n’est cependant pas celle retenue par notre
droit.
Le juriste n’a donc fourni que des réponses émotionnelles ou répondant à une vie
sociétale pour définir le droit à la vie. Le droit à la vie sera voué à une constante évolution ou
indétermination parce que nourri de progrès scientifiques qui devront se conjuguer avec une
morale et les valeurs défendues par le groupe social. Nonobstant, la vie méritera toujours
protection. La protection de la vie par l’Etat lui impose naturellement des obligations
négatives, c’est-à-dire de ne pas faire. Mais, pour être effectif, l’article 2 oblige aussi l’Etat à
des mesures positives175. L’Etat doit ainsi prendre « les mesures nécessaires à la protection de
174
Calvelli et Cigio c/ Italie, 17 janvier 2002, §51. Dans le même sens : Buzmova c/ Bulgarie, n° 36225/02,
décision d’irrecevabilité (comité) du 7 mars 2003.
175
Comme l’explique F. Sudre, « La convention ne s’arrête pas à une approche défensive des droits de l’homme
et n’hésite pas à lier l’exercice de certains droits à des prestations positives de l’Etat », Les obligations positives
dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme, RTDH, 1995, p. 364.
- 62 -
la vie »176. Par suite, le droit à la vie va nécessairement comprendre un droit moins ambitieux
mais plus pragmatique : un droit à la santé. Le droit à la vie implique une obligation de soins,
une politique de santé publique qui passe par le médecin.
2- Le médecin chargé du respect d’un devoir de santé
Traditionnellement, le médecin exerçait essentiellement une mission curative. Son
action était donc justifier par la protection du droit à la vie. Il avait pour rôle de soigner et de
guérir les souffrances, d’élaborer un diagnostic et d’indiquer à ses patients la meilleure
thérapeutique possible. Le médecin joue à ce titre un rôle fondamental dans la protection du
droit à la santé mais aussi de la santé publique, qui n’a pas simplement une portée individuelle
mais aussi collective (a). Ce rôle va être complété du fait des progrès médicaux. Puisque la
médecine ne semble plus devoir se résumer à un enjeu de vie et de mort, « la bonne santé »
paraît acquise. Les effets bénéfiques se font ressentir : augmentation de l’espérance de vie et
ce en bonne santé. Cela conduit à augmenter le nombre de personnes âgés et la fin de vie ne
résume plus à un instant. Elle devient une période à gérer. Or, la bonne qualité de cette fin de
vie dépend le plus souvent de la conduite de l’individu au cours de sa vie. Les pouvoirs
publics vont donc enjoindre les médecins soignants à devenir des éducateurs de santé. PAr ce
travail tout au long de la vie de l’individu, il s’agit donc de préparer la gestion de la fin de vie
pour que celle-ci ne soit notamment pas trop onéreuse. Les praticiens vont devoir dépasser
leur mission traditionnelle pour accorder une place essentielle à la mission d’éducation à la
santé laquelle assigne de nouveaux rôles et de nouvelles compétences tant aux médecins
qu’aux patients (b).
a) La protection de la santé publique
Le médecin doit plus généralement que l’expression de « préserver la vie », il doit
protéger la santé, laquelle est source de vie. Comme le souligne Mme Maurer 177 , une
protection de la santé sur le fondement de l’article 2 de la Convention européenne des droits
de l’homme est aujourd’hui acquise178. Toutefois elle précise qu’ « il s’agit toujours d’une
176
V. par exemple, Commission, 12 juillet 1978, req. n° 7 154/75, DR. 14, p. 31.
B. Maurer, Le principe de respect de la dignité humaine et la Convention européenne des droits de l’homme,
Coll. CERIC, La Documentation française, 1999, p. 406.
178
B. Maurer illustre son affirmation par trois exemples de la Commission européenne. Il s’agit de l’expulsion
d’une femme âgée et malade (Commission, 13 déc. 1971, X c/ RFA, R. 5207/71, Ann. CEDH 1971, pp. 699711), du rejet de la délivrance d’une carte médicale à une enfant handicapée (Commission, 7 oct. 1978, X.
177
- 63 -
conception restrictive de la santé, c’est-à-dire de la menace à la vie physique de la personne et
non à sa vie psychologique ». En ce sens, il s’agit de protéger le corps de l’individu. Le
médecin se voit donc enjoindre de soigner le corps malade. Si la Convention européenne sur
les droits de l’homme et la bio-médecine ne va pas jusqu’à consacrer un véritable droit à la
santé, elle met à la charge des Etats le devoir de prendre « compte tenu des besoins de santé et
des ressources disponibles, les mesures appropriées en vue d’assurer, dans leur sphère de
juridiction, un accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée »179. Le domaine de
la santé amorce donc une nouvelle lecture de l’article 2. Toute menace sur la vie entre dans le
champ d’application de l’article notamment une mauvaise qualité de vie ayant un lien direct
avec la mort physique de l’individu.
La santé constitue un enjeu politique majeur. Ceci s’impose de lui-même : en dix ans
le législateur français a voté plus de textes en santé publique qu’il n’en avait adopté depuis le
début du XXe siècle180. Le médecin n’est en effet pas seulement un professionnel en relation
avec une personne. Il est aussi chargé d’une mission, celle de préserver la santé publique. À
ce titre, il est le représentant de la politique de santé publique auprès du patient. Or, cette
politique a d’abord été menée dans le sens de la préservation de la santé de l’individu pour la
protection du groupe social en son entier. Le législateur doit s’assurer de la préservation des
intérêts individuels de chacun des membres de la société ainsi que de l’intérêt général du
groupement qu’il constitue.
c/Irlande, R. 6839/74, DR 7, p. 80) et le cas d’une femme décédée en couches en relation avec les conditions
sanitaires d’un centre hospitalier (Commission, Tavares c/ France, R. 16593/90, DR. 7, p. 80).
179
Sur la question pénale, V. J. Danet, La notion d’état de santé et la détention en Europe : Rev. sc. crim. 1996,
p. 50 et s. – V. aussi les dispositions relatives à l’hygiène et à l’organisation sanitaire dans les établissements
pénitentiaires du décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998 : J.O. 9 déc. 1998, p. 18498.
180
Après la loi fondatrice du début du siècle dernier – loi sur l’hygiène publique du 15 février 1902 –, les progrès
significatifs en matière de santé et l’efficacité croissante des techniques de soins ont réduit l’intérêt porté à la
santé publique par l’Etat et le corps médical. La prévention et l’épidémiologie sont passées au second plan des
préoccupations, les pouvoirs publics et les médecins se concentrant davantage sur les aspects curatifs et les soins.
C’est l’objet des grands textes adoptés ces 15 dernières années que de procéder à un rééquilibrage en la matière.
Voir successivement : L. n° 93-5 du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de
médicament., J.O. 5 janvier 1993, p. 237 ; L. n°98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille
sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme, J.O. 2 juillet 1998, p. 10056 ; L.
n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, J.O. 5 mars
2002, p. 4118 ; L. n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, J.O. 11 août 2004, p.
14277 et s. ; L. 2004-810du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, J.O. 17 août 2004, p. 14598 et s. Sur les
racines historiques et sociologiques du « mal français » jusqu’alors caractéristique en la matière et que cet
ensemble de textes a pour objet de surmonter, v. A. Morelle, La défaite de la santé publique, Flammarion, Paris,
1996.
- 64 -
L’intérêt général fait partie de ces nombreux concepts qui, tels la liberté, la dignité ou
l’ordre public, répugnent à toute tentative de définition tant leur sens et leur fonction varient
selon les époques et les individus qui les emploient. Présenté comme la « somme consensuelle
d’intérêts particuliers », ou comme le « dépassement dialectique de ces mêmes intérêts »181,
l’intérêt général est en pratique compris comme l’intérêt de la collectivité, de la société
globale et, en fin de compte de l’institution étatique. A partir du moment où l’intérêt général
est l’intérêt commun de tous les individus entre lesquels existent des rapports durables et
organisés au sein de la société, sa légitimité et sa primauté ne laissent plus de doute. De cette
supériorité découle une conséquence : l’appréhension de l’intérêt général en tant que norme.
Ainsi, alors même qu’aucun texte juridique ne le présente comme une norme directe, l’intérêt
général commande cependant que chaque intérêt particulier, pourtant identifié et protégé par
le droit, lui soit subordonné.
L’utilité sociale des actes médicaux s’est vu accentuée avec l’admission des
interventions médicales pratiquées sur une personne dans l’intérêt d’un autre individu ou des
autres en général. L’action du médecin répond encore davantage à un besoin social lorsque
l’acte médical est geste de solidarité, de fraternité. Cela s’exprime particulièrement dans la
mort, avec le prélèvement d’organes sur personnes décédé. La mort n’apparaît donc plus
toujours comme une fin pour le médecin mais comme un moyen. Cela s’exprime encore par
exemple par l’exploitation du cadavre. Ainsi, si l’autopsie peut revêtir quelque intérêt privé,
en tant qu’instrument d’intérêt général, elle s’impose véritablement comme outil
indispensable à la préservation de la santé publique en contribuant par l’apport conséquent de
renseignements sur la morbidité et la mortalité, au progrès des sciences médicales et pour
l’ordre public, à la découverte de la vérité que recherchent, pour que la justice s’accomplisse,
les tribunaux. « Le concept de santé publique est une appréhension sociale de l’état sanitaire
d’une société » dont la défense justifie dans certains cas juridiquement que l’on procède à des
prélèvements d’organes sur le corps du défunt en vue de connaître les causes de son décès.
L’autopsie est effectivement une mesure principalement destinée à empêcher la dissémination
d’une maladie suspecte dont la protection de l’hygiène et de la salubrité publique exige la
vérification et à terme l’éradication et, aussi, à évaluer le traitement médical subi par le défunt
en milieu hospitalier. Plus spécialement, la préservation de la santé publique exige de
rechercher les causes du décès de la personne, de déterminer si oui ou non son corps est une
181
Ces deux définitions, somme toute contradictoires mais « indissociables », constituent la base de la thèse de
F. Rangeon, L’idéologie de l’intérêt général, préf. G. Vedel, Economica, Coll. Politique comparée, 1986, p. 9.
- 65 -
éventuelle source d’infection 182 et, enfin, d’éviter, une fois la maladie connue, que la
contamination ne se propage en recherchant les moyens de l’éradiquer. De même, face à
certains décès survenus en milieu médicalisé, il est parfois nécessaire de rechercher les
germes pathogènes à l’origine de la mort d’un patient afin de comprendre « la raison de la
faillite de la prise en charge thérapeutique » définie par l’équipe médicale183. Pour ce faire,
l’autopsie de la personne décédée s’impose logiquement afin de confronter les observations
cliniques faites au cours de la maladie de l’individu et les lésions anatomiques constatées sur
son cadavre184. L’autopsie suit a priori le même régime que le prélèvement d’organes sauf
lorsqu’elle est pratiquée « .. . en cas de nécessité impérieuse pour la santé publique et en
l’absence d’autres procédés permettant d’obtenir une certitude diagnostique sur les causes de
la mort »185.
Toutefois, l’Etat n’est pas resté dans le strict chemin de protéger l’intérêt du groupe
social. Il a aussi entendu protéger les individus contre eux mêmes, protéger les individus
lorsque leur vie ou celle d’un tiers pourrait être en jeu. L’Etat a fait de la protection de
l’individu, même contre lui-même, une règle d’ordre public. Une loi est par principe d’ordre
public lorsqu’elle intéresse les principes fondamentaux de l’ordre social et qu’elle répond à
des besoins primordiaux de la collectivité comme le besoin de sécurité, de sûreté et de
justice 186 . C’est ainsi qu’est permis l’internement d’un malade dans son seul intérêt à la
demande d’un tiers187. Mais davantage, si une personne a le droit de refuser de se soigner, ce
droit est conditionné voire refuser lorsque sa vie peut être sauvée. En tous les cas ce droit au
refus de soins semble circonscrit à la personne consciente. Dans un Etat de droit, la notion
même de protection de l’individu contre lui-même interpelle inévitablement car toute mesure
de protection implique nécessairement une contrainte. La personne ne pourra choisir la ligne
de conduite qu’elle désire voire sera obliger de choisir une certaine voie. L’individu étant seul
182
Ainsi, l’article R. 2213-19 CGCT permet au préfet, « sur l’avis conforme, écrit et motivé de deux médecins »,
de prescrire toutes les constatations nécessaires en vue de rechercher les causes du décès lorsqu’il « paraît
résulter d’une maladie suspecte dont la protection de la santé publique exige la vérification ».
183
Dictionnaire permanent Bioéthique et Biotechnologies, V° Mort : constatation et autopsie, éd. 15 mai 2003,
n° 39.
184
J. Savatier, Et in hora mortis nostrae, Le problème des greffes d’organes prélevés sur un cadavre, op. cit.
185
Art. L. 1211-2 du Code de la santé publique, tel qu’issu de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. V.
Sur l’évolution en la matière, N. Baillon-Wirtz, La famille et la mort, Préface P. Crocq, Defrénois, Coll.
Doctorat et Notariat, thèse n° 17, 2006, n° 615 et s.
186
G. Cornu, Droit civil, Introduction, Les personnes, les biens, op. cit., n° 337s.
187
V. notamment Art. L. 3212-1 et s du Code de la santé publique.
- 66 -
maître de son destin, « artisan responsable de son bonheur et de son malheur »188, de telles
mesures apparaissent illégales. En principe, le respect de la liberté de l’individu, qui consiste
selon l’article 4 de la Déclaration de 1789, à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui,
implique que celui-ci est seul juge des risques et de la manière dont il entend les éviter.
Néanmoins, une exception existe : l’absence d’autonomie de la personne fonde la protection
de la personne. Il s’agit des personnes qui en raison de leur âge, d’une maladie mentale ne
sont plus en mesure d’apprécier les conséquences de leurs actes. Il y a là, en principe, le seul
cas où une personne peut être protégée contre elle-même dans son propre intérêt. Il s’agit
déjà de la protection de la personne en raison de sa santé ou de la vie.
Mais, une autre protection, déjà abordée par l’article 4 de la déclaration de 1789189, se fait
jour : il s’agit des comportements des personnes ayant des incidences sur autrui. En effet,
parce que l’individu vit en société, la liberté absolue n’existe pas, celle-ci est forcément
restreinte par les droits du groupe190. En droit de la santé, les progrès de la science ont mis en
évidence l’étroite solidarité des individus à l’égard de la maladie. « En découvrant les maux
qui affligent chacun, la science va montrer que tel comportement, jugé innocent jusque là, est
lourd de périls pour les autres »191, écrit Jean Rivero. Le principe de l’intervention du pouvoir
repose sur la nécessité d’empêcher que le droit de chacun s’exerce au détriment du droit égal
d’autrui. Dans ce cas poursuit Jean Rivero, « le domaine de la liberté se réduit de lui-même,
au fur et à mesure qu’apparaissent mieux les liens qui unissent, au sein de la collectivité,
toutes les santés individuelles »192. La maladie passe ainsi du plan privé au plan collectif, « la
santé de tous devient affaire d’Etat »193. L’Etat fait fléchir les libertés au nom de l’intérêt
188
J. Rivero, Les transformations sociales et le développement de la protection légale de la santé, in Santé et
Société, Semaine sociale, 1951, p. 71.
189
Article 4 de la DDHC proclame que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
190
Selon la conception solidariste de la liberté chère à Duguit, « l’homme ne peut rien faire qui soit de nature à
compromettre sa sécurité physique, son intelligence, sa valeur morale ». Il s’ensuit que le rôle de l’Etat n’est plus
en principe l’abstention mais au contraire une intervention systématique dans l’intérêt de la société. « Par
conséquent, l’Etat peut légitimement interdire, il a même le devoir d’interdire l’usage des produits nocifs et
d’une manière générale, toutes les pratiques de nature à diminuer la force physique, intellectuelle et morale de
l’individu », in Traité de droit constitutionnel, 3e vol., La théorie générale de l’Etat, 1923, Ancienne librairie
Fontemoing et cie, pp. 599-603. A l’inverse, la théorie individualiste vise l’épanouissement de l’individu. Cet
épanouissement est le seul but valable de tout ordre social. Comme l’écrit Burdeau « l’individualisme s’appuie
sur l’irréductible autonomie de l’homme pour faire du droit individuel et de la liberté, une valeur essentiellement
négative se définissant par l’absence de contrainte », in Les libertés publiques, 1972, L.G.D.J., p. 9.
191
J. Rivero, Les libertés publiques, tome 1, les droits de l’homme, P.U.F., 15e éd., 1987, p. 68.
192
Ibid.
193
Ibid. Jean Rivero observe que « les rapports de l’homme avec son corps ne relèvent plus de sa seule initiative
[…]. C’est plus qu’une évolution, c’est un bouleversement, qui n’est pas seulement social, […] mais encore
politique, et plus profondément, humain », ibid, p. 72.
- 67 -
public, et de sa composante la santé publique194. Si la liberté individuelle devait l’emporter à
chaque fois que l’intérêt de la société n’est plus en jeu, parce que la protection d’autrui est
assurée, il faudrait admettre alors que le suicide est autorisé ainsi que son aide active, et
qu’enfin on admette l’euthanasie. Or, il est clairement interdit aux médecins, sous peine de
poursuites, de donner la mort à autrui. L’Etat entend préserver la vie. Certaines valeurs sont
donc jugées fondamentales au delà l’ordre public, pour permettre que soit toléré que l’on y
porte atteinte. Elles sont le socle de la société, telle est la position du droit à la vie. Ce qui
explique d’autant mieux le rapport du médecin à la mort.
Pourtant, quelque soit la valeur que la société attache à l’individu, celle-ci ne peut
obliger un homme à agir ou à s’abstenir, « parce que ce serait meilleur pour lui, parce que cela
le rendrait plus heureux ou parce que, dans l’opinion des autres, ce serait sage ou même juste
[…] la seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de la force contre un
de ses membres est de l’empêcher de nuire aux autres »195, expose J.-H. Mill. Si l’Etat peut
contraindre une personne à la santé dans l’intérêt de la collectivité, « l’intérêt social est
insuffisant pour justifier que soient sacrifiées, contre son gré, la vie ou la santé d’une
personne » 196 . La protection de la santé collective ne peut pas contrevenir à la santé de
l’individu. Celle-ci ne peut que coïncider pleinement avec la protection de la santé collective.
Dès lors le conflit entre la liberté individuelle et la protection de la santé collective doit être
inévitablement résolu en faveur de cette dernière. L’intérêt social apparaît suffisant pour
justifier que soient prises des mesures attentatoires aux libertés.
En conséquence, l’Etat ne peut intervenir par le médecin que lorsque la santé ou la sécurité
publique sont en jeu. Cette faculté a été largement utilisée. L’examen du droit positif montre
une évolution de l’acte médical qui ne consiste plus seulement à garantir la santé des
individus mais aussi à assurer une certaine régulation des comportements. En effet, certaines
actions des médecins peuvent être utilisées pour corriger certains comportements sociaux.
Ainsi, il existe des traitements forcés exécutés dans l’intérêt de la sécurité publique. Tels est la
cas par exemple de l’internement des malades mentaux ou des alcooliques dangereux pour
autrui 197 , ou encore une situation particulière où l’on demande aux médecins de suivrent
194
Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs estimé que les « exigences de la santé publique » ont une valeur
constitutionnelle. DC n° 90-287 du 16 janvier 1991, J.O. du 18 janvier 1991, p. 924 ; R.F.D.C. 1991.294, note L.
Favoreu.
195
J.-H. Mill, De la liberté, 3e éd., Paris, Guillaumin et cie, 1877, p. 123-124.
196
F. Chabas, Leçons de droit civil, Les personnes, tome I, 2e vol., 1986, p. 922.
197
Art. L. 3213-1 et s. du Code de la santé publique. Dépistage de l’alcoolisme : art. L. 3354-1 du même code.
- 68 -
certains patients dans le cadre de la prévention de la délinquance sexuelle 198 . L’activité
médicale joue alors un rôle dans la gestion des comportements de populations marginales,
voire délinquantes. Si, dans ces situations le médecin est investi, comme dans toute relation
médicale, de la tâche de poser un diagnostic et d’engager un traitement, il le fera ici dans le
cadre d’une relation imposée au patient et en vue d’influer sur le comportement de ce
dernier199. L’Etat entend encore protéger les plus faibles dans le cadre de maltraitance ou de
violences physiques. Ces hypothèses sont finalement peu nombreuses. Plus connu est le cas
d’une obligation de soins, reposant cette fois sur la santé publique, qui va peser sur les
individus contagieux200 : elle concernera les personnes atteintes de maladies vénériennes201.
Le médecin ne se résume plus seulement à celui qui combat la mort. Le rapport du
médecin à la mort n’est plus l’essentiel du travail du médecin. Parce que la médecine fait
d’énormes progrès, elle fait reculer la mort. De fait, il est apparu possible de diversifier le rôle
du médecin.L’analyse de l’évolution du pouvoir médical dans un contexte de
« publicisation »202 de la santé fait apparaître l’extension du rôle politico-social du médecin,
du fait de la délégation croissante d’un certain nombre de décisions au corps médical. Mais, il
n’est pas certain qu’une telle délégation soit désirée par ses bénéficiaires et ce d’autant plus
que celle-ci ne fait qu’accroître leur champ de responsabilité. Ces nouveaux pouvoirs, plus
198
Le livre du Code de la santé publique est d’ailleurs relativement explicite à ce titre tant sur la position du
médecin que du patient : « Prévention de la délinquance sexuelle, injonction de soins et suivi socio-judiciaire ».
Art. L. 3711-1 et s. du Code de la santé publique. Injonction de soins. Art. 131-36-4 du Code pénal.
199
À ce titre, un auteur a évoqué la notion d’ « acte de défense sociale médicaux », v. B. Feuillet, L’évolution de
la notion d’ «acte médical », in Nouvelles frontières de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, F.
Bellivier et C. Noiville (sous la dir), Dalloz, 2006, p. 203 et s., spéc. p. 213.
200
V. J. Rivero, Les transformations sociales et le développement de la protection légale de la santé, Semaine
sociale de France, 1951, Santé et société, p. 71 et s.
201
La prise de conscience des dangers engendrés par les maladies vénériennes n’est pas récente, la fin du XIXe et
le début du XXe siècle marque l’âge d’or du péril vénérien. La loi du 31 déc. 1942, modifiée à différentes
reprises a institué des mesures de prophylaxie et de traitement marquées par un caractère très contraignant.
Cependant, si on dénombre une vingtaine de maladies transmissibles par voie sexuelle, seulement quatre (la
syphilis, la gonococcie, la chancrelle, et la maladie de Nicolas Favre) sont considérés par la Code de la santé
publique comme des fléaux sociaux. Le sida n’a cependant pas été inclus dans cette législation. Selon Gilles
Mathieu, « on perçoit ainsi une forme de crainte des pouvoirs publics qui refusent d’appliquer au sida une
législation répressive et stigmatisante », Sida et droit pénal, Rev. sc.crim. 1996. 81 et s, spéc. p. 84.
202
Ce néologisme a été utilisé à l’occasion d’un colloque dont les articles ont fait l’objet d’un publication : F.
Bellivier, C. Novelle, (sous la dir), Nouvelles frontières de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du
médecin, Dalloz, 2006, voir spéc. p. 15. L’expression « publicisation de la santé » est une notion qualifiée de
caméléon recouvrant différentes acceptions, parfois complémentaires ou conciliables, mais pas toujours. En
première analyse, ce néologisme recouvre deux sens : d’une part, la description des dynamiques conduisant à
considérer des problématiques et des décisions comme devant désormais relever de la sphère publique (au sens
politique), alors qu’auparavant ces questions relevaient pour l’essentiel de la sphère privée (individuelle et
professionnelle) ; d’autre part, en une sorte d’effet boomerang, la description des dynamiques conduisant à
l’organisation d’un nécessaire retour du contrôle de la décision ou de l’encadrement, sous la forme d’obligations
de transparence voire de délégation, de la part des autorités vers « le public » destinataire des nouvelles
politiques de santé.
- 69 -
administratif ou politique que médical font naître un paradoxe : c’est par ceux-là même qui
l’exercent – les médecins – que ce pouvoir est contesté, parfois jusqu’à son approche
habituelle et classique. Que le médecin assume un rôle de décision croissant n’est en effet pas
inédit. Il n’est donc pas étonnant que pour tout acte sans être strictement thérapeutique mais
au moins médical – il conviendra d’ailleurs de revenir donc sur la notion stricte d’acte
médical – en rapport avec la santé, le médecin soit immédiatement sollicité. Par cet
accroissement on confie au médecin les champs du début et de fin de vie. Mais là, dans les
champs de l’euthanasie et la procréation, les médecins quoique souvent critiques par rapport à
la législation qui leur confère cet embarrassant pouvoir de décision, en sont souvent euxmêmes, de façon directe ou indirecte, à l’origine. Ils sont cependant plus enclin à s’inscrire
dans un programme de prévention de la santé, laquelle devient désormais un des moyens
privilégiés pour faire reculer la mort.
b) Le développement d’une santé citoyenne
Le médecin exerçait traditionnellement, on l’a dit, une mission essentiellement
curative. Son rôle était de soigner et de guérir. Le médecin a été sollicité par les pouvoirs
publics pour remplir, en complément de leur rôle dans les soins curatifs, un ensemble de
missions de maintien en bonne santé de la population, autrement dit d’assurer des tâches
d’éducation thérapeutique 203 . L’Etat va demander au médecin d’aborder une médecine
préventive. Le médecin, pour préserver la vie et la santé, devra anticiper la maladie,
encourager voire obliger une certaine hygiène de vie. La population de nos pays occidentaux
vieillit et les coûts sociaux de ce vieillissement se font durement sentir et ne feront que
s’accentuer dans un avenir proche. Un petit pourcentage de jeunes, économiquement actifs,
doit payer pour une masse grandissante de vieillards improductifs, inactifs et à charge. La
médecine aura donc tout intérêt à ce que la population vieillisse bien pour ne pas devoir
assumer une population vieillissante malade. Il faut s’interroger également si la médecine de
pointe et la science vont orienter le principal de leurs efforts vers la gérontologie, aux dépens
de secteurs d’avenir tel la génétique. À l’heure actuelle, les ressources hospitalières de nos
pays sont utilisées à l’extrême et un nombre croissant de lits est occupé par des malades
chroniques et des vieillards. La pression économique, culturelle et sociale pourrait donc avoir
203
L’éducation thérapeutique relève avant tout de missions expresses dévolues à certaines institutions sanitaires
tels l’Institut national et d’éducation pour la santé (INPES), les organismes de la sécurité sociale, ou encore la
CANAM.
- 70 -
un impact direct sur le conditionnement médical de la mort. Le jugement éthique repose sur la
qualité de vie antérieure, mais celui-ci n’est pas porté par le patient lui-même mais par un
tiers. La question posée est celle de savoir si les soins médicaux ne doivent pas cesser lorsque
l’on considérera que la personne aura bien vécue ?204
Le rapport à la médecine a désormais changé. Une mission d’éducation a été confiée
aux professionnels de santé 205 . On appelle ces professionnels à consacrer une partie ou
exclusivement leur activité à la prévention ou à l’éducation thérapeutique. La prévention se
définit « comme l’ensemble des actions, attitudes, et des comportements qui tendent à éviter
la survenue des maladies ou de traumatismes ou à maintenir et améliorer la santé »206. La loi
du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a défini
pour la première fois la politique de prévention en droit interne en mentionnant qu’elle « a
pour but d’améliorer l’état de santé de la population en évitant l’apparition, le développement
ou l’aggravation des maladies ou accidents et en favorisant les comportements individuels et
collectifs pouvant contribuer à réduire les risque de maladie et d’accident. A travers la
promotion de la santé, cette politique donne à chacun les moyens de protéger sa propre
santé »207. Dans le cadre des maladies qui ne se guérissent pas, mais qui se soignent et se
gèrent dans la durée et la continuité, le médecin se doit d’assurer un suivi et l’éducation
sanitaire ou thérapeutique des patients. Celle-ci vise en effet à « aider les patients à acquérir
ou à maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer aussi bien que possible leur vie
avec une maladie chronique. Il s’agit d’une partie intégrante et continue des soins […]. Le but
de l’éducation thérapeutique est que les patients (et leur famille) comprennent leur maladie et
leur traitement, collaborent avec l’équipe soignante et prennent la responsabilité de leur
traitement comme un moyen de maintenir et d’améliorer leur qualité de vie »208. On peut
cependant s’interroger sur les modalités concrètes de l’éducation sanitaire par le médecin. Si
celle-ci peut en effet très convenablement fonctionner pour ce qui concerne le domaine
strictement médical – en matière, par exemple, de sensibilisation des patientes à la
mammographies dans le cadre de la prévention du cancer du sein – elle semble plus aléatoire
204
L’œuvre de Daniel Callahan semble contenir en filigrane les premiers germes de cette pensée qui semble se
développer aujourd’hui. : D. Callahan,: Setting limits : Medical Goals in an Aging Society, New York, Simojn
and Schuster, 1987, cité par D. Blondeau, et J.-L. Baudouin, Ethique de la mort et droit à la mort, op. cit., p.
117.
205
V. sur le sujet, A. Laude, Du médecin soignant au médecin éducateur de santé, in Nouvelles frontières de la
santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, F. Bellivier, C. Noiville (sous la dir.), Dalloz, 2006, p. 81.
206
J.-L. San Marco et Ph. Lamoureux, Prévention, promotion de la santé, in Santé Publique 2006, spéc. p. 126.
207
Art. L. 1417 du Code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002.
208
Bull. de l’OMS, 1998, p. 8.
- 71 -
à mettre en œuvre pour ce qui relève du comportement et de l’hygiène de vie, - en matière de
tabac, d’alcool ou encore d’alimentation par exemple – pour lesquels le médecin se voit alors
investi dans une certaine mesure du rôle délicat de « prescripteur de qualité de vie » 209 .
L’éducation en santé, au delà du médecin lui-même, conduit inéluctablement à une évolution
parallèle du rôle du patient.
De nombreux comportements individuels, en tant qu’ils ont des répercutions
financières sur la collectivité, ne concernent plus seulement les individus. Désormais
l’individu apparaît comptable envers la société de ses comportements. De plus, la personne
devient responsable de son état de santé, même si cette conception est sociologiquement très
ancienne. En effet, à l’origine la maladie était perçue comme la sanction ou la marque d’une
faute commise par le malade210. Mais progressivement on s’est écarté de cette vision pour
adopter même la position inverse. L’individu n’est plus considéré comme responsable de son
état de santé mais il en apparaît comme la victime. Sans être abandonnée, cette conception se
voit complétée par un retour à des perspectives individualistes. Il est désormais démontré que
de nombreux comportements jouent un rôle dans la survenance d’un certain nombre de
maladies211. Par le type de vie qu’il adopte, l’individu assume une certaine responsabilité de
son état de santé. Faut-il alors prescrire une ligne de conduite à l’individu alors même que la
santé d’autrui n’est pas en cause ?
Cette question connaît aujourd’hui un intérêt croissant pour des considérations
principalement d’ordre économique. La médecine a un coût financier très important pour la
collectivité. L’évolution de la société et des mentalités interdit de réduire la prise en charge
par la collectivité des frais engendrés par la maladie. Mais, apparaît une certaine politique
sociale visant à inculquer à l’individu le sentiment qu’il est dans une certaine mesure
209
A. Laude, Du médecin soignant au médecin éducateur de santé, in Nouvelles frontières de la santé, nouveaux
rôles et responsabilités du médecin, F. Bellivier, C. Noiville (sous la dir.), Dalloz, 2006, p. 85. Certains
s’interrogent à ce titre si, au delà de l’éducation sanitaire, il ne faudrait pas confier au médecin un mandat de
santé publique c’est-à-dire de lui déléguer un ensemble de tâches de santé publique auxquelles il consacrerait
une partie de son temps de travail en étant rémunéré spécifiquement et en acceptant de se conformer à des
protocoles et à des procédures de qualité. V. en ce sens, W. Dab, Rapprocher médecine individuelle et approche
populationnelle : une nécessité, in Le concours médical 2006, p. 712 et s., spéc. p. 713.
210
J. Delumeau, et Y. Lequin, Les Malheurs des temps, Histoires des fléaux et des calamités en France,
Larousse, 1987.
211
Ainsi selon Maurice Tubiana, les trois-quart des cancers sont liés à nos habitudes individuelles de vie : « Le
risque d’avoir un cancer dépend d’abord de nous-mêmes, de notre façon de vivre, donc en changeant notre
comportement nous pourrions réduire ce risques », Comportements individuels et santé publique, Revue des
sciences morales et politiques, 1990.296.
- 72 -
responsable de sa santé et qu’il a un intérêt à la préserver. Cette obligation s’entend
essentiellement dans un sens moral ou social, elle revêt parfois un caractère juridique212.
Le patient devra en effet adopter des comportements bénéfiques pour sa santé, avec l’aide et
le soutien éventuels des professionnels de santé 213 . L’éducation sanitaire borne ainsi
l’autonomie du patient. En en faisant un acteur de santé, elle oblige le patient à être un
individu responsable de son comportement et de ses choix. A ce titre, l’expression « éducation
en santé » qui prospère, est révélatrice : alors que le terme éducation est contesté dans d’autres
domaines, pour sa connotation scolaire et paternaliste, il revient en droit médical. Dès lors,
l’éducation sanitaire implique certainement pour le patient des devoirs. D’une part, il pourrait
être désormais tenu d’agir ou d’avoir un mode de vie qui ne puisse pas nuire à sa santé. Afin
de faire peser sur la société le coût de la conduite à risque, il appartient donc à chacun de
prendre soin de santé, de son corps et d’adopter une bonne hygiène de vie. Il n’est pas exclut
que l’Etat applique les conséquences du discours de plus en plus ferme de la médecine
préventive et refuse les soins à ceux et celles qui, en dépits des conseils répétés touchant la
préservation de leur santé, auront contrevenu à certaines normes. Verra-t-on par exemple, les
fumeurs, les alcooliques, les amateurs de la bonne chère laissés pour compte et abandonnés
sans soins, par rétribution sociale ? Cette solution extrême n’est sans doute pas souhaitable,
mais il apparaît inéluctable aujourd’hui que l’on se dirige vers une responsabilisation de
l’individu vis-à-vis de sa santé. On peut ainsi imaginer que la responsabilité de chacun puisse
être engagée pour préserver son propre patrimoine santé, tout comme l’a d’ores et déjà laissé
entrevoir la jurisprudence en matière de tabac. C’est ainsi que suite au décès d’un fumeur
invétéré, la responsabilité du fabricant et du distributeur de tabac a pu être écartée au motif,
notamment, qu’il était « le seul à même de prendre les décisions qui s’imposaient face à
l’information publique relevant depuis 1958 les dangers du tabac »214. La société ne serait être
rendue comptable de la mort d’un individu qui n’a pas pris soin de sa santé. Si d’un coté, en
effet, il est considéré que l’Etat doit porter secours à ce qui subisse « un coup du sort », un
handicap tragique dont ils ne sont pas responsables, la société doit solidairement les
soutenir215. Mais, parallèlement, d’un autre côté, par effet de vase communiquant, on tolère de
212
Cf. La loi nouvelle relative à l’interdiction générale de fumer dans les lieux publics.
D. Truchet, La loi du 4 mars 2002 et la prévention : une double lecture, Petites affiches 19 juin 2002, n°
spécial 122, spéc. p. 43 et s.
214
Civ. 2e, 20 novembre 2003, Gaz. Pal. 4 décembre 2003, jur. p. 21 et s.
215
S’agissant du handicap, on est passé d’un modèle individuel et médical à un autre, social, où le handicap ne
renvoie plus aux caractéristiques d’un individu mais aux obstacles s’opposant à sa pleine participation sociale. V.
en effet la L. n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées, J.O. 12 février 2005, n° 36, p. 2353 ; v. aussi J.-F. Ravaud et I. Ville, Le
213
- 73 -
moins en moins qu’une personne née en bonne santé adopte un comportement dégradant cet
état, qu’elle ne soit pas solidaire de l’effort de chacun pour le bien-être de la société toute
entière, qu’elle ne mesure pas au sur-plus sa chance de bénéficier d’une santé vaillante.Plus
généralement, l’éducation à la santé contribue à renforcer le devoir de collaboration du patient
avec le médecin.
En tous les cas, au-delà ces nouveaux rôles assignés à chacun des acteurs de la relation
de soins – médecin, patient – , l’éducation en santé contribue à la construction d’une relation
médicale équilibrée et inter-active. Elle conduit à un dialogue constructif et un rapport de
confiance accru, inscrit dans le temps. Mais surtout, l’éducation pour la santé oblige à
repenser la frontière entre maladie et santé. En effet, traditionnellement le curatif est
appréhendé comme relevant de la maladie, et le préventif comme relevant davantage de la
santé, ou plus exactement de l’amélioration de la santé. Or, le renforcement de ce rôle du
patient contribue également à intégrer l’aspect préventif dans le cadre de la maladie. Les
maladies graves, donc potentiellement mortelles – cancers, maladie cardio vasculaire, etc.… –
sont largement liées au mode de vie du patient. Ce sont ces risques mortels que l’éducation
sanitaire tend à réduire. L’éducation à la santé participe ainsi à la valorisation d’une belle vie
mais aussi plus sûrement à celle d’une bonne fin de vie et donc d’une bonne mort, ainsi qu’à
la modération des coûts de la santé liés à ces maladies. La politique ainsi menée ne vaut en
effet, que sur le long terme, les comportements critiquables d’un point de vue de la santé, ne
produisent d’effets que lorsqu’ils ont été poursuivis sur une longue période. Classiquement, le
médecin n’intervenait que lorsque la maladie se déclarait, et donc parfois trop tardivement.
L’ère médical désormais n’est plus seulement dans l’attente passive de la maladie, mais
davantage, du fait des connaissances accrues du vivant, dans la préservation de la vie, et d’une
qualité de vie. Peut être faut-il en conclure que pour le médecin, la consécration de ce
nouveau rôle d’éducateur rappelle que la première fonction de ce denier est, selon le mot de
Canguilhem, de présenter au patient « la valeur de la santé »216. Et pour cela, le droit lui en a
donné les moyens.
handicap comme nouvel enjeu de santé publique, in La santé, Les cahiers français 2005, numéro spécial, p. 21 et
s.
216
C. Canguilhem, Le normal et la pathologique, 2e éd., Paris, P.U.F., coll. « Quadrige », 1988, p. 134.
- 74 -
§II – Les moyens donnés au médecin pour protéger la vie
Pour permettre au médecin de lutter contre la mort, il fallait lui donner les moyens de
soigner le corps c’est-à-dire l’autoriser à porter atteinte au corps, faisant ainsi exception au
principe fondamental selon lequel il ne peut être porté atteinte à l’intégrité physique de la
personne. Le droit a adopté une position particulièrement favorable à la médecine puisqu’il
semble que chaque découverte, progrès médical ait été suivi d’une modification de la loi pour
permettre aux médecins d’exprimer pleinement leur art (A). Cependant, il ne s’agit pas de
donner un blanc seing aux médecins. Le droit se doit d’organiser les moyens juridiques
donnés au médecin pour lui permettre d’agir au mieux pour préserve la vie, tout an limitant ce
pouvoir à cette stricte finalité afin de garantir le droit à l’intégrité physique de la personne.
Les moyens offerts au médecins sont ainsi encadrés par l’intérêt médical de l’acte réalisé et
garantis par « la raison proportionnée » (B).
A -Une approche juridique favorable à la science médicale pour préserver de la
mort
À la faveur de l’évolution des techniques médicales, le médecin a non seulement fait
reculer la mort mais l’a utilisé pour préserver la vie. La question du prélèvement d’organes a
trait à l’utilisation, dans l’intérêt thérapeutique d’autrui, des organes d’une personne morte.
Elle développe une dimension collective en construisant, au nom d’un impératif de santé
publique, une solidarité entre les vivants et les morts. Permettant de préserver des vies, cette
technique ne pouvait qu’être encouragée par les pouvoirs publics. Elle présente cependant un
paradoxe pour le médecin, celui « d’exploiter » la mort pour sauver des vies (2).
La réglementation sur le don d’organes suppose de déterminer de la manière la plus précise
possible l’instant de la mort biologique afin de maintenir en bon état de conservation les
produits du corps recherchés. Le but est ainsi de constater le décès de manière précoce, pour
prévenir la détérioration physiologique liée à l’apparition de l’état cadavérique, de façon à
avoir le temps, notamment, de rechercher le consentement du défunt au prélèvement
d’organes. Cependant, lorsque l’on sait tout le bénéfice que le praticien pourra tirer des
ressources d’un corps mort, on pourrait craindre un constat prématuré de la mort. C’est
pourquoi tout en favorisant le prélèvement d’organes en adoptant la définition de la mort
cérébrale, le législateur a borné le rôle du médecin dans le constat de la mort (1).
- 75 -
1- Comprendre la mort pour préserver la vie
En 1975, la Grande Encyclopédie Larousse fait à l’article « Mort » la remarque
suivante : « Ce sont les progrès de la science qui ont fait naître le problème de la définition de
la mort »217. Un des changement les plus marqués dans le rapport des médecins à la mort se
situe autour des nouvelles définitions de la mort. L’apparition d’états intermédiaires inédits
entre la vie et la mort, mis en évidence à la fin des années 1950, entraîne tout une chaîne de
conséquences : elle modifie la réalité de la mort, les signes qui lui étaient attachés mais aussi
la perception du cadavre. Jusqu’au milieu du XXe siècle, le rapport de la médecine à la vie et
à la mort est somme toute relativement simple. La vie se résume à peu de chose près à la
naissance et la mort à la cessation des fonctions vitales. La mort n’est définie que pour éviter
un ensevelissement prématuré. La crainte d’être enterré vivant va connaître une recrue
d’essence inattendue du fait des progrès de la médecine et de la science. La connaissance du
vivant progresse de façon spectaculaire : la mort n’est plus un instant mais une période.
Parallèlement, les techniques se développent et ce qui conduisait auparavant à une mort
certaine, n’est plus nécessairement fatal par les techniques de réanimation. Naissent des états
intermédiaires, différents comas. Le problème du devenir des comateux est d’autant plus
délicat que ces morts vivants deviennent, au même moment, des réservoirs d’organes
potentiels ; les années d’après guerre voient en effet se développer de façon impressionnante
les techniques de greffes et de transplantations d’organes. Les connaissances permettent
d’établir finalement qu’en réalité, il faudrait idéalement que le donneur soit en quelque sorte
encore vivant. Les états frontières, où le patient est considéré comme incapable de revenir à la
vie mais où le « matériau » organique est maintenu en état de marche, constituent donc un cas
de figure presque optimal pour opérer des prélèvements. Encore faudrait-il pour cela
déterminer s’ils sont morts ou vivants. Dans cette optique, les critères légaux anciens sont
devenus insuffisants. La mort n’a été aussi précisément abordée par le droit que pour servir
l’intérêt de la science et des vivants. Cette solution a été acceptée car elle sert la vie.
Rappelons cependant une évidence : le caractère marginal – statistiquement parlant,
cela va de soit – des cas concernés. Le diagnostic de la mort « banale » est de loin le plus
courant, sans que le médecin ne soit intervenu de manière agressive. C’est le cas de ceux qui
ne meurent pas à l’hôpital, de ceux qui succombent à l’usure d’une longue maladie, et qui ne
font pas l’objet d’une réanimation particulière. Les perceptions désormais différentes de la
217
« Mort », Grande Encyclopédie Larousse, t. XIII, 1975, p. 8180.
- 76 -
mort résultent du côté sensationnel de tout ce qui a trait à la mort, amplifié par la publicité
faite aux greffes et à la médecine de l’exploit, qui alimente les discussions avant que les
questions de la bioéthique ne deviennent médiatique, avec les bouleversements apports par la
procréation médicalement assistée à l’autre bout de la vie.
La réalité du constat de décès est a priori suffisamment garantie par le respect d’un
délai d’inhumation : des signes positifs ne laissent alors plus aucun doute sur la certitude de la
mort. Cependant, dès lors que le corps mort peut servir l’intérêt thérapeutique d’autrui, le
constat de mort doit se faire sans délai, de façon précoce, de manière à éviter que les organes
convoités ne se nécrosent. Si l’écoulement d’un laps de temps vient d’ordinaire calmer la
crainte d’être enterré vivant, lorsque le cadavre est destiné faire l’objet de prélèvement à
finalité altruiste – ce qui suppose que la vie ne l’ait pas complètement quitté –, il est
nécessaire de s’assurer que le constat de mort, pour être précoce, n’a pas été prématuré et
qu’il repose sur des critères valables. La définition de la mort a ainsi évolué au gré des
techniques médicales, de la destination du corps mort à d’autres fins que l’inhumation et des
nécessités que le recyclage de l’enveloppe corporelle dans l’intérêt d’autrui allait faire
naître218. Elle est désormais fixée par le décret du 2 décembre 1996 par lequel les pouvoirs
publics renforcèrent la fiabilité du constat de mort précoce. Si le législateur entend favoriser
l’action des médecins face à la mort, il est apparu nécessaire de borner le constat de mort,
pour éviter notamment toute dérive219. Codifié aux articles R. 1232-1 et s. du Code de la santé
publique, ce texte a le mérite de regrouper tous les cas de constats précoces de mort, pas
seulement ceux qui concernent des personnes placées en réanimation, dès lors qu’il est
envisagé de prélever des éléments sur un cadavre. Le pouvoir médical apparaît ainsi plus
encadré. Le pouvoir d’expertise médicale du médecin dans la détermination de la mort est
soumis à un régime stricte.
Le décret distingue ainsi deux régimes de constat selon que la personne décédée était
ou non placée en réanimation, « sous ventilation mécanique » avec conservation « d’une
fonction hémodynamique ». Le premier régime est simplifié. Il vise la cas de mort par « arrêt
cardio-respiratoire persistant » 220 . Ce dernier ne permet que des prélèvements limités aux
seuls éléments qui se détériorent lentement : la cornée, la peau, l’os cortical, selon la liste de
218
Cf. pour l’historique de la définition de la mort, l’introduction de cet ouvrage.
Cf. l’évolution de la définition de la mort dans l’introduction de cet ouvrage.
220
Art. R. 1232-1 du Code de la santé publique.
219
- 77 -
l’arrêté du 24 mai 1994221, auquel l’arrêté du 2 août 2005222 a ajouté les valves cardiaques, les
artères et les veines. La preuve de la mort repose sur la concordance de trois critères cliniques,
aisément contrôlables par n’importe quel médecin en dehors de tout contexte hospitalier, afin
de garantir au constat de la mort une validité suffisante.
Le second régime est prévu dans le cadre de la mort cérébrale dans un service de réanimation.
Le régime est ici renforcé. Le médecin doit s’assurer des critères cliniques de la mort, mais
encore vérifier la réalité de la mort cérébrale ainsi que son irréversibilité. Un examen
paraclinique est alors requis qui peut être constitué soit de deux électroencéphalogramme nuls
et aréactifs, soit d’une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique223. Si le
constat simplifié peut être signé par un seul médecin, le constat renforcé doit être établi par
deux médecins.
Ainsi, si à l’origine le constat de la mort n’était à l’origine que peu encadré, la
nouvelle réglementation est davantage interventionniste. Le médecin voit donc sa liberté
restreinte autour de la mort. Ce dernier est tenu de suivre les grilles de diagnostics prescrites.
Il s’agit à la fois de rassurer les familles de mourant mais aussi garantir la sécurité des
médecins. La volonté des pouvoirs publics d’encadrer les constats précoces de mort les a
conduit à prévenir le risque de collusion entre le médecin qui constate la mort et le chirurgien
à la recherche d’un donneur potentiel dont l’impatience pourrait hâter la déclaration de décès.
L’article 1232-4 du Code de la santé publique vise ainsi à assurer l’indépendance des
médecins qui établissent le constat de la mort en interdisant qu’ils fassent partie du même
service ou de la même unité que les médecins qui effectuent le prélèvement ou la
transplantation224. Par ailleurs, le domaine de la fin de a été organisé par la loi du 22 avril
2005. Le médecin doit entendre son patient conscient en fin de vie qui refuserait tout soin. Il
peut aussi cesser tout traitement inutile. En rapprochant le refus de soins au problème du dons
d’organes, on pourrait de façon subversive imaginer que le médecin est d’autant plus à
l’écoute de son patient qu’il sait tout le bénéfice que l’on pourra tirer d’un corps mort225. Pour
221
Arrêté du 24 mai 1994, J.O. du 27 mai 1994.
Loi du 6 août 2005, J.O. du 6 août 2005.
223
Art. R. 1232-2 du Code de la santé publique. Dans les deux cas, préalablement à tout prélèvement, un procès
verbal doit être dressé selon un modèle qui atteste que les médecins se sont conformés scrupuleusement à la
méthodologie et aux tests limitativement prévus par l’autorité réglementaire.
224
Cette exigence concernant la qualité des auteurs du constat de la mort est rappelée dans les dispositions
réglementaires au procès verbal. (Art. R. 1232-3 CSP).
225
Une telle suspicion pourrait être malencontreusement alimentée par la consultation des statistiques en matière
de prélèvements d’organes : on y découvre que l’âge moyen des donneurs a augmenté de manière significative et
que le nombre de donneurs de 65 ans et plus a été multiplié par dix en six ans. (Rapport d’activité et bilan des
activités de prélèvement et de greffe en France 2004, v. le site http://www.efg.sante.fr ).
222
- 78 -
éviter toute tentation d’amalgame, les praticiens de la greffe tiennent aujourd’hui à ce que les
personnes dont le décès résulte d’une demande personnelle, ou d’une décision médicale
d’arrêt de traitement, au sens de la loi du 22 avril 2005, soient systématiquement écartées en
tant que donneurs potentiels226. Quelles qu’en soient les insuffisances227, la réglementation
mis en place témoigne de la préoccupation des pouvoirs publics d’uniformiser des critères
fiables de détermination de la mort et de les rendre contraignants de manière à ne pas laisser
la médecin être juge discrétionnaire du moment de la mort.
L’équilibre entre l’encadrement juridique des techniques médicales et la nécessaire
liberté de manœuvre de la science est difficile à trouver. A peine était on arrivé à une solution
relativement satisfaisante quant à la détermination de la mort et aux prélèvements d’organes
que cette solution vient discrètement d’être remise en cause par le décret du 2 août 2005. Les
autorités administratives ont permis d’organiser des prélèvements d’organes sur des personnes
mortes par arrêt cardiaque ou respiratoire, et non plus seulement sur les individus en état de
mort cérébrale. Dans ces hypothèses, est en effet autorisé les prélèvements de rein et de
foie228.
L’urgence qui existe en matière de greffons exige-t-elle une pareille permission ? On peut
s’étonner que cette extension des prélèvements d’organes n’ait pas fait l’objet d’un texte
législatif, et partant d’une discussion publique, alors même que la matière touche à la
protection des libertés de la personne. Il faut peut être considérer que la modification de
l’article L. 1232-1 du Code de la santé publique introduite par la loi du 6 août 2004 tienne lieu
d’autorisation légale. Auparavant le texte disposait que « le prélèvement d’organes sur une
226
L. Brunet, Le médecin et la mort/le médecin et le mort : fin de vie et prélèvement d’organes, in Nouvelles
frontières de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, Dalloz, 2006, p. 138. Information recueillie
par l’auteur auprès du professeur A. Tenaillon, responsable du pôle Stratégie greffe à la direction médicale et
scientifique de l’Agence de la biomédecine.
227
Sur les débats scientifiques qui perdurent sur la définition de la mort, v. P. Lambert, La mort en débat,
(recension d’un article de S. Laureys, Death, unconsciousness and the brain, Nature Reviews Neuroscience, vol.
VI, n° 11, nov. 2005) Sciences humaines, mai 2006, n° 171, p. 16. P. Demay de Goustine, Le nouveau constat de
la mort en cas d’utilisation du cadavre (décret et arrêté du 2 décembre 1996), RD sanit. soc. 1997. 524, spéc. p.
536-541.
228
Ce mode de prélèvement, le premier a avoir été expérimenté lorsque les techniques ne permettaient pas de
maintenir une personne en état de mort encéphalique, avait été exclu, sauf pour quelques tissus, en raison des
échecs provoqués par le mauvais état de conservation des organes greffés. Les progrès techniques importants
accomplis par des équipes de transplantation à l’étranger ont conduit à envisager le développement de cette
pratique en France. V. D. 24 mai 1994 (J.O. 27 mai 1994), abrogé par le décret du 1er avril 1997, qui reprend
cependant cette exclusion, encore que de manière plus indirecte, dans l’article R. 1233-7 du Code de la santé
publique : la première condition imposée aux établissements de santé pour être autorisés à effectuer des
prélèvements d’organe à des fins thérapeutiques sur une personne décédée est de « disposer du personnel et de
l’équipement nécessaire au constat de la mort […] d’une personne assistée par ventilation mécanique et
conservant une fonction hémodynamique ». V. aussi Dictionnaire permanent de bioéthique et de
biotechnologies, « Organes humains », mise à jour mars 2005, §35.
- 79 -
personne décédée ne peut être effectué qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques et après
que le constat de la mort a été établi ». Désormais, il est fait mention que la mort doit avoir été
« dûment constatée ». Cette forme semble faire plus clairement référence au décret du 2
décembre 1996, qui encadre le constat des « deux types » de mort, par arrêt cardiaque et
encéphalique. En conséquence, l’hypothèse du prélèvement sur un individu mort par arrêt
cardiaque serait implicitement comprise dans le texte légal. Il reste que cette modification n’a
donné lieu à aucun débat parlementaire229, ayant été dès le début présentée comme une simple
précision rédactionnelle 230 , sans que les conséquences de cette précision ne soient jamais
explicitées. « Il y a, semble-t-il, ici une sorte de passe-passe législatif »231, le but étant de faire
l’économie d’une discussion publique, nécessairement délicate étant donné la matière, qui
n’aurait pas manqué de retarder la mise en place des premiers protocoles de prélèvements post
mortem sur donneurs en état de « cœur non battant ». L’attente dans le contexte de pénurie de
greffons a du apparaître comme insupportable232.
En toutes hypothèses, la fonction du médecin va-t-elle s’en trouver modifiée ? A
priori, le rôle du médecin n’est pas affecté lorsqu’il s’agit de procéder au constat de la mort.
Cependant, la nette distinction entre la tâche du médecin attestant que l’individu est mort et
celui qui est en charge du prélèvement d’organes semble se brouiller, semant ainsi le trouble
dans les représentations communes de la mort. Pour que ce prélèvement soit opérant, il faut en
effet que le corps mort reçoive des soins qui sont normalement destinés à des personnes
encore vivantes. Assurer la conservation de ces organes le temps nécessaire à l’autorisation et
à l’organisation matérielle de la transplantation implique d’entreprendre des manœuvres de
réanimation, et ce dès lors que la mort est certifiée, avant même que le corps ne soit transporté
dans un établissement hospitalier si la personne est décédée subitement. Il peut arriver que
des individus voire des proches entourent la personne au moment de son décès. On imagine
alors aisément la confusion qui peut naître dans leur esprit lorsque les manœuvres de survie
229
Dans les débats préparatoires de la loi du 6 août 2004, notamment lors de la présentation des rapports des
principales commissions saisies, avant la discussion article par article, on ne trouve aucune allusion à une
possible extension du prélèvement aux morts cardiaques, même si la pénurie des greffons est régulièrement
dénoncée.
230
Rapport fait au nom de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique par A. Claeys, Doc.
AN, n° 3528, janvier 2002, p. 70.
231
L. Brunet, Le médecin et la mort/le médecin et le mort : fin de vie et prélèvements d’organes, in Nouvelles
frontière de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, F. Bellivier et C. Noiville (sous la dir.),
Dalloz, 2006, p. 145.
232
Ibidem. Le professeur Tenaillon, responsable du pôle stratégie greffe à la direction scientifique et médicale de
l’Agence de la biomédecine, rencontré par l’auteur, estime que l’objectif de l’extension du prélèvement
d’organes aux morts par arrêt cardiaque est d’aboutir à une augmentation de 200 à 300 greffes par an.
- 80 -
seront pratiquées. C’est pourquoi dans un premier temps, ces nouveaux protocoles de
prélèvements ne seront appliqués que lorsque la personne est morte sans aucun proche à ses
côtés, pour éviter toute méprise et tension avec l’entourage. Il reste que l’attitude du médecin
risque de perturber à nouveau l’image de la mort, tout comme cela est déjà le cas pour les
prélèvements en matière de réanimation.
Au surplus, des craintes, aussi irrationnelles seraient-elles, peuvent apparaître sur la fiabilité
du constat de la mort de l’individu par le médecin. En effet, la brièveté du délai qui doit
s’écouler entre le moment de la mort et l’opération de prélèvement, moins de six heures,
suppose, semble-t-il, de constater la mort de manière encore plus précoce. Le constat ne
risque-t-il pas d’être hâtif ? Or, la spécificité de certaines mesures conservatoires, qui sont à
mettre en œuvre, participeront sans doute à éveiller la vieille hantise d’achever le mourant.
Dans les deux heures de la mort, une sonde doit en effet aussi être posée pour injecter un
liquide approprié assurant l’irrigation de ces organes et prévenant leur détérioration. Sauf que
ce liquide a un effet létal certain. Il aurait été sans doute opportun d’engager une véritable
discussion publique sur cette nouvelle modalité de prélèvement, ce qui aurait permis de poser
ces questions voire de contenir et déjouer les peurs. La pratique seule permettra désormais de
constater, peut être, un cristallisation des tensions éthiques liées à la perception du rôle du
médecin au regard de l’encadrement de la mort.
Face à la mort qui survient, le médecin voit son pouvoir d’appréciation et
d’intervention borné. L’apparente liberté absolue d’autrefois semble désormais plus encadrée
par la réglementation. Toutefois, le droit paraît toujours privilégier le médecin lorsque celui
offre de nouveaux moyens de protéger la vie, de sauver des vies.
Les fulgurances de la médecine d’aujourd’hui ont conduit le droit à l’éthique. Le droit a
cherché à contenir la science à ce qui était éthiquement acceptable. Mais il était pour la
première fois face à une difficulté majeure : l’homme a acquis par la science la faculté de
gérer la vie et la mort et il n’existe aucune précédent philosophique, éthique, religieux, aucun
courant de pensées auquel se référer. La science avance à grands pas et le droit la suit parfois
pour la servir, parfois pour la contenir. Néanmoins, il semble que le droit doive toujours être
en retard, soit surpris ou pris en défaut. Ainsi, par exemple, si le droit autorise les greffes, la
greffe de visage ne peut qu’interpeller. Il s’agit de donner à un être encore vivant le visage
d’un mort, afin de redonner une vie décente au greffé. Si l’on ne peut que saluer la prouesse
technique, il reste qu’il y a lieu de s’interroger sur la démarche particulière opérée.
L’extériorisation d’un organe – il y avait également un précédent de greffe de main – est
- 81 -
particulièrement troublante d’un point de vue sensible. De plus, il ne s’agit plus seulement
d’un organe à proprement parler mais d’un membre d’une personne décédée. Et à la
différence d’un organe, une telle intervention ne présente pas pour le receveur un aspect vital,
mais davantage un confort de vie.
Les progrès de la médecine et de la science ont un effet double. D’une part, le droit
s’est mis au service de la science. En ce sens, il a offert à la médecine de pouvoir utiliser le
potentiel humain, d’effectuer des recherches dans le but louable d’augmenter l’espérance de
vie, de guérir plus et de faire reculer la mort. Mais, d’autre part, la science a posé des
questions de nouvelles questions aux juristes auxquelles il n’avait jamais du répondre
auparavant. Le droit se devait donc de montrer les limites de la recherche pour la vie. Mais de
nombreux questionnements n’apparaissent que lorsque la médecine a découvert de nouvelles
possibilités. C’est pourquoi on prétend souvent que la science aura toujours « un
coup d’avance » sur le droit. La perception de la vie et de la mort pose d’importants
problèmes éthiques au droit. Jusqu’au où doit-on permettre à la science d’évoluer et ce même
dans le but de préserver la vie. Sert-on d’ailleurs la vie ? ou une certaine qualité de vie ? Par le
don d’organes, la mort peut servir la vie. La mort a du ainsi être définie. Il est une lapalissade
de dire que pour qu’il y ait mort, il faut qu’il y ait vie. Or, à ce titre, les problèmes rencontrés
par le médecin a l’extrémité de la chaîne de la vie se retrouve à l’autre bout.
Qu’est ce que la vie que le médecin se doit de protéger ? Là encore les progrès de la
connaissance du vivant vont gêner le droit, et presque pour une fois le médecin lui-même. Si
l’on se réfère à l’étymologie, la vie provient du mot hébreu néphèsch signifiant le souffle
vital. Il s’agirait donc de protéger physiquement l’individu. En ce sens, il est classé dans le
droit à l’intégrité physique de la personne. Les avancées de la science ne permettent pas
aujourd’hui de définir clairement la vie et comme nous avons pu le voir la mort. Il n’existe
aucune définition scientifiquement incontestable du début de la vie : diverses théories sont
avancées, et il est significatif d’observer que l’apparition du droit à la vie dans les textes
internationaux relatifs aux droits de l’homme est assez tardive233. La notion de vie ne peut
233
J. Robert, Les manipulations génétiques et le droit, in Les droits de l’homme et la nouvelle architecture de
l’Europe, IDPD Nice 1991, p. 148. Le droit à la vie est d’ailleurs peu étudié en droit international. Cf. cpdt : G.
Cohen-Jonathan, Progrès scientifique et technique et droits de l’homme, Mél. Colliard, Droits et Libertés à la fin
du XXe siècle, Pédone, 1984, p. 405 et s ; F. Sudre, Droits fondamentaux et progrès médical, Cah. Dr. publ. 1988
p. 73.
- 82 -
rester collée à une conception tout comme la définition de la mort n’a pu se résumer au seul
arrêt cardiaque.
Ce flou conduit à des contradictions, qui sont désormais légion en droit aujourd’hui234.
Pour le juriste, la vie c’est tout, parce que la liberté et les droits fondamentaux découlent de la
vie, que le droit accompagne la vie de l’individu tout au long de celle-ci et que, en toute
hypothèse, il ne peut être porté atteinte à celle-ci. Mais la vie en droit, c’est aussi parfois
beaucoup moins parce que l’on privilégie la personnalité juridique de l’individu qui ne peut
découler de la vie, mais sans pour autant décider, hormis la naissance, à quel moment cette vie
doit être protégée d’une façon uniforme. Ainsi, par exemple, selon la loi du 17 janvier 1975
relative à l’interruption volontaire de grossesse et la loi du 29 juillet 1994 relative au respect
du corps humain235, ce serait la conception qui marquerait le début de la vie. Mais la loi de
1975 autorise de mettre un terme à cette vie, lorsque la femme est en état de détresse, alors
que la loi du 29 juillet 1994 garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa
vie. Le médecin serait-il donc autoriser à donner la mort ? Le rapport du médecin avec le
commencement de la vie est aujourd’hui particulièrement difficile et complexe parce que l’on
n’appréhende réellement l’individu qu’à sa naissance et donc de son détachement de sa mère.
Or, pour autant la vie de ce dernier ne commence-t-elle pas, comme la médecine nous l’a
appris avec la conception ? Dès celle-ci, la mère est porteuse d’un être vivant que le droit
n’arrive pas à définir distinguant la notion de personne n’étant pas attachée à celle de vie,
mais à celle d’un être humain autonome et viable. Pour être doté de la personnalité juridique,
il faut être né vivant et viable. Partant, l’embryon n’a pas la personnalité juridique et n’est pas
juridiquement une personne. Il peut simplement être affirmé aujourd’hui que l’embryon
relève d’un statut original et mérite une protection particulière en raison de son appartenance
à l’humanité, conformément à l’article 16 du Code civil.
234
La Cour de cassation a quant à elle admis la réparation d’un droit à réparation pour avoir perdu une chance de
mourir par avortement (Cass. Ass. plén., 17 nov. 2000, JCP 2000, II, 10438, rapp. Sargos, concl Sainte Rose,
obs. Chabas ; D. 2001, Jur. p. 332, note Mazeaud, et p. 336, note Jourdain). Mais elle a également refusé de
qualifier d’homicide involontaire l’atteinte portée au fœtus ayant entraîné la mort de celui-ci (Cass. crim 30 juin
1999, Bull. crim., n° 174 ; D. 1999, Jur. p. 710, note Vigneau ; Rev. sc. crim. 1999, p. 813, note Mayaud ; Cass.
Ass. plén. 29 juin 2001, n°8 ; D. 2001, Jur. p. 2917, note Mayaud ; Rev. sc. crim. 2002, p. 97, note Bouloc ; 25
juin 2002, p. 97, note Bouloc, 25 juin 2002, D. 2002, Jur. p. 3099, note Pradel ; Rev. sc. crim. 2003, p. 95, note
Mayaud ; JCP 2002, éd. Act. 305 ; Cass. Crim., 4 mai 2004, D. 2004, Jur. p. 3097, note J. Pradel).
235
V. à cet égard, avis du Comité consultatif national d’éthique n°52 et 53, 11 mars 1997, D. 1998, Somm. p.
165, obs. Gaumont Prat.
- 83 -
Le droit n’est pas encore adapté aux progrès scientifiques. Le droit à la vie apparaît, dès lors,
malléable. Il peut évoluer, s’agrandir ou disparaître. Qu’est ce que la vie au regard de la
religion, de la morale, etc. ? Si le droit est différent de ces notions, quand celle-ci vont-elles
l’influencer ?236
Deux thèses sont généralement opposées. La première d’inspiration judéo-chrétienne prétend
que la vie commence à la conception et doit être protégée dès cet instant, alors que la seconde
soutient le contraire, s’attachant à la naissance237. Les ambiguïtés du droit français actuel : Le
droit à l’avortement238, l’inexistence du statut de l’embryon, le droit pénal ne reconnaissant
pas à ce titre, le fœtus comme autrui239 ; parallèlement, le développement de la médecine pour
les grands prématurés, il nous semble qu’il faille limiter cette étude à celle de la personne
physique240. La préservation par le médecin de la vie ne peut être discutée lorsqu’un enfant
naît et qu’il est viable. Cette évidence impose des droits qui découlent de la naissance, c’est-àdire découlent d’une vie que tout le monde reconnaît241. Le médecin se doit de préserver la vie
et on lui en a offert les moyens jusqu’à une approche solidaire de la mort par la présomption
du consentement au don d’organes.
236
C. Puigelier écrit : « A l’égard d’un droit à la vie qui ne pourrait que commencer dès la conception de
l’individu, dès l’apparition du système nerveux de l’embryon etc., à l’égard d’un droit à la vie qui pourrait
s’achever dès qu’un individu est atteint de lésions cérébrales irréversibles, etc., le juriste ne peut fournir que des
réponses émotionnelles. Emotions qui revêtent, d’ailleurs, toutes sortes de visages, par exemple à une mère qui a
porté en son sein un fœtus de six mois – et dont la science pouvait assurer la survie en raison des progrès d’ordre
néonatal – et auquel la vie a été retirée à la suite d’une erreur médicale ou d’un accident de la circulation, il est
difficile de répondre qu’elle n’a pas porté un enfant parce que le droit pénal ne s’intéresse qu’à autrui et cet
enfant n’était pas autrui. Pour Saint Thomas, l’équité n’allait pas contre ce qui était juste en soi, mais contre ce
qui était juste selon la loi. Pour le juriste du XXIe siècle, la morale ne va pas contre ce qu’est la vie en soi, mais
contre ce qu’est la vie selon la loi. Cela signifie qu’un droit à la vie est voué à une constante évolution ou
indétermination parce que nourri de progrès scientifiques qui ne peuvent s’ouvrir, en l’état, à une réalité autre
que celle de la morale relayée et sanctionnée par le groupe social », Qu’est-ce qu’un droit à la vie ?, D. 2003,
Chron. p. 2789, in fine.
237
Ce qui conduit des auteurs a s’interroger sur la notion d’espèce humaine. V. M.-P. Pies-Hitier, Recherche
d’une qualification juridique de l’espèce humaine, D. 2005, chron. p. 865.
238
Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975, dite loi Veil. Cons. Const. 15 janv. 1975, décis. n° 74-54, Grands arrêts, L.
Favoreu et L. Philip, Dalloz, 12e éd., p. 299.
239
Cf. infra. V. pour une analyse récente, complète et minoritaire, puisque défendant la position de la Cour de
cassation : J. Mouly, Du prétendu homicide de l’enfant à naître, Défense et illustration de la position de la Cour
de cassation, Rev. sc. crim., 2005, p. 47. V. également, CEDH, 8 juillet 2004 Vo c/ France, D. 2004, p. 2456,
note J. Pradel ; J.C.P. 2004, II, 10158, note M. Levinet ; RJPF sept. 2004, p. 25, note N. Fricéro ; Dr. Famille
oct. 2004, p. 43, note p. Murat ; RTD civ. 2004, p. 799, obs. J.-P. Marguénaud ; E. Serverin, Réparer ou punir ?
L’interruption involontaire devant la Cour EDH, D. 2004, chron. p. 2801.
240
Se pose naturellement la question du clonage qui est interdit, de l’assistance médicale à la procréation, de
l’embryon, etc. V. J.-F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, op. cit., pp. 81-88. L’auteur s’interroge
s’il n’existe pas un « no man’s land » juridique préoccupant puisqu’il a poussé une partie de la doctrine à se
demander si l’on peut toujours considérer que l’article 2 consacre une des valeurs première de notre société,
l’embryon en semblant être exclu. Il appelle à une véritable reconnaissance de ce dernier. La Cour EDH a elle
éludé la question dans une affaire relative à l’avortement : CEDH, 29 oct. 2002, Open Door et autres c/ Irlande,
A-246A §66.
241
V. C. Puigelier, Qu’est-ce qu’un droit à la vie ?, D. 2003, Chron. p. 2781 et s.
- 84 -
La mort étant un phénomène biologique, il appartient aux biologistes et aux médecins de la
définir : c’est pourquoi le législateur a choisi une définition selon les critères scientifiques
nécessaire à de nombreuses dispositions juridiques. Mais cette définition sert également la
médecine en choisissant des critères favorables à la progression de la science. Si pendant des
siècles, la détermination de la mort avait pour but essentiel de permettre l’inhumation de la
personne récemment décédée, aujourd’hui, une définition scientifique de la mort favorise le
développement des greffes d’organes, en facilitant les interventions les plus précoces sur le
corps sans vie.
2- Le paradoxe du don d’organes
Le rapport médecin-patient est un rapport particulier. Rapport de confiance,
d’espérance, le médecin et le patient forment une sorte d’équipe temporaire, embarquée dans
le pire parfois, se battant pour le meilleur. L’échec fait cependant partie de la médecine de
tous les jours. Les progrès de la médecine ne permettent pas de sauver de toutes les vies.
Mais, ces progrès ont permis d’utiliser la mort au service d’autres vies en souffrance. Pour
permettre aux médecins de préserver un maximum de vies, et parce qu’il n’y a plus rien à
espérer dans la mort, le droit fait présumer l’accord pour la vie, la mort utile. Ainsi, Si
« l’humanité répugne instinctivement à porter la main sur le cadavre, craignant par ce geste
d’outrager le corps du défunt, mais aussi sa mémoire et heurter les vivants qui étaient
affectivement liés à ce mort »242, on ne peut cependant nier le fait que la dépouille mortelle se
révèle, lorsque la satisfaction de certains besoins thérapeutiques et scientifiques est en jeu, un
instrument actif au service de la vie et plus particulièrement au service de la collectivité. En
matière de prélèvements d’organes à des fins thérapeutiques, l’ordre public est prédominant.
Pour permettre de sauver des vies, le médecin apparaît comme un médiateur entre un
individu mourant et le patient en attente d’une transplantation d’organe. L’acte thérapeutique
se joue ici entre trois acteurs, et non plus deux. L’intérêt général commande que toute
personne malade en attente d’une greffe ait une chance d’être transplantée (a). Mais, aussi
utile que soit cette mort, le manque de dons se fait cruellement sentir en France243. Peut être
faudrait-il reconsidérer ce patient vivant, donneur décédé, et ne pas l’oublier (b).
242
B. Py, La mort et le droit, PUF, Coll. Que sais-je ?, n° 3569, 2000, p. 79.
Les résultats de la greffe d’organes en font une thérapeutique reconnue et encore inégalée. La France reste en
situation de pénurie d’organes : sur les 12 450 personnes en liste d’attente en 2006, seules 4428 ont pu être
243
- 85 -
a) La mort utile
Le médecin tentera tout pour sauver son patient. La relation de confiance s’instaure
entre ce malade et le médecin, mais de façon abrupte, elle s’arrête avec la mort du patient.
Certes, le médecin doit encore établir les dernières formalités, mais son rôle s’achève là, et la
relation, cela va de soit, n’existe plus. Cela peut apparaître sot de le préciser, mais en réalité
c’est oublier que la mort d’un patient « en bonne santé » peut présenter un intérêt médical
majeur : c’est l’hypothèse du don d’organe 244 . Le patient décédé passe d’acteur principal
d’une relation à celui de tiers fondamental à une autre relation médecin-patient, celle établie
entre un patient en attente d’une greffe. La mort de l’un pour quelques vies d’autres. Le
médecin, lui, en quelques instants passe du médecin d’un patient désormais décédé à celui
d’un autre patient inconnu auquel il faut désormais penser de façon urgente245. Cette situation,
techniquement maîtrisable, présente des difficultés émotionnelles et psychologiques
importantes246. Pour la famille d’une part, il s’agit dans son deuil présent, d’accorder une
oreille attentive aux autres, d’avoir un réflexe altruiste, si le patient n’a pas fait connaître sa
volonté247 voire de subir un nouveau choc dans le don qu’elle découvre et avec lequel elle
n’est pas nécessairement d’accord248. Pour l’équipe médicale, d’autre part, toute investie dans
greffées. (Dire sa Position sur le don d’organes. C’est aider ses proches, Signes de Vie, Journal santé édité par
l’Institut Pasteur de Lille, Juin 2007, n° 8, p. 10).
244
Voir notamment J. Savatier, Et in hora mortis nostrae, Le problème des greffes d’organes prélevés sur un
cadavre, D. 1968, Chron. XV, p. 89.
245
V. les articles L. 1232-1 et s. du code de la santé publique. – J.-P. Gridel, L’individu juridiquement mort, D.
2000. Chron. 266-6.
246
J. Savatier écrit : « Les situations où ces problèmes se posent sont dramatiques. D’un côté, un homme entre la
vie et la mort, qui est dans un état comateux depuis un temps plus ou moins long. On s’empresse pour le
réanimer. On le fait respirer artificiellement. On relance les pulsations de son cœur. Et ces soins peuvent
entretenir certaines apparences de vie : il n’a pas rendu le dernier soupir, son cœur continue à battre. Et pourtant,
l’espoir s’éloigne progressivement de le voir reprendre conscience. Il vient un moment où les médecins qui
l’observent acquièrent la conviction qu’ils n’ont plus devant eux qu’un cadavre, à qui ils maintiennent une
certaine survie artificielle. Pendant ce temps, un autre malade se languit sans espoir de guérison par les méthodes
de soins employées jusque là à son égard. Son médecin sait qu’il y a certaines chances de lui faire reprendre une
vie plus normale grâce à une greffe. Mais il lui faut que l’organe à greffer soit prélevé le plus tôt possible après
la mort, avant d’avoir subi les modifications que celle-ci entraîne rapidement dans tout le corps. Il faut aussi que
le donneur ait certaines qualités qui réduiront les risques de rejet de la greffe. », Et in hora mortis nostrae, Le
problème des greffes d’organes prélevés sur un cadavre, op. cit, p. 89
247
Selon l’article L. 1232-1 alinéa 4 du Code de la santé publique, si le médecin n’a pas directement
connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir le témoignage de sa famille. V. D.
Thouvenin, La personne et son corps : un sujet humain, pas un individu biologique, P.A. du 14 déc. 1994, dossier
bioéthique ; C. Barberger, Protection du corps humain et/ou protection du corps médical, P.A. n° 25, du 26
février 1996 ; O. Mesmin, Le consentement en matière de prélèvement d’organe sur une personne morte,
Conclusions sur tribunal administratif d’Amiens, 14 décembre 2000, M et Mme Tesnières c/ Centre hospitalier
d’Amiens, RD sanit. soc. 2000, p. 690.
248
Il faut préciser que le droit au respect du corps humain est un droit intransmissible aux héritiers même si ces
derniers peuvent défendre le cadavre en invoquant certaines dispositions particulières. Ce principe découle
- 86 -
la volonté de sauver la vie de son patient, qui doit se résoudre à sa mort, accepter son échec,
penser à un autre patient et gérer la transition, notamment avec les proches. Cette situation a
quelque chose d’urgent et en même temps hors du temps, même si le professionnalisme
médical devrait permettre de la cerner, et parce que le but premier de la médecine est la
préservation de la vie.
Pour créer une chaîne de vie, le médecin sert de maillon intermédiaire entre un
individu dont la mort est certaine et le malade dont la survie dépend d’une transplantation
d’organe. L’acte thérapeutique se joue ici entre trois protagonistes, et non plus deux, comme
la loi relative à la bioéthique d’août 2004 vient de le consacrer : il est désormais expressément
disposé que tout prélèvement d’organes en vue de don à des fins thérapeutiques est une
activité médicale. Plus encore, le médecin ne se contente pas d’être un simple intermédiaire
qui recevrait un don et qui le transmettrait à celui qui en a besoin249. « Ce qui est premier, ce
n’est pas en effet la volonté de donner, c’est la nécessité de prélever »250 pour sauver des
malades. Or, l’expression de ce besoin, l’organisation de solutions pour y répondre, sont le
résultat du savoir médical et du progrès technique. Ainsi, le médecin est non seulement la
condition de réalisation d’un tel échange de produits du corps humain à finalité thérapeutique,
mais il en est aussi et avant tout sa condition de possibilité251. Le médecin occupe donc à ce
titre une place centrale.
Le législateur a entendu favoriser le don d’organes prélevés sur les morts et aussi
faciliter le travail des médecins252. C’est pourquoi, à la différence du droit médical classique,
le consentement est présumé. Ainsi, sauf à avoir fait connaître expressément son opposition
aux dons de ses organes, toute personne est censée y avoir consenti253. Par ailleurs, malgré les
règles strictes de sécurité sanitaire, les prélèvements d’organes sont facilités. Ainsi, la place
centrale qu’occupe le médecin dans l’échange de matière d’un corps mort à un corps vivant ne
directement du principe du droit au respect du corps humain. La dépouille de la personne reflétant quelque chose
de sa dignité et de son humanité se trouve, en effet, protégée par le droit civil et le droit pénal.
249
Etant bien précisé que ce n’est pas le même médecin qui prélève et qui greffe. On se réfère ici davantage à la
fonction qu’à la personne.
250
E. Grand, C. Hervé, G. Moutel, Les éléments du corps humain, la personne et la médecine, L’éthique en
mouvement, L’Harmattan, 2005, p. 31.
251
Ibid., p. 81.
252
Pour éviter toute ambiguïté et assurer la sécurité du patient, le droit a prévu que la mort devait être constatée
par un médecin qui ne devra pas appartenir à l’équipe médical bénéficiant de la greffe.
253
Art. L. 1231-1, alinéa 2 du Code de la santé publique : « Ce prélèvement peut être effectué dès lors que la
personne concernée n’a pas fait connaître de son vivant, son refus d’un tel consentement ». La famille témoigne
du consentement de l’intéressé et ne livre pas normalement son propre avis.
- 87 -
peut manquer de s’illustrer dans les règles qui encadrent les deux étapes de cet échange :
l’autorisation de prélèvement d’organe eu égard à la volonté du défunt (1°) et l’opportunité de
pratiquer un greffe compte tenu de certains risques sanitaires (2°).
1°) La présomption de consentement au don d’organes
En l’absence de consentement254, nul ne peut être autorisé à porter atteinte au corps
d’autrui. Cette règle, impérative pour les vivants255, l’est beaucoup moins pour les morts pour
lesquels le principe d’intangibilité de la dépouille 256 trouve en certains cas ses limites,
notamment lorsqu’il s’agit de prélever sur elle des organes vitaux susceptibles d’être
transplantés sur des malades. À l’heure actuelle, la grande majorité des organes prélevés à des
fins thérapeutiques le sont sur des personnes décédées. L’article L. 1232-1 du Code de la
santé publique, issu de la loi du 6 août 2004, établie une présomption de consentement de la
personne décédée, par ailleurs déjà consacrée par l’article 2 de la loi Caillavet du 22 décembre
1976257 puis par la loi du 29 juillet 1994258, aux prélèvements d’organes effectués à des fins
thérapeutiques. En d’autres termes, ceci implique que la personne, qui de son vivant n’a pas
exprimé son refus à ce que soient effectués à son décès des prélèvements d’organes en vue
d’une transplantation, est logiquement présumée les accepter. Il en va de même en ce qui
concerne le prélèvement à des fins scientifiques autre que celui ayant pour but de rechercher
les causes du décès pour lequel l’article L. 1232-3 du Code de la santé publique issu de la loi
du 29 juillet 1994 exigeait le consentement exprès du défunt « exprimé directement ou par le
témoignage de sa famille »259. La loi du 6 août 2004260 a modifié la rédaction issue de la loi de
254
Article 16-3, alinéa 2, du Code civil.
Article 16-1 du Code civil.
256
Article 225-17 du Code pénal.
257
La loi Caillavet du 22 décembre 1976, composée de cinq articles dont le second était relatif aux prélèvements
sur donneurs décédés, énonçait qu’ils pouvaient être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le
cadavre d’une personne n’ayant pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement ». Cette loi
améliora ainsi le décret du 20 octobre 1947 pour lequel l’autopsie et le prélèvement pouvaient, « même en
l’absence d’autorisation de la famille, être pratiqués sans délai », dès lors qu’un intérêt scientifique ou
thérapeutique le commandait.
258
Loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à
l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.
259
En matière de prélèvements d’organes sur une personne décédée, les articles L. 1232-1 et L. 1232-3 du Code
de la santé publique issus de la loi du 29 juillet 1994 instauraient en effet des régimes juridiques différents en
fonction de la finalité poursuivie : thérapeutique, tout d’abord, en vue d’une transplantation sur une personne
malade en attente d’un organe sain, et scientifique, ensuite, en vue de servir le progrès de la connaissance et des
techniques médicales.
Alors que la loi Caillavet du 22 décembre 1976 adoptait la règle du consentement présumé aussi bien pour les
prélèvements d’organes à des fins thérapeutiques que pour ceux à fins scientifiques, il a été finalement décidé,
après maintes hésitations lors des débats parlementaires, de subordonner la validité des prélèvements
scientifiques effectués à l’expression d’un consentement non plus présumé mais éclairé de la part du donneur.
255
- 88 -
1994 dans un souci de clarté et d’harmonisation des régimes de consentement aux
prélèvements sur personne décédée, quelque soit la finalité de ces derniers261. S’agissant des
conditions de la réalisation des prélèvements à des fins scientifiques et de l’autopsie
« médicale », y compris pour les autopsies réalisées chez des personnes mineures ou majeures
protégées qui n’étaient pas encadrées jusqu’à présent262, le nouveau texte de la loi renvoie au
droit commun relatif aux prélèvements sur personne décédée, c’est-à-dire au principe du
consentement présumé que décrit le nouvel article 1232-1 du Code de la santé publique.
Le principe du consentement présumé 263 dispense le médecin de rapporter le
consentement explicite de la personne au prélèvement d’organes après sa mort, il suffit
d’établir que de son vivant, elle n’a pas exprimé de refus. On déduit donc du silence de la
personne son absence de désaccord. L’intention est claire : favoriser le développement des
activité de prélèvement et de greffes. Le principe du consentement présumé n’en a pas moins
toujours été critiqué depuis son adoption. D’abord il est totalement contraire à la logique
habituelle du don, de l’acte fondamentalement altruiste et volontaire. Certains pour qui
l’intérêt des vivants prime sur celui des morts voient dans cette présomption une occasion
Cette disposition, justifiée par le fait qu’il existe une « différence fondamentale entre la finalité thérapeutique qui
consiste à sauver une vie et la finalité scientifique qui n’a pas exactement le même caractère » (J.-F. Mattei, J.O.,
Débats Ass. Nat., 24 nov. 1992, p. 5937, cité in N. Nefussy-Leroy, Organes humains, Prélèvements, dons,
transplantations, Ed. Eska, Paris, 1998, p. 90), fut immédiatement critiquée dans la crainte légitime qui
s’amoindrissent à terme les chances d’enrichir les connaissances scientifiques et médicales. Néanmoins, par
souci de cohérence juridique, il était logique de retenir la règle du consentement explicite alors même que la loi
Huriet n° 88-1138 du 20 décembre 1988, relative à la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales, exigeait également de la part de l’individu un consentement libre et éclairé. Outre cet aspect
juridique, il faut également constater que sur la plan pratique, « le législateur a voulu aller vers un apaisement de
l’opinion publique en mettant fin aux craintes et aux fantasmes des Français en leur donnant la garantie que des
prélèvements ne peuvent être faits à fins scientifiques sans un consentement explicite. » : N. Nefussy-Leroy,
Organes humains, Prélèvements, dons, transplantations, op. cit., p. 91.
260
V. J.-R. Binet, La loi relative à la bioéthique. Commentaire de la loi du 6 août 2004 : 2e partie, Dr. fam. 2004,
Chron. n° 26, p. 8.
261
L’une des nouveautés de la loi du 6 août 2004 est d’avoir complètement modifié les dispositions de l’ancien
article L. 1232-3 du Code de la santé publique, désormais consacré aux prélèvements à des fins scientifiques qui
ne peuvent « être pratiqués que dans le cadre de protocoles transmis, préalablement à leur mise en œuvre, à
l’Agence de la bio-médecine ». En ce qui concerne l’autopsie médicale, l’article L. 1211-2 du Code de la santé
publique complété de deux nouveaux alinéas, s’applique. Celui-ci dispose qu’elle doit être pratiquée
« conformément aux exigences de recherche du consentement ainsi qu’aux autres conditions prévues aux
chapitres II du titre III du présent livre ».
262
S’agissant des prélèvements effectués sur le cadavre d’un mineur dans le but de connaître les causes du décès,
la question était de savoir si le régime d’autorisation préalable spécifique au cas de prélèvements en vue de
greffes que consacrait la loi impliquait que l’autopsie médicale retombe sous l’empire de la règle du
consentement présumé. Le Conseil d’Etat résolut cette question, considérant que l’accord exprès des titulaires de
l’autorité parentale ne devait pas être requis lors d’une autopsie : C.E., 17 février 1988, D. 1989, p. 41, concl. B.
Stirn ; J.C.P. 1990, II, 21421, note E. Fort-Cardon.
263
Voir pour une genèse du principe du consentement présumé du défunt aux prélèvements d’organes : S.
Hennette-Vauchez, Disposer de soi ? Une analyse juridique sur les droits de la personne sur son corps, préf. E.
Picard, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2004, p. 200.
- 89 -
unique de servir la « bonne cause » 264 , celle des malades en attente d’une greffe qui ne
peuvent, confrontés à leur douleur et à l’urgence de leur guérison, dépendre du consentement
exprès de donneurs éventuels. Selon eux, le règle du consentement présumé a au moins le
mérite évident de lutter efficacement contre la pénurie des organes vitaux susceptibles d’être
transplantés 265 et d’amoindrir par là même les dérives liées à l’utilisation commerciale de
produits biologiques en provenance du corps humain que les articles 16-1 et 16-5 du Code
civil réprouvent. Autrement dit, la règle du consentement présumé répond à une logique de
solidarité sociale, collective, voire de service public266 que résume M. Sarda lorsqu’il écrit
que « nous plaçons dans des cercueils qui ne seront jamais ouverts et ne protégeront pas de la
décomposition en poussière des organes capables de vivre et d’être auxiliaires de vie. Or, ces
organes manquent à des êtres en souffrance » 267 . La préservation de la vie, l’intérêt des
malades et plus largement de la science doivent, dans un esprit solidaire et altruiste, prévaloir
sur le respect dû aux morts. La solidarité nationale impose aux morts de contribuer à la
sauvegarde des vivants.
Dans la mission de service public qui lui est ainsi conférée, le médecin se voit
reconnaître un véritable pouvoir de « réquisition des éléments du corps post mortem »268 dès
lors qu’il estime utile de procéder au prélèvement. Une fois prise sa décision au regard de
l’intérêt du malade en attente de greffe, le médecin est donc autorisé à pratiquer un
prélèvement sur une personne décédée à la condition que celle-ci n’ait pas de son vivant
manifesté d’opposition. L’étendue du pouvoir d’intervention reconnu par les textes au
médecin apparaît donc considérable : quant à l’opportunité de la transplantation envisagée il
264
G. Cornu, Droit civil, Introduction, Les personnes, Les biens, Domat, Droit privé, Montchrestien, 11ème éd.
2003, n° 486, p. 218.
265
Au plan juridique, la loi française a paru suffisamment bonne et adéquate pour lutter efficacement contre la
pénurie contre des organes pour le Conseil de l’Europe préconise, dans un souci d’harmonisation, l’adoption par
les autres pays européens de solutions identiques : V. article 10 de la résolution du 11 mai 1978 : « Aucun
prélèvement ne doit être effectué lorsqu’il y a une opposition manifeste ou présumée du défunt compte tenu
notamment de ses convictions religieuses philosophiques. À défaut d’une volonté du défunt manifestée
explicitement ou implicitement, le prélèvement peut être effectué. » : cité in N. Neffussy-Leroy, Organes
humains, Prélèvements, Dons, Transplantations, op. cit., p. 68. Le principe du consentement présumé existe
donc dans de nombreux pays européens comme la Belgique, le Portugal, l’Espagne ou l’Italie : C. Byk, Le droit
de la transplantation d’organes en Europe vers l’harmonisation, Journal inter. Bioéthique, 1994, vol. 5, n° 3, p.
221. L’Allemagne, quant à elle, continue d’appliquer la règle du consentement exprès comme l’indiquent les
articles comme l’indiquent les articles 3 et 4 de la loi du 1er décembre 1997 dite « Transplantationsgesetz ».
266
S. Regourd, Les droits de l’homme devant les manipulations de la vie et de la mort, R.D.P. 1981, p. 438 ; S.
Hennette-Vauchez, Le consentement présumé du défunt aux prélèvements d’organes : un principe exorbitant,
mais incontesté, Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, 2001, n° 1, p. 183 ; du même auteur,
Disposer de soi ? Une analyse juridique sur les droits de la personne sur son corps, op. cit., p. 217.
267
F. Sarda, Le droit de vivre et le droit de mourir, Seuil, Paris, 1975, p. 201.
268
P. Egéa, note sous TA Amiens, 14 décembre 2001, 2e ch., D. 2001, 3301.
- 90 -
en est seul juge ; quant à la légalité, la loi lui offre un moyen expéditif de vérifier que les
conditions en sont remplies, notamment celle de l’absence d’opposition du défunt à
l’utilisation de son cadavre : le médecin peut tenir cet accord pour acquis jusqu’à preuve du
contraire.
D’autres, au contraire, pour qui la protection de l’intégrité des morts prédomine sur
tout autre intérêt, voient dans cette règle du consentement présumé l’expression d’une
véritable « nationalisation »269 des corps, d’une « appropriation collective »270 contraire à la
philosophie du don271. Le principe déroge en effet à la règle, inscrite en 1994 au rang des
principes fondamentaux de protection de la personne, qui exige, pour qu’une atteinte au corps
soit valide, qu’elle ait été expressément consentie par l’intéressé272. Ensuite, ce principe induit
une représentation du corps qui heurte la tradition individualiste occidentale ou l’homme est
propriétaire de lui-même 273 : faire l’économie du consentement exprès de l’individu au
morcellement274 de sa dépouille laisse supposer que chaque individu s’est vu prêter pour la
durée de sa vie un corps qu’il doit restituer, en mourant, à la société qui le lui a fourni275. M.
Savatier souligne ainsi que « la tentation est grande de traiter le cadavre, du moins ceux
soumis au pouvoir du corps médical dans un établissement hospitalier, comme un gisement de
produits biologiques, dans lequel on peut puiser dans l’intérêt des malades susceptibles d’être
soignés grâce à ces produits d’origine humaine » 276 . De même, si le droit civil, fondé en
grande partie sur le principe de l’autonomie de la volonté, recourt exceptionnellement aux
présomptions, ce n’est qu’afin de servir les intérêts de la personne dans les actes juridiques de
la vie courante. De ce fait, ces fictions de volonté sont difficilement justifiées pour les actes
269
J. Carbonnier, Droit civil, Les personnes, Personnalité, incapacités, personnes morales, t.1, P.U.F., coll.
Thémis, 21ème éd., 2000, p. 45, n° 18.
270
J. Savatier, Les prélèvements sur le corps humain au profit d’autrui, P.A. 14 déc. 1994, n° 149, p. 8.
271
J. Rivéro, Libertés publiques, Le régime des principales libertés, t.2, 5ème éd., 1996, P.U.F., Coll. Thémis,
p.117.
272
Art. 16-3 al. 2.
273
V. L. Dumont, Essai sur l’individualisme, Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Genèse,
II, La catégorie politique et l’Etat à partir du XIIIe siècle, Le Seuil, coll. Points, 1983.
274
Le terme apparaît justifié puisque 80% des cadavres utilisés sont l’objet d’un prélèvement multi-organes (cf.
Dictionnaire permanent de bioéthique et biotechnologies, V° Organes humains, §75). En moyenne, un donneur
permet le prélèvement de trois organes (v. A. Fohr, La face cachée des greffes, Le Nouvel Observateur, 6 juillet
2006, n° 2174). V. par exemple l’affaire jugée par le TA Amiens, 14 décembre 2001, 2e ch., D. 2001, 3310, note
P. Egéa, dans laquelle huit prélèvements avaient été effectués sur le cadavre d’un jeune homme décédé des suites
d’un accident de la circulation.
275
E. Grand, C. Hervé, G. Moutel, Les éléments du corps humain, la personne et la médecine, L’éthique en
mouvement, L’Harmattan, 2005, p. 115-116 et les références citées.
276
J. Savatier, art. préc.
- 91 -
exorbitants tels que ceux avalisant les prélèvements d’organes sur une personne dont l’intérêt
n’est peut être pas de voir sa dépouille instrumentalisée277.
Les critiques formulées à l’encontre de la loi du 22 décembre 1976 n’ont pas échappé
au législateur, et ce d’autant plus qu’un tel système n’a pas manqué de provoquer certains
dérapages qui ont jeté le discrédit sur les activités de prélèvement et qui ont abouti à des
réparations financières278. Ainsi, les aménagements des conditions de refus, prévus à l’origine
par un texte réglementaire279, ont-ils été affermis et hissés à la hauteur de la loi. Conscient des
incidences négatives inhérentes à l’application de la règle du consentement présumé quant au
respect normalement dû à la volonté humaine et surtout au cadavre de la personne décédée, le
législateur a posé quelques garanties particulières. Ces dernières ont été reprises par la loi du
6 août 2004 laquelle faisait en même temps expressément du prélèvement et de la greffe
d’organes une « priorité nationale »280, afin d’instaurer dans la mesure du possible un juste
équilibre entre le droit de la personne sur son corps après sa mort, l’intérêt des malades en
attente d’une greffe et l’intérêt de la science.
C’est pourquoi, d’une part, il n’est pas nécessaire, par souci de simplicité, que l’expression du
refus soit formalisée. L’article L. 1232-1 du Code de la santé publique issu de la loi du 29
juillet 1994 disposait à cet effet que le refus « peut être exprimé par l’indication de sa volonté
sur un registre national automatisé prévu à cet effet »281. La loi du 6 août 2004 n’apporte à ce
277
S. Hennette-Vauchez, Le consentement présumé du défunt aux prélèvements d’organes : un principe
exorbitant, mais incontesté, op. cit., p. 187.
278
V. notamment l’affaire précitée jugée par le TA Amiens dans laquelle les prélèvements pratiqués étaient
beaucoup plus importants que ceux pour lesquels les parents n’avaient, au nom de leur fils, manifesté aucune
opposition.
279
D. 31 mars 1978, art. 9 : l’article 8 prévoyait qu’un registre, mis à disposition par l’établissement hospitalier
où la personne est admise, consigne l’expression ou toute indication de son opposition à un éventuel prélèvement
sur son cadavre ; l’article 9 ajoutait que les personnes proches ou de sa famille pouvaient aussi porter dans ce
registre leur témoignage, assorti des justifications nécessaires, du refus que le défunt aurait fait connaître de son
vivant. Ce registre devait être consulté par le médecin avant de procéder à un prélèvement. Pour s’inscrire sur ce
registre, il est possible d’envoyer son refus à : Agence de la biomédecine, Registre national des refus, TSA
90001, 93572 Saint-Denis la Plaine Cedex. Un formulaire d’inscription est téléchargeable sur le site de l’Agence
de la Biomédecine : www.agence-biomedecine.fr . Si une personne accepte au contraire d’être donneur, il lui est
conseillé d’en informer sa famille – ce qui est d’ailleurs préférable de faire en tous les cas – et elle peut se munir
d’une carte de donneur comme trace de sa décision.
280
L’article L. 1231-1 du Code de la santé publique dispose en effet que « le prélèvement et la greffe d’organes
constituent une priorité nationale ».
281
L’article L. 1232-1 du Code de la santé publique précisait également que ce refus « est révocable à tout
moment. Les conditions de fonctionnement et de gestion du registre sont déterminées par décret en Conseil
d’Etat ». La nouveauté apportée par la loi du 29 juillet 1994 réside dans le fait que le registre est désormais
automatisé (il a été mis en place en 1997) à la différence de celui crée par le décret d’application de la loi
Caillavet datant du 31 mars 1978 qui, selon l’article 9, était tenu par les hôpitaux autorisés à effectuer des
prélèvements après décès. Ces registres hospitaliers furent en général peu utilisés du fait d’un accès difficile et
peu connu. C’est pourquoi, il fut proposé, lors des débats en première lecture du projet de loi à l’Assemblée
- 92 -
sujet aucun changement si ce n’est que la formule de l’article L. 1232-1, alinéa 2, du Code de
la santé publique, tenant compte du fait que le refus peut être également exprimé oralement au
personnel médical de l’hôpital, ou par écrit dans un registre tenu par l’établissement
hospitalier ou éventuellement sur tout document écrit conservé par la personne, est désormais
plus large : « ce refus peut être exprimé par tout moyen, notamment par l’inscription sur un
registre national automatisé prévu à cet effet ».
D’autre part, la loi enjoint le médecin, dans l’hypothèse où il « n’a pas directement
connaissance de la volonté du défunt », de rechercher auprès de la famille une opposition aux
prélèvements d’organes que le défunt aurait éventuellement exprimée de son vivant ainsi que
d’informer celle-ci de la « finalité des prélèvements envisagés » et du droit qu’elle a « à
connaître les prélèvements effectués »282. En d’autres termes, la présomption de consentement
telle qu’elle est posée par la loi est une présomption simple, susceptible d’être renversée par le
témoignage de la famille283 du défunt qui, de son vivant, lui a fait connaître son désir de ne
pas faire l’objet de prélèvements d’organes à son décès 284. Le défunt doit donc avoir fait
connaître une opposition. Dans le cas contraire, il est considéré comme ayant consenti au
prélèvement. Cette disposition nouvelle de l’article L.1232-1, qui ne fait plus référence à
l’expression d’une volonté positive ou négative émise, ne devrait cependant pas remettre en
cause une pratique médicale fortement ancrée chez les praticiens lesquels, en cas d’opposition
de la famille285, se refusent à prélever et ce malgré le principe du consentement présumé.
nationale, de mettre en place un registre national automatisé dont l’accès serait facilité : N. Nefussy-Leroy, op.
cit., pp. 70-71.
282
L’une des nouveautés de la loi du 6 août 2004 est d’avoir intensifié les obligations du médecin envers les
proches du défunt. Ce dernier est maintenant tenu, selon les termes de l’article L. 1232-1, alinéa 3, du Code de la
santé publique, de les informer « de la finalité des prélèvements envisagés ». L’alinéa 4 du même article dispose
également que « les proches sont informés de leur droit à connaître les prélèvements effectués ».
283
F. Chabas, Le corps humain et le droit : journées belges, Travaux de l’Association Henri Capitant, Dalloz, t.
XXVI, 1977, pp. 244-245 : « Qu’il s’agisse d’un mort ou d’un vivant, les droits plus ou moins vastes accordés
aux proches ne leurs sont pas donnés pour leur intérêt personnel. Ils leurs sont concédés par une sorte de mandat
de fait tacite pour les cas où l’intéressé ne peut consentir et dans le dessein de protéger comme il l’aurait fait luimême son intégrité physique ou sa santé ».
284
La loi du 6 août 2004 a à ce sujet apporté une modification par rapport à la législation antérieure. L’article L.
1232-1, aliéna 4, du Code de la santé publique issu de la loi du 29 juillet 1994 prévoyait en effet que « si le
médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir le témoignage
de sa famille ». Ceci impliquait alors que le médecin avait l’obligation de chercher auprès de la famille des
éléments de fait susceptibles de le convaincre qu’il n’existait pas un refus formel à un prélèvement d’organes
effectué en vue d’une future transplantation. En revanche, l’article L. 1232-1 ; alinéa 3, issu de la loi de 2004,
dispose que « si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de
recueillir auprès des proches l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt
par tout moyen ». Cette nouvelle rédaction implique donc que le médecin a désormais l’obligation de chercher
auprès de la famille des éléments susceptibles de le convaincre qu’il existe un refus formel à un prélèvement
d’organes. La référence au témoignage de la volonté de l’intéressé, positive ou négative, est abandonnée au
profit d’une référence à l’opposition au don d’organes exprimée de son vivant par le défunt.
285
Il existe deux vrais cas d’opposition de la famille : pour le majeur sous-tutelle et pour le mineur.
- 93 -
Dans la pratique médicale, et ce dans la majorité des cas, on s’en remet plus à la
famille du défunt qu’à la règle du consentement présumé. On peut supposer qu’il en ira de
même sous l’empire de la loi du 6 août 2004. En effet, de nombreux signes286 et témoignages
attestent de l’habitude qu’ont prise les médecins dans la crainte de procès, de ne pas pratiquer
de prélèvements dès lors que la famille est injoignable ou oppose un refus catégorique à
l’opération. En outre, il est tout à fait envisageable que la famille287 vienne témoigner, auprès
du praticien, d’un refus qui dans la réalité n’a jamais été émis par le défunt, et ce d’autant plus
que l’opposition peut, comme le précise le nouvel article L. 1232-1 du Code de la santé
publique, être exprimée aussi bien oralement que par écrit. En pratique donc, même si,
littéralement, la loi oblige seulement les médecins à s’efforcer de consulter les proches –
lorsque l’intention du défunt n’est pas directement connue – ils ont pris l’habitude de les
associer à la décision de prélèvement288. Les études de terrain révèlent que la plupart des
praticiens se plient à l’avis des proches, que ceux-ci acceptent ou refusent le prélèvement,
sans que l’on puisse clairement distinguer entre la part de volonté rapportée au nom du défunt
et celle de leur sentiment personnel. Le médecin n’en est peut être pas dupe, mais il serait
malvenu à se livrer à un exercice divinatoire pour disqualifier l’expression de refus émanant
d’un proche ; et quand bien même il s’avérerait que c’est leur choix personnel que les proches
expriment dans leur opposition au prélèvement, le médecin pourrait-il passer outre ?
Le deuil change l’approche de la relation médicale, dans laquelle, à cet instant, les proches
entrent plus intensément. Il s’agit de respecter la volonté des vivants. C’est pourquoi même si
la famille ne possède pas le droit de s’opposer aux prélèvements d’organes, il est difficile en
pratique de s’imaginer qu’un médecin agisse contre sa volonté ou à son insu289. En réalité,
hormis l’obligation de respecter la personne – nous y venons – venant de mourir, le médecin
286
Le premier signe est sans nul doute le nombre extrêmement réduit de décisions rendues en application de la
règle du consentement présumé. En effet, seules six décisions ont été à ce jour dénombrées. Deux d’entre elles
traitent par ailleurs du même litige opposant les parents d’un jeune homme décédé qui avaient consenti à certains
prélèvements préalablement désignés et l’équipe médicale qui effectua les prélèvements en plus grand nombre
qu’initialement prévu : Amiens, 26 novembre 1996, P.A. 11 juillet 1997, n° 83, p. 34, note X. Labbée ; TA
Amiens, 14 déc. 2000, D. 2001, p. 3310, note P. Egéa. Par ailleurs, il est à noter qu’aucune décision n’a pour
l’instant été rendue sur le fondement de la loi de 1994.
287
Il est à noter que la loi du 6 août 2004 a décidé d’élargir le nombre de personnes concernées non plus
seulement à la famille mais aussi aux proches du défunt, qu’ils soient concubin ou partenaire lié par un Pacs.
288
A. Milon, Rapport d’information au nom de la commission des affaires sociales sur l’état d’application de la
loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, n° 309, 12 avril 2006, p. 38 (intervention de B. Loty, directeur
médical et scientifique à l’Agence de biomédecine).
289
V. en ce sens, N. Baillon-Wirtz, La famille et la mort, op. cit., p. 404, n°378.
- 94 -
voit indirectement dans le recours au témoignage de la famille une obligation de transparence
dans la relation de confiance qui l’unit avec elle290.
En tous les cas et quelles que soient les raisons justifiant l’inapplication de la règle du
consentement présumé, la vie y perd face à la mort. Le danger d’une telle pratique est, en
effet, de supprimer à terme l’efficacité d’un système construit avant tout pour satisfaire les
besoins pressants de malades en attente de greffons 291 . Pour autant, peut-on cesser de
rechercher « la preuve subsidiaire et indirecte d’un refus personnel du défunt » et ainsi tourner
la médecine uniquement au bénéfice des malades en attente de greffes ? En vérité, il semble,
comme le souligne le Conseil d’Etat, que « la suppression pure et simple de la recherche du
témoignage de la famille ou des proches, au motif de l’existence du registre national des
greffes, si elle poussait jusqu’au bout la logique du consentement présumé, serait
difficilement acceptée par les citoyens ». Les facteurs humains, psychologiques et moraux
ainsi qu’un profond respect envers les morts incitent à la prudence pour rassurer la société292.
290
Conseil d’Etat, Sciences de la vie, de l’éthique au droit, La Documentation française, Coll. Notes et études
documentaires, n° 4855, 1988-5, p. 39 : « Bien que la loi [Caillavet] ne l’ait pas prévu, les médecins sollicitent le
consentement de la famille au prélèvement […]. Les précautions supplémentaires prises par les praticiens
révèlent peut-être qu’au delà des difficultés pratiques, il est une imperfection juridique. » ; Conseil économique
et social, Les droits de la personne malade, Séance des 11 et 12 juin 1996, Rapport présenté par C. Evin,
Direction des journaux officiels, n° 4312, Paris, 1996, p. 23 : « La méconnaissance de ce dispositif juridique et
les lacunes de son organisation pratique contraignent la plupart du temps les médecins, faute d’indication sur le
choix du défunt à demander l’autorisation du prélèvement à la famille dans un moment particulièrement
douloureux. » ; P. Vespieren, Les limites du tolérable, Etudes, 1994, p. 465.
291
Parce que le nombre des organes disponibles reste très insuffisant, la loi du 6 août 2004 a élargi la possibilité
de recourir au donneur vivant apparenté. L’article L. 1231-1 du Code de la santé publique dispose en effet que
« le prélèvement d’organes sur une personne vivante, qui en fait le don, ne peut être opéré que dans l’intérêt
thérapeutique direct d’un receveur son conjoint, ses frères ou sœurs, ses fils ou filles, ses grands-parents, ses
oncles ou tantes, ses cousins germains et cousines germaines ainsi que le conjoint de son père ou de sa mère. Le
donneur peut également être toute personne apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans avec le
receveur ». En France, une partie du corps médical a des réticences à prélever un organe sur une personne en
bonne santé afin de le réimplanter sur un patient en attente d’une greffe. Si le risque n’est pas majeur pour le
donneur d’un rein (la mortalité se situe cependant autour de 1 pour 3000), il est nettement plus important pour le
donneur d’un foie, la mortalité atteignant 1% : chiffres cités par M. Jean-Michel Dubernard, président de la
commission des affaires culturelles familiales et sociales lors de la 2ème séance du 9 décembre 2003 à
l’Assemblée nationale. Au-delà des risques pour les donneurs ne faudrait-il pas craindre que cet élargissement du
recours à des donneurs vivants apparentés n’entraîne une désaffection des prélèvements effectués sur une
personne décédée ?
292
Il est important de tenir compte des réactions éventuelles de l’opinion qui ne semble pas être prête à accepter
une telle modification de la pratique médicale ; surtout lorsque cette opinion ignore les dispositions juridiques en
vigueur et pense encore qu’il faut immanquablement avoir donné son accord de son vivant pour que les organes
soient prélevés. En effet, comme l’indiquait le Conseil Economique et Social en 1996, quatre français sur cinq
ignoraient encore l’existence de la règle du consentement présumé : Les droits de la personne malade, Séance
des 11 et 12 juin 1996, Rapport présenté par C. Evin, Direction des journaux officiels, n° 4312, Paris, 1996, p.
119. Par ailleurs, l’opinion s’est trouvée particulièrement échaudée par un certain nombres de scandales relatif au
traitement médical de cadavres (comme l’affaire Milhaud ou celle d’Amiens). Les répercussions de ces affaires
furent évidentes puisque de 1991 à 1995, le nombre de sujets prélevés annuellement passa de 1085 à 889 :
Etablissement Français des Greffes, Bilan des activités de prélèvements et de greffe en France en 1995, Paris,
juin 1996, p. 10, cité par S. Hennette-Vauchez, op. cit., p. 210. Depuis 1995, l’activité de prélèvement d’organes
- 95 -
Puisqu’il est de la « vocation coutumière des familles à régler le respect dû à leur mort »293, la
société ne semble donc par encore prête à laisser sans réagir ses morts aux mains de la
science, même si c’est dans le but louable de sauver des vies.
2°) Les entorses à la sécurité sanitaire
La nécessité de préserver la vie, au regard des autres impératifs du droit médical est le
plus fort. Cela se révèle également en matière de don d’organes. Le médecin apprécie en effet
souverainement la sécurité sanitaire de la greffe294. Le souci d’éviter qu’un élément prélevé
chez un donneur ne contamine le malade chez qui il va être transplanté a toujours préoccupé
les pouvoirs publics 295 . Une obligation de sécurité sanitaire oblige ainsi les médecins à
effectuer un contrôle de donneurs et de pratiquer des examens de biologie médicale.
L’ensemble de ces examens peut révéler l’existence d’une transmission possible d’une
maladie. Il se dessine en la matière une grille du risque acceptable dans certaines
circonstances, compte tenu de la pénurie d’organes face aux besoins des malades en attente de
greffe, c’est-à-dire face à l’urgence vitale médicale. La règle toujours retenue et consacrée par
la loi de 2004296 est particulièrement pragmatique. Elle prend en compte la notion de risque
acceptable. Il s’agit d’effectuer un bilan risque encouru contre bénéfice escompté et, si ce
à fin de transplantation a connu à nouveau une légère augmentation, réellement confirmée en 1998 pour se
rapprocher en 2001 du meilleur taux de donneurs prélevés qui avait été enregistré en 1989. En 2001, 1066
donneurs ont ainsi été prélevés. Cette augmentation est due notamment au fait, qu’au cours des sept dernières
années, le recensement des personnes en état de mort encéphalique a progressé de 43%. Cependant, le taux de
donneurs par million d’habitants ne progresse pas pour autant en raison d’un taux d’opposition au prélèvement
d’en moyenne 32% sur les cinq dernières années : Etablissement Français des greffes, Bilan des activités de
prélèvement et de greffe en France en 2001, p. 68 et s. Cet établissement rapportait toujours ce chiffre constant
de 32% d’opposition en 2003 : Entente, Information et échange, Etablissement Français des greffes, Résultats
préliminaires des activités de prélèvement, de greffe d’organes, de cellules et de cornée en 2003, juin 2004.
293
G. Cornu, Droit civil, Introduction, Les personnes, Les biens, op. cit., p. 217, n° 486, note 19.
294
V. sur le sujet, L. Brunet, Le médecin et la mort/le médecin et le mort : fin de vie et prélèvements d’organes,
in Nouvelles frontières de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, op. cit., p. 155 et s.
295
D’une manière générale toutes les activités de prélèvements et de collecte de produits du corps humain à des
fins thérapeutiques, sur donneur mort ou vivant, sont soumises à des règles de sécurité sanitaire, notamment de
dépistage de maladies transmissibles (L’article L. 1211-6 al. 2 CSP, issu de la loi du 6 août 2004, a explicitement
étendu la recherche de la sécurité sanitaire à toutes les étapes depuis le prélèvement jusqu’à l’utilisation des
produits humains).
296
Cette règle était déjà celle retenue sous les lois de 1994. Le dispositif réglementaire en la matière a été
reconduit, par le décret du 28 décembre 2005 et l’arrêté du même jour qui en fait l’application, tout en étendant
les dérogations au principe de la sécurité sanitaire : la liste des maladies dont le risque de transmission empêche
normalement l’utilisation des éléments qui en sont infectés s’est raccourcie. (D. 21 déc. 2005 relatifs aux règles
de sécurité sanitaire portant sur les prélèvements et l’utilisation des éléments et produits du corps humain et
modifiant le Code de la santé publique, J.O. 23 déc. 2005, et arrêté du 21 déc. 2005 pris en application des
articles R. 1211-14 à R. 1211-16 et R. 1211-21 CSP, J.O. 23 déc. 2005, p. 19823).
- 96 -
dernier est positif, la transplantation devient possible297. Les pouvoirs du médecin ont ainsi été
particulièrement élargis en matière de la sécurité sanitaire des produits transplantés dans le cas
où la vie du patient est en jeu à bref délai. Bien que le malade doit être pleinement informé
des risques encourus, l’exigence du consentement du receveur n’est pas de nature à faire
contrepoids au pouvoir du médecin tant on voit mal comment un malade en situation
désespérée pourrait refuser une greffe présentée comme salvatrice quelles qu’en soient les
conséquences. Certaines situations seront forcément très limites et finalement pour sauver un
malade in extremis d’un mal, le médecin prendra le risque de l’exposer à un autre mal, tout
aussi fatal pour lui. L’urgence ne pourrait alors n’avoir servi qu’à gagner un peu de temps.
L’entorse à la sécurité sanitaire opérée par cette règle pourrait s’avérer bien vaine, mais en
tout état de cause, elle permet de dégager la responsabilité du médecin pour des décisions qui
normalement auraient dû entraîner sa responsabilité. Même si le gain de vie peut être infime,
le don doit être privilégié. Il apparaît que le don d’organe a été surtout pensé dans l’intérêt du
receveur en oubliant le patient donneur.
b) Le patient oublié
Evoquant le don par une personne vivante, Isabelle Pariente-Butterlin écrit : « La
relation entre le médecin et le malade était naguère fondée sur des principes formulés au XIXe
siècle en termes de confiance : "Une confiance qui rejoint une conscience". Le malade
s’abandonnait aux mains du médecin, dans une relation de confiance, et le médecin seul
détenteur de la science, le mettait sur le chemin de la guérison. La nature décidait ensuite de
l’arrivée à bon port du malade. On comprend mieux dans ces conditions le terme de patient,
car il n’y avait d’agents dans cette relation que le médecin ou la nature.[…] Le malade est
désormais jugé capable de décider. […] Le malade n’est donc pas simplement censé être
confiant : le respect de sa dignité passe par son consentement aux soins […]. Mais comment
comprendre le consentement autrement que comme la reconnaissance par le corps médical de
que le patient est lui aussi actif en ce qu’il participe à une décision ? »298. L’auteur dénonce la
non prise en compte des sentiments, peurs, crainte doute qu’une patient, donneuse d’organe
de son vivant. Ces peurs ne sont évidemment pas celle d’une personne qui, en bonne santé,
297
L’utilisation d’éléments et produits du corps humain n’est interdite que « lorsque le risque mesurable en l’état
des connaissances scientifiques et médicales couru par le receveur est supérieur à l’avantage escompté par celuici » (Art. L.1211-6 al. 1 CSP).
298
I. Pariente-Butterlin, La relation du patient et du médecin : confiance, contrat ou partenariat ?, Esprit, Mai
2002, p. 87 et s. spéc. p. 91.
- 97 -
accepte, ou plutôt ne s’oppose pas, à ce que ses organes soient prélevés en vue d’un don. Mais
une réflexion identique peut être menée. Penser le futur donneur, par hypothèse décédé,
comme un véritable patient présent, le conduire sur la voie de la discussion permettrait sans
doute aux personnes de s’exprimer davantage, de se sentir impliquées, et ainsi de comprendre
les réticences, les souffrances de ce patient et celle de sa famille et de ne pas prendre cette
décision après le choc du décès, décision prise nécessairement dans l’urgence.
Le don d’organes a été entièrement construit autour du receveur. Il est la résultante de
notre conception du droit à la vie et du statut du corps299. Dans les pays anglo-saxons, là où le
principe d’autonomie prédomine, il est reconnu à l’individu l’entière propriété de son corps.
Héritière de cette philosophie, l’éthique médicale nord américaine affirme que tout adulte sain
d’esprit a le droit de disposer de son corps. C’est en tant que propriétaire de son corps que
l’individu malade établit avec le médecin qui le soigne une relation contractuelle, au sein de
laquelle le médecin est prestataire de soins. Dans une telle tradition culturelle, comme le
remarque Mme Rameix300, une législation fondée sur le consentement présumé des citoyens
morts au don de leurs organes pour le bien fait des autres citoyens – présomption qui est la
base de la loi française – est difficilement pensable outre manche et outre atlantique. Dans la
tradition culturelle européenne, et notamment en France, la personne n’est propriétaire de son
corps qu’au sein de la société solidaire, et dans les limites imposées par cette solidarité. Le
Comité consultatif national d’éthique rappelle que « l’Etat exerce un "droit d’ingérence", à la
fois au nom de la solidarité collective (vaccinations obligatoires, consentement présumé au
don d’organe) et afin de protéger les individus contre les conduites dangereuses auxquelles ils
risqueraient de s’exposer inconsidérément ». L’évolution de la société laisse prévoir que le
« droit d’ingérence de l’Etat se réduira à l’avenir. La doctrine selon laquelle le patient doit
être protégé, y compris contre lui-même, est en train de largement céder, laissant ainsi toute la
place à la théorie de l’autonomie. Ceci semble devoir expliquer en partie l’évolution qu’a
connu le don d’organes. Campagne d’information, sensibilisation de la population, demande
d’inscription de la décision sur un registre. Mais, il faut y voir aussi les difficultés pratiques
auxquelles les médecins sont confrontés. Souvent la famille ne sait pas ce que désirait le
mourant. Dans leur douleur, acculés, les proches ne savent que répondre à la demande du
médecin et ont un réflexe de défense. La loi sur le don d’organe a été organisée pour
299
V. sur ce point, les réflexions pertinentes et particulièrement troublantes de X. Labbée, La gueule de l’autre,
D. 2006, Tribune, p. 801.
300
S. Rameix, Du paternalisme à l’autonomie des patients ? L’exemple du consentement aux soins en
réanimation, Méd.& Droit, n°12, 1995, p.1.
- 98 -
permettre d’être utile aux médecins et de sauver des vies. Elle ne fonctionne cependant que
moyennement en pratique. Les médecins, dans le doute de la volonté du patient, ne
s’imposent pas à la famille endeuillée. Finalement, la pratique a peut être rectifiée le côté
abrupte de la loi. Culturellement, l’autonomie à la française ne sera jamais celle anglosaxonne. Mais, le développement de l’autonomie du patient doit être prise en compte. En ce
sens, si le principe actuelle peut persister, l’option d’un choix plus explicite, mais obligatoire
donc plus intelligible, devrait pouvoir être exprimé.
Le don d’organes est fondamental. Il est une espérance de vie pour les vivants. Il est
indéniable que celui qui reste est, en quelque sorte, plus important que celui qui est mort.
Mais pour autant, faut-il résumer la relation médecin-patient à la relation médecin-receveur ?
C’est semble-t-il uniquement dans cette voie qu’a été conçue la loi301. Force est de constater
que de nombreuses personnes n’ont jamais évoqué le sujet et clairement exposé leur opinion
sur le sujet 302 . On peut s’interroger d’ailleurs si une telle expression est possible. Le
consentement doit être libre. Celui-ci forme la base de la relation médecin-patient. Mais, en
dehors de la seule relation avec le corps médical, ce concept de consentement rencontre un
premier obstacle. Le donneur potentiel ne se trouve pas dans une situation de choix indifférent
et détaché face à la souffrance. Y-a-t-il vraiment un choix ? Un consentement n’existe que
devant un choix possible. Dans quelle mesure peut-on renvoyer les autres à leurs
souffrances ? Dans quelle mesure une telle demande ne porte-elle pas en elle la nécessité de
lui répondre positivement, quelles que soient les réticences qu’elle éveille ? C’est cette
question que pose François Dagognet, à propos des dons d’organes et de la légitimité du
consentement dans les situations d’urgence : « Le don reste la meilleure solution mais s’il ne
suffit pas, continuera-t-on à préférer le respect dû aux morts au respect dû aux vivants ? »303.
La question est particulièrement difficile. Jusqu’à quel point est-il possible de préférer son
égoïsme propre au désir de vivre ? Dans quel mesure un tel refus peut-il être réellement
exprimé ? Le consentement libre et éclairé ne résout finalement peut être pas tout, ne
301
I. Pariente-Buterlin : « L’image juste qui s’impose ici est celle d’un dialogue perdu : perdu par les médecins
qui voient plus dans le corps de la donneuse qu’un fonctionnement ponctuel d’organes, perdu par le droit,
incapable de concevoir la personne autrement que comme une volonté abstraite. », La relation du patient et du
médecin : confiance, contrat ou partenariat, op. cit., p. 99.
302
J. Savatier estime : « Il nous paraît illusoire de compter sur une autorisation explicite du donneur. Tant qu’il
est en bonne santé, celui-ci se préoccupe peu de l’utilisation qui pourrait être faite de son cadavre, et ne porte pas
sur lui un document manifestant ses volontés en ce domaine. », Et in hora mortis nostrae, Le problème des
greffes d’organes prélevés sur un cadavre, op. cit, p. 94. V. également, A. Terrasson de Fougères, Que votre oui
soit oui : plaidoyer pour un registre des acceptations de prélèvements d’organes, RD sanit. soc. 2000, p. 339.
303
F. Decognet, Le corps multiple et un, Le Plessis-Robinson, La source d’or, pour les empêcheurs de tourner en
rond, 1993, p. 209.
- 99 -
conditionne pas tout, car d’autres facteurs entrent en compte. La considération du mourant n’a
aucune place. Il semble que les craintes du futur donneur aurait mérité d’être entendues.
Appréhendé la mort est un tabou, envisager la mort ne la fait-elle pas venir ? Qui n’a pas
pensé, par superstition bien naturelle, qu’exprimer le souhait d’un don d’organes garantissait
une mort prochaine ? Cette pensée, nombreux médecins vous le diront, et sans doute ne faut-il
pas être médecin, est tout à fait risible et infantile. C’est sans doute vrai. Mais quand il s’agit
de la mort, de sa mort, n’est-on jamais assez prudent ? Il faut ajouter à cela des question de
croyances, de devenir du corps, de respect du corps, et non de manière formelle, mais
répondre aux questions qui taraudent nombreux d’entre nous. Ici comme ailleurs,
l’information et le dialogue sont primordiaux.
A la lumière de l’ensemble des problèmes posés par le don d’organes, nombreux sont
ceux qui s’interrogent s’il ne serait pas préférable de supprimer l’énoncé de la règle du
consentement présumé et de prévoir que le prélèvement est impossible si l’opposition du
défunt est établie, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses proches. Il n’est pas certain
qu’il faille redouter une baisse des activités de prélèvement et de greffe en France. Dans le
taux du refus de prélèvement, stabilisé depuis plusieurs années autour de 30% des donneurs
recensés, la part de l’opposition rapportée par la famille ne dépasse pas 13%304.
Il reste que la règle du consentement présumé est jugée de plus en plus embarrassante
par les pouvoirs publics qui entendent réduire la part de présupposé lorsque le prélèvement
d’organes est envisagé sur une personne dont la volonté n’est pas connue directement.
Plusieurs initiatives se sont manifestées en ce sens 305 . Il semble ainsi que deux points
mériteraient d’être davantage développés. Le premier serait de penser le patient, potentiel
donneur mort, comme un véritable patient, inclus dans la relation médicale médecin
304
L. Brunet, Le médecin et la mort/le médecin et le mort : fin de vie et prélèvement d’organes, in Nouvelles
frontières, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, op. cit., p. 153.
305
Ainsi, un décret est en projet qui met à la charge du médecin traitant un obligation d’information sur les
modalités de consentement au don d’organes à destination des patients âgés de 16 à 25 ans, conformément à la
prescription introduite par la loi du 6 août 2004. (Art. L. 1211-3 al. 3 CSP. Sur le projet du décret, v.
Dictionnaire permanent de bioéthique et biotechonologies, bull. 61, 1er juin 2006, p. 6433). Le ministre de la
santé d’alors, Xavier Bertrand, a annoncé la possibilité de faire inscrire sur la carte Vitale 2 le fait que l’assuré a
bien été informé de la réglementation en vigueur sur le don d’organes, ce qui accréditeraient la présomption de
consentement au cas où rien serait inscrit sur le registre de refus (Communiqué de presse de l’Agence de la
biomédecine, 30 mars 2006 ; Interview du ministre de la santé, X. Bertrand, à l’occasion de la sixième journée
nationale de réflexion sur le don d’organes et la greffe, La Croix 22 juin 2006). Allant plus loin, deux
propositions de loi préconisent le consentement ou le refus de prélèvements d’organes soit inscrit sur la carte
Vitale, en imposant au médecin traitant un devoir d’information à l’égard de tous ses patients sur le don
d’organes post mortem (Proposition de loi AN n°2998, 29 mars 2006 et proposition de loi n° 2652, 9 novembre
2005).
- 100 -
receveur306. Bien entendu, par hypothèse, cette relation médecin-patient n’est que potentiel.
Mais sa grâce n’est-elle pas d’envisager la solidarité sociétale comme un véritable don
expliqué, associé et non pas seulement imposé au nom de valeurs fondamentales telles la vie,
auxquelles certes, chacun aura adhéré, mais qui au quotidien et à l’individuel sont beaucoup
plus difficile à gérer, notamment dans un contexte du développement du principe de
l’autonomie 307 . La seconde est de prendre en compte l’aspect psychologique d’une telle
approche de la mort. Nul ne sait si cela aurait pour impact de développer les dons d’organes,
ni de résoudre les difficultés des médecins à gérer les hypothèses de dons possibles. Mais,
cela semble plus respectueux de la personne, qui n’est plus chosifiée dans sa mort, et lui
offrir, malgré sa mort, de garder une part active dans la vie, qu’elle aura choisie. Le contrat
médical prend tout son sens que comme un partenariat entre le médecin et la personne,
malade ou non.
Finalement peut être, ce n’est pas la nature incantatoire de la pratique qui pourrait
conduire à reconsidérer la pertinence de la règle du consentement présumé. Le décret et
l’arrêté du 2 août 2005, qui autorisent, pour le rein et le foie, les prélèvements sur cœur non
battant, réservent en effet aux praticiens des délais d’intervention largement plus courts que
lorsque le prélèvement a lieu sur une personne en état de mort encéphalique : l’équipe
médicale disposera d’environ 6 heures depuis le constat de la mort cardiaque jusqu’à la
transplantation du greffon chez le receveur, là où elle bénéficie de 24 heures à 48 heures
lorsque le donneur est en état de mort encéphalique. La compression des délais risque de
rendre illusoire la recherche de la volonté du défunt si celle-ci n’est pas connue. Si la
personne est morte sans être accompagnée, ce qui est l’hypothèse privilégiée pour
expérimenter ces nouveaux protocoles, le délai pour contacter les proches, les informer et
306
Comme l’écrit Isabelle Pariente-Butterlin, « Si le couple receveur ne peut rien sans les médecins, les
médecins ne peuvent rien sans une donneuse. Sans doute n’est-ce pas leur manière de voir les choses : elle n’est
qu’une excroissance d’une couple qui a besoin de leur aide pour procréer. En outre, ils restent avant tout les
médecins de la "receveuse", bien plus encore que du couple, et aucun moment ne seront ceux de la
"donneuse". ». L’auteur poursuit « C’est au médecin qu’il revient d’accorder à l’autre le statut de personne, dans
la mesure même où la relation de pouvoir qui les lie est à ce point déséquilibrée qu’elle peut bien difficilement
être rompue par le seul patient. », La relation du patient et du médecin : confiance contrat ou partenariat ?,
Esprit, Mai 2002, p. 87 et s., spéc. p. 94. et 100.
307
On relèvera que la solidarité nationale ne joue jamais aussi bien que lorsqu’elle est associée à l’émotion. Si
aucune campagne sur le don d’organes n’a été vraiment efficace pour inciter les personnes à s’exprimer sur la
sujet et à se prémunir d’une carte de donneur, le décès prématuré à l’âge de 24 ans de Grégory Lemarchal, jeune
chanteur issu de l’émission de télé-réalité Star Académy, a déclenché dans les semaines qui suivirent sa mort une
vague très importante de demandes de cartes de donneur. Que les individus soient plus sensibles à l’humain
qu’au discours médical est peut être la meilleure leçon à retenir pour les pouvoirs publics et les professionnels de
la santé, réflexion qui pourrait par ailleurs s’appliquer à tous les enjeux de la médecine moderne.
- 101 -
recueillir leur témoignages sur la volonté du défunt ne sera que de trois ou quatre heures308. Il
est vrai que le décret du 2 août prend soin de préciser que les mesures prises pour assurer la
conservation des organes cesseront si, au vu de témoignage des proches, le défunt avait
manifesté de son vivant une opposition au don d’organes. L’urgence ne risque-t-elle pas
cependant d’inciter le praticien à se dispenser du témoignage des proches et à appliquer
mécaniquement au défunt la présomption de consentement au risque de rendre nulle, si l’on
attendait ce témoignage une possibilité de greffons ? On peut ainsi craindre deux
conséquences diamétralement opposées. La première crainte est que de telles pratiques
suscitent, pour peu que certaines familles s’en émeuvent, une réprobation publique qui
ternisse l’ensemble de l’activité de greffe. La seconde crainte n’est que la prise en compte de
la première. Le texte permettant cette nouvelle greffe ne risque-t-il pas de rester lettre morte
par la peur des médecins de la réprobation des familles ?
Prérogative de réquisition ou pouvoir en trompe-l’œil ?309 Le rôle du médecin dans la
décision de procéder à un prélèvement d’organe sur un cadavre est difficile à déterminer. Les
textes semblent conférer et valoriser un pouvoir exorbitant au médecin, dont la recherche doit
se cantonner à l’absence d’opposition du défunt. Mais la pratique majoritaire semble accorder
une préférence à l’autonomie de la personne dont après sa mort les proches sont les porteparoles. Les deux modèles se juxtaposent et s’entrechoquent pour mieux s’évincer. Ils
rappellent sans doute que l’action du médecin ne peut exister que parce qu’elle est justifiée
par un intérêt, celui du corps du patient.
B- L’action du médecin conditionnée par l’intérêt du corps du patient
Si le médecin est autorisé à intervenir sur le corps du patient, il ne saurait le faire sans
condition. Ainsi, son acte n’est justifié que si il répond à un intérêt médical. Dans sa rédaction
issue de la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, l’article 16-3 du code
civil évoquait lui une « nécessité thérapeutique pour la personne »310. Que ce soit en matière
308
L. Brunet, Le médecin et la mort/le médecin et le mort : fin de vie et prélèvement d’organes, in Nouvelles
frontières, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, op. cit., p. 154. L’ensemble des données résulte d’un
entretien accordé à l’auteur par le professeur A. Tenaillon, responsable du pôle Stratégie greffe à la direction
médicale et scientifique de l’Agence de la biomédecine, le 12 juin 2006.
309
L. Brunet, Le médecin et la mort/le médecin et le mort : fin de vie et prélèvement d’organes, in Nouvelles
frontières de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, (sous la dir. F. Bellivier, et Ch. Noiville),
Dalloz, 2006, p.
310
Le terme « thérapeutique » s’est vu substituer celui de « médicale » par le loi n° 99-641 du 27 juillet
1999portant création d’une couverture médicale universelle, le premier terme ayant été jugé trop restrictif.
- 102 -
disciplinaire, civile ou pénale, le but curatif a toujours été présenté comme l’un des
fondements de l’intervention médicale. La modification discrète, opérée par la loi du 27 juillet
1999311, des dispositions de l’alinéa premier de l’article 16-3 du Code civil a eu pour effet de
changer la nature de la « nécessité » pour la personne. La loi vise désormais « la nécessité
médicale »(1). Quoi qu’il en soit, cette nécessité paraît limitée par la satisfaction d’une
proportion raisonnable entre les avantages et les inconvénients de l’intervention envisagée(2).
1- De la nécessité thérapeutique à la nécessité médicale
Depuis le début du XIXe siècle, il est admis qu’un médecin peut causer une atteinte à
l’intégrité physique sans qu’elle soit considérée comme constitutive d’une infraction de
violences volontaires. Il serait contradictoire de donner missions aux médecins de soigner les
malades et de les poursuivre quand une intervention obligeant une telle atteinte est nécessaire.
Dès lors, le médecin est justifié parce qu’il accomplit un acte autorisé par les dispositions
législatives312. L’impunité du médecin est cependant acquise que si le médecin a agi dans
l’intérêt thérapeutique/médical du patient c’est-à-dire que l’intervention soit reconnue par les
médecins de la spécialité en cause comme une pratique légitime et qu’elle ait été entreprise
dans l’intérêt de la personne qui la subit. Il convient de définir cette « nécessité » (a) pour en
apprécier la portée (b).
a) Définition de la nécessité
Le médecin est placé dans une situation particulière puisqu’il est le seul à pouvoir
porter atteinte au corps, à l’intégrité physique d’une personne. Les actes pratiqués par les
médecins sont autorisés parce que ces derniers sont titulaires d’un diplôme qui leur a été
délivré afin de soigner les malades. Toutefois, cet acte est réservé : le médecin doit avoir
obtenu le consentement du patient et doit agir dans un intérêt thérapeutique, tout au moins
dans la rédaction initiale de l’article 16-3 du code civil, tel qu’issu des lois bioéthiques de
1994. Avant l’entrée en vigueur de la législation dite bioéthique, la jurisprudence exigeait déjà
un intérêt thérapeutique à l’atteinte portée au corps humain pour exonérer son auteur de sa
311
L n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle (art. 70), J.O. 28 juillet
1999, 11229.
312
Art. 122-4, C. P.
- 103 -
responsabilité pénale, sinon ce dernier se devait d’être poursuivi 313. Ce principe supposait
également que la personne qui l’invoquait devant une juridiction pour justifier son acte ait
qualité pour l’accomplir. A défaut, elle était susceptible d’être poursuivie pour exercice illégal
de la médecine 314 . Le prévenu ne pouvait d’ailleurs pas en cette occasion invoquer
l’obligation légale de porter secours à personne en péril315. On note de ce point de vue que
c’est au regard des règles professionnelles établies par les médecins eux-mêmes que le
caractère thérapeutique de l’intervention sera apprécié, qualification dont dépend ou non les
violences volontaires316. Les médecins gardent donc la maîtrise du corps.
Majoritairement,
les
auteurs
assimilent
« l’intérêt
thérapeutique » au
« but
thérapeutique ». Garçon écrivait notamment : « Le législateur, en lui conférant des diplômes
et en lui permettant d’exercer la médecine, l’autorise à faire tous les actes qui ont un but
curatif. […] Il suit de là, quelle que soit la base qu’on donne à l’impunité, que le médecin
n’échapperait pas à la peine s’il agissait sans but curatif .»317. Le but poursuivi par le praticien
peut être présenté comme un fait justificatif. Le mobile étant en principe cependant indifférent
en droit pénal, cette justification recèle une certaine ambiguïté. C’est pourquoi, d’autres
auteurs justifiait l’atteinte portée par le médecin par la nature même de l’acte plutôt que par la
finalité recherchée. Selon M. Doucet, un acte portant atteinte à l’intégrité corporelle n’est
légitime que s’il revêt le caractère d’un acte médical. Il distingue ainsi plus nettement les
notions de « but » et « d’intérêt » thérapeutiques : « ce qu’ils doivent rechercher, ce n’est pas
"le but thérapeutique" qu’aurait poursuivi l’auteur du fait reproché, mais "l’intérêt
313
V. not. : Cass. Crim. 1 juill. 1937, D.H. 1937, 537 ; S. 1938, 1, 193 note R. Tortat ; Rev. sc. crim. 1937, 680
obs. J. Magnol ; Gaz. Pal. 1937, 2, 358 – Aix-en-Provence 7ème ch. 23 avr. 1990, Gaz. Pal. 1990, 2, 575 note J.P. Doucet ; JCP G 1991, II, 21720, note G. Mémeteau ; Rev. sc. crim. 1991, 565 obs. G. Levasseur ; D. 1991,
somm., 360.
314
Art. L. 4161-1 et s. du Code de la santé publique (art. L. 375 et s. ancien).
315
Cass. crim. 30 déc. 1953, Bull. crim. n° 361 – Cass. crim. 9 déc. 1959, Bull. crim. n° 541 – Cass. crim. 2
juillet 1975, Bull. crim. n° 173.
316
Dans les cas autorisés par la loi, le chirurgien qui pratique une intervention chirurgicale dans l’exercice
normal de sa profession jouit d’une impunité légale dans la mesure où son intervention est justifiée par un intérêt
thérapeutique ; mais lorsqu’un chirurgien pratique une opération qu’il sait interdite, il n’est pas couvert par le fait
justificatif que constitue l’autorisation de la loi et les blessures qu’il cause à son patient, par le fait même de son
intervention, sont volontaires de sa part. Crim. 30 mai 1991, Bull. crim. n° 232 ; Dr. Pén. 1991. 255, obs. M.
Véron ; Gaz. Pal. 1992. 1. 17 ; Rev. sc. crim. 1992. 74. obs. Levasseur. Il serait postuler pour ce travail que le
médecin agit toujours dans l’intérêt thérapeutique et médical de ses patients, le point de vue ici défendu étant
celui du « bon médecin ».
317
E. Garçon, Code pénal annoté, nouvelle édition refondue et mise à jour par M. Rousselet, M. Patin et M.
Ance, T. 2, Sirey, 1956, art. 309, n°s 83 et 85. Dans le même sens, R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel,
T.1 : droit pénal général, 7e éd., Cujas, 1997, p. 603, n° 478 ; P. Bouzat et J. Pinate, Traité de droit pénal et de
criminologie, 2e éd., Dalloz, 1970, p. 381, n° 309 ; P. Garraud et M. Laborde-Lacoste, Exposé méthodique de
droit pénal, 4e éd., Sirey, 1942, p. 68, n° 79 ; A. Decocq, Essai d’une théorie générale des droits sur la
personne, op. cit., p. 297, n° 431.
- 104 -
thérapeutique" s’attachant à l’acte litigieux, pris dans sa nature et dans son exécution. »318.
L’acte médical n’est donc pas strictement entendu dans un sens curatif puisqu’il peut être
également préventif ou palliatif.
Toutefois, il a été unanimement admis que la notion de nécessité thérapeutique,
initialement visée par l’article 16-3 du Code civil avait une portée beaucoup trop restrictive. Il
lui était préféré le notion de nécessité médicale. Dans sa rédaction initiale l’article 16-3
n’était en effet pas sans ambiguïté. Le texte adopté ne retint que la nécessité thérapeutique en
précisant « que cette nécessité doit regarder la personne concernée et non autrui »319. En ce
sens, il fallait comprendre que l’acte devrait être utile à la personne atteinte dans son intégrité.
S’imposerait donc un bénéfice direct pour le patient atteint dans sa chair. C’est en ce sens que
J. et R. Savatier, J.-M. Auby et H. Pequignot
définissaient la notion de « traitement
médical », liant explicitement celui-ci à la constatation préalable d’une pathologie : « le
traitement médical, c’est l’ensemble des actes destinés à protéger, contre la maladie, la santé
du patient et à [le] soulager. » 320 . Certes, d’autres textes prévoyaient des atteintes dans
l’intérêt d’un tiers, mais ils étaient restreints à un cadre particulier. Or, l’article 16-3, ne
désignant comme licites que les atteintes réalisées par une nécessité thérapeutique, concerne
les médecins dans leur mission traditionnelle, ce qui explique qu’il ait pu être l’enjeu
d’interprétation pour ces derniers. Ainsi rédigé, l’article 16-3 parut insuffisant à certains
médecins, parce qu’ils estimaient que certaines interventions pouvaient leurs être reprochées
faute d’être thérapeutiques. En effet, l’adjectif « thérapeutique » concernant des actions et
318
Note sous Aix-en-Provence 24 avril 1990, préc., Gaz. Pal., 1990, 2, jur., p. 575.
L’adoption de l’art. 16-3 du Code civil a été l’occasion de débats parlementaires d’ordre terminologique. En
effet, le projet de loi à l’origine par Monsieur Toubon, faisait référence non pas à une « nécessité thérapeutique »
mais à une « nécessité médicale ». Cette dernière formulation fut remise en cause par le souhait d’exclure la
recherche médicale. La nécessité thérapeutique se veut quant à elle plus stricte et constitue la cause licite du
contrat médical. C’est d’ailleurs l’idée que parut guider les parlementaires lorsqu’ils modifièrent le projet de loi
n° 66 dont l’article 2 prévoyant l’insertion de nouveaux principes dans le Code civil disposait : « la nécessité
thérapeutique ou la loi autorisent seules une atteinte à l’intégrité du corps humain […] » ; ce texte fut adopté par
l’Assemblée nationale le 25 novembre 1992. Le Sénat modifia cette formulation pour retenir qu’il ne pouvait
être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique ou médicale […].
Cependant, l’Assemblée nationale supprima la possibilité de se référer à une nécessité médicale et le texte ne fut
plus modifié et devint loi. Il fut toutefois précisé qu’il était toujours possible de prévoir des dérogations
particulières à la faveur de législations spéciales.
320
Traité de droit médical, Litec, 1956, p. 246, n° 272. Les auteurs se réfèrent également à la proposition de
définition formulée par le Doyen Brouardel, Commissaire du gouvernement, selon lequel le traitement est « la
manière de conduire une maladie, à l’effet, soit de la guérir, soit d’en diminuer les dangers, soit de calmer les
souffrances qu’elle cause, soit d’atténuer ou dissiper les suites qu’elle peut entraîner. », ibid., p. 44, n° 30 bis. En
ce sens, cf., Paris, 11 mars 1935, Gaz. Pal. 1935, 1, p. 825, définissant cette notion comme « tout procédé
quelconque tendant à la guérison d’une maladie ou à l’atténuation d’un état de maladie ou de malaise. ».
319
- 105 -
pratiques destinées à guérir, l’activité médicale ne serait que curative 321 . Or, tel n’est pas
toujours le cas322. L’article 16-3 alinéa 1er a ainsi été modifié par la loi n° 99-641 du 27 juillet
1999 portant création d’une couverture maladie universelle. Son article 70 énonce : dans le
premier alinéa de l’article 16-3 du Code civil, le mot « thérapeutique » est remplacé par le
mot « médicale »323. L’article 16-3 du Code civil dispose aujourd’hui « il ne peut être porté
atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale324 pour la personne. Le
consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend
nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir » 325.
L’intervention sur le corps humain ne doit pas uniquement obéir à une finalité curative, un
objectif de prophylaxie étant parfois nécessaire. L’adjectif « médical » englobe aussi la
recherche ou l’expérimentation sans bénéfice thérapeutique direct, laquelle est par ailleurs
spécialement encadrée. Néanmoins, si la formulation précédente pouvait légitimement
paraître trop étroite, l’expression actuelle pourrait s’avérer trop souple pour offrir
efficacement une ligne de conduite aux médecins326.
321
Après avoir regretté que les notions de santé et de thérapeutique ne soient pas circonscrites, C. Labrusse-Riou
observe néanmoins que « tout ce qui est médical n’est pas thérapeutique », Servitude, servitudes, in L’homme, la
nature et le droit, B. Edelman et M.-A. Hermitte (sous la dir.), éd. Christian Bougois, 1988, p. 349.
322
Médecine préventive, intérêt des tiers, chirurgie esthétique… le problème plus précis de la ligature des
trompes. Il faut cependant noter que pour sa part le code de déontologie médical utilise indifféremment les
termes thérapeutique et médicale.
323
V. G. Fauré, Que bien légiférer est un art difficile !, Bref commentaire du nouvel alinéa de l’article 16-3 du
Code civil issu de la loi du 27 juillet 1999, Méd. & Droit ; 38 : 1-3 ; A. Prothais Une droit pénal pour les besoins
de la bioéthique, Rev. sc. crim. 2000, p. 46, D. Thouvenin, Les avatars de l’article 16-3 alinéa 1er, du Code civil,
D. 2000.485 ; C. Byk, Bioéthique, législation, jurisprudence et avis des instances éthique, J.C.P. 2000.I.255, n°
59.
324
L. n° 99-641 du 27 juill. 1999, art. 70.
325
Pour un regard critique sur cette nouvelle rédaction, D. Thouvenin, Les avatars de l’article 16-3, alinéa 1er, du
code civil. D. 2000, Doct. p. 485.
326
Le fait qu’un acte soit entrepris par un médecin dans l’exercice de ses fonctions ne devrait pas suffire à
justifier automatiquement son ministère car ce dernier peut poursuivre un intérêt autre que celui du patient. B.
PY se demandait ainsi : « La notion d’intérêt médical englobe-t-elle l’intérêt du médecin ou de la médecine ? La
formation du médecin, l’expérimentation d’un médicament ont un intérêt médical, pourtant il ne s’agit pas
d’actes à but curatif. », Recherches sur les justifications pénales de l’activité médicale, th. Nancy II, 1993, p.
166. X. Pin note « qu’un vague intérêt "médical" tend à supplanter l’intérêt purement curatif, de telle sorte que
sont justifiées des interventions dans des domaines où naguère la répression aurait été mise, comme celui des
expérimentations médicales, de certaines transplantations comme les xénotransplantations, de la chirurgie
esthétique de confort, ou de celui des stérilisations à des fins contraceptives. », Le consentement en matière
pénale, th. Grenoble II, 1999, p. 186. Dans le même sens, voir M.-H. Renaut, L’évolution de l’acte médical, RD
sanit. soc., 1999, p. 45 et s. D. Thouvenin observe enfin que la référence « au mot médical traduit dort bien que
en réalité, il s’agit de l’intérêt des médecins. », Les avatars de l’article 16-3, alinéa 1er du Code civil, art. préc. ,
p. 490. A l’inverse, M. Véron estime que « le recours à une formule aux contours aussi imprécis que celle
d’intérêt médical se révèle heureux », l’imprécision permettant une plus grande souplesse dans l’exercice de l’art
médical, in Traité de droit médical, L. Mélennec (sous la dir.), T. 3, La responsabilité pénale du médecin,
Maloine, 1984, p. 12.
- 106 -
À la nécessité médicale s’ajoute le consentement de l’intéressé pour justifier l’action
du médecin. Ces deux conditions sont en principe cumulativement exigées par le droit pour
admettre qu’est licite une atteinte portée à l’intégrité du corps humain. À supposer qu’une
seule soit remplie mais que l’autre fasse défaut, le principe de l’intégrité retrouve application.
Mais ce ne sont pas les même sanctions qui s’appliqueront selon la condition qui manque.
L’ordre suivi par le texte et le fait que l’on peut parfois se passer du consentement montre la
hiérarchie entre ces deux conditions. Quoi qu’il en soit le respect dû au corps humain
implique une interprétation stricte de ces conditions327. Il convient, en ce sens, de rechercher
ce que peut contenir la notion d’intérêt thérapeutique et médical.
b) La portée du principe
La nécessité thérapeutique suppose une mise en balance de l’atteinte portée au corps et
de l’avantage escompté. La finalité thérapeutique suppose une intervention sur le corps à
visée diagnostic et curative. Il pourra tout d’abord s’agir d’investigations destinées à
permettre de poser un diagnostic. Il pourra aussi s’agir d’un traitement, destiné à guérir la
personne concernée ou à améliorer son état ou même à éviter l’aggravation de celui-ci voire
une pathologie non encore avérée. La nécessité thérapeutique devenue nécessité médicale est
d’abord pensée dans le sens du médecin. La définition du mort médical renvoie directement à
la médecine et donc à « la science qui a pour but la conservation et le rétablissement de la
santé ». Il s’agit d’offrir au praticien un maximum de confort juridique pour lui permettre
d’exercer au mieux sa science. La modification du terme thérapeutique par le terme médical
permet de préciser qu’il est donc également pris en compte l’intérêt thérapeutique d’autrui. De
nombreuses règles sont destinées à donner aux médecins les moyens licites d’intervenir sur le
corps de la personne : prélèvements d’organes sur une personne vivante dans l’intérêt du
receveur, de même que sur une personne décédée328. On sait d’ailleurs que la modification du
texte a notamment été motivé par la prise en compte de dons d’organes.
Il appartient au médecin concerné d’apprécier si la nécessité thérapeutique justifie une
atteinte à l’intégrité du corps du patient, et ce éventuellement sous le contrôle d’un magistrat.
327
Ces deux conditions ne suffisent pas toujours. Il faut en effet respecter l’article 16-4 du code civil, qui protège
l’intégrité de l’espèce humaine.
328
D’autres actes sont purement à portée médicale : identification d’empreintes génétiques, recherches
biomédicales…
- 107 -
À ce titre, on peut se demander si l’arrêt des soins peut constituer un acte médical329. À la
lumière de la loi nouvelle du 22 avril 2005 relative aux droits des malade et à la fin de vie330,
qui autorise clairement le médecin à mettre un terme à des soins devenus inutiles, il faut
conclure que les soins pratiqués, alors qu’ils ne correspondent plus à un intérêt thérapeutique,
sont susceptibles d’engager la responsabilité du médecin. En effet, le fait de maintenir en
survie un individu alors que son existence est manifestement arrivée à son terme ne présente
pas d’intérêt thérapeutique. Par conséquent, le médecin qui décide malgré tout de poursuivre
le traitement commet une atteinte illicite au corps humain. Une inversion s’est dès lors opérée.
Avant la loi, cette vision apparaissait comme une hypothèse audacieuse. Le médecin arrêtant
les soins, pouvait craindre davantage d’être poursuivi pour homicide involontaire 331 . La
poursuite des soins échappait elle, semble-t-il, à toutes types de poursuites, même si elle était
a priori condamnable, faute d’intérêt thérapeutique. Aujourd’hui, le médecin qui poursuivrait
des soins devenus inutiles serait-il davantage susceptible d’être poursuivi pour violences
volontaires, puisqu’il ne serait plus couvert par l’intérêt thérapeutique, qui légitime son acte
médical ? La condamnation ferme par la loi de l’obstination déraisonnable y invite. En effet,
la loi pose en principe l’exclusion de la poursuite des soins par obstination déraisonnable.
Toutefois, il existe une marge entre le déraisonnable et l’inutile et il n’est pas certain en
conséquence que les médecins se voient d’un seul coup, du fait de la loi, poursuivis davantage
pour un acharnement thérapeutique. Il faut préciser d’ailleurs que le médecin « peut » selon le
texte mettre un terme aux traitements inutiles. Il n’y a pas ici la notion d’obligation, alors que
logiquement, en application du principe de la nécessité médicale, le médecin se devrait de
mettre un terme à des soins dépourvus désormais d’intérêt médical. Le législateur a
certainement d’un part, désiré être prudent, il ne s’agit pas de voir arrêter trop rapidement les
soins. D’autre part, il laisse surtout une grande liberté aux médecins pour apprécier la
situation. Cette marge de manœuvre est celle qui existe entre la décision d’arrêter de soins en
temps utile et le passage à l’acharnement thérapeutique.
329
V. en ce sens, les développements de Carole Girault, Le droit à l’épreuve des pratiques euthanasiques, Presse
Universitaires d’Aix-Marseille 2002, p. 207, n° 386.
330
Loi n° 2005-370, J.O. 23 avril, p. 7089 ; D. 2005, Lég. p. 1214. On lira notamment les travaux préparatoires
suivants : Rapport sur la mission d’information Respecter la vie, Accepter la mort, Document d’information,
Ass. nat., 2 vol., juillet 2004, n° 1708 ; Droits des malades en fin de vie, commission spéciale, Documents
législatifs, Ass. nat., n° 1929, novembre 2004, première lecture, Débats parlementaires, Ass. nat. ; Droits des
malades et fin de vie, première lecture, commission des affaires sociales, Sénat, n° 281, 6 avril 2005.
331
Cass. 19 février 1997, J.C.P. II 22889, note J.-Y. Chevellier ; D. 1998 236, note B. Legros. V. également, C.
Girault, Le droit à l’épreuve des pratiques euthanasiques, op. cit.
- 108 -
En posant clairement la possibilité offerte aux médecins d’arrêter les soins et de
condamner tout aussi nettement l’obstination déraisonnable, le législateur n’a peut être pas
perçu qu’il a ouvert une nouvelle voie de responsabilité du médecin. Cette dernière, lorsque le
malade est en fin de vie, s’attacherait désormais davantage « au trop agir » qu’à l’omission, la
faute consistant pour le médecin à s’acharner et ainsi oublier la raison – l’intérêt thérapeutique
– de son action. Avant même la loi, certains auteurs avaient envisagé cette hypothèse. Dénués
d’efficacité et d’utilité, ces actes du médecin ne peuvent être justifiés ni médicalement ni
pénalement. M. Py écrit que l’acharnement thérapeutique n’est pas un acte médical car il
constitue « un dépassement de la mission médicale de la part de ceux qui refusent de
reconnaître les limites de leur art […]. »332. Il poursuit en observant que les atteintes portées
au corps humain en cas de poursuites de soins inutiles ne devraient pas être couvertes par un
quelconque fait justificatif : « L’acte médical qui n’est pas utile à la personne du soigné est
illicite.[…] Donc la poursuite de soins devenus inutiles est incompatible avec l’admission du
fait justificatif. L’acharnement thérapeutique est alors susceptible d’une qualification pénale
classique en fonction de la gravité des atteintes accomplies. »333. De même, M. Delmas SaintHilaire estime que « l’absence de but thérapeutique de l’intervention fait que les poursuites
pénales deviennent possibles du chef d’atteintes volontaires à l’intégrité physique des
personnes. » 334 . Ainsi, l’acharnement thérapeutique relèverait davantage des violences
volontaires, et devrait, à ce titre être réprimé par les tribunaux, ces derniers retenant la perte
de chance de survie335. En France, le maintien en survie artificielle en dépit de tout espoir de
guérison n’a cependant jamais fait l’objet de condamnation pour violences. Les magistrats
devaient sans conteste, penser que la situation juridique des médecins étaient particulièrement
floue. Ces derniers ne devaient pas craindre d’être accusés d’euthanasie s’ils interrompaient
les soins d’un patient ? ou au moins d’homicide involontaire ? Les poursuites étaient
beaucoup plus certaines en ces cas. N’étant pas certain de pouvoir arrêter des soins, ne valaitil pas mieux dès lors, pour le médecin, s’acharner ? Le flou ancien n’existant plus, des
poursuites en ce sens ne sont plus exclues, même si elles restent relativement peu probables.
332
B. Py, Recherches sur les justifications pénales de l’activité médicale, th. Nancy II, 1993, p. 194
B. Py, ibid. Dans le même sens et du même auteur, La mort et le droit, P.U.F., Coll. Que sais-je ?, N° 3339,
1997, p. 62.
334
J. -P. Delmas Saint-Hilaire, Juris-Classeur droit pénal, Art. 121-4 à 122-7, n° 32.
335
Reprenant les propos de E. Bertrand (Primauté de l’état de vie, ses conséquences et ses limites, Colloque sur
les états frontières entre la vie et la mort, Marseille, 1965) et invoquant « le droit à sa mort naturelle », C.
Labrusse-Riou estime que « si trop de retard était mis à couper les circuits de réanimation, le droit devrait
inventer un délit ou un crime de supposition d’êtres vivants » car « ce qui pourrait être choquant, c’est la survie
et non la mort », Servitude, servitudes, in L’homme, la nature et le droit, B. Edelman et M.-A. Hermitte (sous la
dir.), éd. Christian Bourgois, 1988, p. 367.
333
- 109 -
D’une manière générale, à la suite du changement de l’intérêt thérapeutique à celui
d’intérêt médical, il ne faut pas se tromper sur la profession du médecin. Ce changement
n’était demandé au départ que dans le sens du médecin. Le but était de permettre au médecin
d’exercer plus avant son pouvoir. L’acte médical restait lui un acte d’intérêt thérapeutique.
L’acte est défini comme un acte d’exercice de la médecine336. La finalité de l’acte médical
n’a donc pas changé par cette loi. En ce sens, certains auteurs estiment que l’acte médical
reste un acte thérapeutique lorsqu’il est fait en faveur d’autrui et non pas d’intérêt médical
puisqu’il permet de soigner même si c’est autrui et non le patient comme dans le cas des
prélèvements d’organes337.
Que la nécessité soit thérapeutique ou médicale n’est pas suffisant pour définir la
nature que doivent revêtir les acte médicaux. Une autre condition résultant essentiellement de
la pratique est exigée sous l’expression de « raison proportionnée ».
2 - L’exigence de la « raison proportionnée »
L’idée fondamentale contenue dans cette condition résulte du principe selon lequel le
praticien doit s’abstenir d’exposer son patient à des risques trop importants ou inconsidérés,
même dans le but, pourtant louable, de traiter la pathologie dont souffre ce dernier338. Le
médecin ne doit pas détourner la confiance de son patient. Des risques importants par rapport
à l’amélioration escomptée de l’état du malade seraient de nature à atrophier voire à faire
disparaître l’aspect curatif des agissements envisagés. À la différence l’exigence d’une
nécessité médicale, ce principe n’est pas requis d’une manière générale par la loi. Cependant,
336
Le petit Robert définit l’acte médical comme « l’acte qui concerne la médecine ». Au plan juridique, si des
auteurs ont essayé d’en donner une définition (C’est l’acte posé par un homme qualifié en vue de guérir autrui »,
v. R.-J. Savatier, J.-M. Auby et H. Péquinot, Traité de droit médical, Librairies techniques, 1956, n° 1), aucun
texte ne le fait expressément. Cependant, le droit le reconnaît. V. sur le sujet, B. Feuillet, L’évolution de la
notion d’ « acte médical », in Nouvelles frontières de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin,
sous la dir. de F. Bellivier et C. Noiville, Dalloz, 2006, p. 203 et s. Objet du contrat médical L’acte médical est la
prestation à laquelle le médecin s’engage dans le contrat passé avec son patient. G. Mémeteau, Cours de droit
médical, 3e éd., Les études hospitalières, 2006, p. 299. L’acte médical n’est licite que si le consentement du
patient est obtenu, qu’une nécessité médicale existe (Cette condition initialement celle de l’existence d’un
« intérêt thérapeutique » à changer en « intérêt médical »). et si en application de la règle de la raison
proportionnée, l’intervention apporte au malade plus d’avantages que d’inconvénients. Le droit régit l’activité
médicale. De fait, l’acte médical est un outil de santé publique. A ce titre, c’est un acte d’intérêt général.
337
V. en ce sens, B. Feuillet, L’évolution de la notion d’ « acte médical », op. cit., p. 210.
338
Sur cette notion d’équilibre : V. not. : C. Hennau-Hublet, L’activité médicale et le droit pénal, L.G.D.J. 1987
n° 53 et s. – B. PY, Recherches sur les justifications pénales de l’activité médicale, thèse, Nancy II, 1993, p.
222.
- 110 -
le régime juridique des recherches biomédicales y fait référence. L’article L. 1121-1 du Code
de la santé publique prévoit qu’aucune recherche biomédicale ne peut être effectuée sur l’être
humain : « si le risque prévisible encouru par les personnes qui se prêtent à la recherche est
hors de proportion avec le bénéfice escompté pour ces personnes ou l’intérêt de cette
recherche […] ». Du reste, cette exigence s’impose à tous les médecins par l’intermédiaire du
Code de déontologie qui dispose en son article 40 que « le médecin doit s’interdire, dans les
investigations qu’il pratique comme dans la thérapeutique qu’il prescrit, de faire courir au
patient un risque injustifié ». Le silence du législateur à propos d’une consécration générale de
cette condition ne signifie pourtant pas que le praticien téméraire ou inconscient ne puisse pas
voir sa responsabilité engagée, bien au contraire339. Avant de prendre sa décision, le médecin
se doit de calculer le bien-fondé de son action au regard de son intérêt pour le malade.
Lorsqu’un traitement lui apparaît opportun, il lui appartient d’en informer le patient et de
recueillir son adhésion. En raison de ses compétences professionnelles, le médecin a le
pouvoir d’évaluer « la nécessité » de l’intervention. Le médecin met en balance la gravité de
l’atteinte corporelle et le bénéfice escompté. Si ce rapport s’avère profitable au patient,
l’intervention médicale sera justifiée. Le médecin aura donc le devoir de refuser de porter
atteinte au corps de son patient si les risques sont disproportionnés par rapport au résultat
escompté340. Le médecin devra donc en conscience apprécier si les risques prévisibles sont ou
non hors de proportion avec l’atteinte envisagée, s’agissant des risques normalement
engendrés par l’acte médical car en ce domaine, la Cour de cassation prône le principe de
l’appréciation in abstracto341.
En revanche, s’il s’agit de risques imprévisibles, il apparaît par essence difficile de
pouvoir les prendre en considération. Néanmoins si ceux-ci sont importants, il se sera possible
de rechercher la responsabilité civile et/ou la responsabilité pénale du praticien, en retenant,
pour cette dernière, par exemple les infractions d’homicide ou de violences volontaires. Les
risques, notamment le risque mortel, paraissent inhérents à l’acte médical. Il appartient au
médecin de le rappeler au patient.
339
Voir. F. Archer, Le consentement en droit pénal de la vie humaine, Thèse, Université Lille II, 2000, n° 266 et
la jurisprudence citée.
340
CA Paris, 19 janvier 1959, JCP G 159, II, 1112, note R. Savatier ; CA Aix-en-Provence, 16 avr. 1981, JCP G
1983, II, 19922 ; CA Versailles, 17 janvier 1991, JCP G 1992, II, 21929, note G. Mémeteau ; Cass. 1ère civ., 14
janv. 1992, Bull. civ. I, n° 16.
341
V. not. Cass. 1ère civ., 18 déc. 1979, Bull. civ. I, n° 323.
- 111 -
Fondé sur le droit à la vie et à la santé, la permission, le droit du médecin de porter
atteinte au corps du patient semble conférer au praticien une liberté décisionnelle importante.
Ce droit paraît cependant secondaire face au devoir du médecin de soigner une personne.
SECTION II - LE DEVOIR DU MEDECIN DE SOIGNER UNE PERSONNE
Le pouvoir médical a longtemps été justifié par le but qu’il poursuivait, celui de lutter
contre la mort. Par ailleurs, l’image du médecin était celui du savant. La médecine était donc
dominée par une vision paternaliste. En ce sens, la parole et la volonté du patient étaient alors
accessoires voire superflues. En ce sens, le pouvoir du médecin s’assimilait à celui d’un
parent à un enfant. Mais la médecine a profondément changé, l’image du médecin s’est
banalisé. Le patient n’entend plus être infantilisé mais reconnu à la fois comme interlocuteur
et comme une personne, et plus seulement comme un corps malade. Le médecin a été sommé
de prendre acte de cette évolution et de s’y soumettre. Le patient tente depuis plusieurs années
de contrôler les actes sur sa vie et ainsi reprendre possession de sa mort. Le médecin a
désormais pour interlocuteur une personne, nécessiteuse de soins. Il lui doit de lui apporter
son secours. Le médecin est donc soumis au droit à l’intégrité physique du patient. Il ne
pourra agir sans son consentement. Plus avant, le patient a entendu bénéficier des progrès
médicaux et a fait évoluer le sens de l’acte médical. Le médecin semble agir pour répondre à
une demande du patient (§I). Ce devoir de soigner plus qu’un corps mais une personne oblige
à repenser la relation médecin-patient. Les rapports juridiques du médecin et du patient face à
la mort ont été bouleversés. Le droit semble désormais consacrer le droit à l’autonomie du
patient. La relation médicale soigant-soigné se double d’une relation, certes incidente mais
non négligeable du médecin et des proches du patient, la médecine ne pouvant ignorer les
tiers à la relation (§II).
§I- Le devoir de soigner un corps, support d’une personne
Se concentrant sur le corps, le médecin a longtemps oublié que la personne et le corps
ne faisaient qu’un. L’évolution de la médecine a rendu nécessaire une réflexion sur le statut
de la personne humaine au regard de son corps342. Les lois bioéthiques de 1994 ont proclamé
que l’on a moins affaire au corps qu’à la personne, d’où la mise en exergue de la « primauté
342
Exposé des motifs du projet de loi relatif au corps humain et modifiant le Code civil, AN n° 2599, 2.
- 112 -
de la personne »343 et, pour assurer l’éminence de la personne au travers de son corps, le
respect de celui-ci est érigé en droit subjectif. Aussi légitime qu’apparaisse l’action du
médecin, elle reste subordonnée au respect dû à la personne humaine (A). Disposant de leur
corps, et bénéficiant désormais d’une médecine efficace, les personnes ont réclamé plus qu’un
droit à la vie – la vie apparaissant mieux armée face à la mort – un droit à la santé et au bienêtre. Les personnes refusent désormais toute souffrance. Modifiant la définition de l’acte
médical qui n’est plus seulement thérapeutique mais peut être uniquement médical, cette
évolution conduit à repenser la relation médecin-patient face à la mort. En effet, l’achèvement
de cette évolution ne conduit-elle pas à demander au médecin à agir que dans un strict but de
confort et de convenance comme c’est la cas dans l’hypothèse de donner la mort (B).
A - Le respect de la personne humaine
Le respect dû à la personne humaine suppose l’existence d’une personne humaine,
c’est-à-dire à la reconnaissance par le droit d’un individu en vie susceptible de protection. Elle
oblige aussi à s’interroger qui de l’Etat ou de la personne est titulaire du droit à la vie (1). Par
suite, la protection du corps de la personne humaine s’impose par le respect dû au principe
fondamental du droit à l’intégrité physique de la personne, lequel subordonne l’action du
médecin à la liberté de l’individu (2).
1-Une personne porteuse de vie humaine
Les bénéficiaires du droit à la vie sont bien les personnes 344 , même si le
commencement de la vie et sa fin sont mal définis. Il a été précisé qu’était exclu de cet
ouvrage le fœtus. Cette exclusion mérite d’être justifiée. En effet, selon l’article 16 du Code
civil, « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci
et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Cet article connaît
une entorse importante par la possibilité qu’à une femme d’interrompre une grossesse lorsque
cette femme peut justifier d’un état de détresse. La loi du 17 janvier 1975 n’admet, selon le
Conseil Constitutionnel, qu’il soit porté atteinte au principe du respect de tout être humain dès
le commencement de sa vie qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu’elle
343
Art. 16 du Code civil : « La loi garantit la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celleci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».
344
Le terme est ici strictement entendu dans son sens juridique, c’est-à-dire à toute personne titulaire de la
personnalité juridique.
- 113 -
définit345. Il faudrait donc admettre qu’en dehors de cette exception, le médecin se doit de
protéger la vie de la personne … ou de l’être humain ?!346
La confusion vient en effet de l’utilisation de ces deux termes à la portée juridique bien
différente. Le droit semble admettre que l’être commence sa vie à la fécondation tandis qu’il
est certain que le terme « personne » fait référence à la notion de personne juridique. Cette
situation s’explique parce que le droit n’a pas défini l’embryon. La législation sur
l’avortement continue de déchaîner les passions, notamment pour savoir quelle est la nature
de l’embryon Ainsi, jusqu’à sa naissance, l’enfant n’a pas une personnalité distincte de sa
mère ; il est, comme disaient les Romains, pars viscerum matris (un morceau des entrailles de
sa mère)347. Le Comité consultatif national d’éthique a dit lui que l’embryon constituait une
« personne potentielle »348, ce qui est obscur ; une personne potentielle n’est pas encore une
personne. Cette position traduit l’idée selon laquelle nous avons tous été des embryons
humains. Le professeur Malaurie explique : « La loi du 29 juillet 1994 sur les dons d’organes
(art. 9) permet de mettre fin à la conservation des embryons surgelés « existants » à la date de
promulgation de la loi, pour dire que l’on peut les détruire : un embryon "existe" donc349 : il
est donc un être vivant, cet être est un être humain. […] L’embryon a une vie, une vie
humaine, bien qu’il ne soit pas une personne »350. Mais il est un fait qu’aucune disposition
légale ou réglementaire ne précise qu’elle est la nature de l’embryon et du fœtus : une
personne ou une chose ?
Malgré les critiques de la doctrine presque unanime, la Cour de cassation refuse de
qualifier d’homicide involontaire l’atteinte non intentionnelle à la vie de l’embryon et du
fœtus 351 . Traditionnellement, la jurisprudence répressive considérait jusqu’à une époque
345
Cons. const. 15 janv. 1975, D. 1975. 529, note L. Hamon.
Le professeur Malaurie écrit à propos de l’article 16 du Code civil : « La loi affirme parfois des principes un
peu grandiloquents, qui n’ont guère de valeur normative. », Les Personnes. Les incapacités, Defrénois, 2e éd.,
2005 p. 10, n° 4.
347
V. not. : J.-Ph. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, Dalloz, 2003, n° 173 ; N. Massager, Les droits de
l’enfant à naître, th. Bruxelles, Bruyland, 1997, A. Bertrand-Mirkovic, La personne humaine (Etude visant à
clarifier la situation de l’enfant à naître), th. Paris II, ronéo 2001 ; J.-J. Taisne, La protection de la vie humaine
hor sdu droit des personnes, in Colloque, La vie humaine mise sur le marché, P.A., 5 déc. 2002 ; Cl. Neirinck,
« L’embryon humain ; une catégorie juridique à dimension variable », D., 2003. 841.
348
Avis du 23 mars 2004.
349
Tr. Adm. Amiens, 9 mars 2004, D. 2004.1051, note X. Labbée ; JCPG, 2005.II.10003, note I. Coppart ; RTD
civ. 2004.488, obs. J. Hauser, condamne l’hôpital à indemniser les parents pour avoir, par sa négligence, altéré à
la conservation d’ovocytes fécondés.
350
Ph. Malaeurie, Les personnes. Les incapacités, op. cit., p. 12, n°6.
351
V. pour une analyse récente, complète et minoritaire, puisque défendant la position de la Cour de cassation :
J. Mouly, Du prétendu homicide de l’enfant à naître, Défense et illustration de la position de la Cour de
cassation, Rev. sc. crim., 2005, p. 47. V. également, CEDH, 8 juillet 2004 Vo c/ France, D. 2004, p. 2456, note J.
Pradel ; J.C.P. 2004, II, 10158, note M. Levinet ; RJPF sept. 2004, p. 25, note N. Fricéro ; Dr. Famille oct. 2004,
346
- 114 -
récente que se rendait coupable d’homicide involontaire celui (médecin, automobiliste) dont
la faute d’imprudence entraînait la mort du fœtus à la suite son expulsion prématurée 352 .
Toutefois, à la faveur de deux arrêts en date respectivement du 30 juin 1999353 et du 29 juin
2001354, la chambre criminelle de la Cour de cassation puis l’assemblée plénière de la Cour de
Cassation ont mis un terme « à cette velléité répressive »
355
en considérant
que
« l’interprétation stricte de la loi pénale s’oppose à ce que l’incrimination prévue à l’article
221-6 du Code pénal (réprimant l’homicide involontaire) soit étendue au cas de l’enfant à
naître dont le régime juridique relève des textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus ». La
chambre criminelle considérait que le fœtus ne pouvait au regard du droit être considéré
comme « autrui ». Il faut comprendre que pour la chambre criminelle autrui traduit donc la
notion de « personne » au sens du droit civil et non celui de l’être humain.
Cette interprétation était dénoncée par la doctrine. Le droit pénal prend régulièrement
ses distances avec le droit civil. On s’étonne donc qu’il soit resté si frileux. Par ailleurs, son
rôle fondamental n’est-il pas de protéger l’être humain et non la personne356. Certains ont
considéré qu’admettre une telle protection du droit pénal serait remettre en cause l’IVG, alors
que ce droit n’est pas en cause. En effet, l’autorisation d’IVG repose sur la détresse la mère,
que l’on fait prévaloir sur l’intérêt de l’embryon. Un député tentait vainement de remédier à
cette situation. Son intervention fut cependant vivement critiquée 357 . Cette solution était
finalement « confirmée » par la Cour européenne des droits de l’homme par une décision de
2004, laquelle délivrait un « brevet de conformité » 358 aux droits de l’homme au droit
français359.
p. 43, note p. Murat ; RTD civ. 2004, p. 799, obs. J.-P. Marguénaud ; E. Serverin, Réparer ou punir ?
L’interruption involontaire devant la Cour EDH, D. 2004, chron. p. 2801.
352
En ce sens, v. notamment Douai, 2 juin 1987, Gaz. Pal., Rec. 1989, 145.
353
Cass. crim., 30 juin 1999, Bull. crim. n° 174, D. 1999, p. 710 note Vigneau ; JCP 2000, II, 10231 note Fauré ;
P.A. du 17 nove. 1999, note Debove ; Rev. sc. crim. 1999, p. 813, obs. Mayaud. Pour des confirmations de cette
jurisprudence , v. entre autres Cass. crim., 25 juin 2002, Bull. crim. n° 144 (à propos d’un enfant décédé en
raison d’une négligence médicale alors qu’il était encore in utero) ; 4 mai 2004, Bull. crim. n° 108 (à propos d’un
enfant mort né).
354
Cass. ass. plén., 29 juin 2001, Bull. crim. n° 165, D. 2001, Chron., p. 2907, note Pradel, JCP, 2001, II, 10569,
note Rassat, Rev. Sc. crim. 2002, p. 97, obs. Bouloc.
355
F. Debove, La mort et le droit pénal, Gaz. Pal. du jeudi 2 août 2007, doct. p. 2., spéc. p. 6.
356
Comme l’atteste l’incrimination des crimes contre l’humanité (art. 211-1 et s. du Code pénal).
357
Une proposition de loi (mars 2003, dite amendement Garraud) avait voulu créer une incrimination
sanctionnant l’homicide involontaire du fœtus. A la demande du ministre de la justice d’alors, elle a fait long
feu : a notamment été invoqué contre elle le droit à l’avortement. Vives critiques de J.-Y. Chevallier, Naître ou
n’être pas , Ex. J. Béguin, Litec, 2005, pp. 125 et s. V. Fl. Bellivier et P. Egea, « Les chemins de la liberté […] »
D., 2004.647. Ces auteurs soulignent le désengagement de l’Etat en matière de vie, de reproduction et de mort.
358
Ibid.
359
CEDH, 8 juillet 2004, VO c/ France, D. 2004, p. 2456, note J. Pradel, p. 2535, obs. I. Berro-Lefèvre ; ibid.
Somm., p. 2754, obs. Roujou de Boubée ; ibid., chron., p. 2801, note Serverin. ; JCP G, 2004.II.10158, L.
- 115 -
La frilosité jurisprudentielle à reconnaître à l’embryon la nature d’être humain et lui
accorder la protection juridique qu’il mérite s’explique sans doute par une construction
législative à l’envers. En effet, alors que les connaissances médicales en matière de
procréation en étaient à leurs balbutiements, il était devenu urgent de reconnaître aux femmes
la possibilité d’interrompre une grossesse. En ce sens le droit a précédé son sujet. Il porte sur
des éléments qu’il a omis de définir. Cette situation s’est perpétué avec le temps. Le droit
accorde des droits à la recherche sur l’embryon ou le fœtus. Mais il feint d’ignorer qu’il n’a
pas clarifié la situation juridique de l’objet des de ces lois. Lorsqu’on décide de régir un
domaine, encore faut-il commencer par le définir. Or cette situation était d’autant plus gênante
que le droit a débuté le prise en compte du fœtus par la reconnaissance du fait qu’il pouvait y
être porté atteinte. Comment désormais organiser sa protection ? Cela suppose en effet de
fixer le statut de l’embryon, de le justifier par des fondements et, en ce domaine, ceux-ci sont
notamment éthiques. Face à ce problème épineux, le juge pénal et la Cour de Strasbourg ont
préféré se retirer. Ils l’on fait d’autant plus facilement qu’ils ont pu considérer qu’une telle
responsabilité relevée du législateur. Qu’importe alors que l’enfant porté par la femme ait ou
non atteint le seuil de viabilité et que s’il naissait à cet instant, compte tenu de l’évolution
médicale, il pourrait vivre de façon autonome. Le droit ne reconnaît une personne que si elle
naît vivante et viable. Il reste que ceci est un raisonnement de civiliste et non de pénaliste. Par
ailleurs, même si il faut considérer que l’article 16 énonce un règle comme une pétition de
principe, il est indéniable que le droit reconnaît l’être humain dès le commencement de sa vie.
Dès lors, sauf à faire prévaloir un intérêt supérieur au sien, le fœtus méritait d’être protégé et
le droit en avait les moyens. La position retenue est considérée souvent comme inique :
comment des parents endeuillés peuvent-ils accepter que la justice leur dise qu’ils n’ont rien
perdu. Planiol disait en son temps que « les morts ne sont plus des personnes, ils ne sont plus
rien »360. La relation du fœtus avec le droit n’apparaît guère plus vivante361. A l’instar de la
mort en fin de vie, la mort du début de la vie – et singulièrement la mort du fœtus – soulève
de délicates interrogations médicales, humaines, philosophiques, thanatologiques et
théologiques. Pour ne pas ajouter à la complexité du sujet, cette situation particulière du fœtus
que le droit n’a pas encore saisi, semble devoir être réservée. Si le médecin possède un lien
Levinet ; RTD civ. 2004.378, obs. J.-P. Marguénaud : « Le point de départ du droit à la vie relève de
l’appréciation des Etats […] ; en France, la façon d’assurer la protection de l’embryon dépend de positions
variées au sein de la société française ; […] quant au plan européen, il n’y a pas de consensus sur la nature et le
statut de l’embryon ; tout au plus peut-on trouver comme dénominateur commun l’appartenance à l’espèce
humaine ».
360
Cité par B. Calais, in La mort et le droit, D. 1985, chron. p. 73.
361
F. Debove, art. Préc. Pour l’ensemble de la discussion relative au statut du fœtus, on se reportera aux notes
citées sous les décisions.
- 116 -
évident avec le début de la vie et donc la mort de fœtus, par hypothèse, il faut considérer que
la vie est celle de la personne humaine telle que celle-ci est définie par le Code civil.
Les divers fondements du droit à la vie permettent aussi de douter sur les titulaires de
ce droit. Est-ce les personnes elle-même ? L’Etat ? L’Etat a l’obligation de protéger
positivement la vie. En toute logique, il peut être affirmé que tout être vivant, parce qu’il
contient la vie en lui, doit être protégé par cette disposition. Ainsi, peu importe sa condition,
toute personne bénéficie du droit à la vie. L’obligation de l’Etat va même plus loin puisqu’il
doit prévenir le suicide c’est-à-dire prévenir les atteintes à la vie contre soi-même. Il faut aussi
s’interroger sur les titulaires du pouvoir sur la vie. Il s’agit de chercher l’articulation des
pouvoirs respectifs de l’Etat et des individus sur le vivant. La mission traditionnelle de l’Etat
était de « faire mourir et laisser vivre », à l’image du père de famille romain. Mais une
formule de Foucault qui a fait florès, permet de dire que désormais l’Etat a en charge de
« faire vivre et laisser mourir »362. Ces formules permettent d’illustrer la passation de pouvoir
qui s’est plus ou moins opérée entre l’Etat et les individus363. Cette passation ne s’est pas faite
totalement mais désormais les individus ont plus de latitude dans le vivant364. D’une façon
générale, dans les démocraties libérales, le désengagement de l’Etat sur les questions touchant
aux choix fondamentaux des personnes en matière vie, de reproduction et de mort, est patent.
Il est quasi inéluctable parce que c’est l’individu qui exerce désormais, au moins sur luimême, la patria potestas365. Ce changement est particulièrement notable dans le droit de la
mort : droit au refus de soins, même lorsque le pronostic vital est engagé, arrêt de soins et
bien sur, le débat sur l’euthanasie. En effet, les débats autour de la mort décidée en France
attestent de la force du courant visant non seulement à transférer à l’individu la décision de sa
propre mort, mais également à ce que l’Etat organise le dispositif. Cet abandon de pouvoir au
362
M. Foucault, Il faut défendre la société, Cours du 17 mars 1976, Cours au Collège de France (1975-1976),
Seuil, Gallimard, 1997, p. 213 et s.
363
Sur l’importance du droit médical en matière bioéthique et de procréation médicalement assistée. V. Juger la
vie. Les choix médicaux en matière de procréation, sous la dir. de M. Lacub et P. Jouannet, Paris, La découverte
2001 ; pour une analyse historique des rapports entre sphère domestique et Etat dans le domaine de la vie et la
mort et pour une analyse – contestable – de la bioéthique comme mort de la civilisation, V. J.-P. Baud, Le droit
de vie et de mort. Archéologie de la bioéthique, Aubier, 2001.
364
C’est ainsi que jusqu’à la douzième semaine de grossesse, la femme est investie d’une « petite souveraineté »
sur son corps, consistant à pouvoir décider de faire mourir ou laisser vivre l’embryon qu’elle porte. À ce titre,
certains auteurs se sont penché sur l’homme propriétaire de son corps. V. J.-P. Baud, L’affaire de la main volée,
Le Seuil, 1993 ; du même auteur, Le corps personne par destination, Mélanges Huet-Weiller, PU StrasbourgLGDJ, 1994, p. 13 et s. ; D. Borillo, L’homme propriétaire de son corps, PU Strasbourg 1991 ; X. Labbée, La
condition juridique du corps humain avant la naissance et après la mort, PU Lille, 1990.
365
La loi du 4 juillet 2001 permet désormais ce qui était interdit par le principe d’inviolabilité du corps humain, à
savoir la stérilisation des personnes majeures (V. art. L. 2123-1 du Code de la santé publique). Ce type
d’intervention ne satisfait pas au critère thérapeutique qui, en vertu des principes dégagés par le Code civil, est
nécessaire pour justifier une atteinte au corps.
- 117 -
profit de l’individu va de pair avec la prise en charge de la santé par l’Etat. Se dessine ainsi la
ligne de partage suivante : d’un côté l’individu prend les décisions sur la vie, de l’autre l’Etat
devient gestionnaire du processus de la vie, depuis la naissance jusqu’à la mort.
L’évolution des techniques médicales, de la science et de la bioéthique plus
généralement, ont fait éclaté les anciens repères. La vie et la mort étaient autrefois des choses
simples. Désormais la connaissance du vivant a particulièrement complexifié les choses.
L’ancien partage Etat tutélaire/ individu sujet de droit reposant sur des valeurs solidement
enracinées, stable parce que la distinction des choses et des personnes semblait clair, a fait
place à un nouveau partage. Ce dernier se caractérise lui par l’extrême hétérogénéité des
valeurs morales – libéralisme moral, non commercialité, concept de dignité au contenu
indéterminé – , et par l’instabilité des qualifications : qui serait dire où commence l’être
humain ? La médecine a permis à la personne de conquérir l’irréductible. L’Etat assure
désormais la gestion du quotidien, et ce faisant administre la vie. La question fondamentale de
la protection de la vie humaine va nécessairement se poser. Il s’agira tôt ou tard de poser des
règles strictes et un statut de l’embryon. Pour l’instant, le droit à la vie se contente d’identifier
d’abord, et de protéger ensuite la personne née vivante et viable, pour lui octroyer des droits
et à l’Etat des devoirs.
2 - La protection du corps de la personne humaine
Depuis la célèbre jurisprudence Mercier de 1936366, il est établi que le lien unissant le
patient au médecin est contractuel. Le médecin est tenu de donner des soins consciencieux,
attentifs et conformes aux données acquises de la science. Pourtant l’assentiment préalable
aux interventions thérapeutiques doit être distingué du consentement à la formation du contrat
médical367. En effet, en tant que tel, le contrat ne justifie pas les atteintes susceptibles d’être
portées à l’intégrité physique. C’est pourquoi avant chacune d’entre elles, le médecin devra
366
Civ. 1re, 20 mai 1936, (DP 1936, 1, 88, concl. Matter, rapp. Josserand, note E.P. ; S. 1937.1.322, note Breton ;
Gaz. Pal. 1936, 2, p. 41) : « Il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant, pour le
praticien, l’engagement, sinon, bien évidemment de guérir le malade, du moins de lui donner des soins, non pas
quelconques mais consciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux
données acquises de la science. ».
367
R. Nerson a explicité cette distinction, aujourd’hui fréquemment reprise, entre les notions de
« consentement » et d’ « assentiment » : « Tous les auteurs s’accordent pour imposer au médecin l’obligation
avant tout acte médical, d’obtenir le consentement du malade. À la vérité si le terme consentement est
couramment utilisé, il est équivoque : en effet, du consentement du malade, nécessaire en principe à la
conclusion du contrat, il faut distinguer l’assentiment donné par lui à l’emploi de tel ou tel traitement médical ou
chirurgical », Le respect par le médecin de la volonté du malade, in Mélanges Gabriel Marty, Université des
sciences sociales de Toulouse, 1978, p. 871.
- 118 -
s’assurer de l’adhésion de son patient. Le fondement de cette obligation réside ainsi
également dans une autre dimension spécifique de l’objet sur lequel porte la relation
médicale : le corps humain, incarnation de la personne (b). Mais, bien que ces notions soit
souvent confondues, il nous semble opportun de revenir sur l’inviolabilité du corps humain,
aujourd’hui davantage exprimé par la notion d’intégrité physique (a).
a) L’inviolabilité du corps humain
La loi du 29 juillet 1994 a affirmé le principe de la primauté de la personne humaine et
interdit toute atteinte à sa dignité. Elle consacre également les principes d’inviolabilité et de
non-patrimonialité du corps humain à l’article 16-1 du Code civil
368
. Le principe
d’inviolabilité du corps humain est un des grands principes du droit français selon lequel nul
ne peut porter atteinte au corps humain 369 . Le principe est posé sous la forme d’une
interdiction générale. A ce titre, le consentement de la personne portant sur une atteinte à son
corps prend une tout autre valeur. Dommages a mis en lumière la particularité du
consentement requis dans le domaine médical par rapport au droit commun des obligations :
« L’homme maître de son corps et les médecins comme tous ceux dont l’activité s’exerce sur
le corps d’autrui doivent respecter le droit à l’intégrité corporelle de leur cocontractant. Il
s’agit là d’un des droits les plus sacrés de la personne humaine auquel il ne serait être porté
atteinte que si l’intéressé y a pleinement et librement consenti […]. L’obligation faite au
chirurgien de s’assurer au préalable de l’assentiment du malade ne dérive pas du contrat
médical, mais repose sur le droit de chaque individu au respect de son intégrité corporelle de
la part d’autrui et évolue en dehors du cadre contractuel. »370. En conséquence, le praticien qui
ne respecte pas cette obligation commet une faute contre l’humanisme et engage sa
responsabilité civile. Distincte de la faute liée à la technique médical, celle-ci est constituée
par « la violation par un médecin de ses obligations et devoirs dictés par la profession et
orientés vers le respect de la personne malade, de la dignité et de l’intégrité physique de ce
dernier. »371.
368
L’article 16-1 du code civil, institué par la loi n° 94-653 dite de « bioéthique » du 29 juillet 1994, aux termes
duquel « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable […] ».
369
La loi se contente de consacrer les solutions déjà affirmées par le droit positif.
370
R. Dommages, Le corps humain dans le commerce juridique, Paris, 1956, pp. 125 et 133. L’auteur approuvait
ainsi une décision rendue quelques années auparavant par la Cour de cassation, par laquelle la haute juridiction
s’était fondée sur le principe du respect de la personne humaine, pour imposer aux médecins de respecter la
volonté des patients (Req., 28 janvier 1942, Aff. Teyssier, D. 1942.63.).
371
M. Harichaux-Ramu, La santé, Juris-Classeur droit civil, Fasc. 440-2, p. 3.
- 119 -
Le droit au respect de l’intégrité physique appartient au malade. Le principe de
l’inviolabilité du corps humain le protège contre les atteintes commises par des tiers.
L’inviolabilité « renvoie à l’idée d’atteinte par la force, la violence, et donc contre la volonté
de l’intéressé ». La volonté de la personne humaine est en conséquence le critère permettant
de fixer la frontière entre la licéité et l’illicéité de l’atteinte protéger au corps. La personne
dispose ainsi d’une liberté totale sur son corps, dont celle de se donner la mort. Cette
conception privilégie donc le principe d’autonomie de la volonté. Cette propriété de l’homme
sur son corps a parfois été utilisée pour justifier cette auto-lésion. Cependant, la théorie
conduisant à réifier la personne humaine en la divisant en sujet et en objet de droit est
désormais obsolète.
La nature des rapports juridiques existant entre une personne et son corps était une
question classique avant 1994372. Essentiellement, deux courants doctrinaux s’opposaient. Les
premiers analysaient le rapport qu’entretient l’homme avec son corps comme un droit de la
personnalité : le corps étant du domaine de l’être et non de l’avoir, aucun droit réel ne pouvait
être retenu, et notamment pas le droit de propriété. Le corps humain n’étant pas une chose,
mais la personne elle-même dans son état physique, aucune relation avec le droit de propriété
ne peut être invoquée. En revanche, la protection de la personne en son corps devait être
assurée par la technique du droit de la personnalité, relativement bien adaptée puisqu’un tel
droit est destiné à protéger les intérêts extrapatrimoniaux de la personne373. Au contraire, les
seconds argumentaient en invoquant le processus de réification progressive des éléments et
produits du corps humain une fois détachés de celui-ci (déchets hospitaliers, placenta,
organes, sang, etc.) ; il y avait lieu de recourir au droit de propriété, comme le faisait le droit
américain374.
372
Parmi les nombreuses thèses et documents qui ont traité le sujet, voir notamment : R. Dommages, Le corps
humain dans le commerce juridique, Paris 1956 ; A. Gerogen, Les droits de l’homme sur son corps, Nancy,
1957 ; F. Cabrillac, Le droit civil et le corps humain, Montpellier 1962 ; X. Dijon, Le sujet de droit en son corps,
une mise à l’épreuve du droit subjectif, Larcier, Coll. Travaux de la Faculté de droit de Namur, Bruxelles, 1982 ;
X. Labbée, La condition du corps humain avant la naissance et après la mort, Presses Universitaires de Lille,
1990 ; I. Arnoux, Les droits de l’être humain sur son corps, Presses Universitaires de Bordeaux, 1994 ; S. Prieur,
La disposition par l’individu de son corps, Les Etudes Hospitalières, Coll. Thèses, 1999 ; I. Moine, Les choses
hors commerce, une approche de la personne humaine juridique, L.G.D.J. 1997 ; B. Lemennicier, Le corps
humain : propriété de l’Etat ou propriété de soi ?, Droits, n° 13, 1991, p. 118 ; B. Edelman, L’homme aux
cellules d’Or, D. 1989, chron. XXXIV ; C. Labrusse-Riou, La maîtrise du vivant : matière à procès, Pouvoirs, n°
56, 1991, p. 98 ;
373
V. notamment A. Decocq, Essai d’une théorie générale des droits sur la personne, thèse Paris, 1960 ; Ph.
Dubois, Le physique de la personne, thèse Paris, Litec, 1986.
374
J.-Ch., Essai de définition d’un statut juridique pour le matériel génétique, Thèse Bordeaux, 1988 ; J.-P.
Baud, L’affaire de la main volée : une histoire juridique du corps, Seuil, 1993.
- 120 -
La loi du 29 juillet 1994 est venue consacrer la théorie du droit subjectif en inscrivant
à l’article 16-1 du Code civil : « Chacun a droit au respect de son corps » 375 . Bien que
semblant conforter l’autonomie du sujet, cette subjectivisation a une portée atténuée.
L’individu n’a pas de droit sur son corps, seul le respect de celui-ci est proclamé376. Ensuite,
la cessation du trouble est subordonnée au caractère illicite de l’atteinte, ce qui revient à
affirmer la licéité de certaines d’entre elles 377 . Apparaît ici l’ordre public de protection
limitant l’autodétermination du sujet. Le lien unissant l’homme à son corps n’est
qu’effectivement un droit subjectif, c’est-à-dire un droit concédé et encadré par le Droit
objectif378. Dans une optique plus libérale, certains auteurs ont proposé de qualifier le droit au
respect de son corps comme un droit de l’homme une liberté fondamentale379. M. Carbonnier
s’interrogeait « s’il est bien exact de parler de droit subjectif quelconque pour qualifier la
relation de la personne avec son corps ; plus que d’un droit subjectif, il s’agit d’une liberté,
d’une des expressions de la liberté physique.»380. Dans son double aspect négatif et positif,
cette liberté s’exprimerait par une protection du sujet contre les atteintes issues d’autres
particuliers et par la faculté de disposer de son corps. Cette approche rejoint celle des
publicistes381. Ces derniers considèrent, en effet, que la liberté individuelle est un rempart
contre les empiétements du pouvoir étatique. Chargé de la sécurité de ses sujets, l’Etat doit
également garantir qu’il ne s’immiscera pas dans leur vie privée. Il doit savoir préserver la
liberté inhérente à l’être humain382. Ces diverses influences ne vont pas être sans incidences
sur le droit médical et son approche, notamment dans l’évolution du droit au refus de soins.
375
L’article 16-2 complète cette disposition en prévoyant une action en justice spécifique, « le juge peut prescrire
toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain… ».
376
Le respect du corps humain implique que ce droit est intransmissible, indisponible et imprescriptible.
377
V. F. Terré, et D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, 7e éd., Dalloz, 2003, p.
56, n°63.
378
J. Carbonnier, Droit civil, Introduction, 26e éd. , P.U.F., 1999, Coll. Thémis, p. 315, n° 163 ; G. Cornu, Droit
civil, Introduction, Les personnes, Les biens, 9e éd., Montchrestien, 1999, p. 27, n° 38.
379
C’est la voie que semble avoir choisi N. Lenoir, V. Aux frontières de la vie : une éthique biomédicale à la
française, (avec la collaboration de B. Sturlèse), La documentation française, Coll. des rapports officiels 1991 ;
Le statut juridique du corps humain pour répondre à l’angoisse contemporaine, in L’Etat de droit, Mélanges en
l’honneur de Guy Braibant, Dalloz, 1996, p. 413 ; F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, La
famille, Les incapacités, op. cit., p. 41 et s. ;
380
Droit civil , Les personnes, 21e éd., P.U.F., Coll. Thémis, 2000, p. 27, n° 8.
381
I. Arnoux observe que « les publicistes se sont intéressés tardivement à la question des droits que l’on peut
avoir sur son corps. Ils l’ont abordée sous l’angle des libertés publiques et des droits de l’homme. Contrairement
à la doctrine privatiste les auteurs parlent volontiers du droit de l’individu de disposer de son corps, mais la
signification qu’ils donnent à ce droit n’est pas celle d’un droit subjectif qui implique un lien de droit vis-à-vis
d’une personne ou d’une chose, mais celle dans laquelle l’individu dispose d’une certaine autonomie en face du
pouvoir étatique. », op. cit., p. 28.
382
Les juges américains adoptèrent cette conception libérale lorsqu’ils admirent que l’intérêt de l’Etat à la
préservation de la vie pouvait disparaître devant le principe d’autonomie.
- 121 -
Toutefois, le droit, notamment pénal 383 ne s’est pas référé à la notion d’inviolabilité pour
prémunir les individus contre les atteintes portées à leurs corps, mais à celle d’intégrité. Les
conditions exigées pour justifier les atteintes corporelles l’étaient autrefois au nom de
l’inviolabilité du corps humain . Le législateur n’a pas repris cette notion à l’article 16-3 du
Code civil, mais lui a préféré celle « d’intégrité du corps humain ».
b) L’intégrité et le corps humain
L’intégrité se définit comme l’ « état d’une chose qui est entière », « l’état d’une chose
qui a toutes ses parties », ou l’ « état d’une chose sans altération » ou encore la qualité d’une
personne qui ne se laisse entamer par aucun vice »384. S’agissant de l’intégrité du « corps »,
le dernier sens apparaît sans intérêt. Seuls les deux premiers peuvent éventuellement être
dotés de signification à l’égard du corps, encore qu’il faille regretter un vocabulaire qui, une
fois de plus, réifie la personne385. Lorsque l’on évoque la notion d’intégrité à l’égard du corps
humain, elle signifie avant tout l’intégrité physique. Mais celle-ci ne doit cependant pas faire
oublier l’intégrité
psychique. Le corps humain n’est, en effet, pas seulement de
la « matière », il est aussi esprit, l’intégrité du corps concerne également la matière spirituelle,
psychologique. On notera à ce propos que le droit pénal reconnaît ces valeurs puisqu’il
protège « des atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne386. Les atteintes
englobent tant les atteintes directes telles les coups, les mutilations qu’indirectes comme
l’absorption de substance nuisibles voire mortelles387.
Le texte protège l’intégrité du corps humain. La notion de corps humain peut être
entendue de deux façons. Il est possible qu’elle soit entendue largement ou qu’elle renvoie
uniquement au substratum physique d’une personne physique.
Si l’on retient la conception la plus large, cela consiste à retenir la plus large interprétation
des deux termes « corps » et « humain » : le corps existe dès qu’existe un support
biologique ; ce support est humain dès lors qu’existe, a existé ou existera une personne
humaine. Dans cette interprétation, l’intégrité du corps humain ne suppose pas nécessairement
383
Le droit pénal sanctionne l’ensemble des agressions commises par des tiers indépendamment de
considérations liées à la personne.
384
Selon la définition courante retenue par les Dictionnaires Littré, Larousse, Robert.
385
F. Terré, D. Fenouillet, op. cit., n°70
386
Code pénal, Livre II, Titre II, Chapitre II.
387
On peut parler encore d’atteintes matérielles (les coups) ou juridiques (un contrat dont l’objet serait d’attenter
à l’intégrité corporelle de la personne). Enfin, il peut s’agir d’atteintes temporaires ou définitive, graves ou
bénignes, intentionnelles ou involontaires commises par action ou par omission.
- 122 -
qu’existe « une personne juridique »388. Il est alors possible d’en faire profiter le corps de
l’enfant conçu sans se prononcer sur sa personnalité juridique. De même, le fait que la
personne juridique disparaisse avec la mort et que la dépouille mortelle ne soit qu’une chose
ne supprime en rien l’existence qu’un corps humain, si bien que l’article 16-3 doit être
appliqué en ce cas. Dans cette interprétation, à la différence du droit de chacun sur son corps
qui n’apparaît qu’avec la personne et disparaît à la mort de celle-ci, l’intégrité n’est pas
bornée dans le temps.
Ce n’est cependant pas l’interprétation la plus retenue. On rapproche davantage l’article 16-3
des articles 16 et 16-1 du code civil. Si le législateur interdit toute atteinte à l’intégrité du
« corps humain », c’est qu’il souhaite protéger la vie humaine. Dès lors, si le corps humain est
protégé, ce n’est pas en lui-même mais tant qu’il abrite la vie humaine. Dans cette
perspective, le texte doit être écarté à l’égard de la dépouille mortelle et s’agissant de l’enfant
conçu, il ne pourrait en invoquer le bénéfice que si l’on admet préalablement qu’il est une
personne juridique389.
Le fait que le principe d’intégrité soit porteur du droit à la vie va avoir une
conséquence importante. En effet, cela lui confère une portée très général quant aux
destinataires de la règle. Elle est alors opposable à autrui, mais aussi à la personne elle-même.
Le principe interdit, avant tout et de façon évidente, qu’une personne porte atteinte à
l’intégrité du corps d’autrui. En cela, il ne fait que rependre le principe de l’inviolabilité du
corps humain, repris plus haut. A la nuance près, que dès 1994, le législateur ne justifiait déjà
plus l’atteinte que par la seule nécessité thérapeutique pour la personne, ce qui permettait de
s’interroger dès cette époque sur l’avenir des solutions classiques, tel le refus exprimé par une
personne à l’encontre d’une thérapie, donc ce que l’on retient plus simplement comme le refus
de soins. Le principe d’intégrité physique ne vaut-il pas tout autant à l’encontre de la
personne ? La lettre des textes semble commander cette solution en raison, d’une part, de la
généralité de l’article 16-3, qui dispose « il ne peut être porté atteinte à l’intégrité... » sans
limiter l’interdiction à telle ou telle atteinte, d’autre part, du fait que la loi exige deux
conditions cumulatives qui sont le consentement de la personne et la nécessité thérapeutique.
L’article 16-3 du Code civil faisant prévaloir le terme intégrité qui peut désigner l’état de la
personne, s’il est pris au pied de la lettre, interdit à tous de porter atteinte à l’intégrité de son
corps. Ce faisant, il limiterait la libre disposition par chacun de son corps. L’intitulé de la loi
388
389
En ce sens, V. J.-Ch. Galloux : Petites affiches, n° spécial bioéthique, 14 déc. 1994, n° 14.
V. supra sur le droit à la vie.
- 123 -
est à ce titre d’ailleurs éclairant. La loi n’est en effet pas relative au respect « de la personne
humaine » ou de la « dignité humaine », mais bien au respect du « corps humain ». Parce qu’il
s’agit essentiellement de protéger la vie humaine, la volonté autodestructrice du patient paraît
devoir être neutralisée. Le choix du terme « intégrité » semble donc être important, même si la
doctrine et les magistrats utilisent parfois les termes « inviolabilité » et « intégrité » de façon
indistincte. Mme Fenouillet retenait cette hypothèse en exposant : « Le principe d’intégrité de
l’article 16-3 est plus étendu que celui d’inviolabilité qui, simple facette du droit de chacun au
respect de son corps se borne à interdire qu’il soit porté atteinte à l’intégrité du corps par une
personne d’autrui. Dépassant cette protection du corps d’une personne contre autrui, l’article
16-3 pris à la lettre, interdit à tous de porter atteinte à l’intégrité du corps humain ; il
s’opposerait donc à toute velléité qu’aurait une personne de porter atteinte à son propre corps.
Ce faisant, il limiterait ce qu’il est convenu de désigner comme la libre disposition par chacun
de son propre corps. »390.
Cette vision n’a pas été développée par la doctrine et le législateur n’a semble-t-il pas
voulu établir de distinction entre intégrité et inviolabilité. Il semble cependant que la portée du
droit à l’autodétermination est implicitement réduite lorsque la volonté exprimée par le patient
menace son intégrité corporelle. Cette impression est renforcée par le fait que l’atteinte doit
obéir à une nécessité médicale. Cette approche est intéressante dans le sens où elle met en
valeur le droit à la vie et exclu le droit, dans le domaine médical, à un patient de mettre sa vie
en danger. Or, le droit à la vie fonde l’action de l’Etat dans le droit à la santé. Résonne ici
encore l’ordre public et la protection de la vie, dont le médecin a la charge par l’Etat. De plus,
à la lumière des décisions relatives au refus de soins391, il pourrait être trouvé là un fondement
juridique inattendu.
Cependant, la « liberté » traditionnelle reconnue à l’individu de se donner la mort n’a
pas été remise en cause par l’article 16-3 du code civil. Il ne semble pas que l’indisponibilité
« juridique » du corps s’oppose à la reconnaissance de ce pouvoir de fait de la personne sur
390
D. Fenouillet, Respect et protection du corps humain, Protection de la personne, Le corps humain, JurisClasseur droit civil, Fasc. 12, n° 69. Dans le même sens, R. Sefton-Green : « Quel est donc le rapport entre
inviolabilité et intégrité ? […] Il semblerait que les deux concepts se réfèrent à deux types de rapports différents :
l’inviolabilité serait essentiellement opposée aux tiers, tandis que l’intégrité recoupe non seulement le rapport à
autrui mais aussi le rapport à soi. », Plaidoyer pour la reconnaissance de règles préventives : à propos de l’avis
de la Cour de cassation du 6 juillet 1998 relatif à la stérilisation des incapables majeurs, Petites affiches, n° 134,
1999, p. 24.
391
Cf. infra. Le refus de soins, notamment des personnes qui médicalement pourraient avoir la vie sauve en
permettant l’intervention du médecin et qui la refuse.
- 124 -
son corps. Il n’est pas contradictoire de conférer à la personne sur une liberté corporelle et de
lui dénier le pouvoir de disposer juridiquement, par convention, de son corps. Le fondement
de ces solutions est le même et se trouve dans le fait que le corps c’est la personne même.
Pour cette raison, la personne ne peut constituer sur elle un droit réel quelconque, mais elle
peut librement décider de son sort factuel. « Si le suicide n’est pas interdit, ce n’est pas parce
que la personne a un droit sur son corps, semblable à celui d’un propriétaire pouvant détruire
sa maison ; c’est parce que son acte est l’expression ultime et irremplaçable de la liberté
individuelle » 392 . La liberté corporelle est une composante essentielle de la liberté
individuelle. Cependant, ce rapport à son propre corps n’est qu’un rapport personnel de moi à
moi. Cette liberté n’a pas une portée absolue. D’une part, si le pouvoir de disposition
juridique de son corps est refusé à la personne, c’est pour empêcher qu’elle ne devienne objet
d’un droit conféré à autrui. D’autre part, la liberté corporelle reconnue à la personne ne
justifie pas les influences extérieures C’est ainsi que l’on peut poursuivre celui qui provoque
une personne au suicide. Par ailleurs, deux arguments littéraux peuvent être évoqués pour
restreindre la portée du texte. En premier lieu, la formule « il peut être porté atteinte » ne
désigne qu’une atteinte venue de l’extérieure et portée par un tiers. En second lieu, le fait
qu’en exigeant le « consentement » de l’intéressé pour admettre une atteinte à l’intégrité
physique fondée sur la nécessité thérapeutique, la loi suppose implicitement que l’atteinte est
portée par un autre.
Quoiqu’il en soit, le droit pour la personne de voir respecter son intégrité physique va
avoir une influence sur le médecin. Par exemple, mais nous y reviendrons, l’obligation
d’assistance imposée par la loi cède devant la volonté formelle exprimée en toute lucidité de
l’intéressé393. L’ensemble des dispositions relatives au corps humain ne prévoit pas en eux
même une sanction. Les textes renvoient implicitement soit au droit commun, soit à des textes
spéciaux. Ainsi, on peut penser au droit civil, telle à la théorie générale du droit des contrats394
ou encore à la responsabilité civile toute violation de ces règles impératives devant en outre
être qualifiée de faute. A ces sanctions de droit civil, il faut ajouter toutes les incriminations
pénales, qui font varier la peine selon les circonstances dans lesquelles l’intégrité du corps a
392
F. Terré, L’enfant de l’esclave, Flammarion, 1987, p. 117
Cass. crim., 3 janv. 1973 : Bull. crim., n°2, p. , en cas de « refus obstiné de la personne et même agressif » de
la victime, qui « avait d’ailleurs signé un certificat constatant le refus de sa part des soins prescription», le
médecin en cause a été relaxé du chef de non assistance à personne en péril.
394
La théorie générale des contrats permettra d’annuler un contrat qui se donnerait un tel objet. La doctrine
hésite entre la nullité pour illicéité de l’objet (J. Penneau, La responsabilité du médecin, D. 1996, p. 12) et la
nullité pour illicéité de la cause (G. Mémeteau, Remarque sur la stérilisation non thérapeutique après les lois
bioéthiques : JCP G 1995, I, 3838, n°4).
393
- 125 -
été atteinte. Il faut par ailleurs, rappeler que le conseil constitutionnel a considéré que ce
principe faisait partie de ceux qui mettent en œuvre le principe de sauvegarde de la dignité de
la personne humaine395.
B - Le développement d’une exigence médicale du patient
Si il est de l’intérêt collectif que la population soit en bonne santé, l’individu a luimême exigé pour lui de bien vivre. Les personnes ont donc réclamé le droit à la santé(1). Mais
s’estimant désormais en bonne santé, les patients ont cherché plus avant. Cette exigence s’est
mue en une demande de qualité de vie. La médecine ne présente plus alors d’intérêt
thérapeutique, mais un intérêt médical du fait de sa finalité et non de son utilité. La médecine
devient un confort de vie. Le rapport médecin-patient s’en trouve modifié. Dans cette
perspective, le médecin semble cantonné au rôle d’exécutant. De plus, la consécration de
l’autonomie du patient conjugué à son rejet de la souffrance pourrait expliquer la demande de
mort (2).
1 - Le développement d’un droit à la santé
Qu’est ce que la santé ? La santé, telle que l’a définie l’O.M.S. en 1947, est « un état
de complet bien-être physique, mental et social, et non pas seulement l’absence de maladie et
d’infirmité »396. L’individu va avec le temps revendiquer le droit à la santé en ce sens, où il va
exiger de l’Etat que celui-ci le protège dans sa santé, laquelle est comprise de façon
extrêmement large. Comme a pu le définir l’O.M.S., la santé vise à la fois la bonne forme
physique mais aussi le bien être. Les personnes vont donc demander à l’Etat de leur assurer
une bonne qualité de vie. On constate une extension extraordinaire de l’objet de protection, en
vertu de la définition qu’en donne l’organisation mondiale de la santé (OMS), la santé
recouvrant aussi le bien être. Au cours du XXe siècle, de part l’évolution sociale et
l’émergence de nouvelles exigences ou valeurs, le rôle de l’Etat dans la société va changer. En
effet, à la vision traditionnelle de « droits-libertés » servant de rempart à l’immixtion de l’Etat
dans la sphère privée, fait place une nouvelle conception de « droits-créances », proclamés par
la Préambule de la Constitution de 1958 et supposant pour leur réalisation des actions
positives de la part de l’Etat. Ainsi, la réclamation d’un droit à la santé a eu pour effet, un
échange entre l’Etat et le patient et une nouvelle demande vis à vis du médecin. Celui-ci doit
395
396
Cons. Constit. 27 juillet 1994, Grandes décisions du cons. Constit , n° 47.
Définition de la santé selon l’O.M.S., Rec. int. lég. san., 1970, vol. 21, p. 467.
- 126 -
assurer une médecine curative et palliative, au service du patient. La proclamation, par le
Préambule de la Constitution de 1946397, du droit à la protection de la santé, qui s’est vu
reconnaître d’ailleurs une valeur constitutionnelle, implique que chacun puisse accéder aux
soins lui permettant de jouir du meilleur état possible. Le préambule donne ainsi du citoyen
l’image d’un « homme qui attend derrière un guichet ». Il fait de l’individu un créancier de la
collectivité. Celle-ci doit donc offrir à chacun des moyens égaux d’être protégé et soigné.
Dans sa relation avec le médecin, le patient revendique d’une part d’être le maître de
la décision médicale le concernant, et d’autre part, de bénéficier de soins performant
répondant à un désir de confort398. Ainsi, le patient n’entend plus jouer un rôle passif. Au
contraire, le patient réclame d’être informé, d’être pris en compte comme un être conscient,
adulte, capable de comprendre et de se prendre en main pour aider à la guérison. Non
seulement le malade veut cesser de souffrir et guérir, il veut de surcroît participer à sa cure. Il
est inquiet des erreurs – rares mais intolérables – et des maladies nosocomiales. Les malades
estiment également avoir le droit à l’information. Ils veulent comprendre ce qu’ils ont,
pourquoi tel traitement leur est prescrit, et ils veulent guérir et rapidement. Leur confiance
dans la médecine s’accompagne d’une hâte qui n’accepte plus – ou moins – la durée
incompressible du traitement prescrit et son effet curatif. Le malade attend de la médecine
qu’elle réponde à ses attentes c’est-à-dire qu’elle respecte son autonomie voire accède à ses
désirs et soit très efficace, c’est-à-dire qu’elle obtienne des résultats. Plus encore, ils ne
demandent plus seulement au médecin de les préserver de la mort, ce qu’ils considèrent bien
souvent comme acquis, mais de les préserver de la maladie et de tout désagrément qui
pourrait y être lié.
Le droit a entendu les malades. Il leurs a reconnu un certain nombre de droits. Par la
loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients, le droit entendait rééquilibrer les relations
médecins-patients. Des lois plus spécifiques sont venues répondrent elles aux problèmes de la
fin de vie et de la mort. Ainsi, une loi sur les soins palliatifs était adoptée en 1999 tandis que
le législateur s’attachait à la fin de vie par une loi du 22 avril 2005. Il faudrait en ce sens peut
être alors distinguer deux types de patient autour de la mort. Les patients ne forment plus un
397
Article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Pour le commentaire d’une décision du
Conseil d’Etat en date du 8 septembre 2005 et déniant la qualification de liberté fondamentale à ce principe
constitutionnel, v. X. Bioy, Le tabagisme est un domaine propice au développement de nouveaux principes
relatifs aux libertés, D. 2006, Chron. p. 124 et s.
398
« Tant que les hommes pourront mourir et qu’ils aimeront à vivre, le médecin sera raillé et bien payé » : Jean
de la Bruyère, Les Caractères.
- 127 -
seul groupe que récemment. Pendant longtemps l’efficacité de la médecine était faible, tout
malade pouvait dès lors entrevoir sa mort. Désormais, les malades, y compris ceux devant
subir des interventions même lourdes, connaissent un risque de mort. Mais grâce ou à cause
de l’efficacité médicale, il ne s’agit plus que d’un risque qui n’est pas toujours pris au sérieux
par le patient, parfois par le médecin. Dans un second groupe, il faut classer les patients en fin
de vie c’est-à-dire les anciens patients atteints de maladies incurables en stade terminale et les
patients très âgés, mourant comme on dit de vieillesse. Si la mort s’entend pour les second,
elle est devenue intolérables pour les premiers. L’évolution de la médecine va nous conduire à
ajouter un troisième groupe pour qui la mort est intolérable, inacceptable et nécessairement
fautive de la part du médecin. Il s’agit de patient particulier puisque non malade bénéficiant
de la médecine non thérapeutique mais simplement de confort, tel par exemple de la chirurgie
esthétique. Le rapport du patient à la médecine et la mort est donc désormais très différents
selon le groupe dans lequel le patient se situe. Cela se traduit surtout en terme de
responsabilité. Mais cela se traduit aussi en terme de pouvoirs. Les pouvoirs du médecin de
protéger la vie décroissent lorsque la mort « naturelle » approche tandis qu’ils se maintiennent
relativement, ce que nous verrons en terme de refus de soin, lorsque la vie du patient peut être
sauvée. L’autonomie de la personne n’a pas été pleinement consacrée. C’est cette complexité
des pouvoirs du médecin que met particulièrement en valeur la mort.
Par ailleurs, désormais, il n’est nul domaine où il n’existe une demande médicale. Les
exemples abondent de questions sociales ou morales, qui vont de la santé mentale 399 à la
sexualité400 en passant par l’échec scolaire401, reformulées en langage médical. D’une manière
générale, la demande individuelle à l’égard de la médecine a particulièrement changé. Le
développement de l’individualisme dans nos sociétés a conduit à une course effrénée des
individus vers la réalisation de leurs désirs. Parce que cet objectif peut passer par des
399
V. A Ehrenberg, La santé mentale, in La santé, Les cahiers français 2005, n° spécial, n° 324, p. 14 et s. : la
santé mentale est caractéristique d’une réorganisation des rapports entre maladie, santé et société, le souci actuel
pour les « troubles de masse de la subjectivité individuelle » imprégnant aujourd’hui l’ensemble de la vie
sociale. Dans le même sens, v. D. Zagury, pour qui la psychiatrie est devenue la « bonne à tout faire de la
société, à qui l’on demande non plus de soigner les malades, mais d’apaiser un corps social en souffrance, ce qui
conduit à un paradoxe terrible : « tout le monde à son psy, sauf les fous, vu l’état d’abandon de la psychiatrie
publique » (l’Express 18 juillet 2005).
400
Sur ce point, v. en effet la façon dont ont été jugées les pratiques sado-masochistes par la CEDH : dans son
arrêt du 19 février 1997 (Laskey, Jaggard & Brown c. R.U.), la Cour avait condamné ces pratiques sur le
fondement de la santé (même si, le 17 février 2005, dans l’arrêt K.A et A.D. c. Belgique, elle a substitué à ce
fondement celui de l’absence de consentement de la victime).
401
V. La prolifération des orthophonistes et autres orthoptistes luttant contre dysgraphie, dyslexie, etc., autant
d’exemples qui indiquent que l’on confère une nature médicale à des réalités qui n’étaient jusqu’alors pas
appréhendés socialement en ces termes.
- 128 -
interventions sur le corps, le médecin a été et va être de plus en plus sollicité pour accroître le
bien être des personnes. Il faut ajouter un second facteur. L’extraordinaire essor des sciences
médicales mais aussi des technologies a entraîné une extension du champ d’intervention de la
médecine. En effet, les possibilités offertes aujourd’hui au médecin, notamment en ce qui
concerne l’intervention directe sur le corps, sont innombrables. Après des millénaires
d’impuissance, des découvertes successives, ont offert au praticien un réel pouvoir de
prévenir et de soigner mais aussi de créer, de manipuler ou maintenir artificiellement la vie.
Ces deux facteurs ont conduit à une demande accrue vis à vis de la médecine. Celle-ci
n’est plus seulement perçue comme soignante mais comme distributrice de bien être, de
confort. Toute avancée d’abord considérée comme un progrès vital subit une transformation
pour devenir source de mieux être. Cela se cristallise particulièrement autour du débit de la
vie – par la procréation médicalement assistée, l’IVG ou les stérilisations – et en fin de vie. La
qualité de vie passera par une maîtrise de la vie : le choix d’être ou de ne pas être enceinte, de
donner ou non la vie. A l’autre bout de la vie, on réclame à la médecine de faire disparaître les
effets du temps, de faire oublier que la personne vieillit, de lutter sur ce vieillissement tant
dans l’apparence physique que dans certains attraits de la vie notamment dans la sexualité. Au
delà de la simple volonté de « bien vivre », de vivre jeune, cette course effrénée pour effacer
les effets du temps n’est-elle pas une nouvelle volonté d’échapper à l’inéluctable ? C’est-àdire à la mort. La vieillesse en rapproche nécessairement. Jean Cocteau écrivait « J’observe
tous les jours la mort dans le miroir ». Finalement la médecine n’a-t-elle par une pirouette
toujours le même rôle : faire échapper à la mort, l’effacer de la vie jusque dans l’apparence
physique de l’individu ?
Mais ces demandes n’ont-elles pas aussi dénaturé la notion d’acte médical. Cette
notion a particulièrement évolué du fait des deux facteurs sus énoncés. Pour pouvoir réaliser
sur le patient des actes à finalité autre que thérapeutique, les médecins ont demandé l’adoption
de la notion d’intérêt médical à la place de celle d’intérêt thérapeutique. En ce sens, cette
évolution était salutaire pour le praticien, qui pouvait toujours utiliser son pouvoir, lequel
grandissait du fait des découvertes médicales. Cependant, comme on l’a dit, cet acte gardait
une finalité thérapeutique pour un tiers. Or, les choses ont évolué : l’acte médical a pu être
effectué dans l’intérêt médical et « thérapeutique » du patient. C’est le cas notamment en
matière chirurgie esthétique et non réparatrice ou de stérilisation. L’acte médical a ainsi
beaucoup évolué du fait de la demande des personnes. L’aboutissement est la nouvelle
- 129 -
rédaction de l’article 16-3 du Code civil402. Cet article précise en effet désormais : « Il ne peut
être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la
personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ». Or, l’adoption de cette
nouvelle formule s’explique par le fait que désormais l’acte subi par un patient pourrait se
révéler thérapeutique pour un tiers. N’est-ce pas le sens premier de la modification de l’article
16-3 du Code civil ? Preuve en est que le droit a parfaitement intégré les nouvelles demandes
des patients à l’égard des médecins et tolèrent de plus en plus les atteintes au corps dans un
autre intérêt que thérapeutique. Le législateur a entériné la révolution opérée dans le droit
médical. Dès lors, un acte médical n’a plus à être thérapeutique ni pour le patient, ni pour un
tiers. De fait, la personne peut demander l’utilisation de la science médicale à des fins autres.
Son évolution explique sans doute alors sûrement la demande autour de la mort. En effet, si
l’acte médical ne correspond plus strictement à un acte thérapeutique dans le sens où il soigne
et si la médecine assume de plus en plus des rôle d’assistance dans la vie, notamment en
effaçant les diverses souffrances aussi infimes soient elles, n’a-t-elle pas d’autant plus un rôle
à jouer dans la mort, à l’approche de la mort, qui est au surplus largement médicalisé ?
2 - L’évolution vers une médecine de confort
Aujourd’hui, l’acte médical peut aussi être un acte sans visée thérapeutique. Ces
interventions médicales poursuivent des objectifs différents. Mais puisqu’on ose avouer que le
rôle du médecin a changé plus exactement s’est amplifié et diversifié, on cherche
constamment à les justifier à les rapprocher de la notion de soins.
Premièrement, l’acte médical peut avoir pour finalité d’apaiser la souffrance morale d’une
personne403. Il apparaît en effet difficile de nier que la souffrance constitue un phénomène
physique, psychique et existentiel global qui atteint l’être en son entier, corps et âme étant
indissolublement liés 404 . L’assistance médicale à la procréation, l’avortement, la chirurgie
esthétique, les mutilations subies volontairement par le transsexuel, ou simplement la
médicalisation du mal vivre par le médecin répondent bien à la prise en charge d’une telle
souffrance405. Ce constat est parfaitement illustré par la « détresse de la femme »406, critère
justifiant l’interruption volontaire de grossesse. De la même manière, c’est bien le critère de la
402
Art. 16-3 modifié par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004. Bioéthique.
La souffrance physique semble, elle, relever de l’acte thérapeutique (l’acte médical soigne un des effets de la
maladie).
404
J. Lagrée, Le médecin, le malade et le philosophe, Bayard, 2002, p. 152 et s.
405
Même si ces situations doivent être distinguées.
406
Art. L. 2212-1 CSP.
403
- 130 -
souffrance qui a été invoqué par les médecins pour justifier la pratique de la chirurgie
esthétique. Il n’y a pas de soins dans ces actes. La mission attendue du médecin n’apparaît
pas. C’est cependant la jurisprudence qui va justifier ces actes et retenir pour eux l’adjectif
fondamental de thérapeutique. Ainsi, dans le cas des transsexuels, la Cour de cassation
considère que l’intervention médical est justifiée par un intérêt thérapeutique407. En matière de
chirurgie esthétique, les magistrats sont allés jusqu’à admettre qu’un drainage lymphatique,
afin de « traiter des jambes lourdes » et de la « cellulite », constituait un acte à visée
thérapeutique même si la cliente recherchait avant tout une amélioration physique408.
Deuxièmement, l’acte médical peut assurer une certaine qualité. Certains des exemples
précités pourrait déjà illustrer cette idée. Plus généralement, le médecin prend en charge des
populations bien portantes ou encore peut assurer une stérilisation à visée contraceptive409. Au
titre de la prise en charge, le médecin peut ainsi assure le suivi des femmes enceintes, des
enfants, mais aussi des personnes âgés et donc de la fin de vie. Il n’est pas à douter que celleci deviendra un véritable enjeu de la médecine dans les prochaines, notre société ayant devoir
à faire face à un véritable papy-boom. Vivre vieux oui, mais en bonne santé !
Enfin, l’acte médical peut simplement être de confort. C’est notamment le cas des
interventions purement esthétiques. La jurisprudence considère que ces simples traitements de
beauté ne constituent pas un exercice illégal de la médecine tant que la méthode ne relève pas
du monopole médical410 !
Il apparaît donc que l’extension du champ de l’acte médical tient à l’actuelle prise en
charge par le médecin de la souffrance morale, voire du bien-être de l’individu. La médecine
s’inscrit parfaitement alors dans la mission que lui a assigné l’OMS. L’acte médical s’insère
désormais dans les différentes dimensions de la santé : physique, psychologique, sociale411.
Cette évolution a un sens. La prise en charge de la souffrance notamment psychique est le
fruit d’une nouvelle approche de la vie. En effet, la vie ne peut être réduite à la seule vie
biologique – ce à quoi a exclusivement tendu la médecine occidentale pendant des siècles –
mais concerne aussi la vie personnelle412. Maintenant que la médecine a gagné énormément
407
Ass. plén. 11 déc. 1992, JCP 1993.II.21991, note G. Mémeteau ; D. 1993, p. 117, note M.-L. Rassat, RTD civ.
1993.97, obs. J. Hauser.
408
Crim. 18 janv. 2000, n° 99-83.627, inédit.
409
Art. L. 2123-1 et s. CSP
410
Crim 30 avril 1963, D. 1963.729, note R. Savatier ; JCP 1964.II.13608, note Leroy.
411
V. une dimension spirituelle (le sens que le malade veut donner à sa vie).
412
Spinoza définissait la vie personnelle comme « celle qui ne se définit pas uniquement par la circulation du
sang et par les autres fonctions communes à tous les animaux mais essentiellement par la raison et par la vertu ».
- 131 -
de terrain sur la vie biologique, la demande de bonne vie est devenue actuelle voire presque
prioritaire. Dans ce cas, l’intervention du médecin sur le corps n’est plus justifiée par l’idée
stricto sensu de préserver la vie mais par une finalité annexe qui est d’assurer le bien être
personnel de la personne.
L’acte médical n’étant plus strictement thérapeutique et recouvrant désormais l’idée de
bien vivre, peut-il recouvrir l’idée de bien vivre sa mort ? le médecin ne doit-il aider son
patient à mieux mourir ? à bien mourir ? à mourir tout simplement ? D’une manière générale,
se posent des questions sur la finalité de la profession médicale. En premier lieu, jusqu’où le
médecin est-il tenu de prêter son assistance dans cette recherche du bien être des individus ?
En effet, cette quête peut conduire à revendiquer la réalisation de tout désir dans la mesure où
la médecine est de plus en plus sollicitée pour résoudre des problèmes existentiel, affectifs,
relationnels. La fin de vie et la mort exacerbent le rapport à la médecine. Puisque celle-ci
n’effectue plus seulement des actes dans un intérêt thérapeutique mais aussi médical, qu’elle
prend en charge la souffrance psychologique ne se doit-elle prendre en charge toutes les
souffrances relatives à la fin de vie ? Et puisque l’individu lui demande désormais d’accéder à
nombre de ses désirs, la médecine ne doit-elle pas répondre à sa demande de mort ? de bonne
mort lorsque la personne le désire estimant que sa vie ne présente plus une qualité suffisante
et qu’en conséquence elle ne vaut plus la peine d’être vécue ? L’évolution de la notion d’acte
médical aujourd’hui admise dans un sens très large semble expliquer les exigences médicales
des personnes face à la mort. On explique souvent que paradoxalement les individus veulent
se réapproprier leur mort et en exclure le médecin et pourtant, de façon ultime, ils demandent
l’aide du médecin. Les deux situations nous semblent cependant dissemblables. Dans la
première hypothèse, le patient refuse l’acharnement thérapeutique du médecin et d’une façon
générale un comportement paternaliste à son égard. Il ne refuse pas toute médecine, mais
celle qu’il subirait. Il veut choisir. Dans la seconde hypothèse, cette évolution étant faite, le
patient ne s’adresse plus au médecin comme une personne soumise, mais en demande, en
dirigeant, et le médecin n’est plus qu’un exécutant. En ce sens, l’approche de la médecine
devient consumériste.
Il s’agit pour l’auteur de « la vie véritable de l’esprit », in Traité politique, V., 5 cité par J. Lagrée, Le médecin,
le malade et le philosophe , Bayard, 2002, p. 22.
- 132 -
La condition d’une nécessité médicale posée par la loi française a-t-elle encore une
raison d’être et notre système n’a-t-il pas en réalité rejoint celui des pays anglo-saxons413 ?
Une réponse clairement négative cependant s’impose. L’exigence de finalité médicale
imposée par le droit français continue de limiter le champ d’intervention des médecins. En
effet, le médecin ne peut intervenir sur le corps de la personne, en l’absence d’intérêt
thérapeutique, que dans les cas définis par la loi414. C’est donc la société – et non l’individu –
qui en fonction de son évolution, légitime certains actes médicaux non thérapeutiques.
Reculer la vieillesse, oublier la mort : les individus n’exigent-ils pas finalement
toujours la même chose de la médecine : celui des les garder en vie et dans une bonne vie.
L’acte médical n’a donc peut être évolué que parce que les moyens de la médecine sont
désormais importants. Ce n’est donc pas tant la finalité de l’acte médical qui a changé mais
les modalités de la médecine. Il reste que de l’ensemble de ses éléments, la relation médicale
des médecins et des patients a dû évoluer. Le système paternaliste semble être désormais
condamné. Pourtant, la société n’entend pas laisser une totale liberté à la personne
relativement à la mort. C’est finalement une combinaison de la santé publique et de la
volonté individuelle que semble adopter le droit aujourd’hui. La relation médecin-patient
prend plusieurs colorations selon l’angle sous lequel on l’aborde. Il faut constater cependant,
que l’objectif poursuivi par le triptyque formé par le médecin, le patient et l’Etat va en
principe, dans le même sens, celui de la préservation de la vie. Ce n’est
qu’exceptionnellement que l’un des membres peut avoir l’intention de limiter les soins. Pour
exemple, les divers protagonistes pourraient faire ce choix : le médecin, parce qu’il pense les
soins inutiles à la lumière du gain escompté pour le patient, le malade par confort ou par
respect d’une croyance, l’Etat par souci économique et de rentabilité de la santé. La relation
médecin-patient s’enrichit aussi de l’intervention des tiers, proches, qui accompagnent le
malade. Le médecin noue naturellement aussi un lien avec eux.
§II - La relation médecin-patient
Les évolutions de la technique médicale et sociétale ont conduit à repenser la relation
médecin-patient. Les rapports des partenaires de la relation médicale semblent être exacerbés
413
Système dans lequel l’acte est médical par son auteur : seul le consentement du patient est requis pour que le
médecin intervienne, sans qu’aucune autre condition soit exigée.
414
Interruption de grossesse, stérilisation volontaire, assistance médicale à la procréation, recherche
biomédicale… D’où l’expression d’ « acte médical par détermination de la loi » proposée par G. Mémeteau ;
Cours de droit médical, 3e éd., Les études hospitalières, 2006, p. 345.
- 133 -
à l’approche de la mort. Ayant pour principe fondamental de préserver la vie, le médecin est
conduit par un principe de bienfaisance. Le paternalisme médical a ainsi longtemps dominé la
relation soignant-soigné. Cependant, ce principe est remis en cause désormais. Si l’autonomie
du patient paraît consacrée, il semble pourtant que sa force est relative. En effet, cette
autonomie ne vaut que lorsque le patient peut pleinement s’exprimer. Lorsque la personne est
inconsciente ou incapable, le médecin est obligé de s’en remettre au tiers ou à lui-même. C’est
pourquoi après l’étude de la relation intrinsèque médecin-patient (A), il convient d’étudier
l’influence des tiers à cette relation (B).
A - La relation intrinsèque médecin-patient
La relation médecin-patient suscite aujourd’hui l’intérêt des philosophes, des juristes,
des éthiciens, et évidemment celui des médecins et des malades. Cet intérêt est récent. Ce
n’est que dans la seconde moitié et surtout le dernier quart du XXe siècle que s’est ouvert le
débat, pourtant au centre de la pratique médicale. Ce débat s’est cristallisé autour de
l’opposition entre le modèle « paternaliste »(1) et le modèle « autonomiste » (2) de la relation
médecin-malade, mais en situation concrète le principe de bienfaisance – qui sous-tend le
modèle « paternaliste » – et le principe du respect de l’autonomie s’avèrent plus
complémentaires que contradictoires. La relation médecin-malade ajoute d’autres valeurs à
celle de responsabilité, exaltée par le modèle paternaliste, et la liberté, prioritaire dans le
modèle autonomiste (3).
1 - Le modèle paternaliste contesté
Historiquement, le paternalisme prédomine la relation médecin-malade. M.
Hoerni
415
distingue trois périodes. La médecine traditionnelle – d’Hippocrate au XVIIIe siècle
– à de très rares exceptions près416, maintient le malade en position d’obéissance vis-à-vis du
médecin. La période de transition du XVIIIe et du XIXe siècles est marquée par un double
mouvement de sens inverse : d’un côté les philosophes417défendent les droits de l’individu à
la vie et à la liberté ouvrant la voie aux hérauts de l’autonomie du patient ; de l’autre, le
415
B. Hoerni, L’autonomie en médecine. Nouvelles relations entre les personnes malades et les personnes
soignantes, Payot éd., Paris, 1991.
416
Celle de Platon notamment qui, dans ses lois, insiste sur la nécessaire relation de confiance qui doit s’établir
entre médecin et malade, et celle du Talmud hébraïque où apparaît la première mention du recours au
consentement du malade.
417
Anglais, tels Hobbes, J. Locke, J. Stuart Mill, et continentaux, Rousseau, Kant mais ces philosophes abordent
l’autonomie de manière très différente.
- 134 -
développement de la science médicale, de l’hygiène, de la médecine préventive, contribue à
renforcer encore le pouvoir médical, et le monopole exercé par le corps médical en matière de
santé à la fin du XIXe siècle empêche la notion d’autonomie de gagner du terrain dans la
pratique médicale. Le dernier temps fera une place à l’autonomie.
a) Le paternalisme imposé
La littérature anglaise 418 utilise le terme paternaliste pour évoquer une relation
semblable à celle qui s’établit de parents à enfants. Dans le modèle paternaliste, le principe de
bienfaisance légitime une protection du patient, affaibli, par la maladie, la souffrance et
l’ignorance. Celui qui sait et qui soigne, a la responsabilité au sens propre – il répond pour
celui qui est faible – de se substituer au malade pour faire son bien. Le modèle « paternaliste »
se réclame d’une éthique téléologique du bien que Ricœur résume ainsi : « viser à la vie
bonne, avec et pour l’autre, dans des institutions justes ». La valeur fondamentale qui soustend ici la relation de bienfaisance paternaliste est de la responsabilité, au sens où l’entend
Levinas : « Je suis responsable d’autrui, sans attendre la réciproque ». Cette absence de
réciprocité accentue encore l’asymétrie fondamentale de la relation médecin-malade. La
tradition consiste à voir dans le contrat médical une relation déséquilibrée entre un malade
vulnérable et le médecin tout puissant de sa connaissance 419 . Cette vision a favorisé le
développement du paternalisme. L’incompétence du patient et la charge émotionnelle pesant
sur lui, sont perçues comme des obstacles à sa volonté420.
En 1950, le Professeur Portes, premier Président de l’Ordre des médecins, affirmait
haut et fort cette théorie en déclarant à l’Académie des Sciences Morales et Politiques : « Je
dirai que [le patient] n’est qu’un jouet, à peu près complètement aveugle, très douloureux et
essentiellement passif ; qu’il n’a qu’une connaissance objective très imparfaite de lui-même ;
que son affectivité est dominée par l’émotivité ou par la douleur et que sa volonté ne repose
418
« D’emblée, vous partez d’une situation fausse : une fois qu’un malade est entre vos mains, c’est vous,
désormais qui pensez pour lui, vous, vos règlements, vos "staffs", le programme… et de moi plus rien ne
dépend… A part l’opération, vous savez bien que vous ne demandez rien aux malades, que vous ne leur
expliquez rien .», A. Sojenitzyne, Le pavillon des cancéreux, Ch. 6, éd. Fayard 1968 (le patient Kostoglotov à la
doctoresse Dontsova).
419
S. Rameix, E. Groupie, et F. Lemaire décrivent le pouvoir médical comme « une forme particulière du
pouvoir immémorial de celui qui sait sur celui qui ne sait pas, de celui qui agit sur celui qui subit. », Le
consentement aux soins en réanimation, Réan. Urg. 1997 ; 6 (6) : 695-708.
420
L. Portes : « Tout patient est et doit être pour le médecin comme un enfant à apprivoiser, non certes à
tromper, un enfant à consoler non pas à abuser, un enfant à sauver pour simplement à guérir à travers l’inconnu
des péripéties… », A la recherche d’une éthique médicale, Masson, 1954, p. 163.
- 135 -
sur rien de solide, si ce n’est parfois quand elle aboutit au choix de tel médecin plutôt qu’un
autre. »421. À ce titre, « le consentement "éclairé" du malade, à chaque étape de ce petit drame
humain, n’est en fait qu’une notion mythique que nous avons vainement cherché à dégager
des faits. Le patient, à aucun moment, ne "connaissant" au sens exact du terme, vraiment sa
misère, ne peut vraiment "consentir" ni à ce qui lui est affirmé, ni à ce qui lui est
proposé. »422. L’information du malade, et son consentement apparaissent superflus. L’action
des médecins est conduite par un seul principe : le rétablissement de la santé et la préservation
de la vie423. Si le patient exprime une volonté allant à l’encontre de ces objectifs, le médecin
ne devra pas hésiter et sauver le malade malgré lui. Comme l’écrit M. Baertschi, le
paternalisme considère que « tout refus de traitement dérive nécessairement d’une conscience
erronée »424.
Le premier Code de déontologie, issu du décret du 27 juin 1947, illustre ce
mouvement. Son article 23 est particulièrement explicite. Il dispose que la sauvegarde de la
vie doit être l’unique souci du praticien. Le médecin, dès l’instant qu’il est appelé par le
malade lui-même ou par tiers à donner des soins à ce malade, et ce qu’il a accepté de remplir
cette mission, s’oblige :
-
1° A lui assurer aussitôt tous les soins médicaux en son pouvoir et désirables en la
circonstance, personnellement ou avec l’aide de tiers qualifiés ;
-
2° A avoir le souci primordial de conserver la vie humaine, même quand il soulage la
souffrance ;
-
3° A agir toujours avec correction et aménité envers le malade et à se montrer
compatissant envers lui.
La prise en charge de la douleur, dans la mesure où elle peut accélérer le processus mortel, est
fermement condamnée par le second paragraphe. De même, si un diagnostic implique une
décision sérieuse, l’article 30 du décret de 1947 dispose que le médecin doit « imposer
l’exécution », surtout si « la vie du malade est en danger ».
421
L. Portes, ibid., p. 159.
L. Portes, ibid., p. 170.
423
S. Gromb et A. Garay exposent : « Le médecin, tel "un bon samaritain", se sent investi d’une mission quasisacerdotale envolant au secours d’un être diminué par la sidération consécutive à sa maladie. Être paternaliste,
c’est donc adopter une attitude où on affirme savoir mieux qu’un autre ce qui est bon, bénéfique pour son
prochain et où on estime que cela autorise de décider à sa place, en lui imposant un standard scientifique, ou
l’autre est incapable d’assumer un choix acceptable. Des spectateurs moins bienveillants, et non des moindres,
ont qualifié cette attitude d’"impérialisme médicale" (Doyen Savatier, D. 1952. chron. 175) », Consentement
éclairé et transfusion sanguine, aspects juridiques et éthiques, (sous la dir.), ENSP, 1996, p. 21.
424
B. Baertschi, La valeur de la vie humaine et l’intégrité de la personne, P.U.F., Coll. Philosophie morale,
1995, p. 125.
422
- 136 -
Il faut encore relever que l’expression « personne humaine » n’est pas utilisée par le Code de
déontologie. Le patient est exclusivement considéré comme un « malade ». Loin de la
personne humaine, concentré sur la maladie, le paternalisme médical suscite de vives
opprobres.
b) Le paternalisme rejeté
Le modèle « paternaliste » a pu être accepté dans le passé, chez des patients présentant
des affections aiguës les plaçant dans une situation de grande dépendance, alors que
l’efficacité des thérapeutiques était modeste sinon nulle, et que les enjeux de la décision du
médecin étaient donc limités. Aujourd’hui tout concourt à rendre ce modèle caduc. Toutefois,
il n’est pas toujours sûr que le patient souhaite qu’il y soit totalement mis fin. En effet, la
« relation ambiguë » qui se noue entre le médecin et la patient s’inscrit dans le cadre de la
« posture d’infériorité » technique et matérielle vécue par le patient425. Néanmoins, le malade
n’est plus une personne passive qui se décharge entièrement sur le médecin de la
responsabilité de la décision le concernant. Mieux informé, notamment par les médias, de tout
ce qui concerne la santé et la maladie, il demande au médecin de le tenir au courant des
résultats de ses investigations et de participer à toutes les décisions à prendre pour le
diagnostic et le traitement de sa maladie. Cette demande est d’autant plus justifiée que les
explorations médicales et les traitements ne sont pas toujours exempts de risque. D’ailleurs,
les progrès médicaux sont tels, que plusieurs voies thérapeutiques peuvent s’offrir pour le
traitement d’une maladie : le choix entre ces différentes voies n’obéit pas aux seuls critères
médicaux mis en avant par le médecin, et il ne peut être fait qu’au terme d’une concertation
avec le malade. Le médecin ne saurait imposer au malade la vision de ce qui lui paraît bon
pour lui. B. Baertschi distinguait à ce titre « l’autorité épistémique », celle de l’expert, c’est-àdire de l’homme qui sait, et « l’autorité déontique » qui est celle des chefs et des
commandants. Les membres du corps médical
jouissent naturellement d’une autorité
épistémique. Ils savent quelle est la maladie, comment la diagnostiquer et quels sont les
traitements envisageables. Mais animés par le souci de bien-faire, ils ont cru légitime
d’imposer ce savoir plutôt que de le communiquer et d’essayer de le partager. Ainsi, « la
dérive paternaliste est venue de ce que les médecins ont cru que leur autorité épistémique
425
Voir le numéro de la revue Panoramiques intitulé « Sois patient et tais-toi. Le pouvoir médical », n° 17,
1994. – A. Carol, Les médecins et la mort, Aubier, Coll. Historique, 2004, p.
- 137 -
impliquait une autorité déontique, parce qu’ils estimaient connaître le véritable but du
patient : retrouver, si c’est possible, la santé par des moyens adéquats. »426.
Paradoxalement, lorsqu’elle est poussée à l’extrême, la théorie du paternalisme contribue à
déresponsabiliser les médecins. Le Doyen Savatier dénonça ce nouvel abus de
« l’impérialisme médical » 427 en reproduisant un extrait des permis d’opérer délivrés par
certaines structures hospitalières américaines. Subordonnant l’admission des patients à
l’apposition de leur signature, ces documents autorisaient les professionnels « à faire les
examens, les traitements et les opérations qui peuvent, dans leur opinion, être utiles ou
nécessaires »428 et les déchargeaient du même coup de leur responsabilité. Le déséquilibre est
alors flagrant car « dans la conjoncture où l’on impose au malade d’abandonner entièrement
toute volonté propre aux mains d’un tout puissant tuteur, il devient impensable de tolérer
l’irresponsabilité de ce tuteur. »429.
Le paternalisme fut donc combattu et, à partir de 1955430, le respect de la personne
humaine est venu s’ajouter à la mission traditionnelle du médecin. L’article 2 du Code de
déontologie issu du décret du 28 novembre 1955 précise que « le respect de la vie et de la
personne humaine constitue en toute circonstance le devoir primordial du médecin ».
L’adhésion du patient se fait elle plus discrète. Une différence de rédaction en apparence
minime entre l’ancien article 30 et le nouvel article 29 issu du décret de 1955 prévoit que le
médecin doit « obtenir l’exécution du traitement » et non plus « d’imposer l’exécution de sa
décision », semble impliquer l’adhésion du patient. Dans les années 1970, l’idée que le patient
peut exprimer sa volonté, émettre des choix allant à l’encontre du devoir de bienfaisance des
médecins s’est peu à peu développée. Puisque le patient est le bénéficiaire de l’acte médical, il
doit être le premier à se prononcer sur le bien-fondé d’une action thérapeutique. C’est
pourquoi M. Baertschi définit l’objectif thérapeutique de la façon suivante : « La véritable
bienfaisance, l’acte qui fait réellement du bien au malade, ce n’est pas celui qui vise le
rétablissement et la préservation de la santé tout court, mais celui qui, sans perdre de vue ce
but, met l’autodétermination du patient au premier plan »431.
426
B. Bartschi, La valeur de la vie humaine de la personne, op.cit. , p. 125.
R. Savatier, Impérialisme médical sur le terrain du droit, D. 1952, chron. XXXII.
428
Cité par R. Savatier, ibid., p. 158.
429
R. Savatier, ibid., p. 159.
430
Le tribunal civil de Laon avait déjà en 1952 condamné explicitement cette pratique médical : « Le Dr.
X …soutient […] que le malade en entrant au sanatorium se soumet par avance à tout traitement nécessaire
suivant l’évolution de la maladie ; mais cette opinion ne saurait être admise, en raison de ce qu’elle fait bon
marché de la liberté et de la dignité humaine de la personne. », 2 juillet 1952, D. 1952.647.
431
B. Baertschi, La valeur de la vie humaine et l’intégrité de la personne, op. cit., p. 126.
427
- 138 -
Le paternalisme médical persiste cependant. Il inspire encore l’attitude de nombreux
médecins soignants. Il est vrai que, dans un certain nombre de circonstances, le consentement
du patient, et a fortiori sa participation à la décision médicale font difficulté. Un rapport du
Comité consultatif national d’éthique 432 vise notamment les cas du mineur et des majeurs
protégés, et de la situation d’urgence. Les rapporteurs notent d’autre part que « nombre de
personnes adultes et juridiquement capables, provisoirement rendues incompétentes par un
état douloureux ou fébrile, un délire, un traumatisme crânien, un coma, une intoxication
alcoolique, une anesthésie, etc. se trouvent sans représentant légal à un moment où des
décisions importantes pour leur santé et leur vie risquent de devoir être prises ». Prenant acte
de ces situations particulières, le Comité a proposé que soit mise à l’étude la possibilité pour
toute personne de désigner pour elle-même un « représentant » chargé d’être l’interlocuteur
des médecins aux moments où elle est « hors d’état d’exprimer elle-même ses choix ». Mais,
il existe aussi le cas des personnes qui préfèrent librement renoncer à leur autonomie
décisionnelle et s’en remettent totalement au médecin… qu’elles chargent ainsi d’une
responsabilité accrue. « L’autonomie souhaitable, prévue ou décidée, ne doit pas se muer en
contrainte, en valeur absolue. Elle doit être révocable selon les vœux légitimes d’une personne
ébranlée par la maladie, ou bien s’effacer derrière d’autres vertu »433.
Sans cesse revient chez le médecin la tentation d’exercer un pouvoir. Certaines des
objections que le médecin oppose au droit du malade à l’autodétermination reflètent cette
tentation. Prétendre par exemple, que le malade n’est pas apte à participer aux décisions qui le
concernent, c’est méconnaître le fait que cette aptitude dépend d’abord de la qualité de
l’information que lui donne le médecin. Alléguer l’angoisse du soigné face aux décisions
auxquelles il participe, c’est retourner l’argument contre le médecin lui-même, car cette
angoisse n’existe que si la relation soigant-soigné a été dès l’abord faussée. D’autres
objections ont été plus sérieusement avancées. Il a été souligné que l’autodétermination du
soigné conduirait à une certaine démission du médecin. Ce risque n’existe que face à une
revendication d’autonomie excessive du malade, qui ne doit pas oublier que le médecin est,
tout comme lui, un être libre et responsable. En France, des décisions des juridictions
432
Rapport et recommandations n° 58 du Comité consultatif national d’éthique : Consentement éclairé et
information des personnes qui se prêtent à des actes de soin de recherche. Cahiers du C.C.N.E. 1998, 178, 3-22.
433
Hoerni, L’autonomie en médecine. Nouvelles relations entre les personnes malades et les personnes
soignantes, Payot éd., Paris, 1991.
- 139 -
administratives et pénales ont rappelé aux médecins que sous prétexte de respecter le droit de
leurs patients à l’autonomie, ils ne devaient pas sombrer dans une indifférence « coupable ».
Le comportement protecteur des médecins reposant sur le devoir légitime de préserver
la vie et l’intégrité physique du patient, il a fallu attendre très longtemps avant que le
paternalisme ne soit finalement abandonné. Pour que le patient soit considéré comme une
personne et pas seulement comme un malade, il est désormais admis qu’il est impératif de
l’associer à la décision médicale et aux thérapeutiques entreprises. Mettre en valeur la
personne, c’est reconnaître que le patient est avant tout un être de chair et d’esprit, libre de ses
choix et autonome.
2 - Le modèle autonomiste consacré
Le Code de déontologie, adopté en 1979, comportait pour la première fois une
disposition relative à la volonté du patient. Son ambiguïté permit cependant au Conseil d’Etat
d’imposer une limite à la volonté du patient434. Mais il fût un premier pas vers la consécration
de l’autonomie comme modèles de référence (a), ce qui n’empêche pas qu’existent certaines
limites à la volonté du patient (b)
a) L’autonomie comme référence
C’est seulement dans la seconde moitié du XXe siècle que, sous l’influence des
philosophes de sociologues, de juristes…et de médecins, en majorité nord américains, le
modèle autonomiste va doucement s’imposer. Il inspire les textes des juristes et des
législateurs, mais aussi les chartes médicales et les codes de déontologie médicale un peu
partout dans le monde, sans oublier les recommandations des comités d’éthique, notamment
celles du comité consultatif nationale d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.
Le modèle autonomiste se réclame d’une morale déontologique au nom de laquelle la
liberté et le droit à l’autodétermination du patient doivent être respectés. « Le principe moral
premier n’est pas de faire le bien du patient, mais de respecter sa liberté, sa dignité d’être qui
prend lui-même les décisions qui le concernent, sous couvert d’une négociation
434
C.E., sect. cont., 1re et 4e s.-sect.réun., 27 janv. 1982, Benhamou, D. 1982, I.R., 276, note Penneau.
- 140 -
contractuelle…Le paradigme est celui du contrat entre égaux »435. Le modèle « autonomiste »
à l’anglo-saxonne a détrôné, du moins dans les textes, le paternalisme médical. C’est au nom
du respect de l’autonomie du patient que le sociologue E. Freidson revendique pour lui le
double droit de ne recourir aux services de la profession médicale que s’il le juge opportun, et
de participer à la décision sur la manière dont ses services lui son administrés436. La personne
est une fin en soi et ne saurait être traitée comme un moyen 437 , mais aussi le respect de
l’autonomie du patient n’a d’autre limite que l’obligation de ne pas nuire aux autres.
Depuis le « Patient’s Bill of Rights » publié par l’American Hospital Association en
1972, chartes et codes médicaux n’ont cessé de se référer au principe de respect de
l’autonomie du patient438. Le code de déontologie médicale439 rappelle ainsi que « le médecin
doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire
et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose » et que « le
consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherchée dans tous les cas. »440.
Les autres textes récents formulent de façon quasiment identique les obligations d’information
et de consentement du patient, notamment la Convention européenne sur les droits de
l’homme et la bio-médecine441, la loi Huriet442 sur la protection des personnes qui se prêtent à
des recherches biomédicales et la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain443.
La personne a désormais la liberté d’accepter ou de refuser de soins. Elle doit être
associée à toutes décisions thérapeutiques la concernant. Elle exerce un choix selon les
435
S. Rameix, Un point de vue philosophique sur le rapport du CCNE « Consentement éclairé et information
des patients qui se prêtent à des actes de soin ou de recherche.», Cahiers du CCNE 1998, 17, 23-32.
436
E. Fredison, La profession médicale, éd. Payot, Paris, 1984.
437
Inspiration de la morale kantienne.
438
On peut notamment citer : la déclaration de l’Assemblée médicale mondiale de Lisbonne de 1981 (adoptée
par la 34ème assemblée et amendée par la 47ème assemblée à Bali en 1995, W.M.A. BP 63./01.212. FerneyVoltaire France 1995) qui souligne que « tout adulte compétent a le droit de donner ou de refuser de donner son
consentement à une méthode de diagnostique ou thérapeutique. Il a le droit à l’information nécessaire pour
prendre des décisions. Il doit pouvoir clairement comprendre l’objet d’un examen ou d’un traitement, les effets
de leurs résultats et les conséquences d’un refus de traitement ».
439
Code de déontologie médicale : Décret n° 95-1000, J.O. du 6 sept. 1995. La charte du patient hospitalisé
utilise à peu près les mêmes termes à propos de l’information donnée au patient, qui doit être « simple,
accessible, intelligible, et loyale », et à propos du consentement du patient, préalable obligatoire à tout acte
médical.
440
Le code de déontologie de 1979 disposait une mesure similaire en son article 7 en précisant que « la volonté
du malade doit toujours être respectée dans la mesure du possible ».
441
Convention sur les droits de l’Homme et la biomédecine, Strasbourg, Série des Traités européens, n° 164,
1997.
442
Loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches
biomédicales, J.O. du 22 déc. 1988, modifiée loi n° 94-630 du 25 juillet 1994, J.O. du 26 juillet 1994.
443
Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, J.O. 30 juillet 1994, p. 11056-11059.
- 141 -
diverses options médicales proposées. Cependant, cette liberté se heurte à certaines limites
pratiques, dont certaines ont déjà pu être envisagées. Ces limites peuvent aussi s’exprimer par
un certain « abus de droit » des patients.
b) Les limites du modèle autonomiste
Il existe naturellement des cas où le modèle autonomiste trouve ses limites comme
nous avons pu le voir. Mais il existe d’autres cas, où le soignant se trouve placé devant un
difficile conflit de valeurs : ceux où le médecin est parfois en droit, même en devoir
d’appliquer un traitement coercitif, et ceux où le patient refuse de se soumettre à un acte
médical. Pour ce qui est des traitements coercitifs, imposés par la loi, ils se résument aux
hospitalisations psychiatriques imposées à la demande d’un tiers ou de l’autorité
administrative : dans ce cas, le médecin peut imposer des soins qu’il juge appropriés444. Cela
marque évidemment la protection de la société contre des individus qui pourraient être
potentiellement dangereux. Mais cela révèle aussi la volonté de protéger le patient contre luimême, ce qui concerne notamment les suicidaires.
Le problème posé par les patients qui refuse un traitement qui leur est proposé, est
beaucoup plus difficile. En fait, lorsque le « message premier » a permis d’établir d’emblée
une vraie relation de confiance le médecin et le patient, il est très rare que celui-ci oppose un
refus catégorique à celui-là. Nombre de refus d’actes médicaux sont évités parce que des
médecins prennent le temps de convenablement informer leur patient, de discuter avec lui des
diverses thérapeutiques possibles. Mais que doit faire le médecin dans le cas où un refus
d’examen ou de traitement est opposé catégoriquement à sa proposition dûment explicitée et
argumentée ? Il ne peut passer outre la décision d’une personne véritablement autonome, cette
décision fût elle irrationnelle à ses yeux. Il doit donc après avoir clairement signalé au patient
qu’il ne peut approuver sa décision, continuer à l’aider au mieux qu’il peut dans la voie qu’il a
choisie445.
Cette situation devient cependant particulièrement ardue pour le médecin lorsque la
vie du malade est en danger imminent ou encore lorsque le malade adopte délibérément une
444
Loi n° 90-527 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux
et à leurs conditions d’hospitalisation.
445
A. Froment, Maladie, souffrance et médecine soignante, Ed. des Archives contemporaines, Paris 2001.
- 142 -
conduite comportant des risques pour autrui. La situation de péril imminent est notamment
celles des témoins de Jéhovah qui refusent toute transfusion sanguine ou celles des grévistes
de la faim. Quel doit être l’attitude du médecin face à de tels refus ? L’embarras des
déontologistes et des juristes à ce sujet transparaît à la lumière de l’évolution du droit à ce
sujet446. Certes, les textes demandent au médecin de respecter l’autonomie décisionnelle de la
personne, mais qu’en ait-il de cette autonomie lorsque la conscience est fortement altérée par
les conséquences métaboliques de la dénutrition, et a fortiori lorsqu’elle est supprimée en cas
d’anesthésie générale ? Le Code de déontologie médicale de 1979 laissant une marge de
manœuvre au médecin, en précisant que la volonté est effective dans la mesure du possible, le
Conseil d’Etat447 retiendra que la protection de la vie est prioritaire par rapport à la liberté du
malade. Si la haute juridiction retenait le principe de l’autodétermination, il lui apportait une
réserve importante en précisant : « ce refus interdisait au docteur, sauf le cas de danger
immédiat pour la vie ou la santé de la patiente, de passer outre la volonté clairement exprimée
par celle-ci »448. Dans l’hypothèse où la vie du patient est en danger, le médecin n’est plus lié
par la volonté du malade et il redevient tout puissant et libre de ses décisions. M. Penneau
critiquait cette solution en estimant que « la volonté du patient adulte jouissant de son
intégrité intellectuelle doit constituer une limite infranchissable ; ce patient reste libre, en
toute hypothèse, d’accepter, s’il le décide, le destin qui se présente à lui. »449.
Pour nombre de médecins placés devant ces situations extrêmes, l’application du
principe de bienséance d’une part, la crainte des sanctions encourues en cas de non assistance
à personne en danger d’autre part, justifient une attitude interventionniste. Cette attitude
pourrait cependant être désormais condamnée en justice. La loi nouvelle du 22 avril 2005450
relative à la personne en fin de vie et aux droits du patient pose clairement le droit du patient
conscient au refus de soins. Néanmoins, comme il sera vu ultérieurement, il n’est pas certain
446
Cf. infra, le refus de soins.
C.E., sect. cont., 1re et 4ème s.-sect.réun., 27 janv. 1982, Benhamou, D. 1982, I.R., 276, note Penneau. Saisi
d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la sanction infligée par le Conseil national
de l’Ordre à l’encontre d’un médecin ayant pratiqué une hystéopexie – fixation chirurgicale de l’utérus – malgré
l’opposition préalable de sa cliente. Les juridictions disciplinaires avaient estimé que ce refus liait le chirurgien
et celui avait par conséquent était condamné à une interdiction d’exercice d’une durée de six mois. Le Conseil
d’Etat considéra également que la volonté exprimée, quels qu’aient été les motifs invoqués par la cliente,
interdisait au médecin de passer outre. En estimant que la sentence infligée était justifiée, il sembla donc
privilégier le principe d’autodétermination. Mais, il émit une réserve dans le cas où la vie serait en danger. En
l’espèce, le refus de la patiente ne mettait pas ses jours en danger et c’est uniquement pour cette raison qu’il
aurait dû être respecté. A contrario, si le refus de soins compromet directement la vie ou la santé, le médecin n’a
pas à en tenir compte.
448
Ibid.
449
Ibid.
450
Loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, J.O. 2005, p. 7089.
447
- 143 -
que le droit français ait consacré un droit absolu au refus de soins et ainsi totalement adopté le
modèle « autonomiste ». Le nouveau Code de déontologie de 1995 semble pourtant avoir pris
la pleine mesure du principe de l’autonomie du patient en fin de vie451, voulant ainsi mettre un
terme aux incertitudes laissaient par la précédent Code de 1979. Elevé au rang de principe
constitutionnel, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine figure désormais au même
titre que le respect de la vie parmi les principales missions des médecins452. L’article 36 du
nouveau Code de déontologie, inséré au sein du chapitre relatif aux devoirs des médecins,
précise en son alinéa 1er que le consentement doit être recherché en tous les cas. Mais surtout,
son alinéa dispose que : « lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté refuse les
investigations ou les traitements proposés, le médecin doit respecter ce refus, après avoir
informé le malade de ses conséquences ». Déontologiquement donc, le médecin se voit
appliquer la théorie autonomiste. Le praticien est désormais lié par la volonté de son patient,
même si celle-ci peut avoir des effets néfastes sur sa santé. Poursuivant dans cette voie,
l’article 37 précise qu’ « en toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les
souffrances du malade, l’assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les
investigations thérapeutiques ». L’arrêt des soins est donc perçu comme un devoir médical, et
le soulagement de la souffrance n’apparaît pas comme une faute professionnelle. Ces attitudes
sont recommandées en toutes circonstances, c’est-à-dire même si l’accélération du processus
mortel est prévisible et même si le patient n’est plus en état de s’exprimer. L’interruption des
thérapeutiques n’est d’ailleurs pas limitée aux mourants. Mais, pour les personnes incurables
ou en fin de vie, il faudra procéder à un accompagnement. Ainsi, l’article 38 rappelle que les
grands principes éthiques sont applicables aux personnes en fin de vie : « Le médecin doit
accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures
appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter
son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ». L’article 38 forme une
synthèse des articles précédents. Il implique tous les médecins, et exprime l’idée que les soins
palliatifs ne sont pas réservés à des unités spécialisés. Interdisant l’intention directe de tuer, il
consacre implicitement a contrario la théorie du double effet, selon laquelle l’acte est licite
dès lors qu’il a été accompli pour rechercher l’effet bon – le soulagement de la douleur – ,
l’effet mauvais – la mort – n’étant qu’une conséquence secondaire non désirée.
451
V. notamment L. Dubouis, Le nouveau Code de déontologie médicale : quoi de neuf ?, RD sanit. soc.,
1995.725.
452
Alors que l’article 35 du décret du 28 juin 1979 évoquait la dignité du « malade », l’article 2 du décret de
1995 considère plutôt que la dignité est une qualité inhérente à toute « personne humaine ».
- 144 -
Le droit disciplinaire, formant les devoirs des médecins, contient donc une majorité de
dispositions consacrant de manière définitive la théorie « autonomiste ». Ces principes
devraient permettre aux médecins de se dégager de toutes responsabilités. Toutefois, ceci
n’est peut être qu’un leurre. Ces consécrations, bien que non ambiguës, n’empêche pas
l’existence de limites, ne se est-ce que des mentalités. De plus, le Code présente des
résurgences de la conception paternaliste de la profession médicale, qu’il a pu être étudié en à
l’occasion de la définition de la mission du médecin. Enfin, elle ne s’attache qu’à un Code de
déontologie propre à une profession. Ayant nécessairement moins de force que la loi, la
déontologie est essentiellement un système d’autorégulation. Or, le médecin doit rendre des
comptes à la société et ses devoirs professionnels doivent aussi se combiner avec les droits
des patients453.
Mais le médecin peut se trouver confronté à des situations où la conduite des
personnes soignées échappe à toute norme morale : c’est le cas, par exemple, de celles qui
sont atteintes d’une maladie contagieuse et/ou sexuellement transmissible, notamment celle
liée au VIH ou hépatite C et qui, dûment informées par le médecin du risque de transmission
à autrui, refusent de prendre les mesures qui éviteraient sa contamination. La personne
soignée ne respecte pas ici le pacte fondamental de l’autonomie, qui veut que celle-ci s’arrête
à une personne là où commence l’autonomie de l’autre. Face à l’attitude irrationnelle et
immorale de telles personnes, le médecin est désarmé. Certains auteurs454 ont estimé que l’on
pouvait contraindre l’individu à respecter l’autonomie de son semblable. C’est au nom de ce
principe et de la protection d’autrui qu’à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du
XXe siècle, furent édictées toute une série de mesures de médecine préventive allant des
vaccinations obligatoires à la déclaration également obligatoire de certaines maladies
contagieuses et/ou sexuellement transmissibles. L’évolution du droit à l’autonomie est tel
dans notre société que sous prétexte de respecter une autonomie inconditionnelle de l’un, nous
en arrivons, dans des situations heureusement exceptionnelles, à ne rien pouvoir faire pour
que soit identiquement respectée l’autonomie d’autrui. Mais il est nécessaire et utile
453
D. Thouvenin exposait ainsi les différences de finalité entre une règle éthique, une règle déontologique et une
règle juridique : « la première fixe des préceptes que les médecins décident individuellement de suivre ou de ne
pas suivre ; la seconde permet de sanctionner un médecin qui ne respecte pas la morale de sa profession ; la
troisième organise des rapports entre les individus et ouvre notamment des droits aux victimes de la
méconnaissance de cette règle. », Ethique et droit en matière bio-médicale, D. 1985, chron. V., p. 23.
454
V. en ce sens, la théorie développée par J. Stuart Mill, On liberty (in Utilitarianism, 1861) Cité par R. Gillon,
Autonomy and the principe of respect for autonomy, Br Med J 1985 ; 290 : 1806-8 : « The only purpose for
which power can rightfully be exercised over any member of a civilised community against his will is to prevent
harm to others”.
- 145 -
d’admettre que si la volonté du patient doit être respectée, elle est aussi limitée par d’autres
paramètres et notamment la volonté du médecin. Par ailleurs, la relation médecin patient ne
peut reposer sur des théories abstraites.
3 - Le dépassement des théories autonomiste et paternaliste
Les modèles « paternaliste » et « autonomiste » sont bien conformes aux pratiques qui
ont prévalu dans le passé ou prévalent aujourd’hui dans la relation médecin-malade. Il est
évident qu’en pratique les deux théories vont continuer à cohabiter par les limites que chacune
d’elles présentent. Cependant, ces modèles ne prennent pas en compte certains éléments de la
relation entre le praticien et le patient. De plus, les principes sur lesquels ils reposent sont plus
complémentaires qu’il n’y paraît à première vue455.
Il existe en effet des risques d’un excès d’autonomisme. Face à la tentation toujours
renaissante
du
« paternalisme »
médical,
peut-on
craindre
les
dérives
d’un
« autonomisme »excessif ? Il est certain que la revendication « autonomiste » poussée à
l’extrême peut fausser la relation médecin-malade. Le comité consultatif national d’éthique a
mis en garde contre la dérive consumériste des patients, d’une part, la dérive légaliste et
judiciaire des soignants et des soignés– avec déresponsabilisation des premiers – d’autre part.
Le patient résigné aurait disparu456. Il aurait cédé la place à un malade qui lit, s’informe et
plaide à l’occasion. La surinformation ou désinformation médiatique « n’est pas sans
contribuer à transformer les patients en consommateurs de soins passifs et les médecins en
prestataires de service » 457 . L’apparition contemporaine des formes de revendications de
l’individu vis-à-vis de son corps, de sa vie et de sa mort s’est rapidement traduite, notamment
aux Etats-Unis, sous la forme de la défense des intérêts du consommateurs de soins. Mais
surtout, la transformation progressive de la relation thérapeutique en prestation de service
comporte le risque « d’une dérive légaliste et judiciaire où la relation contractuelle entre
service de santé et consommateurs de soins remplace la relation de confiance personnalisée
455
A. Froment écrit : « Dans le contexte des soins je refuse la présentation contradictoire, ou en tout cas
dissociée, si fréquente, des principes d’autonomie et de bienfaisance. Elle conduit à un choix portant sur des
principes abstraits, alors qu’il ne se présente pas sous cette forme dans une situation concrète. », Maladie,
souffrance et médecine soignante, Ed. des Archives contemporaines, Paris 2001.
456
H. Hamon, Le malade consommateur. L’exercice médical dans la société : hier, aujourd’hui, demain, Ordre
national des médecins, Masson, 1995.
457
CCNE, Rapport et recommandations n°58 du Comité Consultatif national d’éthique pour les sciences de la
vie et de la santé : Consentement éclairé et information des personnes qui se prêtent à des actes de soin ou de
recherche, Cahiers du C.C.N.E. 1998, 178, 3-22.
- 146 -
indispensable à la prise de décision partagée […] Cette dérive […] risque surtout de
s’accompagner d’une déresponsabilisation de médecins qui ne se sentiraient plus soumis
qu’aux seules obligations formelles
de la loi, avec la crainte constante de poursuites
éventuelles »458. Que le risque de dérive judiciaire d’une revendication judiciaire autonomiste
excessive existe, l’expérience nord américaine a montré la voie à l’Europe, même si c’est
dans une moindre mesure. En réalité, l’évolution des relations entre médecins et malades ne
peut déboucher sur une pratique consumériste. Le traitement médical n’est pas un « produit »,
ni le résultat d’un fatalisme.
D’un autre côté, la médecine technicienne qui n’a plus en vue que le « corps-objet »
fait courir des risques à la relation soigant-soigné. Le médecin qui utilise des techniques
médicales sans cesses plus performantes, risque d’oublier qu’elles sont des moyens dont
l’utilisation ne doit être ordonnée qu’à une seule fin, le bien de la personne soignée459. La
médecine technicienne tend à privilégier l’être humain « objet », réduit à son corps, au
détriment de l’être humain « sujet ». De plus en plus, la formation du médecin le conduit à
soigner le corps-sujet sur la base de connaissances qui ne portent que le corps-objet. De
nombreuses difficultés vécues par le médecin dans sa relation au malade viennent de cette
approche réductrice de la personne soignée.
Le médecin doit prendre conscience pleinement de la vulnérabilité du patient, donner
un sens plénier au respect et à la compassion dus au malade, et au-delà de son simple
consentement, obtenir sa participation aux décisions qui le concernent. Le médecin croit, de
par son expérience, tout savoir sur la vulnérabilité du patient directement lié aux
conséquences de sa maladie. Mais il n’est pas toujours assez conscient de cette autre
vulnérabilité qui est pour le malade de devoir s’en remettre à des soignants dont il ne sait rien.
Cette autre vulnérabilité confère au soignant une responsabilité particulière. De plus, le
respect de la personne soignée n’est pas lié aux sentiments que cette personne inspire au
soignée. Il n’est pas de l’ordre de l’affectivité. Mais ce respect de l’autre comme autrui ne va
pas de soi, par la distance que marque la connaissance. Or, ce respect de la personne soignée
est fondamental pour permettre un échange, pour permettre au médecin d’entendre son
458
Ibid.
J.-F. Malherbe, Pour une éthique de la médecine, 3ème éd., 1997, Artel-Fides éditeurs : « Il se trouve que
l’effort requis pour développer ces techniques suppose précisément la mise entre parenthèses de l’ordre des fins
[…] En développant ses moyens de traiter les organismes humains, la médecine a perdu de vue sa finalité qui est
de soigner des personnes ».
459
- 147 -
patient. De plus, le respect du patient contribue à le revaloriser à ses propres yeux, à lui
redonner cette estime de soi que la maladie avait pu réduire. Enfin, dans son rapport sur le
consentement éclairé, le Comité consultatif national d’éthique souligne que le soigné doit
« passer du consommateur de soins au citoyen responsable […] Dans cet optique, l’accès à la
responsabilité citoyenne doit aller de pair avec une évolution de la relation médecin-malade
vers un contrat de confiance établi sur une information honnête et personnalisée, aboutissant à
des décisions prises en commun et véritablement partagées »460. Ces principes ont été repris
par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits du patient. A ce titre pourtant des progrès sont
encore à faire en France461.
Il existe une réelle tension de principe entre le principe d’autonomie et le principe de
bienfaisance, mais dans la pratique, ces deux principes s’avèrent plus complémentaires que
contradictoires. Il faudra sûrement apprendre à s’affranchir de modèles de référence dans la
mesure où l’on ne peut réduire des échanges entre médecins et patients en fonction d’un
déterminisme aussi théorique. De plus, les modèles sont impraticables dans leur radicalité.
Dans le modèle « paternaliste », le patient réduit à la condition d’être faible et ignorant, s’en
remet au médecin pour toutes les décisions concernant sa maladie. Dans le modèle
« autonomiste », le médecin accepte de n’être plus qu’un prestataire de service à l’égard d’un
patient dont les volontés, fussent-elles irrationnelles, doivent être en tout point respectées.
Chacun des deux modèles créent une relation fausse, ou plutôt nie la relation, car l’ « autre »
n’y existe plus en tant que sujet. Ce qui conduisait certains a rechercher une troisième voie462
– ne vaudrait-il pas mieux parler de grille d’explication et d’interprétation d’une réalité aussi
complexe que le confrontation d’un professionnel et d’un profane ? – tentent d’explorer le
460
CCNE, Rapport et recommandations n° 58 du Comité consultatif national d’éthique : Consentement éclairé
et information des personnes qui se prêtent à des actes de soin, op. cit.
461
Une enquête réalisée il y a dix ans auprès des malades hospitalisées à l’Hôpital Cardiologique de Lyon, faisait
ressortir que la grande majorité des patients hospitalisés souhaitaient participer aux décisions thérapeutiques qui
les concernent. Parmi les facteurs qui étaient considérés comme pouvant gêner une telle participation, venaient
en tête ceux qui concernent l’information donnée par le médecin : jugée insuffisante par près des de la moitié des
malades, difficile à comprendre par un tiers d’entre eux, ou donnée par des médecins jugés pas assez disponibles
pour répondre à leurs questions par un quart des patients. Près d’un patient sur cinq notait que le médecin ne
proposait pas au malade de participer à la décision. Un sur quatre enfin se plaignait du délai de réflexion trop
court laissé aux patients pour une décision concertée ou réfléchie. (M. Gouton, Le désir de participation de la
personne soignée aux décisions thérapeutiques qui la concernent, Mémoire de fin d’année de l’attestation
d’études universitaires d’éthique et philosophie médicale, Université Lyon I – Claude Bernard 1991.). Bien que
la loi de 2002 et la jurisprudence ont grandement fait changer les choses, on ne peut que s’interroger si ces
réflexions ne sont pas toujours valables.
462
CCNE, Rapport op. cit. – S. Rameix, Du paternalisme à l’autonomie des patients ? L’exemple du
consentement aux soins en réanimation, Méd. & droit, n° 12 mai-juin 1995. Du même auteur, lire Fondements
philosophiques de l’éthique médicale, Ellipses, 1996.
- 148 -
chemin de la solidarité, de l’interdépendance, et du retour « assumé du social »463. Cette voie
semble avoir été empruntée par le droit français parti à la recherche d’un équilibre entre les
droits du patient et ceux du médecins. De tradition paternaliste, le droit a d’abord marqué un
énorme virage dans l’affirmation des droits des patients au travers la jurisprudence d’abord
puis la loi ensuite. Toutefois, le droit français n’a pas voulu bouleverser l’intégralité de ses
fondements et valeurs. Cela s’illustre parfaitement autour de la mort. Il sera ainsi observé par
l’étude des soins palliatifs, du refus de soins ou encore du suicide, que le modèle autonomiste
semble désormais prépondérant. Cependant, de manière secondaire et subsidiaire, le modèle
paternaliste n’a pas disparu. En effet, si la volonté du patient doit être respectée et que la prise
en compte de celle-ci a largement été amplifiée, il reste que le droit a retenu la position du
médecin, chargé de préservé la vie conformant à un certain ordre public. La relation médecinpatient reste chapotée par le fait que le médecin est aussi le représentant médical de l’Etat. La
relation du médecin à la mort s’articule ainsi en considération de la protection de la santé
publique et de la volonté du patient. La loi du 6 août 2004 a par exemple, prévu une procédure
dite de « l’information médicale à caractère familial ». Cette procédure vise à informer les
membres d’une même famille dans la cas d’une maladie génétique grave tout en respectant le
secret médical du patient concerné initialement : la personne testée n’est jamais tenue
d’informer directement sa parentèle de l’existence d’une maladie génétique familiale, mais
elle doit déclencher cette procédure 464 . La mort du patient peut en effet avoir des
répercussions sur ses proches. Elle oblige à aménager la relation classique du médecin avec
son patient. Cette relation est complétée par la relation du médecin avec les tiers, proches et
personne de confiance du patient.
B - La relation du médecin et des tiers
La relation du médecin avec les tiers se fait par le patient. L’inquiétude et la place des
proches est à prendre en considération. On a déjà pu souligner le rôle important tenu par la
famille à l’occasion du don d’organes. La famille et les proches peuvent aussi être directement
touché dans leur santé si le malade est atteint d’une maladie génétique grave ou d’un maladie
sexuellement transmissible par exemple. La mort peut donc aussi avoir connaître une
extension à laquelle le médecin doit faire face comme nous avons pu l’envisager. Cependant,
463
Ibid.
V. sur le sujet, S. Boussard, Entre secret médical et ordre public sanitaire : le médecin, messager de
l’information génétique familiale, in Nouvelles frontières de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du
médecin, (sous la dir. de F. Bellivier et C. Noiville), Dalloz, 2006, p. 99 et s., ainsi que les références citées.
464
- 149 -
lorsque l’on envisage la mort du patient, la famille est le plus souvent envisagée dans son rôle
d’accompagnement. Si chacun meurt seul, la mort d’un être cher ne laisse pas les proches
indifférents. Ils sont aussi une aide précieuse pour le malade, parfois même le relais du
médecin, voire du patient inconscient auprès du médecin. La relation médecin-patient est
naturellement étendue à la relation du médecin avec la famille, les proches de celui qui meurt.
Cette relation est plus importante encore lorsque le patient n’est plus en état d’exprimer sa
volonté. Le droit a tenu compte du rapport avec la famille (1). Néanmoins, parce que ces
rapports sont parfois tendus voire conflictuel entre membres de la famille ou avec la famille et
le médecin, le droit a donné prépondérance à une personne nommément désigné comme
personne de confiance par le patient (2).
1 - La relation du médecin et des proches
Le mythe de la famille intéressée par l’héritage est plus que vivace aujourd’hui. Cette
situation marginale, relevant davantage du fantasme que de la réalité, justifie souvent la mise
à l’écart de ceux qui entourent le patient. Cependant qu’ils partagent la souffrance de celui qui
meurt, la douleur et les difficultés des proches sont souvent ignorés par le milieu médical. Or,
pour que soit réhabilitée la mort, ou simplement qu’une situation de détresse où la mort est
encourue soit gérable, il convient de ne pas négliger la famille du patient. L’encadrement de
celle-ci est indispensable pour que celle-ci puisse faire face et permettre ainsi au patient de
« bien mourir » notamment en lui offrant la possibilité de mourir chez lui 465 . Ce soutien
matériel et psychologique est d’autant plus nécessaire que les traitements médicaux
prolongent la vie des patients parfois pendant de nombreuses années, tous en les rendant
dépendants. Dans une société civilisée, la dépendance n’est pas tolérée ou mal acceptée. Dans
ces situations, le désarroi de la famille, se traduisant par sa décharge sur les institutions
spécialisées ou par la manifestation d’un désir d’écourter la souffrance, devient dès lors
compréhensible. Il serait plus efficace de chercher à prévenir ou à remédier à ces situations de
détresse, plutôt que de les condamner trop rapidement. Conscient de ces enjeux, le législateur
a, par la loi du 9 juin 1999, innové en instituant un congé d’accompagnement d’une personne
465
La circulaire du 26 août 1986 souligne le rôle important de la famille et prend soin de préciser que « les soins
palliatifs comprennent la relation avec la famille des malades, l’assistance morale, éventuellement matérielle ou
administrative. L’équipe soignante doit apporter un soutien à la famille afin de l’aider dans la phase difficile
qu’elle traverse et de lui permettre de jouer son rôle auprès du mourant. ». La loi du 9 juin 1999 inclut également
le soutien de l’entourage de la personne malade dans la définition des soins palliatifs et le C.C.N.E., dans son
Avis n° 63 relatif à la fin de vie, l’arrêt de vie, l’euthanasie, estime que l’accompagnement du mourant doit
chercher « à replacer la personne parvenue au terme de sa vie dans son contexte familial et social et, ce faisant, à
replacer la mort dans le cadre des événements familiaux dont elle s’était trop souvent écartée. ».
- 150 -
en fin de vie au profit de tout salarié dont un ascendant, descendant ou une personne
partageant son domicile, fait l’objet de soins palliatifs466. Prévu pour une durée de trois mois,
ce congé est « un droit » et échappe ainsi à l’appréciation de l’employeur. Cette évolution va
dans le sens d’une resocialisation de la mort et constitue dès lors un progrès non négligeable.
Toutefois, lorsque le patient est inconscient des difficultés peuvent surgir. Des
désaccords peuvent exister entre les membres de la famille entre eux ou avec les membres de
l’équipe médicale. Pour désamorcer ces conflits, un dialogue sincère doit pouvoir se nouer le
plus rapidement possible afin que la décision finale soit acceptée et comprise par tous. Mais,
si la voix de la famille doit être entendue, il faut éviter qu’elle prenne la décision à la place du
patient. De plus, il faut malheureusement craindre que la cacophonie perdure. C’est pourquoi,
il a été envisagé de faire nommé par la patient un personne de confiance, pour que celle-ci
puisse en temps utile, exprimer la parole du patient.
2 - La personne de confiance, la voix du patient inconscient auprès du
médecin
Le patient vit sa propre mort. Légitimement, il se défend contre son appropriation par
des tiers, même bien attentionnés. Toutefois, les circonstances l’empêcheront peut être de
prendre les décisions pour sa santé. Le médecin, par ses connaissances, le recul et
l’expérience de maladie, et enfin le dialogue préalable qu’il aura eu avec son patient, est jugé
le mieux à même de choisir pour le patient. Ce pouvoir accordé au médecin pourrait sans
doute être discuté. Pourtant, au plus proche du malade et de sa maladie, il nous semble être le
plus à même d’aider et de faire au mieux pour le patient. Nonobstant, pour l’aider dans cette
décision, l’avis d’une tierce personne, qui connaît le malade intimement est souvent utile et
éclairante sur la volonté du malade. Ce rôle était jusqu’à récemment dévolu à la famille. Mais,
des oppositions peuvent naître. Par ailleurs, la famille n’est parfois pas la plus proche du
malade. Ce dernier a pu faire le choix de s’ouvrir à un tiers, un ami, son médecin traitant.
Ainsi, il a été jugé préférable de faire désigner par le patient une personne de confiance, afin
que cette dernière puisse en temps utile, informer le médecin sur les désirs du malade (art. L.
1111-6 du Code de la santé publique). Toute personne a la faculté de désigner une personne
de confiance. L’incitation est beaucoup plus forte lors d’une hospitalisation. Une telle
466
Voir les articles L. 225-15 et s. du Code du travail et la chronique de D. Boulmier, Le nouveau congé
d’accompagnement d’une personne en fin de vie accordé à certains salariés, D. 2000.84. Le congé d’accompagnement est d’ordre public, toute convention contraire étant nulle (art. L. 225-19).
- 151 -
désignation n’a rien de contraire avec la présomption d’autonomie du patient et le caractère
personnel de sa décision. En premier, la consultation de la personne de confiance n’intervient
que dans des hypothèses de défaut de compétence467. Surtout, cette personne de confiance n’a
pas à s’exprimer à la place du patient mais a donné l’avis du patient, à être sa voix. Elle ne
prend aucune décision à la place du patient, son avis n’est que consultatif et reste personnel.
Le C.C.N.E. estimait que le patient devait nommer un représentant pour respecter au mieux
l’autonomie indirecte du patient, puisque dans une situation donnée « il est dans la même
temporalité que les soignants et le patient » 468 . La relation médecin-patient comporte
nécessairement une notion de temporalité. On peut certes concevoir qu’une décision prise par
la personne à un moment donné de sa vie soit valable à tout moment par la suite. C’est sur ce
fondement que reposent les directives anticipées. Mais, de telles directives, comme le
souligne Suzanne Rameix , « peuvent être en décalage avec ce que serait la volonté actuelle
du patient s’il était compétent » 469 . Le représentant a, au contraire, pu suivre l’évolution
mentale du patient avec la maladie, et le médecin a pu faire ce même chemin. Il faut
s’interroger loyalement et humblement sur l’attente du malade. Le patient souhaite d’abord
que le soignant le rejoigne là où il est, en respectant son rythme, son attente au fur et à mesure
de l’évolution de sa maladie. Cela suppose qu’on lui laisse le temps de construire son histoire
personnelle, de reconstruire son identité, et «de redevenir lui-même alors qu’il n’est plus le
même »470. Ce parcours, on espère qu’il ne se fera donc pas seul mais accompagné à la fois du
médecin, bien entendu, mais aussi d’une personne qui, le moment venu, si cela était utile
pourrait exprimer la volonté du patient. Le législateur a entendu la requête du Comité
d’éthique et a créé la possibilité pour le patient de désigner une personne de confiance471. En
fait, cela apparaît davantage même comme une obligation. En pratique, cette personne
désignée deviendra un interlocuteur privilégié du médecin. Ce dernier verra ses rapports
facilités par cet interlocuteur unique. Le praticien sera éclairé par la personne de confiance,
mais il possède au final la décision. La loi considère qu’il reste le plus à même, après le
patient, pour prendre les décisions qui s’imposent. A cet endroit, il peut être constaté que pour
le patient inconscient, le droit s’en remet toujours au paternalisme médical.
467
Art. L. 1111-1 al. 3 du Code de la santé publique.
C.C.N.E., Rapport et recommandations n° 58, Consentement éclairé et information des personnes qui se
prêtent à des actes de soin ou de recherche, 12 juin 1998, Les Cahiers du C.C.N.E., 1998, p. 3-22.
469
S. Rameix, Un point de vue philosophique sur le rapport du C.C.N.E. « Consentement éclairé et information
des patients qui se prêtent à des actes de soin ou de recherche », Les Cahiers du C.C.N.E , 1998, n°17, p 23-32.
470
S. Rameix, Du paternalisme des patients à l’autonomie des patients ?, Laënnec 1997, 46 : 10-15.
471
Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients. Le rôle de la personne de confiance a été renforcé et sa
place privilégiée par la loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie.
468
- 152 -
Intégrer l’entourage, obliger le médecin à prendre ses responsabilités face à la mort,
permettre au patient de faire un choix éclairé, sont les voies pour parvenir à un équilibre des
pouvoirs de chacun dans le respect de celui dont la vie est en péril. Le rapport du médecin et
des tiers n’est donc pas dénué d’intérêt, mais il reste en périphérie de la relation médecinpatient, seule source véritable des décisions prises pour la santé du patient. Lorsque le patient
ne peut plus s’exprimer, le médecin, dont le rôle est de préserver la vie, est privilégié sur
n’importe quel autre personne pour décider pour le patient. Au final, seuls le médecin et le
patient sont compétents pour déterminer le traitement curatif ou palliatif approprié.
CONCLUSION DU CHAPITRE I
À la faveur de l’évolution de la technique médicale, le rôle du médecin semble s’être
diversifié. Pourtant, si les modalités de son action ont changé, sa fonction reste résolument
celle de protéger de la mort, de la faire oublier. En revanche, l’autonomie du patient paraît,
elle, consacrée au détriment du paternalisme médical. Cependant, les objectifs de santé
publique limiteront cette autonomie. L’Etat et le patient ont conduit à modifier l’acte médical.
Désormais, il est celui qui lutte contre la mort, mais aussi celui qui apporte le bien-être et
préserve de la souffrance. La mort est certes un phénomène inévitable, dont le médecin ne
saurait être tenu pour responsable. Cependant, les performances de la médecine ont fait
oublier ce principe élémentaire. Dès lors, la mort n’est plus envisagée à chaque intervention
du médecin, ce qui est d’autant plus renforcée lorsque l’intervention prévue n’est que de
confort. Lorsque la mort survient, elle est donc en toutes les hypothèses inacceptables.
Protecteur de la vie, le médecin est donc plus que jamais aujourd’hui responsable face à la
mort.
- 153 -
CHAPITRE II
LE MEDECIN FACE À LA RESPONSABILITE DE LA MORT
« Le médecin ne reconnaît pour juge, après Dieu, que ses pairs et n'accepte point
d'autre responsabilité que celle, toute morale, de sa conscience »472. Cette vision, partagée par
de nombreux médecins au début du XIXe siècle, fût battue en brèche par l’arrêt Thouret
Noroy contre Guigne de la chambre des requêtes de la Cour de cassation en date du 18 juin
1835. La Cour de cassation a introduit l’idée de la responsabilité du médecin, devenant
justiciable comme tout un chacun lorsqu’il commettait une faute grave473. L’innovation réside
dans la reconnaissance de l’existence possible d’une faute commise par le médecin. La vision
initiale du médecin était celui du sorcier guérisseur, détenteur du pouvoir et du savoir, et
même si la responsabilité du médecin fut affirmée pour la première fois par le code
Hammourabi474, celle-ci ne fut qu’exceptionnellement engagée avant le code napoléonien475.
Si une action contre un médecin était possible dès la promulgation du code civil sur la base du
principe général de la responsabilité prévu en l’article 1382, les actions contre les médecins
étaient inhabituelles, et rarement couronnées de succès. Les bases juridiques de la
responsabilité ont finalement été posées en 1936 par l’arrêt Mercier, mais le développement
des actions contre les praticiens fut tardif. Le contentieux ne commença en effet à augmenter
de façon significative qu’au milieu du XXe siècle, pour connaître une accélération au début
472
Formulation d’un avis de l'Académie de médecine de 1834, cité par P. Sargos, L’actualité du droit de la
responsabilité médicale dans la jurisprudence de la Cour de cassation, Rev. Droit et patrimoine, n° 92, Avril
2001.
473
Cass. req., 18 juin 1835, S. 1835, I, n° 26, p. 401 et s. ; D. 1835, 1, p. 300, concl. Dupin ; Juris. Dalloz, T.39,
V° Responsabilité, n° 129 : « Attendu que, pour décider que le sieur Thouret Noroy était responsable envers
Guigne de la perte de son bras, l’arrêt attaqué s’est fondé sur la négligence de ce médecin, sur la faute grave, et
notamment sur l’abandon volontaire où il avait laissé le malade, en refusant de lui continuer les soins et de
visiter son bras, lorsqu’il en était par lui requis ; que ces faits matériels sont au nombre de ceux qui peuvent
entraîner la responsabilité civile de la part des individus à qui ils sont imputables, et qu’ils sont soumis, d’après
les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil, à l’appréciation des juges ». Dans cette affaire, le
procureur général Dupin avait ainsi terminé son rapport : « Que les médecins se rassurent, l’exercice de leur art
n’est pas mis en péril, la gloire et la réputation de ceux qui l’exercent avec tant d’avantage pour l’humanité ne
seront pas compromises par faute d’un homme qui aura failli sous le titre de docteur. On ne conclut pas ou l’on
conclurait mal du particulier au général et d’un fait isolé à des cas qui n’offrirait rien de semblable. Chaque
profession renferme dans son sein des hommes dont elles s’enorgueillit, et d’autres qu’elle désavoue ».
474
Art. 218 du Code d’Hammourabi : « Si un médecin opère un homme pour une blessure grave avec une
lancette de bronze et cause la mort de l’homme, ou s’il ouvre un abcès à l’œil d’un homme avec une lancette de
bronze et détruit l’œil de l’homme, il aura les doigts coupés ».
475
V. pour un historique : M. et G. Bernard, Histoire de la responsabilité médicale, Rev. fr. dommage corp.
1997-2, p. 133. – L. Kornprobst, Responsabilité du médecin devant la loi et la jurisprudence, Flammarion, 1957,
p. 27 et s. – S. Welsch, Responsabilité du médecin, Litec, 2e éd., 2003.
- 154 -
des années 1980476. La fatalité étant devenue de nos jours inacceptable, les victimes et leur
famille se tournent vers les tribunaux pour demander réparation de l’irruption absurde de la
mort ou du handicap dans leur vie477.
Si une dérive à l’américaine ne semble pas s’être opérée en France, comme cela a été
redouté, on ne peut nier que la responsabilité médicale est de plus en plus recherchée. Les
tribunaux écoutent plus facilement aujourd’hui les doléances du patient, ne serait-ce que ,
comme dans tout le droit de la responsabilité civile, dans un but d’indemnisation du préjudice
subi. L’augmentation du contentieux tant pénal que civil est réel et péniblement ressentie par
les membres du corps médical. L’ombre du procès plane sur les cabinets. « La hantise de la
plainte trouble parfois le raisonnement médical. Quand on réfléchit à la meilleure solution
pour un patient, on ne peut s’empêcher de se demander : si je fais tel geste et qu’il y a un
problème, que dira l’expert ? » admet le docteur Jean-Marie Dumeix478.
L’inquiétude des médecins et leur défiance face au droit repose sur des éléments tangibles.
Pour exemple, les psychiatres, pendant très longtemps épargnés en raison de la difficulté à
476
V. pour une analyse détaillée de l’évolution du contentieux : D. Thouvenin, La responsabilité médicale,
Flammarion, 1995. J. Penneau, La responsabilité du médecin, Dalloz, 3e éd. 2003, p. 2. Le groupe des
assurances mutuelles médicales – GAMM – qui assure environ 90% des médecins libéraux français indiquait,
dans une étude couvrant la période 1954-1988, que le nombre de dossiers ouverts passe de 35 en 1944 à 123 en
1954, 254 en 1964, 338 en 1973, 1158 en 1980 pour aboutir à 2000 en 1988. Ce document n’indiquait cependant
le nombre d’adhérents qu’à compter de 1980, ce qui rend nécessairement la comparaison plus délicate. On peut
néanmoins avancer que la forte progression du nombre de dossiers ouverts est sans proportion avec le nombre
d’adhérents. Le nombre de dossiers ouverts par la suite s’est stabilisé, et cette proportion par rapport au nombre
d’adhérents reste aux environs de 1, 35%. En 2002, le même groupe faisait état de 33703 déclarations concernant
des dommages corporels pour 239.214 sociétaires, soit un pourcentage de sinistrabilité de 1,40%. Toutefois ce
sont les suites données à ces affaires qui sont les plus pertinentes. Ainsi, en ce qui concerne les médecins
sociétaires du Sou médical, en 1988, sur 95 dossiers ayant donné lieu à une décision de justice : dans les 24
affaires pénales, 15 non-lieux, 1 relaxe, et 8 condamnations ont été prononcées. Les 71 affaires civiles ont donné
lieu à 43 déboutés et 28 condamnations.
477
M. Bourrié-Quenillet, Droit du dommage corporel et prix de la vie humaine, JCP G 2004, I, 136, Doct. p.
941. En 1998, le Sou médical estimait qu’un médecin libéral sur deux risquait d’être attaqué au cours de sa
carrière A. Jeanblanc, La peur des procès, Le point, 7 nov. 1998. L’évolution du contentieux médical s’est donc
tout d’abord traduit d’un point de vue statistique : l’augmentation du nombre d’instances mettant en jeu la
responsabilité du médecin. L’importance de ce phénomène doit cependant être relativisée. Le nombre d’actions
exercées contre les praticiens doit en effet être rapproché du nombre total d’actes médicaux pratiqués chaque
année en France. Ainsi, pour l’année 1998, on estimait le nombre de sinistres déclarés à 10 406 alors que plus de
330 millions d’actes médicaux étaient dans le même temps réalisés, chiffres extrapolés à partir des données
suivantes : 2155 déclarations auprès du GAMM, qui regroupe alors 60% des médecins libéraux ; 6250
déclarations à la SHAM, qui assure le secteur hospitalier ; 565 au sein de l’Assistance public des hôpitaux de
Paris. (Cf., pour une étude détaillée le site du sénat : http://www.senat.fr/). Par ailleurs les actions en justice se
traduisaient le plus souvent par un rejet de responsabilité du médecin, qui n’était condamné que dans un cas sur
cinq au civil et un cas sur huit au pénal (V. D Thouvenin, La responsabilité médicale, préc.. En 2002, 162
décisions ont été prononcées, 16 par des juridictions pénales, 146 par des juridictions civiles. Dans les 16 affaires
pénales, 8 condamnations, 4 relaxes et 4 non lieux ont été prononcés, ce qui représente un pourcentage
sensiblement plus élevé. Dans les dossiers civils, 77 condamnations ont été prononcées, ce qui représente
également un pourcentage plus élevé. Trois spécialités sont plus spécialement exposées tant aux actions qu’aux
condamnations : la chirurgie notamment esthétique, l’anesthésie-réanimation et l’obstétrique.
478
Cité in A. Jeanblanc, La peur des procès, Le point, 7 nov. 1998.
- 155 -
prévoir les effets d’une psychothérapie ou à empêcher certains actes impulsifs, ne sont plus à
l’abri.
L’évolution s’explique par trois raisons principales qui se conjuguent le plus souvent.
La première correspond à l’émergence d’une technique médicale particulièrement efficace
mais qui n’est pas sans risque. Plus agressive à l’égard du patient, la technique médicale est la
source des dommages les plus nombreux, d’une gravité accrue mais surtout d’origine
iatrogène, c’est-à-dire provoquée même sans faute par le médecin. La mort était auparavant le
lot quotidien des médecins. Ce n’est que très récemment à l’échelle de l’existence de la
science médicale qu’elle est évoquée aujourd’hui « banalement » dans le cadre de la fin de
vie, dans le cas de maladies graves ou d’accident. Dès lors, lorsqu’elle survient, elle paraît
anormale. Le rapport médecin-patient à l’échelle de la mort est désormais difficile car il
n’existe plus un type d’acte médical mais des actes médicaux, pour lesquels le bénéfice
escompté exclut selon le patient l’éventualité de la mort. A priori, par exemple, le patient qui
subit une opération dite bénigne mais nécessaire n’imagine plus un instant que celle-ci reste
une opération comportant nécessairement un risque potentiellement mortel. Ceci est encore
plus vraie lorsque ce patient subit par une opération de pure convenance personnelle, de
confort479, une opération de chirurgie esthétique par exemple. Cette cause est donc amplifiée
par la croyance dans les vertus de la science, pouvant repousser toujours plus loin les limites
du possible. « A l’heure de la banalisation des greffes d’organes, de l’apparition des thérapies
géniques, voire du clonage humain, le patient ne peut accepter l’échec d’un acte qu’il
considère, souvent à tort, comme anodin » 480.
De plus, le patient ne se résigne plus à être victime du fatum mais cherche, au contraire, un
responsable à tous ses malheurs. Le patient qui fondait tous ses espoirs sur la technique
médicale ne comprend pas que celle-ci ait échoué, voire ait aggravé son sort. Constamment et
régulièrement s’accroissent ainsi les droits de la victime : une « victimophilie », a dit le doyen
Carbonnier : « Notre système juridique donne l’impression que, pour lui, la victime est la
personne la plus importante au monde »481.
Enfin, dans cette suite, il faut noter la désacralisation du médecin qui n’apparaît plus comme
l’instrument de Dieu mais comme un professionnel devant des comptes. Le praticien n’est
479
Appelée aussi parfois médecine de convenance. Sur cette notion : M.-H. Parizeau, in Les mots de la
bioéthique sous la direction de G. Hottois et M.-H. Parizeau, De Boeck Université, p. 268.
480
S. Porchy-Simon, La responsabilité médicale. Principes généraux, J.Cl. civil, art. 1382 à 1386, fasc. 440-20,
n°2.
481
J. Carbonnier, Droit civil, Obligations, P.U.F., Thémis, 22e éd. 2000, n° 199, p. 362.
- 156 -
plus considéré comme le détenteur d’un savoir incontesté. Le malade est aujourd’hui un
« usager » du service de la médecine 482 . Il est un consommateur de soins. En effet la
surmédicalisation fait de la médecine un objet de consommation. Désormais l’acte médical
tend à devenir un acte de consommation. M. Malaurie explique qu’il en est deux signes : « 1°)
chacun, dans sa mentalité, croît maintenant avoir un droit à la santé, même s’il s’agit d’un
mythe ; 2°) le patient devient un consommateur, c’est-à-dire un profane qui doit être protégé
contre le médecin, un professionnel qui sait, suscitant, aussi, comme les fabricants, une
certaine suspicion, presque le contraire de la confiance contre une conscience »483.
Cependant « on ne saurait traiter de l’avenir de l’homme comme on traite de la protection du
consommateur » selon les termes de Monsieur Guy Raymond484. Le comportement du patient
est tel aujourd’hui que la mort semble avoir été exclue de la médecine à l’exception de la fin
de vie. Dès lors, si elle survient, cela ne peut se comprendre que par l’existence d’une faute du
médecin, faute pour laquelle le médecin doit voir sa responsabilité engagée. L’impression qui
ressort quant « aux risques » présentés par l’activité médicale est que les médecins et les
patients ne parlent pas le même langage. Le médecin sait que le risque mortel existe toujours,
même s’il peut être faible, voire résiduel. Le patient, s’il le sait parfois, se refuse à l’entendre,
et si ce n’est pas le patient lui-même, c’est sa famille qui ne comprendra pas le décès d’un
père ou d’une mère, même très âgés, du fait d’une opération réalisée pourtant dans les règles
de l’art.
Il existe diverses situations possibles, parce qu’il existe aujourd’hui divers actes
médicaux, mais une seule responsabilité de la mort du patient. Dans l’apprivoisement du
voisinage de la mort, où les conflits, les angoisses, les fantasmes s’exacerbent, le médecin
joue un rôle clé très exposé. La responsabilité médicale est devenue une des questions du droit
482
La loi du 4 mars 2002 a presque complètement changé le langage juridique habituel. Elle ne parle plus de
médecin mais de personnel de santé. Elle ne parle plus de contrat médical, mais d’acte individuel de prévention,
de diagnostic et de soins. La responsabilité médicale ne serait-elle plus contractuelle mais légale ? La loi parle
enfin exceptionnellement de patient mais plus souvent d’usager, et on ne peut y voir le sens d’un usager d’un
service public puisque cette loi s’applique aussi à la médecine libérale. V. en ce sens, P. Malaurie, La
responsabilité civile médicale, Defrénois 2002, n° 23, 37632, p. 1524.
483
P. Malaurie, La responsabilité civile médicale, Defrénois 2002, n° 23, 37632, p. 1518. M. Malaurie relève en
effet, que « le traditionnel humanisme médical, particulièrement affirmé en France, s’en est trouvé radicalement
transformé » par la surmédicalisation. Il poursuit : « En 1946, le professeur Porte, président de l’Ordre des
médecins, qualifiait l’acte médical d’une "confiance contre une conscience" : c’est-à-dire la cœur du contrat ; il
n’y a pas, en effet, de contrat sans confiance et sans conscience ». (ibid).
484
L’assistance médicale à la procréation après la promulgation des lois bioéthiques, JCP G n° 43, Doctrine,
3796.
- 157 -
civil les plus agitées en France depuis une quinzaine d’années485. Le médecin dont le patient
décède a désormais beaucoup de souci à se faire. Cet événement a priori naturel n’apparaît
plus jamais comme tel, quelle que soit la situation. A ce titre, toutes les règles de la
responsabilité médicale prennent une coloration particulière, elles ne sont pas non plus
exemptes de paradoxes et de contradictions. De plus, si le droit de la responsabilité civile se
veut indemnitaire, tel n’est pas la vocation du droit pénal. Le droit civil et le droit pénal
poursuivent des logiques différentes. Les dispositions d’ordre public du système répressif ont
pour finalité d’assurer la protection de valeurs en dehors desquelles l’individu ne pourrait
évoluer. Au premier rang de ces valeurs, figurent l’humanité, la vie et l’intégrité physique.
Toute personne y portant atteinte doit être considérée comme un délinquant auquel la société
demandera de rendre compte. La responsabilité pénale a une fonction punitive et infamante,
qui n’a pas échappé au plaignant. Cette qualité semble d’autant plus recherchée désormais que
la responsabilité civile apparaît uniquement indemnitaire. A trop vouloir indemniser à tout
prix, on a parfois oublié la notion de faute et de responsabilité. L’ensemble de l’évolution de
la responsabilité médicale a conduit à un renforcement de la responsabilité pénale de la mort
causée par le médecin, lequel peut encore se voir reprocher une faute disciplinaire lorsque la
mort de son patient sera suspecte, qualité qui ne manquera pas d’exister lorsque le médecin
devra répondre de ses actes devant une juridiction judiciaire.
Qu’y a-t-il de plus grave que la mort ? La responsabilité du médecin peut revêtir
plusieurs facettes : responsabilité civile ou administrative, selon que le médecin est libéral ou
salarié privé, ou salarié public (Section I) ; responsabilité pénale, si sa faute peut être
pénalement qualifiée d’infraction (Section II). Elle peut encore, parce que le médecin répond
à une déontologie particulière, être disciplinaire (Section III).
485
P. Malaurie, La responsabilité civile médicale, Defrénois 2002, n° 23, 37632, p. 1516. Le professeur écrit
encore : « Toutes les évolutions qu’a connues la responsabilité civile professionnelle depuis cinquante ans sont
d’abord apparues en matière médicale : pluralité d’obligations, obligation d’information, charge de la preuve de
son exécution, appréciation de la faute, et […] intervention législative ».
- 158 -
SECTION I – LE MEDECIN FACE À LA RESPONSABILITE CIVILE ET
ADMINISTRATIVE DE LA MORT
Par l’arrêt Mercier du 20 mai 1936, la Cour de cassation fixa le fondement de la
responsabilité civile médicale 486 . Cette décision posa les règles juridiques essentielles
gouvernant la responsabilité du médecin en droit privé : cette responsabilité est
contractuelle487, reposant sur l’article 1147 du Code civil et le médecin n’est soumis qu’à une
obligation de moyens. La formule de principe de cet arrêt n’a jamais été démentie : « Il se
forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant, pour le praticien,
l’engagement, sinon, bien évidemment, de guérir le malade, ce qui n’a d’ailleurs jamais été
allégué, du moins de lui donner des soins, non pas quelconques, […] mais consciencieux,
attentifs, et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises
de la science » 488 . Le médecin a certes l’obligation de donner des soins conformes aux
données acquises de la science, il n’a pas l’obligation de sauver son patient. La mort du
patient n’est donc pas a priori en soi source de responsabilité civile. Faut-il le rappeler : l’être
humain étant mortel, la fatale issue est inéluctablement le terme, l’aboutissement et la fin de
chaque destin individuel489. De plus, la médecine n’est pas tenue, comme tout un chacun, à
l’impossible. Son rôle est donc, dans la mesure de ses moyens, de préserver la vie. Malgré les
efforts consciencieux du médecin, le patient, même jeune, peut décéder des suites d’un
accident ou d’une maladie. L’action du médecin n’est pas de réussir à sauver la vie du patient
mais de tenter de sauver cette vie. En conséquence, logiquement, l’obligation du médecin
n’est que de moyen et seule une faute de sa part permettra d’engager sa responsabilité dans la
mort du patient. Le médecin sera responsable si son action aurait normalement du sauver le
486
Cass. civ., 20 mai 1936, DP 1936, 1, p. 88, concl. Matter, rapport Josserand ; S. 1937, 1, p. 321, note Breton.
– M. Harichaux, L’obligation du médecin de respecter les données de la science, A propos du cinquantenaire de
l’arrêt Mercier : bilan d’une jurisprudence : JCP G 1987, I, 3306.
487
Néanmoins il persiste exceptionnellement des situations dans lesquelles l’engagement de la responsabilité du
médecin sera de nature délictuelle. Cette distinction ne présente pas en soit un intérêt à la lumière de notre sujet.
Nous renverrons donc sur ce point aux ouvrages spécialisés sur la question. Nous nous contenterons de la
résumer, à l’exception du médecin salarié que nous développerons plus loin. Il peut s’agir principalement de
l’absence d’un contrat, et du statut du médecin, enfin de la responsabilité civile du médecin devant les
juridictions pénales. Il faut notamment préciser que conformément à l’article 1165 du code civil, les tiers
souhaitant engager la responsabilité du médecin doivent le faire en principe sur le terrain de la responsabilité
délictuelle. La principale application de cette règle concerne les victimes par ricochet, tels les proches du patient
décédé, qui ne peuvent engager la responsabilité contractuelle du médecin.
488
Cette formulation a reçu une consécration réglementaire puisque l’article 32 du Code de déontologie médicale
du 6 septembre 1995 dispose que le médecin doit donner des soins conformes aux données acquises de la
science.
489
B. Py, Enjeux juridiques de la date de la mort figurant dans un acte de décès (Cass. civ., 19 oct. 1999), Méd.
& droit 2001, p. 23.
- 159 -
patient. En cela, le dommage – la mort – ne devrait pas présenter d’intérêt particulier
relativement à l’étude de la responsabilité civile médicale dans son ensemble.
Il apparaît cependant que ce dommage crée un climat propice à la responsabilité.
D’une part, il semble que la responsabilité soit intensifiée lorsque le dommage est grave, au
point de reconnaître parfois une responsabilité médicale sans faute. D’autre part, la mise en
œuvre de cette responsabilité semble en être facilitée. C’est donc paradoxalement que l’on
constate que l’indemnisation de la mort du patient apparaît plus infime que pour un malade
rescapé d’une erreur médicale. Par souci de clarté, il s’agira de revenir sur le contenu
spécifique des obligations nées du contrat médical à la lumière de la mort (§I), la
transgression de ces obligations pouvant constituer une faute, qui, en lien de causalité avec la
mort du patient, engagera la responsabilité du médecin490 (§II).
§I- Le contenu des obligations du médecin face à la mort
Demogue proposait en 1930 de distinguer les obligations de moyens et les obligations
de résultat. Il est remarquable que cette distinction ait été justement utilisée pour la première
fois par l’arrêt Mercier. En principe, le médecin n’est tenu que de tout tenter pour préserver
son patient de la mort. Le contrat médical met à sa charge une obligations de moyens (A).
Mais, par exception, le médecin sera tenu de préserver son patient de la mort. Si le risque
médical de mort se réalise, le médecin en sera responsable parfois même sans faute. En
certains domaines médicaux, l’obligation du médecin sera alors de résultat (B).
A- L’obligation de moyen du médecin : tenter de préserver de la mort
L’obligation à laquelle s’engage le médecin reste l’exemple même de l’obligation de
moyen. Cette obligation est celle par laquelle le débiteur s’engage seulement à employer les
moyens appropriés dans une tâche à accomplir, moyens qui permettront au créancier
d’atteindre peut être le résultat qu’il souhaite491. Ainsi le médecin ne promet pas au malade de
le guérir mais il s’engage à lui apporter des soins consciencieux, attentifs, conformes aux
données acquises de la science. De sorte que, l’obligation étant de moyen, il appartient au
créancier – le patient – de prouver que son débiteur – le médecin – n’a pas employé toutes les
490
P. Sargos, L’actualité du droit de la responsabilité médicale dans le jurisprudence de la Cour de cassation,
Droit et Patrimoine, n° 92, avril 2001.
491
F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit des obligations, Dalloz, 9e éd., 2005, n°577.
- 160 -
diligences requises par son obligation. Si, au contraire, l’obligation était de résultat, la faute
du débiteur consisterait à ne pas avoir atteint le résultat auquel il s’était engagé. La loi du 4
mars 2002 relative aux droits des patients a clairement indiqué que le régime de principe de
l’obligation du médecin est celui de l’obligation de moyens. Elle dispose en effet qu’en
dehors du cas où leur responsabilité serait encourue en raison du défaut de produit de santé,
les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d’un acte
médical qu’en cas de faute492. La jurisprudence retient pour sa part, de façon constante, que
« le médecin est tenu d’une obligations de moyens et non de résultat » 493 ; « une faute ne peut
se déduire de la seule absence de réussite de l’acte médical et de l’apparition d’un préjudice,
lequel peut être en relation avec l’acte médical pratiqué sans l’être pour autant avec une
faute.» 494.
La mort du patient n’est donc pas en soi le résultat d’une faute du médecin, si elle peut être –
mais ce n’est qu’une hypothèse – celui de l’échec de la médecine. La mort qui survient peut
simplement être celle qui arrive à son heure. Elle peut être le fait aussi d’une maladie, dont la
médecine n’a malheureusement pas encore trouvé le remède. Le médecin pratique un art dont
les résultats ne sont pas toujours probants495. Ces derniers dépendent aussi parfois de l’état de
santé, de la condition du patient. L’efficacité médicale est relative, elle implique
naturellement à retenir que l’on ne peut qu’obliger le médecin à faire de son mieux496. A
priori donc, le principe est simple. Cependant l’exception qui est de soumettre le médecin à
une obligation de résultat, c’est-à-dire à garantir de préserver de la mort,
tend à se
développer.
B- L’obligation de résultat du médecin : garantir de préserver de la mort
Par exception, le médecin peut être soumis à une obligation de résultat soit du fait de
la loi, soit de la volonté des parties. L’obligation de résultat est celle par laquelle l’auteur, et
donc le médecin, s’engage a obtenir le résultat promis. Les parties peuvent avoir elles-même
conférer une obligation de résultat au médecin dans des circonstances diverses. Il en est ainsi
lorsque le médecin promet d’exécuter un acte médical à un moment déterminé ou promet
492
CSP, art. L.1142-1, I, al. 1.
Cass., 1er civ. , 28 juin 1989, Bull. civ. I, n° 266.
494
Cass. 12 déc. 1995, Bull. civ. I, n° 261.
495
V. par exemple, Cass., 1re civ., 3 avril 2007, inédit, pourvoi n° 05-10515, rejet.
496
V. par exemple, Cass., 1re civ., 4 mai 1999, inédit titré ; pourvoi n° 97-15600, 28 nov. 1995, inédit titré ;
pourvoi n° 92-22028, rejet ; 21 mai 1990, inédit titré ; pourvoi n° 88-18986, rejet ; 10 janvier 1990, Bull. civ. I,
n° 10, p. 8.
493
- 161 -
d’exécuter personnellement un tel acte. Cette situation, librement consentie, ne présente donc
pas d’intérêt majeur. Il ne s’agit que de l’expression de la liberté contractuelle. Il en va tout
autrement lorsque cette obligation de résultat est imposée au médecin par la jurisprudence ou
la loi. Alors que toute situation médicale devrait, par nature, n’être que de moyens, les
obligations du médecin sont aujourd’hui de plus en plus renforcées et ceci principalement
lorsque le dommage produit est la mort.
1- Le renforcement de l’obligation de résultat dans la responsabilité
médicale de la mort
En certaines circonstances, et en vue d’une meilleure indemnisation des patients, les
tribunaux ont jugé devoir retenir une obligation de résultat et faire ainsi progressivement
reculer le domaine de l’obligation de moyens et, corrélativement, étendre le domaine de
l’obligation de résultat. Les tribunaux judiciaires répondaient aux attentes d’une certaine
doctrine qui, se fondant sur le premier devoir du médecin – Primum non nocere, celui de ne
pas nuire – et sur les dispositions de l’article 1135 du Code civil, soutenait qu’il existait dans
le contrat médical une obligation accessoire, « l’obligation médicale de sécurité imposant au
médecin de ne pas causer à son patient de dommages supplémentaires s’ajoutant à son mal
initial et sans rapport avec celui-ci. » 497.
De son côté, à compter de l’arrêt Bianchi du 9 avril 1993498, le Conseil d’Etat a admis
l’indemnisation de l’aléa thérapeutique en jugeant que, « lorsqu’un acte médical nécessaire au
diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l’existence est connue mais
dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient
y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si
l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du
patient comme avec l’évolution prévisible de cet état et présentant un caractère d’extrême
gravité ». Il faut en déduire que la responsabilité médicale a notamment été envisagée parce
que l’acte médical a produit un dommage extrêmement grave. L’événement paraît donc moins
497
V. S. Hocquet-Berg, Obligation de moyens ou obligation de résultat ? A propos de la responsabilité civile du
médecin, Th. Paris XII, 1995 ; P. Sargos, Réflexions sur les accidents médicaux et la doctrine jurisprudentielle
de la Cour de cassation en matière de responsabilité médicale, D. 1996, chron. p 365 ; G. Viney et P. Jourdain,
L’indemnisation des accidents médicaux : que peut faire la Cour de cassation ?, JCP G 1997, I, 4016 ; pour une
critique sévère de l’obligation médicale de sécurité, v. Ch. Larroumet, L’indemnisation de l’aléa thérapeutique,
D. 1999, chron. p. 33.
498
CE 9 avril 1993, req. n° 69336, Bianchi, JCP G 1993, II, 22061, note J. Moreau ; RFD adm. 1993, p. 573,
concl. S. Daël ; AJDA 1993, p. 383, chron. C. Maugüe, p. 344, note Touvet ; Gaz. Pal., 1993, 2, pan. dr. adm., p.
182 ; Rec. CE, p. 127, concl. Daël.
- 162 -
pris en compte que ses conséquences. C’est finalement parce que le résultat produit, même
s’il était presque imprévisible, a produit un dommage très important que le Conseil d’Etat a
considéré que le patient devait être indemnisé. Dès lors, le médecin est tributaire non plus
uniquement de son art mais de ce que ce dernier peut produire sur un patient déterminé. La
médecine présente des risques. On demande au médecin d’assumer ses conséquences
dommageables dans des cas extrêmes. Cela est vrai d’un point de vue de l’événement : celui
est exceptionnel. Cela l’est tout autant du résultat, ce dernier étant particulièrement grave. Il
reste que la confrontation des deux conditions est paradoxale. Le médecin a, en soignant le
patient, pris un risque infime. Mais malheureusement, ce risque s’est réalisé. Or, parce que les
conséquences sont graves, le médecin doit les assumer. Ceci démontre que seule la situation
du patient a été prise en compte et conforte l’idée d’une responsabilité indemnitaire. Ici, c’est
davantage le dommage réalisé qui est pris en considération. La mort ou l’aspect gravissime du
dommage oblige à indemniser. Les fondements de la responsabilité sont donc inversés.
Dans un arrêt très remarqué du 3 novembre 1997 499 , le Conseil d’Etat a fait une
application souple de l’arrêt Bianchi en appliquant ses conditions à une anesthésie générale
pratiquée lors d’une intervention chirurgicale dépourvue de fin thérapeutique. En effet, il
faisait droit à la demande d’indemnisation d’une mère à la suite du décès de son fils causé par
l’anesthésie générale préalable à une circoncision pour un motif rituel, donc de convenance
purement personnelle. Cet arrêt marque d’un part un glissement par rapport à la solution de
l’arrêt Bianchi. Secondement, il est notable de remarquer qu’il a été rendu dans une affaire de
médecine que dite de confort, c’est-à-dire à l’occasion d’un acte médical sans visée
thérapeutique. En conséquence, la responsabilité du médecin semble être renforcée. Cela
s’observe de manière générale dans l’ensemble de la responsabilité médicale, notamment dans
la responsabilité des chirurgiens esthétiques. L’assouplissement des conditions de l’arrêt
Bianchi en l’espèce pouvait donc s’expliquer par le fait que l’acte médical n’était pas
thérapeutique.
Cependant, dans le droit fil de cette décision, la Cour administrative de Nancy a, par un arrêt
du 29 janvier 1998500, indemnisé les ayants droits d’une patiente décédée à la suite d’une
césarienne pratiquée sous anesthésie générale. De la même manière, la cour administrative
499
C.E., 3 nov. 1997, Rec. CE, p. 412 ; Gaz. Pal. 1998, 1, p. 1, note J. Bonneau ; JCP G 1998, II, 10016, note J.
Moreau ; P.A. 9 janv. 1998, n° 4, p. 16, PA Lecocq ; J. Guigue et Cl. Esper, La responsabilité du fait
anesthésique, Gaz. Pal., 23-24 oct. 1998, n° spécial Droit de la santé, n° 3 ; AJDA 1997, p. 1016, chron. Girardot
et Raynaud ; D. 1998, jur. p. 146, note Ph. Chrestia.
500
CAA Nancy,29 janv. 1998, Juris-Data n° 041930.
- 163 -
d’appel de Bordeaux501 a jugé que, dans le cas d’une personne hospitalisée qui avait subi une
opération de réimplantation hépato-rénale droite à l’occasion de laquelle elle était décédée,
que, s’agissant d’une thérapeutique nouvelle d’application récente dont les conséquences
n’étaient pas entièrement connues, les complications exceptionnelles et anormalement graves
subies par la victime engageaient, même en l’absence de faute, la responsabilité du service
public hospitalier. L’argument de l’acte de confort ne tient dès lors plus. Plus
vraisemblablement, les conditions sévères de la responsabilité médicale dans les actes de
confort tendent à s’étendre aux actes à portée thérapeutique. Ce que l’on peut observer est
qu’en ce cas, cette solution s’applique dans l’hypothèse où le résultat produit est
particulièrement grave, c’est-à-dire lorsque le patient est décédé ou subi un invalidité
importante.
Cette différence de traitement entre les patients du secteur privé et du secteur public
médical conduisait à s’interroger sur l’indemnisation par la Cour de cassation des accidents
non fautifs 502 . Certaines juridictions admettaient l’indemnisation du patient sur la base de
l’aléa thérapeutique 503 . Mais, par un arrêt du 8 novembre 2000 504 , la haute juridiction
marquait sa volonté de ne pas généraliser le principe de la responsabilité sans faute, fondée
sur une obligation de sécurité résultat. Cette solution était confirmée par une décision de la
première chambre civile du 27 mars 2001505. Dans ces deux arrêts, la Cour de cassation a
affirmé que « la réparation des conséquences de l’aléa thérapeutique n’entre pas dans le
champ des obligations dont un médecin est contractuellement tenu à l’égard de son patient ».
La jurisprudence renvoyait à la loi, la question du règlement de l’aléa thérapeutique506.
Finalement, la loi du 4 mars 2002 a réaffirmé le principe d’une responsabilité pour faute, avec
deux exceptions à ce principe concernant les produits de santé et les infections
nosocomiales507. Il résulte des termes des deux premiers aliénas de l’article L. 1142-1, I, du
501
CAA Bordeaux, 14 déc. 1998, Juris-Data n° 048126.
V. Ch. Radé, L’harmonisation des jurisprudences judiciaire et administrative en matière de responsabilité
médicale : réflexions sur la méthode, Resp. civ. et assur. 2000, chron. 17. – E. Gouesse, Réflexions sur l’aléa
thérapeutique et son indemnisation, P.A. 25 janv. 2000, p. 10 – P. Sargpos, L’aléa thérapeutique devant le juge
judiciaire, JCP G 2000, I, 202.
503
V. pour une synthèse sur l’évolution jurisprudentielle de la prise en compte de l’aléa thérapeutique : S.
Welsch, La responsabilité du médecin, Litec, 2e éd. 2002, p. 301et s.
504
Cass. 1re civ., 8 nov. 2000, Bull. civ. I, n° 287 ; JCP G 2001, II, 10493, rapp. P. Sargos, note F. Chabas ; JCP
G 2001, I, 340, n° 19s. , obs. G. Viney ; Resp. civ. et assur. 2000, comm. 375 ; RTD civ. 2001, p. 154, obs. P.
Jourdain ; Y. Lambert-Faivre, D. 2001, chron. p. 570 ; Contrats conc. consom. 2001, comm. 3, obs. L. Leveneur.
505
Cass. 1re civ., 27 mars 2001, Bull. civ. I, n° 86 ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. 196, chron. 13 par Ch. Radé.
506
V., notamment en ce sens P. Sargos, rapport sous l’arrêt du 8 novembre 2000, préc. JCP G 2001, II, 10493.
507
L’article L. 1142-3 du CSP, issu de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique,
précise l’existence d’une autre exception au principe de la responsabilité médicale. Celle vie la faute admise
502
- 164 -
Code de la santé publique que la responsabilité des médecins (et des établissements de santé)
est engagée de plein droit lorsqu’elle est encourue en raison du défaut d’un produit de
santé508, et que les établissements sont responsables de plein droit des dommages résultant
d’infections nosocomiales.
La loi du 4 mars 2002 a consacré la jurisprudence de la Cour de cassation en matière
de produits de santé défectueux 509 . Le produit est défectueux lorsqu’il ne présente pas la
sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. D’une manière générale, le médecin est
tenu à une obligation de sécurité résultat du fait des choses510. On considère que l’absence
d’aléa liée au fonctionnement d’un matériel médical et la notion de nécessaire sécurité qui
doit s’y attacher justifie la mise en place d’une obligation de résultat511. Sont responsables, à
la condition d’être des professionnels, les producteurs512 mais aussi le fournisseur, donc le
médecin 513 . En effet, ce dernier ou l’établissement de santé sont rarement le fabricant du
produit de santé administré au patient mais en sont le plus souvent le simple fournisseur. Mais
la loi du 19 mai 1998514, sans être contredite sur ce point par l’article L. 1142-1, I, du code de
la santé publique, assimile tout fournisseur professionnel au producteur et le déclare
responsable du défaut du produit dans les mêmes conditions que ce dernier. La
depuis une loi de 1988, en matière de recherche biomédicale. Elle ne sera pas étudiée, celle-ci ne s’appliquant
pas au médecin soignant.
508
La notion de produit de santé est entendue très largement par la loi. Elle recouvre les médicaments et autres
produits visés par l’article L. 5311-1 du code de la santé publique, les produits et éléments du corps humain et
sans doute plus généralement tous les produits utilisés dans le cadre d’une activité de santé pourraient être
qualifiés de produits de santé par destination.
509
V. pour de plus amples développements, S. Hocquet-Berg, Responsabilité médicale sans faute, Juris-Classeur
civil, art. 1382 à 1386, Fasc. 440-60., 2004, n° 6 et s. – Ph. Pierre : Lamy, droit de la responsabilité, La
responsabilité des professionnels du faits des produits de santé, étude 407.
510
L’obligation de sécurité de résultat serait cependant en recul. La jurisprudence tend à cantonner dans
d’étroites limites ce type d’obligation. V. sur cette évolution jurisprudentielle, S. Hocquet-Berg, Responsabilité
médicale sans faute, Juris-Classeur civil, article 1382 à 1386, fasc. 440-60, 2004, n° 2 et s. ; C. Borgas-Bernard,
Chronique de jurisprudence de responsabilité civile médicale, Méd. & droit 2006, (25-34), spéc. n° 3.1.
511
Cette obligation existait en matière de responsabilité délictuelle(art. 1384-1 du Code civil). Elle a été étendue
à la matière contractuelle.
512
Le producteur recouvre les fabricants de produits pharmaceutiques, les organismes prélevant les éléments et
produits issus du corps humain en vue de leur distribution auprès des organismes tels les établissements
hospitaliers, les professionnels de santé, les laboratoires etc.…ainsi que toutes personnes apparaissant sur
l’étiquetage d’un produit.
513
Toutefois, lorsque le dommage est imputable à une réaction allergique ou à une intolérance particulière du
patient au produit administré, le produit ne saurait être considéré comme ne présentant pas la sécurité à laquelle
on peut s’attendre. En ce sens, il a pu être jugé que la responsabilité professionnelle d’un médecin anesthésiste
n’est pas engagée du fait d’un accident mortel survenu à un patient suite à une allergie au produit utilisé dès lors
que rien ne pouvait laisser présager une telle allergie chez ce patient (CA Douai, 21 nov. 2001, Juris-Data n°
2002-222920).
514
Loi n° 98-389 du 19 mai 1998, JO 21 mai 1998, dont les règles ont été insérées aux articles 1386-1 à 1386-18
du code civil sous un titre IV bis du livre III intitulé « De la responsabilité du faits des produits défectueux ».
- 165 -
seule « indulgence » tient à l’existence d’un recours du fournisseur contre le producteur à la
condition de pouvoir l’identifier.
Ces solutions apparaissent aujourd’hui remises en cause dans la mesure où la France a été
condamnée pour avoir mal transposé la directive du 25 juillet 1985 relative aux produits
défectueux 515 . La CJCE précisait que
la directive ne retenait la responsabilité des
distributeurs qu’à titre subsidiaire, et non comme l’énonçait la législation française à égalité
avec celle des fournisseurs. Le gouvernement s’est engagé à réformer les dispositions du
Code civil en ce sens516. Toutefois il n’est pas certain qu’une telle intervention législative sera
de nature à écarter la responsabilité de plein droit des professionnels et établissements de
santé qui fournissent des produits de santé défectueux au patient dans la mesure où cette règle
découle de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique qu’une éventuelle modification de
l’article 1386-7 du Code civil ne peut atteindre. La responsabilité de plein droit du médecin
sera donc encore engagée parce que les règles du Code civil sont plus protectrices du patient.
Cette démarche démontre la sévérité de la jurisprudence à l’égard des médecins, qui devraient
pourtant être protégés ici par la loi. Par souci d’indemnisation, parce que l’on estime que la
médecine, même en l’absence de faute, ne saurait être « à la source » d’un dommage, le
médecin engage sa responsabilité.
Il n’y a plus de place en droit de la responsabilité médicale au hasard, la malchance ou
à la fatalité. Tout dommage doit être réparé. La mort d’un patient, même en l’absence de faute
due à l’intervention de la médecine, n’est plus tolérée. On ne peut que souligner cette
évolution. Alors que la médecine est de plus en plus efficace, on est de moins en moins
tolérant avec elle. Pour échapper à sa responsabilité, les médecins ne pourront viser que les
causes classiques d’irresponsabilité : la force majeure, le fait d’un tiers ou la faute de la
victime, mais souvent avec peu de succès. Cette propension s’est d’autant mieux exprimée
dans le cas d’infections nosocomiales517.
515
CJCE 25 avr. 2002, aff. C-52/00, D. 2002, p. 2462, note Ch. Larroumet ; RTD civ. 2002, p. 523, obs. P.
Jourdain ; JCP G 2002, 1, 177, obs. G. Viney ; cf. Ch. Laporte, Responsabilité du fait des produits défectueux :
La France condamnée, Contrats conc. Consom. 2002, chron.20.
516
Rép. Min. 6 janv. 2004 à question n° 12022, J.O. 6 janv. 2004, p. 147, art. 21 bis du projet AN n° 1870 de la
loi de simplification du droit.
517
V. pour un traitement approfondi de la question : S. Hocquet Berg, Responsabilité médicale sans faute, J.-CL
civil, Art. 1382 à 1386, fasc. 440-60., 2004, n° 58 et s.
- 166 -
2- L’exemple des infections nosocomiales
Ces infections sont responsables du décès de 4000 personnes en France chaque
année
518
. Elles sont devenues un important enjeu de santé publique 519 . Il s’agit de toute
maladie provoquée par des micro-organismes, contractée dans un établissement de soins par
tout patient après son admission, soit pour son hospitalisation soit pour y recevoir des soins
ambulatoires, que les symptômes apparaissent lors du séjour à l’hôpital ou après que
l’infection sera reconnaissable aux plans cliniques ou microbiologiques, données sérologiques
comprises, ou encore les deux à la fois. Il s’agit des infections qui étaient absentes à
l’admission à l’hôpital520. Les pouvoirs publics sont régulièrement intervenus pour organiser
la lutte contre ces infections521. Plus vraisemblablement, elles sont le fait d’une hospitalisation
et entraîneront la responsabilité de l’établissement. La notion d’infection nosocomiale fut
consacrée par la loi du 1er juillet 1998522 et la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 prévoit
que les infections nosocomiales ayant généré des dommages graves, sont indemnisées par
l’ONIAM au titre de la solidarité nationale. Toutefois, pour ne pas déresponsabiliser les
établissements de santé, l’ONIAM possède un recours subrogatoire contre l’assuré
responsable de l’infection nosocomiale en cas de faute établie à l’origine du dommage.
Si la solution législative exclut de la responsabilité de plein de droit les médecins en
cas d’infections nosocomiales, pour ne retenir leur responsabilité qu’en cas de faute, la
518
On évoquait encore récemment le chiffre de 10.000 morts par an. V. J.-B. Baillière, Infections nosocomiales
bactériennes, La revue du Praticien, n° 16, 1989 ; La recherche, Les infections à l’hôpital, 26 juin 1994, n° 266,
vol. 25, p. 702. – P. Sargos La doctrine de la Cour de cassation en matière d’infection nosocomiale, Méd. &
droit, 1999, n° 35, p. 34 ; Le Quotidien du médecin, 15 juin 1999, p. 14 et 6 juill. 1999, p. 16.
519
P. Sargos, La doctrine de la Cour de cassation en matière d’infection nosocomiale : Méd. & droit, 1999, n°
35, p. 34.
520
Circulaire du 13 octobre 1988, n° 88-263 – BP 88/45 du ministre de la solidarité, de la santé et de la
protection sociale, élargie en 1992 par la Conseil supérieur d’hygiène publique en France. Les infections dites
nosocomiales peuvent donc avoir soit une origine exogène – transmises d’un malade à l’autre par les mains ou
les instruments de travail du personnel médical, par les germes portés par le personnel ou liés à la contamination
de l’environnement hospitalier – soit une origine endogène : le malade s’infecte avec ses propres germes à la
faveur d’un acte médical invasif ou en raison de sa fragilité.
521
Sans être exhaustif, D. n° 88-657 du 6 mai 1988, J.O. 8 mai 1998, p. 6714, depuis abrogé par le décret n° 991034 du 6 décembre 1999 relatif à l’organisation de la lutte contre les infections nosocomiales dans les
établissements de santé et modifiant le chapitre 1er du titre Ier du livre VII du code de la santé publique, J.O. 11
déc. 1999, p. 18439 – D. du 16 mars 1995 relatif aux dispositifs médicaux – D. n° 96-32 du 15 janv. 1996 relatif
à la matériovigilance . Ces textes sont aujourd’hui codifiés sous les articles L. 5211-1 et s. du Code de la santé
publique. – Circulaire DGS/DH 98/249 du 20 avril 1998 relative à la prévention de la transmission d’agents
infectieux véhiculés par le sang ou les liquides biologiques lors des soins – Circulaire du 20 octobre 1997 DGS/
VS2 – DH/EM1/E01, n° 97-672 relative à la stérilisation des dispositifs médicaux. – D. n° 2001-671 du 26 juillet
2001, codifié sous les articles R. 711-1-11 et s. du Code de la santé publique, organise l’obligation de
signalement des infections nosocomiales.
522
Loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité
sanitaire des produits destinés à l’homme.
- 167 -
jurisprudence n’avait pas retenu cette solution. L’article 71 du Code de déontologie médicale
impose au médecin de « veiller à la stérilisation et à la décontamination des dispositifs
médicaux qu’il utilise et à l’élimination des déchets médicaux selon les procédures
réglementaires ». L’article 49 de ce même code lui fait devoir de tout mettre en œuvre pour
assurer les règles d’hygiène et prophylaxie. D’une façon générale, les textes affirment
l’obligation pour les professionnels (et les structures de soins) d’assurer la sécurité des
patients vis-à-vis du risque infectieux. Les tribunaux prenant la mesure du problème ont
d’abord mis en place une obligation de moyens du médecin523 en partant initialement d’une
appréciation stricte de la faute d’asepsie, puis en mettant en place une présomption de
responsabilité524. La jurisprudence a encore évolué et a consacré une obligation de résultat qui
s’impose tant aux établissements de soins qu’aux médecins525. Dans son rapport, le conseiller
P. Sargos a justifié cette sévérité par le devoir d’asepsie auquel est également tenu le médecin
et sur son indépendance professionnelle, qui lui interdit de s’abriter derrière l’action ou
l’inaction de l’établissement.
Par un arrêt du 13 février 2001, la haute juridiction exposait que le médecin est tenu
d’une obligation de sécurité résultat en matière d’infection nosocomiale consécutive à un acte
médical réalisé dans un établissement de santé ou « dans son cabinet »526. Ainsi les médecins
comme les établissements de santé étaient tenus d’une obligation de sécurité résultat en
matière d’infection nosocomiale. Ils ne pouvaient s’exonérer de cette obligation que par la
démonstration d’une cause étrangère, la seule preuve du respect de la réglementation en
matière d’asepsie et donc d’absence de faute n’étant pas suffisante. Le patient se devait
523
Cass. 1re civ., 28 févr. 1984, Bull. civ. I, n° 77 . – 9 oct 1985, Bull. civ. I, n° 250. – 9 Déc. 1986, Bull. civ. I, n°
290 – 29 nov. 1989, Bull. civ. I, n° 366. La jurisprudence administrative est en la matière bien plus ancienne : CE
18 nov. 1960, Rec. CE, p. 640 . – CE 9 déc. 1988, Rec. CE p. 431, AJDA 1989, p. 405, note J. Moreau. – CE 1re
mars 1989, Rec. CE, p. 908. V. C. Clément, La responsabilité des établissements de santé du fait des infections
nosocomiales, P.A. 2 sept. 1999, n° 175, p. 12. – TA Rouen, 17 août 2001, J. Goldenberg, infections
nosocomiales : responsabilité pour faute présumée ou pour faute prouvée, P.A., 11 mars 2002, n° 50, p. 14.
524
P. Sargos, préc. n° 46. – Cass. 1er civ., 21 mai 1996, Bull. civ. I, n° 219 ; Gaz. Pal. 1996, pan. p.185 ; RTD
civ. 1996, p. 913, obs. P. Jourdain ; H. Groutel, La responsabilité des cliniques en cas d’infections contractée par
un patient, Resp. civ. et assur. 1996, n° 29. – Cass. 1re civ., 16 juin 1998, Bull. civ. I, n° 210, p. 144 ; JCP G
1998, IV, n° 2807, p. 1564. – Cass. 1re civ. , 7 juill. 1998, Juris-Data n° 003299.
525
Cass. 1re civ., 29 juin 1999, JCP G 1999, II, 10138, rapp. Sargos. – F. Vialla, L’obligation de sécurité résultat
du médecin en matière d’infection nosocomiale ou le retour du staphylocoque doré, Méd. & droit, 1999, n° 3, p.
4., H. Groutel, l’infection nosocomiale dans le secteur privé : un revirement de jurisprudence exemplaire, Resp.
civ. et assur. 6 oct. 1999, p. 6 ; note D. Thouvenin, D. 1999, n° 38, jur. p. 559. – C. Clément, La responsabilité
des établissements de santé du fait des infections nosocomiales, P.A. n° 175, 2 sept. 1999, p. 12 ; Y. Lachaud,
L’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’infection nosocomiale, Gaz. Pal. 29-30 oct.
1999, p. 3.
526
Cass. 1re civ., 13 fév. 2001, Dr. et patrimoine 2001, n° 95, p. 105, obs. F.C. ; F. Chabas, Les infections
nosocomiales – responsabilité en droit privé et en droit public, Gaz. Pal. 21-23 avr. 2002, p. 3
- 168 -
toutefois de démontrer que son infection était due à son séjour dans l’établissement et qu’elle
était de nature nosocomiale527. Il n’est point à douter que c’est l’ampleur et la gravité du
problème posé par les infections nosocomiales qui ont guidé la solution jurisprudentielle. On
a fait peser sur le médecin le risque de son activité. D’une part, cela s’explique parce que,
d’une façon générale, le médecin n’est plus protégé de ce risque. Il faut comprendre
qu’auparavant on estimait qu’il existait une certaine fatalité dans la science, une part
d’inconnu, une part de chance. Désormais le hasard ne devra plus toucher le patient. Cette
solution a été facilitée par l’image « décontractée » « décomplexée » qu’est celle du médecin.
D’autre part, cela s’explique aussi sûrement par le risque mortel important dû aux infections
nosocomiales. L’ampleur du problème est lié au dommage grave qu’il cause. L’approche
aurait sans doute était différente s’il n’avait été question que d’un désagrément de l’activité
médicale subi par le patient. Finalement « la raison proportionnée » applicable à toute
intervention voit s’ajouter une donnée celle du risque nosocomiale. Cependant, cette règle
d’asepsie d’abord non particulière, produisant des dommages trop grand, elle a été désormais
dissociée. Il convient d’assurer le risque mortel, même sans faute médicale. Le médecin en
sera donc responsable. Cela confirme l’approche consumériste de l’activité médicale. Elle est
désormais perçue comme une activité comme une autre. Là où, dans les siècles précédents, il
fallait admettre les risques inhérents à la médecine, ce fatum est aujourd’hui rejeté.
La loi du 4 mars 2002, complétée par la loi du 30 décembre 2002, va confirmer le
principe d’une obligation de sécurité résultat telle que dégagée par la jurisprudence mais en a
limité l’application aux seuls établissements de soins, à l’exclusion des médecins qui sont
désormais soumis à un régime de responsabilité pour faute 528 . Devant les juridictions
administratives, la responsabilité est celle du service et le médecin, sauf faute personnelle
détachable, n’est pas en cause en cas d’infection nosocomiale. La jurisprudence sus-visée a
donc été battue en brèche par la loi. Mais il ne peut être qu’à nouveau constaté la particulière
sévérité de celle-ci à l’égard des médecins. Le praticien, protecteur de vie, n’a pas droit à
l’erreur et à donner la mort. Pire, il est responsable sans faute. Le droit ne tolère plus la marge
d’erreur ancienne de la médecine. Celle-ci n’est plus un service particulier mais doit être un
service plus qu’efficace dans lequel la mort n’a pas sa place.
527
Cass. 1re civ. 27 mars 2001, Dr. et patrimoine 2001, n° 95, p. 106, note F. Chabas ; JCP G 2001, 146 p. 1182,
note C. Byk ; D. 2001, IR, p. 1284.
528
Art. L. 1142-1-I, alinéa 2, du CSP. – la loi du 30 décembre 2002 pour l’application de la loi dans le temps.
Ce dispositif s’applique aux accidents survenus au plus tôt six mois avant la publication de la loi, soit à compter
du 5 septembre 2001.
- 169 -
Le renforcement de la responsabilité médicale par une responsabilité sans faute s’est
également exprimé dans la responsabilité pour faute. La jurisprudence a en effet assoupli les
conditions de cette responsabilité.
§II- Les conditions de la responsabilité médicale
Pour engager la responsabilité du médecin, il faudra démontrer que ce dernier a
commis une faute (A) en lien de causalité avec le décès de son patient (B).
A - La faute médicale mortelle
La responsabilité médicale est d’abord une responsabilité pour faute. Le médecin est
susceptible de commettre deux types de faute de nature à engager sa responsabilité ou celle de
l’établissement dans lequel il exerce. Il peut tout d’abord commettre un faute d’éthique
médicale consistant en la méconnaissance des principes éthiques et déontologiques régissant
les rapports entre le médecin et son patient. Le médecin peut aussi commettre une faute de
technique médicale, consistant en une méconnaissance des normes scientifiques régissant la
profession médicale. Celles-ci sont communes au système judiciaire et administratif. La loi du
4 mars 2002 n’a pas défini la faute. Les critères d’appréciation dégagés par la jurisprudence
tant judiciaire qu’administrative gardent tout leur intérêt. La jurisprudence postérieure à la loi
nouvelle a d’ailleurs rappelé son attachement à la faute529. A priori, le dommage causé par
cette faute est indifférent à ce stade. Pourtant la survenance de la mort semble changer cette
approche. La mort suggère la faute. Dans la faute mortelle, le dommage crée la faute. Cette
mutation apparaît s’être opérée jusque dans les spécialités médicales les plus difficiles et ce
quelle que soit la nature de l’acte médical.
1- L’appréciation de la faute médicale
Le médecin bénéficie par principe d’une liberté totale dans le choix du traitement qu’il
met en œuvre pour le patient. Ce choix est une liberté fondamentale : c’est le principe de la
529
Cass. 1re civ., 4 janv. 2005, Resp. civ. et assur. 2005, comm. 102 : La responsabilité du médecin est
subordonnée à la preuve d’une faute commise dans l’accomplissement de l’acte médical. Dès lors, en retenant la
responsabilité du défendeur sur le fondement d’une obligation de sécurité et de résultat, fût-elle qualifiée
d’accessoire à une obligation de moyens, la cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil.
- 170 -
liberté thérapeutique ou de prescription du médecin530. L’article 8 du code de déontologie
médicale précise que la liberté de prescription dont jouit le médecin s’exerce « dans les
limites fixées par la loi ». Différents textes imposent au médecin la pratique de certains actes.
C’est notamment le cas lorsque le médecin doit dresser un constat de mort préalablement à un
prélèvement d’organes531. L’activité médicale est donc d’abord, malgré la science médicale,
régit par la loi. Celle-ci fixe des bornes, des limites. Pour protéger la vie face à un médecin
pressé, le constat de mort répond à des exigences légales précises. L’action du médecin reste
donc limitée par la loi. S’il ne respecte pas les prescriptions légales, indifféremment de la
situation médicale, le médecin engage sa responsabilité. Dans le constat de mort, la mort n’est
pas un dommage au sens juridique du terme, elle est un fait, mais son importance implique
son encadrement par la loi. L’action du médecin se résume le plus souvent à la constater. On
imagine difficilement une faute, une malveillance du médecin. Le constat de mort est
cependant entouré de beaucoup de solennités. Le rôle du médecin est très encadré alors qu’il
n’est pas thérapeutique, même si la mort du patient peut se révéler utile. Ce prélude explique
l’importance de la mort. Il explique peut-être un peu déjà la responsabilité du médecin lorsque
cette fois le médecin est à l’origine du dommage, de la mort.
Appréciée abstraitement, la faute médicale peut être commise dans toutes les phases de
l’acte médical : à l’occasion de l’information du malade en passant par le diagnostic, le choix
des explorations et des traitements ou encore à l’occasion de la surveillance post-opératoire du
malade532. Lorsqu’un dommage se produit, une seule question se pose alors : l’acte médical
réalisé est-il susceptible d’être qualifié de faute c’est-à-dire être non conforme aux données
acquises de la science533 ?
530
Ce principe est affirmé par l’article 8 du Code de déontologie médicale, lequel dispose : « Dans les limites
fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions, qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la
circonstance ». Il est repris par l’article L. 162-2 du Code de la sécurité sociale qui prévoit : « Dans l’intérêt des
assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et
morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre
choix du médecin par le malade, la liberté de prescription, le secret professionnel, le paiement direct des
honoraires par le malade, la liberté d’installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur à la date de
promulgation de la loi n° 71-525 du 3 juillet 1971 ». Certains auteurs estiment que sa valeur « est celle des
principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, au sens que le Conseil Constitutionnel accorde à
cette expression » (G. Mémeteau, Traité de droit médical, Les études. Hospitalières, 1997, n° 101). Le Conseil
d’Etat affirmait pour sa part que, tant le principe de la liberté de choix du médecin par le patient que le principe
de la liberté de prescription font partie des principes généraux du droit (CE, 18 févr. 1998, Juris-Data n° 1998050217 ; RFD adm. 1999, p. 47, note M. Joyau. – V. également CE 19 avr. 1999, RFD adm. 1999, p. 600,
comm. D. Truchet).
531
C.S.P., art. R. 1232-1.
532
Ces différentes fautes sont communes aux droits civil et administratif.
533
Solution retenue par l’arrêt Mercier, précité. E. Savatier, S. Porchy-Simon, Responsabilité médicale,
Responsabilité pour faute de technique médicale, J.-Cl. civil et assur., art. 1382 à 1386, fasc. 440-40, 2002, n° 4.
- 171 -
À la lumière de la définition des différentes étapes du chemin médical, il est loisible
d’observer que la mort est présente, qu’elle est un risque, qu’elle est potentielle. Ainsi, par
exemple, le diagnostic se définit traditionnellement comme «l’acte par le quel le médecin,
groupant les symptômes morbides qu’offre le malade, les rattache à une maladie ayant sa
place dans le cadre nosologique » 534 . L’adjectif morbide rappelle la présence de la mort.
Pourtant, cette potentialité, quel que soit l’acte médical semble avoir été occultée. D’une
façon générale, la responsabilité médicale n’a fait que se renforcer. Cette responsabilité est
d’autant plus importante que l’acte médical réalisé ne l’a été qu’à des fins de confort. Perçue
comme un service, la médecine ne peut être faillible. Logiquement, c’est donc dans les
spécialités de confort que la responsabilité est la plus importante et la plus sévère. Lorsque la
mort ou un dommage d’une extrême gravité survient, cette responsabilité est encore
davantage renforcée. Là plus qu’ailleurs, le dommage suppose la faute. Lorsque ce dernier est
la mort, il l’affirme puisque le patient n’était pas a priori malade. Ainsi une jeune femme de
22 ans avait subi une opération esthétique de pure convenance personnelle, à la suite de
laquelle elle devait rester en état végétatif. Si l’opération avait été réalisée conformément aux
données acquises de la science, le risque réalisé étant exceptionnel, la Cour de cassation, par
un arrêt du 10 décembre 2002, a considéré que le chirurgien esthétique avait manqué à son
obligation d’information. Le praticien était considéré comme responsable d’un IPP à 90%535.
Elle est également celle retenue par l’ordre administratif : V. par exemple, CAA Lyon, 18 sept. 1997, Mme
Bonnelli, req. n° 95 LY01107 ; CAA Bordeaux, 2e ch. , 15 févr. 1999, CHRU de Toulouse c/ Cauhape, JurisData n° 041320. Un mouvement jurisprudentiel particulièrement sévère à l’encontre des médecins a entendu
faire référence non plus aux données acquises de la science mais aux données actuelles. Celles-ci s’entendent des
données connues mais qui n’ont pas subi l’épreuve du temps. Ces données sont celles qui précèdent
chronologiquement les données acquises de la science. Cette jurisprudence était très exigeante quant aux
connaissances et à la formation continue du médecin, ce dernier devant maîtriser les toutes dernières
connaissances scientifiques. Elle avait sans doute l’intention louable de faire bénéficier au patient la meilleur
technique possible. La Cour de cassation mettait cependant fin à cette dernière par un arrêt de principe du 6 juin
2000(Resp. civ. et assur. 2000, comm. 303 ; JCP G 2001, II, 10447, note G. Mémeteau ; P.B., Méd. & Droit
2000, 44, 18-20, n° 2 ; Juris-Data n° 2000-002337), condamnant définitivement et très clairement la référence
aux données actuelles de la science. Cette solution mérite d’être approuvée. La distinction entre données
« actuelles » et « données acquises » se fonde sur la durée d’utilisation d’une nouvelle technique et la
reconnaissance de l’efficacité de celle-ci par une proportion significative des membres de la communauté
scientifique. Or beaucoup de techniques prometteuses ont, par le passé, été abandonnées au bout de quelques
années, les résultats finalement obtenus n’étant pas probants. Dès lors, reprocher à un médecin de ne pas
employer la méthode la plus récente aurait le double inconvénient de susciter des débats infinis entre les experts
et d’exposer les médecins à une motivation des jugements très sévères, qui serait démentie si l’état de la science
évolue dans une autre direction. On ne saurait en effet, et en tous les cas, reprocher au médecin la
méconnaissance de techniques médicales inconnues à l’époque de son intervention (Cass. 1re civ., 12 nov. 1985,
Bull. civ. I, n° 299. – 6 juin 2000, préc. – 20 juin 2000, Juris-Data n° 2000-002490 ; Resp. civ. et assur. 2000,
comm. 304 ; Bull. civ. I, n° 192).
534
Dictionnaire des termes de techniques médicales de médecine, Maloine, 20e éd.
535
Cass. civ. 1ere, 10 déc. 2002, pourvoi n° 01-10752. De la même manière, pour un défaut d’information, v.
Cass. civ. 1, 29 oct. 2002, pourvoi n° 01-10311. Le patient se trouvait également dans un état végétatif suite à
- 172 -
Cette espèce est représentative de ce qui peut se trouver en jurisprudence. Ce simple défaut
d’information sur un risque exceptionnel rend le médecin responsable et ce pour une manque
de chance de survie de 90%. Est-ce à dire que la jeune femme en question aurait renoncé à
son opération si elle en connaissait le risque exceptionnel qui s’est malheureusement réalisé ?
Le plus surprenant reste le taux de reconnaissance de la responsabilité du médecin.
L’obligation d’information s’est particulièrement renforcée. Les justiciables n’hésitent plus,
quelles que soient les circonstances, à chercher à engager la responsabilité du médecin. Ainsi,
par un arrêt du 21 janvier 2003, la Cour de cassation refusait d’engager la responsabilité du
médecin, estimant que la patiente avait été dûment informée des risques mortels encouru du
fait de l’option thérapeutique choisie. Ce qui est surprenant dans cette espèce n’est pas la
relaxe du médecin mais l’action intentée par la famille. En effet la patiente n’a effectivement
pas survécu à l’investigation pratiquée. Celle-ci était la meilleure option thérapeutique pour
espérer prolonger sa vie. Cette patiente avait en conscience acceptée les risques encourus. Elle
est décédée à 82 ans ! Cet âge avancé ne permet donc pas aux médecins d’espérer plus de
compréhension et de raison dans les rapports médecin-patient et les proches. Lorsque la mort
survient, elle est nécessairement due à une faute. Seule la mort non médicale est aujourd’hui
naturelle. La sévérité de la jurisprudence à l’égard de la médecine de confort peut se
comprendre. Il existerait donc deux responsabilités médicales. Cette conclusion doit être
immédiatement démentie. Les principes retenus pour des morts survenues à l’occasion d’actes
non thérapeutiques s’appliquent ensuite pour des actes thérapeutiques auprès de patients
malades.
Il est vrai que, quel que soit l’âge du patient, le médecin peut commettre une faute
entraînant la mort du malade. En conséquence, le médecin engage sa responsabilité. Ainsi la
faute de technique médicale peut résulter de l’absence de toute indication de posologie, le
patient étant décédé d’un œdème cérébral en raison d’une trop grosse quantité de sérum
glucosé injecté536. Cependant, cette responsabilité semble plus facilement engagée lorsque le
dommage causé est grave, c’est-à-dire particulièrement invalidant ou mortel. De plus, il ne
semble pas être tenu compte d’impératifs médicaux ou de la difficulté présentée, seule la force
majeure ou l’état du patient semblent exclure la responsabilité du médecin. Ainsi la faute
médicale susceptible d’être commise par le médecin libéral ou hospitalier peut être une erreur
une opération cette fois nécessaire. Si la faute pour défaut d’information était retenue, la responsabilité du
médecin n’était pas engagée pour défaut de lien de causalité avec le dommage.
536
Cass. Crim., 28 mai 1997, Juris-Data n° 1997-003526 ; Resp. civ. et assur. 1998, comm. 23.
- 173 -
sur l’intervention projetée, s’il commet une maladresse dans le geste médical qu’il accompli,
enfin s’il oublie un corps étranger dans le corps du patient. Le médecin commet une faute si, à
la suite d’une négligence, le patient est placé dans une mauvaise position pendant l’exécution
de l’acte médical. Le domaine de prédilection d’une telle faute est évidemment l’acte
chirurgical. Le professeur J. Penneau fait cependant remarquer que, « pour qui a fréquenté
suffisamment les salles d’opération, la qualification de faute est aberrante » car le choix de la
position se fait en fonction des impératifs de la technique opératoire, impératifs auxquels on
ne peut se dérober et qu’il n’est pas question de transgresser si l’on veut procéder à
l’intervention dans des conditions satisfaisantes
537
». Pour autant, la jurisprudence retient
l’existence d’une faute de technique médicale lorsque la position adoptée a eu des
conséquences dommageables538.
La maladresse dans le geste médical est à l’origine du plus grand nombre d’exemples
de décès539. La maladresse peut consister à pratiquer une opération chirurgicale incomplète540.
Elle consiste le plus souvent en une maladresse dans le geste de technique accompli, de sorte
que l’acte médical crée un nouveau dommage au patient au lieu de le soulager541. C’est le cas
par exemple lorsque le médecin cause une hémorragie mortelle en perçant l’artère sous
Clavière gauche de son patient au cours d’une opération chirurgicale542 ou lorsque le praticien
fracture le crâne d’un nouveau né en raison d’une maladresse dans l’utilisation d’un
forceps 543 . Si, comme tout professionnel, le médecin doit être précis, consciencieux et
posséder une dextérité certaine, on reste surpris, du fait de la difficulté de l’art, de la sévérité
537
J. Penneau, Faute et erreur en matière de responsabilité médicale, LGDJ 1973, p. 332.
Cass. 1re civ. , 29 oct. 1968, Bull. Civ. I, n° 252 ; JCP G 1969, II, 15799, note R. Savatier. – Cass. 1re civ., 18
juill. 1983, Bull. Civ. I, n° 209 ; JCP G 1984, II, 22248, note F. Chabas. – Cass. 1re civ., 26 mai 1999, JCP G
1999, II, 10112, rapp. Sargos ; D. 1999, jurispr. p. 720, note E. Savaiter. – Cass. 1re civ., 9 oct. 2001, Juris-Data
n° 2001-00111237.
539
Y. Lambert-Faivre, Droit du dommage corporel, Précis Dalloz, 4e éd. 2000, n° 584, p. 691 : L’exactitude du
geste chirurgical constitue une obligation déterminée de sécurité évidente …l’inattention la maladresse … l’oubli
… constituent autant de fautes que le paradigme du chirurgien habile et consciencieux et attentif ne saurait
commettre.
540
Cass. 1re civ., 26 mars 1996, Juris-Data n° 1996-001275.
541
Cass. 1re civ., 29 juin 1977, Bull. civ. I, n° 242. – CE, 18 févr. 1987, Rec. CE, p. 929. – CE, 11 mars 1988 :
Rec. CE, p. 1007. – Cass. 1re civ., 8 oct. 1991, Juris-Data n° 1991-003570. – CE, 14 oct. 1988, RD sanit. soc.
1989, p. 238, obs. F. Vareille. – Cass. 1re civ. 27 janv. 1993, Juris-Data n° 1993-000724 ; Resp. civ. et assur.
1993, comm. 134. – Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, Bull. civ. I, n° 7. – CE, 27 juin 1997, Juris-Data n° 2002193415. – CA Nançy, 19 mai 1998, Juris-Data n° 1998-048411. – CA Rennes , 27 oct. 1999, Juris-Data n°
1999-045349. – CA Toulouse, 30 oct. 2000, Juris-data n° 2000-133562. – CA Paris, 26 janv. 2001, Juris-Data
n° 2001-137111. – CA Amiens, 11 oct. 2001, Juris-Data n° 2001-154949, Resp. civ. et assur. 2002, comm. 32. –
CA Montpellier, 9 janv. 2001 : Juris-Data n° 2001-142432. – CA Paris, 15 nov. 2001 : Juris-Data n° 187379. –
CA Rennes, 5 déc. 2001, Juris-Data n° 2001-179911. – Cass. 9 avril 2002, Juris-Data n° 013912 ; Resp; civ. et
assur. , J.-CL., juill. -août 2002, n° 234, p. 22. – CA Rennes, 13 mars 2002, Juris-data n° 178063.
542
Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, Bull. civ. I, n° 6 ; D. 1997, jurispr. p. 189, rapp. P. Sargos, note D. Thouvenin.
543
Cass. crim. , 23 oct. 2001, Juris-data n° 2001-011867, Resp.civ. et assur. 2002, comm.. 74.
538
- 174 -
accrue de la jurisprudence. En effet les arrêts récents de la Cour de cassation montrent un
renforcement de l’exigence d’exactitude du geste chirurgical544. La haute juridiction impose
ainsi aux juges du fond une extrême rigueur dans l’appréciation du geste chirurgical. Ce
dernier doit être accompli d’une manière quasi-parfaite. Dès lors qu’en raison d’une
imprécision, le médecin blesse ou tue son patient, la faute est caractérisée. Ici encore, le
dommage révèle la faute et ce n’est que très difficilement que le médecin peut s’exonérer de
sa responsabilité.
Par deux arrêts du 23 mai 2000 545 , la Cour de cassation admettait que le médecin pût
s’exonérer de sa responsabilité s’il établissait que le dommage était inévitable en raison d’une
particularité physique du patient. Cette solution était confirmée par une décision du 18 juillet
2000546. Cette exonération devrait en pratique être tout à fait exceptionnelle, se rapprochant de
la notion de force majeure. Commentant ces décisions, le professeur Geneviève Viney
écrivait : « la première chambre civile de la Cour de cassation est allée, grâce à l’assimilation
de la maladresse du chirurgien à une faute, jusqu’à l’extrême limite de ce qu’il est possible de
faire pour favoriser l’indemnisation des victimes d’erreurs chirurgicales, sans imposer
officiellement au chirurgien une obligation de soins de résultat »547. Ainsi il fallait retenir de
cette jurisprudence que, lorsque le médecin intervient sur un organe ou sur un tissu déterminé
et blesse un autre organe, ce seul fait semble suffire à démontrer une maladresse fautive. On
évoque à ce titre la théorie de « la faute virtuelle » ou de la faute incluse dans le dommage.
La mort du patient inclut la faute du chirurgien.
Cependant, la jurisprudence la plus récente paraît connaître une certaine difficulté à
qualifier juridiquement la maladresse. Si la majorité des arrêts consacrent la jurisprudence
précitée, certaines décisions considèrent en revanche que la lésion d’une organe voisin de
celui qui est opéré relève de l’aléa thérapeutique, excluant, de ce seul fait, toute indemnisation
du patient sur le terrain de la responsabilité548. Dès lors, certains ont imaginé un changement
de jurisprudence en raison du nouvel article L. 1142-1, I du Code de la santé publique, issu
de la loi du 4 mars 2002, reposant sur l’indemnisation du au titre de la solidarité nationale. Il
est plus vraisemblable que la Cour de cassation considère que toute maladresse, même infime,
544
P. Sargos, L’exigence de précision du geste en matière d’intervention médicale ou de chirurgie dentaire, Méd.
& droit 2000, n° 43, p. 10.
545
Cass. 1re civ. , 23 mai 2000, Bull. civ. I , n° 153, Resp. civ. et assur., 2000, comm. p. 270 et s.
546
Cass. 1re civ., 18 juill. 2000, Juris-Data n° 2000-003057, Resp. civ. et assur. 2000, comm. 370.
547
G. Viney, Chronique de responsabilité civile, J.C.P. G 2000, I, 280, n° 12.
548
En ce sens, A. Marcos, La maladresse, essai de qualification en droit d’une notion a-juridique, R.G. droit
médical 2003, n°9, p. 83. – V. également Cass. 1re civ., 13 nov. 2002 , Juris-Data n° 2002-016297. – CA
Poitiers, 8 oct. 2002, Juris-Data n° 2002-187437. – CA Bordeaux, 5 sept. 2002, Juris-Data n° 2002-191556.
- 175 -
commise par le praticien au cours d’une opération constitue nécessairement une faute549. La
Cour de cassation pourrait retenir une motivation qu’elle avait utilisé dans un arrêt du 13
octobre 1999. Elle retenait alors que « la cour d’appel n’a pas décidé que la réalisation du
dommage, soit la perforation du colon, suffisait à engager la responsabilité du docteur M.
mais constaté qu’à l’occasion d’une biopsie hépatique, il avait commis une erreur de trajet
constitutive d’une maladresse ; qu’elle en a exactement déduit que cette faute engageait la
responsabilité du praticien »550. Par cette décision, la Cour de cassation semble marquer son
attachement à la faute. Ainsi, bien que certains auteurs souhaitent distinguer parmi les
maladresses celle qui relève de la faute et celle qui relève de la simple erreur551, la Cour de
cassation ne semble pas prendre cette voie. La jurisprudence devra cependant préciser
davantage sa motivation relativement à ce type de situation à la lumière du texte nouveau,
sous peine de s’inscrire dans une indemnisation à tout va, ce qui serait particulièrement
regrettable en matière médicale. Les médecins pourraient se montrer particulièrement frileux
à pratiquer certaines opérations présentant des risques plus ou moins importants, et en tous les
cas toujours délicates.
Comme le souligne Yvonne Lambert-Faivre, « la faute qualifie le comportement que
n’aurait pas eu le bonus medicus ; en revanche, l’erreur inhérente à la faillibilité humaine
guette le meilleur médecin »552. Il existe donc en théorie une frontière entre la faute, source de
responsabilité, et l’erreur, dont la commission n’engendre aucune responsabilité. Cependant la
technique ayant évolué, le médecin n’a plus « le droit à l’erreur ». Les juridictions ont retenu
le terme d’erreur pour parler de la faute553, et ce notamment pour faciliter l’indemnisation de
la victime. Une distinction a néanmoins été opérée par les magistrats. Ils considèrent en effet
que le seul fait de poser un diagnostic erroné ne constitue pas en soi une faute de technique
médicale. L’erreur de diagnostic ne devient fautive que si elle présente une certaine gravité.
Au terme d’une jurisprudence constante, la simple erreur de diagnostic ne suffit pas à engager
la responsabilité du médecin. Il appartient à la victime du diagnostic erroné de prouver
549
En ce sens, Y. Lambert-Faivre, La loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malade et à la
qualité du système de santé, D. 2002, p. 1217. – C. Radé, La réforme de la responsabilité médicale après la loi du
4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Resp. civ. et assur. 2002, chron.
7.
550
Cass. 1re civ., 13 oct. 1999, JCP G 2000, II, 10270, note A. Dorsner-Dolivet.
551
G. Viney, Chronique de responsabilité civile, JCP G 2000, I, 280, n° 13 ; P. Jourdain, RTD civ. 2000, p. 840.
552
Y. Lambert-Faivre, Droit du dommage corporel, Dalloz 4e éd., 2000, p. 683.
553
CE, 17 janv. 1986, Clamens : « L’erreur de diagnostic commise par le médecin du service spécialisé du centre
hospitalier régional de T… est constitutive d’une faute lourde de nature à engager la responsabilité de ce centre
hospitalier ». – CA Paris, 8e ch., 19 janv. 1999, Martignoni c/ Zuber, Juris-Data n° 020146.
- 176 -
l’existence d’une véritable faute de technique médicale dans la réalisation du diagnostic.
Ainsi, par exemple, la cour d’appel d’Orléans a pu juger, dans une arrêt du 30 novembre 1998
que la responsabilité du médecin ne pouvait être engagée du fait du décès de sa patiente lié à
une insuffisance rénale provoquée par un médicament prescrit par ce praticien dès lors que,
compte tenu de la bonne fonction rénale du rein unique et des signes cliniques que présentait
alors la patiente, la prescription du médicament incriminé n’avait pas été entourée d’un
élément fautif et qu’il n’y avait pas eu de retard entre l’apparition de l’anurie et la mise en
évidence de signes d’insuffisance rénale, la réalisation des examens complémentaires et le
transfert en milieu hospitalier spécialisé. La cour a ainsi considéré que la preuve n’était pas
rapportée de ce que la patiente présentait le jour de sa visite chez le médecin une insuffisance
rénale contre-indiquant la prescription du médicament litigieux ou justifiant des examens
préalables, ni que cette insuffisance était avérée le jour où le médecin l’avait adressée à une
clinique d’où elle a été transférée dans un centre hospitalier spécialisé dès les résultats du
bilan biologique pratiqué avaient permis ce diagnostic554.
Le médecin peut parfois échapper à la responsabilité médicale malgré la mort de son
patient. La jurisprudence souligne généralement les circonstances particulières qui entouraient
l’acte médical, tels l’urgence, ou l’état de santé du patient555. Elle retient encore, en l’absence
de circonstances particulières, la difficulté du diagnostic556. Ces éléments peuvent être pris en
compte et être de nature à éviter toute qualification de faute557. C’est ce qu’a pu décider la
cour d’appel de Rennes dans un arrêt du 1er juillet 1998 en jugeant que ne pouvaient être
retenue la responsabilité médicale d’une médecin obstétricien ayant procédé en urgence à
l’extraction par ventouse d’un enfant né en état de mort apparente en rapport direct avec une
souffrance fœtale survenue au cours de l’accouchement. L’urgence commandait en effet de
procéder rapidement à l’extraction de l’enfant. Enfin, il n’était pas établi que l’absence de
soins du bébé par un spécialiste de la clinique était à l’origine de la détérioration de son état
554
CA Orléans, Ch. civ, 30 nov. 1998, Juris-Data n° 047391.
Cass. 1re civ., 30 oct. 1967, Bull. Civ. I, n° 317 – CE, 14 mai 1986, Revue hospitalière de France 1986, n°
396. – CE 10 avr. 1992, JCP G 1992, II, 21881, note J. Moreau.
556
Cass. 1re civ., 4 janv. 1974, RTD civ. 1974, p. 822 – Cass. crim., 25 mars 1998, Juris-Data n° 1999-101571. –
Cass . 1re civ. 16 juin 1998 : Juris-Data n° 1998-002739 ; Resp. civ. et assur. 1998, comm. 318. – Cass. 1re civ.,
10 juill. 2001, Juris-Data n° 2001-010782. – Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, Juris-Data n° 2002-012743. – CA
Dijon, 15 sept. 1998, Juris-Data n° 046971. – CA Dijon, 30 mai 1990, Juris-Data n° 1990-050522. – CA Pau,
16 oct. 1996, Juris-Data n° 1996-045736. – CA Agen, 22 janv. 1996, Juris-Data n° 1996-043171. – CA Lyon,
11 mars 1999, Juris-Data n° 040164. – CA Nancy, 30 août 1999, Juris-Data n° 1999-101571. – CA Rouen, 20
nov. 1999, Juris-Data n° 1999-109217. – CA Poitiers, 8 févr. 2000, Juris-Data n° 2000-157181.
557
Cass. 1re civ. , 16 nov. 1965, RTD civ. 1996, p. 309. – CA Bourges, 8 avr. 1997, Juris-Data n° 1997-044016.
555
- 177 -
neurologique 558 . La fourniture par le patient de renseignements inexacts peut être un fait
exonératoire de toute faute du médecin559, sous réserve que les circonstances autorisassent le
médecin à se fier aux réponses et informations données par la patient.
Mais ces causes exonératoires de responsabilité sont très encadrées. Pour exemple, ce
n’est que lorsque le patient choisit délibérément de ne pas se faire suivre par le praticien qui
l’a opéré que celui-ci est déchargé de toute obligation de surveillance post-opératoire560. Le
médecin commet ainsi une faute lorsqu’il ne prend pas le soin de défaire le pansement de
l’opéré afin d’observer la plaie, ce qui lui aurait permis de diagnostiquer la perforation du
tube digestif dont est mort le patient561. De même, dans un arrêt du 1er avril 1999, une patiente
souffrant d’obésité morbide qui avait été opérée, avait présenté, le lendemain de
l’intervention, des troubles importants justifiant une nouvelle intervention au cours de laquelle
avait été révélée une péritonite consécutive à deux perforations de l’estomac. Cette patiente
était décédée d’un choc septique irréversible consécutif à l’évolution de la péritonite postopératoire. La cour d’appel de Riom a relevé que le chirurgien qui n’avait pas, en dépit de
signes alarmants, assuré une surveillance renforcée afin de permettre une détection précoce
des signes annonciateurs d’un choc septique, était responsable in solidum avec les deux
médecins anesthésistes réanimateurs. Ce retard fautif avait provoqué la perte de chance
d’éviter des complications gravissimes et de survivre, en l’absence de prédispositions
pathologiques de la patiente562.
Les difficultés médicales dues à la santé du patient ou à la difficulté du diagnostic
expliquent sans doute pourquoi, pendant de nombreuses années, les psychiatres ont été à l’abri
de toute responsabilité médicale. Cette spécificité n’est plus. L’irruption de la mort, plus
spécifiquement le suicide d’un patient placé sous la surveillance d’un psychiatre, semble
suggérer la faute.
2- Une faute mortelle particulière : la faute psychiatrique
Longtemps la responsabilité médicale psychiatrique n’a été que théorique. Comme
tout médecin, le psychiatre était susceptible de voir sa responsabilité médicale engagée. Mais,
558
CA Rennes, 1re juill. 1998, Juris-Data n° 043937.
Cass. 1re civ. , 21 févr. 1967, Bull. civ. I, n°55.
560
CA Douai, 9 nov. 1990, Juris-Data n° 1990-049111.
561
CA Pau, 21 nov. 1989, JCP G 1991, II, 21683, note R. Nérac-Croizier.
562
CA Riom, 1er avril 1999, Juris-Data n° 041108.
559
- 178 -
cette hypothèse n’était, jusqu’à très récemment qu’une hypothèse d’école. Est-ce l’évolution
et l’ampleur de la responsabilité médicale qui a conduit à ce que le psychiatre ne soit plus
épargné ? Sans doute. L’engagement de la responsabilité médicale du psychiatre achève le
durcissement de la responsabilité médicale. Ainsi il faut admette que se termine l’évolution de
la responsabilité médicale. Plus aucun médecin ne peut désormais prétendre bénéficier d’une
immunité face à la responsabilité. Que la responsabilité ait finalement touché toutes les
spécialités est peut être normal et sans surprise. Elle apparaît une suite ordinaire, une
évolution attendue de toute évolution judiciaire. Pourtant, malgré cela, on peut s’étonner
qu’elle ait touché les psychiatres, dont la spécialité – sonder les âmes – est fort redoutable et
pour le moins aléatoire. Faut-il alors imaginer d’autres raisons à cette responsabilité que la
simple sévérité nouvelle à l’égard des médecins ?
A la lumière de certaines jurisprudences et du comportement des justiciables – soit le patient
lui-même, le plus souvent suicidaire, ou ses ayants droit – il semble qu’il faille conclure à
l’existence d’un « principe de précaution », lequel reposerait sur la probabilité suicidaire des
patients psychiatriques. Ainsi, parce que la mort est susceptible d’être recherchée par certains
patients, il convient de les protéger tous, de les surveiller de la même manière. Plus loin, ne
faut-il pas y voir un aspect sociologique d’une inquiétude nouvelle dans nos sociétés du
suicide notamment due au fait de sa recrudescence actuelle ? De fait, le patient psychiatrique,
qui a donc mis en alerte le milieu médical, doit être protégé et surveillé. A suivre certaines
jurisprudences, il existerait une présomption suicidaire, donc de risque de mort à l’égard de
certains patients. La justice se fait médecine de la mort.
Dans le cadre psychiatrique, une responsabilité particulière peut être envisagée
puisqu’elle n’a plus de rapport au corps mais à l’âme. Le médecin n’a pas touché le corps. La
faute est celle de surveillance du médecin en cas de tentative de suicide. La psychiatrie est
sans nul doute un milieu particulier et difficile. Le risque de suicide est élevé dans les
établissements spécialisés. Il est fréquent – et cela ne fait que croître – que le patient ou ses
ayants droit agissent en responsabilité en invoquant le défaut de surveillance du médecin qui a
rendu possible le geste suicidaire
563
. Le psychiatre exerce une spécialité médicale
particulièrement redoutable. Il doit rechercher l’insondable. Comment retenir alors contre lui
la faute de surveillance ? Le psychiatre doit surveiller l’état du patient en analysant de
manière sérieuse et approfondie les risques suicidaires. Malheureusement, ce type de risque
563
F. Chabas, Remarques sur la responsabilité des médecins psychiatres et des cliniques psychiatriques en droit
privé, Gaz. Pal. 1980, 2, doctr. p. 486.
- 179 -
n’est réellement connu qu’après une première tentative, ayant par hypothèse échouée. Ainsi le
médecin tiendra compte des antécédents du malade, de son état actuel et des renseignements
fournis parfois par le patient lui-même, plus généralement par son entourage. En conséquence,
s’il ne se livre pas à cette analyse ou s’il ne prescrit pas les mesures de soins et de surveillance
les plus appropriées, le médecin commet une faute de technique médicale. La jurisprudence a,
par exemple, retenu la faute du médecin qui, mis en garde par le mari de la patiente des
intentions suicidaires de cette dernière, n’a pour autant pas informé le personnel de la
nécessité de renforcer la surveillance des faits et gestes de la malade564. Il en est de même
pour le psychiatre qui ne modifie pas les conditions dans lesquelles un malade était autorisé à
quitter provisoirement la clinique psychiatrique où il était hospitalisé, alors que son état s’était
dégradé565.
Pour retenir la responsabilité du psychiatre, le patient ou ses ayants droit doivent
apporter la preuve d’une faute du praticien. Les deux arrêts précités en attestent. Par un arrêt
rendu le 1er mars 2005, la première chambre civile de la Cour de cassation a confirmé cette
exigence de la preuve d’une faute du médecin pour engager sa responsabilité. En l’espèce, le
lendemain de son admission, avec son accord, dans une clinique psychiatrique, Mme Z. a
tenté de mettre fin à ses jours. Elle a recherché la responsabilité de l’établissement, qui a
appelé en garantie le médecin psychiatre exerçant à titre libéral au sein de la clinique. La Cour
d’appel d’Aix-en-Provence a fait droit à sa demande le 26 juin 2003. Elle a déclaré le
médecin solidairement responsable avec la clinique du dommage subi par la patiente, au motif
que celle-ci se trouvait dans un contexte délirant déjà connu et était dépressive, de sorte qu’il
appartenait au praticien de prendre toutes les mesures et précautions nécessaires et d’alerter la
clinique, afin d’éviter un suicide toujours possible chez une personne dans cet état,
hospitalisée dans un établissement spécialisé à la demande de son psychiatre. La Cour de
cassation a cassé l’arrêt déféré. Elle a jugé, au visa de l’article 1147 du Code civil, qu’«en
statuant ainsi sans constater l’existence d’éléments devant permettre [au psychiatre], lorsqu’il
avait vu [la patiente], de déceler une intention suicidaire justifiant des mesures de surveillance
particulières, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
564
Cass. 1re civ., 20 janv. 1982, JCP G 1982, II, 19877, note F. Chabas.
Cass. 1re civ., 10 juin 1997, Bull. civ. I, n° 198 ; Resp. civ. et assur. 1997, comm. 307. – CA Bordeaux, 13
janv. 1999, Juris-Data n° 1999-040597.
565
- 180 -
Il convient de rappeler la nature contractuelle de la responsabilité du médecin
psychiatre envers ses patients internés dans une clinique psychiatrique. Le visa tiré de l’article
1147 du Code civil en atteste. Cette position se justifie au regard du contrat unissant le
médecin à son patient, qui perdure après l’internement du patient. Cette responsabilité est de
plus une responsabilité pour faute prouvée. La victime est tenue de démontrer un manquement
du psychiatre à son obligation de surveillance. Cette obligation a un contenu variable selon la
personne et les antécédents du patient. De l’arrêt rapporté, il se déduit le fait que le seul
contexte délirant déjà connu et l’état dépressif de la patiente ne sauraient justifier des mesures
de surveillance renforcées. Il en va autrement, précise la Cour de cassation, s’il existe des
éléments devant permettre au psychiatre, lorsqu’il rencontre son patient, de déceler une
intention suicidaire. En ce cas, une surveillance singulière s’impose. A défaut de prescrire les
mesures adéquates, le psychiatre commet une faute de technique médicale et engage sa
responsabilité. Ces trois arrêts sont donc engagés dans la même ligne de jurisprudence. Par
une nouvelle décision de juin 2005, la Cour de cassation a, par un arrêt de principe, précisé
qu’il appartenait au médecin psychiatre, chargé au sein de l’établissement de santé de suivre
le patient, de prescrire les mesures de soins et de surveillance appropriés à son état. Elle
jugeait ainsi qu’une cour d’appel qui, à la suite du suicide d’un patient dans un établissement
de santé, a relevé qu’un médecin psychiatre ayant connaissance des risques élevés de suicide
de son patient n’avait donné aucune information de nature à mettre en œuvre une surveillance
rigoureuse et que le personnel de l’établissement de santé n’avait pas connaissance de ces
risques et avait effectué une surveillance régulière du patient. La cour d’appel a pu en déduire
que la responsabilité du médecin psychiatre était engagée et que l’établissement de santé, dont
le personnel ne pouvait légalement accéder à l’ensemble du dossier médical du patient pour
déterminer lui-même les mesures de surveillance à envisager, n’avait pas, en l’absence
d’information, commis de faute566.
On s’étonnera cependant que la simple information d’un proche suffise à générer à elle
seule la responsabilité du médecin. En effet, le proche est-il suffisamment compétent pour
apprécier les tendances suicidaires du patient qu’il accompagne ? En tous les cas, l’obligation
de surveillance est une obligation de moyens appréciée de manière plus ou moins stricte par
566
Cass. civ. 1, 21 juin 2005, Bull. civ. I, n° 274, p. 228.
- 181 -
les juridictions, et qui dépend de la personnalité du patient et des informations portées à la
connaissance de l’établissement567.
Certaines décisions considèrent que les manifestations suicidaires étant d’une
probabilité normale dans les établissements qui soignent des personnes dépressives, le
personnel paramédical de ces établissements doit être particulièrement diligent. Dans ces
conditions, le suicide révèle souvent à lui seul un manque de diligence permettant d’engager
la responsabilité de l’établissement. Ainsi, par exemple, la Cour d’appel de Paris568 a retenu le
responsabilité d’une clinique pour manquement à l’obligation de surveillance dans une
hypothèse où son personnel avait laissé un patient angoissé, pour lequel le médecin traitant
n’avait fait aucune recommandation particulière, dans une pièce dont les fenêtres n’étaient pas
munies de vitres incassables. La cour de cassation a également jugé que, même si le cas du
patient était sans gravité apparente, il n’y avait aucune certitude de ce qu’il n’aurait pas une
impulsion morbide ou une obsession qui le pousserait irrésistiblement à un acte dangereux. La
responsabilité de la clinique a été engagée, l’établissement n’ayant pas su prendre les
précautions nécessaires pour prévenir les conséquences dommageables d’une telle impulsion.
Cette jurisprudence a fait une appréciation très stricte de l’obligation de surveillance en la
transformant, selon l’expression de l’annotateur, « presque en une obligation de résultat »569.
Heureusement, d’autres décisions apprécient les situations au cas par cas, appréciant
« la probabilité suicidaire ». En conséquence, la responsabilité du médecin ou de
l’établissement n’est engagée que si cette probabilité est élevée. Ainsi la Cour de cassation a
considéré que le fait de laisser à un patient une ceinture avec laquelle il s’était pendu ne
constituait pas une faute dès lors que rien ne permettait de prévoir un tel geste570. De même, la
Cour d’appel de Paris considérait qu’il n’existait pas de raison de craindre un geste suicidaire
d’un patient dont la dernière tentative de suicide datait de plus de dix ans, malgré plusieurs
567
Dans le secteur privé, l’obligation de surveillance s’est faite plus sévère, quelles que soient les méthodes
employées, à partir de 1982 (Civ. 1, 20 janv. 1982, Bull. n° 34, D. 1983, somm. comm. p. 499, note J. Penneau ;
J.C.P. G 1982, II, n° 19877, note F. Chabas ; Civ. 1, 23 fév. 1982, Bull. n° 84 ; D. 1983 précité ; Civ. 1, 12 nov.
1985, Bull. n° 297). Le défaut de surveillance est entendu de la même manière, quelle que soit la méthode de
traitement, dans les établissements publics (C.E., 27 fév. 1985, A.J.D.A. 1985, p. 369, concl. du com. du gvt B.
Stirn ; C.E., 17 fév. 1988, R.D.P. 1989, p. 538, n° 17 ; C.E. 17 fév. 1988, R.D.P. 1989, n° 18). V. aussi, V. Bru,
Les problèmes juridiques relatifs aux nouvelles méthodes de traitement des maladies mentales, R. D. sanit. soc. ,
1981, p. 167 ; P. Bon, La responsabilité des services publics d’activités sanitaire et sociales utilisant des
méthodes libérales, R.D. sanit. soc., 1984, p. 441.
568
CA Paris, 18 déc. 1961, D. 1962, somm. p. 67.
569
Cass. 1re civ. , 11 juin 1963, JCP G 1963, II, 13304 bis, note F. Chabas.
570
Cass. 1re civ., 4 mai 1970, Bull. civ. I, n° 153.
- 182 -
séjours en établissement spécialisés effectués depuis lors pour dépression571. La cour d’appel
d’Orléans a estimé que le fait de laisser un patient sortir de l’établissement sans
accompagnement ne constitue pas une faute de la part de la clinique, dès lors que ces
autorisations de sortie s’inscrivent dans un cadre de la prise en charge thérapeutique du
patient par le médecin572. La cour d’appel de Paris a estimé qu’il ne pouvait être fait grief à
un médecin généraliste de n’avoir pu déceler l’importance des troubles de la personnalité du
patient qui s’était suicidé, ni porté un diagnostic et prescrit un traitement que seul un médecin
psychiatre aurait été en mesure d’établir573. En revanche, si le patient a été hospitalisé après
une tentative de suicide, la clinique manque à son obligation de surveillance dès lors qu’elle
ne met pas en œuvre toutes les précautions nécessaires pour assurer la sécurité du patient et
éviter un nouveau geste suicidaire574.
Lorsque le suicide survient dans un établissement non spécialisé en psychiatrie, la
jurisprudence engage la responsabilité de la clinique pour un manquement à son obligation de
surveillance si des éléments objectifs laissaient craindre que le patient risquait d’attenter à sa
vie. Si de tels éléments sont absents, la jurisprudence hésitera à engager la responsabilité de
l’établissement. Ainsi la Cour de cassation a estimé que la clinique n’était pas responsable des
conséquences dommageables de la tentative de suicide du patient dès lors que ni le médecin
traitant, ni les proches du patient n’avaient averti le personnel soignant de l’état psychique
précaire de l’intéressé et qu’aucune réaction de sa part ne laissait prévoir un tel geste575. Il
sera jugé de la même manière dès lors qu’aucun antécédent ne laissait redouter une tentative
de suicide 576 . La haute juridiction a également refusé d’engager la responsabilité de la
clinique dans une affaire où, après une tentative de suicide, la patient avait été admis sur
décision de son médecin psychiatre dans le service de cardiologie d’une clinique sans que le
personnel ait été informé des traitements antérieurs du patient pour dépression, du risque
d’une nouvelle tentative de suicide et de la nécessité de prévoir une surveillance
particulière577.
571
CA Paris, 6 mars 1972, Gaz. Pal. 1972, I, p. 418.
CA Orléans, 18 mai 1998, Juris-Data n° 1998-044231.
573
CA Paris, 1re civ., 10 juillet 2001, Dejean, c/ Lamothe, Juris-Data n° 010782.
574
Cass. 1re civ., 26 janv. 1971, Bull. civ. I, n° 28. – Cass. 1re civ., 12 nov. 1985, Bull. civ. I, n° 297. – CA
Bordeaux, 13 janv. 1999, Juris-Data n° 1999-040597.
575
Cass. 1re civ. , 31 mars 1965, Bull. civ. I, n° 238.
576
CA Versailles, 9 juin 2000, RD sanit. soc. 2001, p. 87.
577
Cass. 1re civ., 3 mars 1998, Bull. Civ. I, n° 90.
572
- 183 -
Finalement, il apparaît que la responsabilité du médecin ou de l’établissement
hospitalier, qu’il soit privé ou public, doit être écartée si aucun élément résultant du diagnostic
médical comme des informations reçues sur l’état du malade n’avait permis de juger
nécessaire une surveillance particulière afin d’éviter un passage à l’acte prévisible. Il semble
que les jurisprudences extrémistes sus-visées doivent être relativisées à la lumière de
l’ensemble des jurisprudence sur la question. Pourtant on ne peut qu’être troublé d’une part
par leur existence, d’autre part, en dehors d’elles, par la multiplication des dossiers impliquant
des psychiatres. Il apparaît également que la jurisprudence se durcit là aussi. La cour d’appel
de Bordeaux a ainsi jugé que devaient être condamnés solidairement la clinique psychiatrique
ainsi que le médecin qui y exerçait en raison d’un concours de fautes ayant permis à une
malade de tempérament suicidaire de sortir seule et de mettre fin à ses jours. La responsabilité
du médecin devait être retenue pour n’avoir donné aucune consigne particulière afin que soit
redoublée la vigilance du personnel dans la surveillance de son patient alors qu’il venait de
doubler sa posologie578. Une solution identique était retenue par la Cour de cassation le 21
juin 2005579.
S’agissant d’une spécialité particulièrement difficile, il est attendu que la psychiatrie
bénéficie d’un traitement plus indulgent. Or il semble qu’aujourd’hui cette solution soit de
moins en moins vraie, la pathologie du patient, notamment un comportement suicidaire, n’est
plus « une excuse » pour le médecin mais semble au contraire plus accablante. D’une part, le
caractère fortement aléatoire du risque suicidaire et la difficulté du diagnostic apparaissent
occultés au bénéfice d’un « principe de précaution » . D’autre part, puisque le risque de mort
est envisagé, le médecin doit plus que redoubler de prudence qu’importe que le comportement
du patient soit auto-destructeur et dans une certaine mesure imprévisible.
Les psychiatres n’ont donc pas échappé au renforcement de la responsabilité médicale. Plus
que la jurisprudence, la société civile apparaît plus déterminée à engager la responsabilité de
ces spécialistes lorsque le patient se suicide. Est-ce l’évolution de la technique médicale ou de
la science médicamenteuse qui a conduit une telle évolution de la pensée ? Là aussi, la
médecine serait-elle astreinte à des progrès vertigineux ? Faut-il penser également que le
patient qui s’en remet au médecin attend qu’il le protège malgré lui, qu’il le prenne en charge
corps et âme ? Pourtant le patient demande que cela garde une certaine mesure. Il veut
maîtriser sa vie – et donc sa mort – et ainsi que le médecin ne prenne pas toute la place. Il est
578
579
CA Bordeaux, 1re ch. B, 13 janv. 1999, Le Sou médical c/ Chauvière, Juris-Data n° 040597.
Cass. civ I, 21 juin 2005, Bull. Civ. I, n° 274, p. 228.
- 184 -
un exécutant de ses désirs, à charge pour le médecin de trouver un juste milieu entre le trop et
le trop peu. Pour la jurisprudence, il est certain désormais qu’elle reconnaît une certaine
efficacité à la psychiatrie, de fait aussi une responsabilité. Mais, plus avant, elle semble
s’attacher plus à la mort qu’à la faute. Le potentiel suicidaire obligerait à une obligation qui a
pu être presque considérée comme une obligation de surveillance de résultat. C’est pour partie
parce que la mort est présente que la responsabilité s’est intensifiée, et ce d’autant que le
suicide est devenu un problème de société.
Il reste qu’il n’y a en fin de compte pas une médecine, mais des médecines : elles
diffèrent par leurs objectifs, leurs risques et leurs patients. Il n’existe pourtant qu’une seule
responsabilité de la mort, qui se développe et se durcit. Plus encore, la mort semble impliquer
ou la faute ou la nécessité d’une indemnisation même sans faute. Pourrait-on imaginer un
autre système ?
Si le système judiciaire admettait tout fait quelconque pour établir la faute, la jurisprudence
administrative s’est montrée en son temps plus exigeante. En effet, pour retenir la
responsabilité du service public hospitalier 580 , le Conseil d’Etat a longtemps exigé la
reconnaissance d’une faute médicale lourde 581 . Toutefois une faute simple suffisait, si le
dommage était la conséquence d’un acte non médical ou d’une mauvaise organisation du
service. Cette répartition imposait au Conseil d’Etat de distinguer l’acte médical de l’acte de
service 582 . Le Conseil d’Etat a abandonné l’exigence de faute lourde dans le cas de la
responsabilité médicale 583 . Une faute simple suffit donc aujourd’hui pour engager la
responsabilité du service public hospitalier. L’abandon de la faute lourde pour une
responsabilité générale pour la faute simple ne signifie pas que toute erreur est une faute
susceptible d’engager la responsabilité de l’administration. Il faudra toujours prouver la faute.
Par souci de simplification, le Conseil d’Etat a abandonné son ancienne distinction. Il est vrai
qu’il était difficile de classer les actes médicaux et les actes non médicaux. Cependant,
580
V. pour une étude approfondie : J.-J. Thouroude, Pratique de la responsabilité hospitalière publique – Les
responsabilités dans les établissements publics hospitaliers, L’Harmattan, 2000, coll. Logiques juridiques. – J.A. Bas L’évolution de la responsabilité hospitalière, P.A., 6 nov. 2001, n° 221, 5. – Sur la responsabilité
administrative en générale et médicale en particulier, R. Chapus, Droit administratif général, Tome 1,
Montchréstien -Domat, 15e éd., 2001.
581
CE, 8 nov. 1935, Dame Philiponneau, DP 1936, III, 15, note Heilbronner ; Rec., p. 1020.
582
CE sect. 26 juin 1959, Rouzet, Rec. CE, p. 405 ; AJ 1959, p. 293, concl. Fournier. Le Conseil d’Etat a précisé
les critères de distinction et séparé : les actes qui étaient de la compétence exclusive du médecin, ceux qui
pouvaient être exécutés par les auxiliaires médicaux sur prescription médicale ou sous surveillance d’un médecin
et les actes qui pouvaient être exécutés par les auxiliaires médicaux hors la présence d’un médecin.
583
CE ass., 10 avr. 1992, Epoux V., Gaz. Pal. 21-28 avr. 1992 ; JCP 1992, II, 21881, obs. J. Moreau ; AJDA
1992, p. 355.
- 185 -
l’approche nous semble relativement intéressante et plus juste, plus proche de la réalité
médicale. Ceci semble d’autant plus aujourd’hui, la faute la plus infime entraînant la
responsabilité du médecin. Or, cette faute paraît « prouver » lorsque le dommage est grave
c’est-à-dire fortement invalidant ou mortel.
Une autre distinction pourrait être proposée. En effet, il n’existe plus aujourd’hui une
médecine mais des médecines. Il existe toujours la médecine que nous qualifierons de
traditionnelle, c’est-à-dire celle dont l’acte médical est strictement thérapeutique : le patient
est un malade qu’il faut soigner. A côté de celle-ci, la médecine a d’autres fonctions, dont la
plus importante désormais est sans doute de réaliser une médecine de confort : l’acte médical
n’a pas d’intérêt thérapeutique en tant que tel, le patient n’est pas malade au sens où sa vie est
en jeu – sa santé physique et jusqu’à une certaine mesure psychique ne sont pas altérées –
l’intervention subie répondant à une simple convenance personnelle, ou l’acte n’a pas pour
but de soigner ou ne participe aux soins. En ce cas, ne faudrait-il pas prévoir plusieurs
régimes de responsabilités comme il existe différents actes médicaux ?
L’importance de la responsabilité dans la mort aujourd’hui pourrait conduire les
médecins à des excès de prudence. Ne vont-ils pas être tenté de trop prescrire pour être
certains de ne pas ensuite être accusés de ne pas avoir employés tous les moyens mis à leur
dispositions pour guérir le patient ? La faute mortelle du médecin pourrait se transformer en
faute économique du médecin.
3- La faute de gestion de la mort
Malgré sa liberté de prescription, le médecin doit parfois exercer sa médecine dans les
limites fixées par la loi. Certaines limites sont thérapeutiques. D’autres sont plus
contestables : ce sont des limites légales de prescription dans un souci économique. Le
médecin qui ne respecte pas les prescriptions imposées par les textes commettrait une faute.
Ces secondes limites présentent un danger de dérive certain, conduisant à une médecine des
riches et à une médecine des pauvres. La santé a un coût et de nombreuses techniques sont
plus qu’onéreuses. Les pouvoirs publics sont ainsi intervenus pour limiter la liberté de
prescription du médecin. Le Code de sécurité sociale énonce en son article L. 161-2-1 que :
«Les médecins sont tenus, dans tous leurs actes et prescriptions, d’observer dans le cadre de la
législation et de la réglementation en vigueur, la plus stricte économie compatible avec la
- 186 -
qualité, la sécurité et l’efficacité des soins ». Cette volonté de limiter la liberté de prescription
des médecins pour raison économique est reprise à l’article 8 du code de déontologie
médicale. Des contrôles ont ainsi été mis en place584, et le médecin qui ne respecte pas cette
obligation s’expose à une éventuelle action en responsabilité intentée par la Caisse primaire
d’assurance maladie, qui demandera réparation du préjudice financier que lui causent les
prescriptions abusives585. Par ailleurs, d’autres mécanismes ont été prévus afin d’assurer la
maîtrise des dépenses de santé tels la dotation globale annuelle des établissements de santé ;
des références médicales opposables 586 ; la réglementation dans la
prescription des
médicaments 587 . Si le but de ces réglementations est louable, on peut s’inquiéter de leur
efficacité, notamment pour les patients en fin de vie. Lorsque l’on sait qu’un patient coûte à la
584
CSS, art. L. 315-2, 2e al. : contrôles en cas de prestation non médicalement justifiée. – CSS, art. L. 315-3 :
contrôles du respect des règles d’établissement des feuilles de soins et ordonnances aux assurés atteints
d’affections de longue durée et des prescriptions médicamenteuses avec possibilité de sanctions financières.
CSS, art. L. 133-4 : contrôles de l’observation de la nomenclature avec sanction financière. – CSS, art. L. 162-53 contrôles du dépassement de l’objectif prévisionnel d’évolution des dépenses avec éventuellement reversement
individualisé.
585
V. notamment, Cass. soc. 26 avr. 2001, Juris-Data n° 2001-009277 ; D. 2001, p. 1592. – M. Lhéritier, Les
contentieux opposant les caisses primaires aux praticiens libéraux, th. Poitiers, 19 janv. 2000.
586
La liberté de prescription du médecin est influencée par l’existence de références médicales opposables. Ces
références constituent des indications thérapeutiques que le médecin est invité à suivre dans ses prescriptions.
Elles sont actuellement conçues de façon négative en ce sens qu’il s’agit de proscrire, face à une situation
donnée, les soins et prescriptions médicalement inutiles ou dangereux. Les dispositions de la convention
nationale conclue en 1997 entre les caisses d’assurance maladie et les syndicats médicaux ont institué, dans le
cadre de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, les références médicales opposables (RMO) pour le
traitement et le suivi de certaines affections. Le non-respect trop fréquent des RMO, définies par l’article L. 16212-15 du Code de la sécurité sociale, expose le praticien à des sanctions financières en application de l’article L.
161-12-16 du même code, mais également à des sanctions disciplinaires en application de l’article 3 du code de
déontologie médicale. En terme de responsabilité, le respect des nouvelles normes médicales constituées par les
bonnes pratiques et les RMO est essentiel. V. A. Laude, La force juridique des RMO. – R. Meunier, Qualité,
évaluation, accréditation dans les établissements de santé. – P. Sargos, Références médicales opposables et
responsabilité des médecins, Méd. & droit, janv.-févr. 1998, n° 28. – G. Mémeteau, Accréditations et
responsabilités, hypothèses, Gaz. Pal. 24 oct. 1998, p. 15, et Le décret du 28 décembre 1999 relatif à l’évaluation
des pratiques professionnelles et à l’analyse de l’évolution des dépenses médicales et la liberté thérapeutique, RD
sanit. soc. 2000, p. 533.
587
Deux décrets du 2 décembre 1994 (D. n° 94-1030, relatif aux conditions de prescription et de délivrance des
médicaments à usage humain modifié par le décret n° 97-88 du 31 janvier 1997 et D. n° 94-1031, relatif aux
spécialités remboursables) ont précisé les conditions dans lesquelles peuvent être délivrés les médicaments
d’ « exception » ou « à prescription restreinte ». Sont visés, d’une part les médicaments réservés à l’usage
hospitalier, d’autre part les médicaments à prescription initiale hospitalière, et enfin, les médicaments nécessitant
une surveillance particulière pendant le traitement. En conséquence, certains médicaments ne pourront plus être
prescrits par n’importe quel médecin, même s’ils sont justifiés par l’état de santé du patient. Il n’en reste pas
moins que le médecin restera tenu d’assurer au patient les soins que nécessite son état. Il devra en ce cas justifier
qu’il a bien dirigé le malade vers un confrère spécialisé apte à procéder à la prescription nécessaire.
De même, il a été accordé la faculté au profit du pharmacien un droit de substitution qui lui permet de remplacer
par un générique le médicament de marque prescrit par le médecin. Cette atteinte à la liberté de prescription du
médecin peut être mise en échec par le médecin, lorsque celui-ci indique de manière manuscrite sur l’ordonnance
la mention « non substituable » (CSS, art. R. 5143-11). V. B. Crochet, O. Denhaene et P. Choutet, Le droit de
substitution : une réforme à risque, Méd. &droit 1999, n° 38, p. 24 ; J.-C. Galloux, La substitution de marque en
matière de médicaments, JCP G 1999, act., p. 1553 ; C. Meyer-Royère, Du droit au devoir de substitution du
pharmacien dans le cadre de la prescription médicale, Méd. & Droit 1999, n° 36, p. 14 ; E. Pidoux,
Responsabilité médecin/pharmacien au regard des génériques : une substitution de responsabilité, Méd. & Droit
2001, n° 47, p. 10 ; CE, 11 janv. 2002, Juris-Data n° 2002-063405 ; JCP G 2002, II, 10077, note D. Cristol.
- 187 -
sécurité sociale plus dans la dernière année de sa vie que durant sa vie entière, on ne peut
qu’avoir peur d’une dérive économique de la médecine. Elle est un risque évident pour le
patient. Il s’agira de faire de la place, de récupérer des lits dans les hôpitaux, d’empêcher
l’engagement de soins trop coûteux et …inutiles. Quand la vie devient-elle inutile… ? Quelle
est la frontière entre ce qui peut être financé et ce qui ne doit pas l’être ? Cette question est
celle qui est posée au médecin, mais dont le patient est le bénéficiaire, voire la victime. Ne
voit-on pas là poindre le risque d’une euthanasie économique ? De façon insidieuse,
l’économie pourrait être la véritable raison de l’admission de l’euthanasie en France. On ne
cesse de parler du « trou » de la sécurité sociale, du coût de notre système de santé. Quelle
solution est plus simple que de donner la mort a celui qui la demande lorsque sa vie n’apporte
non seulement plus rien à la société mais est de plus devenue une charge. La population
française est vieillissante, le nombre d’actifs chutent et à l’heure où nous écrivons, la
génération du baby-boom va partir en retraite. Choisir ou non l’euthanasie doit répondre à une
solution autre qu’économique. Il est cependant à craindre que cette solution ne s’impose pour
beaucoup comme un mode de gestion de la fin de vie dans sa vision économique.
Une vision économique de la médecine est aussi un risque pour le médecin. Il n’est
plus médecin mais gestionnaire. Le médecin a pour rôle de préserver la vie, pas celui de
calculer la vie qui sera économiquement la moins onéreuse ou la plus rentable. La maîtrise
économique des soins médicaux est une nécessité. Pour autant, elle ne doit jamais intervenir
dans une décision médicale de poursuivre ou non une thérapeutique utile au patient, tel que le
médecin peut médicalement l’apprécier. Or on semble demander au médecin à la fois de
préserver de la mort, et en ce sens d’utiliser toutes ses connaissances pour y parvenir, et en
même temps de s’astreindre à un budget de soins. Il faut comprendre que le traitement doit
être engagé lorsqu’il produit un bénéfice pour le patient et ce même si le traitement envisagé
présente un risque important pour le patient. Ce n’est que lorsque l’avantage envisagé est
minime et le risque important que l’on a le droit d’exiger du médecin qu’il s’interroge au delà
de son exercice médical sur le coût que représente un tel exercice.
Enfin, à la lumière de la responsabilité, le médecin pourrait être tenté d’engager toutes
thérapeutiques possibles, tous azimuts. « Tout excès de sévérité des magistrats auraient pour
effet pervers le développement d’une médecine défensive dans laquelle les praticiens
prescriraient de plus en plus d’examens diagnostiques, particulièrement coûteux pour la
- 188 -
Sécurité sociale, afin de "se couvrir" contre une éventuelle action en responsabilité »588. Le
médecin pourrait fort bien se retrouver pris dans un étau entre son obligation de donner des
soins conformes aux données acquises de la science et celle de ne pas employer des
techniques et investigations exorbitantes compte tenu de leur coût. Quel sera ce dilemme
lorsque la vie d’un patient ne tiendra qu’à un fil, à cette décision de poursuivre ou non les
traitements quant le résultat escompté est imprévisible et les frais engagés importants. Le
médecin sera pris entre le couperet d’une responsabilité pour ne pas avoir engagé tous les
soins possibles et celui d’avoir engagé trop de frais pour un résultat minime, soit pour une
amélioration faible, soit parce que, si la vie du patient est sauvée, elle va maintenant
nécessiter une prise en charge médicale très onéreuse.
Au regard de la faute médicale, le médecin ne se fait plus seulement soignant de la vie
contre la mort. Il se fait gestionnaire d’une qualité de vie, d’un système de santé et du risque
médical. Le médecin du XXIe siècle n’est plus un simple combattant contre la mort. Sa faute
mortelle peut donc être recherchée à plus d’un titre. Encore faut-il cependant, pour que le
médecin soit déclaré responsable, que cette faute ait un lien de causalité avec le décès.
B- Le lien de causalité entre la faute du médecin et la mort du patient
Qu’importe que la faute existe, si elle n’est pas en lien avec la mort du patient. Le
médecin ne sera responsable du décès de son patient que s’il existe un lien de causalité avec le
décès de ce dernier (1). Il faudra en outre prouver ce lien de causalité (2).
1- L’existence de la causalité entre la faute du médecin et la mort du patient
La majorité des litiges concernent le lien de causalité. La faute doit être à l’origine du
décès 589 . Le lien de causalité entre la faute et la mort doit être établi. Un médecin qui a
commis une faute ne saurait pour autant être condamné s’il n’est pas établi que cette faute est
588
E. Savatier, S. Porchy-Simon, Responsabilité médicale, Responsabilité pour faute de technique médicale, J.
Cl. civ. et assur. , art. 1382 à 1386 : fasc. 440-40, n° 27.
589
La nécessité d’un lien de cause à effet entre la faute et le dommage s’impose quelle que soit la nature de la
responsabilité, délictuelle ou contractuelle. A propos de celle-ci, l’exigence d’un lien suffisant de causalité
résulte clairement de l’article 1151 du Code civil. D’après cet article, « dans le cas même où l’inexécution de la
convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre […] que ce qui est une
suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention ». Cette règle s’impose en matière de responsabilité
délictuelle en dépit de l’absence de texte. L’idée essentielle réside dans la nécessité d’une relation de cause à
effet entre le dommage dont on réclame la réparation et la faute de l’auteur, c’est-à-dire l’inexécution par lui de
son obligation.
- 189 -
la cause du dommage 590 . La cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé, par un arrêt du 26
septembre 2001591, qu’il n’était pas possible de retenir une causalité directe entre la faute –
l’abstention du médecin dans le dépistage de la toxoplasmose – et la mort d’un fœtus de 7
mois. La cour d’appel a estimé qu’aucun élément médical ne permettait de retenir comme
certain que la mise en œuvre d’un traitement préventif aurait nécessairement empêché la
contamination du fœtus.
L’existence de ce lien de causalité semble plus facile à établir lorsque le patient a subi
une intervention de médecine de confort. En effet il s’agit non pas d’un malade mais d’un
patient en bonne santé. Comme le patient ne présentait au départ aucune pathologie, il
apparaît que la mort survenue aura a priori un lien avec l’intervention du médecin, si la faute
est établie. Ce lien est donc très facilement admis par la jurisprudence.
En revanche, il en va différemment si le patient était déjà malade. Le dommage réalisé n’a pas
qu’une seule cause ; il est le résultat de causes multiples. Schématiquement, l’absence totale
de soins conduit normalement le patient à la mort. Autrement dit, quel est l’influence de
l’existence d’un état pathologique sur le lien de causalité ?
La jurisprudence a décidé que l’existence d’un état pathologique ne rompt pas le lien de
causalité entre le dommage et la faute génératrice592. La matière médicale est particulière à ce
titre. En effet le patient subit déjà un préjudice que le médecin va, par sa faute, aggraver. Mais
l’intervention du praticien avait pour but de mettre un terme à la douleur du patient. La
maladie non soignée aurait pu causer la mort du patient. C’est parce que l’action du médecin
aurait normalement permis au minimum de soulager le malade ou au mieux aurait permis sa
guérison que la mauvaise exécution de son acte est en lien avec la mort du patient. Le
médecin est donc désormais considéré comme un professionnel comme un autre. Son action
doit conduire à la guérison ; qu’importe la difficulté présente ou la gravité de la maladie.
Toutefois cette cause doit avoir été déterminante dans la mort du patient. En effet il semble
que la jurisprudence, suivant en cela la lettre du texte, a consacré la théorie de la causalité
adéquate. Ainsi le médecin doit réparation du dommage et de tout le dommage qui, sans sa
faute, ne se serait pas immédiatement réalisé. En revanche, il ne doit pas réparation de toutes
590
Cass. 1re civ. , 30 sept. 1997, Bull. civ. I, n° 259. La Cour de cassation a souligné que l’auteur d’une faute ne
peut être condamné à réparation que si cette faute a contribué de façon directe à la production du dommage dont
la réparation est demandée.
591
CA Aix en Provence, 10e ch., 26 sept. 2001, Verot c/ Chodkiewicz, Juris-Data n° 157247.
592
Cass. 2e civ., 19 juill. 1966, D. 1966, jurispr. p. 598, note M. Le Rot. – 13 janv. 1982 , JCP G 1983, II, 20025,
note Dejean de la Batie. – Cass. 1re civ., 28 oct. 1997, Bull. civ. I, n° 298 ; RTD civ. 1998, p. 123, obs. P.
Jourdain. – 7 déc. 1999, Resp. civ. et assur. 2000, comm. n° 90.
- 190 -
les conséquences indirectes qui normalement auraient pu se produire sans sa faute 593 .
Cependant, il est parfois encore permis d’hésiter, la jurisprudence n’ayant jamais tranché la
question de façon franche et claire, utilisant à l’occasion la théorie de l’équivalence des
conditions. En ce sens, l’appréciation du lien causal par le juge paraît souvent relever de
considérations d’opportunité, un auteur ayant pu considérer que les juges statuaient dans ce
domaine « par sentiments » 594 . Les incertitudes du droit commun de la responsabilité se
retrouvent dans la responsabilité médicale, où la nature des faits envisagés par le juge rend,
dans de nombreuses hypothèses, difficile la caractérisation du lien causal. Et
malheureusement on constate dans la jurisprudence une tendance extensive à l’admission de
la relation de la cause à effet en matière de responsabilité médicale, notamment parce que le
dommage est grave, que la victime est jeune et que la médecine était de confort. Tel est le cas,
par exemple, lorsque le patient se trouve dans un état neurovégétatif après une opération de
chirurgie esthétique de pure complaisance, la seule faute du médecin étant un défaut
d’information d’un risque exceptionnel, qui s’est malheureusement réalisé595. Les considérations d’opportunité sont plus présentes et la loi du 4 mars 2002, s’étant peu intéressée au lien
causal, n’est d’aucun secours. Encore faut-il, pour condamner le médecin, établir la preuve du
lien causal.
2- La preuve de la causalité
La charge de la preuve est fondée sur un principe stricte. Elle repose sur le patient (a).
Toutefois, le jurisprudence et la loi ont parfois pris des libertés avec le principe, en estimant
que la preuve était facilement rapportée, voire en inversant le principe. La potentialité
mortelle d’une maladie a à nouveau conduit à assouplir les principes de la responsabilité
civile (b).
a) Le principe
La charge de la preuve pèse sur le demandeur, c’est-à-dire le patient ou ses ayants droit. Ce
dernier doit démontrer que le préjudice subi est la conséquence certaine et directe d’une faute
593
F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit Civil, Les obligations, 9e éd. 2005, Dalloz., n° 592.
P. Esmein, Le nez de Cléopâtre ou les affres de la causalité, D. 1964, Chron. p. 205. –V. également, G. Marty,
La relation de cause à effet comme condition de la responsabilité, RTD civ. 1939, p. 685. – Y. Lambert Faivre,
De la poursuite à la contribution : quelques arcanes de la causalité, D. 1992, chron. p. 311.
595
Cass. civ. 10 déc. 2002, pourvoi n° 01-10752, rejet. Pour une absence de lien de causalité, v. par exemple,
Cass. civ. 29 oct. 2002, pourvoi n° 01-10311, inédit titré.
594
- 191 -
du médecin. Conformément à l’article 1315 du Code civil, il appartient au patient ou ses
ayants droit, demandeur à l’action en indemnisation, de prouver l’existence d’un lien de
causalité entre la faute du médecin et les préjudices subis596. Cette solution est maintenue quel
que soit le fondement de la responsabilité du médecin et notamment lorsque cette dernière est
engagée pour manquement à une obligation de résultat née du contrat médical. Cette solution
mérite d’être soulignée dans le sens où, dans le droit commun de la responsabilité, la Cour de
cassation a parfois retenu en termes généraux que l’existence d’une obligation de résultat
emportait, au delà d’un renversement de la charge de la preuve de la faute, une présomption
de culpabilité 597 . Or cette solution n’a pas été retenue en droit médical. Dans les deux
principales hypothèses d’obligation résultat identifiées dans le droit médical, la haute
juridiction a clairement rappelé que la responsabilité du médecin supposait que la victime
établisse le lien de causalité entre l’inexécution de l’obligation et le dommage subi598. Pour la
première fois, il semble avoir été tenu compte de la difficulté de la pratique médicale.
L’action du médecin doit nécessairement être mise en parallèle avec la maladie du patient
dans la causalité du décès. Les principes ne sont pas transgressés au profit du patient.
Ainsi, dans le domaine des infections nosocomiales responsables de plusieurs milliers
de décès chaque année, la cour de cassation a énoncé, dans un arrêt du 27 mars 2001, qu’il
« appartient au patient de démontrer que l’infection dont il est atteint présente un caractère
nosocomial, auquel cas le médecin est tenu à une obligation de sécurité résultat » 599 . Le
pourvoi contre une décision de cour d’appel ayant débouté le patient de sa demande
d’indemnisation, était rejeté du fait d’une incertitude quant à l’origine de l’infection. La Cour
de cassation laisse donc au patient la charge de la preuve du lien de causalité entre l’affection
virale et l’inexécution des obligations contractuelles incombant à la clinique. La solution a été
jugée sévère par la doctrine dans le sens où la principale difficulté dans le domaine des
infections nosocomiales est celle de la preuve de ses origines. Une appréciation trop
596
Solution constante : V. par exemple, Cass. 1re civ., 25 oct. 1961, Bull. civ. I, n° 486. – 10 juill. 1962, Bull. civ.
I, n° 258. – 30 sept. 1997, Resp. civ. et assur. 1997, comm.. n° 373. CA Rennes, 7e ch., 25 nov. 1998, Calohard
c/ Legrand, Juris-Data n° 047179. De même, pour la jurisprudence administrative : CAA Paris 3e ch, 22 oct.
1998, Lombard, Juris-Data n° 046349. – CAA Paris, 4e ch., 20 août 1998, Valibouse, Juris-Data n° 047718. –
CAA Marseille, 1re ch., 1 avril 1999, Troceillier, Juris-Data n° 041665.
597
V. notamment, Cass. 1re civ., 2 févr. 1994, JCP E 1994, II, 579, au sujet de la responsabilité du garagiste. – G.
Viney, P. Jourdain, Traité de droit civil, n° 367.
598
Cass. 1re civ. , 9 nov. 1999, Cass. 1re civ., 7 nov. 2000.
599
Cass. 1re civ., 27 mars 2001 : Resp. civ. et assur. 2001, comm. n° 195 ; RTD civ. 2001, p. 596, obs. P.
Jourdain.
- 192 -
rigoureuse priverait donc le malade de toute indemnisation dans de nombreuses hypothèses600.
La loi nouvelle du 4 mars 2002 confirme ces solutions. Dans l’hypothèse d’un accident
médical, elle subordonne expressément l’indemnisation du patient au titre de la solidarité
nationale à la preuve de l’imputabilité directe du préjudice à l’acte dommageable601.
Cependant l’appréhension du lien de causalité entre la faute médicale et le dommage
étant une question de fait, sa preuve est libre et peut donc être établie par tout moyen par le
demandeur à l’action. Le principe, stricte en apparence, semble protéger le médecin. Mais,
dans le but d’indemniser la victime, la jurisprudence et la loi ont parfois largement assoupli le
principe.
b) Les facilités jurisprudentielles et législatives
La jurisprudence fait parfois preuve de libéralisme dans l’appréciation des moyens de
preuve fournis par le patient602. De plus, la preuve du lien de causalité peut être établie d’un
ensemble de présomptions, apprécié de façon souple. Elle pourra permettre plus facilement
l’indemnisation du préjudice subi. L’aléa inhérent à tout acte médical rend en effet peu
probable l’existence d’une preuve directe du lien causal, dont la vraisemblance peut en
revanche être établie par un faisceau d’indices emportant la conviction du juge603. Le patient
devra cependant apporter la preuve de faits « graves, précis et concordants », conformément à
l’article 1353 du code civil, faits appréciés souverainement par les juges du fond604.
600
V. en ce sens, P. Jourdain sous Cass. civ 1re, 27 mars 2001, préc., et S. Porchy-Simon, La responsabilité
médicale, Principes généraux, J.Cl. civ et assur., art. 1382 à 1386, fasc. 440-20, n° 84.
601
Art. L.1142-1-II, CSP.
602
Cass. 1re civ., 7 déc. 1999, Juris-Data n° 1999-004343. – CA Versailles, 2 mai 2001, D. 2001, somm. p. 1592,
retenant le lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et l’apparition de la sclérose en plaques.
603
J. Picard , Le recours du juge civil à la présomption en matière de responsabilité médicale, Gaz. Pal. 1995, 2
doct. p. 944.
604
La preuve par exclusion peut illustrer cette technique de présomption. Elle a été notamment mise en œuvre
dans le contentieux de la contamination post-transfusionnelle par le sida ou l’hépatite C avant la loi du 4 mars
2002. Du fait de la difficulté de preuve en la matière les tribunaux estimaient que le lien était établi lorsque,
d’une part, la victime ne présentait aucun antécédent et, d’autre part, l’identification des donneurs de sang dont
l’un au moins était porteur de la maladie. Etait ainsi exclu tout autre mode crédible de contamination. V. Cass.
1re civ., 17 févr. 1993, JCP G 1994, II, 2226, note A. Dorsner-Dolivet. – 14 nov. 1995, Bull. civ. I, n°414. – 9
juillet 1996, Bull. Civ., I, n°306. – 16 juillet 1998, Bull. civ. I, n° 261. – 23 nov. 1999, Resp. civ. et assur. 2000,
comm. n° 48. – 28 mars 2000, Bull. civ. I, n° 108. V. pour des illustrations des juges du fond ; CA Montpellier,
12 déc. 2000, Juris-Data n° 2000-133312. – CA Toulouse, 22 janv. 2001, Juris-Data n° 2001-138769. – CA
Nîmes, 19 févr. 2001, Juris-Data n° 2001-142084. – CA Paris, 20 mars 2001, Juris-Data n°2001-143182. – CA
Toulouse, 17 avr. 2001, Juris-Data n° 2001-146679. Cette solution fut consacrée par la Cour de cassation, 1re
civ, 9 mai 2001, D. 2001, jurispr p. 2149, rapp. P. Sargos. – Cass. 1re civ., 17 juillet 2001, 2e esp. ,Juris-Data n°
2001-010675 et n° 2001-010676. Une solution identique a été adoptée par le législateur dans le loi du 4 mars
2002 pour toutes les contaminations par le virus de l’hépatite C antérieures à l’entrée en vigueur de la loi. On
- 193 -
Il est de nombreux cas en matière médicale où le lien de causalité entre la faute et le
dommage n’est pas certain, ce qui devrait exclure l’indemnisation de la victime. Cependant la
jurisprudence a trouvé des biais pour permettre l’indemnisation de la victime. Elle facilite
notamment la preuve de l’existence du lien causal lorsque le préjudice est important, c’est-àdire particulièrement invalidant, voire mortel, parce qu’il faut trouver un responsable.
Toutefois il apparaît que la faute doit être alors davantage une faute de technique médical.
Ainsi un simple défaut d’information sans lien avec l’état végétatif du patient ne saurait
entraîner la responsabilité du médecin 605 . Il doit y avoir un responsable pour permettre
l’indemnisation. Le préjudice important révèle, en quelque sorte, le lien de causalité avec une
faute quelconque. Ainsi, nonobstant l’affirmation de principe selon lequel la charge de la
preuve du lien causal appartient au demandeur à l’action, la jurisprudence adopte, dans
certains cas particuliers, une conception si souple du lien de causalité entre la faute et le
dommage que la doctrine a parfois pu considérer qu’existaient de véritables présomptions de
causalité d’origine jurisprudentielle.
Cette jurisprudence s’est, par exemple, illustrée dans l’hypothèse de la perte de chance
de guérison ou de survie606. Le médecin n’est pas ici directement responsable de la mort du
patient. Il est responsable d’un manque de « temps de vie », alors que la science permettait ou
de vaincre la maladie ou, tout au moins, de la circonscrire. La théorie de la perte de chance
permet à la victime de prétendre à une indemnisation si elle établit non plus que la faute est
avait pu craindre un temps une appréciation laxiste des indices établis par les parties, mais la jurisprudence s’est
montrée rapidement rigoureuse en refusant de retenir l’existence d’un lien de causalité lorsque les indices
apparaissaient trop incertains : Cass. 1re civ., 23 nov. 1999, préc.- Cass. 2e civ., 28 mars 2000, RTD civ. 2000, p.
577.
605
Cass. civ. 1ere 29 oct. 2002, pourvoi n° 01-10311, inédit titré.
606
La seconde hypothèse est celle relative à l’arrêt Perruche. Par cet arrêt, la cour de cassation a admis
l’indemnisation du préjudice de l’enfant né handicapé. Une grand part de la doctrine a estimé que la Haute
juridiction avait purement et simplement présumé le lien de causalité, voire admis une responsabilité en
l’absence de tout lien causal entre la faute du médecin et la naissance de l’enfant. V. en ce sens, par exemple, F.
Chabas, obs. ss. Cass. ass. plén., 17 nov. 2000, JCP G 2000, II, 10438. – L. Mayaux, Naissance d’une enfant
handicapé : La cour de cassation au péril de la causalité, RGDA 2001, p. 1. – G. Méméteau, L’action de vie
dommageable, JCP G 2000, I, p. 279. – J. Sainte Rose, concl. ss Cass. ass. Plén., 17 nov. 2000, JCP G 2000, II,
10438. Il n’existe en effet, aucun lien entre la faute médicale et le handicap de l’enfant. Au contraire, d’autres
auteurs ont retenu que si l’on s’interroge sur l’existence du lien de causalité entre la faute médicale et la
naissance handicapé de l’enfant, on peut dire qu’en l’absence de faute, la mère aurait interrompu sa grossesse et
l’enfant ne serait pas né. En ce sens, la cause de la naissance handicapée peut être identifiée dans la faute du
médecin sans laquelle l’enfant n’aurait jamais vu le jour. V. J.-L. Aubert, Indemnisation d’une existence
handicapée qui, selon le choix de la mère, n’aurait pas du être, D. 2001, chron. p. 489. – L. Aynès, Préjudice de
l’enfant handicapé : la plainte de Job devant la Cour de cassation, D. 2001, chron. p. 492. P. Jourdain, obs. RTD
civ. 2001, p. 149. – G. Viney, Brèves remarques sur un arrêt qui affecte l’image de la justice, JCP G 2001, I,
286. S’il fallait retenir cette conception du lien de causalité, on comprend d’autant mieux pourquoi chacun a
conclu à ce que la Cour de cassation a réparé le préjudice du fait d’être né.
- 194 -
bien la cause directe du dommage mais que la faute l’a privée d’une chance de guérir ou
d’éviter des séquelles607. Depuis 1965, la jurisprudence civile décide de manière constante
que le médecin qui, par sa faute, a fait perdre à son patient une chance de guérison ou de
survie engage sa responsabilité608. Toutefois l’obligation de réparer qui en résulte n’est que
partielle par rapport au préjudice final représenté par l’invalidité ou le décès609.
Dans un premier temps, la jurisprudence a utilisé la théorie de la perte de chance pour
déplacer l’objet de la preuve devant être rapportée par la victime. Cette théorie a été utilisée
toutes les fois qu’il n’était pas possible d’établir un lien de causalité entre une faute et un
préjudice, parce que le lien était trop incertain ou exclu. Ainsi, dans plusieurs arrêts610, la
Cour de cassation a estimé que, s’il n’était pas certain que la faute soit à l’origine du
dommage, elle n’en avait pas moins privé la victime d’une chance de guérison ou de survie.
De sorte que, si le patient est décédé sans que l’on puisse imputer directement la mort au
médecin, on estimait que ce dernier, ayant joué un rôle même lointain dans celle-ci, en devait
réparation car il avait fait perdre au patient du temps de vie. La responsabilité du médecin
dans la mort est donc particulièrement étendue. La présence du médecin fait présumer qu’il
aurait pu quelque chose. Et le préjudice, la mort du patient, oblige à réparation, à
indemnisation, parce qu’elle est inacceptable.
La jurisprudence a ensuite écarté la perte de chance du terrain de la causalité pour la
cantonner à celui du préjudice. Ainsi par exemple, par un arrêt du 4 mai 1999611, la première
chambre civile de la Cour de cassation a jugé que les praticiens, qui avaient procédé à une
recherche des causes de l’amaigrissement du patient, avaient été fondés à estimer qu’il avait
une origine psychologique et qu’un retour en milieu familial avec un suivi hebdomadaire
pouvait avoir un effet positif, ceci rendant inopérant le moyen tiré d’une perte de chance de
survie, laquelle suppose l’établissement préalable d’une faute. De même, le retard mis par un
médecin à procéder à des examens et ne permettant donc pas au patient de bénéficier de soins
607
G. Mémeteau, Perte de chances et responsabilité médicale, Gaz. Pal. 24-25 oct. 1997, n° spécial, Droit de la
santé, p. 22.
608
V. sur le sujet F. Descorps Declère, La Cohérence de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la perte de
chance consécutive à une faute du médecin, D. 2005, Chron. p. 742.
609
La doctrine et la Cour de cassation justifient la caractère partiel de la réparation en affirmant que l’on
indemnise un préjudice spécifique, distinct du préjudice final : le préjudice constitué par la chance perdue.
610
Cass. 1re civ., 18 mars 1969, JCP G 1970, II, 16422, obs. Rabut. – 27 janv. 1970, JCP G 1970, II, 16422. – 14
déc. 1965, JCP G 1966, II, 14753, obs. Savatier. – 18 mars 1979, Bull. civ. I, n° 117. – 20 mai 1971, Bull. civ. I,
n° 171.
611
Cass. 1re civ., 4 mai 1999, Guesdon c/ Delacoux des Roseaux, Juris-Data n° 001808.
- 195 -
attentifs a justifié que soit retenue la perte de chance de guérison612. Le dommage ne doit pas
être totalement étranger à la chance perdue613. La perte de chance ne doit pas être purement
hypothétique.614 Il faut qu’il existe réellement une chance que la faute du médecin ait fait
perdre. Cette jurisprudence était plus raisonnable. Mais s’il existe une chance infime, le
médecin devra réparation615. Lorsque le médecin peut normalement quelque chose pour la vie
et peut donc gagner sur la mort, il est responsable s’il échoue.
Le législateur a lui aussi facilité la preuve de l’existence du lien de causalité face à des
maladies potentiellement mortelles, tout au moins aujourd’hui particulièrement invalidantes et
traumatisantes, pour permettre la réparation du préjudice par le fonds d’indemnisation. Dans
des cas exceptionnels, le législateur a instauré des présomptions légales de causalité afin de
faciliter l’indemnisation des victimes en opérant un renversement de la charge de la preuve du
lien causal au profit du demandeur. Ainsi en est-il dans le cas des victimes posttransfusionnelles du virus du sida, conformément à l’article L.3122-2 du Code de la santé
publique issu de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991. Pour obtenir réparation, ces victimes
doivent en effet prouver simplement la contamination par le virus du sida et la transfusion.
Sur cette base est présumé un lien de causalité entre ces deux faits. Cette présomption reste
cependant un présomption simple, c’est-à-dire susceptible d’être contredite par une preuve
contraire. Elle peut être renversée si le fonds d’indemnisation établit l’existence d’une autre
cause de contamination, ou s’il démontre qu’aucun des donneurs n’était séropositif. Le champ
d’application de cette présomption de causalité est entendu largement par la jurisprudence
puisqu’elle admet qu’elle peut trouver à s’appliquer même dans les hypothèses de
contamination indirecte616.
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 a également admis une présomption légale de
causalité pour les victimes de contaminations par le virus de l’hépatite C antérieurement à
cette loi. En effet, l’opportunité de créer un fonds d’indemnisation, à l’égal de celui des
612
Cass. 1re civ., 25 mars 1968, Bull. civ. I, n° 109. – 17 nov. 1970, Bull. Civ. I, n° 301. – 2 mai 1978, Bull. Civ.
I, n° 167. – 12 nov. 1985, Bull. Civ. I, n° 298.
613
V. par exemple, Cass. 1re civ., 7 juin 1988, Bull. civ. I, n° 180.
614
Cass. 1re civ., 10 janv. 1990, Bull. civ. I, n° 10. – 5 févr. 1991, Bull. civ. I, n° 55.
615
V. pour un article récent général sur la perte de chance : F. Descorps Declère, La cohérence de la
jurisprudence de la Cour de cassation sur la perte de chance consécutive à une faute du médecin, D. 2005, Chron.
p. 742.
616
Cass. 1re civ., 18 juin 1997, Resp. civ. et assur. 1997, comm. n° 302.
- 196 -
victimes du HIV, a été depuis longtemps largement démontré617, mais son coût a bloqué sa
mise en place. La loi du 4 mars 2002 permet aux victimes de l’hépatite C d’obtenir une
indemnisation de leur préjudice au titre de la solidarité nationale, selon la procédure instaurée
par les articles L. 1142-7 et suivants du Code de la santé publique618. Toutefois la loi n’est pas
applicable aux faits dommageables survenus plus de six mois avant son entrée en vigueur.
Dès lors, les victimes contaminées avant le 4 septembre 2001 ne pourront être indemnisées
sur la base de texte. Cependant le législateur a instauré à l’article 102 de la loi du 4 mars
2002, une présomption de causalité619.
Finalement, le médecin pourra tenter d’échapper à sa responsabilité en démontrant la
rupture du lien de causalité du fait du patient ou du fait d’une cause étrangère620 à son action.
Ainsi le lien de causalité entre le dommage et une éventuelle faute du médecin n’est pas établi
lorsque ce dommage résulte, en réalité, d’une faute personnelle du patient que le médecin n’a
pas pu prévoir ou dont il n’a pu éviter les conséquences. C’est le cas, par exemple, lorsque le
malade affirme à tort qu’il n’a jamais suivi de traitement antérieur et met en conséquence le
médecin dans l’impossibilité de prévoir les suites éventuelles du traitement antérieur qu’il
prescrit. Il en est de même en cas de refus du patient de suivre le traitement conseillé par le
médecin.
Si la faute du médecin en lien de causalité avec le décès du patient est établie, va alors
se poser la question de l’indemnisation de ce préjudice. Toute faute appelle normalement à
réparation. En notre hypothèse, elle est impossible. Le droit cependant monnaye la douleur
morale.
617
La contamination par le virus de l’hépatite C est d’une ampleur considérable, dépassant le nombre de victimes
transfusionnelles du sida. V. Y. Lambert-Faivre, Droit du dommage corporel, op. cit., n° 612 et s. et L’hépatite
C post-transfusionnelle et la responsabilité civile, D. 1993, chron. p. 291. – D. Artus, Hépatite C post
transfusionnelles : des voies et des réponses contentieuses désormais clarifiées, D. 2001, chron. p. 1745. – R.
Lefèvre, Les hépatites post-transfusionnelles, RFDC 1993, p. 35.
618
Cf. la responsabilité médicale sans faute.
619
Cet article dispose : « En cas de contestation relative à l’imputabilité d’une contamination par le virus de
l’hépatite C antérieure à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui
permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion des produits sanguins labiles ou
une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de
prouver que cette transfusion ou cette injection n’est pas à l’origine de la contaminatio […]. ».
620
Cas de force majeure, faute de la victime ou fait d’un tiers. Pour être exonératoire, l’événement doit,
conformément à une jurisprudence constante, présenter trois caractères cumulatifs : l’irrésistibilité,
l’imprévisibilité, extériorité. Encore faut-il cependant que le fait extérieur soit lui aussi la cause exclusive du
dommage car, s’il est en concours avec la faute du médecin, la responsabilité de celui-ci reste établie.
- 197 -
C- L’indemnisation de la mort du patient
Il s’agit tout d’abord d’admettre le principe d’indemnisation de la mort (1), pour
ensuite déterminer le montant de cette indemnisation (2).
1- Le principe d’indemnisation de la mort
L’ensemble des préjudices trouvant leur cause dans l’acte médical considéré comme
fautif pourront fait l’objet d’une indemnisation 621 . Conformément au droit commun, la
responsabilité du médecin ou de l’établissement de soins ne peut être engagée qu’à la
condition qu’un préjudice présentant les caractères d’un dommage réparable – dommage
certain, personnel et direct – ait été causé au malade. Par hypothèse, le préjudice subi par la
victime est très important puisqu’il consiste en son décès 622 . Ce dommage appelle-t-il à
l’indemnisation de la victime ? Mieux vaut parler en ce cas d’ailleurs d’indemnisation,
puisqu’on ne ressuscite pas les morts. Le droit a-t-il vocation à réparer ce dommage puisqu’en
ce qui concerne la mort, celle-ci, par essence, est irréparable ? Pour le Doyen Carbonnier,
« s’il fallait poser le problème philosophique dans toute sa profondeur, ce devrait être pour le
dommage résultant d’un accident mortel : le droit répond-il mieux à sa vocation en feignant
de réparer ce dommage, ou en faisant sentir aux hommes, par un refus, que la mort, comme il
est écrit (II Samuel, 12 : 23), est irréparable ? ». Cependant des mécanismes de compensation
ont été élaborés par toutes les sociétés contemporaines. Ils visent à remettre la victime ou ses
ayants droit dans une situation aussi voisine que possible de celle qui existait avant la
survenance de l’accident623. Si la réparation du dommage est subordonnée au caractère direct
de celui-ci, d’autres personnes peuvent elles aussi, à titre personnel, se prévaloir à l’égard du
médecin des dommages qui résultent pour elles de l’accident. On parle alors de victime dite
par ricochet624. Le droit français distingue ainsi deux types d’actions : l’action du successeur
621
Ces préjudices sont fixés après rapport d’expertise judiciaire ou amiable, soit devant les tribunaux, soit dans
le cadre d’une transaction intervenue d’une part entre l’auteur du fait dommageable et son assureur, et d’autre
part la victime ou ses ayants droits agissant pour elle. La transaction ne peut porter que sur la réparation
pécuniaire et ne saurait exclure la recherche de la responsabilité devant la juridiction pénale.
622
Y. Lambert-Faivre, Le droit du dommage corporel, systèmes d’indemnisation, Dalloz, 1990 et Le droit et la
morale dans d’indemnisation des dommages corporels, D. 1992, chron. 165 s.
623
Sur l’évolution d’une idée de compensation pécuniaire et de droit comparé, v. M. Bourrié-Quenillet, Droit du
dommage corporel et prix de la vie humaine, JCP G 2004, I, 136, p. 941 et s.
624
M. Bouré-Quenillet, Le préjudice moral des proches d’une victime blessée, JCP G 1998, I, p. 186, p. 2205.
Cass. 1re civ. 18 juill. 2000, Bull. civ. I, n° 221 ; JCP G 2000, II, n° 10415 : les tiers à un contrat sont fondés à
invoquer l’exécution défectueuse de celui-ci lorsqu’elle leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d’autre
preuve. – Cass. 1re civ., 13 févr. 2001, JCP G 2002, II, 10099, note C. Lisanti-Kalczynski.
- 198 -
de la victime qui exerce les droits que celle-ci aurait eus si elle avait survécu et l’action
exercée, en leur nom propre, par ceux qui réclament réparation du préjudice personnel que
leur a occasionné le décès. Entrent dans le premier type d’action les frais relatifs à la période
entre l’accident et le décès (frais médicaux et pharmaceutiques, frais funéraires, salaires
perdus pendant cette période) et dans le second type d’action les demandes de réparation de
préjudices moraux et économiques propres aux proches.
En cas de décès d’un proche, il s’agit plus de compenser pécuniairement la souffrance
morale et la perte d’un être cher que de chiffrer la vie d’une personne, même si le juge a pour
mission d’évaluer financièrement les préjudices moraux et économiques625. Du point de vue
économique, une indemnité est allouée aux proches seulement lorsque ceux-ci étaient à la
charge de la victime décédée ou avait un soutien financier de sa part. Elle doit leur permettre
de continuer à vivre si possible comme avant l’accident.
Le dommage peut être corporel ou matériel, il peut aussi être moral. La réparation d’un tel
préjudice a soulevé des objections 626 parce qu’il s’agissait notamment de monnayer des
larmes. Toutefois, l’octroi de dommages-intérêts tend moins à réparer qu’à compenser
l’irréparable, y compris la douleur subie à la mort d’un être cher627. La jurisprudence a ainsi
retenu que le dommage réparable pouvait être moral. L’indemnité de préjudice moral a pour
objectif de procurer aux proches des satisfactions matérielles, intellectuelles et même morales.
Là où le dommage moral coexiste en effet avec un dommage patrimonial, sa réparation a
souvent permis aux tribunaux, sans le dire, d’user de chef pour augmenter les dommagesintérêts mis à la charge du responsable dans la mesure où, faisant remplir par l’indemnité une
fonction de peine privée, ils ont estimé que l’attitude de l’auteur du dommage était nettement
répréhensible. Il faut noter que les victimes en état végétatif, dont pour certains le processus
625
V. sur l’ensemble de la question : M. Bouré-Quenillet, L’évaluation monétaire du préjudice corporel :
pratique judiciaire et données transactionnelles, JCP G 1995, I, n° 3918, p.41 ; Le préjudice : questions choisies,
Colloque 12 déc. 1997 : Resp. civ. et assur., n° spécial, mai 1998 ; et Droit du dommage corporel et prix de la
vie humaine, JCP G 2004, I, 136, p. 941 et s. M. Le Roy L’évaluation du préjudice corporel, Litec 2000, collec.
Responsabilités.
626
De nos jours, il est unanimement admis que la réparation du préjudice moral est un progrès de notre société,
progrès allant dans le sens de l’humanisme. L’indemnisation est quasi systématique pour les conjoints et les
concubins, les enfants et les petits enfants, les parents et les grands-parents, les frères et sœurs. Cela n’a pas
toujours été le cas par le passé. Ainsi en 1948, Ripert reproche aux tribunaux judiciaires d’avoir trop largement
ouvert l’action en réparation du dommage moral. En 1954, Esmein regrette la déplorable « commercialisation de
la douleur morale » et le Doyen Duez déclare : « La véritable affliction est désintéressée ». Le droit feint ici de
réparer. A ce propos, Henri Margeat écrit : « Il n’existera jamais de réparation intégrale des préjudices
extrapatrimoniaux, tout simplement parce que la compensation en argent est inadéquate à ce type de dommage.
Tout au plus est-il possible d’allouer des forfaits correspondant à l’état de santé économique du pays. Telle est
du reste l’orientation prise par nos voisins européens au Nord, au Sud et à l’Est depuis plus d’une décennie »
(Préface d’H. Margeat, dans l’ouvrage de M. le Roy, L’évaluation du préjudice corporel, Litec, 16e éd).
627
F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les Obligations, Droit Civil, Dalloz, 9e éd., 2005, n° 712.
- 199 -
vital est donc grandement compromis, perçoivent l’intégralité des préjudices628 ; peu importe
qu’elles ne soient pas conscientes, l’appréciation des préjudices se fait dans ce cas totalement
in abstracto, la Cour de cassation estimant que l’indemnisation du dommage n’est pas
fonction de la représentation que s’en fait la victime mais de sa constatation par les juges et
de son évaluation objective dans la limite de la demande dont ils sont saisis629. L’ensemble
des indemnités allouées à une victime en vie et à ses proches va constituer « le prix de la vie »
de la personne blessée. La reconnaissance par le droit français est beaucoup plus complète en
ce cas que dans celui de la perte de vie. Notre société accorde une valeur plus importante à la
vie lorsque la personne est encore en vie que lorsqu’elle est décédée, même tragiquement.
Elle atteint même des sommes considérables lorsque la victime se trouve dans un état
végétatif chronique. La mort de l’individu entraîne une dépréciation immédiate du prix de sa
vie630.
Le médecin confronté à la mort de son patient se trouve ainsi dans une situation
paradoxale. Alors que sa responsabilité sera, semble-t-il, plus facilement retenue compte tenu
du préjudice subi, la résultante financière de ce préjudice sera moindre. La responsabilité est
organisée pour indemniser les vivants, pour réparer. Or la mort irréparable du patient ne sera
pas indemnisée, à peine compensée. Mais les proches ne doivent pas « être enrichis » par la
mort de la personne. Tel n’est pas l’objectif du droit. Par ailleurs, le mort par essence ne
nécessite plus de soins alors que les préjudices médicaux des « vivants » génèrent le plus
souvent à leur suite des frais importants (nouvelles hospitalisations, équipements particuliers,
les aménagements de vie, du travail, etc.…). Cependant les sommes allouées ne sont pas si
éloignées que l’on pourrait l’imaginer à cette suite. En effet la jurisprudence tient énormément
compte du pretium doloris engendré, de la manière dont la mort est survenue – il existe des
différence ainsi importante selon que la mort fait suite à une opération thérapeutique
dangereuse du fait de la santé du patient ou si elle fait suite à une opération de confort –, de
l’âge du patient. S’ajoute à cela que, par les indemnités allouées, les juges font « payer » aux
médecins leur faute. Les indemnités seront ainsi plus élevées si la faute est grave.
628
Les préjudices économiques (incidence professionnelle, perte de revenus, frais médicaux et pharmaceutiques,
frais futurs, frais de logement, assistance tierce personne, frais d’appareillage…) et les préjudices non
économiques (préjudice fonctionnel temporaire et permanent, souffrance endurées, préjudice esthétique,
préjudice sexuel, préjudice d’agrément, préjudice d’établissement..).
629
Cass. crim. 5 fév. 1994, Bull. crim., n°5 – Cass. 2e civ., 22 fév. 1995, JCP G 1996, II, 22570, note Y.
Dagorne-Labbe, D. 1996, jurispr. p. 69, note Chartier.
630
V. en ce sens M. Bourrié-Quenillet, Droit du dommage corporel et prix de la vie humaine, op.cit.
- 200 -
Cela peut générer des situations particulièrement inconfortables pour le patient ou le médecin.
On peut imaginer l’hypothèse, somme toute un peu folle, où un médecin fautif serait enclin à
aggraver sa faute lorsque le dommage réalisé est particulièrement grave mais que la personne
est toujours en vie, l’indemnisation suivant semble-t-il cette échelle. Si de tels faits étaient
démontrés, ils relèveraient de la loi pénale. Mais ne peut-on envisager des cas limites : ceux
de malade en état végétatif. L’espoir d’une récupération des facultés est extrêmement faible,
la mort est plus qu’une éventualité, de là à l’aider un peu… La vie est encore présente, mais la
vie humaine n’est-elle pas détruite ? Or ce sont les malades en état végétatif qui sont les plus
indemnisés avec leurs proches.
2- Le calcul de l’indemnisation de la mort
Les règles juridiques applicables tant à l’évaluation qu’à l’indemnisation de ce
préjudice ne présentaient pas jusqu’à la loi du 4 mars 2002 de particularité en droit médical631.
Le régime d’indemnisation est désormais variable selon la gravité du préjudice subi. La loi
renvoie pour la détermination du taux d’incapacité pris en compte à un décret devant instaurer
un barème spécifique destiné à évaluer l’invalidité subie par la victime632. Ainsi, dans le cadre
de la loi, le taux d’incapacité ne sera plus fixé en application des règles du droit commun.
Dans de nombreuses hypothèses, le patient victime présentait avant l’accident médical un état
pathologique qui justifiait un recours aux soins, de sorte que, cet état de fait soit de nature à
aggraver l’étendue du dommage subi par le fait du médecin. Le juge doit-il tenir compte de
cet élément dans l’évaluation du préjudice ? Ce problème est classique dans le droit commun
de la responsabilité633. Il avait été pareillement résolu par la jurisprudence antérieurement à la
loi du 4 mars 2002. Si celle-ci considérait que l’existence d’un état pathologique préalable ne
rompait pas le lien de causalité entre le dommage subi et le fait générateur, le juge devait
cependant tenir compte de cet état préexistant dans l’évaluation du préjudice imputable au
débiteur d’indemnités634. Il importe dans cette situation de déterminer le préjudice véritable,
objectif, causé par l’activité médicale, engageant par hypothèse la responsabilité du médecin,
631
Sous réserve de certaines catégories spécifiques de préjudices réparables, V. infra. – V. Y. Lambert-Faivre,
Droit du dommage corporel, Précis Dalloz, 4éd. 2000. – V. J.-Cl. Civil, Art. 1382 à 1386, Fasc. 202-1 à 202-20.
632
D. n° 2003-314 du 4 avril 2003 relatif au caractère de gravité des accidents médicaux prévu à l’article L.
1142-1 du code de la santé publique, JO 5 avr. 2003, p. 6114.
633
J. Nguyen Thann Nha, L’influence des prédispositions de la victime sur l’obligation à réparation du défendeur
à l’action en responsabilité, RTD civ. 1976, p. 1. – V. n° spécial RFDC 1999, n° 4, L’état antérieur, p. 347 et s.
634
Cass., ass. plén., 27 nov. 1970, D. 1970, jurispr. p. 181, note R. Lindon. – Cass. crim., 10 févr. 1976, D. 1976,
jurispr. p. 297, rapp. Robert. – Cass. 2e civ., 11 oct. 1989, Bull. Civ. II, n° 178. – 8 févr. 1989, JCP G 1990, II,
21544.
- 201 -
compte tenu de l’invalidité préexistante. Ces solutions seront maintenues sous réserve des
règles adoptées par le barème spécifique mentionné par l’article L. 1142-1-II du code de la
santé publique.
La réparation du préjudice spécifique constitué par la perte d’une chance est admise
depuis longtemps. Le médecin commet une faute d’abstention ou de négligence privant le
malade de soins adéquats et conduisant à une atteinte corporelle, voire au décès du patient.
Cette faute, à l’origine d’une atteinte physique, ne peut cependant pas être intégralement
réparée par le médecin fautif. On ne peut savoir, en effet, avec certitude quelle aurait été
l’issue de l’acte médical si la faute n’avait pas été commise. Le perte de chance de guérison
ou de survie est donc la seule indemnisée 635 . La jurisprudence a précisé la méthodologie
d’évaluation de ce préjudice636 . Les juges du fond doivent ainsi procéder en deux temps. « Ils
doivent, dans un premier temps, raisonner comme si la faute du médecin avait causé l’entier
dommage et évaluer en conséquence la totalité des divers préjudices de la victime […] puis,
dans un second temps, ils doivent fixer la fraction total de ces préjudices qu’ils attribuent à la
perte de chance »637. Les dommages et intérêts attribués au titre de la perte de chance peuvent
donc, selon les hypothèses, constituer de 0,1% à 99,9% du préjudice final, selon le
pourcentage de chance perdue évalué souverainement par les juges du fond. Le responsable
d’une perte de chance ne peut donc en principe être condamné à la réparation totale du
dommage résultant du décès 638 , et les juges du fond doivent préciser que l’indemnisation
accordée est bien celle résultant de la perte de chance de guérison ou de survie639.
Au regard des divers chiffres retenues par la jurisprudence, on ne peut cependant
qu’être légitimement surpris tant la cacophonie ambiante semble régner. On laisse les juges
choisir avec plus ou moins d’arbitraire une valeur pour la perte d’un conjoint ou d’un enfant,
aussi simplement que pour un objet. De fait, un volume important de jurisprudence est né, les
divergences d’opinions relatives à l’existences même des préjudices ou à leur nature sont
635
M. Heers, L’indemnisation d’une perte de chance, Gaz. Pal. 22 mars 2000, p. 7 – G. Méméteau, Perte de
chance et responsabilité médicale, Gaz. Pal. 1997, 1 chron., p. 22.
636
Cass. 1re civ. , 8 juillet 1997, II, 22921, rapp. P. Sargos. – 18 juillet 2000, JCP G 2000, IV, 2587. – M. Klein,
Perte de chance et incapacité permanente : à propos de leur évaluation par l’expert dans certains dossiers de
responsabilité civile médicale, RFDC 2001, 2, p. 141.
637
P.Sargos, rapp. ss. Cass. 1re civ. 8 juill ; 1997, préc.
638
Cass. 1re civ., 27 mars 1973, Bull. civ. I, n° 115.
639
Cass. 1re civ., 2 mai 1978, Bull. civ. I, n° 167.
- 202 -
presque aussi nombreux tout comme les disparités entre les juridictions et les écarts entre les
indemnités transactionnelles et celles attribuées par les tribunaux640.
Pour calculer le prix de la vie de la personne décédée, le juge retient plusieurs critères,
lesquels sont essentiellement objectifs dans le cadre du calcul du préjudice économique
(revenus, âge…). En revanche, dans le cas du préjudice moral, nul ne pouvant sonder les
cœurs, l’approche apparaît davantage biaisée. Le juge semble tenir compte de la faute partielle
de la victime, ou encore de sa situation maritale (durée du mariage ou du concubinage…). Il
faut encore souligner que, plus les revenus sont élevés, plus les sommes alloués sont
importantes. Ainsi la veuve d’un ouvrier recevra une somme bien moindre que celle d’un
PDG. Dès lors, la compensation financière est productive d’effets pervers : elle conduit a des
inégalités et elle relève de la loterie judiciaire. Le médecin ne sera donc pas traité de la même
façon selon qu’il soigne un riche ou un pauvre. Objectivement, pour une même opération, à
risques médicalement identiques, la mort du patient n’aura pas les mêmes répercussions
financières pour le médecin. D’un autre côté, si on décidait d’un forfait pour tous, la
responsabilité perdrait son caractère compensatoire. Dès lors la marge de manœuvre est
relativement étroite entre une tarification officielle, d’une certaine manière objective, et la
compensation réelle. Pour le médecin, ces contingences économiques peuvent avoir des
conséquences pratiques importantes. Elles expliquent encore davantage les sommes
importantes allouées dans les accidents de chirurgie esthétique. L’activité est sans doute
lucrative et les accidents relativement rares ; la pénurie de médecins n’est donc pas à redouter.
En revanche, les médecins pourraient être tentés par ce facteur économique pour effectuer un
choix, si par ailleurs, leur activité personnel n’est pas « rentable ».
A titre d’exemples, nous présentons deux décisions de justice extraites de la banque de
données Juris-Data. Elles permettent d’illustrer le contentieux de la réparation, s’agissant des
victimes décédées ou dans un état végétatif. Les sommes sont présentées volontairement de
manière globale, sans distinction des chefs de préjudice ou de leur répartition par ayants droit
car il s’agit de montrer le prix total payé par le responsable et/ ou son assureur.
Femme décédée suite à un accouchement, mariée un enfant : 84 745 euros (CA Rennes, ch. 7,
5 fév. 2003 : Juris-Data n° 2003-210899),
640
V. M. Bourrié-Quenillet, L’évaluation monétaire du préjudice corporel : pratique judiciaire et données
transactionnelles, JCP G 1995, I, 3818 ; Dérives conceptuelles et complexification du droit du dommage
corporel, Rev. fr. dommage corp. 2000-2, p. 149-157 ; Le préjudice moral des proches d’une victime décédée,
Dérive litigieuse ou prix du désespoir, JCP G 1998, I, 186.
- 203 -
Homme, 54 ans, magistrat, marié : 434 556 euros (CA Paris, ch. 1, 3 oct. 2002 : Juris-Data n°
2002-193204)
A la lumière de l’ensemble de la jurisprudence, on constate qu’il n’y a pas un prix de
la vie humaine mais autant de prix différents qu’il y a de vie détruites. On note également que
le prix à payer est plus élevé lorsque la victime a survécu à ses blessures que lorsqu’elle est
décédée. Les assureurs confirment cette donnée : « Un traumatisme crânien réduisant une
personne de 20 ans à l’état végétatif nous aura coûté environ 3 millions d’euros lorsque cette
personne aura 60 ans, c’est-à-dire 20 fois plus qu’en cas de décès immédiat »641.
La réparation accordée lorsqu’une personne est en état végétatif a notamment pour but
de couvrir les importants frais médicaux que cet état va engendrer. En ce qui concerne les
préjudices économiques, cette réparation apparaît indiscutable. S’agissant des préjudices
d’affection, l’indemnisation ne semble être qu’une illusion. Elle semble d’autant plus
coûteuse que le temps d’accompagnement de la personne sera important. D’où le fait que les
sommes allouées pour une personne encore en vie soit plus importante que pour une personne
décédée. Paradoxalement donc pour le médecin, sa responsabilité sera plus facilement
engagée lorsque la personne est décédée, il aura plus d’ « intérêt » financièrement à ce décès
que lorsque la personne est toujours en vie.
CONCLUSION SUR LA RESPONSABILITE CIVILE
La responsabilité médicale est, par principe, une responsabilité du fait personnel642. Elle met
directement en cause le praticien643 et elle est supportée par le patrimoine de celui-ci, sauf
641
V. le rapport du groupe de travail nommé en 2002 et présidé par Mme Lambert-Faivre aux fins de faire des
propositions pour établir de nouvelles modalités d’indemnisation des victimes. Ce rapport, rendu en juin 2003,
est disponible sur le site du Ministère de la justice : www.justice.gouv.fr/publicat/rapport-dommagecorporel.pdf. V. aussi G. Defrance, La réforme de l’indemnisation du préjudice corporel, Jurispr. Auto 2003, n°
744, p. 404 ; J.-G. Moore, Rapport sur l’indemnisation du dommage corporel, Gaz. Pal. 12 sept. 2003, p. 2.
642
Il existe des atténuations à ce principe. Il s’agit en premier lieu de la responsabilité résultant des accidents
vaccinaux en cas de vaccination obligatoire. L’article L. 3111-9 du Code de la santé publique dispose à cet
égard : « Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation
de tout dommage imputable directement à une vaccination obligatoire est supportée par l’Etat », qui peut exercer
un recours subrogatoire. Par la réserve du texte (des actions qui pourraient être exercées conformément au droit
commun) et de la possibilité pour l’Etat d’exercer un recours subrogatoire, la responsabilité personnelle du
médecin est loin d’être exclue ; il s’agit seulement d’une facilité accordée à la victime. De même, en matière de
recherche biomédicale, l’article L. 1121-7 du code de la santé publique prévoit que « le promoteur assume
l’indemnisation des conséquences dommageables de la recherche pour la personne qui s’y prête ». Cela n’exclut
cependant pas la responsabilité de l’investigateur. C’est pourquoi, si la victime y trouve un intérêt, elle pourrait
mettre en œuvre la responsabilité de celui-ci.
- 204 -
l’intervention de l’assurance, ce qui sera aujourd’hui généralement le cas du fait de
l’obligation faite par la loi du 4 mars 2002 de s’assurer644. Pourtant on ne peut que souligner
643
L’intervention successive ou parallèle de plusieurs médecins différents, à raison de leurs spécialités
respectives, peut entraîner une difficulté d’imputation de la faute commise à un responsable déterminé. La
jurisprudence retient le plus souvent une responsabilité in solidum. (Chron. P. Sargos, Responsabilité médicale
en matière d’exercice médicale pluridisciplinaire, Méd. & droit, 1996, n°17, p. 17). De plus, l’acte médical étant
unique, on considère que les médecins intervenants ne doivent pas se cantonner au rôle qui leur est attribué par
leur spécialité. Celui qui exécute la prescription doit aussi s’interroger sur le diagnostic. C’est la parfaite
illustration du principe d’indépendance qui impose au médecin de ne pas agir comme un simple exécutant, mais
de toujours garder son propre libre arbitre. En complément de cette solution enfin, le chef de l’équipe est tenu
vis-à-vis de son équipe à un devoir de surveillance générale, dont la violation engagera sa responsabilité
personnelle. Cette obligation est souvent illustrée par une affaire célèbre rendue par la Cour d’appel de Toulouse
le 24 avril 1973 (Citée par J. Penneau, La responsabilité du médecin, préc. p. 67 et s. ) sur renvoi. En l’espèce, la
malade, au demeurant une romancière connue, devait subir une nephrectomie. L’opération s’était déroulée au
plan chirurgicale dans d’excellentes conditions. Cependant, au moment où la malade était redressée sur la table
d’opération pour être mise sur la chariot de transport pour sa chambre, elle faisait un malaise et décédait. Les
ayants droit s’étaient constitués partie civile. L’enquête et le rapport d’expertise révélaient que la mort était due
à un « désamorçage de la pompe cardiaque » en raison d’une diminution excessive du volume de la masse
sanguine et que des négligences inimaginables avaient été commises par l’anesthésiste. Ainsi aucun des examens
biologiques de base n’avait été pratiqué, préalablement à l’opération, notamment le groupe sanguin n’avait pas
été déterminé ; en cours de l’intervention, il n’avait été procédé à aucune évaluation des pertes sanguines alors
que cette intervention était relativement hémorragique, et la patiente n’avait été ni perfusée ni transfusée à l’aide
de plasma liquide ou physiologique. L’anesthésiste fut condamné pour homicide par imprudence. Le chirurgien
fut tout d’abord relaxé, les premiers juges considérant que, dans la mesure où il avait exécuté l’intervention dans
des conditions techniques irréprochables, aucune faute ne pouvait être retenue à son encontre. La Cour de
cassation cassa cependant l’arrêt. La haute juridiction reprocha aux juges du fond ne pas avoir recherché si le
chirurgien n’avait pas l’obligation de vérifier les diligences générales de l’anesthésiste. Les principes ont été
rappelés par la Cour de cassation par son célèbre arrêt d’assemblée plénière Farçat du 30 mai 1986 (Cass. ass.
plén., 30 mai 1986, Farçat : Bull. Ass. Plén. , 1986, n° 8 ; D. 1987, p. 109, note Penneau). Il faut y voir une
responsabilisation accrue des médecins. Cela a évidemment pour avantage de multiplier les responsables et ainsi
assurer plus aisément l’indemnisation du patient en cas de préjudice.
644
A la différence de nombreuses professions libérales, comme les avocats ou les notaires, qui sont tenus
d’assurer les conséquences de leur responsabilité civile professionnelle, l’assurance de la responsabilité médicale
était, elle, facultative, sauf exception. Elle était cependant couramment répandue. La loi du 4 mars 2002
instituant l’article L. 1142-2 du Code de la santé publique a pallié cette absence en édictant une obligation
d’assurance professionnelle médicale généralisée. Cette obligation est le résultat de l’explosion du contentieux
médical. Elle protége autant le patient, qui trouve un débiteur solvable que le médecin qui n’est pas « ruiné » par
le procès, du moins financièrement. Néanmoins cette obligation nouvelle n’a pas été sans poser des problèmes et,
à la lumière des sommes de dommages intérêts alloués, les assurances ont fait grise mine. En conséquence,
certains professionnels, les plus exposés, ont beaucoup de mal à s’assurer ou à assumer la charge d’une telle
assurance. Cela a pour effet de contribuer davantage à la désertification de certaines spécialités, telles
l’anesthésie et l’obstétrique. Cette nouvelle loi entraînait une véritable fronde des assureurs et des compagnies
d’assurance qui ont, dès août 2002, commencé à se retirer du marché de la responsabilité médicale. Elles
privaient ainsi de nombreux médecins libéraux, la moitié des cliniques privées et certains hôpitaux publics de la
possibilité de s’assurer et risquaient d’entraîner pour eux une interdiction de poursuivre leur activité. Pour celles
qui sont restées, elles augmentaient parfois de façon très importante le montant moyen des primes proposées aux
professionnels (B. Kouchner, Les assureurs contre les malades : Le Monde, 20 oct. 2002. – V. également Le
Monde 26 juin 2002 : « Des primes de plus en plus élevés pour les médecins ». – Le Monde, 20 déc. 2002 :
« Patients et médecins dénoncent la flambée des tarifs d’assurance »). Le législateur, sous pression, votait une
nouvelle loi le 30 décembre 2002 (Loi n° 2002-1577 du 30 déc. 2002 relative à la responsabilité civile médicale :
J.O. 31 déc. 2002, p. 22100 – J. Bigot, La loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 sur l’assurance de la
responsabilité médicale. Une lueur d’espoir pour les « clauses réclamations » , JCP G 2003, I, 118. – G.
Courtieu, L’assurance obligatoire de la responsabilité médicale, Resp. civ. et assur. 2003, chron. 8. – Y.
Lambert-Faivre, La responsabilité médicale : La loi du 30 décembre modifiant la loi du 4 mars 2002, D. 2003,
doctr. p. 361. – P. Mistrettra, La loi n° 2002-1577 du 30 déc. 2002 relative à la responsabilité médicale. Premiers
correctifs de la loi du 4 mars 2002, JCP G 2003, actu. n° 57. – C. Radé, La solidarité au secours de la
responsabilité, Resp. civ. et assur. 2003, chron., 5. ) dont le but avoué est d’apporter un correctif et une réponse
aux préoccupations des … assurances en responsabilité civile médicale ; de rétablir le bon fonctionnement du
- 205 -
la difficulté des médecins à s’assurer notamment dans certaines spécialités (chirurgie,
anesthésie) tant le risque du procès est sérieux et les conséquences financières importantes. Le
développement majeur de la responsabilité médicale a entraîné des « trous » dans certaines
spécialisations. Les médecins titulaires abandonnent leur spécialité, ou refusent d’effectuer
certains actes. Les futurs médecins ne s’engagent plus dans ces mêmes spécialisations. A
force de négliger « la fatalité » médicale et vouloir indemniser à tout va, on prend le risque de
mal soigner en général et d’obtenir un effet pervers, celui de ne plus être soigné, donc de
mourir, parce qu’on ne veut plus assurer le risque médical.
La situation du médecin salarié doit cependant être distinguée. Si pendant longtemps
le régime applicable à ce dernier était celui de n’importe quel médecin, ce n’est désormais
plus le cas aujourd’hui. Le 25 février 2000, l’assemblée plénière de la cour de cassation645 a
énoncé en effet que le préposé, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est
impartie par son commettant, n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers. La
jurisprudence Costedoat pose en principe général que le préposé qui agit dans la limite de sa
mission n’engage pas sa responsabilité. Le commettant sera déclaré responsable des fautes
marché tout en préservant les droits des malades et notamment des victimes d’infections nosocomiales. C’est
ainsi que le texte opère un partage entre les assureurs et l’ONIAM. La loi concerne tous ceux qui concourent à
des actes de prévention, de diagnostic et de soins. Elle a donc prévu un champ d’application ratione personae
très large, concernant tous les intervenants du système de santé. Le non respect de cette obligation est susceptible
de donner lieu à une amende de 45.000 euros et d’une éventuelle interdiction d’exercer pour les personnes
physiques. L’article L. 1142-2 du Code de la santé publique prévoit également, en cas de manquement à
l’obligation d’assurance, le prononcé de sanctions disciplinaires à l’encontre de l’intéressé par l’instance
compétente. L’obligation de s’assurer a pour corollaire l’obligation d’assurer. Ainsi le médecin qui se voit
refuser une assurance à deux reprises peut saisir le Bureau central de tarification – le BCT – chargé de fixer le
montant de la prime moyennant laquelle l’assureur est tenu de garantir le risque qui lui a été soumis. Pour éviter
la fuite des assureurs, le législateur est intervenu dans la contenu même du contrat d’assurance. Il autorise ainsi
les assureurs à plafonner les garanties offertes aux professionnels de santé, sous réserve que soient respectées
certaines conditions fixées par décret. Ainsi l’auteur de l’acte pourrait bien devoir supporter l’indemnisation
complémentaire de la victime. La loi du 4 mars 2002 a cependant anticipée cette difficulté en prévoyant en ce
cas que l’assureur responsable doit informer l’assuré et l’ONIAM de l’épuisement de la garantie d’assurance,
l’office étant alors substitué à l’assureur pour l’indemnisation de la victime. Ce qui est donc visé est non pas la
protection du médecin mais celle de la victime. Cette solution est toujours celle retenue lorsque joue la solidarité
nationale. En effet, dans le cadre de la loi du 4 mars 2002, le rôle essentiel de l’ONIAM est l’indemnisation des
dommages consécutifs à des accidents médicaux, relevant de la solidarité nationale. Une procédure amiable
d’indemnisation des victimes a également été créée et placée sous la responsabilité des CRCI et ce à côté de la
procédure classique devant les juridictions de droit commun (G. Mémeteau, Le tango des CRCI : deux pas ici, un
pas par-là ! : un guichet ou une commission ; une juridiction !, Méd. & Droit 2006, p. 17-24).
645
Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, Costedoat : Bull. civ. 2000, ass. plén., n°2 ; JCP G 2000, II, 10295, concl. R.
Kessous, note B. Billiau ; resp. civ. et assur. 2000, chron. 11, H. Groutel ; Resp. civ. et assur. 2000, chron. 22,
Ch. Radé. Pendant longtemps, la responsabilité encourue par le commettant était conçue comme une garantie
établie au profit exclusif de la victime. C’est pourquoi la responsabilité du commettant s’ajoutait à celle du
préposé en vue de donner un second répondant à la victime. L’employeur, considéré comme plus solvable, était
garant du débiteur principal, le salarié. Cette situation a été jugée trop sévère pour les préposés agissant pour le
compte des commettants. On a estimé que l’employeur devait assumer le risque profit qu’il tirait de son salarié.
Toutefois l’évolution qu’a connue la responsabilité civile du préposé a longtemps été inapplicable en droit
médical.
- 206 -
commises par son préposé. Il ne pourra pas se retourner contre son salarié pour obtenir le
remboursement des sommes versées à la victime. Cette solution repose sur le lien de
subordination qui existe entre le commettant et le préposé, lequel est soumis à des contraintes
d’horaires, de matériel, et économiques646. Cette jurisprudence a été retenue par647 la première
chambre civile de la Cour de cassation le 9 novembre 2004648. Désormais le médecin salarié
est un salarié ordinaire. Sa faute n’engagera que la responsabilité contractuelle de
l’établissement de santé, sauf si elle est une faute intentionnelle. Une solution similaire est
appliquée au médecin exerçant dans un établissement public649.
Cette solution, favorable aux médecins, mérite sans doute l’approbation. Pourtant elle
ne nous satisfait pas pleinement en ce sens qu’elle ne met en lumière que le caractère
économique, indemnitaire de la responsabilité civile et ne s’attache qu’au lien purement
juridique qui unit le patient et l’établissement de santé. La confiance qui unit le patient au
médecin et l’indépendance dont jouit le praticien ont pour corollaire la responsabilité du
médecin650. Pour pérenniser cette alchimie, la responsabilité du médecin doit, selon nous, en
toutes circonstances être maintenue. Par ailleurs, une responsabilité personnelle et subsidiaire
646
En 2001, l’assemblée plénière (Cass. ass. plén., 14 déc. 2001, Bull. civ. , ass. plén., n° 17.) a précisé que sont
privés du bénéfice de l’immunité les préposés ayant commis une faute intentionnelle, fût-ce sur l’ordre du
commettant .
647
Avant et après l’arrêt Costedoat, la première chambre civile de la Cour de cassation et le tribunal des conflits,
ce dernier le 14 février 2000, ont affirmé que les médecins gardaient, à la différence des autres salariés de
l’établissement privé, une responsabilité personnelle. Leur responsabilité a été justifiée par l’indépendance
professionnelle dont ils disposent dans l’exercice de leur art, qualifiée par la première chambre civile
d’inaliénable puis d’intangible, l’établissement de santé ne disposant pas de possibilité d’intervention dans la
réalisation des actes médicaux, qu’il soient accomplis par des professionnels de santé exerçant à titre libéral ou
salarié. La cour de cassation jugeait que l’indépendance professionnelle du médecin n’est pas incompatible avec
l’état de subordination résultant d’un contrat de louage de services le liant à un tiers. Le tribunal des conflits
rappelait que cette indépendance était au nombre des principes généraux du droit. Ce principe d’indépendance a
été affirmé par le Conseil constitutionnel en 1982 et 1999. Une large majorité de la doctrine s’indigna contre
cette jurisprudence, qui excluait les médecins du bénéfice de l’immunité des préposés. Elle faisait valoir que
l’arrêt Costedoat n’avait procédé à aucune distinction entre les préposés disposant d’une indépendance
professionnelle et les autres et que le médecin subissait les mêmes contraintes que tout salarié. A l’issu de la loi
du 4 mars 2002, les établissements de santé ont eu l’obligation de prendre une assurance responsabilité civile
couvrant les salariés agissant dans la limite de la mission qui leur a été impartie, même si ceux-ci disposent
d’une indépendance dans l’exercice de leur art médical, de sorte que c’est l’assurance qui couvre désormais la
responsabilité des professionnels de santé salariés. L’article L. 121-2 du code de assurances exclut tout recours
des assureurs des établissements de santé, subrogés de plein droit dans les actions de ces derniers contre les tiers
ayant causé le dommage, contre les préposés des établissements de santé, sauf lorsqu’ils ont commis un acte de
malveillance.
648
Cass. 1re civ. 9 nov. 2004, 2 arrêts , Juris-data n°2004-025553 et n° 2004-025554 ; JCP G 2005, II, 10020,
Rapp. D. Duval-Arnould., note S. Prochy- Simon ; Resp. civ. et assur. 2002, comm ; 364 ; D. 2005, 253, note F ;
Chabas ; Resp. civ. et assur, mars 2005, n° 6, p. 9, note Maud Asselain, Responsabilité des professionnels de
santé : changement de solution. Simon. 649
V. R. Chapus, Droit administratif général, t. 15e éd., Domat-Montchréstien, 2001, n° 1521 et s.
650
J.-L. Aubert et E. Savaux, Les obligations, Vol. 2, Le fait juridique, Colin 2001, p. 217. – S. Welsch, La
responsabilité du médecin, Litec, 2 éd., 2003.
- 207 -
du médecin salarié permet de maintenir la valeur symbolique de la responsabilité civile et
assure la réparation du dommage de la victime en lui offrant un garant. En effet l’acte médical
constitue le cœur du travail du médecin salarié et se fonde sur la relation médecin-patient.
Deux objectifs transparaissent : l’information du patient et la confiance entre le médecin et le
patient. L’essence de la relation existante réside donc dans le lien du patient avec le médecin
et nullement entre le patient et la clinique ou le praticien et l’établissement. Le médecin
s’engage personnellement à assurer des soins de qualité. L’acceptation par le médecin de la
demande de soins exprimée par le patient forme le contrat médical de soins. Ce contrat lie
chaque médecin, qu’il soit en exercice libéral, salarié ou hospitalier. Certes, hors le cadre de la
médecine dite libérale, ce contrat est conclu avec l’établissement de soins ou l’hôpital public.
Le patient est pour cet établissement un « usager » du service public. Mais ce lien n’est
qu’apparent. Au regard du code de déontologie médicale, norme parfaitement intégrée en
droit privé ou public, cette distinction est sans fondement car le médecin hospitalier, comme
n’importe quel médecin, reste le médecin de chaque patient, et non le médecin de
l’établissement651. Le patient remet sa vie entre les mains du médecin et non entre celle d’un
établissement.
L’arrêt Costedoat a mis à mal les fondements de la responsabilité civile 652 . Cette
responsabilité repose avant tout sur la responsabilité personnelle. Toute personne qui a
commis une faute doit en répondre. La responsabilité de l’article 1384 a toujours été comprise
comme une garantie offerte à la victime. Les solutions actuelles du droit de la responsabilité
sont déroutantes. La responsabilité du fait d’autrui des parents est un gage pour la victime.
Pour autant, elle ne met pas fin à la responsabilité personnelle du mineur. Or le préposé,
adulte conscient, n’en répond plus. Le dément, lui, est civilement responsable. Le professeur
Pignarre écrit : « Le préposé capable de discernement et incontestablement coupable ne
répond pas pour autant de sa faute personnelle à l’égard de la victime. N’est-ce pas le signe
que quelque chose ne va plus au royaume de la responsabilité ? » 653 . La responsabilité
médicale n’a qu’une fonction indemnitaire. Ce glissement est particulièrement dangereux,
s’agissant d’un art difficile. Il est d’ailleurs perçu différemment par le public. Faut-il
651
L’article 5 du code de déontologie le rappelle d’ailleurs expressément : « Le médecin ne peut aliéner son
indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit », simplement parce que l’indépendance
professionnelle fonde la confiance du patient. Son corollaire est donc nécessairement la responsabilité
personnelle du médecin.
652
V. en ce sens, J.-F. Barbieri, Le médecin salarié ne bénéficie d’aucune immunité dans l’exercice de son art,
P.A. 29 mai 2003, n° 107, p. 12.
653
G. Pignarre, La Responsabilité : Débat autour d’une polysémie, Resp. civ. et assur., Hors série, La
Responsabilité civile à l’aube du XXIe siècle, 2001, n° 2, p. 10.
- 208 -
comprendre que le médecin n’est rendu responsable que parce que le préjudice – la mort – est
gravissime, par la volonté d’indemniser le patient ou ses ayant droits , indépendamment de la
fonction même de la responsabilité du médecin ? Lorsque le médecin est seul responsable, on
étend au maximum sa responsabilité et on le fait au regard de sa fonction, de son
indépendance. Il va de soi que l’objectif indemnitaire cohabite avec cette justification. Mais,
paradoxalement, cette justification semble disparaître lorsque le médecin est salarié. La
première chambre civile n’a-t-elle plié lorsque l’action judiciaire n’avait plus aucune
conséquence pécuniaire contre le praticien salarié ? Faut-il en déduire que la responsabilité
médicale n’est engagée qu’au regard de sa fonction indemnitaire, laquelle est plus facilement
comprise encore lorsque la mort s’en suit ? Faut-il entendre que le médecin fait parfois les
frais des risques inhérents à son métier ou au contraire échappe à toute responsabilité parce
qu’il a la chance d’être salarié ?
Pour nous rassurer, on expose que le préposé restera pénalement responsable si la
faute qu’il commet est susceptible de recouvrir une qualification pénale. S’agissant du
médecin, il encourra également des poursuites disciplinaires. L’absence de responsabilité
civile présente donc une double incohérence. D’une part, on pousse la victime à choisir la
voie pénale lorsque celle-ci lui sera ouverte. Le patient ne comprendra pas que le médecin, qui
a commis directement la faute, ne puisse pas être responsable de celle-ci. Croire que la
responsabilité civile joue seulement un rôle d’indemnisation est une erreur. Cette
responsabilité a aussi une valeur symbolique et, dans une certaine mesure, punitive. D’autre
part, le médecin ne comprendra pas la dichotomie opérée : d’un côté, il bénéficie d’une
immunité civile de l’autre, il peut être pénalement responsable. Ajoutez à cela que la faute
pénale apparaît nécessairement plus grave que la simple faute civile. Là où, dans certaines
matières, on dissuade de saisir la voie pénale, en droit médical, domaine sensible par
excellence, on incite la victime à s’y engager !
Il conviendrait de maintenir la responsabilité du préposé à côté de celle du
commettant, tout en interdisant à ce dernier de se retourner contre son salarié. Cette solution
était déjà celle retenue par le droit des assurances avant l’arrêt Costedoat. L’article L.1142-2
alinéa 3 du code de la santé publique reconnaît l’indépendance du médecin. Toutefois, il met
à la charge de l’employeur qui tire financièrement profit du travail du praticien les indemnités
dues en cas de faute des salariés. Il permet ainsi de garder la valeur symbolique de la
responsabilité civile, tout en tenant compte de la réalité économique du secteur médical. Dans
- 209 -
le cas où l’assurance du commettant serait défaillante, il paraît opportun d’engager
subsidiairement l’assurance du médecin dont la responsabilité est acquise. Le droit à
réparation de la victime serait ainsi préservé. La responsabilité notamment médicale est
difficile. Mais, se fonder uniquement sur la caractère indemnitaire pour la résoudre n’est pas
toujours la solution la plus heureuse. D’autres solutions étaient donc envisageables. Cette
absence de responsabilité, opportune économiquement, pourrait en pratique s’avérer bien plus
traîtresse pour les médecins que l’on avait imaginé. Elle pourrait en effet conduire les patients
ou leurs ayants droit à se tourner vers la responsabilité pénale.
SECTION II : LE MEDECIN FACE À LA RESPONSABILITE PENALE
DE LA MORT
La guérison n’est plus aujourd’hui perçue comme le signe de la divine providence654
mais davantage comme une issue normale du contrat médical et tout échec traduit
indéniablement un manquement du médecin aux règles de l’art. Il en résulte un accroissement
significatif des cas de responsabilité médicale, mais cet accroissement est d’autant plus
sensible et redoutable que le patient n’hésite plus à rechercher la responsabilité pénale des
praticiens lorsque la thérapeutique engagée n’a pas eu l’effet désiré. L’analyse des données
chiffrées fournies par les compagnies d’assurance traduit incontestablement une nette
augmentation des poursuites médicales depuis quelques années655.
Le choix de la voie pénale n’est pas anodin. A la différence de la responsabilité civile
qui est « l’obligation, mise par la loi à la charge d’une personne, de réparer un dommage subi
par une autre »656 , la responsabilité pénale est « l’obligation pour une personne impliquée
dans une infraction d’en assumer les conséquences pénales, c’est-à-dire de subir la sanction
attachée à cette infraction, cette sanction étant punitive ou préventive »657. Faire le choix de la
voie pénale révèle donc une véritable volonté de sanction à l’égard du médecin. On ne saurait
en effet nier que le choix de la voie pénale par la victime est mu par un sentiment de
654
M. Proust : « Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent les croyances, ils n’ont pas fait naître cellesci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir, et une
avalanche de malheurs ou de maladies dans une famille ne la fera pas douter de la bonté de Dieu ou du talent de
son médecin. », Du côté de chez Swann, p. 179, Folio n° 821.
655
Le Groupe des Assurances Mutuelles Médicales (GAMM) et la Société Mutuelle d’Assurance Médicale
(SHAM) sont unanimes à constater cette augmentation. Les statistiques judiciaires sont peu exploitables sur la
question dans la mesure où de nombreuses décisions rendues par la Cour de cassation et surtout les juges du fond
ne sont pas publiées.
656
J. Flour et J.-L. Aubert, Les obligations, II, n° 566, 1981.
657
J. Pradel, Droit pénal général, n° 404, Cujas.
- 210 -
vengeance658. Le patient qui a subi un préjudice du fait de l’acte médical sait que seule la voie
pénale permet de sanctionner directement la personne du praticien. C’est donc l’effet afflictif
de la sanction pénale qui est ici recherché659.
La deuxième raison liée à un tel choix réside dans les commodités que cette voie
procure. Le patient sera tenté de saisir le juge répressif lorsqu’il se heurtera à un problème de
preuves. L’ouverture de l’information lui offrira des enquêteurs et experts professionnels et ce
pour un moindre coût. Ce problème est loin d’être négligeable. L’acte médical intervient
aujourd’hui encore dans des conditions favorisant le secret, même si la loi a renforcé
l’obligation de transparence des soins660. De plus le caractère technique de la matière ne
permet pas un néophyte de la comprendre. Or, la voie pénale offre des facilités procédurales
que ne garantit pas la voie civile en permettant, par exemple, la levée du secret médical ainsi
qu’un réel accès au dossier médical. La doctrine considère que les deux tiers, voire les trois
quarts des affaires pénales recensées en matière médicale sont liées à des cas de blessures ou
d’homicide involontaires661. La complexité et la technicité de l’acte médical sont un terrain
favorable aux atteintes involontaires662. En effet, derrière le professionnel, le médecin reste un
être humain qui n’est pas à l’abri d’une défaillance.
Toutefois apparaît alors toute la problématique que pose le recours à la responsabilité pénale
non intentionnelle en matière médicale. D’une façon générale, il a toujours été discuté
d’engager la responsabilité pénale de l’individu pour une telle faute. Si, lorsque la faute du
médecin est grave, il est juste de sanctionner cette défaillance, il importe également que la
sanction ne soit pas castratrice, réduisant la liberté d’entreprendre, indispensable à l’activité
médicale. Le Professeur Yves Mayaud écrit : « un excès de responsabilité ne peut que nuire
au développement des fonctions […] pour étouffer l’esprit d’initiative de ceux qui les
exercent, et contribuer à rompre la chaîne du progrès par des entraves trop fortes à
658
H. Fabre, Plaintes abusives et médiatisation outrancière : quels recours pour les médecins, Méd. & droit, n°
13, 1995.
659
Il a toujours existé un besoin de vengeance des peuples et une volonté de punir les coupables, même si peu à
peu la réparation par équivalent a contribué à la pacification des mœurs. Cependant l’instinct ancestral de
vengeance resurgit régulièrement dans nos sociétés modernes. V. en ce sens, M. Bourrié-Quenillet, Droit du
dommage corporel et prix de la vie humaine, J.C.P. G 2004, I, 136, p. 941.
660
La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades a entendu faciliter l’accès au dossier médical. V. P. Mistretta,
La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé : réflexions critiques sur un
droit en pleine mutation, JCP G 2002, I, 141.
661
M. Véron, La responsabilité pénale du médecin, Petites Affiches 1999, n° 189, p. 24.
662
P. Mistretta : « Et il faut admettre que les conditions dans lesquelles intervient l’acte médical nourrissent fort
bien cette culpabilité non intentionnelle. Il est effectivement extrêmement rare que l’accomplissement d’un acte
de soins procède d’une volonté délibérée d’atteindre le résultat de l’infraction. En revanche, la complexité et la
technicité de l’art médical favorisent plus volontiers des actes d’imprudence, de négligence et de maladresse
parce que derrière le médecin se dissimule un être humain qui n’est pas à l’abri d’une défaillance. », La
responsabilité pénale médicale à l’aune de la loi du 10 juillet 2000, Evolution ou révolution ?, JCP G 2002,
I 149, p. 1285 et s..
- 211 -
l’intervention et à la spontanéité »663. Le recours au droit pénal en matière médicale oblige à
parvenir à un juste équilibre entre les nécessités de la répression d’une part et la sauvegarde
de la liberté professionnelle du médecin d’autre part.
Lorsque l’on envisage le décès du patient, diverses qualifications peuvent être
retenues. Puisqu’il s’agit par hypothèse d’un décès accidentel, l’homicide involontaire sera
privilégié664(§I). Cependant d’autres infractions sont envisageables, notamment dans le cadre
d’une omission du médecin à agir. Il s’agira d’envisager l’abandon du patient par le médecin,
dont l’incidence peut être le décès du patient (§II).
§I- L’homicide involontaire du patient
Comme le Code pénal de 1810, le Code pénal de 1994 utilise l'adjectif involontaire
pour parler des homicides qui n'ont pas été voulus par l'agent. Cependant ce choix ne révèle
pas que, s'il n'y a certes pas intention, il y a souvent, à l'origine du dommage, un acte
volontaire. L'importance sociologique de ces infractions n'est plus à démontrer et certains
auteurs évoquent à ce sujet « un contentieux de masse ». Il suffit pour s'en convaincre de
consulter les statistiques judiciaires : sur plus de 500 000 condamnations correctionnelles
prononcées chaque année, plus de 20 000 concernent des affaires d’homicide ou blessures par
imprudence 665 . Toutefois, et heureusement, ce ne sont pas les médecins qui sont les plus
condamnés. Selon l’article 221-6 du code pénal, « le fait de causer, dans les conditions et
selon les distinctions prévues à l’article L.121-3, par maladresse, imprudence, inattention,
négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou
663
Y. Mayaud, Retour sur la culpabilité non intentionnelle, D. 2000, chron. p. 603.
Selon l’article 223-1 du Code pénal, « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de
blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement
délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni
d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.». Infraction formelle, ce délit existe en l’absence de
tout dommage corporel. Il s’agit de réprimer un comportement traduisant un certain mépris de l’autre, une prise
de risque mettant en jeu la personne humaine. Créé à l’origine pour lutter contre les accidents du travail ou de la
circulation, il a vocation à s’appliquer à tous les secteurs d’activité. L’attitude du médecin permet de penser qu’il
peut dans certaines circonstances exposer directement le patient à un risque immédiat de mort. Toutefois,
l’infraction répond à des conditions d’incrimination très strictes. C’est pourquoi il semble peu probable que les
médecins soient concernés par cette infraction et que le législateur ait entendu appréhender le comportement
médical. V. en ce sens, C. Girault, Le droit à l’épreuve des pratiques euthanasiques, Presse universitaires d’AixMarseille 2002, p. 175 et s., n° 323 et s. – V. également, A. Dorsner-Dolivet, La mise en danger d’autrui et le
corps médical, Méd. & Droit 1995 ; 10 : 21-22, ainsi que les Actes de Premières journées du droit des vivants,
Le domaine de la mise en danger : le cas de l’activité médicale, in Rev. gén. dr. méd., N°2, 1999, p. 113 et s..
665
J. Pradel ; M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Droit commun, Droit des affaires, Cujas, 3e éd., 2004, p. 83
664
- 212 -
le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans
d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».
Tout comme en droit civil, la responsabilité pénale en matière non intentionnelle est
engagée suite à l’établissement de trois éléments constitutifs : la faute, le dommage et le lien
de causalité 666 . Depuis la loi du 10 juillet 2000 667 venant redéfinir les délits non
intentionnels668, la causalité a pris une place centrale dans ce triptyque669. C’est pourquoi nous
commencerons notre étude par cette dernière(A), pour ensuite nous attacher à la faute(B). Le
dommage, quant à lui, nous apparaît presque comme évident puisque par hypothèse la victime
est décédée (C).
A- Le lien de causalité entre la mort du patient et la faute du médecin
L’établissement du lien de causalité670 est une nécessité découlant de la lettre même du
code pénal qui parle du « fait de causer… » un dommage. La cour de cassation vérifie que les
juges du fond ont bien fait ressortir l’existence du rapport causal entre la faute et le dommage
et, en l’absence de cette démonstration, casse les décisions. La conséquence de cette nécessité
666
V. notamment Ph. Conte, P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, 5e éd., Armand Colin, coll. U, 2000,
n°275 et s ; G. Stephani, G. Levasseur, B. Bouloc, Droit pénal général, 20e éd., Dalloz, 2007, n° 242 et s. ; F.
Desportes et F. Le Gunehec, Le nouveau droit pénal, Economica, 11e éd., 2004, n° 484 et s. ; J. Pradel et A.
Varinard, Les grands arrêts du droit pénal, Dalloz, 3e éd., n° 40 ; M.-L. Rassat, Droit pénal général, Coll. Cours
magistral, Ellipses, p. 334 et s. ; W. Jeandidier, Droit pénal général, 2e éd., Montchrestien, n° 244 et s. ;
Y.Mayaud, Violences involontaires et responsabilité pénale, Dalloz référence, 1e éd., 2003.
667
La loi du 10 juillet 2000 est la seconde réforme relative à la culpabilité non intentionnelle. A l’initiative des
décideurs publics, deux réformes ont en effet vu le jour par les lois du 13 mai 1996 (L. n° 96-393, JCP G 1996,
III, 67967 ; D. 1996, Législ. P. 230) et celle du 10 juillet 2000 (L. n° 2000-647, JCP G 2000, III, 20330). Il
s’agissait de réduire le domaine de la responsabilité pénale des personnes physiques, notamment des élus, en
matière d’infractions d’imprudence ou de négligence. La réforme ne pouvant se limiter à une partie des
justiciables, elle fût générale par la modification de l’art. 121-3 du Code pénal. Ainsi les médecins, dès 1996,
bénéficièrent de la loi nouvelle, mais son impact fut, comme ailleurs, extrêmement réduit. Par exemple, le
régime de la faute de diagnostic a été élaboré par la jurisprudence bien avant 1996 et n’a pas véritablement
affecté la réforme. (V. A. Garay, Le régime pénal de l’erreur de diagnostic en matière médicale, Gaz. Pal. 17-19
déc. 2000, doctr. p. 21). C’est dans ce contexte qu’est intervenue la loi nouvelle. La Cour de cassation est venue
préciser en matière médicale que le texte était d’application immédiate, car plus doux , cassant ainsi la décision
de condamnation d’un médecin hospitalier pour blessures involontaires. (Crim., 5 sept.2000, JCP G 2001, II,
10507, note J.-Y. Chevallier ; Rev. Sc. Crim. 2001, p. 157, note Y. Mayaud). La doctrine considère que la
matière médicale est l’un des domaines de prédilection du nouveau texte. Toutefois nous verrons que la portée
doit en être nuancée.
668
V. I. Ferrari, Le médecin devant le juge pénal, Rapport 1999, disponible sur le site de la Cour de cassation.
669
P. Mistretta : « Considérée auparavant comme une donnée mineure de la responsabilité, la causalité est
devenue une donnée majeure puisqu’elle constitue désormais l’élément régulateur », La responsabilité pénale
médicale à l’aune de la loi du 10 juillet 2000, Evolution ou révolution ?, op. cit., spéc. p. 1287.
670
P. Vayre, D. Planquelle, H. Fabre, Le lien de causalité en matière de responsabilité médicale, Méd.& Droit,
2005 (78-84).
- 213 -
est que le rapport de causalité doit être certain : s’il n’y a pas de lien ou si ce lien est douteux,
l’acquittement s’impose (1). Ce lien de causalité certain peut être direct ou indirect (2).
- 214 -
1- Un lien de causalité certain
Expressément retenue en jurisprudence671 avant la loi du 10 juillet 2000, la certitude
de la causalité est aujourd’hui implicitement contenue dans l’article 121-3 du Code pénal.
Toutefois, si ce lien de causalité doit être certain, il n’a pas à être exclusif. Faute de preuve
d’un lien de causalité certain, la responsabilité pénale est nécessairement écartée et un acte de
santé ne peut être considéré comme fautif. Toutes les applications de la jurisprudence vont en
ce sens 672 . Aucune condamnation ne saurait être fondée sur la probabilités ou la simple
possibilité d’un lien de causalité entre le décès d’une patiente et la faute du médecin673.
C’est aussi la raison pour laquelle le juge répressif ne prend pas en considération la faute qui
fait seulement perdre au malade une « chance de survie ou de guérison ». Elle n’est pas avec
certitude la cause déterminante de sa mort674. Il n’en irait autrement que si la faute du médecin
671
La chambre criminelle de la cour de cassation a ainsi retenu diverses formules : « Les juges saisis d’une
poursuite pour homicide involontaires ne sauraient retenir cette infraction à la charge du prévenu qu’à la
condition que l’accident survenu se rattache de façon certaine, même indirectement, par une relation de cause à
effet avec la faute reprochée au prévenu » ; « Si les articles 319 et 320 du Code pénal n’exigent pas, pour
recevoir application, qu’un lien de causalité directe existe entre la faute du prévenu et le décès de la victime,
encore faut-il que l’existence de ce lien soit certain, et encourt la cassation l’arrêt qui ne le constate pas ».
672
Ainsi a t-il été décidé que doit être cassé l’arrêt qui a relaxé un praticien du chef d’homicide involontaire à la
suite du décès d’une parturiente consécutif à une septicémie post-opératoire, alors qu’ayant constaté que les
fautes commises avaient provoqué les affections dont l’évolution avait entraîné la mort, la cour ne pouvait sans
se contredire écarter l’existence de tout lien de causalité entre lesdites fautes et le dommage(Cass. crim. 20 mars
1984, D. 1985, IR p. 363, note Penneau). Mais, n’est pas responsable le médecin dont l’imprudence, manifestée
par le déclenchement du travail d’accouchement en l’absence de raison médicale impérieuse, a augmenté le
risque de contamination infectieuse du nouveau-né, mais sans qu’il soit possible d’affirmer que, né à terme
l’enfant aurait survécu s’il avait contracté la même méningite fulgurante, aucun lien de causalité n’étant pas suite
démontré entre la faute et le décès. Un médecin et une sage femme ont été relaxés du chef d’homicide
involontaire dans une espèce où un enfant était décédé en phase d’accouchement du fait d’une rupture de l’utérus
et non de souffrances fœtales, les erreurs et négligences leurs étant reprochés n’étant pas selon les juges du fond
la cause du décès (Cass. crim. 20 mars 1996, Bull. crim. n° 119). De même, faute de preuve d’un lien de
causalité certain, a été écartée la responsabilité d’un directeur de clinique n’ayant pas fait examiner
systématiquement par un pédiatre tous les nouveaux nés, dès lors que rien ne laissait prévoir d’un enfant
décéderait au cours de la nuit (Cass. crim., 20 nov. 1996, Bull. Crim., n° 417 ; Dr. Pén. 1997, 34, obs. Véron). La
chambre criminelle a aussi confirmé, pour absence d’un lien de causalité certain, la relaxe de deux médecins
hospitaliers à la suite du décès d’une patiente atteinte d’une affection cardiaque, admise aux urgences après avoir
tenté de se suicider en absorbant divers médicaments, dont un produit toxique à dose mortelle : si le retard
apporté dans l’exécution d’un lavage gastrique a fait perdre à la victime des chances de survie, il n’est pas
démontré qu’une intervention aurait permis de la sauver. De même que l’importance de la dose mortelle
absorbée par celle-ci, sa maladie cardiaque et l’incertitude qui demeure sur l’heure d’absorption des
médicaments ne permettaient pas d’affirmer que, sans les négligences commises, la victime aurait survécu, le
lien de causalité certain entre la faute et le dommage n’étant pas de ce fait établi (Crim. 20 nov. 1996, Bull. crim.
n° 417, Dr. pén., 1997, n° 34, note M. Véron).Ont en revanche été sanctionnés un chirurgien qui, en s’abstenant
de faire procéder à une laparotomie en présence de signes révélateurs d’une occlusion intestinale, a commis une
négligence en relation directe avec le décès, et un médecin qui n’a pas procédé aux examens nécessaires, ce qui a
entraîné une trop longue absence d’irrigation sanguine du membre inférieur, cause certaine de l’amputation subie
par la victime(Crim. 17 oct. 1989, Dr. pén. 1990, n° 122).
673
Crim. 10 janv. 1991, Dr.pén. 1991, comm. 169 ; Rev. sc. crim. 1992.77, obs. Levasseur – 11 avril 1991, Dr.
Pénal. 1991, comm. 311.
674
Crim. 9 janv. 1979, JCP 1980.II.19272 ; Rev. sc. crim. 1980.433, obs. Levasseur – 20 nov. 1996, Dr. Pénal
1997, comm. 34. Cass. crim 22 mars 2005, n° 04-84459, Dr. pén., 2005, n° 103.
- 215 -
avait privé le patient de toute chance de survie. En ce cas, le lien de causalité entre la faute et
le décès serait qualifié de certain675. En droit pénal, on ne peut se contenter de probabilités ou
de possibilités. Il faut des certitudes et la relaxe s’impose en cas de doute. A la différence de
la matière civile, le droit pénal ne se contente pas d’une simple perte de chance de survie. La
faute pénale n’est retenue que si le médecin est « la cause de la mort ». C’est dire qu’ici la
responsabilité du médecin n’apparaît que lorsque ce dernier n’a pas accompli sa mission et
que cette conséquence empêche totalement la survie du patient. Cette responsabilité semble
plus cohérente avec la mission du médecin.
L’exigence de la certitude du lien de causalité entre la faute et le dommage a été
maintenue après la loi du 10 juillet 2000. La causalité doit être certaine quelle que soit la
manière dont la causalité est approchée, la loi nouvelle distinguant entre la causalité directe ou
indirecte. La jurisprudence a donc confirmé ses positions antérieures676. Il faut donc retenir
675
Dans un arrêt du 9 juin 1977, la Cour de cassation a ainsi pu juger qu’ « en créant imprudemment un risque
mortel en négligeant d’en empêcher les effets, (le médecin) a privé la dame Y de toute possibilité de survie et
commis ainsi, par son comportement, une faute constitutive du délit d’homicide involontaire en relation de
causalité avec le décès de celle-ci ». Cass. crim. 7 juillet 1993, Dr. pén. 1993, comm. 255 ; Gaz. Pal. 1996, 1, p.
18, note Fr. Chabas. Cass. crim. 1er avril 2003, Juris-Data n° 2003-019248 ; Dr. pén. p.13, n° 110.
676
CA Pau, 2 mai 2001, JCP G 2001, IV, 3098 : La Cour d’appel a relaxé du chef d’homicide involontaire le
médecin anesthésiste qui, bien qu’averti de la dégradation de l’état de santé de son patient, s’était abstenu de se
déplacer, se contentant de prescrire un traitement par téléphone. Ce défaut d’intervention ne fut pas considéré
comme ayant provoqué le décès du patient « de façon directe, certaine et exclusive », le malade ayant présenté
des symptômes qui, s’ils avaient été mieux évalués, auraient peut-être permis d’améliorer ses chances de survie,
mais sans qu’il soit possible d’affirmer que la prise d’une bonne décision thérapeutique l’aurait sauvé avec
certitude. Malgré les fautes caractérisées du prévenu, seule une perte de chance de survie pouvait lui être
imputée, ce qui ne permettait pas de retenir à sa charge la responsabilité du décès. La cour de cassation a ainsi
confirmé la relaxe d’un médecin anesthésiste poursuivi du chef d’homicide par imprudence. La victime, entrée
en clinique pour accoucher, était décédée à la suite d’un arrêt cardio-respiratoire brutal. L’anesthésiste avait
pratiqué une péridurale puis complété l’anesthésie en salle de travail, lorsque le gynécologue avait décidé
d’opérer la victime par césarienne. La patiente avait été ensuite transférée au bloc opératoire où elle était
décédée. La cour d’appel de Paris relevaient que la cause de la mort de la victime est demeurée inconnue. L’arrêt
énonce que le décès a pu être en rapport soit avec une embolie amniotique, soit avec une complication de
l’anesthésie péridurale, bien que les signes constatés ne soient, dans les deux hypothèses, pas caractéristiques.
Selon les magistrats, si le médecin a commis une imprudence en pratiquant l’anesthésie en salle de travail et non
dans la salle d’opération offrant de meilleures conditions de récupération en cas d’accident, il n’est pas établi que
cette faute présente un lien de causalité avec le décès, ce qui justifiait une relaxe. La cour de cassation a estimé,
le 21 janvier 2003, que cette décision, procédant d’une appréciation souveraine des faits, était justifiée. Dans une
autre affaire, plus récente, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, le 22 mars 2005 (Dr. pén. 2005, p.
15, n° 103, F. Bellivier, De la dépénalisation du colloque singulier à la pénalisation de la santé publique, in
Nouvelles frontières de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, F. Belliveir et C. Noiville (sous
la dir.), Dalloz, 2006, p. 219, spéc. p. 222/223), rejeté la pourvoi formé contre un arrêt de relaxe de la cour
d’appel de Paris, qui avait écarté la responsabilité pénale de deux chirurgiens et de leur chef de service. En effet,
il ressortait de la décision que les anomalies médicales constatées n’étaient pas en relation causale certaine avec
le décès de la patiente. En l’espèce, la victime avait été admise en urgence pour une opération à la suite d’une
occlusion de l’intestin grêle et d’un kyste ovarien. L’intervention avait permis de déceler un cancer qui avait
nécessité une ablation totale de la zone tumorale. Une seconde intervention avait été rendue nécessaire par la
dégradation de l’état de la patiente. Cette dernière devait décéder quatre jours plus tard des suites d’une
septicémie. Si le collège des contre-experts a mis en avant un ensemble d’anomalies au cours des soins et du
suivi médical, chacune d’elles « prises isolément » n’aurait pas été de nature à entraîner le décès de la patiente.
- 216 -
qu’une faute, même grave, délibérée ou caractérisée, peut ne pas être en relation avec le
dommage. Le lien de causalité doit être établi objectivement et c’est d’abord son existence,
avec la certitude pour support, qui doit être établie677. La question de la certitude du lien de
causalité se pose souvent lorsque le décès ou les atteintes corporelles interviennent à l’issue
de l’intervention de plusieurs personnes. Contrairement au droit civil, la responsabilité du fait
d’autrui n’existe pas en matière pénale ; chacun ne répond que de la faute qu’il a
personnellement commise et les fautes multiples peuvent entraîner un cumul de
responsabilités. Le principe posé par l’article 121-3 du Code pénal est que « nul n’est
responsable que de son propre fait ».
Si le lien de causalité doit être certain, il n’implique pas une causalité exclusive678.
Serait-elle commune à plusieurs participants, associée à d’autres événements, voire en rapport
avec une faute imputable à la victime elle-même, la responsabilité pénale reste totale pour le
prévenu, ce qui s’explique par la finalité de la matière, laquelle est de sanctionner tout
comportement fautif pour ce qu’il représente en soi et ce indépendamment de tous autres. Non
seulement la causalité n’a pas à être exclusive, mais la responsabilité du prévenu reste et
demeure entière, quelle que soit l’importance de sa participation, pourvu qu’elle soit certaine
dans la production du résultat, c’est-à-dire, dans la mort du patient pour le praticien679.
La question se pose surtout lorsque interviennent des fautes multiples partagées entre le
médecin et d’autres personnes, voire d’autres praticiens, soit qu’il s’agisse de fautes
concurrentes 680 ou d’une conjugaison de fautes 681 . Lorsque le dommage résulte d’un
Ces anomalies, par « leur sommation », ont donc conduit à une « complication post opératoire, dont la prise en
charge a été trop tardive et inadaptée ». En conséquence, la Cour retient que « les chances de survie de la
patiente » se sont trouvées amoindries, sans pour autant qu’un diagnostic plus précoce puisse constituer
l’assurance de sauver le malade. Les experts s’étaient par ailleurs accordés, s’appuyant sur la littérature
médicale, pour observer un taux de mortalité important dans ce type d’intervention. L’ensemble de ces éléments
justifiait la relaxe. La Cour de cassation s’en est remise à l’appréciation souveraine des juges du fond. – Cass.
crim., 21 janv. 2003, Juris-Data n° 2003-018126.
677
V. pour une application récente : Cass. crim 5 oct. 2004, n° 03-86447, inédit, Med. & droit, 2005.
678
Il est de principe que les violences involontaires n’exigent pas pour leur application que la faute du prévenu
ait été la cause exclusive du dommage (Cass.crim. 30 mai 1972, Bull. crim. n° 179).
679
Y. Mayaud, Violences involontaires et responsabilité pénale, Dalloz Référence, 2003, p. 189, n° 61.41.
680
Ainsi il y a concurrence de faute lorsque plusieurs personnes contribuent par leurs agissements respectifs et
distincts à la mort de la victime. Chacune des fautes recensées est alors considérée comme ayant réalisé l’entier
dommage, ce qui interdit au prévenu de s’exonérer, même partiellement, de sa responsabilité pénale. Cette faute
peut avoir été commise avec des tiers ( V. par exemple CA Paris 30 juin 1984, Gaz. Pal., 1984.1.146 ; D. 1984,
IR 462, obs. J. Penneau ; Rev. sc.crim. 1984.318, obs. Levasseur. – Crim. 24 juin 1992, Dr. pénal 1993, Comm.
5.) ou avec la victime. Cette participation est indifférente, sauf dans l’hypothèse où le tiers ou la victime ont
commis une faute cause unique et exclusive du dommage, ce qui vient à exclure tout autre responsabilité (Crim.
12 mars 1991, Dr. pén. 1991, comm. 312 – 16 mars 1994, Dr. pén. 1994, comm. 229 – 4 avr. 1995, Gaz. Pal.
1995, 10 août 1998, p. 8.)
- 217 -
enchaînement de fautes multiples, qui ont chacune concouru à sa réalisation, la jurisprudence,
appliquant le système de l’équivalence des conditions – cette théorie place sur un même plan
toutes les circonstances qui ont concouru à produire le dommage : chacune en est la condition,
car sans elle ce dommage ne serait pas survenu –, estime que l’infraction est imputable à toute
personne dont la faute a concouru à sa réalisation682. L’article 64, alinéa 1er, du Code de
déontologie médicale, dispose sur ce point, que : « lorsque plusieurs médecins collaborent à
l’examen ou traitement d’un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés ; chacun
assume ses responsabilités personnelles et veille à l’information du malade »683. Toutefois,
l’obligation faite au juge de caractériser la faute de chacun des intervenants l’amènera, le cas
681
Les fautes conjuguées s’entendent, elles, de la participation commune de plusieurs personnes à une action
dangereuse, et d’un risque grave pour les tiers du fait de cette action. Par leur action commune, les prévenus sont
considérés comme ayant tous contribué à la réalisation du dommage et, même à défaut de preuve établie quant à
l’impact causal de leur participation, ils sont chacun censés avoir eu une part personnelle dans les atteintes subies
par la victime. Cette théorie semble remise en question par la loi du 10 juillet 2000. Cette théorie est consacrée
afin de retenir la responsabilité de tous les participants à une action commune dans le cas où la causalité n’est
pas évidente. Or, avec la loi nouvelle, seule une causalité directe permet de retenir que toutes les fautes soient
sanctionnées. Cette référence à la causalité directe implique nécessairement l’existence de preuves précises, qui
sont justement exclues en cas de fautes conjuguées, puisque par hypothèse ces fautes correspondent à une
situation ne permettant pas de maîtriser l’incidence directe de leur contribution à un dommage. A fortiori donc,
cette théorie ne sera plus compatible qu’en cas de causalité indirecte qui implique la démonstration d’une faute
qualifiée.
682
V. par exemple, Cass. crim. 26 mars 1997 : Bull. crim., n° 123 ; JCP G 1997, IV, 1778 ; CA Nancy, 16 mars
1999, Juris-Data n° 045080. Par arrêt du 18 novembre 1976, la Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité
pénale d’une infirmière avec celle d’un chirurgien qui « négligeant toute prudence élémentaire », n’avait pas
attendu l’avis du médecin anesthésiste qu’il avait sollicité et ne s’était pas préoccupé de l’assistance d’un
anesthésiste qualifié pendant l’opération. La Cour de cassation approuve les juges du fond qui ont retenu la
responsabilité pénale de l’infirmière pour les fautes qu’elle avait commises et d’avoir jugé que le médecin devait
être tenu civilement responsable du dommage de sa préposée.(Crim. 18 nov. 1976, Bull. crim n° 333).
683
On peut citer quelques exemples de responsabilités conjointes retenues entre le chirurgien et l’anesthésiste.
Dans un arrêt du 10 mai 1984, la Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité du chirurgien aux côtés de
celle de l’anesthésiste. Après avoir pris soin de distinguer leurs missions respectives en énonçant : « si la
surveillance post-opératoire incombe au médecin anesthésiste pour ce qui concerne sa spécialité, la chirurgien
n’en demeure pas moins tenu, à cet égard, d’une obligation de prudence et de diligence » de sorte qu’il devra
s’assurer que le patient restera sous la surveillance d’une personne qualifiée. De même, ont pu être retenues les
responsabilités respectives d’un anesthésiste, coupable de négligence, pour ne « s’être pas rendue au chevet de
l’opéré, même après que l’infirmière l’eut informée des difficultés », et d’un chirurgien à qui il était reproché de
ne pas s’être entretenu avec le médecin anesthésiste qui assurait avec lui la surveillance post-opératoire et de
n’avoir pas veillé à ce que le malade soit transporté en salle de réanimation, ainsi qu’il l’avait jugé nécessaire.
Les obligations générales de surveillance incombant au maître d’œuvre, chef d’équipe, qu’est le chirurgien, dans
le cadre d’une opération chirurgicale, conduiront fréquemment les tribunaux à retenir au pénal, comme en
matière civile d’ailleurs, sa responsabilité. Ainsi, dans un arrêt du 9 mai 1956, la Cour de cassation avait jugé
que le médecin tenu personnellement responsable des actes accomplis sous sa surveillance immédiate, pendant
une opération chirurgicale, par le personnel placé sous ses ordres, avait commis en conséquence une faute dès
lors qu’il n’exerçait pas cette surveillance avec toute la surveillance nécessaire. La Cour de cassation souligne
que « pour son application, l’article 319 du Code pénal n’exige pas que la faute incriminée soit la cause
immédiate de la mort ». De même, par arrêt du 26 février 1997, la chambre criminelle a condamné un médecin
accoucheur pour défaut de surveillance post-opératoire à la suite d’une césarienne ainsi qu’une aide soignante et
le président du conseil d’administration de la clinique.
- 218 -
échéant, à ne retenir que la seule responsabilité du spécialiste ou du subordonné684. Si le lien
de causalité doit exister, il peut désormais être direct ou indirect.
2- Un lien de causalité direct ou indirect
Traditionnellement, l’immense majorité des arrêts était favorable en droit pénal à la
théorie de l’équivalence des conditions. Sans se référer expressément à cette théorie, la
chambre criminelle considère qu’il n’est pas nécessaire que la faute du prévenu ait été la
cause unique, exclusive, directe et immédiate du résultat685. Cette solution était celle retenue
sous l’empire du code de 1810 et sous celui du code de 1994. Les juges ont, en ce sens,
toujours adopté une attitude répressive. Etait donc acquis en jurisprudence le fait qu’en
matière médicale la faute commise par un médecin pouvait engager sa responsabilité pénale
dès lors que le lien de causalité était certain, quand bien même il n’était qu’indirect ou
médiat686. Mais la loi du 10 juillet 2000 redéfinissant les délits non intentionnels a apporté un
changement important en introduisant – pour les seules personnes physiques 687 – une
distinction selon que la cause est directe ou indirecte.
684
Par arrêt du 10 novembre 1992, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir retenu la seule
responsabilité de la sage-femme à qui il incombait de « diriger et surveiller les actes et interventions postérieurs
à l’accouchement », et de ne pas avoir retenu celle du médecin accoucheur qui «n’est en rien intervenu dans les
actes de réanimation ».
685
Crim. 18 nov. 1927, S. 1928, p. 192 – Crim 28 mars 1973, Bull. Crim. n° 157 – Crim. 14 février 1996, Bull.
crim. n° 78, Rev. sc. Crim. 1996, p. 856, obs. Mayaud.
686
Cass. crim., 24 juin 1992, Dr. pén. 1993, n°5 , obs. M. Véron ;- 7 juillet 1993, Dr. pén. 1993, n° 255, obs. M.
Véron ; - 29 juin 1999, Juris-Data n° 000290.
687
On rappellera en conclusion que la réforme de la loi du 10 juillet 2000 n’est pas applicable à la responsabilité
pénale des personnes morales. Il faut ainsi comprendre que la responsabilité des établissements et cliniques
hospitaliers pourra être recherchée alors même que la responsabilité de ses dirigeants ne sauraient être retenue.
En effet, qu’importe, pour engager la responsabilité pénale de la personne morale, que la faute simple commise
par un organe ou un représentant l’ait été en lien de causalité direct ou indirect. Dès lors qu’une faute simple a
été commise pour le compte de la personne, celle-ci pourra voir sa responsabilité pénale engagée. De plus, la
responsabilité pénale de la personne morale n’exclut pas celle des personnes physiques. En conséquence, les
deux responsabilités – celle de la personne physique et celle de la personne morale – peuvent être
cumulativement retenues. Il faut comprendre, d’une part, qu’en lien de causalité indirect, on incite le magistrat à
ne retenir que la responsabilité de la personne morale. Les débats parlementaires sont en ce sens : ils témoignent
de la volonté de compenser par la responsabilité des personnes morales ce qui n’est plus à la charge des
personnes physiques. Mais les magistrats gardent la possibilité en lien de causalité direct de condamner à la fois
la personne physique, le médecin et la personne morale, l’établissement hospitalier. Toutefois, l’introduction de
la responsabilité pénale de la personne morale en 1994 a été voulu dans un sens de déresponsabilisation pénale
des personnes physiques agissant dans l’intérêt de la personne morale. Dès lors, les poursuites ne sont
généralement engagée que contre la personne morale seule. Toutefois, on n’a pas voulu une déresponsabilisation
totale c’est-à-dire que la personne morale fasse écran à la personne physique. Cette théorie générale ne devrait
cependant pas bénéficier au médecin, sauf en lien causalité indirect, les victimes pouvant déclencher les
poursuites à leur encontre. Les médecins ne peuvent espérer « se cacher » derrière l’établissement hospitalier
pour ne pas voir leur responsabilité pénale engagée.
- 219 -
Schématiquement, si la cause est directe entre la faute et la préjudice, toute faute, y
compris donc la faute simple, suffit à entraîner la répression pénale ; alors que, si la cause est
indirecte, seule une faute qualifiée – délibérée ou caractérisée – permettra d’engager la
responsabilité pénale de l’auteur. La faute simple n’est donc plus punissable dans la cas d’une
causalité indirecte. Le législateur entendait ainsi dépénaliser partiellement la faute pénale : en
effet, dès lors qu’une faute réalisée en lien de causalité avec le dommage est qualifiée « faute
simple », elle n’est plus pénalement punissable. En conséquence, les juges doivent désormais
s’attacher au lien de causalité avant de qualifier la faute. Alors que la faute était tout l’enjeu
de la responsabilité avant la réforme opérée par la loi du 10 juillet 2000, c’est désormais la
causalité qui en est le moteur. En pratique, cela revient à inverser la démarche du
raisonnement juridique, en se prononçant d’abord sur le caractère direct ou indirect de la
causalité, et ensuite seulement sur la nature de la faute compatible avec chacune des
hypothèses688. La causalité a acquis en ce sens une importance et une souveraineté qu’elle ne
possédait pas dans le droit antérieur689. Avant la loi du 10 juillet 2000, lorsqu’un médecin était
poursuivi pour homicide involontaire, l’essentiel du débat se portait sur la teneur de la faute
pénale médicale. Les débats se focalisaient ainsi sur la consistance de cette faute. Cette
question délicate divisait souvent les experts appelés à se prononcer sur sa teneur690. Lorsque
le juge caractérisait finalement cette faute, il n’avait plus alors qu’à démontrer le caractère
certain du lien de causalité. Désormais, la consistance de la faute pénale est subordonnée au
caractère direct ou indirect du lien de causalité. Donnée accessoire, le lien de causalité est
devenu une donnée principale, conditionnant la culpabilité non intentionnelle691.
Il reste à définir dès lors, ce qu’il faut entendre par causalité directe et causalité
indirecte.
688
Y. Mayaud, Violences involontaires et responsabilité pénale, Dalloz référence, 1e éd. 2003., p. 195, n° 62.04.
P. Mistretta, La responsabilité pénale à l’aune de la loi du 10 juillet 2000, évolution ou révolution ?, J.C.P. G
2002, P. 1285 et s..
690
V. notamment la querelle d’experts dans CA Nancy, 6 mai 1999, D. 2000, p. 889, note P. Mistretta.
691
Y. Mayaud retient que le système adopté par la réforme « revient à déplacer le curseur de la répression de la
faute au lien causal », Retour sur la culpabilité intentionnelle, op. cit., p. 607.
689
- 220 -
a) La causalité directe
Force est de constater que le législateur n’a pas cru bon de définir ce qu’il fallait
entendre par causalité directe692. Tout au plus s’est-il contenté de décrire la causalité indirecte
par référence à la qualité d’auteur indirect ou médiat selon les formules que nous étudierons
plus loin. Dès lors, c’est aux magistrats qu’incombera la délicate tâche de circonscrire le
domaine de chacune des causalités, sachant que l’impact causal d’une faute est difficile à
déterminer en raison des incertitudes inhérentes à tout acte médical. Deux attitudes sont
envisageables. Soit le magistrat entend conserver la maîtrise de l’appréciation du lien de
causalité et, en ce cas, il lui sera loisible de consacrer une vision plus ou moins extensive du
lien de causalité direct pour en déduire toutes les conséquences répressives qui s’y attachent.
S’il désire sanctionner le praticien, il lui suffira d’opter pour la vision la plus extensive. Soit le
juge répressif s’en remet à l’avis des experts. En conséquence, il devient un organe
d’enregistrement – encore plus qu’il ne l’était déjà sous la loi ancienne – des rapports
d’expertise en se contentant tout au plus d’arbitrer les querelles de spécialistes.
Il ressort de l’analyse des premières décisions rendues par les juges du fond que les
magistrats semblent s’orienter vers la première solution, ces derniers procédant, lors de
l’appréciation de la causalité, plus par affirmation que par démonstration693. Ainsi, dans le
silence de l’article 121-3 du Code pénal, devant la définition étroite de la circulaire de la
chancellerie, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que « le lien de causalité
est direct chaque fois que l’imprudence ou la négligence reprochée était soit la cause unique,
exclusive, soit la cause immédiate ou déterminante de l’atteinte à l’intégrité physique de la
personne ».
Trois cas peuvent donc qualifier ce lien de direct. Le premier est celui où la cause de
l’accident est unique694. Il peut d’ailleurs arriver que le préjudice ne survienne que longtemps
692
V. sur le sujet : Y. Mayaud, La causalité directe dans les violences involontaires, cause première ou
paramètre déterminant ?, Rev. sc. crim. 2002, p. 100. – du même auteur, L’homicide involontaire par
déclenchement d’un processus mortel, Rev.sc. crim. 1999, p. 321.
693
CA Agen, 27 nov. 2000, n° 00-753, BICC 31 mai 2001, n° 606. Le chambre criminelle pour sa part se
retranche derrière l’appréciation souveraine des juges du fond pour refuser de contrôler la causalité retenue. V.
par exemple. Cass. crim., 23 oct. 2001, Dr. pén. 2002, comm.. n° 27, obs. M. Véron. Ce sentiment est conforté
par l’attitude des magistrats dans les décisions rendues hors le domaine médical.
694
C’est le cas par exemple du médecin obstétricien qui, utilisant mal un forceps, provoque une fracture du crâne
de l’enfant qui décédera peu après en dépit des soins intensifs. (Crim. 23 octobre 2001, Bull. crim. n°217).
C’est encore le cas lorsqu’un chirurgien, sous estimant des signes d’occlusion non équivoques révélés par
l’examen radiologique d’une patiente obèse, omet de faire interrompre l’alimentation avant l’intervention et de
mettre en place une sonde gastrique permettant d’éviter un reflux oesophagien lors de l’anesthésie, l’omission de
- 221 -
après la faute : l’immédiateté du résultat n’est pas une condition toujours nécessaire de la
causalité directe695. En matière de responsabilité médicale, lorsque le dommage résulte d’une
imprudence commise par le médecin lui-même, dans une prescription ou lors d’un examen,
d’une intervention chirurgicale ou encore d’un suivi post-opératoire, le lien de causalité a été
qualifié de direct. Dès lors que le dommage est la conséquence d’une atteinte portée
physiquement par le prévenu lui-même, fût-ce par l’intermédiaire d’un objet (instrument,
médicament), le caractère direct du lien de causalité ne fait aucun doute. Toutefois l’absence
de contact physique n’exclut pas l’existence d’un tel lien. Il faut penser spécialement aux
omissions fautives pouvant être en relation avec le décès du patient. Cette omission, si elle est
la cause unique et immédiate du dommage, engendrera la responsabilité pénale du praticien,
c’est-à-dire que ce dernier sera condamné chaque fois que par sa seule action personnelle le
prévenu aurait pu empêcher le dommage696.
Le second cas est celui de la cause immédiate du dommage, ce qui relègue au second plan des
causes plus lointaines. Sans être la cause unique du dommage, on vise ici la cause principale.
Enfin, en troisième lieu, ce qui est plus original, la doctrine évoque « le paramètre
déterminant » en vertu duquel une faute recouverte par un fait postérieur, et donc éloignée du
dommage chronologiquement, peut tout de même être une cause directe 697 . La Cour de
cassation, le 29 octobre 2002, a ainsi retenu la responsabilité d’un chirurgien esthétique du
fait du décès de sa patiente cinq ans après son opération. Ce spécialiste avait procédé à une
intervention sur une femme âgée de 64 ans, qui décédait cinq après d’une embolie et qui avait
omis de prendre, devant l’intervention, toutes dispositions compte tenu d’un risque de
thrombose. Le lien entre la faute post-opératoire et le décès fut retenu comme lien direct698.
Cette jurisprudence peut toutefois être nuancée – l’avenir nous le dira – s’agissant du domaine
particulier de la chirurgie esthétique, domaine pour lequel la jurisprudence se montre
particulièrement sévère et répressive.
ce « geste simple, élémentaire et systématique pratiqué pour tous les cas similaires […] étant la cause directe du
décès » dû à l’inhalation du liquide gastrique survenu à l’induction.
695
Crim. 23 oct. 2001, Bull. Crim.., n° 218. La cour de cassation a ainsi confirmé la condamnation d’un
chirurgien qui opère une adolescente d’une scoliose sans utiliser la table d’opération spécialement conçue pour
ce type d’interventions, le décès de la patiente survenant deux ans après.
696
C’est le cas, par exemple, d’un chirurgien omettant de placer d’une sonde gastrique, de faire procéder à des
examens, de prescrire un traitement adéquat.
697
J. Pradel ; M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Droit commun, Droit des affaires, Cujas, 3e éd., 2004, p. 107.
698
Crim. 29 oct. 2002, Bull. Crim, n° 196, Rev. sc. crim., 2003.330, obs. Y. Mayaud. V. aussi Crim. 26 nov.
2002, Bull. crim., n° 211. – Crim 13 nov. 2002, Bull crim. n° 203 : pour le transfert tardif par un pédiatre d’un
enfant dans un service spécialisé.
- 222 -
La conception retenue apparaît donc comme une conception large du lien direct avec
le dommage, ce qui étend la répression en cas de faute simple. En conséquence, cela réduit la
portée de la réforme de la loi du 10 juillet 2000 pour laquelle tous les auteurs699 s’étaient
entendus pour y voir une dépénalisation partielle de la faute pénale et dont devait bénéficier
les médecins. L’innovation majeure de la loi du 10 juillet reste l’introduction d’un lien de
causalité indirect. Si la jurisprudence a pris la mesure de la réforme, elle pourrait cependant en
limiter la portée en matière médicale.
b) Le lien de causalité indirect
Le droit pénal, avant la loi du 10 juillet 2000, a opté pour la causalité indirecte. Il
suffisait donc que le dommage invoqué fût en relation quelconque avec la faute pour que
celle-ci engageât la responsabilité de son auteur. Tout dommage participant de façon proche
ou lointaine participait du lien causal et pouvait ainsi servir de fondement à des poursuites700.
La jurisprudence a été très loin dans cette voie. Ainsi il était indifférent que les conséquences
dommageables de la faute eussent été ou non prévisibles pour son auteur701. De même, ont pu
être retenues dans la causalité les conséquences des interventions nécessitées par l’atteinte ou
l’intégrité corporelle 702 . La responsabilité pénale était encore entière en cas de pathologie
antérieure à l’accident, dès lors que celui-ci avait contribué à l’aggraver, ou à en relancer le
processus703. Les mêmes applications rendaient compte des solutions relatives au suicide. Un
défaut de surveillance sur une personne en état de dépression suicidaire a ainsi été considéré
comme une négligence fautive ayant favorisé la réalisation du suicide, sans qu’il eût lieu à
rechercher l’existence d’un lien direct et immédiat entre la faute et le dommage704.
699
Les professeur Pradel et Danti-Juan estimaient ainsi que le lien direct « a pour domaine de prédilection les
accidents routiers et même médico-chirurgicaux ». J. Pradel, M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Droit commun,
Droit des affaires, Cujas, 3e éd., 2004.
700
La jurisprudence était particulièrement explicite sous l’ancien et le nouveau Code pénal. « Ni l’article 319, ni
l’article 221-6 du nouveau Code pénal n’exigent qu’un lien de causalité direct et immédiat existe entre la faute
du prévenu et le décès de la victime. Il suffit que l’existence d’un lien de causalité soit certaine ». Cass. crim., 14
fév. 1996, Bull. crim. n° 78, Rev. sc. crim. 1996, 856, obs. Mayaud – 23 sept. 1998, Rev. sc. crim. 1999, 321,
obs. Mayaud.
701
Cass. crim., 4 nov. 1971, Bull. crim., n° 300 ; D. 1972, somm. p. 20 – Cass. crim., 17 nov. 1971, Gaz. Pal.
1972, 1, 161.
702
Cass. crim., 15 janv. 1958, Bull. crim., n° 58 ; JCP G 1959, II, 11026, note Esmein – CA Paris, 7 juillet 1989,
Gaz. Pal. 1989, 2, 752, concl. Pichot.
703
Cass. crim. 14 févr. 1996, préc. – Cass. crim. 23 sept. 1998, préc.
704
Cass. crim., 5 mars 1992, Gaz. Pal. 1993, 2, Somm. 486, note Doucet ; Rev. sc. crim. 1993, 326, obs.
Levasseur.
- 223 -
Ces illustrations démontrent la sévérité de la Cour de cassation quant à l’appréciation
du lien de causalité avant la loi du 10 juillet 2000 en matière de violences involontaires. Elles
ont permis la condamnation de leurs auteurs sur le fondement de dommage en rapport souvent
lointain avec la faute par ailleurs retenue. La responsabilité se détachait d’une relation entre la
faute et le dommage et sanctionnait moins les effets du comportement que ce qu’il
représentait de répréhensible à sa source705. Cette conception avait certes l’avantage de retenir
la responsabilité sur la gravité intrinsèque de la faute plus que sur ses effets, lesquels ne sont
pas toujours le reflet de la première. Mais elle revenait à organiser la répression sur la faute
plus que sur des effets vraiment révélateurs d’une suite logique et adéquate. Dès lors, elle
permettait une responsabilité pénale extrêmement large, amplifiée par l’unité de la faute civile
et la faute pénale, ne pouvant conduire qu’à une responsabilité omniprésente. En effet, pour
être sûr que l’auteur répare le dommage subi par la victime, les juges retenaient « des
poussières de faute ». La loi du 10 juillet 2000 a mis fin à l’unité des fautes pénales et civiles.
Comme l’écrit le Professeur Mayaud, « la rencontre d’une faute étendue et d’une causalité
distendue ne peut qu’engendrer rejet et incompréhension, parce qu’aboutissant à des
applications incontrôlables, dont la mesure n’est plus le reflet de la loi mais de la seule
sensibilité du juge » 706 . La responsabilité des élus, chefs d’entreprise, des médecins,
instituteurs, ne connaissaient en ce sens plus de limites. La faute se définissait comme tout
écart même anodin par rapport à un idéal de conduite. La matière a évidemment entraîner la
bronca des élus. Plus grave était l’effet second de cette conception de la causalité. Une telle
responsabilité pénale a généré désengagement et inaction. En ce sens, l’intervention du
législateur ne peut qu’être saluée.
Contrairement au lien de causalité direct, le législateur s’est efforcé de définir le lien
indirect en l’article 121-3, al. 4 du Code pénal. Selon cet article, les personnes physiques qui
n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation
qui a permis la réalisation du dommage, ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de
l’éviter, ne peuvent être déclarées pénalement responsables que si elles ont commis une faute
d’une certaine gravité, une faute qualifiée707. Les auteurs en concluent que, dans les deux cas
705
En ce sens, Y. Mayaud, Violences volontaires et responsabilité pénale, op. cit., p. 198, n° 62.21.
Ibid. n° 62.23.
707
On distingue ainsi deux hypothèses, que les juges visent parfois de manière cumulatives : c’est d’abord le fait
pour le prévenu d’avoir « crée ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ». Il en
résulte que l’auteur n’est pas forcément le seul à avoir créé la situation dangereuse et que cette situation a
débouché sur le préjudice, ce qui fait apparaître deux niveaux successifs de causalité, le lointain qui est le fait de
l’agent et le proche de la réalisation du dommage. C’est l’hypothèse d’événements conjugués ayant participé à la
706
- 224 -
visés, l’auteur de la faute à l’origine de la situation n’a pas lui-même porté atteinte
physiquement à la victime708. Il se situerait en effet, chronologiquement en amont d’un acte
ou d’une situation ayant débouché sur le dommage. Le caractère indirect de la causalité se
définit par le fait qu’il y aurait interposition de l’acte d’un tiers entre celui de l’auteur de la
faute et la réalisation du dommage709. Pour Bruno Py, « pour l’heure […] le fait pour un
médecin de ne pas agir physiquement sur le corps du patient et de participer accessoirement à
une démarche thérapeutique effectuée principalement par d’autres est un indice de causalité
indirecte ».
En tout état de cause, la loi apparaît bien protectrice des décideurs. Au sein d’un
hôpital, ils donnent des ordres ou omettent de prendre des dispositions qui s’imposaient, et un
dommage corporel survient. Il est le fait du préposé dont la faute est en rapport direct avec
ledit dommage, alors que celle des décideurs, plus lointaine, ne sera punissable que si elle est
qualifiée. Autrement dit, le titulaire du pouvoir qui fait exécuter ses ordres par d’autres fera
d’emblée figure de cause indirecte du dommage, alors que le « lampiste », dont l’intervention
est vouée à être plus proche de la mort, se verra attribuer le rôle causal majeur710. La loi est
donc plus favorable aux décideurs qu’aux exécutants ! En fait, selon l’intensité et
l’importance du caractère indirect de la causalité, la portée de la loi nouvelle ne saurait être
identique.
En conséquence, en matière de santé, on sait qu’il est souvent plus difficile d’engager une
action en responsabilité sur le terrain d’une faute médicale proprement dite que sur le terrain
genèse de la situation. Cette solution reflète celles résultant de la théorie de la causa proxima. Les hypothèses
recouvertes par cette notion sont très nombreuses en droit médical dans la mesure où la relation médecin patient
a été largement remplacée par une conception collective de l’exercice médical faisant intervenir un grand
nombre d’acteurs médicaux, paramédicaux et administratifs. C’est ensuite le fait de n’avoir « pas pris les
mesures permettant d’éviter » le dommage. Prise au pied de la lettre, l’omission est ainsi toujours une cause
indirecte, et cela suppose aussi, après l’omission, une seconde cause débouchant elle-même sur le dommage.
Toutefois cette formulation ne tient pas compte du fait que, le plus souvent, le comportement considéré est le fait
d’un mélange d’action et d’omission. Cette seconde hypothèse recouvre la notion doctrinale d’auteur médiat.
708
Cette vision est issue elle-même du rapport rendu par le Conseil d’Etat. J. Fournier (dir.), La responsabilité
pénale des agents publics en cas d’infractions non intentionnelles, La Documentation française, 1996, spéc. p.
70 et 71.
709
Le professeur M.-L. Rassat expose au contraire (Droit pénal spécial, les infractions des et contre les
particuliers, Dalloz, 5e éd. 2006, p. 320, n°308) que la cause indirecte est celle qui a facilité le déroulement du
processus ou aggravé ses conséquences et la cause directe est celle qui a provoqué la réalisation du dommage,
c’est-à-dire la cause adéquate. Elle en conclut que « toute faute médicale doit être réputée indirecte puisque la
cause directe de la mort ou des blessures du malade mal soigné se trouve dans la maladie ou la grossesse qui
l’avaient conduit chez le médecin ». De sorte qu’elle se demandait « si cette solution est bien opportune sur le
plan social ». Toutefois on ne saurait totalement entrer dans cette voie. Même s’il faut reconnaître que « le
législateur ne s’en est pas aperçu », l’interprétation généralement admise correspond bien à la volonté de ce
dernier et gageons que la jurisprudence s’engagera davantage dans cette voie. Le médecin ne peut donc parier
sur une dépénalisation de son art.
710
Ph. Conte, Le Lampiste et la mort, Dr. pén. 2001, chron. n° 2.
- 225 -
d’une faute dans l’organisation du service 711 . La responsabilité des chefs de services et
d’établissements de santé, auteurs indirects ou médiats 712 de la mort causée du fait d’un
problème de coordination des équipes médicales ou de défaut d’organisation de
l’établissement, sera plus difficilement établie, ne reposant plus désormais que sur une faute
qualifiée. Il en résulte donc un allégement des cas de mise en jeu de la responsabilité pénale
médicale à l’égard des professionnels qui assument des fonctions de direction713. L’exigence
accrue quant à la qualité de la faute en cas de causalité indirecte aura pour conséquence que
les médecins, chef de service, bénéficieront de la réforme. On ne peut qu’approuver cette
diminution des cas de responsabilité, dont le lien avec la préjudice est si éloigné qu’il en
devient artificiel.
Des premières décisions permettraient même d’être optimiste. La solution retenue pour
les médecins chefs de service semble avoir été étendue à tous les cas de mise en jeu de la
responsabilité pénale des médecins n’exerçant pas de fonctions de direction dès lors que le
caractère indirect du lien de causalité est suffisamment prononcé. La cour d’appel d’Agen,
dans une des premières espèces faisant application de la loi du 10 juillet 2000, décide que le
comportement fautif commis par le praticien de façon véritablement éloignée dans
711
Avant la loi, l’engagement de la responsabilité sur cette base était relativement importante. V. par exemple,
Cass. crim 26 mars 1997, Bull. crim. , n° 123, op. cit., – 26 févr. 1997, Juris-Data n° 002436, CA Nancy, 16
mars 1999, op. cit. ; CA Paris 27 janv. 2000, n° 109780, inédit. Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le
26 mars 1997, un patient a été admis en urgence dans un centre hospitalier régional pour suspicion de
méningocoques. Après avoir transité plusieurs heures entre différents services et avoir été examiné par différents
internes, le patient devait décéder d’une septicémie, faute de mise en œuvre en extrême urgence d’un traitement
antibiotique. Le médecin traitent, différents internes, ainsi que le chef de service furent poursuivis. Le chef de
service fut notamment condamné pour avoir commis une faute dans l’organisation de la réception des malades
envoyés en urgence. Le lien de causalité présente un caractère indirect très marqué à l’égard du chef de service,
à la différence du comportement des internes dont le comportement se rapproche davantage d’une lien de
causalité presque direct. Ils furent cependant tous déclarés responsables.
712
Le médecin chef de service est souvent poursuivi en sa qualité d’auteur indirect du dommage. Est considéré
comme tel, selon le Conseil d’Etat, « celui qui aurait pu et dû empêcher la survenance du dommage, qu’il n’a pas
réalisé lui-même, mais qui n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’éviter » (La responsabilité pénale des
agents publics en cas d’infraction non intentionnelle, La Documentation française, 1996, p. 70). L’auteur médiat
est distingué de l’auteur indirect défini comme celui qui n’a pas lui-même heurté ou frappé la victime mais qui a
commis une faute ayant créé la situation à l’origine du dommage. En matière médicale, dans les hypothèses susévoquées, force est de constater que le médecin chef de service possède en même temps la qualité d’auteur
indirect et d’auteur médiat. On mesure là toute l’artificialité de cette distinction.
713
Les premières décisions relatives à l’application de la loi nouvelle étaient à ce titre significatives puisque la
Cour de cassation a cassé des décisions ayant condamné des médecins chefs de service afin de permettre leur
renvoi devant une autre juridiction, le texte étant plus doux. (Crim, 5 sept. 2000, op. cit. ; - 28 nov. 2000, n° 0081495, inédit ; -10 janv. 2001, Bull. crim., n° 3. Dans l’affaire de Nancy de 1999, le chef de service a finalement
bénéficié d’une relaxe (CA. Reims, 28 mars 2001, Juris-Data n° 2001-151104).
- 226 -
l’enchaînement causal des faits, ne peut être poursuivi que lorsqu’il révèle une faute qualifiée.
Si tel n’est pas le cas, la relaxe s’impose714.
Toutefois, dans la mesure où les exécutants et les médecins traitants exerçant leur art
de façon indépendante, leurs actes sont en principe à l’origine directe du dommage ou, s’ils
sont en lien de causalité indirecte, ce lien sera beaucoup plus ténu. Ils ne bénéficieront pas en
principe de la réforme715. Cette seconde série de situations est très présente en pratique. Le
comportement du médecin est certes en lien de causalité indirecte mais de façon beaucoup
moins marquée que précédemment. En ce cas, il se rapproche fortement du lien de causalité
direct et, là, on peut craindre au contraire que la réforme n’ait aucun effet, ou qu’elle révèle au
moins ses limites et ce d’autant plus que le lien de causalité étant futile et éphémère, la faute
qualifiée sera d’autant plus facilement démontrée716.
Par arrêt en date du 2 décembre 2003 717 , la Cour de cassation confirmait la qualification
d’homicide involontaire justifiée par la négligence du praticien lors de l’interrogatoire mené
de manière rapide, superficielle et incomplète. En l’espèce, un médecin libéral assure une
garde de régulation du Samu. Informé d’une demande de secours pour un tableau évoquant
une menace d’infarctus, il ne procède pas à un interrogatoire téléphonique attentif et
déclenche des secours inappropriés. Le patient décèdera à défaut de traitement correct. Cette
espèce est d’autant plus remarquable que, si elle confirme la jurisprudence séculaire, comme
on pouvait s’y attendre, en matière d’erreur de diagnostic, elle rappelle également que le
prévenu, alors agent d’un service public administratif, n’a cependant pas commis de fautes
714
CA Agen, 27 nov. 2000, n° 00-753, BICC 31 mai 2001, n° 606. V. également Cass. crim. 29 mai 2001, n° 0086233, inédit. La Cour de cassation casse une décision de condamnation pour permettre l’application de la loi
nouvelle dans une affaire où un gynécologue était poursuivi pour une faute médicale en relation causale très
indirecte avec le dommage. De même, v. Pau, 18 déc. 2001, Juris-Data n° 2001-167512, Méd.& Droit, 2002, n°
55, p. 16. La causalité a été considérée comme indirecte lorsque le médecin régulateur du S.A.M.U., à la suite
d’un appel, décide d’envoyer un médecin plutôt que de procéder à l’hospitalisation immédiate du patient qui est
décédé entre temps. Dans cet arrêt, les juges ont estimé que la faute n’était pas qualifiée et le prévenu a été
relaxé.
715
A ce titre, P. Mistetta jugeait que l’introduction de ce lien de causalité indirect présentait un effet perturbateur
dans l’appréciation de la responsabilité pénale médicale, La responsabilité pénale médicale à l’aune de la loin du
10 juillet 2000, op. cit, spéc.p. 1289, n° 13 et 14.
716
Ainsi, en matière d’erreur de diagnostic par exemple, la jurisprudence décide depuis longtemps que l’erreur
de diagnostic ne constitue pas intrinsèquement une faute pénale répréhensible sauf lorsqu’elle procède d’une
ignorance grave ou lorsqu’elle résulte d’une négligence dans l’examen clinique conduit de manière superficielle
et rapide ou incomplète. Cette position ne sera pas remise en cause par la loi nouvelle, elles répondront sans
nulle doute à la nouvelle faute qualifiée. En ce sens, l’erreur de diagnostic retenue par la Cour de cassation le 15
février 2000 à l’encontre d’un praticien ayant commis une série de négligences graves traduisant paresse et
désintérêt constitue désormais une faute qualifiée exigée en cas de causalité indirecte à moins que la
jurisprudence ne retienne désormais en cette hypothèse un cas de causalité directe, ce qui permettrait au juge de
ne retenir qu’une faute simple…. (Méd. & droit 2000, n° 44, p. 18).
717
Cass. crim. 2 déc. 2003, Bull. crim. n° 226 ; JCP 2004, II, 10044, note P. Mistretta ; Dr. pén., 2004, comm.
17, 2 arrêts, note M. Véron ; Rev. sc. crim. 2004, chron. p. 344, obs. Y. Mayaud.
- 227 -
détachables de ses fonctions de médecin régulateur. La Cour de cassation casse donc l’arrêt de
la Cour d’appel de Metz qui avait reconnu la responsabilité civile du médecin en énonçant que
les fautes, dont l’agent avait été déclaré coupable, ne pouvaient pas être considérées comme
détachables du service. Le médecin est donc jugé pénalement responsable et dégagé de toute
responsabilité civile personnelle. L’action de toute victime en ce cas ne révèlera dès lors que
la volonté de voir le médecin déclaré pénalement responsable, et donc l’aspect purement
punitif de l’action intentée, ce qui ne manquera pas d’informer sur le changement de volonté
et de rapports entre les médecins et leurs patients. Cette décision est aussi remarquable qu’elle
concerne un auteur médiat. On a donc fait prévaloir le domaine – l’erreur de diagnostic – sur
la qualité de l’auteur. Comme le montre aussi cet l’arrêt, dans le cadre d’un établissement
public hospitalier, lorsque la faute commise n’est pas détachable du service, les médecins ne
peuvent être déclarés civilement responsables. Voici donc une des bizarreries de notre droit,
où finalement seule la responsabilité la plus grave et la plus infamante peut être prononcée !
La causalité est donc devenue le point nodal de la responsabilité en matière de délit
non intentionnel, donc en matière d’homicide involontaire. Elle conditionne désormais une
autre donnée également renouvelée par la loi du 10 juillet 2000 : la faute.
B- La faute pénale médicale
Alors que la faute a été pendant des années le seul critère vraiment porteur de la
responsabilité pénale, elle doit aujourd’hui être analysée dans un contexte causal différencié,
ce qui réduit son rôle devenu, sinon secondaire, du moins subséquent. Il appartient à la partie
poursuivante de prouver la faute puisqu’il n’existe pas en droit pénal de présomption de faute
comme il en existe en droit civil. Il faut d’ailleurs noter que désormais les juges pourront
cependant déduire l’existence de la faute de toutes circonstances de fait et notamment de la
violation de toutes circonstances légales ou réglementaires, auquel cas la preuve pour le
poursuivant est plus aisée. Quant au prévenu, c’est-à-dire le médecin, il peut se dégager en
prouvant l’existence d’un cas de force majeure ou la faute de la victime en tant que cause
exclusive du dommage. Avant la réforme du 10 juillet 2000, la faute pénale était certainement
le point le plus important et le plus délicat. Par cette loi, il convient de distinguer différents
types de faute : la faute simple ou la faute qualifiée (b). Auparavant, il faut revenir sur un
changement important, qui est la fin de l’unité des fautes civile et pénale (a).
- 228 -
1- La fin de l’unité des fautes civile et pénale
De façon préliminaire, il faut rappeler que l’absence de reconnaissance de faute pénale
n’empêche plus aujourd’hui la reconnaissance d’un faute civile. En effet, la loi du 10 juillet
2000 a mis fin à l’unité des fautes civile et pénale. Sous la loi ancienne, l’autorité de la chose
jugée au criminel sur le civil, l’absence de faute pénale entraînait nécessairement l’absence de
faute civile, par application du principe de l’unité de faute. En conséquence, pour éviter que la
victime n’obtienne pas réparation de son préjudice, le juge pénal retenait des « poussières de
faute ». Ce principe était vivement critiqué par la doctrine. En effet, il avait pour conséquence
perverse de dénaturer le procès pénal en devenant un instrument aux services des intérêts de la
victime et de responsabiliser outrageusement les professionnels, notamment de santé, et les
décideurs. Le nouvel art 4-1 du Code de procédure pénale dispose désormais : « L’absence de
faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du Code pénal ne fait pas obstacle à
l’exercice d’une action devant les juridictions civiles afin d’obtenir la réparation d’un
dommage sur le fondement de l’article 1383 du Code civil si l’existence de la faute civile
prévue par cet article est établie…». Dans l’hypothèse, la plus courante, où la victime porte
son action devant le juge pénal, saisi de l’action publique, si le juge pénal retient une faute
pénale, il retiendra également une faute civile pour assurer la réparation de la victime. Il y a
donc en ce cas maintien de l’unité de fautes. Cependant, si le juge pénal prononce une relaxe,
il pourra en vertu du texte nouveau propre à l’action civile, retenir une faute civile718.
Désormais, « la faute pénale est redevenue l’expression d’une culpabilité et non plus
l’instrument d’une indemnisation »719. En l’absence de condamnation pénale, la victime ou
ses ayants droit pourront obtenir réparation par la juridiction pénale sur un fondement civil.
La juridiction répressive pourra allouer elle-même des dommages-intérêts. La réforme aura au
moins peut être cet avantage pour les médecins. La jurisprudence ne sera plus obligée de les
718
Si la victime porte son action civile devant le juge civil, la chambre criminelle décide que « la déclaration par
le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne
une faute civile d’imprudence ou de négligence ». L’unité des faute disparaît donc. Mais si le juge pénal avait
retenu une faute pénale, le juge civil devrait accorder réparation, ce qui maintient l’unité sans contredire l’article
4-1 du Code de procédure pénale, limité aux cas de relaxe. Par application de l’article 470-1 C.P.P., le tribunal
saisi de poursuites pour une infraction non intentionnelle et qui prononce une relaxe demeure compétent, sur la
demande de la partie civile ou de son assureur, pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation
du préjudice subi. Le juge pénal peut ainsi assurer une réparation sur les bases des articles 1384, 1385, 1386 et
1147 –1148 du Code civil mais aussi sur la base des 2e, 3e, et 4e alinéas de l’article 121-3 du Code pénal, qui
traitent de la faute pénale. Le juge pénal qui relaxe peut donc aujourd’hui accorder une réparation reposant sur
une faute civile distincte, ce qui entraîne une dissociation des deux fautes.
719
S. Gromb, F. Cochez, C. Dost, L’influence de la loi du 10 juillet 2000 sur la responsabilité médicale en
matière de délits non intentionnels, p. 12, disponible sur le site internet du smlc.asso.fr.
- 229 -
condamner pour des fautes minimes et insuffisamment expressives d’une défaillance vraiment
coupable pour indemniser la victime. Dès lors, les médecins devraient moins subir de
condamnations infamantes et traumatisantes que sont les condamnations pénales. Il
n’empêche que, si leur faute est trop grave ou importante pour seulement justifier la mise en
œuvre de leur responsabilité civile, la responsabilité pénale sera engagée. C’est pourquoi il
convient de rechercher ce que comprennent de telles fautes.
2- Les différents types de fautes
Selon l’article 221-6 du Code pénal, «le fait de causer, dans les conditions et selon les
distinctions prévues à l’article L. 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence
ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire… ». Le Code pénal ne définit
pas la faute, se contentant de lister une série de comportements. Toutefois on retient
généralement comme faute un défaut de précaution ou plus précisément une conduite morale
blâmable se traduisant par une indifférence aux règles sociales, un relâchement de volonté.
L’agent néglige de respecter les règles de prudence nécessaires et de prendre les précautions
qu’il aurait dû prendre. Mais, de toutes façons, l’auteur n’a pas voulu le résultat.
Le législateur s’est toutefois sans doute voulu précis en énumérant les cinq comportements
visés. En raison du principe de légalité criminelle, cette liste se veut limitative. Dès lors, la
Cour de cassation exige que les juges caractérisent l’un de ces comportements, à l’exclusion
de tout autre720. Avant la loi du 10 juillet 2000, toute faute, même la plus légère, était une
faute pénale. Désormais, il convient d’apprécier la faute à la lumière des articles 121-3 et 2216 du Code pénal et ainsi de distinguer entre la faute simple d’une part et les fautes « graves »
d’autre part.
a) La faute simple
La faute simple découle de la seule énumération légale. Elle correspond soit à des
fautes de commission (imprudence, maladresse), soit d’omission (négligence, inattention) tels
le fait de s’abstenir de réaliser un acte jugé indispensable ou de refuser d’agir. Point n’est
besoin que l’auteur soit conscient de ne pas respecter les règles de l’art, ou qu’il pense que ses
720
En réalité, ils sont très proches les uns des autres, et souvent désignés sous le un même ensemble :
« l’imprudence ». Toutefois il n’est pas intéressant de continuer à les distinguer, le législateur et la jurisprudence,
y percevant certaines nuances.
- 230 -
gestes pourraient avoir des conséquences dommageables pour l’intégrité corporelle d’autrui, il
peut tout simplement estimer à tort que les risques sont acceptables 721 . On retrouve ici
l’existence cinq fautes susceptibles d’engager la responsabilité pénale, qui peuvent se répartir
en trois catégories.
La première correspond à un comportement : la maladresse. Elle vise le cas de celui
qui, exerçant une activité quelconque, ne le fait pas dans les règles de l’art, mais sans en être
forcément conscient 722 . Elle est un défaut de dextérité manuelle, elle peut être aussi
intellectuelle comme le médecin qui n’agit pas en conformité avec les règles de sa
profession723, le médecin qui a commis des erreurs de diagnostic, de choix de traitement ou
d’application de celui-ci724, voire qui a manqué d’esprit critique vis-à-vis du diagnostic d’un
confrère725. En ce cas, si l’acte est volontaire, il est tout à fait inconscient. On pourrait dès lors
s’interroger sur le point de savoir si le droit pénal doit se désintéresser du fait qu’un médecin
exerce sa profession, même de bonne foi, sans respecter les règles thérapeutiques admises. Il a
été envisagé à plusieurs reprises de ne pas reprendre ce type de faute en droit pénal, celle-ci
ne devant donner lieu qu’à des suites civiles. La chambre criminelle elle-même a jugé, dans
l’hypothèse d’une erreur de diagnostic médical établie, que celle-ci ne constituait pas une
faute au sens des articles 221-6 et 221-19 « quand elle ne procède pas d’une négligence »726.
En ce sens, elle supprime, dans cette décision, la maladresse des actes punis par la loi. Le
sénat fut cependant, de façon constante, hostile à cette solution. Au moins, il est légitime de
penser que l’on doit se montrer moins sévère à l’égard de celui qui ignore qu’à l’égard de
celui qui témoigne d’une absence délibéré d’attention à ce qu’il fait, comme en témoigne les
autres types de comportement727.
La deuxième série correspond à l’imprudence, l’inattention et la négligence. Ils
désignent celui qui fait quelque chose sciemment mal, mais ou bien en ne pensant pas que
cela pourra avoir des conséquences dommageables pour l’intégrité corporelle d’autrui, ou
721
M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, Infractions contre et par les particuliers, Précis Dalloz, 5e éd. 2006.
Ibid., p. 309.
723
J. Pradel ; M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Droit commun, Droit des affaires, Cujas, 3e éd., 2004, p. 84.
724
Crim. 14 juin 1957, D. 1957.512, Bull. crim. n° 335 ; 26 janv. 1977, Bull. crim n° 38 ; 20 fév. 1982, D.
1982.I.R. 379, obs. Penneau ; 25 mai 1982, Bull. crim. n°134 ; 7 oct. 1986, Bull. crim. n° 274 ; 7 juin 1988, Bull.
Crim. n° 261 ; Versailles 8 déc. 1986, D. 1987.274, note Penneau, Rev. sc. crim. 1988.300, obs. Levasseur.
725
Crim. 25 sept. 1996, Dr. pén. 1997, n°3.
726
Crim. 29 juin 1999, Bull. crim. n° 161.
727
V. en ce sens, M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, Infractions contre et par les particuliers, op. cit., p. 309, in
fine.
722
- 231 -
bien en en acceptant le risque728. Plus précisément, l’imprudence est la méconnaissance des
règles de prudence qui entraîne la prise d’un risque dangereux malgré l’éventualité prévisible
d’un dommage 729 . L’inattention est la légèreté, l’étourderie du médecin qui « dénote un
manque de concentration sur la tâche que l’on exécute ». La négligence enfin est le fait
d’omettre de prendre les précautions nécessaires par laisser aller ou impéritie. Tel est le cas du
médecin ou chirurgien qui, avant traitement ou intervention, omet, par oubli, de procéder à
des examens qui s’imposaient730.
Enfin, la troisième sorte, c’est le manquement à une obligation de prudence ou de
sécurité imposée par la loi ou le règlement. L’expression « la loi et les règlements » utilisée
dans le Code pénal de 1994 devait être interprétée largement en ce sens que le manquement
pouvait s’appuyer sur n’importe quelle règle normative. Les règlements étaient entendus au
sens large. Ils comprenaient alors les règles professionnelles et déontologiques, comme en
matière médicale bien entendue. Or la loi du 10 juillet 2000 redéfinissant les délits non
intentionnels a remplacé l’expression « les règlements » par celle « le règlement ». Le
domaine de cette faute a donc été largement diminué par rapport au droit ancien. En effet, il
faut considérer que seule est coupable la violation d’un texte émanant du pouvoir législatif ou
réglementaire. Est-ce à dire que ne pourraient plus être visés de manquements au code de
déontologie médicale ? Il ne faut pas l’espérer … ou le craindre ! En effet cette rédaction ne
devrait pas entraîner d’allégement de la répression. La violation d’une règle professionnelle,
d’une déontologie, peut être qualifiée d’imprudence ou de négligence.
Conformément à l’article 121-3 al. 3 du Code pénal, « il y a délit … en cas de faute
d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité
prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les
diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses
fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir ou des moyens dont il disposait ». Tous
les manquements supposent donc une faute, et plus précisément le non-accomplissement des
diligences normales. La loi du 10 juillet 2000 n’a fait que reprendre la rédaction de l’article
121-3 alinéa 3 tel qu’issu de la loi du 13 mai 1996, en inversant cependant la charge de la
preuve de l’accomplissement des diligences normales – ou plutôt du non-accomplissement –
728
Ibid. p. 310.
J. Pradel ; M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Droit commun, Droit des affaires, Cujas, 3e éd., 2004, p. 85.
730
Ibid.
729
- 232 -
le faisant désormais reposer sur la poursuite. Avant la loi du 13 mai 1996, la jurisprudence
adoptait une appréciation abstraite du comportement de l’auteur, en référence au «bon père de
famille »731 du droit civil, c’est-à-dire à l’individu normal, diligent et prudent placé dans les
mêmes conditions. Elle ne tenait pas compte de sa psychologie, de ses aptitudes personnelles,
de ses connaissances techniques. Le législateur a entendu lutter contre cette sévérité. En
modifiant le texte, il désirait substituer à cette appréciation in abstracto l’appréciation in
concreto, c’est-à-dire celle qui tient compte de la condition propre du prévenu. Mais la
jurisprudence se contenta de motiver tout au plus davantage ses décisions et retenait que le
prévenu n’avait pas accompli, « compte tenu de ses missions et de ses fonctions, les
diligences normales que l’on pouvait légitimement attendre de lui ».
La modification attendue n’a pas eu lieu car la jurisprudence n’a vu dans le texte que la
confirmation de ce qu’elle faisait déjà. En effet la jurisprudence juge depuis toujours le
médecin, ou tout autre professionnel, en référence à un modèle de référence doté de la même
qualité, ce qui n’est autre qu’une appréciation in abstracto. Tout au plus la nouvelle rédaction
imposait-elle une motivation plus précise. En ce sens, la Cour de cassation a appliqué l’article
121-3 modifié à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 13 mai 1996, le
considérant comme un texte plus doux. Cette interprétation reste totalement valable pour
l’appréciation d’une faute simple en lien de causalité directe, la loi du 10 juillet 2000 ayant
repris en substance l’article 121-3 alinéa 3 réservé aujourd’hui aux fautes en lien de causalité
direct. Ces fautes – maladresse, imprudence, négligence, inattention, manquements à une
obligation particulière de prudence et de sécurité…– constituent les fautes qui recouvrent
l’article 221-6 du Code pénal.
Deux types de fautes peuvent être reprochées aux professionnels de santé732 : les fautes
de technique médicale propres au personnel soignant et les fautes non techniques, contraires
731
Réf. au bon professionnel : Crim. 13 sept. 1988, Gaz. Pal., 1989.I.175, note J.P. Doucet ; 4 oct. 1990, Dr.
pén., 1991, comm. 8.
732
On rappellera que des difficultés étaient nées à propos de l’équipe médicale constituée du chirurgien et de
l’anesthésiste en ce qui concerne la surveillance du malade pendant et après l’intervention. Dans un premier
temps, la jurisprudence déclarait responsable le chirurgien, même pour les accidents d’anesthésie, car on estimait
que le chirurgien est le chef de l’équipe médical (Crim. 18 nov. 1976, Bull. crim. n°333, Rev. sc. crim.,
1997.336, obs. G. Levasseur). Ultérieurement, une affaire célèbre donna lieu à plusieurs arrêts et finalement
l’Assemblée plénière de la Cour de cassation distingua nettement les missions de chacun des professionnels en
posant comme règle que « si la surveillance post-opératoire incombe au médecin-anesthésiste pour ce qui
concerne sa spécialité, le chirurgien n’en demeure pas moins tenu, à cet égard, d’une obligation générale de
prudence et de diligence »(Ass. plén. 30 mai 1986, Bull. crim. n°184, D. 1987.109, note J. Penneau, Rev. sc.
crim., 1986.851, obs. G. Levasseur). De cette expression, il résulte que le chirurgien doit veiller à ce que le
malade reste sous la surveillance d’une personne qualifiée. De même, les maladresses commises par un interne
- 233 -
au devoir de prudence pesant sur toute personne appartenant au personnel soignant ou
administratif733. Ces dernières sont rarement à l’origine directe du dommage734. Les fautes les
plus fréquemment à l’origine directe du dommage sont les erreurs de technique médicale
proprement dites qui se décomposent classiquement en la pose d’un diagnostic735, nécessitant
parfois le recours à un spécialiste 736 , l’indication thérapeutique 737 , la conduite d’un
traitement738 et le suivi du patient739. En matière médicale, l’erreur est « la part de nuances et
d’incertitudes consenties à l’exercice d’un art difficile, de sorte que la distinction entre
l’erreur et la faute est parfois difficile »740. Ainsi, par exemple, l’erreur de diagnostic en tant
que telle n’est pas forcément fautive si tous les moyens techniques conformes aux données
acquises de la science sont mis en œuvre.
L’essentiel du débat porte donc sur le fait de savoir si le médecin a pris les précautions afin
d’établir le diagnostic et de lever les doutes suscités par la complexité des symptômes, ou si,
au contraire, le diagnostic a été posé avec légèreté suite à une négligence grave. La juridiction
distingue entre le diagnostic complexe engendrant une erreur non fautive et le diagnostic
évident qui peut être à l’origine d’une faute. Il en est ainsi lorsque le praticien n’a pas pris les
précautions nécessaires, par exemple lorsqu’il ne s’est pas informé suffisamment de l’ état du
intervenant sous la surveillance d’un chirurgien pourront engager la responsabilité de ce dernier, s’il apparaît que
celui-ci a manqué au devoir de surveillance qui lui incombait.
733
S. Gromb, F. Cochez, C. Dost, L’influence de la loi du 10 juillet 2000 sur la responsabilité médicale en
matière de délits non intentionnels, disponible sur le site internet du smlc.asso.fr.
734
Au titre de fautes non techniques, outre les fautes banales d’imprudence grossière, on peut citer les fautes de
mauvaise organisation du service (manque de coordination des équipes médicales), de mauvaise gestion d’un
établissement de santé (absence de matériel adapté, carence en personnel qualifié), de non-respect de la
réglementation en vigueur en matière de santé publique…
735
A. Garay, Le régime pénal de l’erreur de diagnostic en matière médicale, Gaz. Pal, 17-19 décembre 2000, p.
21. Crim. 23 février 1999, Juris-Data n° 001791 pour la responsabilité d’un médecin n’ayant pas diagnostiqué
l’épilepsie dont est décédée la patiente. V., pour une application récente, Cass. crim., 18 mai 2005, inédit,
pourvoi n° 04-83347.
736
Crim 10 nov. 1998, Juris-Data n° 00563. La chambre criminelle de la Cour de cassation a retenu la
responsabilité d’un médecin généraliste pour homicide involontaire sur un enfant de 14 mois, décédé des suites
d’une occlusion intestinale. Bien qu’informé des antécédents de la victime qui avait subi peu de temps
auparavant une intervention de chirurgie abdominale et de la persistance de vomissements et l’absence
d’émission de selles, la médecin avait négligé de le confier à un hôpital.
737
Crim. 3 déc. 1997, RCA 1998 n° 254, pour la faute d’un obstétricien ayant procédé à un accouchement par
voie naturelles alors qu’une tentative d’extraction par ventouse avait échoué et que le rythme cardiaque du fœtus
présentait des anomalies. – Paris10 juin 1999, Juris-Data n° 023828 pour un médecin qui prescrit une cure de
sommeil à domicile à un toxicomane qui est décédé suite à l’absorption d’une forte dose de codéine associée à de
l’alcool.
738
Crim. 18 nov. 1976, Bull. Crim., n° 333, Rev. sc. Crim., 1977. 336, obs. G. Levasseur ; Crim. 27 nov. 1990,
Dr. Pén. 1991, n° 103, pour l’accélération sans motif de gestes opératoires par un chirurgien. – 15 juin 1999,
Juris-Data n° 003271, pour un obstétricien ayant perforé l’utérus d’une patiente.
739
Crim., 29 juin 1999, Bull. crim. n° 162, Rev. sc. crim., 2000, p. 204, note Y. Mayaud. Un médecin, chef de
service de gynécologie –obstétrique d’un hôpital a été déclaré coupable d’homicide involontaire pour ne pas
avoir prescrit en temps nécessaire un traitement chirurgical qui aurait évité le décès de la patiente. Cass. crim., 4
fév. 2003, inédit, n° pourvoi : 02-81600 – Cass. crim. 21 juin 2005, Bull. crim., sur le suicide d’un patient.
740
S. Gromb, F. Cochez, C. Dost, L’influence de la loi du 10 juillet 2000 sur la responsabilité médicale en
matière de délits non intentionnels, p. 7. disponible sur le site internet du smlc.asso.fr.
- 234 -
malade741. Mais, s’il n’est pas constaté de négligence dans les examens préparatoires, il n’y a
pas de faute de la part du praticien742. Il y aura également absence de faute lorsque l’erreur de
diagnostic s’explique par la complexité des symptômes et la difficulté de leur
interprétation 743 , lorsque le chirurgien n’a pas été informé des suites dramatiques de son
intervention744.
Si, en lien de causalité direct, la faute simple du médecin suffit pour retenir sa
responsabilité, il faudra désormais une faute qualifiée du praticien pour engager la
responsabilité de ce dernier lorsque son comportement sera en lien de causalité indirect avec
la réalisation du dommage.
b) Les fautes graves ou encore qualifiées
Lorsque le lien entre la faute et le préjudice est indirect, la faute pénale n’existe que si
elle est qualifiée. Selon l’article 121-3 alinéa 4 du code pénal, il existe deux types de fautes :
la faute délibérée et la faute caractérisée. La faute délibérée constitue une violation
« manifestement caractérisée d’une obligation particulière de sécurité prévue par la loi ou le
règlement ». Quant à la faute caractérisée, elle est celle qui « expose autrui à un risque d’une
particulière gravité (que son auteur) ne pouvait ignorer ».
La violation manifestement délibérée d’une obligation particulière « de sécurité ou de
prudence prévue par la loi ou le règlement » correspond à ce qu’il est commun d’appeler la
faute de mise en danger745. Cette faute suppose deux éléments : un élément matériel, qui est
l’existence d’une obligation particulière de sécurité, et un élément psychologique, qui est la
volonté mûrement réfléchie de violer le texte en sachant qu’un dommage peut arriver et en en
prenant le risque sans état d’âme746. C’est dire qu’il fait référence au for intérieur de l’auteur,
741
Crim., 20 février 1982, D., 1983, I.R., obs. J. Penneau ; Versailles, 8 déc. 1986, D. 1987. 583, note J.
Penneau.
742
Crim. 3 nov. 1988, D. 1989, Somm., 317, note J. Penneau.
743
Crim., 17 janv. 1991, Dr. pén., 1991, comm. 169, obs. M. Véron, Rev. sc. crim., 1992.78, obs. G. Levasseur ;
29 février 1999, R.D.D.P., 2000.249, obs. J.-Y. Chevalier ; 29 juin 1999, Bull. crim., n° 161, D. 2000, Somm.
30, obs. Y. Mayaud. Rev. sc. crim., 2000.204, obs. Y. Mayaud, arrêt selon lequel « une erreur de diagnostic n’est
pas une faute pénale au sens de l’article 221-6 du Code pénal ».
744
Crim., 28 sept. 1999, Bull crim. n° 198, Rev. sc. Crim. , 2000.393, obs. Y. Mayaud.
745
Cette faute est prévue également à l’article 121-3, al. 2 du Code pénal. Reprise par la loi du 10 juillet 2000,
cette faute constitue également une circonstance aggravante des délits d’homicide et blessures involontaires,
ainsi que l’élément intellectuel du délit de risque causé à autrui (art. 223-1 du Code pénal).
746
J. Pradel, M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Droit commun, Droit des affaires, Cujas, 3e éd., 2004, p. 88
- 235 -
ce qui permet à tout le moins de s’interroger sur l’établissement d’un tel élément. Cette faute
est la faute nouvelle de mise en danger délibérée de la personne d’autrui prévue par l’article
223-1 du Code pénal 747 . Il semblerait que l’obligation particulière de sécurité doive être
opposée à une obligation générale et qu’il faille donc entendre cette expression comme visant
les obligations imposées en fonction d’activités particulières. Parce-qu’elle impose la
violation d’une obligation particulière, cette faute aura nécessairement une portée limitée en
droit médical, à l’exclusion peut être cependant de l’anesthésie. En effet, afin de privilégier la
sécurité des patients, les pouvoirs publics ont imposé des normes de sécurité en matière
anesthésique par un décret du 5 décembre 1994. Tous les établissements hospitaliers sont
notamment tenus depuis de disposer d’une salle de réveil. Or la vétusté des installations et le
manque de personnel médical conduisent régulièrement les médecins devant les juridictions
en cas d’accident pour non-respect de la réglementation. Mais, parce que ce texte impose la
violation d’une obligation particulière prévue par un texte, en dehors de l’exception sus-visée,
elle ne devrait jouer car il n’y a pas de texte imposant des obligations de prudence.
La faute caractérisée est plus factuelle. Cette faute apparaît assez proche de la faute
inexcusable du droit du travail. Elle s’apparente à une défaillance grave, inadmissible et
nettement identifiable. La chambre criminelle n’a pas voulu encore définir cette faute.
Toutefois, à la lumière de l’article 121-3, al. 4, in fine du Code pénal et de la jurisprudence, la
faute caractérisée semble nécessiter trois éléments : un degré de gravité indéniable ;
l’exposition d’un tiers à un risque mortel (ou invalidant) ; enfin la prévisibilité de ce risque
par l’auteur du dommage, celui-ci n’ayant pu l’ignorer748. Le juge devra dès lors déterminer si
le prévenu pouvait ou non ignorer ce risque, ce qui laisserait penser que l’appréciation se fera
cette fois in concreto. Par arrêt du 27 novembre 2000, la cour d’appel d’Agen a eu l’occasion
de se prononcer sur une telle faute. Les magistrats refusaient en l’espèce de reconnaître
l’existence de la faute caractérisée. Ils relaxaient deux médecins du chef d’homicide
involontaire du fait du décès de la patiente suite à la survenance d’une complication postopératoire au motif qu’il n’est pas établi que les praticiens «savaient que leur comportement
créait à l’encontre de leur patiente un danger d’une particulière importance »749. En revanche,
747
Ph. Salvage, La loi n° 2000-647, Retour vers l’imprudence pénale, J.C.P. 2000, I, 281 – S. Petit, Une
nouvelle définition des délits d’imprudence, Gaz. Pal. 9-11 juillet 2000, p. 3. – J. Pradel, De la véritable portée
de la loi du 10 juillet 2000 sur la définition des délits non intentionnels, D. 2000, n° 29, Point de vue, p. V. – Y.
Mayaud, Retour sur la culpabilité non intentionnelle en droit pénal (à propos de la loi n° 2000-647 du 10 juillet
2000), D. 2000, chr. p. 603.
748
J. Pradel ; M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Droit commun, Droit des affaires, Cujas, 3e éd., 2004, p. 89.
749
Agen, 27 nov. 2000, op. cit.
- 236 -
celle-ci fut admise par la Cour de cassation, le 1 avril 2003750, à l’encontre d’un interne qui
avait tardé à agir et avait pris des mesures insuffisantes. L’ensemble de ces fautes est
constitué qu’il s’agisse d’une action ou d’une omission751.
En conclusion, il n’apparaît pas que la responsabilité pénale médicale doive être
bouleversée par la loi nouvelle du 10 juillet 2000, bien qu’il faille encore attendre quelques
années pour se faire une idée plus précise de la jurisprudence. Néanmoins, on peut craindre
une prééminence du juge en la matière, notamment par la latitude laissée dans l’appréciation
de la faute et du lien de causalité, de sorte que certains ont pu écrire s’agissant de la
détermination de la faute qualifiée que cette détermination « ne sera pas sans cacher parfois de
pures opportunités, de sorte que la balance de la justice penchera du côté où le besoin
répressif se fera le plus ressentir »752 . L’allégement voulu de la responsabilité pénale non
intentionnelle pourrait se voir limiter par « la sensibilité judiciaire », même s’il faut
reconnaître qu’il y a des hypothèses en droit médical qui ne laissent pas de place à
l’interprétation judiciaire tant la faute commise par le praticien est grave. Espérons
simplement que le texte trouvera sa pleine mesure en voyant engager davantage la
responsabilité de l’établissement hospitalier en cas de causalité indirecte. Un des apports
principaux de cette loi n’est-il pas de vouloir substituer à la responsabilité des personnes
physiques celle des personnes morales753.
C- La mort du patient
Pour pouvoir poursuivre un médecin, le décès de la victime, le préjudice, est
nécessaire. L’infraction d’homicide involontaire n’existe que si la victime était une personne
vivante754. Depuis le 24 avril 1968755, la mort constatée par l’officier d’état civil, au vu d’un
750
Cass. crim. 1 avril 2003, inédit titré, pourvoi n° 02-81872 – V. également. Cass. crim 5 avril 2005, inédit,
pourvoi n° 04-85503.
751
V. pour une omission CA Paris, 24 juin 2004 : Juris-Data n° 2004-254166 ; Méd. & Droit, 2005. – Cass.
crim., 3 mai 2006, Bull crim..
752
Y. Mayaud, obs. ss. TGI La Rochelle, 7 sept. 2000, Rev. sc. crim. 2001, p. 159.
753
V. en ce sens, P. Mistretta, La responsabilité pénale médicale à l’aune de la loi du 10 juillet 2000, évolution
ou révolution ?, J.C.P. G 2002, I, 149, p. 1285, spéc. p. 1291, in fine.
754
Mais la tentative d’homicide volontaire peut être retenue lorsque la victime était déjà morte au moment des
violences, cf. Crim., 16 janvier 1986, D. 1986. 265, note Mayer et Gazounnaud, et note Pradel ; J.C.P. 1987. II.
20774, note Roujou de Boubée ; Gaz. Pal. 1986, 1, 377, note Doucet ; Rev. sc. crim. 1986. 839, obs. Vitu et 849,
obs. Levasseur.
755
Circulaire n° 67 du 24 avril 1968 du ministre de la Santé, prise après consultation du conseil de l’Ordre
national des médecins, de l’Académie nationale de médecine et de la Commission des autopsies. Voir. J.
Savatier, Et in hora mortis nostrae : le problème des greffes d’organes prélevés sur un cadavre, D. 1968, chron.
XV ; B. Portnoi, A propos de la définition de la mort, Gaz. Pal. 1988, 1, doctr., p. 300 ; P. de Goustine, La
- 237 -
certificat de décès rédigé par le médecin, se définit par la destruction définitive du cerveau756.
Ainsi un anesthésiste fût condamné après l’extubation prématurée de sa patiente, ce dernier
n’ayant pas attendu les résultats constatant la mort du cerveau. Les magistrats y ont vu une
faute d’imprudence757. Il est redoutable que certaines morts soient utiles à d’autres personnes
– le prélèvement d’organes – ce qui doit inciter les tribunaux à la plus grande vigilance et
sévérité à l’égard des médecins anticipant la mort de leurs patients. Mais ils doivent savoir
aussi être clairvoyants en reconnaissant la mise en œuvre de l’obligation pour le médecin de
non obstination déraisonnable. Et ainsi ils devront juger humainement celui qui aura estimé
que la poursuite de la réanimation ne reposait plus sur aucune finalité médicale758.
La tentative d’homicide involontaire n’existe pas, cette dernière impliquant une
tension de la volonté vers un résultat, ici absente par hypothèse. Cela implique également que,
bien qu’une faute ait été commise, tant qu’il n’y a pas préjudice, il n’y a pas délit d’homicide
involontaire. En effet il arrive que le préjudice survienne longtemps après la faute et comme
le préjudice est un élément constitutif de l’infraction, sa survenance seule permet à celle-ci
d’être constituée. En conséquence, la prescription est retardée et ne commence à courir qu’à
compter de la survenance du dommage. Cette solution est particulièrement sévère car, en ce
cas, la prescription peut s’avérer plus longue que pour une infraction intentionnelle pourtant
plus grave. Cependant il ne saurait en être autrement, l’homicide involontaire étant une
infraction de résultat. Ainsi le point de départ du délai de prescription est retardé jusqu’au jour
détermination de la mort en droit positif, RD Sanit soc., 1990.595 Le prélèvements d’organes rendait urgent
l’établissement de critères pour définir la mort, ainsi que le souligne B. Portnoi en relevant la coïncidence de
dates entre la circulaire du 24 avril et la première greffe française opérée par le Pr. Cabrol le 27 avril suivant.
756
Le décret du 2 décembre 1996 est venu préciser les modalités de constatation de la mort cérébrale en les
inscrivant aux articles R. 671-7-1 à R. 671-7-3 du Code de la santé publique. Trois critères seront nécessaires
pour asseoir le constat des médecins : l’absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée, l’abolition
de tous les réflexes du tronc cérébral et l’absence totale de ventilation spontanée. En revanche, pour constater la
mort d’une personne cliniquement morte mais assistée par une ventilation mécanique et conservant une fonction
hémodynamique, deux examens supplémentaires sont prévus : les médecins devront se référer à « deux
électroencéphalogrammes nuls et aéractifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures » ou « une
angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique ». Décret n° 96-1041 du 2 déc. 1996, J.O. du 4
décembre 1996, p. 17621. V. M. Véron, Du constat de la mort au constat de la vie, Dr. pén., 1997, p. 4 ; P. de
Goustine, Le nouveau constat de la mort en cas d’utilisation du cadavre, RD sanit. soc., 1997. 524 ; J.-P. Gridel,
L’individu juridiquement mort, D. 2000, Supplément au n° 16, Journées Paris-V Droit 1999 : Quelques aspects
du droit de la mort, p. 6.
757
B.Legros, commentant cette décision, estima qu’il y avait eu renoncement trop rapide aux soins, note sous
Crim. 19 févr. 1997, D. 1998. 236.
758
J. Savatier : « Le problème à résoudre est bien circonscrit : il s’agit de protéger les malades soumis […] à des
techniques de réanimation cardio-respiratoire contre la hâte que pourraient avoir certains médecins à les déclarer
morts pour se servir de leur cadavre, mais aussi, et peut être surtout, de permettre aux médecins qui ont lutté
pendant des heures et des jours pour tenter de réanimer un malade dans le coma, de prendre en sécurité la
décision d’arrêter leurs efforts, quand ils estiment en conscience qu’ils sont désormais vains. », Et in hora mortis
nostrae : le problème des greffes d’organes prélevés sur un cadavre, art. préc., p. 91.
- 238 -
où le dommage peut être connu759. Cela peut être très long comme il a été jugé pour le décès
d’un opéré survenu plus de trois ans après la faute opératoire, le décès étant intervenu à la
suite de la nouvelle intervention rendue nécessaire par l’oubli d’un instrument dans
l’abdomen du malade lors de la première intervention760.
De plus la chambre criminelle de la Cour de cassation refuse de fonder des poursuites pénales
sur une simple perte de chance : dans un arrêt du 9 juin 1977, elle a ainsi considéré qu’aucune
infraction ne pouvait être reprochée au médecin dont la faute avait fait seulement perdre au
malade une « chance de survie ou de guérison ». La perte de chance de survie ou de guérison
ne figure pas en effet parmi les atteintes à l’intégrité physique visées par l’article 221-6 du
Code pénal. En revanche, cet élément est pris en compte par les juridictions civiles et
administratives pour déterminer l’existence d’un préjudice réparable. Mais il est insuffisant
pour caractériser la dommage exigé par le Code pénal, en vertu du principe de l’interprétation
stricte de la loi pénale. Toutefois la chambre criminelle admet la privation de toute chance de
survie.
Au titre de la peine principale, la peine encourue par le médecin est de trois ans
d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Au titre des peines complémentaires, cellesci peuvent s’ajouter aux peines principales, voire s’y substituer. On y trouve, pour ce qui
pourrait intéresser les médecins : l’interdiction professionnelle, l’affichage ou la diffusion de
la décision761. Une aggravation est prévue « en cas de manquement délibéré à une obligation
de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». Le terme « délibéré »
s’entend d’une volonté affirmée. La faute se situe alors entre la simple inobservation de la loi
et l’intention de porter atteinte à l’intégrité de la victime. Cette aggravation semble
difficilement envisageable s’agissant d’un médecin. Elle supposerait en effet, de sa part, une
volonté de négligence dont il saurait que, par là même, il prend le risque de causer la mort de
son patient et que, malgré tout, il s’abstient d’agir ou au contraire persiste dans son acte
759
Crim. 10 mars 1932, DH 1932.189 ; 4 nov. 1985, Bull. crim. n° 339 ; 4 déc. 1990, Bull. crim. n° 413 ; 17 déc.
1991, Dr. pén. 1992 comm. 173. L’aggravation du dommage au cours de la procédure obligera le juge à changer
de qualification. Ainsi, par exemple, si la poursuite a été entamée pour blessures involontaires et que la victime
décède avant le procès : les juges doivent remplacer la qualification initiale par celle d’homicide involontaire. En
revanche, si l’affaire a été définitivement jugée et que la victime, dans cette même hypothèse, devait
ultérieurement décéder, il ne pourrait y avoir de nouvelle poursuite de ce chef, en application du principe non bis
in idem, la faute étant la même.
760
CA Aix-en-Provence, 22 janvier 1954, S. 1956.61, note Brunet, J.C.P. 1954.II.8040, note Savatier.
761
article 221-10, C.P..
- 239 -
dangereux. Néanmoins, en théorie rien n’est impossible. La peine alors encourue est de cinq
ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende762.
Si le médecin peut causer la mort en ayant agi, il a aussi un devoir d’assister le patient,
de le sauver. Dès lors, il peut être poursuivi pour un délit particulier puisqu’il est un délit
d’omission, celui de ne pas porter secours à une personne en péril.
§II - Les infractions de refus ou d’ « abandon » d’assistance médicale
En vertu du principe des incriminations, de simples abstentions ne devraient pas être
réprimées par le droit pénal. Mais, devant la nécessité de protéger la vie et l’intégrité, le
législateur a jugé opportun d’incriminer des comportements passifs lorsque ces derniers
mettent en péril des vies humaines. Ces incriminations sont d’autant plus remarquables pour
le médecin, que son devoir est de soigner. Les délits de non-assistance à personne en péril (1)
et de délaissement de personne incapable de se protéger (2) permettraient ainsi d’engager des
poursuites à l’encontre du médecin qui, par son abstention, aurait exposé son patient à un
grave danger, sans pour autant avoir directement provoqué son décès.
A- L’omission de porter assistance à une personne en péril
Prévu initialement par une loi du 25 octobre 1941, le délit de non-assistance à
personne en péril est désormais inscrit à l’article 223-6 al 2 du Code pénal. Il est le fait pour
quiconque de s’abstenir volontairement de porter assistance à une personne en péril, sans
risque pour lui ou pour les tiers, par son action personnelle ou en provoquant les secours. Il est
sanctionné d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 75 000 euros d’amende,
auxquels s’ajoutent les peines complémentaires de l’article 223-16 du code pénal. Cette
disposition repose sur un fondement moral. Elle est une parfaite illustration de la coïncidence
existant parfois entre le droit et la morale. M. Doucet classe cette infraction parmi les
incriminations de police morale et cite le paragraphe 2269 du Catéchisme de l’Eglise
catholique selon lequel « la loi morale défend d’exposer sans raison grave quelqu’un à un
risque mortel, ainsi que de refuser l’assistance à une personne en danger. »763. Etant justifiée
par un devoir de solidarité, l’obligation de porter secours pèse sur toute personne. Toutefois
762
art. 221-6, al. 2, C.P..
J.-P. Doucet, La protection pénale de la personne humaine, Vol. 1 : La protection de la vie et de l’intégrité
corporelle, 2e éd., Gazette du palais – Diffusion litec, 1994, p. 187, n° 173.
763
- 240 -
elle s’impose avec encore plus de vigueur pour ceux qui, comme le médecin, sont tenus à une
obligation professionnelle d’aide et d’assistance envers autrui764. Le texte du Code pénal doit,
en effet, être complété par l’article 9 du code de déontologie médicale, lequel dispose : « Tout
médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril doit lui porter
assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires.» 765 . Pourtant Philippe Conte 766
relevait : « Les médecins ne constituent évidemment pas une caste à part et peuvent donc
commettre l’infraction, puisque leur profession (et leurs honoraires) se justifient par la
nécessité de secourir les malades767. La prétention de certains praticiens à ne relever que des
règles déontologiques (appliquées il est vrai entre confrères) n’est pas sérieuse ; il est curieux
qu’elle ait reçu, à l’origine, l’appui de la Cour de cassation. »768.
Désormais le praticien qui s’abstient d’entreprendre un traitement susceptible de
sauver la vie de son patient pourrait être poursuivi pour non-assistance à personne en péril.
Le médecin, ayant eu conscience du péril auquel la victime était exposée, se serait cependant
abstenu. La preuve de l’élément moral ne sera pas a priori difficile à rapporter. Le délit de
non assistance étant une infraction formelle, il n’est pas nécessaire d’établir la recherche d’un
résultat dommageable, tel que l’aggravation de l’état de santé du patient. Toutefois le refus de
porter secours est une infraction intentionnelle. L’article 223-6, alinéa 2, le précise en effet
par l’adverbe « volontairement ». Il faut donc que l’auteur ait eu conscience du péril auquel la
victime était exposée et se soit quand même abstenu. L’intention n’existera pas au contraire
en cas d’erreur de fait, et ce également pour un médecin769, sous réserve toutefois que cette
erreur ne soit pas consécutive au refus même de secourir avec efficacité la victime : le
médecin ne peut invoquer l’erreur qu’il a commise parce qu’il a refusé d’examiner le
764
En ce sens, voir P. Ricoeur, Prise de décision judiciaire et médicale : le juste et l’éthique médicale, Méd. &
Droit 1999 ; 35 : 1-3. Sur le délit de non-assistance à personne en péril en matière médicale, voir M. Véron,
Traité de droit médical, L. Mélennec (sous la dir.), t.3, La responsabilité pénale du médecin, Maloine, 1984, p.
61 et s.
765
Article 9-3 et 42 al 2 du code de déontologie médicale
766
P. Conte, Droit pénal spécial, Litec, 2003, p. 82-83.
767
V. par ex. Cass. crim., 23 juin 1955, D. 1955, p. 575 ; 17 fév. et 16 mars 1972, JCP 1973, 14474, note Moret ;
Rev. sc. crim. 1972, p. 878, obs. Levasseur ; Cass. crim., 4 fév. 1998, Dr. Pén. 1998, n° 96. Pour une infirmière,
Cass. crim., 11 avr.1964, Bull. crim. , n° 113.
768
Cass. crim., 31 mai 1949, JCP 1949, 4945, note Magnol.
769
V. par ex. Cass. crim., 26 nov. 1969, Rev. sc. crim. 1970, p. 389, obs. Levasseur. Pour une erreur de
diagnostic, V. Cass. crim., 3 fév. 1993, Bull. crim. n° 58. Pour une sage femme, CA Paris, 16 avr. 1956, D. 1957,
p. 153, note Pageaud.
- 241 -
patient 770 . Le mobile est indifférent, de sorte que le désir homicide éventuel ne pourrait
provoquer aucune aggravation de la peine.
En l’absence d’intention, l’abstention peut apparaître comme la cause du dommage
issue du péril et justifier une condamnation pour homicide par imprudence ou pour atteinte
involontaire à l’intégrité physique d’autrui. L’abstention cesse cependant d’être punissable si
la victime refuse l’assistance, dans l’hypothèse du moins où des tentatives sérieuses auront été
effectuées pour surmonter son opposition. Il faut ainsi préciser que le médecin ne peut être
poursuivi en cas de refus de soins. En effet le consentement du patient au traitement qu’il
subit est un élément nécessaire. Le refus de ce traitement est tout aussi respectable. Le code
de déontologie médicale771 rappelle en son article 36 que « le consentement de la personne
examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état
d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit
respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences ». Depuis la loi du 4
mars 2002772 et la loi du 22 avril 2005, qui réaffirment clairement ce principe, le médecin ne
devrait plus avoir le droit de passer outre ce refus. A fortiori, un médecin à qui l’on interdirait
de poursuivre un traitement ne pourrait être poursuivi, sous réserve cependant qu’il ait tout
tenté pour convaincre son patient de subir les soins nécessaires773. La responsabilité pénale du
médecin est donc limitée par la loi civile permettant au patient de refuser des soins, le
médecin n’étant plus obligé de le secourir, plus exactement le praticien se voit interdire de le
secourir.
Dans le cas contraire, il faut se demander ce que recouvre la notion de péril grave et
imminent pour le patient (1). Il sera également opportun de s’interroger sur la nature de
l’assistance requise, notamment lorsque la santé du patient est gravement compromise (2).
1- La notion de péril grave et imminent
L’obligation d’assistance est en cas de péril grave et imminent. Le patient doit se
trouver dans une situation ayant pour conséquence de mettre sa vie ou son intégrité en danger.
770
V. par ex. CA Nancy, 2 juin 1965, JCP 1965, 14371, note Savatier ; CA Nancy, 27 oct. 1965 préc.; Cass.
Crim., 26 mars 1997, Bull. crim., n° 123, Rev. sc. crim. 1997, p. 838, obs. Mayaud.
771
Décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995, J.O. du 8 septembre , p. 13305.
772
Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
773
Cass. crim., 3 janv. 1973 ; D. 1973, p. 220 : une patiente repoussait de façon obstinée et agressive le
traitement préconisé.
- 242 -
L’assistance est due quelle qu’en soit l’issue prévisible. Il faut donc porter secours même
(surtout) au malade qui est dans un état désespéré 774 , en lui donnant ainsi une assistance
morale775. Un auteur s’était pourtant demandé si la proximité de la mort n’enlevait pas le
caractère périlleux puisque, quoi qu’il soit fait, la personne mourra des conséquences du mal
qui l’atteint776. Bien qu’ancienne, la solution de l’arrêt du 21 janvier 1954 semble devoir être
maintenue. Les magistrats précisaient : « La loi ne prend pas en considération les
circonstances ultérieures qui démontreraient soit que le péril n’était pas si grave qu’il ne pût
être conjuré sans assistance, soit, au contraire, qu’il était tel que le secours eût été
nécessairement inefficace » 777 . Le caractère inéluctable de la mort ne fait pas obstacle à
l’existence d’un péril. D’ailleurs, il n’est pas nécessaire qu’un résultat se produise pour que
l’infraction soit réalisée. Ce qui est pris en considération, c’est l’indifférence d’un être humain
face à un autre être humain en détresse.
Toutefois le péril doit présenter certains caractères. Il doit tout d’abord être actuel ou
imminent et constant, c’est-à-dire « sur le point de se réaliser » 778 . La doctrine et la
jurisprudence estiment qu’une action doit être possible pour sauver la personne 779 . Ainsi
l’assistance n’est plus due si le péril s’est réalisé et qu’aucun secours n’est plus possible. Il
faut ensuite que le péril soit suffisamment grave pour menacer la vie, la santé ou l’intégrité
corporelle d’autrui. Cette infraction d’omission est consommée en cas de péril durable au
moment où l’intervention aurait dû se produire780. Pour autant, son incrimination ne réalise
pas l’assimilation de l’abstention à la commission : celui qui s’abstient avec une intention
homicide encourt des peines très inférieures à celles du meurtre. De là à conseiller à certains
médecins de s’abstenir quand ils savent que leurs soins n’offriront qu’un bref sursis …. A ce
péril est refusée une assistance due.
774
P. Conte, op.cit, p. 81.
Cass. crim, 21 janv. 1954, motifs, JCP 1954, 8050, note Pageaud.
776
V. E . Dunet-Larousse, L’euthanasie : signification et qualification au regard du droit pénal, RD sanit. soc.
1998, 279.
777
Crim, 21 janvier 1954, D. 1954.224.
778
M.-L. Rassat, Droit pénal spécial : infractions des et contres les particuliers, 5e éd., Dalloz 2006, n° 335, p.
346 et s.
779
J.-P. Doucet : « Ce péril doit de plus présenter un caractère manifeste et nécessiter une intervention
immédiate. », La protection pénale de la personne humaine, op. cit., p. 196, n° 181.
780
Cass. crim., 17 sept. 1997, D. 1998, p. 399, note Rebut.
775
- 243 -
2- L’assistance due et refusée
L’infraction consiste à s’abstenir d’assister la victime « soit par son action personnelle,
soit en provoquant un secours » d’un tiers. Il ne s’agit pas d’exiger l’impossible. Le devoir
d’assistance s’apprécie en fonction des capacités de chaque personne. C’est pourquoi, si un
individu n’est pas en mesure de porter secours par son action personnelle, il lui incombe
d’aller chercher de l’aide auprès d’un tiers. La situation des médecins, des professionnels de
santé en général, est évidemment particulière et la jurisprudence à leur égard est très
rigoureuse. Toutefois il ne s’agit pas d’exiger qu’ils sauvent la vie de leur patient, mais de
lutter contre une indifférence. S’ils n’ont pas les compétences pour apporter des soins utiles
au patient, ils doivent réorienter ce dernier vers un professionnel compétent. On peut ainsi
penser à l’infirmière qui n’appelle pas le médecin en temps utile. L’individu a donc un
jugement à porter en faveur de l’aide la plus efficace. L’infraction sera ainsi caractérisée si
l’intéressé remet son intervention jusqu’au moment où tout secours sera devenu inutile781. Est
encore envisageable l’hypothèse où le médecin refuse de se déplacer en pleine nuit et remet
son intervention au lendemain matin. L’efficacité fait loi en la matière. C’est pourquoi
l’intervention médicale est jugée en fonction de l’efficacité que l’on était en droit d’en
attendre. Dès lors, le fait, pour un médecin, de prescrire un traitement sur la foi de vagues
renseignements, afin de n’avoir pas à se déplacer, est constitutif de l’infraction. Le praticien a,
en effet, conscience qu’en faisant cela, il refuse à son patient une aide véritable782.
Au regard de la victime, l’assistance se définit comme étant celle nécessaire à une
personne qui est face à un péril. Elle est donc valable pour toute personne et donc également
pour un nouveau né, né vivant et viable. Toutefois le médecin, qui désire aider son patient et
qui se heurte à son refus acharné, ne saurait être poursuivi pour non-assistance à personne en
péril. Cette solution a été consacrée par le célèbre arrêt Gatineau de la Chambre criminelle de
la Cour de cassation rendu le 3 janvier 1973783. Après le décès d’une patiente hospitalisée, une
information, au cours de laquelle son mari s’était constitué partie civile, avait été ouverte pour
déterminer les causes de sa mort. Le médecin de la victime, d’abord inculpé pour homicide
involontaire, bénéficia finalement d’un non-lieu confirmé par la chambre d’accusation. Après
avoir exclu l’infraction d’homicide involontaire, celle-ci avait également jugé que le délit de
781
Cass. crim., 11 avril 1964, D. 1964, somm. p. 58.
CA Nancy, 27 oct. 1965, D. 1966, p. 30, note Lorentz.. Pour le médecin qui se contente de faire renvoyer le
malade vers un hôpital, Cass. crim., 17 fév. 1972, préc.
783
Crim. 3 janvier 1973, Bull. crim. n° 2.
782
- 244 -
non-assistance ne pouvait pas être retenu car la thérapeutique prescrite par le praticien n’avait
pas été appliquée en raison « du refus obstiné et même agressif » de la patiente. Les juges
remarquèrent que cette dernière « avait d’ailleurs signé un certificat constatant le refus de sa
part des soins prescrits »784. Le pourvoi du mari fut rejeté par la Cour de cassation.
Le médecin étant lié par un contrat à son patient, si ce dernier fait connaître au
médecin qu’il désire l’arrêt du traitement curatif, le médecin n’est pas dans une situation où
ce souhait est un fait justificatif puisque le terrain est non celui du droit pénal mais celui du
droit civil. A la suite de cet arrêt, certains ont en effet été tentés de conclure que le droit pénal,
avec le droit civil, consacrait un droit au refus de soins785. Dans l’affaire Gatineau, la volonté
de la patiente n’a pas été considérée comme un fait justificatif. Les magistrats ont jugé que le
délit de non-assistance à personne en péril n’était pas constitué. En proposant des
thérapeutiques adéquates, le médecin n’avait pas manqué à son devoir d’assistance. Au
contraire, le médecin a démontré dans cette affaire qu’il avait par tous moyens cherché à
soigner sa patiente. L’incrimination en cause ne saurait en conséquence être retenue puisque
c’est la patiente qui a refusé l’aide offerte786.
De plus, même si le médecin décide de sa propre initiative, de mettre un terme à un traitement
curatif inutile ou de ne pas commencer une réanimation, il ne doit pas pour autant abandonner
le patient. Le code de déontologie médicale lui fait en effet obligation d’accompagner son
patient. Le médecin n’a plus dès lors simplement le droit de continuer le traitement, il doit
continuer les soins mais seulement cette fois palliatifs. L’arrêt du traitement est licite, l’arrêt
des soins est prohibé. Le médecin qui continue d’accompagner son patient ne commet pas
d’abstention fautive, substituant à un comportement technique un comportement plus
humain787. Il appartient d’ailleurs au médecin d’apprécier quels sont les actes thérapeutiques
les plus appropriés. Les magistrats ont reconnu que le médecin dont l’intervention est requise
784
Ibid.
En ce sens, voir. F.-J. Pansier, Le consentement à l’hôpital, Actes du colloque Le consentement aux actes
médicaux, Paris 28 mai 1998, Gaz. Pal., 1999, 1, doctr., p. 14.
786
En ce sens, voir V. Bonnin : « La volonté de cette femme n’avait pas fait exception au délit de non assistance
puisque l’intention délictuelle était elle-même absente chez celui qui n’avait d’autre but que d’apporter son aide.
Cette volonté était donc moins une source d’absolution pénale qu’un élément de fait rendant impossible
l’infraction. », La mort voulue pour soi-même (du suicide à la mort demandée à autrui), R.R.J. 1995-1, p. 234.
787
En ce sens, v. J. Pradel : « Il existe deux aspects du respect : celui de la vie biologique et celui de l’homme.
Selon nous, le médecin qui arrêterait les mécanismes de service et qui les remplacerait par une assistance
personnalisée, technique ou non, ne saurait tomber sous le coup de l’article 63 du Code pénal. », Sur la « bonne
mort », in Problèmes juridiques médicaux et sociaux de la mort, Cujas, Coll. Travaux de l’Institut des sciences
criminelles de Poitiers, 1979-1, p. 48.
785
- 245 -
est le seul apte à « juger du caractère médicalement utile des actes de réanimation… »788. Le
praticien ne se montre pas indifférent s’il prescrit un traitement palliatif lorsque le traitement
curatif est médicalement inutile.
Le délit de non-assistance à personne en péril est, en définitive, rarement caractérisé.
Un autre délit vient le compléter. Il entre dans la même philosophie. Il concerne
particulièrement les patients puisqu’il s’agit du délaissement d’une personne hors d’état de se
protéger.
B- L’abandon d’un enfant ou d’un adulte
Comme sous l’empire des anciens textes 789 , l’incrimination de délaissement tend à
réprimer l’abandon en lui-même, indépendamment de ses conséquences. L’infraction
réprimait le délaissement, en un lieu solitaire ou non, d’un enfant ou d’un incapable, sans
opérer de distinction. Désormais il s’agit de distinguer entre les majeurs et les mineurs de
moins de quinze ans. Toutefois, s’agissant de ces derniers, les auteurs de l’infraction ne
peuvent être que les parents du mineur. Dès lors, le médecin ne saurait être concerné. Mais
une autre infraction, spécifique au mineur, pourrait être reprochée aux praticiens. Il s’agit en
effet de la privation de soins d’un mineur (2). Mais auparavant il faut revenir sur le
délaissement d’une personne majeure hors d’état de se protéger (1).
1- Le délaissement d’une personne hors d’état de se protéger
L’idée qui anime cette incrimination est la volonté de punir celui qui, chargé d’une
personne fragile, n’assure pas à celle-ci les soins et la surveillance qu’elle requiert790. L’article
223-3 du Code pénal incrimine le délaissement d’une personne qui n’est pas en mesure de se
protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique : handicapés, personnes
âgées, malades, femmes enceintes, etc.… Le terme de « délaissement » semble pouvoir
s’appliquer aussi bien à des actes d’omission ou d’abstention qu’à des actes de commission791.
L’élément matériel consiste dans le fait de délaisser, abandonner ou exposer une personne en
788
CA Grenoble, 30 sept. 1994, Juris-Data n° 045899, sur renvoi de Crim. 3 févr. 1994, Juris-Data n° 002828.
Loi du 19 avril 1898 et les articles 349 et suivants de l’ancien Code pénal.
790
M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, Infractions des et contre les particuliers, Dalloz 2001, 5e éd., 2006, p. 341,
n° 329.
791
Crim. 23 février 2000, Bull. crim. n° 84 ; Rev. Sc. Crim., p. 610, obs. Y. Mayaud. La Cour de cassation hésite
cependant à étendre l’infraction à des omissions.
789
- 246 -
un lieu où elle se trouvera en danger pour sa vie ou du moins pour son intégrité corporelle792.
L’incrimination apparaît assez large. Dès l’instant que le délaissement aboutit à laisser la
victime sans soins et sans surveillance, peu importe la qualité du coupable – membres de la
famille, responsables de maison d’accueil, tiers chargés de l’incapable – la nature du lieu de
délaissement, lieu solitaire ou non, ou la durée du délaissement, celle-ci n’étant prise en
compte qu’en raison de la gravité de ses conséquences.
Le médecin peut donc largement être visé par l’incrimination. Toutefois cette
hypothèse est relativement improbable. En effet, bien que le texte ne le dise pas, il sanctionne
un délit intentionnel commis par celui qui délaisse volontairement une personne sachant
qu’elle n’est pas en mesure de se protéger793. Il faut donc imaginer que le médecin sache que
la personne nécessite des soins urgents et la laisse volontairement sans soin, sans possibilité
d’assistance. Ce délit est donc difficilement conciliable avec le monde de l’hôpital. Le
délaissement suppose la volonté de se défaire de la victime 794 . Le médecin aurait donc
commencé par recueillir la victime avant de l’abandonner. Celui qui, inopinément, rencontre
une personne hors d’état de se protéger et passe son chemin, ne la délaisse pas – il omet
éventuellement de lui porter secours795.
Cette infraction est punie en principe de cinq ans d’emprisonnement et de 750 000
euros d’amende. Cette infraction devient un crime puni de quinze ans de réclusion criminelle
si le délaissement a entraîné une mutilation ou une infirmité permanente et de vingt ans s’il a
provoqué la mort796. Il faut désormais y ajouter la privation de soins du mineur.
2- La privation de soins du mineur
L’article 227-15, alinéa 1er du Code pénal incrimine le fait pour toute personne –
ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou toute autre personne exerçant à son égard l’autorité
parentale au ayant autorité sur le mineur – de priver l’enfant de soins ou d’aliments au point
792
Goyet, Droit pénal spécial, 8e éd., p. 535 n° 767, cité par J.-P. Doucet, La protection pénale de l’humain, op.
cit, p. 193. L’exposition consiste à déposer la personne incapable de se protéger elle-même dans un lieu
quelconque, solitaire ou non, dans le but de se soustraire à l’obligation d’en prendre soin, et pour l’abandonner.
Le délaissement est le fait d’abandonner un infirme et de disparaître pour se décharger du devoir d’en prendre
soin.
793
Certains auteurs estiment cependant qu’une simple négligence devrait suffire pour poursuivre l’auteur.
794
M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, op. cit., n° 330.
795
Ph. Conte, Droit pénal spécial, Litec, 2003, p. 65, n° 109.
796
En outre, et dans tous les cas, les coupables encourent l’interdiction des droits civiques, civils et de famille
(art. 223-16) et les peines complémentaires énumérées par l’article 223-17 du Code pénal.
- 247 -
de compromettre sa santé. Le texte sanctionne donc des abstentions ou des omissions
volontaires, et la jurisprudence estime que l’infraction suppose, sinon la volonté de nuire à
l’enfant, au moins la « conscience, la connaissance ou la prévision, qu’il en résulterait un mal
pour l’enfant »797. S’agissant des soins, il s’agit aussi bien de n’en prodiguer aucun que d’en
donner de totalement inappropriés ou insuffisants dès lors qu’ils ne relèvent pas d’une simple
maladresse ou incompétence, l’infraction étant intentionnelle798.
La série d’infractions, visées aux articles 227-15 et suivants du Code pénal, concerne la mise
en péril des mineurs. Elle concernent principalement les parents du mineur. Toutefois, à la
lumière du large éventail de personnes incluses dans l’incrimination de la privation de soins,
il faut estimer que le médecin qui priverait un enfant de soins pourrait voir sa responsabilité
engagée au titre ce cette infraction799. Pour la jurisprudence, en effet, cette autorité s’entend
d’une simple autorité de fait sur l’enfant 800 . L’infraction est sanctionnée par des peines
sévères. En principe, elle constitue un délit puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000
euros d’amende, ainsi que des peines complémentaires de l’article 227-29. Mais, en cas de
mort du mineur, l’infraction est un crime puni de trente ans de réclusion801.
La responsabilité pénale s’est donc intensifiée et paraît particulièrement lourde. Le
médecin est soumis aussi à une responsabilité singulière, celle de devoir répondre de ses
agissements devant ses pairs, ce qu’il convient maintenant d’étudier.
SECTION III – LE MEDECIN FACE À LA RESPONSABILITE DISCIPLINAIRE
DE LA MORT
« On donne des conseils, mais on n'inspire pas de conduite »
François de La Rochefoucauld, Maximes.
La profession médicale est la première à s’être dotée d’un code de déontologie, dont
les règles s’imposent à tout médecin. Etymologiquement, la déontologie est la « science des
devoirs ». C’est ainsi qu’au XIXe siècle, Littré l’a définie, sans s’en expliquer davantage…. Il
s’agissait alors d’un mot savant, purement philosophique, sans application puisque la société
797
Crim. 11 mars 1975, Gaz. Pal. 1975.2.507.
Ph. Conte, Droit pénal spécial, Litec, 2003, p. 67, n° 114.
799
Une infirmière a été ainsi poursuivie. V. CA Paris, 15 juin 195, D. 1951, p. 568.
800
Crim. 28 févr. 1956, Bull. Crim. n° 364.
801
Art. 227-16 du Code pénal.
798
- 248 -
n’avait défini aucune morale professionnelle. Le XXe siècle devait faire de la déontologie une
norme professionnelle. Plusieurs professions libérales, médecins, chirurgiens-dentistes,
avocats, architectes, experts comptables, ont ainsi dans les années cinquante codifié les règles
de leur profession, donnant à leur déontologie un contenu très concret.
Pour le médecin, le Code de déontologie médicale a pris naissance le 27 juin 1947. Le
règlement d’administration publique 802 a été ensuite modifié à plusieurs reprises 803 . La
version applicable aujourd’hui résulte d’un décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995804. Ce
code n’est pas une compile de simples recommandations ou conseils mais des règles de droit
qui s’imposent au médecin. Comme le soulignent les «Commentaires du Code de déontologie
médicale »805, le législateur a ainsi souhaité marquer au Conseil de l’Ordre une exigence et
une confiance :
-
« une exigence, parce que, du fait des sanctions spécifiques qui peuvent les atteindre
dans leur exercice professionnel, les médecins supportent des risques que ne
connaissent pas la plupart des autres professionnels ;
-
une confiance, parce que ce pouvoir de prononcer des sanctions – et parfois de graves
sanctions – est confié à des médecins désignés par leurs pairs ».
Le médecin est donc responsable vis-à-vis de ses pairs du respect des règles professionnelles.
L’Ordre des médecins a reçu du législateur la double mission de définir la déontologie
médicale et de la faire respecter, puisqu’elle est d’un pouvoir disciplinaire. Il faut
immédiatement préciser que la responsabilité disciplinaire du médecin peut être engagé, sur le
fondement non seulement du Code de déontologie médical, mais aussi sur des principes de
morale, de probité, de dévouement exigés par l’exercice de l’art médical. L’ordre assure
également la défense de l’honneur et de l’indépendance de la profession médicale806.
802
N° 47-1169, J.O. du 28 juin 1947.
Décret n° 55-1591 du 28 novembre 1955, J.O. du 6 décembre 1955 ; décret n° 79-506 du 28 juin 1979, J.O.
du 30 juin 1979 et du 24 juillet 1979.
804
J.O.du 8 septembre 1995. Alors qu’il comportait 79 articles en 1947, le Code de déontologie en comporte
actuellement 112 qui définissent : les devoirs généraux des médecins (Titre I) ; les devoirs envers les patients
(Titre II) ;les rapports des médecins entre eux et avec les membres des autres professions de santé (Titre III) ; les
conditions d’exercice de la profession médicale (Titre IV) ; des dispositions diverses (Titre V).
805
Commentaires publiés par le Conseil national de l’Ordre des médecins, commentaire suivant de l’article I, p.
14, éd. 1996.
806
Il accomplit sa mission par l’intermédiaire des conseils départementaux, des conseils régionaux ou
interrégionaux et du conseil national de l’Ordre, qui sont chacun pourvus d’attributions différentes en matière
disciplinaire. La juridiction disciplinaire relève de l’ordre juridique administratif. V. pour l’organisation des
instances ordinales, notamment la procédure disciplinaire, S. Welsch, Responsabilité du médecin, éd. du JurisClasseur, Litec, Coll. Pratique Professionnelle, 2e éd, . p.17 et s.
803
- 249 -
Ainsi, si les fautes du médecin peuvent le conduire devant les juridictions judiciaires,
le médecin peut aussi être déclaré cumulativement responsable pour une faute disciplinaire
(§I). Par ailleurs, la responsabilité disciplinaire a une certaine incidence sur les autres
responsabilités. C’est pourquoi il convient de s’y attarder (§II).
§I - Les fautes disciplinaires
Il convient de rechercher ce que peut être la faute disciplinaire (A) pour ensuite
s’attacher aux diverses sanctions qui leurs sont applicables (B).
A- Définition de la faute disciplinaire
A la différence du droit pénal, le principe qui domine dans le domaine disciplinaire est
l’absence de définition des faits punissables, de l’infraction. La faute disciplinaire est
davantage la violation d’un règle morale que d’une règle juridique, même si elle tend de plus
en plus aujourd’hui vers une telle faute, par la prise en compte des règles déontologiques par
les juges civils, pénaux et administratifs 807 . D’une manière générale, la faute résulte d’un
manquement aux obligations professionnelles, qu’elles soient déontologiques de morale, de
probité ou de dignité professionnelle. La faute déontologique est constituée par tout
comportement contraire à la déontologie médicale ou à la morale médicale. En effet, au terme
de l’article L. 4121-2 du Code de la santé publique , « l’Ordre des médecins […] veille au
maintien des principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de
la médecine […] et à l’observation, par tous leurs membres, des devoirs professionnels, ainsi
que des règles édictées par le Code de déontologie prévu à l’article L. 4127-1 ». Est ainsi
concernée toute violation d’une règle de déontologie, qu’elle soit ou non visée par un texte
légal ou réglementaire. Une action disciplinaire peut être intentée contre le médecin même si
le comportement reproché n’est pas en contrariété avec une disposition expresse du Code de
déontologie, dès l’instant où ce comportement heurte la morale médicale808. Cela démontre
que la faute déontologique n’est pas soumise au principe de la légalité des délits et des peines
alors même que l’action disciplinaire donne lieu à des sanctions. Le médecin, guidé
partiellement par le Code de déontologie, ne peut donc que s’en remettre à sa morale et sa
conscience pour espérer connaître par avance ce qui pourrait lui être reproché. Néanmoins le
807
V. infra L’incidence de la responsabilité disciplinaire.
Arrêt de principe : CE, 20 févr. 1953, S. 1953, 3, p. 77. – V. dans le même sens, C.E. ass., 2 juill. 1993,
Milhaud, D. 1994, jurispr. p. 74, note J. Peyrical, faisant référence aux « principes déontologiques
fondamentaux… qui s’imposent au médecin dans ses rapports avec son patient ».
808
- 250 -
Conseil national de l’Ordre des médecins publie désormais la jurisprudence du Conseil
national et du Conseil d’Etat, auquel les médecins pourront se reporter.
Il n’apparaît pas pertinent d’établir un catalogue de toutes les fautes ayant donné lieu à
la mise en cause disciplinaire d’un médecin. Toutefois il apparaît que les poursuites les plus
fréquentes concernent les manquements aux devoirs généraux des médecins. Des plaintes
déposées par les patients mettent en cause les soins ou l’information qui leur a été donnée par
leur médecin 809 . Quant aux manquements aux devoirs généraux des médecins, sont plus
particulièrement visés les articles suivants :
-
l’article 3 : « Le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de
moralités, de probité et de dévouement indispensable à l’exercice de la médecine » ;
-
l’article 4, relatif au secret professionnel ;
-
l’article 9, reprenant quasiment le délit pénal de la non-assistance à personne en péril :
« Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou un blessé est en péril, doit
lui apporter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires ».
-
les articles 35 et 36 relatifs à l’information délivrée au patient et son consentement.
Sur un plan plus général, le médecin doit dans la prise en charge d’un patient connaître les
limites de sa compétence alors que justement le principe d’omnivalence du diplôme de
Docteur en médecine devrait tout permettre810. Mais le médecin a l’obligation de délivrer des
soins consciencieux et performants, limités au nécessaire, ne faisant courir aucun risque
injustifié à son patient et mettant en œuvre des traitements éprouvés. Ainsi, au delà des
obligations énumérées au Code de déontologie, le juge disciplinaire doit prendre en compte
l’ensemble du comportement du médecin. Cette faute, relativement floue, est d’autant plus
dangereuse pour le médecin qu’elle est imprescriptible. En effet un manquement
déontologique peut être poursuivi sans limitation dans le temps. Il n’est pas rare de voir des
plaintes se déclencher plusieurs années après les faits qu’elles incriminent. Cependant le
médecin peut souvent arguer cette tardiveté de la saisine des instances ordinales, le plus
souvent motivé par la vengeance que la rigueur.
La justice disciplinaire n’a pas vocation à réparer le préjudice subi par le patient. De
plus, elle est une justice des pairs. Dés lors celle-ci est plus magnanime avec les fautes des
809
Il faut relever également, ce qui est pour nous moins parlant, les conflits entre médecins mettant en cause le
respect de la confraternité et le contentieux disciplinaire qui peut s’instaurer dans les rapports entre le médecin et
son Ordre.
810
C. Paley-Vincent, Responsabilité du médecin, mode d’emploi, Masson, 2002.
- 251 -
médecins, plus encore elle ne considère pas toujours à la différence du droit civil qu’il y ait
faute. Elle ne consacrera celle-ci que lorsque la faute du médecin sera grossière. Ici, le résultat
produit, soit la mort du patient, n’est que secondaire même si il est gravissime et regrettable.
Ce qui est pris en compte est le comportement du médecin. C’est peut être aujourd’hui la
justice la plus proche de la difficulté de la médecine, la plus juste. Seul le comportement
visiblement fautif sera sanctionné dans le cas des atteintes « non intentionnelles » au sens
pénal, alors que l’homicide volontaire est plus volontiers condamné par les instances
disciplinaires alors qu’il est, paradoxalement, ignoré par le droit pénal811.
B- Les sanctions
L’instance disciplinaire va rendre une décision motivée, exposant les faits et les
qualifiant en droit. La juridiction ordinale peut prononcer les sanctions suivantes812 :
-
l’avertissement ;
-
le blâme813 ;
-
l’interdiction temporaire, avec ou sans sursis 814 , ou permanente d’exercer des
fonctions médicales du secteur public ou accomplies en application des lois sociales ;
-
l’interdiction temporaire d’exercer avec ou sans sursis, cette interdiction ne pouvant
excéder 3 ans ;
-
la radiation du tableau de l’ordre815.
Alors que le Code pénal 816 prévoit la confusion des peines, c’est-à-dire lorsque plusieurs
peines ont été prononcées pour des faits incriminés dans des poursuites distinctes, le
811
Cf. seconde partie.
Art. L. 4124-6 du Code de la santé publique.
813
L’avertissement et la blâme emportent la privation de faire partie d’un conseil de l’ordre pendant trois ans.
Les autres peines comportent la même conséquence mais cette fois à titre définitif.
814
Le sursis a été introduit par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients et en est une disposition
immédiatement applicable. Si, dans un délai de cinq ans, le médecin condamné à une peine d’interdiction avec
sursis ne fait pas l’objet d’une nouvelle condamnation, il n’exécutera pas sa peine, qui deviendra nulle et non
avenue. En revanche, si, dans ce délai, une nouvelle peine d’interdiction est prononcée, le sursis pourra être
révoqué.
815
La radiation entraîne la suppression du tableau, qui est portée à la connaissance de l’ensemble des conseils
départementaux et du conseil national. L’interdiction temporaire apparaît, elle, sans effet sur l’inscription au
tableau et laisse donc intacte la qualité d’électeur dans les élections ordinales. La radiation n’est cependant
jamais définitive. L’article L.4124-8 du code de la santé publique prévoit que, lorsqu’un intervalle de trois ans
s’est écoulé depuis une décision définitive de radiation du Tableau, le médecin frappé de cette peine peut être
relevé de son impossibilité d’exercer par une nouvelle décision de la Chambre disciplinaire de première instance
qui l’a prononcée. La demande doit être formée par une requête adressée au Président du Conseil départemental
de l’Ordre intéressé qui la transmettra à la Chambre disciplinaire de première instance. Lorsqu’une demande
aura été rejetée après un examen au fond, elle ne pourra être représentée qu’après un nouveau délai de trois ans.
816
Art. 132-2, C.P..
812
- 252 -
condamné n’exécutera que la peine la plus sévère 817 ; la confusion ne s’applique pas en
matière disciplinaire. Ainsi, deux ou plusieurs sanctions distinctes peuvent être prononcées et,
pour en assurer le caractère effectif, la juridiction disciplinaire peut décider que la première ne
prendra effet qu’à l’expiration de la seconde. De même, si la juridiction pénale a, à titre
complémentaire, ordonné la suspension d’exercice du médecin, cette peine pénale ne pourra
être confondue avec la peine disciplinaire éventuellement prononcée. Les sanctions devront
être exécutées l’une après l’autre.
L’Ordre des médecins ne peut, dans sa mission disciplinaire, prononcer que des
sanctions et en aucun cas des mesures de réparation des préjudices éventuellement subis. Mais
l’influence du Code de déontologie s’est faite grandissante. L’autorité médicale ayant assis sa
respectabilité, les règles déontologiques ont gagné le domaine judiciaire et administratif.
§II - L’incidence de la responsabilité disciplinaire sur les autres responsabilités
Deux observations en sens contraire peuvent être faites sur la prise en compte par les
ordres judiciaire et administratif de la norme déontologique comme règle de droit applicable.
La première est l’indépendance des décisions de la juridiction disciplinaire (A). La seconde, la
reconnaissance du code de déontologie médicale par les juridictions administrative et
judiciaire (B).
A- L’indépendance de la juridiction disciplinaire
Conformément à l’article L. 4126-5 du Code de la santé publique, l’exercice d’une
action disciplinaire contre le médecin n’a pas d’incidence sur les autres actions en
responsabilité qui peuvent par ailleurs être exercées contre le médecin. Cette règle marque
l’autonomie procédurale de l’action disciplinaire et contribue en ce sens à marquer son
particularisme. Il n’existe aucune interdépendance de principe entre les juridictions pénales ou
civiles et les décisions des juridictions disciplinaires. La faute disciplinaire est autonome par
rapport à la faute civile ou pénale.
817
Principe de non-cumul des peines.
- 253 -
La décision de la juridiction ordinale est dépourvue de toute autorité de la chose jugée
à l’égard du juge pénal et civil818 et, réciproquement en matière civile. En revanche, l’autorité
de la chose jugée au pénal s’impose au Conseil de l’Ordre mais de façon limitée : elle est
réservée à la matérialité des faits reprochés au médecin819. La juridiction disciplinaire ne peut
écarter l’existence de faits constitutifs d’un délit et constatés par la juridictions pénale, mais
elle restera libre d’en apprécier la gravité. Elle pourra par exemple décider d’une sanction de
radiation, c’est-à-dire la sanction la plus lourde, alors même que les juridictions répressives
avaient accordé au médecin « des circonstances atténuantes ». Dès lors, l’existence des
juridictions ordinales ne saurait être présentée comme un privilège accordé aux médecins,
puisqu’aux responsabilités classiques encourues par tout un chacun, s’ajoute celle spécifique
encourue devant le conseil de l’Ordre820. Dans le but de la cohérence des décisions, le juge
disciplinaire peut toutefois décider de surseoir à statuer en l’attente de la décision pénale.
Cependant ceci n’est pour lui qu’une faculté, jamais une obligation821. Le juge pénal n’est
aucunement lui-même lié par l’existence de la procédure disciplinaire 822 . Les deux
juridictions peuvent ainsi l’une et l’autre condamner ou relaxer le médecin. Les peines
respectivement prononcées peuvent se cumuler, toutefois le cumul n’est nullement
obligatoire.
La multiplication des juridictions pouvant condamner le médecin et ce de manière
cumulative démontre la lourde responsabilité médicale. Cette responsabilité sera
naturellement davantage recherchée si le préjudice est important. Cette impression est
confirmée par l’introduction du devoir médical devant les juridictions judiciaire et
administrative.
818
CA. Poitiers, 21 sept. 1994, Juris-Data n° 1994-052475.
Solution acquise depuis CE, 19 oct. 1956, Rec. CE 1956, p. 378 – 14 mars 1990, Rec. CE 1990, p. 68 – J.
Chardeau, Le régime disciplinaire des professions médicales, EDCE 1980-1981, p. 44 – G. Liet-Veaux., J.Cl.
administratifs, fasc. 146, n° 3 – P. Schultz, Le Conseil d’Etat et les pouvoirs de l’Ordre des médecins, RD publ.
1976, p. 1456.
Il faut noter que, pour les avocats, la Cour de cassation étend l’autorité de la chose jugée du pénal au
disciplinaire à la qualification des faits et à la culpabilité du prévenu : Cass. 1re civ., 31 oct. 1989 et 18 mai 1989,
JCP G 1991, II, 21693, note G. Méméteau.
820
S. Porchy-Simon, La responsabilité médicale, notion générale, J.Cl. civil, Fasc. n° 440-20, n° 38.
821
CE, 9 janv. 1994, n° 126.512 : « S’il appartient à la juridiction disciplinaire d’ordonner toute mesure
d’instruction en vue de compléter son information, elle ne peut, sans méconnaître sa compétence, subordonner
entièrement sa décision sur l’action disciplinaire, à l’intervention définitive du juge pénal ».
822
CE, 5 janv. 1951, Dame Fort, Revue de droit public, p. 935 : la haute juridiction estime qu’un même
manquement, s’il peut recevoir une incrimination pénale, peut aussi être poursuivi devant les juridictions
ordinales sur le fondement d’un manquement déontologique.
819
- 254 -
B- La reconnaissance du code de déontologie par les juridictions judiciaires et
administratives
L’existence d’une règle de déontologie médicale imposant aux médecins certains
comportements a été prise en compte par les juridictions civiles et administratives dans
l’appréciation de la faute du médecin. Le droit positif connaît sur ce point une importante
évolution. La doctrine traditionnelle considère la déontologie comme « un droit clos et
restreint à l’usage de la profession » 823. Dès lors, elle était hostile à la reconnaissance d’une
faute civile de la seule violation d’une règle de déontologie. Il n’en allait différemment que
lorsque la disposition imposée au médecin par le Code de déontologie n’était que la
reproduction d’une norme générale de comportement, par ailleurs sanctionnée par les
tribunaux824.
Mais la jurisprudence récente connaît une évolution importante par un arrêt de la
première chambre civile de la Cour de cassation en date du 18 mars 1997 825 . La haute
juridiction affirme le principe : « La méconnaissance des dispositions du Code de déontologie
médicale peut être invoquée par une partie à l’appui d’une action en dommages et intérêts
dirigée contre un médecin et il n’appartient qu’aux tribunaux de l’ordre judiciaire de se
prononcer sur une telle action à laquelle l’exercice d’une action disciplinaire ne peut faire
obstacle ». Elle admet ainsi désormais que la méconnaissance d’une règle de déontologie
puisse être la source directe de la responsabilité civile du médecin, retenant la responsabilité
d’un médecin pour un acte de concurrence déloyale, en violation de l’article 72 du code de
déontologie médicale826. Si ce litige concernait un conflit entre médecins, la portée générale
823
R. Savatier, Encyclopédie Universalis, V. Déontologie.
V. par exemple, relativement à l’information du malade, Cass. 1re civ., 14 mars 1973, Gaz. Pal. 1973, I, jur. p.
342, note P.-J. Doll.
825
Cass. 1re civ., 18 mars 1997 : Bull. civ. I, n° 99 ; JCP G 1997, II, 22829, rapp. Sargos ; JCP G 1997, I, 4068,
n° 1, obs. G. Viney ; D. 1997, Inf. rap., p. 118.
826
En l’espèce, trois médecins radiologues ayant chacun leur cabinet personnel doté de matériels spécifiques
avaient constitué entre eux une société civile de moyens pour l’utilisation en commun de certains matériels leur
permettant d’utiliser dans le cabinet des autres les appareils dont ils ne disposaient pas dans leur propre cabinet.
Deux autres médecins de la même ville avaient soutenu que leurs confrères ne se bornaient pas à utiliser ces
matériels spécifiques, mais effectuaient, dans ces autres cabinets, d’autres actes de radiologie si bien que chacun
disposa en réalité de deux cabinets secondaires, et ce en violation du code de déontologie qui interdit aux
médecins d’avoir plus d’un cabinet et de donner des consultations ailleurs que dans son propre cabinet. Par une
décision du 3 février 1991, le conseil régional compétent de l’Ordre des médecins avait relaxé les trois
radiologues concernés des poursuites disciplinaires. Les médecins plaignants ont décidé, par la suite, de porter le
litige devant la juridiction civile en concurrence déloyale aux fins de réparation du préjudice qu’ils estimaient
avoir subi. Les défendeurs ont alors soutenu que seul le Conseil de l’Ordre était à même de sanctionner
l’inobservation des règles déontologiques invoquées et qu’en l’occurrence, une relaxe avait été prononcée. La
cour d’appel rejetait l’argumentation en retenant que : « Le juge civil est compétent pour apprécier le
comportement des médecins intéressés comme étant constitutif d’un manquement à la loyauté que se doivent les
824
- 255 -
du principe affirmé par la Cour de cassation implique qu’un patient pourrait invoquer la
violation d’une disposition médicale au soutien d’une demande en réparation à propos de
soins prodigués par le médecin827. Le juge civil s’est depuis longtemps reconnu les plus larges
pouvoirs pour définir les devoirs sanctionnés par l’intermédiaire de la faute, la solution mérite
donc l’approbation828. Il est en effet logique que la méconnaissance d’une règle déontologique
puisse, au même titre que celle d’une coutume ou d’un usage, constituer une faute civile.
Intégrant la norme déontologique dans le droit civil, la Cour de cassation n’hésite plus
désormais à fonder la responsabilité médicale du médecin sur les règles du code829. Toutefois,
si le juge accepte de prendre en compte la violation de la règle déontologique comme élément
constitutif de la faute, il reste libre dans l’appréciation de cette dernière. Ainsi la
méconnaissance d’une telle règle ne saurait constituer ipso facto une faute civile, la violation
des dispositions du Code de déontologie devant tout au plus constituer un élément de
l’appréciation du juge 830 . Cette solution semble devoir s’imposer du fait du mode
d’élaboration de la règle déontologique, dont le contenu est déterminé par les professionnels
eux-mêmes. Dès lors, « imposer aux juges de s’incliner devant le soi-disant pouvoir normatif
de ces organismes professionnels procéderait […] d’une méconnaissance flagrante de la
hiérarchie des sources du droit, qui ne pourrait que conduire à des dérives corporatistes »831.
professionnels libéraux, au respect du libre choix du médecin par le malade et à l’organisation des cabinets
principaux et secondaires, qui constitue un règlement régulièrement publié, étant à ce titre impératif et
constituant une règle de droit ».
827
Cass. 1re civ., 30 oct. 1995, Bull. civ. I, n° 383 ; V. d’une façon générale, J. Mestre, obs., RTD civ. 1999, p.
393. Cette reconnaissance avait été annoncée par un arrêt du 30 octobre 1995 dans lequel la cour de cassation
avait apprécié la responsabilité d’une sage-femme au regard du Code de déontologie des sages-femmes
828
En ce sens, G. Viney et P. Jourdain ss. la dir. de J. Ghestin, Traité de droit civil : les conditions de la
responsabilité, t. 2, LGDJ-2e éd. 1998, n° 461.
829
V. par exemple, Cass. 1re civ., 27 mai 1998, Sté Médicale de France c/ Klingelschmitt , Juris-Data n°
002333 ; Bull. civ. I, n° 187 ; JCP G 1998, n° 30, IV, n° 2626, p. 1405 : La cour de cassation s’est expressément
fondée sur l’article 18 du code de déontologie médicale issu du décret n° 79-506 du 28 juin 1979, aujourd’hui
art. 40 du nouveau code., pour retenir que le praticien avait manqué à son obligation de ne pas faire courir au
patient un risque injustifié et de refuser d’accéder à ses demandes qui l’exposaient, sans justification
thérapeutique, à un danger. – Cass. 1re civ. , 23 mai 2000, JCP G 2000, II, 10342, rapp. P. Sargos ; la Cour de
cassation faisait expressément référence à l’article 42 du code de déontologie médicale issu du décret n° 79-506
du 28 juin 1979, applicable aux faits et a estimé que cette disposition autorisait le médecin à limiter l’information
de son patient sur un diagnostic ou un pronostic grave. – CA Paris, 7 juillet 2002, Le sou médical c/ CPAM
d’Ille et Vilaine, Juris-Data n° 188893 : la cour d’appel a retenu la responsabilité du chirurgien qui, en
pratiquant l’intervention, avait méconnu les dispositions des articles 18 et 36 du code de déontologie médicale
dans leur rédaction alors applicable issue du décret du 28 juin 1979 – de même CA Paris, 4 juillet 2002, Pierre
Khan c/ Blazere, Juris-Data n° 185781, pour un neuro-chirurgien qui avait pris une décision opératoire
discutable chez un adulte dont l ‘état neurologique n’était pas en voie d’aggravation manifeste, les effets
bénéfiques d’une telle intervention sur un adulte étant limités et l’intervention ayant en l’espèce entraîné une
paraplégie flasque avec incontinence complète urinaire et rectale et impuissance totale.
830
V. cependant solution contraire de la Cour de cassation, vivement critiquée par la doctrine, à propos d’un
expert comptable : Cass. com, 29 avr. 1997, D. 1997, jurispr. p. 459, note Y. Serra ; JCP G 1997, I, 4068, n° 1,
obs. G. Viney.
831
G. Viney, préc., JCP G 1997, I, 4068. Une question reste cependant en suspend : celle d’une éventuelle
contradiction d’appréciation du médecin au regard de la déontologie par la juridiction civile d’une part et par la
- 256 -
CONCLUSION DU CHAPITRE II
« On est avec les médecins d’une impitoyable exigence, on ne leur passe rien – et on a
raison puisque leurs erreurs peuvent être mortelles. »832. Le facétieux Sacha Guitry résume
bien les attentes que chaque patient place en son médecin. Notre société a adopté une attitude
sécuritaire. L’accident médical apparaît comme une ineptie, sinon une incongruité. D’où le
développement de la responsabilité professionnelle : « La responsabilité est un corrélât du
pouvoir et de la liberté et ce pouvoir place la responsabilité au centre de la morale »833. Le
patient déçu, trompé dans son attente, devient un adversaire 834 . La jurisprudence tant
judiciaire qu’administrative a connu d’importantes évolutions ces vingt dernières années. Ces
jurisprudences sont marquées par un durcissement très net des principes juridiques gouvernant
la responsabilité du médecin. La première surprise relative à la responsabilité médicale est
qu’elle est étendue de la même manière à tous les actes médicaux. Si la mort survient pour un
acte médical « de confort », la responsabilité du professionnel est recherchée à la lumière du
service non rendu. Mais, plus allant, cette même responsabilité est engagée lorsque la vie est
en jeu ; lorsque l’acte du médecin était nécessaire, vital, l’indulgence n’existe plus. Ainsi, par
exemple faut-il encore soumettre aujourd’hui au même régime juridique le chirurgien
esthétique et le chirurgien qui effectue une opération très délicate pour sauver une vie ?
Certes, il semble que dans le premier cas, la jurisprudence le traite plus sévèrement. Mais il
semble aussi qu’il existe quelques entorses à cette règle jurisprudentielle de fait. Et même, ne
faut-il pas examiner de près les grands domaines d’intervention du médecin pour aller plus
avant dans l’élaboration de régimes juridiques applicables aux différents acte médicaux835. La
responsabilité ne fait que s’étendre. Elle est plus importante que le patient est décédé, tout du
moins plus facile à engager. Le dommage, et non la faute, crée la responsabilité. Cette logique
est celle qui a été suivie à propos des infections nosocomiales. C’est finalement la présence de
la mort qui a été la source de la responsabilité, bien avant que l’on ne s’interroge sur la
question de la faute. La responsabilité médicale civile est une responsabilité d’indemnisation.
juridiction ordinale d’autre part, et ceci même si la finalité de leur décision est différente : indemnisation d’un
côté, sanction disciplinaire de l’autre. Enfin une sanction disciplinaire peut également être prise en compte par la
juridiction civile pour fonder sa décision CA Montpellier, 5e ch. A, 25 juin 2001, Candon c/ Boccadifusco,
Juris-Data n° 182119.
832
Dictionnaire des citations.
833
A. Kimel-Alcover, A propos des accidents médicaux : « Vers l’indemnisation de l’aléa thérapeutique », P.A.,
25 déc. 1996, n° 155-17.
834
C. Paley-Vincent, Responsabilité du médecin, Mode d’emploi, Masson, 2002.
835
V. en ce sens, B. Feuillet, L’évolution de la notion d’ « acte médical », in Nouvelles Frontière de la santé,
nouveaux rôles et responsabilités du médecin, op. cit., p. 213.
- 257 -
Mais paradoxalement plus cette responsabilité est engagée facilement, moins elle semble
satisfaire. De tout temps l’homme a voulu une vengeance, ce qui est très vrai lorsque le
patient est décédé. Du fait de son activité, le médecin peut facilement tomber sous le coup de
la loi pénale puisque l’acte médical consiste souvent en une atteinte volontaire au corps
humain. Si la médecine et le droit entretiennent depuis toujours des rapports passionnels, c’est
particulièrement vrai du droit répressif, ressenti par les médecins non seulement comme une
menace pour l’exercice de leur métier mais plus profondément comme une insulte.
Pourtant, les médecins paient cher les avancées de leur discipline. En effet, ils ont voulu –
soit spontanément, soit en réponse à une demande sociale – expérimenter, remodeler, créer.
Le législateur a entériné un grand nombre de pratiques, mais en ayant massivement recours au
droit pénal836. Lorsque le médecin n’obtient pas le succès escompté, il en répond pénalement,
ce qui peut aussi se cumuler avec l’engagement de sa responsabilité par ses pairs.
Notre société en est alors venue à une idée de solidarité : que celui qui subit un
préjudice inattendu, inacceptable eu égard à la banalité de l’acte réalisé, ou encore né d’une
avancée médicale, obtienne réparation. L’aboutissement de cette évolution est consacré par la
loi du 4 mars 2002 organisant et simplifiant l’indemnisation de l’accident médical ou l’aléa
thérapeutique.
Est-ce à dire que l’existence de la responsabilité médicale est critiquable en soi ?
Certes non, mais l’acte médical a changé. La responsabilité ne devrait-elle pas présenter les
mêmes nuances que la diversité de l’action médicale. Il apparaît que la responsabilité
médicale présente à la fois des aspects positifs et négatifs. La « surjuridicisation »837 et la
surmédicalisation ont eu pour premier effet l’amélioration constante de la réparation du
préjudice de la victime838. Elle a produit un second effet bénéfique, de prophylaxie civile,
contribuant à l’amélioration de la santé publique : la perspective d’une responsabilité à
laquelle ils risquent d’être tenus incitent le médecin et les services hospitaliers à être plus
attentifs dans l’exercice de leur art839. L’extension de la responsabilité médicale peut aussi
836
V. F. Bellivier, De la dépénalisation du colloque singulier à la pénalisation de la santé publique, in Nouvelles
Frontière de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, op. cit., p. 219 et s., spéc. p. 224.
837
Expression de P. Malaurie, pour exprimer le développement des procès en matière de responsabilité médicale,
La responsabilité civile médicale, Defrénois 2002, n° 23, 37632, p. 1518
838
Le droit à la réparation est même devenu constitutionnellement et légalement « un droit fondamental ».
(Cons. const., 22 oct. 1982, D. 1983, 189, F. Luchaire).
839
On l’a vu notamment dans le récent recul des infections nosocomiales, qui, en partie, s’explique par
l’aggravation de la responsabilité civile pesant sur les hôpitaux et les cliniques et, pour une autre partie, par
- 258 -
avoir des conséquences négatives. L’excès de réparation et de prévention est susceptible de
produire des effets pervers, notamment la paralysie de l’action : la perspective d’être déclaré
responsable dissuade d’exercer une activité. Trop de responsabilité tue l’action et
l’initiative840.
l’enseignement et l’hygiène hospitalière, la conjonction des trois entraînant une prise de conscience du mal et la
mise en place de moyens pour y faire face.
840
Cette crainte, longtemps considérée comme illusoire, a cessé de l’être à partir de l’arrêt Perruche : les
médecins gynécologues et échographes ont déclaré qu’ils ne pouvaient plus exercer leur métier dès lors qu’ils
étaient déclarés responsables d’un dommage qui n’avait pas pour cause leur faute ni même leurs actes non
fautifs.
- 259 -
CONCLUSION DU TITRE I
Les phénomènes de technicisation et performances croissantes de la médecine,
d’intolérance grandissante du corps social au risque, d’extension quasi-infinie des champs
d’intervention du médecin, d’évolution générale des mœurs vers un plus grand libéralisme, de
la tendance des justiciables à faire du procès pénal un outil thérapeutique (« restauration des
victimes »), de puissance du corps médical, du caractère sériel des dommages à la santé (sang
contaminé, amiante, etc.) affectent aujourd’hui les rapports du médecin au droit, au patient et
à l’Etat. Longtemps l’enjeu unique de lutte de la médecine, la mort semble être passée au
second plan. Parallèlement le patient entend contester le pouvoir décisionnel du médecin et se
voir reconnaître le droit à l’autonomie de sa volonté. Il considère par ailleurs le droit à la santé
comme un acquis et demande au médecin de répondre à ses désirs. Et, puisque l’acte médical
n’est plus seulement thérapeutique, le patient réclame le soulagement de toutes souffrances.
Pour atteindre ce but, ne peut-il pas alors demander à ce qu’on lui donne la mort ?
Le paternalisme médical semble désormais être abandonné mais il persiste ça et là à la
faveur de la préservation de la santé publique. L’Etat entend préserver les individus en bonne
santé voire leur en imposer le devoir. Le rôle du médecin persiste donc dans celui de préserver
la vie. Malgré la diversification de l’acte médical, la mort reste sous d’autres visages celle que
l’on tente par tous moyens de rejeter. Mais la multiplication des modalités d’action du
médecin a entraîné une hausse sensible de la recherche de sa responsabilité.
Si le temps de l’irresponsabilité pénale et civile des médecins est révolu depuis le
début du XIXe siècle, le débat sur les principes de mise en œuvre aura mis plus d’un siècle à
aboutir. La responsabilité médicale est un des thèmes centraux de la loi du 4 mars 2002,
relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé, qui y consacre un titre
entier et qui a été complétée pour ce qui concerne la question précise de la responsabilité
médicale par celle du 30 décembre 2002. Cette responsabilité se partage entre la faute et la
solidarité. Dans le contexte général d’attentes et d’espoirs qui caractérise la médecine
contemporaine – les victimes de dommages sollicitant toujours plus d’indemnisations et de
sanctions –, la loi du 4 mars 2002 prévoit la prise en charge par la solidarité nationale des
- 260 -
dommages médicaux les plus graves 841 . L’évolution de l’acte médical paraît indiscutable.
Mais, le constat de cette mutation nous semble devoir s’accompagner d’une réflexion sur les
incidences quant à la relation médicale, notamment sur le terrain de la responsabilité. Il
apparaît qu’il faille réfléchir de façon importante, d’une part, sur les mesures à mettre en
œuvre pour permettre au médecin de faire ce qui lui est demandé842 et, d’autre part, sur la
responsabilité du praticien notamment en fonction du type d’acte effectué. La mort d’un
patient n’est pas toujours la même aujourd’hui. Cette évolution ne doit-elle pas se faire sentir
au niveau du droit ? et ceci d’autant plus que la responsabilité civile et pénale peuvent
fonctionner en vases communicants. Le droit semble donc ne faire qu’un alors que la
médecine est multiple face à la mort. Ce rapport redevient plus classique mais pas moins
difficile lorsque la mort survient naturellement.
841
V. Rachet-Darfeuille, L’impact de la publicisation sur la responsabilité du médecin : éclairages croisés des
droits civil et administratif, in Nouvelles Frontière de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, op.
cit., p. 217.
842
Notamment au niveau de sa formation mais aussi en termes financiers.
- 261 -
TITRE II
LA LIMITATION DU POUVOIR DECISIONNEL DU
MEDECIN FACE À LA MORT
Aussi prodigieux que sont les progrès de la médecine, on ne saurait oublier que l’être
humain est mortel. Cette réalité participe au quotidien du médecin. Longtemps ignorée, la fin
de vie connaît désormais un intérêt et une publicité renouvelés. Le vieillissement de la
population ainsi que la médiatisation de quelques affaires de malades atteints de maladie
grave et incurable obligent la société à s’interroger sur la mort et la condition des mourants.
La fin de vie concerne l’accompagnement par le médecin des patients qui décident notamment
l’arrêt de tout traitement jusqu’à la mort. Elle prend place dans le colloque singulier formé par
le médecin et le patient. Le domaine de la fin de vie et du droit des malades est organisé par
des lois récentes dont la dernière en date du 22 avril 2005 a été votée rapidement à la faveur
d’un large consensus parlementaire suite à l’émoi suscité par l’affaire Vincent Humbert. La
finalité de la loi du 22 avril 2005 est de renouer avec les valeurs humanistes qui fondent la
médecine, en particulier le soulagement de la douleur et l’interdiction de toute obstination
déraisonnable. L’enjeu est lié à l’aménagement de la mort. Le médecin doit organiser cet
événement inéluctable et irréversible, le prévoir, voire l’anticiper. Il s’agit de ne plus retarder
le moment de la mort par des soins inutiles ou disproportionnés, mais au contraire de
respecter la mort du patient en soulageant le mourant, quitte à écourter sa vie. L’obligation
pour le médecin à ne pas s’acharner est conforté par le renforcement du droit reconnu au
malade conscient de refuser les soins. Le souci d’éviter l’obstination déraisonnable est donc
réparti entre le médecin et le patient. L’autonomie du patient, lorsqu’elle s’exprime à
l’intérieur de limites raisonnables, permet d’orienter le pouvoir du médecin. Mais, en cas
d’incapacité notamment, le médecin est également habilité soit à suspendre l’ensemble des
traitements, soit à contredire le patient, le seul objectif de ces situations étant de défier la
mort.
Deux visages du médecin se présentent et se mélangent. La proximité de la mort
conduit le droit à encadrer, borner les pouvoirs qui sont habituellement reconnus au médecin
dans la prise en charge du patient. Le paternalisme médical apparaît dès lors en déclin.
- 262 -
Cependant, parce que d’autres impératifs que l’autonomie de la volonté du patient guident
l’acte médical, la survenance de la mort dans le rapport médecin patient laisse quelques
résurgences du pouvoir décisionnel du médecin. Le médecin semble ainsi soumis à une
obligation absolue de respecter la mort du patient (Chapitre I) tandis que cette obligation
semble davantage relative lorsqu’il s’agit de soumettre le médecin à la volonté de mourir du
malade (Chapitre II).
- 263 -
CHAPITRE I
L’OBLIGATION ABSOLUE POUR LE MEDECIN DE RESPECTER LA
MORT DU PATIENT
A l’approche de la mort, il n’est facile pour personne de se résoudre à l’inéluctable. On
aurait pu imaginer cependant que, pour le professionnel de santé, souvent confronté dans sa
pratique à la mort, la chose serait plus aisée. Il n’en est rien. Pire encore, le médecin perçoit
souvent dans la mort de son patient le résultat de son échec ainsi que le reflet de sa propre
mort. Le médecin est alors tenté de tout essayer pour préserver la vie du malade, pour retarder
la fin inévitable, refusant ainsi ce qu’il considère comme son impuissance à soigner. L’être
humain étant mortel, le fait de mort reste pourtant un événement naturel et inévitable. Il est
vrai que les progrès de la médecine sont désormais prodigieux. Greffes d’organes, greffes de
mains ou de visages, opérations sans incisions, etc.…Ces prestiges sont si importants qu’on
en oublierai presque que la médecine connaît aussi ses limites. Le médecin sera tôt au tard
confronté aux bornes de son art, soit que ce dernier n’ait pas encore trouvé la solution au
problème médical posé, soit, plus simplement, qu’il faille se résoudre à la mort qui vient. Le
médecin refuse parfois cette évidence : il s’obstine, il s’acharne, il s’évertue à maintenir son
patient en vie, au prix le plus souvent de soins lourds dont l’effet thérapeutique n’existe plus
et au détriment du respect du au patient. Cette vie artificielle est condamnée par les patients et
souvent par les médecins eux mêmes. Le Code de déontologie médical impose depuis
longtemps aux médecins de ne pas procéder à des acharnements thérapeutiques. Par la loi du
22 avril 2005, le législateur vient inscrire cette obligation dans la loi. Le médecin est soumis à
un devoir de non obstination déraisonnable, lequel présente un caractère absolu puisqu’il
paraît valable en toutes circonstances, pour un patient conscient ou inconscient et ou non en
fin de vie.
Il est possible également, à l’inverse, que le médecin considère que ses soins sont
désormais inutiles, ne présentant plus d’intérêt thérapeutique pour le patient. En cette
hypothèse, lorsque le patient ne peut plus lui-même demander qu’il soit mis fin aux
traitements, le médecin peut être désireux de mettre un terme à des soins sans effet bénéfique
pour le patient. Il pouvait craindre cependant qu’un tel acte puisse engager sa responsabilité
pénale. Le droit est venu clarifier cette situation en permettant au médecin de mettre un terme
aux soins prétendument curatifs. Le médecin n’est plus seulement entendu comme celui qui
- 264 -
sert la vie, parfois à la « Don Quichotte », mais comme celui qui laisse partir la vie. Le
médecin est ainsi autoriser à « laisser mourir ». Il semble que dans le cadre de l’obstination
déraisonnable, si le droit énonce principalement l’obligation absolue pour le médecin de ne
pas s’obstiner déraisonnablement et à cette suite de se plier à la venue de la mort, il lui offre,
de façon subsidiaire, la possibilité de laisser la mort venir. Le médecin semble une fois encore
partager entre devoir et droit.
La proximité de la mort n’autorise pas pour autant le médecin à abandonner son
patient en fin de vie. Si la médecine ne peut plus guérir le malade, elle peut encore souvent le
soulager. Le médecin doit accompagner le mourant. Le rôle du médecin n’est pas terminé
parce que la mort arrive et qu’il ne peut plus rien pour sauver le patient. Il doit alors se faire
accompagnant, préserver la dignité du mourant, soulager sa douleur. Ce devoir est lui aussi
inscrit dans le Code de déontologie médicale. Mais, tout comme l’obstination déraisonnable,
même si c’est pour des raisons différentes, ce devoir est resté jusqu’à récemment lettre morte.
L’accompagnement de la fin de vie est une préoccupation nouvelle en France. Alors que les
anglo-saxons développent une politique de médecine palliative dès les années 60, la loi sur les
soins palliatifs n’est votée qu’en 1999. Allant plus loin, la loi nouvelle de 2005 permet une
innovation marquante. Cette fonction du médecin pourrait en effet le conduire à écourter la
vie ; certaines posologies, dont l’objectif premier est de soulager, pourront parfois abréger la
vie du patient. Cette conséquence, connue sous le nom de « double effet », a été admise par le
législateur. La prise en charge de la douleur et de la fin de vie apparaissent désormais un
objectif majeur de la politique médicale française. Cependant, cette prise de conscience
récente souffre de sa jeunesse : les soins palliatifs ne sont pas encore entrés dans la conception
de la médecine française tant dans les mentalités que dans les moyens mis en œuvre. Malgré
leur aspect fondamental, les soins palliatifs restent largement sous développés à la lumière des
besoins des malades, qui ne feront que croître dans l’avenir.
Face à l’imminence de la mort, la réglementation récente paraît bien aujourd’hui
canaliser les prérogatives du médecin. Ne pas s’obstiner inutilement relève pour le praticien
d’un devoir impérieux pour éviter la prolongation d’une vie dans la souffrance. Ce devoir
ancien est désormais consacré par la loi. La marge de manœuvre du médecin pourrait
cependant se révéler plus large en pratique, ce dernier restant libre d’apprécier la réalité de la
fin de vie. Le paternalisme médical, annoncé pourtant comme étant largement en déclin plus
particulièrement en fin de vie, pourrait retrouver une certaine vigueur par la loi nouvelle.
- 265 -
Mais, une fois la fin de vie constatée, le médecin se doit encore d’assurer des soins palliatifs
au malade. Lorsque la mort du patient s’annonce, le médecin est donc soumis à ces deux
obligations absolues : celle de ne pas s’obstiner déraisonnablement d’une part (Section I),
celle d’administrer des soins palliatifs au patient en fin de vie d’autre part (Section II).
SECTION I- LE DEVOIR DE NON OBSTINATION DERAISONNABLE
Le médecin qui aura tout tenté avec raison doit se résoudre à la mort. Respectant la
dignité due au patient, il a le devoir de ne pas s’obstiner déraisonnablement. Ce devoir, qu’il
convient de circonscrire, apparaît amplement justifié et admis par les divers acteurs de la
société. Il recouvre diverses réalités de la relation médecin-patient, ce qui conduit à de
multiples conséquences sur le rôle du médecin. Ce dernier, astreint principalement à un
devoir, se voit également octroyer un droit, celui de laisser mourir. Malgré l’injonction
absolue de la loi, le médecin semble garder partiellement la maîtrise de ses compétences (§I).
Cependant la mise en œuvre de ce principe n’est pas, en pratique, sans difficultés. Comment
déterminer en effet si un acte est ou non justifié d’un point de vue médical, seul l’acte médical
justifiant l’atteinte porté au corps du patient par le médecin ? Inversement, quand convient-il
de considérer que le médecin pouvait légitimement s’abstenir d’agir ou qu’il pouvait mettre
un terme à des soins ? Ces considérations sont d’une importance considérable puisqu’il est
certain désormais que le médecin qui s’abstient de prodiguer des soins qui doivent être
qualifiés d’inutiles n’a plus à craindre de voir sa responsabilité pénale engagée. La
reconnaissance de ce devoir emporte donc des effets importants mais contrastés(§II).
§I- L’affirmation du devoir de non obstination déraisonnable
Alors que ce devoir peut apparaître comme une évidence, la non obstination
déraisonnable est tardivement consacrée. Elle est certes, inscrite depuis longtemps dans le
Code de déontologie médical, ce n’est que la loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie qui
est venue faire obligation, pour le médecin, de ne pas s’obstiner déraisonnablement (A). Si la
loi ne faisait que consacrer un principe existant, elle a cependant permis d’éclaircir une
situation juridique confuse et donc peu rassurante pour les médecins. Elle conduit, de plus, à
la reconnaissance des arrêts et de la limitations des traitements (B).
- 266 -
A- Définition et justification
L’expression retenue par la loi nouvelle « d’obstination déraisonnable », qui a notre
préférence, n’est cependant pas l’expression originelle pour désigner l’action du médecin
« qui cherche à trop soigner». Longtemps, et encore aujourd’hui, il est plus facilement
évoquer la notion d’ « acharnement thérapeutique ». « Obstination déraisonnable » ou
« acharnement thérapeutique », il convient de revenir sur ces deux expressions pour
rechercher le comportement médical qu’elles recouvrent (1). Quelle que soit l’expression
choisie, ce comportement du médecin est unanimement condamné tant par les instances
sociétales, médicales que religieuses (2).
1- Définition de « l’obstination déraisonnable » ou « acharnement
thérapeutique »
Si autrefois la mort du malade suivait rapidement l’annonce d’une maladie incurable,
la science fournit désormais aujourd’hui les moyens de maintenir et prolonger la vie des
personnes biologiquement condamnées à brève échéance. L’histoire contemporaine nous
rapporte le cas de grands chefs d’Etat dont les médecins se sont acharnés à faire durer la vie
alors même que tout espoir d’amélioration de leur santé avait disparu843. Le médecin détient
les possibilités techniques de faire continuer la vie chez (ce qu’il faut appeler) un mourant.
Philippe Ariès écrit : « Le temps de la mort est allongé au gré du médecin : celui-ci ne peut
supprimer la mort, mais il peut en régler la durée, de quelques heures qu’elle était autrefois, à
quelques jours, à quelques semaines, à quelques mois, voire quelques années. Il est devenu en
effet possible de retarder le moment fatal, les mesures prises pour calmer la douleur ont aussi
pour effet secondaire de prolonger la vie. Il arrive que ce prolongement devienne un but, et
que l’équipe hospitalière refuse d’arrêter les soins qui entretiennent une vie artificielle. […] il
ne nous appartient pas ici de discuter le problème éthique que soulève ce cas rare
d’acharnement thérapeutique. L’intéressant est que la médecine peut ainsi permettre à un
presque mort de subsister presque indéfiniment.»844 .
Le réflexe de tout médecin est naturellement de vouloir tenter quelque chose. Cela
n’est pas en soi critiquable. Les progrès extraordinaires de la médecine et notamment des
843
P. Accoce et P. Rentchnick, Ces malades qui nous gouvernent, Stock, 1988, citent notamment le cas de
Franco et Tito, p. 213-214.
844
P. Ariès, L’homme devant la mort, tome 2 : la mort ensauvagée, Seuil, 1977, p. 295.
- 267 -
techniques de la réanimation permettent aujourd’hui de sauver beaucoup de vies. Le médecin
a une volonté de sauver une vie, à tout prix. « On détient les moyens de maintenir en vie les
malades en état végétatif chronique, on peut soigner certaines infections nouvelles qui
surviennent dans une agonie due à d’autres causes … Cesser d’agir, n’est-ce pas capituler
devant la mort ? alors qu’on peut encore faire quelque chose pour la vie ? Ici se mêlent la
volonté éthique de combattre la mort et le souci technique de tout mettre en œuvre : plus que
jamais, le médecin moderne peut mettre l’efficacité, qui a si longtemps et si cruellement
manqué, au service de sa mission essentielle », explique Paula de la Marne845.
Mais il faut aussi que ce ne soit pas à n’importe quel prix. Le respect dû à la personne,
et donc à la dignité de celle-ci, ne signifie pas la prolongation de la vie au prix de tous les
excès846. L’incertitude médicale est importante, puisque la médecine n’est pas une science
exacte et que le médecin est souvent, dans les cas difficiles, incapable de prévoir l’issue du
traitement. C’est pourquoi le droit, le code de déontologie, en son article 37, rappelle « qu’en
toute circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade,
l’assiste moralement et évite toute obstination déraisonnable dans les investigations et la
thérapeutique ». Le conseil de l’Europe va encore plus loin en évoquant qu’il relève de la
dignité humaine de ne pas s’acharner : « le prolongement artificiel de l’existence des
incurables et des mourants par l’utilisation de moyens médicaux hors de proportion avec l’état
du malade […] fait […] aujourd’hui peser une menace sur les droits fondamentaux que
confère à tout malade incurable et à tout mourant sa dignité d’être humain »847.
L’acharnement thérapeutique consiste à utiliser systématiquement tous les moyens
médicaux dont on peut disposer pour maintenir une personne en vie. S’acharner, selon
Larousse, c’est lutter avec ténacité, continuer son effort. On ne voit donc pas très bien ce que
l’on entend alors reprocher au médecin. A moins qu’il faille entendre le terme sous son autre
845
Paula de La Marne, Ethiques de la fin de vie. Acharnement thérapeutique, euthanasie, soins palliatifs.
Ellipses, p. 12.
846
L’ouvrage de Maurice Maeterlinck, La Mort, publié en 1913, semble marquer un tournant dans les mentalités.
Si l’auteur se livre à une analyse philosophique et apaisée de la mort, quelques pages dénoncent sans ambiguïté
l’attitude des médecins auprès des mourants : « Tous les médecins estiment que le premier de leur devoir est de
mener aussi loin que possible les convulsions les plus atroces de l’agonie la plus désespérée […]. Les médecins
agissent comme s’ils étaient convaincus qu’il n’est point de torture connue qui ne soit préférable à celles qui
nous attendent dans l’inconnu. Ils semblent persuadés que toute minute gagnée parmi les souffrances intolérables
est dérobée à des souffrances incomparablement plus redoutables ». De nombreux médecins citent Maeterlinck
pour dénoncer l’acharnement thérapeutique de leurs confrères. Cité par A. Carol, Les médecins et la mort, op.
cit., p. 91.
847
Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire. Protection des droits de l’homme et de la dignité des malades
incurables et des mourants. Recommandation 1418, 25 juin 1999.
- 268 -
sens, poursuivre ou attaquer avec violence et obstination. On s’attend mal pourtant à voir dans
le comportement du médecin un acte de violence. Et pourtant, si c’était cela ? Le terme
« thérapeutique » est relatif au traitement des maladies. Il ne faut donc pas que le médecin
s’obstine à soigner. Nous osons espérer cependant qu’il sera toujours tenace à soigner.
Certains auteurs et médecins848 pensent que l’expression « acharnement thérapeutique » est
très mal choisie, et préfèrent « obstination déraisonnable à soigner ». C’est pourquoi
aujourd’hui on préférera la formulation d’obstination déraisonnable à celle d’acharnement
thérapeutique, sans méconnaître la caractère peut être plus évasif et moins incisif de la
première. Le Conseil national de l’ordre des médecins a proposé une nouvelle formulation de
l’article 37 dans sa session extraordinaire du 22 juillet 2004 : « En toutes circonstances, le
médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade, le traiter par des moyens
proportionnés à son état et l’assister moralement. Il doit éviter toute obstination déraisonnable
dans les investigations et la thérapeutique et peut se limiter aux seuls soins palliatifs lorsque la
synthèse des éléments cliniques et para-cliniques montre que poursuivre les soins ou en
entreprendre d’autres ne peut plus bénéficier au malade et aurait pour seule conséquence de la
maintenir artificiellement en vie »849.
L’obstination déraisonnable ou l’acharnement thérapeutique peuvent être définis
comme la mise en œuvre ou la poursuite de traitements jugés trop contraignants par le patient
ou sa famille ou bien de traitements étiologiques et/ou intensifs dans le but d’obtenir une
guérison alors qu’on la sait inaccessible ou d’obtenir une amélioration alors qu’on la sait
insuffisante et /ou transitoire, et n’améliorant pas la qualité de vie. L’association « Jusqu’à la
mort accompagner la vie » – JALMAV – définit le comportement médical d’acharnement
comme « l’attitude qui consiste à poursuivre une thérapeutique lourde à visée curative, alors
qu’il n’existe aucun espoir réel d’obtenir une amélioration de l’état du malade et qu’elle
entraîne parfois une prolongation de la vie du malade dans la souffrance »850. L’obstination
déraisonnable naît donc du refus d’un médecin ou d’une équipe médicale de reconnaître que
la situation est médicalement dépassée et qu’il n’existe plus de thérapeutiques possibles. Ce
comportement médical, un temps justifié parce qu’il prône le respect absolu de la vie à tout
prix, n’est pas admis désormais.
848
Le GRUFP considère même ce terme comme outrancier.
Commission spéciale, n° 1929, p. 16.
850
Audition de J.Ph. Wagner du 20 janvier 2004 par la commission Leonnetti, Respecter la vie, Accepter la
mort, Rapport n° 1708, tome 1, Document d’information, A.N. Juillet 2004, p. 152.
849
- 269 -
2- Le rejet de l’obstination déraisonnable
Un temps justifiée par la caractère sacré de la vie, le respect absolu de la personne
humaine ou la valeur rédemptrice longtemps reconnue par la religion catholique à la
souffrance, l’obstination déraisonnable n’est plus défendue par aucune des trois religions
monothéistes et est contestée par toutes le parties de notre société.
Tout d’abord, les autorités religieuses rejettent l’obstination déraisonnable. En 1957, Pie XII
reprenait lui la distinction théologique des « moyens ordinaires » et des « moyens
extraordinaires » 851 . Jean-Paul II exprimait plus récemment : « On peut en conscience
renoncer à des traitements qui ne procuraient qu’un sursis précaire et pénible de la vie, sans
interrompre pourtant les soins dus au malade en pareil cas. »852 . Les « moyens héroïques »
de réanimation pour une personne qui vit son dernier coma paraîtront tout a fait
disproportionnés par rapport au gain réel : quelques heures de vie dans la douloureuse
surmédicalisation.
Aucun patient ne doit être plongé dans « une agonie prolongée
artificiellement (qui) est contraire à la dignité du mourant et au devoir moral de l’acceptation
de la mort et de la poursuite de son cours »853.
Pour les citoyens ordinaires ensuite : « La peur de mourir s’est peu à peu estompée devant la
peur de mal mourir. La peur de souffrir et la peur de la déchéance sont bien plus importantes
aujourd’hui que celle de la finitude de l’être »854. L’acharnement thérapeutique est dénoncé
parce qu’il ne procure que des douleurs supplémentaires, parce qu’il nie la mort. « La mort,
aujourd’hui, par ses aspects techniques, médicaux organisés, ôte à l’individu les conditions
d’une mort assumée et personnelle. L’acharnement thérapeutique est accusé de prolonger une
existence indigne d’intérêt, comme pour contester une extinction de soi aussi pauvre,
exclusivement ramenée au soin du corps. Chacun se sait exposé à une fin de ce genre, une fin
aride. Elle donne l’impression d’une réduction considérable du sens de cet acte ultime. Elle
dépossède l’individu, le dépouille d’une relation à lui-même qu’il aurait souhaitée tout autre.
Il n’est plus qu’un être biologique, un rescapé en sursis »855.
Les membres des professions médicales pensent de la même façon. Par conviction, tout
d’abord, parce qu’ils sont les mieux placés pour savoir si l’espoir est permis. Par intérêt
851
Pie XII, Problèmes religieux et moraux de la réanimation. Déclaration aux anesthésistes du 24 novembre
1957.
852
Jean Paul II, Evangelium vitae, Encyclique du 25 mars 1995
853
Cardinal Ph. Barbarin, Audition du 26 nov. 2003, Rapport Leonetti préc. p. 153. V. idem pour des exemples
des autres religions.
854
Intervention de J. Leonetti, séances A.N. préc. p. 10. 1er col..
855
P. de La Marne, Ethiques de la fin de vie. Acharnement thérapeutique, euthanasie, soins palliatifs. Ellipses, p.
5.
- 270 -
ensuite, puisqu’ils savent qu’ils pourraient voir leur responsabilité recherchée soit pour non
assistance à personne en péril ou au contraire pour obstination déraisonnable.
Par ailleurs, on sait qu’il existe un lien étroit entre l’obstination déraisonnable et
l’euthanasie, la seconde étant souvent l’aboutissement de la première : « L’euthanasie et
l’acharnement thérapeutique apparaissent comme des excès symétriques d’une même
tendance. Il s’agit donc de saisir cette tendance même. Dans les cas où les soins intensifs
échouent, un glissement risque de se produire, qui consiste à ne pas accepter la mort.
L’acharnement thérapeutique est une des voies par lesquelles on peut tenter d’éviter la
confrontation avec la mort. L’euthanasie est une autre de ces voies, qui s’est développée par
réaction à l’égard de l’acharnement thérapeutique »856. C’est pourquoi nombreux sont ceux
qui évoquent le droit au respect du malade et on évoque sans le dire la notion de qualité de
vie. Cette notion a été pleinement consacrée par la loi nouvelle sur la fin de vie et c’est
particulièrement notable, à la différence de celle de quantité de vie. La loi du 22 avril
2005
entérine pleinement les arrêts et limitations de traitements.
B- La consécration des arrêts et limitations de traitements
A l’occasion de la dramatique affaire Vincent Humbert, l’émotion fut considérable et
une mission d’information sur l’accompagnement de la vie fût constituée857. Cette démarche
législative a abouti à la loi du 22 avril 2005. Maladroitement présentée par les médias comme
la « loi Humbert », la loi nouvelle du 22 avril 2005858 ne répond pas aux attentes de Madame
Humbert859 et des partisans de l’euthanasie en général. Au premier regard, on pourrait presque
penser que c’est encore une loi inutile tant elle reprend déjà des principes affirmés par
856
J.-F. Malherbe, Homicide et compassion. L’euthanasie en éthique clinique, Paris, Médiaspaul, coll.
Interpellations, 1996, p. 18.
857
Celle-ci a procédé à l’audition de 81 spécialistes : médecins, juristes, administrateurs, moralistes et
théologiens, s’est déplacée aux Pays-Bas et en Belgique, a visité des unités de soins palliatifs et a déposé un
rapport en juin 2004 ainsi qu’une proposition de loi.
858
Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, J.O. 23 avr. 2005, p.
7089. Ses décrets d’application : décret n° 2006-119 du 6 février 2006 relatif aux directives anticipées et décret
n° 2006-120 relatif à la procédure collégiale , J.O. du 7 février 2006, pp. 1973 et 1974.
859
Madame Humbert est la mère du jeune Vincent Humbert qui à la suite d’un accident, était devenu
tétraplégique, sourd et muet mais était resté lucide. Conformément aux vœux de son fils, Madame Humbert a
tenté de l’aider à mourir. Vincent Humbert devait finalement décéder en service de réanimation deux jours après
l’intervention de sa mère. Le service médical de l’hôpital où Vincent était hospitalisé ainsi que Mme Humbert
ont voulu médiatisé les faits afin que la mort de Vincent soit utile, ils réclament le droit pour ceux qui n’ont plus
une vie digne de mourir.
- 271 -
d’autres textes860. Certains jugent que la loi est vide de contenu véritable et n’est qu’un texte
de circonstances. D’autres en revanche considèrent que la loi est le premier pas coupable vers
l’autorisation de la mort médicalisée. Il est vrai que la loi nouvelle n’apporte pas que très peu
d’innovations. Mais cette loi a le mérite de venir rappeler des grands principes fondamentaux
spécialement pour les malades en fin de vie. Toutefois elle ne consacre pas le droit à
l’euthanasie. Présentée comme une loi pour les patients, elle pourrait finalement être surtout
une loi pour les médecins qui s’abstiendront de soigner un malade incurable. Elle vise à
consacrer des droits spécifiques aux malades incurables ou en fin de vie et à apporter une
protection juridique aux médecins. Selon les termes de Philippe Douste-Blazy, alors ministre
des Solidarités, de la Santé et de la Famille: « Respecter la vie et accepter la mort, voilà ce
dont nous devons légiférer aujourd’hui. Une mort humaine et digne est possible sans recourir
à l’euthanasie. »861.
Parmi les consécrations sans grande évolution figure l’inscription de l’interdiction
pour le médecin de s’obstiner déraisonnablement. Ainsi, de façon emblématique, cette loi
débute par l’introduction d’une objurgation à l’adresse des médecins inscrite au sein de
l’article L. 1110-5 du code de la santé publique. A la suite de l’alinéa 1er de cet article, qui
consacre le droit à des soins « les plus appropriés » et à des actes ne faisant pas « courir de
risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté », un alinéa 2 dispose désormais :
« Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils
apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel
de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris ».
Les critères posés semblent un peu flous. La non obstination déraisonnable repose sur la
notion d’utilité et de disproportion. Les notions de traitements déraisonnables inutiles et
disproportionnés demeurent indéterminées. Il faut essayer d’en rechercher le sens. Le
traitement devient « inutile », ce qui implique la certitude ou quasi-certitude qu’aucune
amélioration ne peut être envisagée raisonnablement selon les connaissances acquises en
matière médicale. Le traitement devient « disproportionné », ce qui implique que les chances
de maintien de la vie sont très réduites par rapport à la lourdeur du traitement et notamment
860
Pour une appréciation critique de la répétition d’une loi à l’autre, v. A-M. Leroyer, Chron. législation
française, RTD civ. 2005.646 ; F. Vialla, D. 2005. Point de vue. 1796.
861
La loi nouvelle est inspirée par le rapport de la commission Leonetti, Respecter la vie, Accepter la mort,
Juillet 2004, n° 1708, tome 1, Documents d’information, Assemblée nationale, voir spécialement p. 257 et s..
- 272 -
par rapport à la douleur qu’il peut entraîner. La traitement n’a plus « d’autre effet que le seul
maintien artificiel de la vie », cette formule synthétisant les expressions précédentes862.
Confronté à une véritable impasse thérapeutique, le praticien se voit aujourd’hui
reconnaître plus que le droit, l’obligation de ne pas recourir à l’inutile863. Lors des travaux
parlementaires, il a été souligné que le maintien sous machines de Vincent Humbert sans que
subsiste un espoir d’amélioration relève de l’obstination déraisonnable864. Bien que la loi soit
dite loi sur la fin de vie, la généralité de la formule laisse supposer que cette disposition ne se
limite pas aux personnes en fin de vie mais à tous les malades. La proposition est faite au
médecin, lequel sera donc juge de la situation, et non le patient. Ce qui est notable, en effet,
est que l’appréciation des critères relèvera de l’éthique médicale et non de la loi, et seuls le
médecin et son équipe examineront en conscience si les soins thérapeutiques délivrés sont ou
non proportionnés à l’état du malade et à ses chances d’amélioration. L’obligation faite au
médecin de ne pas s’obstiner déraisonnablement répond en pratique à l’appréciation qu’en
fera le praticien. En effet cette obligation est conditionnée par l’action du médecin. La
détermination du caractère déraisonnable du traitement ainsi que la résolution d’interrompre
celui-ci appartient et incombe au praticien. Son effectivité sera donc soumise à sa bonne
volonté, même si on peut considérer qu’un acte jugé déraisonnable pourrait engager la
responsabilité du médecin. Cependant l’analyse des textes montre que le maintien d’un
traitement disproportionné est susceptible de perdurer sans caractériser l’obstination
déraisonnable865, puisque après avoir rappelé le principe selon lequel le praticien ne doit pas
poursuivre d’actes médicaux avec obstination déraisonnable, la loi admet qu’ils puissent être
suspendus ou ne pas être entrepris.
A la lumière de la nouvelle disposition, seul le patient conscient pourra obliger le
médecin à ne pas s’obstiner déraisonnablement. En effet, l’exhortation du médecin à ne pas
s’acharner est complétée par un renforcement significatif du droit reconnu au malade de
refuser des soins. Dès lors, le souci d’éviter l’obstination déraisonnable est également partagé
entre le médecin et le patient. Le malade conscient en fin de vie ou atteint d’une maladie
862
J. Pradel, La parque assistée par le Droit, Apports de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et
à la fin de vie, D. 2005, Chron. p. 2106, n° 6.
863
F. Vialla, Droits des malades en fin de vie, D. 2005, p. 1797.
864
Ass. nat., Séances publiques des 26 et 30 nov. 2004, p. 44, 1er col..
865
En ce sens, E. Garraud, La question de l’euthanasie traitée à droit presque constant par la loi sur la fin de vie :
RJPF 2005, n° 20, p. 41 ; A.-M. Leroyer et J. Rochfeld : RTD civ. 2005, p. 645.
- 273 -
grave et incurable a le droit de demander l’arrêt des soins. Cette demande est une injonction
faîte au médecin de mettre un terme aux soins866.
Cependant, la situation apparaît tout autre lorsque le patient peut être qualifié de passif
à la décision médicale, c’est-à-dire qu’il est conscient mais en retrait ou qu’il est hors d’état
d’exprimer sa volonté. En ce cas, la place du médecin a été particulièrement revalorisée par la
loi nouvelle. Lorsque le malade est conscient et qu’il demande à mourir, l’action du médecin
est indéniablement circonscrite par cette demande. Il n’en reste pas moins que, lorsque le
malade conscient ne se manifeste pas et qu’il s’en remet au médecin, celui-ci retrouve une
pleine liberté de décision que, en sens inverse, le législateur est venu protéger867. En effet, on
l’a dit, la loi enjoint les médecins de ne pas poursuivre les traitements par une « obstination
déraisonnable », laissant à sa conscience l’appréciation de la situation 868 . Si le médecin
décide un tel arrêt de soins, il devra bien sûr en informer le malade ou recueillir son
assentiment 869 . Le médecin se voit donc autorisé à « laisser mourir » son patient. Cette
autorisation laissée au praticien se présente comme le corollaire nécessaire du droit de mourir
reconnu au malade. Néanmoins il ne faut pas cacher les risques de tels pouvoirs. On ne peut
que s’interroger sur la véritable possibilité de contrôle de tels actes. Il ne faut pas, par
exemple, que le refus de l’obstination déraisonnable aboutisse au risque d’abandon précoce et
injustifié d’un malade, risque particulièrement connu en gériatrie870.C’est sans doute la raison
pour laquelle l’arrêt ou la limitation des traitements d’une personne inconsciente est soumise à
une procédure particulière.
En effet, lorsqu’une personne est hors d’état d’exprimer son consentement871, qu’elle
soit 872 ou non 873 en fin de vie, la loi prévoit que le médecin puisse décider de limiter ou
d’arrêter un traitement inutile ou disproportionné ou n’ayant d’autre effet que la prolongation
866
V. sur le sujet le chapitre 2 du titre II de la première partie du présent ouvrage.
S. Hocquet-Berg, Le texte sur la fin de vie : une loi pour les malades ou… pour les médecins ?, Resp. et
assurances, mai 2005, focus 47 ; E. Alfandari et P. Pedrot, La fin de vie et la loi du 22 avril 2005, RD. sanit. soc.
2005. 751, spéc. 754-755.
868
Art. L. 1110-5 al. 2 du Code de la santé publique.
869
Ou celui de la personne de confiance si le patient manifeste son souhait d’être tenu dans l’ignorance du
diagnostic, droit que lui garantit l’art. L. 1111-2 du Code de la santé publique.
870
F. Alt-Maes, La loi sur la fin de vie devant le droit pénal, JCP G 2006, I 119, p. 483 et s, spéc. p. 484.
871
Art. L. 1111-13 et L. 1111-4 du Code de la santé publique.
872
Art. L. 1111-13 CSP.
873
Art. L. 1111-4, al 4 CSP.
867
- 274 -
artificielle de la vie874. Mais le médecin devra suivre une procédure originale bien définie875,
dont le respect protège le praticien du risque pénal et puise aussi largement dans les pratiques
antérieures. Cette procédure s’effectuera sous la forme d’une décision motivée et collégiale876.
Il s’agit de faire contrepoids à l’isolement du médecin face à son impuissance à soigner et à sa
résignation passive. Le médecin devra ainsi, avant d’arrêter ou de limiter les soins, s’être
concerté avec l’équipe soignante si elle existe et avoir requis l’avis d’un médecin extérieur,
appelé en qualité de consultant. Il devra aussi prendre en compte les souhaits que la personne
aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées877, si elle en a
rédigées. A défaut, la loi impose la consultation de la personne de confiance éventuellement
désignée par le patient, sinon de la famille ou à défaut un proche 878 . Il est important de
souligner la réaffirmation de la place de la personne de confiance désignée par le patient,
laquelle à voix prépondérante sur les proches. Cette personne peut être un médecin, ce qui
pourrait être un contre-poids appréciable face au médecin responsable. La décision devra être
motivée et transcrite au dossier médical du patient ainsi que l’ensemble du processus y ayant
conduit 879 . Cette « procéduralisation » des décisions de santé, si elle peut s’avérer lourde,
mérite d’être saluée car, en suscitant le dialogue entre tous les intéressés, elle garantit une
meilleure évaluation des situations médicales délicates880.
Cette décision d’arrêt ou de limitation de traitement n’implique pas celle des soins,
parce que des soins palliatifs doivent toujours être délivrés. La décision de ne pas poursuivre
le traitement déjà entrepris peut parfois être mal comprise par la famille. Elle peut donner
874
Trois affaires américaines, fortement médiatisées, illustrent cette situation : la suspension de l’alimentation
suivie du décès, en mars 2005, de Terri Schiavo, et en 1990 de Nancy Cruzan après l’aval de la Cour suprême,
enfin la débranchement de l’appareil respiratoire de Karen Ann Quinlam en 1975.
875
Art. L. 1111-13 du Code de la santé publique.
876
La procédure vise le code de déontologie médical en son article 36. Force est de constater que le code de
déontologie ne prévoit aucune procédure collégiale. On peut penser cependant que le médecin demandera un
autre avis médical et consultera l’ensemble de son équipe.
877
Art. L. 1111-11 du Code de la santé publique. V. le décret en précisant les modalités d’application (D. n°
2006-119, 6 févr. 2006, JO 7 févr. 2006, p. 1973 ; JCP G 2006, act. 71.) La place de la personne de confiance et
celles des directives seront approfondies à l’occasion de l’étude sur le refus de soins par le patient.
878
Art. R. 4127-37. II du Code de la santé publique. Les directives anticipées prévalent sur l’avis de la personne
de confiance, qui lui-même prévaut sur tout autre avis non médical (art. L. 1111-12 CSP : « Lorsqu’une
personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave ou incurable, quelle qu’en soit la cause et hors
d’état d’exprimer sa volonté, a désigné une personne de confiance en application de l’article L. 1111-6, l’avis de
cette dernière, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives
anticipées, dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin ».).
879
L’article L. 1111-4 du Code de la santé publique reprend l’exigence de cette procédure, lors de la décision de
limitation ou d’arrêt de traitement susceptible de mettre la vie d’une personne inconsciente en danger.
880
En ce sens, v. l’intervention de J. Roland, président du Conseil national de l’Ordre des médecins, lors du
colloque « Droits des malades et fin de vie, La loi du 22 avril 2005 a un an », organisé le 3 avril 2006 à
l’Assemblée nationale par l’Espace éthique/AP-HP.
- 275 -
l’impression que le corps médical renonce à lutter contre le mal et accroître ainsi le sentiment
d’échec. C’est pourquoi les médecins doivent aussi avoir la sagesse de ne pas entreprendre
une thérapeutique qui n’apportera rien au malade. Il est moins douloureux d’avouer son
impuissance dès le départ que de faire naître un espoir pour finalement tout abandonner. En
toute situation, le médecin doit préserver la dignité du mourant. Chacun des articles de la loi
nouvelle rappelle cette formule. « Ce bégaiement systématique » est probablement destiné à
montrer l’importance du dispositif mis en place et emporter la conviction des personnes
concernées881. A ce titre, les travaux parlementaires ont également mis en avant qu’il fallait
veiller à ce que le mobile qui anime la décision d’arrêt des traitements déraisonnables reste
toujours fondé sur l’intérêt du malade, ou éventuellement de la famille. Il ne s’agit pas, en
effet, que la prise en compte de l’intérêt de la société et du coût des journées d’hospitalisation
pour la Sécurité sociale deviennent des motifs réels de décision882.
Cela nous amène à la remarque principale : pour le patient « passif », le médecin a la
décision finale et ce quel que soit le résultat de ses consultations, même si l’on peut penser
qu’elles l’influenceront nécessairement. En effet, pour être impérative, cette procédure
collégiale n’en reste pas moins de portée indicative : aucun des avis recueillis ne lie le
médecin, pas plus que celui de l’équipe soignante. Le médecin est donc au cœur de la décision
pour le patient et non ce dernier, même au travers d’une directive anticipée883. Les mots de la
loi ne trompent pas, ceux du décret organisant la procédure collégiale sont encore plus
explicites : malgré les consultations préalables imposées par la loi, la décision finale est prise
par le seul médecin en charge du patient. La loi a placé des adjuvants pour guider la décision
médicale mais n’a pas remis en question le principe de la liberté du médecin dans l’exercice
de ses compétences.
La consécration par la loi 884 , plus que par les autorités médicales ou le code de
déontologie, du refus de l’obstination déraisonnable était soulignée par la doctrine885. La
881
F. Vialla, Droits des malades en fin de vie, D. 2005, p. 1797.
En ce sens, Rapp. AN n° 1708, 30 juin 2004, audition A. Bénabent, TII, p. 690 ; V. I. Corpart, Nouvelle loi
sur la fin de vie : début d’un changement : Dr. famille 2005, chron. 6 ; E. Garraud, op. cit. .
883
On a pu ainsi dénoncer le caractère trompeur des dispositions sur les directives anticipées qui laisseraient
penser qu’elles sont obligatoires ; il faudrait y voir un mode de preuve à la disposition du médecin ayant besoin
d’établir la volonté du malade : v. A.-M. Leroyer, préc. RTD civ. 2005. 650.
884
L’abandon des traitements disproportionnés figurait déjà à l’article R. 4127-37 du Code de la santé publique :
« En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister
moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique ».
885
J. Pradel, préc..
882
- 276 -
force de la mesure de l’article L. 1110-5 alinéa 2 du Code de la santé publique est qu’elle
s’adresse au médecin. Il a le devoir et aussi le droit de ne pas faire d’obstination
déraisonnable. En tant que devoir, la solution retenue était largement établie. Son affirmation
par la loi a le mérite cependant de renforcer le droit pour le patient conscient en fin de vie de
refuser des soins devenus inutiles Mais elle est plus intéressante ou interrogatrice, c’est selon,
dans le sens où elle est un droit pour le médecin. On a dénoncé le paternalisme médical.
Récemment le droit du patient est devenu une préoccupation majeure du droit médical. A ce
titre, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades a surtout voulu rééquilibrer la
relation médecin/patient dans le sens du malade, affirmant et reconnaissant les droits de ce
dernier. En conséquence, le médecin apparaissait plus en retrait, parfois même il a pu être
considéré que le médecin était « au service » de son patient. La loi du 22 avril 2005 vient
redonner du pouvoir aux médecins. Un balancement en sens inverse, mais sans pour autant
marquer un retour en arrière, semble s’être opéré par la loi nouvelle, ce qui sera encore
confirmé par les dispositions sur le refus de soins. On reconnaît que le médecin est le mieux
placé pour apprécier la situation de fin de vie, mais aussi on lui en donne le pouvoir, la
décision. Plus encore, la loi nouvelle a donné au médecin le droit de « laisser mourir ». Certes,
la décision d’arrêt de soins est conditionnée et encadrée mais ce sont là des conditions pour
que le médecin soit protégé de toute poursuite pénale.
Il faut donc conclure que, dès lors que le malade ne devance pas le médecin en
manifestant son désir d’arrêt de soins, le pouvoir décisionnel du médecin retrouve son
ampleur d’antan, sauf à être entouré d’auxiliaires lorsque l’interlocuteur et collaborateur
direct du médecin, le patient, est inconscient886. On retrouve donc, certes amendée, la figure
paternaliste du médecin auquel le sort du malade est remis. Il semble que l’on ne puisse, en
droit médical, faire l’économie d’une conception de la médecine : paternaliste ou
autonomiste. Il semble que cela relève de la conjugaison de la conception française de la
médecine et de motivations pratiques. Un juste équilibre entre les deux théories, selon les
situations envisagées, nous apparaît justifié. Après le patient, le médecin, par son expérience
et ses compétences, semble plus à même à décider de la suite à donner aux soins.
L’affirmation du devoir de non-obstination déraisonnable et du droit de « laisser mourir » ne
886
L. Brunet, Le médecin et la mort/Le médecin et le mort : fin de vie et prélèvement d’organes, in Nouvelles
frontières de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin (sous la dir. de) F. Bellivier et C. Noiville,
Dalloz, 2006, p. 139, spéc. p. 147 à 149.
- 277 -
saurait cependant masquer les difficultés de mise en œuvre, même s’ils devraient avoir pour
conséquence la dépénalisation de certaines omissions médicales.
§II- Les conséquences du devoir de non-obstination déraisonnable
Une fois le principe affirmé, on ne peut que constater que la pratique est bien plus
malaisée. Quand peut-il être affirmé qu’un médecin s’est acharné ? Faut-il fixer des critères ?
Il existera nécessairement une certain flou, une frontière mal définie entre la volonté de tout
tenter au mieux et l’obstination déraisonnable. Cependant, lorsque l’obstination déraisonnable
sera avérée à la lumière de la situation médicale du patient887, le médecin pourrait voir sa
responsabilité engagée. Il s’agira d’être indulgent pour les médecins, ces derniers connaissant
des difficultés de mise en œuvre du principe (A). Mais, s’il a respecté le patient et admis les
limites de la médecine, le médecin qui arrête des traitements devenus inutiles ne devrait plus
craindre de voir sa responsabilité engagée (B).
A- Les difficultés de mise en oeuvre
L’appréciation du caractère déraisonnable des traitements peut s’appuyer sur
l’association des quatre éléments suivants :
-
l’inutilité médicale ;
-
la disproportion entre bénéfices et inconvénients pour le patient (on évoque souvent
aussi l’entourage, ce qui est plus discutable) ;
-
la création délibérée de situations très éprouvantes pour le patient ;
-
le caractère de situation limite d’une vie arrachée à la mort.
Si l’article 2 du code de déontologie médicale évoque le respect de la vie, il en appelle
aussi au respect de la personne. Il faut ainsi rechercher les bénéfices réels des interventions
pour la personne. Le critère est donc celui de la proportionnalité entre les moyens mis en
œuvre et leurs effets. De même, le code de déontologie, en son article 8 alinéa 3, pose le
principe de l’opportunité de l’acte thérapeutique. Le médecin doit tenir compte des avantages,
des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques
possibles. Il s’agit, au cas par cas, et selon l’évolution des choses, de discerner où sont l’utile
et l’inutile. Ainsi, une fois affirmée l’irréversibilité du processus de mort imminente, il
887
Ou que le médecin a agit contre la volonté de son patient, ce qui relève du problème du consentement à l’acte
médical.
- 278 -
paraîtra inutile de continuer les traitements en vue d’une amélioration impossible ou en vue de
lutter contre les maladies graves qui peuvent survenir. « Vaut-il la peine de procéder à une
opération bénigne sur un enfant qui, en raison de malformations cardiaques ou autres, a une
espérance de vie réduite, est paralysé complètement à partir de la taille, souffre de
convulsions sévères et aura besoin dans le temps qui lui reste à vivre d’une série d’opérations
douloureuses sans jamais pouvoir se développer sur le plan de la communication avec
l’extérieur ? »888. En ce sens, la SRLF présentait des recommandations sur les limitations et
arrêts de thérapeutique(s) active(s) en réanimation adulte889. Elle insistait notamment sur la
nécessité pour le médecin en chef de se déterminer en toute conscience et après la
consultation de son équipe médicale et écoute de son patient, à tout le moins de ses
proches890.
L’ambiguïté est ici latente. Mais elle n’est pas révélatrice de la difficulté. En effet, lorsque le
médecin « s’acharne », ne parlerons-nous pas d’acharnement thérapeutique si ses efforts
n’aboutissent pas ? Au contraire n’évoquerons nous pas la prouesse médicale le
professionnalisme, mais aussi le miracle lorsque l’entreprise réussie ? Dans bien des cas, c’est
seulement a posteriori que l’on sait ce que l’on aurait dû faire. Il ne faut pas oublier que de
nombreuses avancées médicales se sont produites parce que des médecins ont été audacieux et
téméraires. Et, au moment de leurs prises de décisions, leurs confrères n’ont-ils pas crié à
l’acharnement ?
Comme l’écrit le professeur Jean Pradel, «la prudence est cependant la règle car "tout progrès
thérapeutique résulte d’un acharnement thérapeutique"»891, et l’on peut citer des cas –certes
fort rare – où, contre toute attente la persistance de soins apparemment déraisonnables a été
888
Commission de réforme in Droit in Canada, Euthanasie, aide au suicide et interrogation de traitement, 1982,
p. 15.
889
Publication du texte et présentation au congrès de la SRLF, disponible sur leur site internet.
890
Par un avis n° 65, réflexions éthiques autour de la réanimation néonatale du 25 septembre 2000, le CCNE se
prononçait sur le cas particulier des prématurés. Il choisissait pour les enfants dont l’espoir d’une vie n’était que
d’une courte durée ou d’une qualité très faible du fait des handicaps prévisibles que la réanimation ne devait pas
être engagée ou devait être stoppée. Si l’enfant devait poursuivre sa vie sans aide des machines dans les mêmes
hypothèses, la médecine devrait reconnaître sa responsabilité du fait de son manque d’investissement avant
l’accouchement, ainsi que les pouvoirs publics, compte tenu du fait du faible accueil des enfants handicapés dans
notre société. Mais surtout, la comité se prononçait clairement pour l’euthanasie fondant sa décision sur la future
qualité de vie de l’enfant et celle de ses parents. En conséquence, le comité laissait ces derniers entièrement
responsables de la décision concernant leur enfant. Si la position du comité est classique, même si elle est
adaptée à ce cas particulier en ce qui concerne l’acharnement thérapeutique, l’avis du CCNE sur l’euthanasie
(sans le dire) est pour le moins étonnant ! il sera étudié de manière plus approfondie en seconde partie.
Le Groupe francophone de Réanimation et Urgences pédiatriques, le GFRUP, exposait : « Réanimer sans
conscience que la suppléance artificielle d’organes défaillants doit se limiter, voire s’arrêter, quand les espoirs
d’une vie humainement décente ou supportable par l’enfant et son entourage deviennent vains n’est que ruine de
la médecine. Tel est l’enjeu majeur et angoissant auquel doit faire face la réanimation pédiatrique ».
http://www.gfrup.com
891
Ass. nat. préc. p. 70, 2e col.
- 279 -
suivie de guérison892. Car un traitement initialement considéré comme inutile peut s’avérer
efficace. De tout cela, « il résulte que l’obstination déraisonnable "est affaire d’espèce, de
frontière aux fondements fragiles et instables et d’appréciation individuelle …". […] Cette
obstination déraisonnable est un peu la conviction profonde des médecins et plus
généralement de l’équipe soignante que tout espoir d’amélioration s’est évanoui. La
conviction profonde est pour le médecin ce qu’est l’intime conviction pour le juge »893.
Le spectre de l’euthanasie apparaît également. En effet, la combinaison entre l’arrêt
possible de traitement, décision prise par le médecin, rappelons-e, et la possibilité d’un
traitement avec double effet, c’est-à-dire de soulager la douleur mais aussi pouvant avoir pour
conséquence d’abréger la vie, pourrait conduire à une euthanasie cachée, notamment pour les
malades inconscients894. Il y aura des situations limites, toutes sans doute. La peur de l’excès
dans un sens ou dans l’autre peut conduire à l’euthanasie. Cependant l’immobilisme ne
mènerait à rien. Dans l’état de notre droit, il appartiendra aux juges de mettre en évidence les
excès possibles. Mais il apparaît déjà que l’arrêt de traitement, de tous les traitements, même
l’alimentation, conjugué à la possibilité du double effet et du refus de soins, fait que le débat
sur l’euthanasie est largement avancé. Il ne reste en ce sens plus qu’un pas, celui de
l’admission, ce que beaucoup rejettent, de donner la mort de façon directe. En tous les cas, la
loi a déjà opéré un changement important d’un point de vue pénal puisque, si le médecin
respecte désormais les nouvelles procédures, il ne devrait plus voir sa responsabilité engagée.
B- Les aspects pénaux
La justification de l’activité médicale, la permission donnée par la loi au médecin de
porter atteinte au corps repose sur la nécessité médicale. Normalement, le droit pénal
condamne toute atteinte à l’intégrité physique de la personne. Cependant le médecin est
justifié dans son atteinte à l’intégrité physique si son acte est justifié par une nécessité
médicale. Dès lors, l’acte médical qui n’est pas utile à la personne du soigné et qui ne présente
pas de nécessité médicale ne répond plus à la condition légale, laquelle autorise l’acte du
892
Cas de ce patient de 22 ans qui, après avoir eu les membres inférieurs écrasés dans une usine de traitement de
déchets et subi une double amputation suivie d’une gangrène gazeuse massive, a été l’objet de 56 pansements
sous anesthésie générale et de 60 séances de caisson hyperbare, s’est marié et a eu deux enfants ; intervention de
P. Vitel, idem, p. 62, 2e col. D’autres exemples sont cités dans ces séances .V. not. p. 70, 1er col..
893
J. Pradel. Préc..
894
D. Bailleul, Le droit de mourir au nom de la dignité humaine. A propos de la loi relative aux droits des
malades et à la fin de vie, JCP G 2005, I 142, n° 12.
- 280 -
médecin et le justifie. En conséquence, il apparaît qu’il faille considérer cet acte comme
illicite. Le médecin qui cherche à trop soigner est donc susceptible de voir sa responsabilité
engagée. Mais la question fondamentale est de savoir quand le médecin soigne trop ?
Dès avant la loi, d’aucun avait posé des cas concrets. « Le problème de l’acharnement
thérapeutique renvoie donc à la question fondamentale de la finalité thérapeutique qui, dans
son essence, doit toujours être orienté vers et pour le bien de la personne. Quand le traitement
devient une fin en soi, l’être humain ne peut être que lésé, parce qu’il est alors finalement
ignoré. »895. L’obstination déraisonnable est un dépassement de la fonction du médecin. Les
médecins ne sont que les serviteurs de la vie et non les pourfendeurs de la mort. « La tâche du
médecin n’est pas de maintenir la vie à tout prix ; elle n’est pas d’empêcher la mort naturelle ;
elle est seulement de prévenir et d’éviter la mort pathologique survenant avant l’heure »896.
Mais la difficulté est évidemment pratique : le médecin, pour éviter toutes poursuites et
notamment pénales, va devoir atteindre une certitude maximale dans le diagnostic de
l’inutilité médicale du traitement897 ou au contraire de son utilité. Cette hypothèse perdura
malgré la loi nouvelle. Dans le premier cas, le médecin pourrait se voir reprocher une
abstention coupable, une omission de porter secours à personne en péril898. Au contraire, dans
le second, l’obstination déraisonnable est susceptible alors d’une qualification pénale
classique en fonction de la gravité des atteintes accomplies. L’obstination déraisonnable entre
logiquement dans la définition des violences volontaires contre les personnes particulièrement
vulnérables en raison d’une maladie899.
La seconde difficulté est le risque, lorsqu’un traitement est engagé, de décider de
l’arrêter. Peut-on retenir une qualification pénale d’homicide volontaire à l’égard du médecin
qui cesse de traiter médicalement un patient ?
« Selon la doctrine ordinairement soutenue, il n’y a de meurtre que si la mort de la victime
peut être imputée à un acte positif accompli par le coupable »900. Or le médecin qui s’abstient
d’entreprendre ou de continuer des soins inutiles n’accomplit pas a priori d’actions mortelles
positives. « N’est-ce pas le médecin qui tue en coupant le circuit de réanimation ? La science
895
J.-L. Baudouin et D. Blondeau, Ethique de la mort et droit de la mort, PUF, 1993, p. 89.
J. Hamburger, Progrès de la médecine et responsabilités du médecin, in Congrès international de morale
médicale, Paris, ONM, 1966, vol. 1, p. 299.
897
Merle et Vitu, Droit pénal spécial, Cujas, 1982, n° 1808, p. 1465.
898
Art. 223-6 du code pénal.
899
Art. 222-12, 2e du code pénal, ITT de plus de huit jours ; art. 222-13, 2e du même code, ITTde moins de huit
jours.
900
Merle et Vitu, Droit pénal spécial, Cujas, 1982, n° 1703, p. 1367.
896
- 281 -
juridique est, dans sa terminologie du moins, une science exacte. Constater la mort n’est pas
tuer.[…] Sans les techniques de réanimations et les soins médicaux très attentifs, tout serait
consommé par la mort et la corruption. Ces soins empêchent la corruption de certains organes
et les maintient en activité mécanique ou physique. Ne pas poursuivre des soins inutiles ne
fait que renvoyer le moribond à sa mort naturelle.»901. Dès lors, le fait pour le médecin de
cesser les soins du patient ne saurait s’analyser en un homicide involontaire.
En ce sens, on ne saurait confondre euthanasie et non acharnement thérapeutique, la
première impliquant un acte de précipitation de la mort, la seconde étant la simple prise de
conscience d’une mort déjà présente et qui est retardée par les progrès médicaux. Cependant
la limite est parfois extrêmement ténue entre maintien en vie artificielle et soins, ou entre fin
d’acharnement et euthanasie902. C’est pourquoi certains auteurs estiment que l’interruption
volontaire de la réanimation artificielle maintenant en vie une personne en état de vie
végétative est susceptible d’être qualifié d’homicide volontaire 903 . La question était alors
posée : faut-il admettre alors que si le médecin décide de brancher un patient à un quelconque
appareil, il n’a plus alors la possibilité de le débrancher, bien que sa vie ne tienne qu’à cette
machine ? Ne prend t-on pas alors le risque que le médecin ne soigne pas le patient refuse de
s’obstiner de peur de s’acharner, parce qu’il risque ensuite d’euthanasier ?
Comme l’explique Patrick Vespieren, « on essaie de soigner au mieux, de répondre aux
besoins prioritaires du malade, en évitant ce qui serait inutile ou disproportionné. Le malade
mourra s’il est en phase terminale de sa maladie. Mais on pourra se dire qu’on aura essayé de
l’aider au mieux vivre les derniers jours de sa vie. Qualifier cela d’euthanasie n’a aucun
fondement » 904 . Le refus de s’acharner n’est pas la volonté de tuer. En ce sens, les trois
grandes religions monothéistes acceptent elles-aussi l’arrêt de traitements905. Dans le même
901
E. Bertrand, Etats frontières entre la vie et la mort, Colloque Marseille, octobre 1965, Marseille chirurgical,
1966, p. 174.
902
Crim., 19 févr. 1997, JCP-G 1997, 22889, p. 354, note J-Y Chevalier ; D. 1998, juris. p. 236, note B. Legros.
En l’espèce , un médecin était poursuivi pour ne pas avoir donné de soins à une patiente arrivée aux urgences.
Les commentateurs de cet arrêt ses ont été étonnés que la qualification retenue ait été celle de l’homicide
involontaire alors qu’à la lumière des faits, celle de l’homicide volontaire aurait pu être retenue. Cette espèce est
une illustration intéressante d’une décision entre refus d’acharnement, refus de soins et euthanasie, notamment
parce qu’il a été estimé que, malgré des soins prodigués, la patiente serait selon toute vraisemblance décédée. Ce
qui expliquerait l’indulgence des magistrats. Cette décision sera plus amplement développée en seconde partie de
cet ouvrage.
903
M. Puech, qui assimile à l’euthanasie, l’orthonasie et la dysthanasie, Droit pénal général, Litec, 1988, n°
834, p. 297.
904
P. Vespieren, Peut-on simultanément refuser l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie ?, Rev. éth., 1993,
n° 6-7, p. 28.
905
Par exemple, Jean-Paul II déclarait « Dans l’imminence d’une mort inévitable malgré les moyens employés, il
est permis en conscience de prendre la décision de renoncer à des traitements qui ne procuraient qu’un sursis
- 282 -
sens, le comité national d’éthique, dans son avis n° 63 fin de vie, arrêt de vie, euthanasie du
27 janvier 2000, exposait : « On ne cachera pas que, dans ces divers cas, la décision médicale
de ne pas entreprendre une réanimation, de ne pas la prolonger ou de mettre en œuvre une
sédation profonde – que certains qualifient parfois d’euthanasie passive – peut avancer le
moment de la mort. Il ne s’agit pas d’un arrêt délibéré de la vie mais d’admettre que la mort
qui survient est la conséquence de la maladie ou de certaines décisions thérapeutiques qu’elle
a pu imposer. En fait, ces situations de limitations des soins s’inscrivent dans le cadre du refus
de l’acharnement thérapeutique et ne sauraient être condamnées au plan de l’éthique »906. La
difficulté matérielle sera pour les praticiens et peut être la justice de dissocier d’un même acte
– le débranchement d’un appareil – l’arrêt de soins inutiles ou l’acte positif de tuer qui
pourraient parfois se produire. Il s’agira d’appréhender l’intention dans l’acte du médecin.
Mais le maintien artificiel d’une vie par les progrès techniques sans espérance de
guérison ou d’amélioration de l’état du patient et qui n’aura que l’efficacité de poursuivre
une moitié de vie ne saurait être toléré. Prendre conscience d’arrêter tout acte nous semble
relever du respect dû à la personne et à sa dignité. Cette conclusion est celle qui a été fort
justement retenue par la loi nouvelle permettant aux médecins de mettre fin à un traitement
et non seulement de ne pas le mettre en œuvre. Devant le patient inconscient, la loi permet
d’éviter la condamnation du médecin qui aurait décidé d’arrêter une réanimation, à la
condition toutefois qu’il respecte les conditions formelles imposées907. Elle a cependant été
plus loin en permettant l’arrêt de tout traitement, c’est-à-dire même les soins dits ordinaires tel
que l’alimentation. En cela, il n’est pas certain que la loi nouvelle fasse l’unanimité, le patient
pouvant alors se trouver dans une situation de douleur et de détresse important et pouvant
simplement décéder de faim908. La loi laisse en effet le médecin libre d’apprécier s’il doit ou
non utiliser les traitements palliatifs, dont l’effet secondaire pourrait être d’abréger la vie.
précaire et pénible, sans interrompre pourtant les soins normaux dus au malade en pareil cas » à l’Académie
pontificale des sciences, 21 octobre 1985, in L’éthique médicale ans l’enseignement des papes, Ed. Solesmes,
1987, p. 246.
906
L’avis est disponible sur le site du C.C.N.E..
907
Le recours à une décision collégiale est en effet impératif. Il nécessite une décision prise par le médecin en
charge du patient après consultation de son équipe et suivi de l’avis d’un autre médecin consultant (V. D. n°
2006-120, 6 févr. 2006 : J.O. 7 févr. 2006, p. 1974 ; JCP G 2006, act. 72.) Le non respect de cette exigence
pourrait exposer à nouveau le praticien à des poursuites pénales fondées soit sur le délaissement de personne
hors d’état de se protéger prévu par l’article 223-3 du Code pénal ou sur la non-assistance à personne en danger
de l’article 223-6 du Code pénal.
908
En ce sens, on se souviendra du débat houleux ayant eu lieu aux Etats-Unis relativement à deux affaires. La
première relativement ancienne : l’affaire dite Karen Ann Quilan en 1976, qui a inspiré la législation américaine
sur les testaments de vie. En l’espèce, cette jeune fille plongée, le 14 avril 1975, dans un coma profond fut
maintenue en vie par un respirateur artificiel durant plus d’un an. Ses parents, après consultation des autorités
- 283 -
Ne pas s’engager dans des soins inutiles mais ne pas abandonner le malade, tel est
l’obligation légale et éthique du médecin. « Dès lors qu’un espoir de mieux-être n’existe plus,
que les traitements de réanimation s’avèrent inefficaces, il est licite de mettre fin à ce que
d’aucuns appellent l’acharnement thérapeutique. Les traitements dits extraordinaires peuvent
cesser, mais les traitements dits ordinaires, soins d’entretien, mesures d’assistance et de
confort, doivent continuer. Leur terme sera celui de la vie, quelque diminué qu’elle
soit »909exposait classiquement la doctrine. Nonobstant donc, le médecin redoutera toujours
l’illégalité de son acte910. Il n’est donc pas certain que l’application de cette loi se fasse dans
la plus grande transparence. En ce sens, le rapport « Respecter la vie, Accepter la mort »
soulignait la nécessité « qu’une information réciproque des professionnels de santé et des
magistrats sur les droits et obligations de chacun soit mise en place »911.
En conclusion, il ne faut pas engager des moyens lourds pour le patient pour un profit
médiocre. Il nous apparaît nécessaire de consacrer, comme le fait la loi nouvelle, la qualité
de la vie sur la quantité : mieux vaux assurer un confort de vie qui vaille la peine d’être vécu
que de survivre plus longtemps dans d’affreuses conditions. Il faut dépasser le soin du corps
pour privilégier la vie de la personne. L’article L. 1110-5 al 2 poursuivant dans cette voie
renvoie aux dispositions de l’article L. 1110-10 du code de la santé publique relatif aux soins
palliatifs. Le médecin ne doit pas abandonner son patient mais doit le diriger vers des soins
palliatifs, qui deviendront pour lui comme un réflexe. « L’acharnement thérapeutique oblige
donc au constat d’une triste réalité : la réduction de la mort à un simple acte de défaillance
biologique irréversible. Détachée de la vie, amputée de son sens par objectivation, la mort se
présente alors comme un état strictement biologique et la morbidité comme un moment que
l’on peut prolonger à outrance. Cette négation de la mort signe également la négation de la vie
religieuses, sollicitèrent l’arrêt de la réanimation devenue sans espoir. Devant le refus des médecins, ils portèrent
l’affaire en justice et obtinrent gain de cause par l’arrêt de la Cour suprême de l’Etat du New Jersey du 31 mars
1976. S’inclinant devant ces injonctions, les médecins, le 22 mai suivant, arrêtèrent le processus de réanimation.
A la surprise générale, Karen continua de respirer seule. Un second problème se pose alors : fallait-il continuer à
l’alimenter ? Il fut décider que oui, dans la mesure où la survie n’était pas elle-même artificielle. Karen survécut
dix ans et mourut le 13 juin 1986. Cette question était à nouveau posée par l’affaire Terry Schiaivo qui opposait
cette fois les médecins et le fiancé de la jeune femme au reste de la famille, les premiers désirant mettre un terme
à la survie artificielle de la jeune femme, dans le coma depuis de nombreuses années. La justice les autorisa à
débrancher tous les appareils et notamment celui de l’alimentation artificielle. La patiente était donc sensée
décéder de faim dans les cinq jours. Elle mourut trois jours plus tard, vraisemblablement aidée médicalement.
909
G. Memeteau, Le droit médical, Litec, 1985, n° 481, p. 321.
910
Le médecin craindra, comme auparavant lorsqu’il cessait de prodiguer un traitement désormais inutile, d’être
poursuivi pénalement pour non-assistance à personne en danger (C. pén. art. 223-6) ou délaissement de personne
hors d’état de se protéger (C. pén, art. 221-6).
911
Rapport préc. , p. 158.
- 284 -
et la négation de l’être humain. Quand ce dernier est à ce point bafoué, il est prévisible qu’il
se révolte. La dignité humaine ne se contente pas de demi-mesure : elle est ou bien elle n’est
pas ! »912. Au lieu de s’acharner, le médecin peut soulager, accompagner, épauler celui qui va
mourir en accomplissant des actes indirectement utiles qui vont améliorer la qualité de sa vie
et celle de sa mort. Le médecin devra dépasser les limites de la médecine curative pour entrer
dans la voie de la médecine palliative.
SECTION II - LA PROPOSITION DE SOINS PALLIATIFS
Une règle d’or de l’activité médicale est affirmée sous l’appellation de la règle de la
raison proportionnée, et les juristes de droit de la santé l’ont empruntée à la théologie morale.
Les auteurs la présentent comme la recherche de l’équilibre nécessaire entre le bienfait espéré
et le mal causé913. S’il n’existe plus d’utilité à l’activité médicale lorsque le médecin sait que
le pronostic fatal est inéluctable, doit-il pour autant s’abstenir d’intervenir médicalement ? Le
médecin est-il réduit à cette alternative : guérir ou s’abstenir ?
Les soins palliatifs ouvrent une troisième option permettant une action médicale utile. Ils sont
« tout ce qu’il reste à faire lorsqu’il n’y a plus rien à faire » 914 . La médecine palliative
préconise, au lieu de l’obstination déraisonnable et à la place de l’abstention médicale, une
action médicale différente. « L’avènement des soins palliatifs annonce un changement
d’attitudes à l’égard de la mort par la reconnaissance qu’ils font de l’inéluctabilité de la mort
et de sa prise en charge […]. En d’autres mots, l’avènement des soins palliatifs incarne, d’une
part, la lucide soumission à l’ordre des choses et, d’autre part, un souci de solidarité envers le
sort des êtres humains »915. Faire le choix des soins palliatifs, c’est accepter les limites de la
médecine technique, comprendre que la science ne peut pas tout, ou que le temps a fait son
œuvre et que la mort vient. La reconnaissance du caractère fondamental des soins palliatifs est
aujourd’hui unanimement reconnu. Pourtant, le développement des soins palliatifs n’a pas et
n’est toujours pas aisé (§I), leur mise en œuvre nécessitant d’ailleurs un investissement
financier et humain important (§II).
912
J.-L. Baudouin et D. Blondeau, Ethique de la mort et droit à la mort, P.U.F., Coll. Les voies du droit, 1993,
p. 91.
913
R et J. Savatier, J.-M. Auby, H. Péquinot, Traité de droit médical, Litec, 1956, n° 274 ; J.-M. Auby, Le droit
de la santé, p. 448.
914
Définition de Marie-Thérèse Vannier, Docteur en médecine exerçant au Saint Christopher’s Hospice de
Londres.
915
J.-L. Baudouin et D. Blondeau, Ethique de la mort et droit à la mort, P.U.F., Coll. Les voies du droit, 1993, p.
105-106.
- 285 -
§I- Le développement des soins palliatifs ou la prise en compte de la douleur
Les soins palliatifs ont connu un développement très lent en France. Non pas que ces
derniers fussent ignorés des médecins mais ils n’étaient pas, en soi, une priorité. Plus
simplement, ils n’appartenaient pas à notre conception, notre histoire médicale. La prise de
conscience fut progressive, relayée par le débat sur l’euthanasie (A). Chacun admet
aujourd’hui la nécessité de calmer la douleur des patients, qu’ils soient ou non en fin de vie.
Cette nouvelle vision des soins palliatifs mérite qu’il soit mis fin à quelques oppositions
stériles (B).
A- La lente ascension des soins palliatifs
Les soins palliatifs ont pris naissance en Grande-Bretagne dans les années qui ont
suivi la seconde guerre mondiale. Sous l’impulsion de Cicely Saunders916 était fondé le Saint
Christopher’s Hospice à Londres en 1967. Les années soixante sont marquées également par
les écrits de Kubler-Ross sur la psychologie du mourant et de sa famille. Le succès rencontré
par le Saint Christopher’s devait déclencher toute une série d’initiatives que l’on regroupe
sous le terme « mouvement des hospices ».
Chantal Couvreur 917 définit le concept de soins palliatifs comme une philosophie en cinq
points :
-
1. Mourir est un phénomène normal de la vie ;
-
2. Pallier les symptômes perturbant le stade terminal de la maladie est un but du
traitement ;
-
3. L’unité de soins est constituée par le patient et son entourage (parents, voisins) ;
-
4. Le soutien à la famille et aux survivants durant le deuil fait partie de la tâche des
soins palliatifs ;
-
5. Une équipe pluridisciplinaire incluant les professionnels de la santé et volontaires
est la plus apte à appliquer ce type de soins.
L’expression « soins palliatifs » fut employée pour la première fois par Monsieur Balfour
Mount, professeur de médecine, pour dénommer le service qu’il créa au Royal Victoria
Hospital de Montréal918. Cette formule fut reprise et consacrée par l’usage.
916
917
Cicely Saunders fut tout d’abord infirmière avant de devenir médecin.
C. Couvreur, « Les soins palliatifs », in Encyclopédie de santé publique, MEDSI McGraw-Hill, 1989, p. 22.
- 286 -
Le développement des soins palliatifs en France919 résulte surtout d’un engagement du
corps social, alors que ces derniers avaient déjà fait toutes leurs preuves dans les pays anglosaxons. Malgré le rapport de Claude Veil qui, en 1973, pose clairement la problématique de
l’accompagnement des personnes en fin de vie, il faudra attendre la mise en place du groupe
de travail de Geneviève Laroque en 1984 pour que l’accompagnement et les soins palliatifs
prennent officiellement place dans le système de soins français. Sous le ministère de la Santé
de Michelle Barzach fut publié, le 26 août 1986, la circulaire Laroque relative à l’organisation
des soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale.
Cette circulaire définit ainsi l’accompagnement et les soins palliatifs : « Les soins
d’accompagnement, parfois appelés soins palliatifs, visent à répondre aux besoins spécifiques
des personnes parvenues au terme de leur existence. Ils comprennent un ensemble de
techniques de prévention et de lutte contre la douleur, de prise en charge psychologique du
malade et de sa famille, de prise en considération de leurs problèmes individuels, sociaux et
spirituels. L’accompagnement des mourants suppose donc une attitude d’écoute, de
disponibilité, une mission menée en commun par toute l’équipe intervenant auprès du malade.
Il s’agit d’apaiser les douleurs et l’angoisse, d’apporter le plus possible de confort et de
réconfort à celui qui va mourir, d’accueillir et d’entourer la famille pendant cette période
difficile, et même plus tard dans son deuil ». Cette définition marque bien la globalité du
travail que constituent les soins palliatifs tant vis-à-vis du patient que de sa famille, même au
delà de la mort. Elle met l’accent sur la nécessité d’un travail d’équipe et notamment le rôle
toujours présent du médecin, même lorsqu’il ne s’agit plus de guérir. Cependant elle présente
le défaut d’opposer les soins palliatifs aux soins curatifs.
Une nouvelle définition était proposée par la Société française d’accompagnement et
de soins palliatifs, et elle est souvent reprise encore aujourd’hui : « Les soins palliatifs sont
des soins actifs dans une approche globale de la personne en phase terminale ou évoluée
d’une maladie potentiellement mortelle ; prendre en compte et aider à soulager les douleurs
physiques ainsi que la souffrance psychologique, sociale et spirituelle devient alors
primordiale. Les soins palliatifs et l’accompagnement sont multidisciplinaires dans leur
démarche, ils s’adressent au malade en tant que personne humaine et, autour de lui à sa
918
Les Britanniques avaient déjà créé de telles unités mais dans les hospices ; les soins palliatifs étaient alors
réservés aux services de gériatrie.
919
Il existe désormais une journée mondiale des soins palliatifs, le 7 octobre. V. par exemple, La voix du nord,
7octobre 2006, Quand il n’y a plus d’espoir, l’humanité des soins palliatifs, p. 16.
- 287 -
famille et à sa communauté, que ce soit à son domicile ou en institution. La formation et le
soutien des soignants font partie intégrante de la démarche de soins palliatifs. Les soins
palliatifs et l’accompagnement considèrent le malade comme un vivant et sa mort comme un
processus normal, ils ne traitent ni ne retardent le décès. Leur but est de préserver la meilleure
qualité de vie possible jusqu’à la mort ». Elle a l’avantage de présenter les soins palliatifs
comme des soins actifs et le mérite de rappeler le caractère naturel de la mort et de parler de
vivants au lieu de mourants. Cette définition fut précisée par le Docteur Maurice Abiven. Il
désigne le terme palliatif comme une thérapeutique n’ayant pas pour finalité de guérir le
malade, prérogative réservée aux soins curatifs, mais de soulager ses symptômes et ses
souffrances psychologiques. Il se déclare favorable à l’emploi de l’expression « soins
palliatifs terminaux » afin de souligner le contexte particulier qui les distingue du fait, que
pendant des siècles, la médecine n’a été que palliative et ce n’est, selon lui, que depuis
cinquante ans qu’elle est devenue curative920.
Cinq ans après la circulaire Laroque, le docteur Henri Delbecque était chargé d’un rapport sur
l’accompagnement et les soins palliatifs921. Il s’efforça de mettre en valeur la globalité des
soins palliatifs qui se doivent de prendre en considération « les soins du corps, du confort, des
autres symptômes pénibles, humiliants et angoissants » que le malade éprouve au quotidien.
Les soins palliatifs terminaux apparaissent donc comme le soin permettant aux patient en fin
de vie de mieux vivre ses derniers instants ; ils permettent d’humaniser la mort.
Nouvelle mission de l’hôpital depuis 1991, les soins palliatifs vont doucement entrer
dans le droit français. L’enseignement de l’accompagnement et des soins palliatifs sera inscrit
dans le programme de formation des paramédicaux en 1992. Cet enseignement deviendra
obligatoire dans le cursus de formation des médecins en 1997. La loi du 4 février 1995 fait
obligation aux professionnels de santé de prendre en charge la douleur des patients et le code
de la déontologie médicale, cette même année, inscrit le soulagement de la douleur parmi les
devoirs du médecin. L’article 37 du code de déontologie fait obligation au médecin de
« s’efforcer de soulager les souffrances de son malade » ainsi que d’ « éviter toute obstination
déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique ». L’article 38, tout en rappelant
920
M. Abiven, ancien chef de service de l’unité des soins palliatifs dont il fut le créateur à l’hôpital international
de la cité universitaire de Paris en 1987, président d’honneur de la société française d’accompagnement et des
soins palliatifs. Entretien de M. Abiven accordé à Agnès Guy, Revue panoramique, p. 58.
921
H. Delbècque, rapport Les soins palliatifs et l’accompagnement des malades en fin de vie, Paris, ministère de
la santé et de l’action humanitaire, 1993. Ce rapport était commandé par Claude Evin, alors ministre de la santé.
La loi hospitalière du 31 juillet 1991 faisait expressément référence aux soins palliatifs en les considérant comme
une des missions générales du service public hospitalier, et non comme une spécialité limitée à un petit nombre
d’hôpitaux.
- 288 -
l’interdiction de provoquer délibérément la mort (al 2) fait obligation au médecin
d’ « accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments » et d’ « assurer par des soins et
mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin » (al. 1).
En 1998, une circulaire met en place un plan triennal de développement des soins palliatifs.
Enfin, à l’initiative du sénateur Lucien Neuwirth, la France, en 1999, se dotait d’une loi
relative aux soins palliatifs 922 . Cette loi accordait à tous « un droit d’accéder à des soins
palliatifs et à un accompagnement » 923 . Cette loi marque l’aboutissement de la prise en
compte des soins palliatifs en France. Cependant elle n’est qu’un commencement, en ce sens
que c’est l’état d’esprit des soins palliatifs qui doit se développer. Pour cela, la principale
difficulté réside dans les moyens investis dans ces soins.
La loi du 9 juin 1999 a défini les soins palliatifs comme « des soins actifs et continus
pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la
douleur, à apaiser la souffrance physique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à
soutenir son entourage »924. Elle a favorisé l’organisation des soins palliatifs autour de trois
axes :
-
1. Les droits des personnes malades : toute personne malade qui le requiert a le droit
d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement.
-
2. La mise en place des soins palliatifs dans les établissements publics et privés suivent un
schéma régional d’organisation sanitaire qui fixera les objectifs et déterminera les moyens
nécessaires pour la mise en place des unités de soins palliatifs, les équipes mobiles et les
places d’hospitalisation à domicile nécessaires.
-
3. La création d’un congé pour accompagnement d’une personne en fin de vie :
-
tout salarié dont un ascendant, un descendant ou une personne partageant son
domicile fait l’objet de soins palliatifs a désormais le droit de bénéficier d ‘un
congé d’accompagnement de la personne en fin de vie, d’une durée maximum de
trois mois. Il peut, avec l’accord de son employeur, transformer ce congé en
activité à temps partiel.
-
Les fonctionnaires ont droit à un congé (non rémunéré) de trois mois maximum
non imputable sur le congé annuel.
922
Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, J.O., 10 juin 1999.
C. santé publ., art. L. 1110-9.
924
Anc. art. L. 1, A de la loi du 9 juin 1999, art. L. 1111-10 du code de la santé publique.
923
- 289 -
Cette loi était accompagnée d’un plan de développement des soins palliatifs couvrant la
période 1999-2001. Son objet principal était de développer la culture des soins palliatifs à la
fois chez les professionnels de santé et dans le public. Ses principaux axes ont été de recenser
et majorer l’offre des soins palliatifs, développer la formation professionnelle ainsi que
l’accompagnement à domicile. Un module « Douleur, soins palliatifs et accompagnement »
est désormais organisé dans le cadre du deuxième cycle des études médicales.
Un nouveau plan est mis en place pour la période 2002-2005925 et reconduit pour cinq
années supplémentaires. Trois priorités sont particulièrement soulignées :
-
l’offre de soins,
-
l’amélioration des pratiques professionnelles,
-
la sensibilisation et l’information de l’ensemble de la société.
La loi du 4 mars 2002 proclame que « toute personne a le droit de recevoir des soins
visant à soulager sa douleur Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise
en compte et traitée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur
disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort »926. Elle rappelle ainsi les
efforts à fournir pour soulager la douleur. La France répondait ainsi aux objectifs posés par le
Conseil de l’Europe. Dès 1976, le conseil se déclarait « convaincu que les malades mourants
tiennent avant tout à mourir dans la paix et la dignité, si possible avec le réconfort et le
soutien de leur famille et de leurs amis […] La prolongation de la vie ne doit pas être en soi le
but exclusif de la pratique médicale, qui doit viser avant tout à soulager les souffrances ». Le
25 juin 1999, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté une recommandation
intitulée « Protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des
mourants ». Cette recommandation, adressée au Conseil de ministres de l’Europe, les invite à
assurer dans les Etats membres :
-
le développement des soins palliatifs ;
-
le respect des instructions ou de la déclaration formelle - « Living will » - rejetant
certains traitements médicaux données ou faites par avance ;
-
rejeter l’euthanasie.
Sous ces aspects théoriques, les soins palliatifs font écho à des difficultés plus pratiques.
925
J.-F. Mattéi, allocution d’ouverture du colloque « Pratiques innovantes, besoins en soins palliatifs et
accompagnement : expériences européennes et canadiennes », Paris, Forum des halles, 17 déc. 2002, disponible
sur le site internet www.sante.gouv.fr
926
C. santé publ., art. L.. 1110-5, al. 3.
- 290 -
B- Les oppositions stériles
Les soins palliatifs comme beaucoup d’autres domaines n’échappent pas à certaines
idées reçues. La première est qu’ils s’opposeraient aux soins curatifs (1), la seconde est qu’ils
mettraient notamment fin au débat sur l’euthanasie (2).
1- Soins palliatifs et soins curatifs
Les soins palliatifs visent à diminuer ou à supprimer les symptômes d’une maladie
lorsqu’il est permis d’affirmer que les diverses thérapeutiques possibles à visée curative sont
devenues raisonnablement inefficaces pour obtenir la guérison de l’affection en cause. En ce
sens, on a l’impression que les soins palliatifs s’opposent aux soins curatifs qui visent à guérir
le patient. Dès lors que tout espoir raisonnable de guérison a disparu, les soins curatifs doivent
être abandonnés au profit des soins palliatifs. Cette présentation classique se comprend par les
différences de ces deux types de soins927. En effet, on souligne les différences d’objectifs
entre les soins palliatifs, qui visent à entretenir une certaine qualité de vie, et les soins curatifs,
qui s’attachent à la quantité, la durée de vie. Les soins palliatifs, même s’ils présentent une
certaine technicité, reposent essentiellement sur une relation psycho-sociale établie entre le
patient, les proches et le personnel soignant dans sa globalité. Les soins curatifs se fondent,
eux, principalement sur un aspect technique, même si l’élément psychologique n’en est pas
écarté. La différence principale repose sans nul doute sur l’approche de la mort. Si celle-ci
représente un échec de la science face à la maladie dans les soins curatifs, elle apparaît
comme un aboutissement normal de la vie à laquelle le patient, le médecin et le personnel
médical, enfin les proches sont préparés.
Mais cette vision des soins palliatifs est trop étriquée. Le rapport Delbecque faisait
ressortir le désir des soignants français de considérer que l’accompagnement et les soins
palliatifs font partie intégrante des soins médicaux, refusant le développement des structures
spécialisées. Cela répond certes à un souci économique mais aussi parce que toute personne
peut, selon les moments de sa vie, et plus précisément de l’évolution de sa maladie, bénéficier
aussi bien de soins curatifs que de soins palliatifs. Une phase d’incertitude peut aussi résider
927
Classification établie à l’origine par le professeur de médecine R. Zittoun, Revue Panoramique, p. 63.
- 291 -
entre l’administration de soins palliatifs et la continuité de soins curatifs dans certaines
maladies, certes mortelles, mais où les rémissions et les rechutes se succèdent.
La vocation première de la médecine étant de guérir, la succession des soins palliatifs
aux soins curatifs est donc très délicate. Comme l’affirme le docteur Delbecque, les soins
curatifs et palliatifs doivent demeurer « sans rupture dans la prise en charge globale de
l’individu »928. La médecine curative sera adoucie par les soins palliatifs qui comportent une
dimension plus humaine. De même, la médecine nouvelle permet un allongement de la vie,
mais ce n’est pas le plus souvent sans souffrance. L’association de soins palliatifs permettra
d’ajouter à l’allongement de la vie une meilleure qualité de vie. La complémentarité des
techniques curatives et palliatives apparaît non seulement pertinente mais nécessaire, voire
fondamentale. Mais cette complémentarité ne doit pas voiler le renoncement aux techniques
curatives lorsque celles-ci ne seront plus efficaces, au risque de verser dans l’obstination
déraisonnable. Or cet acharnement thérapeutique est une des premières raisons de
l’euthanasie, ce à quoi les soins palliatifs entendent justement répondre.
2- Soins palliatifs et euthanasie
Dans les années 1978-1980 et suivantes, le mouvement en faveur de la reconnaissance
légale de l’euthanasie s’amplifie avec le soutien de l’Association pour mourir dans la dignité
– ADMD – au travers de son testament de vie. En réaction, de nombreux opposants,
philosophes, médecins, religieux, proposent une alternative : le « mourir accompagné », de
sorte que les soins palliatifs ont toujours été perçus comme La réponse contre l’euthanasie.
Monsieur Bernard Beigner résume en ce sens assez bien l’idée du « camp pour les soins
palliatifs » : « Soigner ne peut consister à donner la mort. Si la décision de faire mourir avant
l’heure devait entrer dans les prérogatives médicales, la confiance des grabataires, des
vieillards dépendants, des infirmes en leur médecin serait aussitôt ruinée. Les soins palliatifs
constituent donc la meilleur réponse à une demande d’euthanasie »929. A suivre les partisans
des soins palliatifs, ces soins permettent de gérer totalement la douleur, en conséquence la
demande d’euthanasie disparaît. De plus, selon eux, les partisans de l’euthanasie n’envisagent
jamais la possibilité qu’offrent les soins palliatifs de créer une atmosphère humaine qui
928
H. Delbecque, rapport précité, p. 18.
B. Beigner, L’euthanasie, en collaboration avec N. Aumonier et Ph. Letellier, PUF, coll. Que sais-je ?, 2ème
éd., p. 29.
929
- 292 -
permet au patient de mettre en ordre sa vie930. Il est vrai que les soins palliatifs ont fait leurs
preuves pour lutter contre les demandes d’euthanasie. On estime que les demandes
disparaîtraient à 80-90% dans les cas où la douleur est bien traitée et que le patient est
entouré. « La décision de limitation ou d’arrêt thérapeutique dans un contexte de fin de vie
doit s’accompagner de toutes les mesures susceptibles d’améliorer le confort du patient et de
ses proches. Il ne peut s’agir d’un abandon des soins, c’est une réorientation de leurs objectifs.
Les réanimateurs pourront utilement solliciter l’expertise des équipes mobiles de soins
palliatifs »931.
On oppose régulièrement les partisans des soins palliatifs et ceux pour le droit à
l’euthanasie. Cette opposition nous semble infondée et elle doit sans doute prendre fin932. Les
deux camps présentent tout d’abord un point commun : celui de vouloir fonder une éthique à
l’égard des conditions du mourir. En ce sens, s’il apparaît que les soins palliatifs ne doivent
pas conduire nécessairement à être d’accord avec l’euthanasie, l’inverse paraît faisable et
surtout nécessaire. En effet, des enquêtes menées auprès de malades réclamant le droit de
mourir, cette demande disparaissait dans une très large majorité des cas lorsque leur douleur
était traitée par des soins spécialisés. D’un point de vue éthique, les soins palliatifs sont nés
en réaction aux arguments de l’euthanasie, eux-mêmes nés de l’obstination déraisonnable.
Cependant il persiste une demande d’euthanasie dans 10 % des cas. Il ne faut pas tomber dans
une vision idyllique. Les soins palliatifs connaissent leurs échecs. Ils connaissent le même
défaut que la médecine classique a connu en son temps et connaît encore largement. L’idée
répandue, et contre laquelle il est difficile de lutter, est que la médecine est capable de
soulager toutes les souffrances. Si les progrès sont indéniables, notamment dans le contrôle de
la souffrance physique, on ne sait pas gérer toutes les douleurs, tant physiques mais surtout
morales933. Cette douleur et cette souffrance perdurent chez le patient. La nécessité de soins
palliatifs efficaces est une évidence par tous les bénéfices qu’ils apportent. Il ne faut
930
Voir sur ce point notamment D. Laplane, les problèmes médicaux de la fin de vie, in Le droit de la mort,
Actes du VIIIe colloque national des juristes catholiques, coll. Publications de la confédération des juristes
catholiques de France, éd. Pierre Téqui, nov. 1988, p. 69.
931
Recommandation de la SRLF sur les limitations et arrêts thérapeutique(s) active(s) en réanimation adulte,
préc..
932
L.V. Thomas va même plus loin. Il expose, après un vif plaidoyer en faveur des soins palliatifs : « Il ne faut
pas craindre de revenir à l’euthanasie. Celle-ci ne s’oppose pas, contrairement à ce que, non sans mauvaise foi,
on laisse trop souvent entendre, à la pratique des soins palliatifs. En tant que décision ultime, elle devient, quand
tout a été tenté , quand tout est irrémédiable ou insupportable humainement pour le patient et l’entourage un
moment profondément dramatique de l’aide au mourant, l’ultime sortie de secours », La mort, Que sais-je ?,
PUF, 5e éd. , 2003, p. 83.
933
Pour un panorama complet sur « La douleur », voir La douleur et le droit, ouvrage collectif sous la direction
de MM. Bernard Durand et Jean-Pierre Royer, PUF, 1997.
- 293 -
cependant pas réduire la question de l’euthanasie à la prescription de soins palliatifs puisque
ces derniers ne répondent pas à tous les cas des demandes – comme pour les malades qui ne
sont pas mourants, tel Vincent Humbert – de même qu’ils n’empêchent pas certaines
demandes de persister ou d’apparaître.
La commission de l’environnement, de la santé publique et de la protection des
consommateurs au Parlement européen éclairait le débat avec sa proposition de résolution
adoptée le 25 avril 1991. La proposition prévoit en son article 8 « qu’en l’absence de toute
thérapeutique curative, et après échec de soins palliatifs correctement conduits tant sur le plan
psychologique que médical, et chaque fois qu’un malade pleinement conscient demande de
manière pressante et continue qu’il soit mis un terme à une existence qui enlève pour lui toute
dignité, et qu’un collège de médecins constitué à dessein constate l’impossibilité d’apporter
de nouveaux soins spécifiques, cette demande doit être satisfaite sans qu’il soit, de cette
façon, porté atteinte au respect de la vie humaine ». Cette proposition admet ainsi le recours à
l’euthanasie en cas d’échec des soins palliatifs, lorsqu’un malade pleinement conscient
exprime une telle demande. Le parlement européen est revenu partiellement sur sa résolution
du 25 avril 1991, la séance du 7 novembre 1991 ayant montré qu’il n’existait un consensus
que sur la question du développement des soins palliatifs. Toutefois cette résolution a eu le
mérite de ne pas opposer les deux thèmes, mais de les envisager conjointement.
Il y a lieu de sortir en France les soins palliatifs du débat sur l’euthanasie. En effet,
l’impression persistante et à laquelle nous n’avons pas pu totalement échapper, est que les
soins palliatifs n’existent que parce qu’il fallait trouver une autre réponse que l’euthanasie
pour les mourants. Or cette vision est erronée : les soins palliatifs sont des soins en soi,
notamment parce qu’ils doivent plus souvent être considérés comme complémentaires aux
soins curatifs. Enfin, s’il est vrai que les soins palliatifs peuvent parfois hâter la mort
puisqu’ils privilégient la qualité vie sur la quantité de vie, ils ne sont pas même en ce cas un
acte euthanasique. En effet il est clair que la mort n’est en aucune façon voulue ou recherchée,
même si le risque en est raisonnablement couru. Xavier Dijon expose : « Toute la question est
alors de savoir quelle proportion il faut maintenir entre le mal à écarter et la mesure prise pour
le prévenir. Comme il a été dit à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe : il
convient (en effet) d’établir une distinction entre soulager la douleur en abrégeant la vie, et
abréger la vie en soulageant la douleur. En administrant des analgésiques, le médecin sait
qu’il prend le risque d’accélérer la mort de son patient mais son acte est justifié – par ce qui
- 294 -
pourrait s’appeler la nécessité sédative – pour autant du moins que le médecin ait respecté la
proportion exigée par cette cause de justification »934. Cependant l’état de nécessité disparaît à
partir de l’instant où peuvent être employées des techniques médicales permettant de soulager
la douleur sans mettre en péril la vie du patient. En ce cas, la technique dangereuse ne sera
plus justifiée par l’état de nécessité. En ce cas, le médecin pourrait alors devoir répondre de
son acte.
Le choix des soins palliatifs est largement engagé désormais dans tous les pays
occidentaux. L’approche nouvelle de la médecine tend à s’étendre. Son développement ne
peut être qu’encouragé. Elle lutte contre le tabou de la mort, replace celle-ci au cœur de la vie
et permet d’être plus respectueuse du patient qui meurt. Elle implique, en conséquence, des
moyens dans sa mise en œuvre.
§II- La mise en œuvre des soins palliatifs
Les soins palliatifs impliquent un investissement important. Pour éviter de créer des
établissements mouroirs, il apparaît nécessaire de généraliser tant les moyens humains que
technique (A). La bonne volonté affichée n’empêche pas les difficultés d’exister (B).
A- Le généralisation de moyens humains et techniques
Les soins palliatifs ont d’abord été développés par les bénévoles. Ces derniers ont fait
prévaloir l’écoute sur la technique, la chaleur humaine sur le médicament, l’accompagnement
plutôt que le déploiement de grandes théories savantes. Leur présence auprès du patient, le
temps passé au contraire du personnel médical pressé ont montré le chemin de la pensée de la
médecine palliative. Les soins palliatifs, c’est d’abord un investissement humain (1) avant
d’être un concept médical (2).
1- Les moyens humains
Il n’y pas un service de soins palliatifs, mais des services de soins palliatifs. Parce
qu’il y avait urgence, parce qu’on démarrait de rien, les soins palliatifs ont d’abord été pensés
comme une spécialité. A terme cependant, s’il existe des centres de soins palliatifs, il apparaît
que tous les malades ne nécessitent pas de soins particuliers de sorte que les soins palliatifs,
934
X. Dijon, Le sujet de droit dans son corps ; une mise à l’épreuve du droit subjectif, Larcier éd. 1982, préface
F. Rigaux, n° 772.
- 295 -
qui sont surtout les soins d’une certaine mentalité, peuvent être en principe appliqués en tout
lieu, dans n’importe quel hôpital ou à domicile. Les centres de soins palliatifs doivent
davantage être considérés avant tout comme des centres de référence et d’enseignement.
Idéalement, les soins palliatifs doivent se diffuser dans tous les services hospitaliers, ce qui
évitera de marginaliser la mort935. Cela présentera de nombreux avantages.
D’une part, les soins palliatifs deviendront familiers, se banaliseront, ce qui permettra une
plus grande compréhension et acceptation de ces derniers. D’autre part, les soins palliatifs
gagneront en efficacité et permettront de replacer la mort parmi la vie, de ne plus la nier.
Enfin, pour le patient, cela conduira à ne pas le changer d’établissement s’il ne peut bénéficier
de soins à domicile ou s’il ne le désire pas. Il restera dans l’hôpital qui l’a suivi et ne sera pas
conduit dans un centre qui ne pourra être perçu que péjorativement et qui sera vulgairement
appelé un mouroir. Plutôt que de déplacer les mourants à l’écart de la vie hospitalière, il est
préférable de faciliter la visite d’une équipe mobile et pluridisciplinaire à leur chevet. On
imagine le désarroi du patient auquel on annonce son départ dans un tel service. Le malade
doit être maintenu dans un milieu classique, ce qui lui permettra de continuer à se percevoir
comme un être humain comme les autres et non celui « mis à part » puisqu’il va partir.
Pour le personnel, l’intérêt n’est pas non plus négligeable. Une formation spécialisée est
nécessaire. Elle doit être obligatoire. Mais l’absence de spécialisation de l’hôpital permettra
aux professionnels de ne pas se sentir entouré par la mort, ce qui ne peut être qu’oppressant et
lutter contre des vocations. Replacer la mort comme un possible et placer le personnel en
position d’y réagir ponctuellement permettra de lutter contre la pénurie de médecins dans ces
fonctions difficiles. Mais, pour l’instant, même si une avancée est sensible, les soins palliatifs
935
Noëlle Lenoir, Aux frontières de la vie : une éthique biomédicale à la française, La documentation
française,1991, tome I, p. 144 : « Il faut bannir toute ségrégation des mourants, ils ne sont pas des malades
différents des autres. Aussi la création d’une unité spécialisée doit s’accompagner d’actions tendant à diffuser
l’esprit des soins palliatifs dans tous les services hospitaliers […] Néanmoins la spécialisation d’unités de soins
palliatifs doit garder toute sa valeur, car elles doivent être conçues comme des lieux de synthèse de la réflexion,
de formation, de recherche et d’évaluation ». Cette idée est également soutenue par Dominique Laplane et a été
reprise dans les différentes circulaires et la loi relative aux soins palliatifs.
- 296 -
se divisent dans leurs organisations autour de trois types d’équipes : les soins à domicile936 ;
les unités des soins palliatifs (USP) à l’hôpital937 ; enfin, les unités mobiles938.
En France, les soins palliatifs ne sont pas encore reconnus comme une spécialité939 à
part entière. Si le comité national d’éthique940 recommandait le développement et la recherche
visant à améliorer et à étendre les soins palliatifs, le rapport Lenoir, entre autre, se montrait
beaucoup plus réservé. En effet, comme il a déjà pu être souligné, une trop grande
spécialisation conduirait à isoler les patients en unité de soins palliatifs, à les sortir de la
médecine classique. Si la recherche doit être développée et si certains services spécialisés
apparaissent nécessaires, les soins palliatifs doivent surtout s’étendre à tous les secteurs
médicaux, d’une part parce qu’ils peuvent être utiles à plusieurs moments de la maladie,
qu’ils permettent de replacer la mort au centre de la vie et évitent de placer la patient qui va
mourir dans l’antichambre de la mort. C’est pourquoi, les USP ont notamment pour missions
essentielles la formation et la recherche. Accueillant des stagiaires, assurant la formation
continue du personnel, les USP doit constituer un centre de documentation, de recherche et de
conseils. Mais, là aussi, il faut insister pour une formation générale de tous les étudiants en
936
Ces soins sont marginaux et largement sous développés. L’hospitalisation à domicile connaît un
développement largement insuffisant. Elle ne réalise qu’à peine 1% des journées d’hospitalisation V. n° 1,
Rapport Delbecque, op.cit. p. 108. Les normes actuelles ne tendent pas à l’extension. En effet, l’article R 712-24 alinéa 5 du code de la santé publique limite la création ou l’extension de ces places par la fermeture en nombre
équivalent de lits d’hospitalisation. Dès lors, pour l’instant, la création de structures d’hospitalisation à domicile
– HAD – est freinée par la législation hospitalière qui prévoit que les créations d’hospitalisation à domicile
donnent lieu à la fermeture de lits hospitaliers. Bien que dénoncée à plusieurs reprises, « ce système de troc »
(expression du sénateur L. Neuwith) ne semble pas intéresser le gouvernement, qui maintient ses positions.
937
La circulaire du 26 août 1986 privilégie l’hôpital en matière d’organisation des soins palliatifs. Cette
préférence est renforcée par la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière. L’équipe de soins
palliatifs est dirigée par un médecin. Elle regroupe des médecins dont des psychiatres et des anesthésistesréanimateurs, des infirmiers, des aides soignants, des psychologues, des kinésithérapeutes, des assistants du
service social. Cette équipe doit travailler en collaboration étroite avec le médecin traitant du patient, les services
de soins ou d’hospitalisation à domicile. On note la dimension psychologique des soins palliatifs par la présence
des spécialistes. Il ne s’agit plus seulement de traiter le physique, de mettre la technique en avant mais de soigner
« l’âme ». Il existe 145 unités de soins palliatifs en France actuellement. L’hôpital Jeanne Garnier possède le
plus ancien service français.
938
Ce sont des équipes pluridisciplinaires consultantes au service des équipes soignantes hospitalières et
extrahospitalières. Il en existe aujourd’hui 1022 en France. Elles sont composées de médecins, d’infirmières,
d’un psychologue, d’une assistante sociale, d’un kinésithérapeute, d’une secrétaire. Leur objectif n’est pas de
prendre la place des équipes soignantes, mais de diffuser la pratique des soins palliatifs dans tous les équipes
d’un hôpital. Elles assurent un lien entre l’hôpital et le domicile, et peuvent être une aide psychologique. Elles
constituent elles aussi un centre de formation et de recherche, en facilitant de plus le développement des soins
palliatifs. Mais parce qu’elles sont rattachées à un service hospitalier, il existe une risque d’interférence par la
multiplication des intervenants. Le rapport Delbecque propose de rattacher ces unités mobiles à un service conçu
comme un département. Selon le docteur Delbecque, ces unités pourraient aussi servir de sphère d’influence à
d’autres services, d’autres établissements, dans le cadre d’une coopération inter-établissements. Ces propositions
n’ont cependant pas pour l’instant été suivi d’effets. Et on ne peut que souligner le manque cruel de moyens de
ces unités mobiles.
939
Entendu dans le sens de formation.
940
Avis rendu public le 24 juin 1991.
- 297 -
médecine en matière de soins palliatifs. Si quelques universités se sont engagées dans cette
voie, cela reste encore très limité. La loi prévoit donc que les centres hospitaliers et
universitaires doivent non seulement former les futurs médecins à la prise en charge de la
douleur mais diffuser ces connaissances auprès des médecins en activité. La formation des
médecins est au cœur de la réussite des soins palliatifs tant d’un point de vue strictement
technique que par la diffusion des idées et du changement des mentalités. En France plus
qu’ailleurs perdure l’idée de l’utilité de la douleur ou simplement de sa sous estimation. La
formation reste un des objectifs premiers du plan 2001-2005 sur les soins palliatifs.
Le travail des soins palliatifs est celui qui va impliquer le plus de personnes,
concentrer les capacités de tous pour accompagner au mieux les personnes qui partent. C’est,
bien entendu, les professionnels et la famille, mais aussi des bénévoles. Peut être plus
qu’ailleurs, les soins palliatifs réclament un véritable travail d’équipe. L’attention nécessaire
au mourant implique une extrême coordination des équipes tant médicales que para
médicales. Ces professionnels sont tous les médecins tant généralistes que spécialistes,
infirmiers, aides soignants, kinésithérapeutes, assistantes sociales, etc., tous ceux dont les
fonctions peuvent conduire à soulager le malade.
A ce titre, la participation
et la place
des bénévoles
941
dans les soins palliatifs est
historiquement très importante. Ces derniers ont permis souvent de palier les déficiences des
professionnels trop pressés ou surmenés. Ecoute, patience, disponibilité, leur travail mérite
notre plus profond respect et admiration. On ne peut nier leur rôle important lorsque viennent
les questions que se pose le patient sur le sens de sa vie et de sa fin de vie. Ses sentiments
prennent sens devant la prise de conscience que quelqu’un qui pensait ne plus avoir de raison
de le recevoir. Mais la présence des bénévoles doit aussi être contrôlée. De la même façon
qu’il existe une relation médecin-patient, il existera une relation bénévoles-patient. Il ne s’agit
pas alors de mettre à profit cette asymétrie pour imposer au malade des visions et des
réponses qui ne sont pas a priori les siennes ou celles qu’il attend. Il y a donc lieu de porter
attention à l’intégration des bénévoles dans les équipes pluridisciplinaires en soins palliatifs, à
la fois pour protéger le bénévole et, surtout, pour protéger les malades et leur famille du
risque que comporte cette situation. Dès lors, la participation des bénévoles dans le cadre des
soins palliatifs doit être conditionnée par l’accord du malade et de sa famille. Elle implique
941
L. 1110-11 du Code de la santé publique.
- 298 -
l’adoption d’une charte942 garantissant le respect des opinions religieuses et philosophiques de
la personne accompagnée, le respect de sa dignité et de son intimité, la discrétion, la
confidentialité, l’absence d’interférence dans les soins943.
Plus encore que les bénévoles, c’est la famille elle même que le législateur a voulu privilégier
afin qu’elle puisse accompagner le mourant en créant un congé d’accompagnement. Une
personne en fin de vie fait souvent le point de sa vie. Les soins palliatifs permettent aussi de
s’interroger sur le sens de sa vie, de faire la paix avec soi-même, avec la mort, de mettre les
choses à leur place. Dans cette optique, il a fallu aussi prendre en considération le rôle
primordiale de la famille. Or les contraintes de la vie – l’éloignement, les horaires de travail –
ne permettent pas toujours aux membres d’une famille d’accompagner comme il se doit celui
qui part. Ces moments sont pourtant des moments privilégiés puisque par essence les derniers.
La loi a pris en compte cette demande et un congé peut être octroyé au salarié ou au
fonctionnaire qui en ferait la demande afin d’accompagner une personne en fin de vie944.
Au delà d’être un pur déploiement de bonne volonté et d’écoute humaine, les soins palliatifs
sont aussi des soins qui, s’ils ne peuvent soigner, servent à soulager la douleur. Ils sont aussi
encadrés par des moyens médicaux.
2- Les moyens médicaux
Les soins palliatifs visent à mettre fin à la douleur et à gérer tous les symptômes,
sources d’inconfort. Tout doit être mis en œuvre pour abolir la douleur. Cette priorité requiert
un examen minutieux, un diagnostic précis, l’évaluation répétée de l’efficacité des antalgiques
et une parfaite maîtrise de tous les médicaments 945 . Or la France est en retard dans le
942
L. n° 99-477du 9 juin 1999, art. 10 §4. ; art ; L. 1110-11 et art. L. 1112-5 du code de la santé publique,
modifié par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, art 17, : « Les établissements de santé facilitent l’intervention des
associations de bénévoles qui peuvent apporter un soutien à toute personne accueillie dans l’établissement, à sa
demande ou avec son accord, ou développer des activités au sein de l’établissement, dans le respect des règles de
fonctionnement de l’établissement et des activités médicales et paramédicales […] les associations qui
organisent l’intervention des bénévoles dans les établissements de santé publics ou privés doivent conclure avec
les établissements concernés une convention qui détermine les modalités de cette intervention ». V. décret n°
2000-1004 du 16 oct. 2000, J.O 18 oct. 2000.
943
L. n° 99-477, 9 juin 1999, art. 10 §2.
944
Ces dispositions ont nécessité l’introduction dans le code du travail d’une section IV, dans le chapitre V du
titre II du livre II , et la modification de diverses lois relatives à la fonction publique. Ce congé est limité à trois
mois. Le bénéficiaire de ce congé est un descendant, un ascendant ou la personne avec laquelle il y avait une
communauté de vie, de la personne en fin de vie. Le bénéficiaire doit informer son employeur au moins quinze
jours avant le début du congé et justifier que la personne pour laquelle le congé est sollicité bénéficie
effectivement de ce type de soins. L’intérêt de ce dispositif réside notamment dans le maintien des droits du
salarié, qu’il s’agisse pour lui de retrouver son emploi à la fin de son congé ou du maintien de ses avantages.
945
Morphine et ses dérivés, mais aussi radiothérapie, chirurgie de consolidation, neuro-stimulation électrique,
blocs nerveux loco-régionaux.
- 299 -
traitement de la douleur. La douleur a longtemps été sous estimé voire méprisée 946 . Les
médicaments antalgiques étaient peu utilisés en raison de différents facteurs juridiques et
pratiques 947 . De plus, les antalgiques et particulièrement la morphine ont connu une très
mauvaise réputation en raison de l’absence de formation des médecins. Dans l’enseignement
médical, lorsqu’ils étaient évoqués, on insistait sur leurs effets secondaires néfastes. Les
médecins craignaient qu’ils soient utilisés à des fins toxicomanogènes. Or, en 1980, une étude
a démontré que cette crainte n’était pas réaliste en présence des malades en fin de vie. En
effet, cette étude, portant sur plus de 11 800 malades ayant reçu pendant des périodes
prolongées de la morphine, a montré qu’il n’y a que quatre cas documentés d’usage
toxicomanogène de la morphine948. En sus, s’ils soulagent la douleur, les antalgiques peuvent
avoir pour effet de réduire la durée de vie, et par leur utilisation le médecin risque de hâter
indirectement la mort du patient, même s’il pèse bien la proportion entre le soulagement de la
douleur et le risque d’abrègement de la vie. Pour cette raison, 30 à 40 % des médecins
généralistes pensaient qu’en administrant de la morphine, ils pratiquaient une euthanasie,
puisque que les soins palliatifs étaient actifs949. En suite de cela, certains praticiens craignaient
d’être pénalement poursuivis pour empoisonnement950.
946
En 1987, la France est seulement au quarantième rang pour sa consommation d’antalgiques, la Grande
Bretagne en utilise vingt fois plus, le Danemark trente-cinq fois plus. (H. Delbecque, Les soins palliatifs et
l’accompagnement des maladies en fin de vie, Ministère des affaires sociales de la Santé et de la ville,
Documentation Française, Paris 1994, p. 46/47). En 1996, la France est passée au 20e rang mondial dans
l’utilisation des morphiniques (H. Allouch, Ethique et fin de vie, ou Le médecin et la mort, in La Gazette
Médicale. Le médecin témoin de son temps, Supplément Ethique et fin de vie, n° 35, 5-12-1995, t. 102, p. 12).
Selon diverses enquêtes, 30% seulement des malades reçoivent un traitement adapté, alors que, pour les
cancéreux, les moyens de contrôler la douleur existent dans 90 à 95% des cas. La morphine est sous-utilisée
comparativement aux pays anglo-saxons. Il résulte d’une étude menée par l’ANDEM (Agence nationale pour le
développement de l’évaluation médicale) que 30 à 80% des douleurs des patients cancéreux sont insuffisamment
traitées (Recommandations pour la prise en charge de la douleur du cancer chez l’adulte en médecine
ambulatoire, Guide pour le praticien, octobre 1995). Le même constat s’impose pour les malades du SIDA. Cette
étude portant sur la pratique de 600 médecins généralistes et de 300 cancérologues français révèle qu’ils
prescrivent de la morphine seulement pour 40% des patients souffrant de douleurs intenses, donc 80% n’étaient
pas pris en compte dans leurs douleurs, alors qu’ils prétendaient et croyaient qu’ils le faisaient dans 80% des cas.
Il y a donc une dissociation entre ce que fait la communauté médicale et ce qu’elle croit faire pour la douleur des
patients (L. Neuwirth, Pour une politique de développement des soins palliatifs et de l’accompagnement, Les
rapports du Sénat, n° 207, 1998-1999, p.77).
947
La religion a également influé car la douleur a longtemps été considérée comme rédemptrice du point de vue
religieux : Dhôtel (J.-C.), Souffrir pour le Christ, in Christus. Approches de la souffrance . Passion et
compassion. Accompagner celui qui meurt. La souffrance des pauvres, ihs, n° 152, oct. 1991, p. 435.
948
J. Porter et H. Jick, Addiction rate in patients treated with narcotics, New England J. Med, 1908.302.123, cité
par H. Delbecque, Les soins palliatifs et l’accompagnement des maladies en fin de vie, Ministère des affaires
socials de la Santé et de la ville;, Documentation Française, Paris 1994, p. 48.
949
H. Delbecque, op.cit., p. 47.
950
Les médecins craignaient également les poursuites pénales au titre de la loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970
régissant l’utilisation et la délivrance de stupéfiants (conformément à certaines dispositions du code de la santé
publique et à l’art. 222-37 du Code pénal).
- 300 -
La question du « double effet » n’est pas nouvelle. Il est désormais unanimement
reconnu951 que le fait pour un médecin d’administrer un traitement dans le but de soulager la
douleur, mais dont l’effet secondaire est le risque, voire la certitude, que la vie du patient sera
ainsi abrégée, ne constitue pas une euthanasie, si la volonté du médecin est celle unique de
prendre un charge la souffrance du patient 952 . Le traitement anti-douleur, à double effet,
reconnu par la loi953 permet d’utiliser des antalgiques dont l’effet prévisible, mais non voulu,
est de hâter la mort. Son usage n’est possible que lorsqu’il n’y a pas d’autres moyens pour
diminuer la douleur. Le décès du patient consécutif à l’utilisation du traitement ne saurait
constituer un empoisonnement ou un homicide involontaire, si l’intention du médecin est bien
de diminuer la douleur du malade. Ainsi un médecin de la clinique de Saclay avait donné une
dose de sédatif qui avait entraîné le décès de la patiente. Sa volonté de tuer n’ayant pas pu être
prouvée, le juge du tribunal de grande instance d’Evry a rendu une ordonnance générale de
non-lieu le 15 février 2005954. En effet il a été considéré que le traitement délivré constituait
des soins palliatifs et que le praticien s’était strictement conformé à l’article R. 4127-37 du
Code de la santé publique. Ce texte dispose que « le médecin doit s’efforcer de soulager les
souffrances de son malade ». Il semble instaurer une présomption de caractère antalgique des
traitements délivrés, susceptible d’être écartée. En outre, cette décision fait une application
rigoureuse des principes du droit pénal, puisque c’est au ministère public d’apporter la preuve
de l’intention homicide dans le meurtre le doute devant profiter à la personne poursuivie.
La loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie est venu clairement admettre « le double
effet », mettant ainsi un terme aux craintes
qui pouvaient subsister chez les médecins.
Néanmoins, devant le risque inhérents à l’utilisation des antalgiques, la loi impose des
conditions précises : le médecin doit informer le malade que le traitement a pour effet
secondaire d’abréger sa vie, informer la personne de confiance, la famille ou à défaut un
proche. La procédure est inscrite dans le dossier médical. La personne de confiance a
également ici un rôle prépondérant puisqu’elle est placée avant la famille. Ces précautions ont
pour but d’éviter tout détournement de l’objectif médical car la finalité est d’alléger les
souffrances du malade ; le fait d’abréger la vie doit rester une conséquence secondaire. Le
951
Le double effet a été consacré par les éthiciens, les juristes, les philosophes et les religieux.
Des doutes ont en effet existés : on s’interrogeait s’il fallait qualifier cet acte d’euthanasie. Des
développements plus longs seront consacrés à ce sujet en seconde partie, à l’occasion de la définition de
l’euthanasie.
953
Art. L. 1110-5, al. 5 du Code de la santé publique.
954
Le Monde, 17 févr. 2005.
952
- 301 -
non-respect de ces conditions formelles pourrait être à l’origine de poursuites pénales pour
homicide involontaire.
Mais, davantage, il faut envisager d’utiliser les traitements antalgiques dans le but
direct d’abréger la vie d’un malade en phase terminale. En ce cas, le praticien aura pratiqué
une euthanasie. L’usage des traitements à double effet engendre un risque de dérive vers des
pratiques d’euthanasie. Il suffit pour cela d’utiliser ces traitements dans le but direct d’obtenir
la mort du malade. Le médecin qui se conforme aux textes a conscience que le médicament
peut abréger la vie mais il accepte le risque pour diminuer les souffrances du malade. Si cet
élément psychologique évolue vers la volonté d’abréger définitivement les souffrances, si la
mort est recherchée et voulue, il y a euthanasie. Ainsi l’augmentation de la dose de morphine
qui n’aurait plus pour fondement d’alléger les souffrances mais d’arrêter la vie constituerait
un empoisonnement. Dans ce cas, le ministère public aurait la charge de montrer que le
médecin avait la volonté de mettre un terme à la vie du patient et non seulement de diminuer
ses souffrances, c’est-à-dire d’apporter la preuve de l’élément intentionnel, volontaire, qui
animait l’acte. Il pourrait alors poursuivre le praticien soit sur le fondement d’un
empoisonnement955 ou celui d’un homicide volontaire956, selon les moyens employés. Si l’on
suit la décision du tribunal d’Evry sus visée, il faudra au préalable écarter la présomption du
caractère palliatif des soins. La preuve sera naturellement difficile à apporter, et il existera
nécessairement des détournements des traitements à double effet vers une mort « douce »,
souhaitée par le patient ou non, qui demeureront impunis. L’existence de pratiques
d’euthanasie, masquées par un objectif apparemment antalgique, ne fait donc aucun doute957.
La porte s’ouvre vers une euthanasie de fait, non contrôlée. La loi a ouvert délibérément cette
porte en autorisant l’utilisation de médicaments à double effet, sans les soumettre à un
contrôle effectif 958 . Pour éviter ces risques, n’aurait-il pas été préférable de consacrer
l’euthanasie ? Comment savoir en effet si le praticien entend utiliser ce traitement dans le but
de diminuer la douleur et alléger les souffrances ou de donner au patient la mort à laquelle il
aspire ? « La loi n°2005-370 du 22 avril 2005, qui se voulait sage en maintenant l’interdiction
955
Art. 221-5 du Code pénal.
Art. 221-1 du Code pénal.
957
F. Alt-Maes, La loi sur la fin de vie devant le droit pénal, JCP G 2006, I 119, p. 483.
958
P. Vespieren a souhaité que la haute autorité de la santé élabore des règles concrètes et précises de maniement
de ces médications pour opérer un réel contrôle de ces pratiques, conférence du 17 mai 2005 sur l’Ethique et la
fin de vie à l’Espace Georges Bernanos, cité par F. Alt-Maes, op. cit., note 37.
956
- 302 -
de l’euthanasie, semble bien imprudente en offrant la possibilité de contourner les principes
qu’elle voulait réaffirmer avec force »959.
La liberté de conscience du médecin reste entière en ce qui concerne l’usage des
traitements à double effet. Mais la vraie difficulté pour le praticien, dans les soins palliatifs,
est que là peut être plus qu’ailleurs aujourd’hui dans son activité médicale, il est en retrait. Le
patient prend ici toute la place. Et la meilleure aide à lui apporter est de le respecter, de
maintenir sa dignité d’homme, de le considérer comme une être humain encore en vie et non
comme celui qui est dans l’antichambre de la mort, celui qui, comme on le dit familièrement,
« à un pied dans la tombe » et ce malgré ses handicaps. Mais le corps médical peut se rendre
utile à celui qui va mourir en lui apportant des soins de confort, sans lien direct avec la
pathologie qui est en train de le faire mourir. Si l’objectif premier est de soulager la douleur,
adoucir la fin de vie est l’esprit général de la médecine palliative. En traitant médicalement les
dysfonctionnements annexes qui nuisent au confort, le médecin soigne sans tenter de guérir.
Traiter la fatigue, l’amaigrissement, la fièvre, les troubles bucco-pharyngés, oesophagiens, les
troubles digestifs à type nausées et vomissements, la constipation, la diarrhée, les troubles
respiratoires, les troubles urinaires, les troubles cutanées et enfin les troubles neuropsychiques
sont autant d’actes médicaux que le médecin doit effectuer car ils sont utiles à la santé du
patient. Ces soins sont parfois qualifiés de « nursing » en particulier lorsqu’ils sont accomplis
dans le cadre de l’hospitalisation à domicile. Mais au lieu d’y voir, une connotation
péjorative, ce terme est peut être là pour rappeler que les mourants méritent autant d’attention,
d’affection qu’un enfant.
Malgré leurs nombreux avantages, l’investissement dans les soins palliatifs restent à
faire. Il a déjà pu être signaler les quelques limites que ces soins présentent. Il existe aussi des
difficultés.
B- Les difficultés
Diverses difficultés des soins palliatifs en France ont auparavant été soulevées : le rôle
des bénévoles, la vision idyllique des soins palliatifs, la formation des médecins. Dans la
perspective de gérer la mort naît un risque d’une nouvelle vision de la puissance médicale (1).
Par ailleurs, il est constant que les soins palliatifs manquent cruellement de financements (2).
959
F. Alt-Maes, op. cit., in fine.
- 303 -
1- Le risque d’une nouvelle vision de la puissance médicale.
On pourrait toujours s’interroger sur la réalité éthique et tout simplement utile des
soins palliatifs. Deux idées doivent ici être envisagées : d’une part, lutter contre le naturel du
médecin à vouloir tout maîtriser, d’autre part se forcer à reconnaître le passage nécessaire
dans la phase mourante, donner une place à l’agonie.
Le premier risque qui réside dans les soins palliatifs est celui de vouloir une dernière fois
maîtriser la vie et donc la mort, ou croire à une trop belle mort. Il n’est pas toujours aisé
d’échapper à l’envie de guérir envers et contre tout et, si nous acceptons le palliatif,
d’échapper à nouveau à ceux-ci pour accepter la mort, de supporter simplement le fait d’être
là. Il ne s’agit pas de médicaliser à nouveau la mort par un autre moyen. Nous emprunterons
la réponse : « Seul l’abandon d’une toute-puissance médicale et même palliative peut laisser
l’espérer, la dimension relationnelle ayant, tout comme la rigueur scientifique, sa juste place
par la reconnaissance mutuelle des fonctions de soins devant un sujet désirant »960. Ceci est le
risque des médecins. Pour les patients et la famille, on s’interrogera sur le fait que les soins
palliatifs participent aussi à « l’idéologie de la belle mort », l’idée selon laquelle la médecine
peut tout et qu’elle assure une mort sans souffrance. Il faut toujours rester humble face au
progrès et ne pas oublier que la douleur physique n’effacera pas la douleur morale.
Le second risque porte sur la réalité de ce que véhiculent les soins palliatifs. Abandon de soins
curatifs, accompagnement du mourant vers la mort, qualité de vie sur quantité de vie, on ne
peut que s’interroger sur l’utilité de cette phase d’agonie. C’est celle-ci qu’il faut mettre en
valeur.
Sur ces deux problèmes, on lira l’étonnant article d’Isabelle Marin961. Elle montre que
les questions et les impasses ne manquent pas en matière de soins palliatifs. En effet,
accompagner les mourants en soulageant, voire en supprimant la douleur, n’est-ce pas une
façon pour la médecine de marquer encore sa compétence autrement qu’en cherchant à
retarder (ou à accélérer ) l’issue fatale ? Le soin palliatif existe-t-il réellement entre les soins
curatifs et l’euthanasie ? En résumé, ce que les soins palliatifs ignorent, c’est l’agonie qu’ils
nient, soit en traitant les derniers moments comme s’il s’agissait d’une maladie comme une
960
R. Patte, « Que sont les soins dits palliatifs aujourd’hui ? Questions ou réponses implicites », in La presse
médicale, 27 janvier 1985, 25, n° 3, p. 92.
961
I. Marin, L’agonie ne sert à rien, dossier : choisir sa mort, Esprit, Juin 1998, n° 6, p. 27. Isabelle Marin est
médecin en soins palliatifs. Voir aussi du même auteur : Traiter l’agonie, Esprit, janvier 1992.
- 304 -
autre, soit en la prolongeant en cherchant à oublier qu’elle débouche sur la mort. Comment,
dès lors, échapper au geste technique ? L’auteur s’interroge sur l’attitude à adopter : Se
résoudre à la passivité ? Et bien, non, ce plaidoyer qui n’en a pas l’air est peut être la
meilleure réponse pour promouvoir les soins palliatifs. Nous lui volerons encore ces quelques
mots : « L‘agonie ne sert à rien, et alors ? ».
Le problème fondamental des soins palliatifs, en dehors d’un changement des
mentalités, est leur manque de développements matériels effectifs.
2- Le défaut de moyens
Le défaut de moyens présentent un double aspect : d’une part l’aspect primaire qui est
celui du défaut de moyens des soins palliatifs en tant que tels, d’autre part l’absence de
volonté d’investir de moyens concrets pour des mourants, pire les risques eugéniques des
patients en fin de vie.
Il existe tout d’abord une défaut important d’investissement dans les soins palliatifs.
Actuellement, un grand nombre de départements restent dépourvus d’unités de soins
palliatifs 962 . Pourtant, la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins
palliatifs a inséré un livre préliminaire au sein du Code de la santé publique intitulé « Droits
de la personne malade et des usagers du système de santé ». Son article 1er dispose : « Toute
personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un
accompagnement. »963 . Même si c’est de la formation des médecins dont dépend toute la
réussite des soins palliatifs, la prise en charge de la fin de vie sera satisfaisante lorsque la mort
ne sera plus ressentie comme un échec mais comme un événement de la vie qu’il convient de
« soigner » en accompagnant le mourant. Comme l’expose Carole Girault : « Cette discipline,
aussi noble que les autres, relève de la responsabilité de l’ensemble des praticiens. Le devoir
d’humanisme auquel ils sont tenus n’est pas qu’une illusion ; il doit être appliqué et
962
Une enquête réalisée en 1998 par la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs a révélé que
41 départements ne bénéficiaient ni d’unités avec lits ni d’unités mobiles. Lorsque les équipes existent, elles ne
disposent pas du personnel et les compétences nécessaires. Enfin, toujours selon cette enquête, les unités dotées
de lits sont souvent isolées au sein de l’hôpital, ce qui ne permet pas d’assurer une bonne continuité des soins
curatifs et palliatifs. Les résultats de cette enquête figurent dans le rapport d’information fait au nom de la
commission des affaires sociales sur les soins palliatifs et l’accompagnement, par M. Lucien Neuwirth, doc.,
Session 1998-1999, N° 207, P. 23.
963
Voir l’article L. 1111-3 du Code de la santé publique, cette disposition figurant désormais au sein du Livre
Ier. La proposition de loi initiale désignait toute les personnes atteinte d’une maladie « mettant en jeu le
pronostic vital ».
- 305 -
respecté. »964. Le Décret965 n° 2006-122 du 6 février 2006 complétant la loi du 2 avril 2005
formule l’obligation d’inclure un volet « activité palliative de services » dans le projet
médical dont doit se doter chaque établissement de santé. Cette mesure oblige donc à
développer les soins palliatifs. Encore faudra-t-il en avoir les moyens ? Et que se passera-t-il
si ce décret n’est pas suivi d’effets ?
Les risques d’abandon du mourant sont importants. La France, à l’instar d’autres pays
occidentaux, traverse une grave crise de la protection sociale. Il existe des risques eugéniques
dont les personnes âgées pourraient être victimes et donc elles sont, sans nul doute, les
premières cibles. Vieillissement de la population, augmentation du prix des soins, lorsque l’on
sait qu’un malade en fin de vie va coûter plus cher que tous les soins cumulés dont il a pu
avoir besoin au long de sa vie, le calcul est vite fait 966 . Dans certains pays comme
l’Angleterre, le Danemark, les Pays Bas ou les Etats Unis, des réductions d’accès aux soins
des personnes âgés sont prévues. Dans le rapport Lenoir, Robert Zitoun évoque cette
question : « Les soins palliatifs reposant sur une stratégie médico-technique minime et
réduite à l’indispensable pourraient apparaître comme moins coûteux. Ils le sont de fait quand,
face à l’inéluctable, on cesse de prescrire toute investigation et tout traitement autre que ceux
visant à contrôler les symptômes. Il ne faut cependant pas sous-estimer le coût des bons soins
palliatifs, ceux apportant aux malades l’ensemble des prestations pluridisciplinaires définies
dans les hospices modèles : le gain sur le plan médico-technique est compensé par
l’investissement humain, le temps passé auprès des patients et des familles (et/ou en
communication à leur sujet) étant considérable. Plusieurs études (sauf aux Etats-Unis) prenant
en compte l’ensemble de ces facteurs ont montré cependant que les soins palliatifs d’hospices
sont significativement moins coûteux que les traitements hospitaliers, le coût d’une
hospitalisation en lit d’hospice en hôpital général étant de 30 à 50% moindre que celui d’une
964
C. Girault Le droit à l’épreuve des pratiques euthanasiques, Presse Universitaires d’Aix-Marseille, 2002, p.
298, n° 587.
965
D. n° 2006-122, 6 févr. 2006, J.O. 7 févr. 2006, p. 1977.
966
Irène Inchauspé écrivait dans l’hebdomadaire Le Point le 1er août 2003 : « Les personnes âgées ne
consomment pas tous les médicaments qui leur sont prescrits. C’est navrant, estime Michel Chassang, président
de la CSMF, principal syndicat des médecins. Ces patients ne choisissent pas toujours les produits les plus utiles
et abandonnent parfois les traitements majeurs. » Selon un projet de rapport de la Cour des comptes, révélé par
Le Parisien, entre 40 et 50% des médicaments prescrits aux personnes âgées resteraient dans les armoires à
pharmacie, ou seraient jetés à la poubelle… « Pour les catégories plus jeunes, je pense que c’est la même chose,
juge Michel Chassang. Mais leurs ordonnances sont moins longues ! ». Qu’il s’agisse de la faute du médecin,
rallongeant à l’excès les ordonnances, ou de l’inconséquence des patients, cette tendance au gaspillage est
inquiétante. Car, selon la commission des comptes de la santé, la consommation des médicaments explique
l’explosion des dépenses de santé, multipliées par deux entre 1990 et 2002. Sur les 2 759 euros dépensés en
moyenne en 2002 pour se soigner, les Français ont acheté pour 467 euros de remèdes. Les personnes âgées, elles,
ont dépensé 850 euros.
- 306 -
hospitalisation en hôpital général et universitaire. Un autre aspect économique important doit
être évoqué : un des objectifs premiers des soins palliatifs est d’inverser la tendance actuelle à
mourir à l’hôpital. Les soins à domicile sont indiscutablement moins chers que les séjours
hospitaliers même lorsqu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une hospitalisation à domicile. Cela
présente également pour avantage de resocialiser la mort. Ici aussi il ne faut pas négliger
cependant les coûts nécessaires de bons soins palliatifs à domicile, ces derniers impliquant du
personnel qualifié et bien soutenu et une forte présence humaine à domicile »967.
Nous conclurons notre réflexion sur l’extrait d’un texte du Conseil national de l’Ordre
publié en janvier 1996 : « Pour atteindre ces objectifs, tout médecin doit pouvoir intervenir,
sans spécialisation particulière mais après la formation nécessaire … Les soins palliatifs et
l’accompagnement des malades en fin de vie représentent un enjeu majeur pour notre société
et justifient un large débat pour déterminer quels moyens elle est prête à mobiliser pour les
assurer convenablement »968.
CONCLUSION DU CHAPITRE I
Le médecin est ainsi soumis à des limites objectives qui sont celles de la science ellemême et de la fin de vie. Le praticien ne doit pas les ignorer sous peine d’entrer dans une
spirale de soins inutiles et douloureux qui ne pourraient le conduire à terme qu’à un choix
radical, celui de l’euthanasie. En revanche, s’il prend conscience de la fin proche, il pourra au
mieux accompagner son patient. Le respect de la vie ne s’entend pas de sa sauvegarde à
n’importe quel prix. Cela suppose au contraire que son terme ne soit pas artificiellement
suspendu. Récemment intégrés dans le droit parmi les missions des médecins, l’arrêt des soins
et la prise en charge de la douleur ne constituent pas une faute susceptible d’engager la
responsabilité du praticien. Le médecin s’est vu imposer le devoir de cesser des soins inutiles.
Il s’est vu octroyé le droit de laisser mourir. Partant, le médecin est seul juge des situations de
fin de vie. Le traditionnel pouvoir de décision du médecin sur l’administration ou la poursuite
de soins curatifs, malgré l’obligation impérieuse de cesser tous soins devenus inutiles, n’est
donc pas entamé. Cependant, lorsque les soins thérapeutiques cessent, la prise en charge de la
douleur, définie auparavant comme « la partie mineure d’une mission d’abord consacrée à la
967
R. Zitoun, Les soins palliatifs, in Aux frontières de la vie : une éthique bio-médicale à la française, rapport au
Premier ministre, La documentation française, 1991, tome II, p. 302.
968
Ordre national des médecins, Déontologie médicale et soins palliatifs, édition janvier 1996, p. 28.
- 307 -
protection de la santé »969, est aujourd’hui devenue une priorité, ses effets indésirables étant
admis comme un « risque thérapeutique ». Plus difficilement, le médecin peut être confronté à
la mort du fait de la volonté du patient, soit que celle-là soit la conséquence des actes du
malade, soit que le patient la recherche. De la même manière que lorsque la mort survient, le
médecin est-il soumis à la volonté de mourir du patient ?
969
J. et R. Savatier, J.-M. Auby et H. Pequignot, Traité de droit médical, Litec, 1956, p. 246, n° 272.
- 308 -
CHAPITRE II
L’OBLIGATION RELATIVE POUR LE MEDECIN DE RESPECTER
LA VOLONTE DE MOURIR DU PATIENT
Le médecin peut être confronté à une difficulté particulière, celle qui contredit son
autorité médicale, en la rejetant. Le médecin n’est plus limité par son art mais par la volonté
du patient lui-même. Le malade peut refuser, d’une part, d’être soigné, et ce de façon partielle
ou totale, ou ne pas choisir le traitement techniquement le plus efficace. D’autre part, le
malade peut aussi, de manière plus radicale encore, faire le choix de mourir. Ces choix ne sont
pas en accord avec ceux de la société d’une manière générale et la mission du médecin en
particulier, dont la vocation même est de sauver des vies. Face à son devoir de soigner, le
médecin serait tenté de faire échec à la volonté du patient. Or la force de la volonté du patient
n’a fait que croître jusqu’à consacrer le patient, usager ou consommateur de soins. Face à
l’imminence de la mort, la réglementation récente paraît bien aujourd’hui cantonner les
prérogatives du médecin dans la prise en charge du malade. Ainsi le médecin est devenu
tributaire de la volonté du patient. Toutefois cette idée est combattue par le désir de préserver
la vie. Le modèle traditionnel, celui d’un pouvoir souverain du médecin dans l’exercice de ses
compétences, se maintient parfois dans les cas subsidiaires ou extrêmes. Le médecin retrouve
alors une certaine plénitude à agir. Il semble que l’on n’est pas su totalement choisir entre
l’intérêt de la société à préserver la vie et l’autonomie du patient. Cela s’exprime par le refus
de soins du patient (Section I) ainsi que dans le cas particulier du suicide pathologique
(Section II).
SECTION I - LE REFUS DE SOINS DU PATIENT
L’exigence préalable du consentement du patient à l’acte médical implique
naturellement que ce dernier puisse en refuser la réalisation. Le droit au refus de soins doit
être considéré comme le corollaire indispensable de l’exigence du consentement à l’acte
médical. Cette solution a toujours appartenu à la jurisprudence 970 . Elle est aujourd’hui
consacrée par le loi du 4 mars 2002. Le nouvel article L. 1111-4 du code de la santé publique
dispose que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des
informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ». Le
970
Cass. 2ème civ., 19 mars 1997, Bull. civ. II n° 86 ; RTD civ. 1997, p. 67, obs. P. Jourdain.
- 309 -
texte précise que « le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée
des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un
traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre
d’accepter les soins indispensables. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être
pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être
retiré à tout moment ». Ce droit au refus semble donc clairement affirmé par les textes pour le
patient conscient. Le pouvoir décisionnel est donc confié au patient auquel le médecin doit se
soumettre (§I). Cependant des impératifs sociétaux autorisent parfois le médecin à faire
abstraction de la volonté du patient lorsque celle-ci menace sa vie. Par ailleurs certaines
circonstances maintiennent au médecin le pouvoir décisionnel (§II).
§I – La soumission du médecin au refus de soins du patient conscient
En vertu de son droit à l’autodétermination et afin de respecter le droit du patient à
l’inviolabilité de son corps, le droit exige a priori que le médecin recueille le consentement
libre et éclairé du patient (A). Logiquement, toute personne a le droit de refuser les soins
susceptibles d’améliorer sa santé (B).
A- Le médecin, tributaire du consentement aux soins du patient
Le consentement est l’acte qui scelle le rapport entre le médecin et le patient. Le
consentement est un élément central de la relation du médecin avec son patient. La recherche
de l’assentiment du patient permet de renforcer le climat de confiance et de faire en sorte que
le malade soit partie prenante à la décision médicale, une telle participation, qui permet au
malade de comprendre et d’accepter un traitement, pouvant rendre plus supportable de
possibles effets secondaires, voire dans certaines circonstances renforcer l’efficacité du
traitement
971
. A certains égards, le consentement aux soins du patient permet aussi au
médecin de se prémunir contre d’éventuelles poursuites. Assurément donc, l’assentiment
formel du patient est recherché afin d’établir une relation médicale harmonieuse. Le malade,
dès qu’il est informé, se trouve face à un choix, qui ne peut être transgressé par le médecin,
même si ce dernier peut, et parfois doit, chercher à influencer son patient. Ainsi le patient doit
accepter les actes médicaux qui lui sont prescrits.
971
Voir C. Girault, Le droit à l’épreuve des pratiques euthanasiques, PUAM, 2002, pp. 158-159.
- 310 -
Le consentement aux soins s’impose comme une évidence dans notre société 972 .
Reconnu dans les codes de déontologie médicale 973 ainsi que par la loi 974 et le droit
international975, ce principe apparaît comme une des règles les plus fermement établies du
droit médical et sans doute parmi les plus vielles 976 . Le consentement est une expression
directe du principe à valeur législative de l’inviolabilité du corps humain lequel consacre un
droit négatif pour tout individu à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à son corps par les tiers977,
principe qui selon le conseil constitutionnel se rattache au principe constitutionnel de
sauvegarde de la dignité de la personne humaine 978 . Perçu depuis longtemps comme une
« obligation imposée par le respect de la personne humaine » dont la méconnaissance
constitue « une atteinte grave aux droits du malade » et un manquement du médecin « à ses
devoirs proprement médicaux », le consentement s’applique tant aux actes de soins réalisés
dans le cadre d’un contrat médical de droit privé qu’à ceux de la médecine des services
publics hospitaliers 979. Cette vision s’imposait déjà dans les lois de 1994 980 . Elles avaient
considéré que l’exigence du consentement du patient comme l’étroit corollaire de son droit à
972
Voir. A. Fagot-Largeault, Le consentement éclairé, historique du concept de consentement, Méd. & Droit
1995 ; 6 : 55-56.
973
Décret n° 95-1000 du 6septembre 1995 portant code de déontologie médicale, art. 36 ; Décret n° 79-506 du
28 juin 1979 portant code de déontologie médicale, art. 7. Dès 1951, la Cour de cassation déclarait que le contrat
médical oblige le praticien à recueillir le consentement du patient préalablement à l’intervention, ce qui implique
que lui soient délivrées les informations nécessaires afin qu’il puisse accepter ou refuser en connaissance de
cause en raison du droit fondamental de toute personne à l’intégrité physique. En 1979, le code de déontologie
médicale rappelait cette exigence relative au consentement du patient, prévoyant en son article 7 que « la volonté
du malade doit toujours être respectée dans toute la mesure du possible », et ajoutant que, « lorsque le malade
est hors d’état de manifester sa volonté, ses proches doivent, sauf urgence ou impossibilité, être prévenus et
informés ». Le nouveau code de déontologie de 1995 est beaucoup plus explicite. L’article 36 précise que « le
consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas », sous réserve du cas où
le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté et de celui où « il refuse les investigations ou le traitement
proposés ».
974
Art. L.1111-4 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002, ancien art. L.1111-2 de ce code issu
de la loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs ; art. 16-3 du Code civil
issu de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain.
975
Convention européenne du 4 avril 1997 sur les droits de l’homme et la biomédecine (convention d’Oviedo) –
non ratifiée par la France -, art.5, Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques,
art. 7).
976
Le consentement aux soins est une exigence jurisprudentielle traditionnelle. Voir T. corr. Lyon., 15 décembre
1859, DP 1859, 3, p. 88.
977
Art. 16-1 du code civil issu de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain.
978
Cons. Const., 27 juillet 1994, Bioéthique, GDCC n° 47. Le conseil ne reconnaît pas une valeur
constitutionnelle au principe d’inviolabilité et se contente d’affirmer que ce principe assure la mise en œuvre du
principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine. Voir cependant, J.-J. Israël, Droit et libertés
fondamentales, LDGJ, 1998, pp. 368-369. Pour l’auteur, un tel principe, sur lequel ne peut plus revenir le
législateur sauf à mettre en cause une liberté constitutionnellement protégée, « est nécessairement lui-même
équivalent à un principe constitutionnel ». Le législateur préserve seulement la possibilité « d’aménager les
régimes applicables en tenant compte des évolutions de la science et de la société sous le contrôle du juge
constitutionnel ».
979
Cass. Req., 28 janvier 1942, Teyssier, D. 1942, p. 63. Le consentement aux soins se distingue du
consentement nécessaire à la formation du contrat médical de droit privé dans la mseure où le consentement aux
soins doit être sollicité par le médecin pour chaque acte de soin réalisé dans le cadre de ce contrat médical.
980
L. n° 94-653 et 94-654, 29 juillet 1994, J.O. 30 juillet 1994
- 311 -
l’intégrité corporelle, le médecin étant en effet autorisé à intervenir, au terme de l’article 16-3
du code civil, à la double condition que l’acte entrepris obéisse à une nécessité médicale et
soit précédé du consentement de la personne concernée. Un tel fondement justifiait dès lors
que cette obligation doive être respectée quel que soit le cadre des relations juridiques existant
entre le médecin et le patient, et soit imposée en des termes identiques en droits privé et
public, avant même l’adoption de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients. En
effet cette loi a renforcé et codifié pour la première fois de façon générale les règles relatives à
l’information et au consentement du patient. Cette loi a obligé le médecin à informer
davantage le malade. Elle reprenait en cela les évolutions jurisprudentielles. On reprochait
aux médecins de maintenir leurs patients en dehors des décisions et de les infantiliser. La loi
du 4 mars 2002 tend à rééquilibrer la relation médecin-patient. Elle crée donc des charges
supplémentaires pour le médecin et ses responsabilités sont renforcées. Le médecin est tenu
d’informer très précisément son patient aux fins que ce denier lui donne un consentement
libre et éclairé à l’acte médical.
Le consentement à l’acte médical ne doit pas être quelconque, mais éclairé et libre. Il
est éclairé par la qualité de l’information donnée 981 . L’article 35 du code de déontologie
médicale dispose, en premier lieu, que « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il
soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les
investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la
personnalité du patient
dans ses explications et veille à leur compréhension. ».
Traditionnellement, la jurisprudence limitait l’information aux seules risques courants de
l’acte médical, une distinction étant opérée en fonction de la fréquence statistique de
réalisation du risque. Ainsi le médecin n’était pas tenu d’informer le patient des risques qui ne
se réalisaient que de façon exceptionnelle982. La médecine pouvait garder le silence sur les
dangers rares d’un point de vue statistique, la relativité des connaissances médicales, et la
volonté de préserver l’équilibre psychologique du malade justifiant une limitation du devoir
d’information. Cependant la Cour de cassation puis le Conseil d’Etat ont successivement
opéré un revirement de jurisprudence sur le critère du risque médical, objet de l’information.
981
Pour garantir que le consentement soit libre, les articles 16 et suivants du Code civil et l’article L. 1111-4 du
Code de la santé publique ont posé un certain nombre de principes fondamentaux, dont l’objet est d’assurer que
l’accord du patient soit exempt de toute pression qui pourrait en altérer l’expression. Ainsi, le consentement à
l’acte médical ne peut être accordé en contrepartie d’une quelconque rémunération, du fait du principe de non
patrimonialité des actes relatifs au corps humain
982
V. par exemple, Cass. 1er civ., 14 avril 196, Gaz. Pal. 1961, 2 jurispr. p. 563 ; 29 mai 1984, Juris-Data n°
1984-701214 ; D. 1985, jur. p. 281, note F. Bouvier. – 2 mars 1994, Resp. civ. et assur. 1994, comm. 220 – En
droit administratif, CE 13 juill. 1961 : Rec. CE, p. 85. – 9 avril 1986 : AJDA 1986, p. 465.
- 312 -
Par un arrêt du 7 octobre 1998, la Cour de cassation a affirmé que « hormis les cas d’urgence,
d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu de lui donner une
information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et
soins proposés […] il n’est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne
se réalisent qu’exceptionnellement »983 . Une même solution a été adoptée par deux arrêts
d’assemblée du Conseil d’Etat du 5 janvier 2000, au terme d’un attendu identique à celui de la
Cour de cassation984. Par ces arrêts, les jurisprudences de la Cour de cassation et du Conseil
d’Etat ont donc substitué au critère statistique un critère relatif à la gravité intrinsèque du
risque, imposant au médecin d’informer le patient de tout risque grave, même lorsque celui-ci
est totalement exceptionnel. Dès lors, la jurisprudence a souligné la nécessité des risques que
comporte la médecine, notamment le risque de mort. Cette obligation, lourde pour le médecin,
pourrait à terme lui être profitable, le patient prenant ainsi conscience que la médecine ne peut
pas tout et qu’il existe toujours des risques. Elle a pour effet pervers qu’elle pourrait
augmenter de façon insidieuse le nombre de refus de soins, pourtant nécessaire à la survie du
patient. Le médecin se trouve donc face à un dilemme : informer du risque de mort et sauver
de la mort. Le législateur a repris la solution revirée. L’article L. 1111-2 du code de la santé
publique dispose désormais qu’une information doit être donnée sur les risques « graves
normalement prévisibles »985. La seule condition est que ce risque soit connu du médecin986.
Lorsque le pronostic vital est en jeu, l’annonce de la mort prochaine est d’autant plus
difficile. Le code de déontologie médical précise « un pronostic fatal ne doit être révélé
qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le
malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être
faite »987. Ainsi l’information se colorise à l’approche de la mort. A cet instant, plus qu’à un
autre, le médecin doit mesurer ses paroles, être à l’écoute de son patient, qui, le législateur l’a
voulu ainsi, ne doit pas être seul à partager l’information d’un pronostic fatal. Au contraire, on
983
Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, Juris-Data n° 1998-003693 ; JCP G 1998, II, 10179, concl. J. Sainte-Rose, note P.
Sargos ; D. 1999, jurispr. p. 1455, note S. Porchy. – 9 oct. 2001, D. 2001, jurispr. p. 3470, rapp. P. Sargos, note
D. Thouvenin, acceptant d’engager la responsabilité du médecin pour un défaut d’information sur un risque
grave, même si, à l’époque des faits, « la jurisprudence admettait qu’un médecin ne commettait pas de faute s’il
ne révélait pas à son patient des risques exceptionnels », reconnaissant ainsi formellement le caractère rétroactif
d’un revirement de jurisprudence.
984
CE , ass., 5 janv. 2000, Assistance publique-hôpitaux de Paris et Consorts Tell, RFD adm. 2000, p. 641 ; JCP
G 2000, II, 10271.
985
La référence au risque « normalement prévisible » ne devant pas être comprise comme un retour au droit
antérieur mais comme un mode d’appréciation de la prévisibilité du risque.
986
Cass. 1re civ., 7 juill. 1998, Resp. civ. et asur. 1998, comm. 93.
987
Art. 35 alinéa 3., D. n° 95-1000, 6 sept. 1995.
- 313 -
choisit d’associer la famille ou le tiers désigné lorsque la vie est en jeu. On a fait injonction au
médecin soignant du corps de prendre soin de « l’âme » de son patient, de la ménager, de
protéger la famille, de l’associer.
Cette formulation interpelle. En effet, il relève du bon sens, du tact et de la sensibilité
que l’annonce de la mort prochaine d’une personne ou tout au moins d’un risque important de
mort doit se faire avec les précautions nécessaires. Cela va pour ainsi dire de soi. Peut être a-ton simplement penser que « si les choses allaient sans le dire, elles allaient mieux en le
disant ». Il faut, sans doute, parfois rappeler les évidences. Il peut être également avancé que
le médecin technicien, habituer à la mort et ayant en quelque sorte une carapace ou l’ayant
intégrée comme un phénomène inévitable plus qu’un autre par sa profession, ne prendra pas
nécessairement les précautions pour annoncer le pronostic fatal. C’est peut être donc pour
lutter contre une médecine dite inhumaine, que le législateur s’est senti obligé de préciser
cette disposition. Il faut sans doute y voir aussi que cette disposition vise en fait les proches
qu’il faudra également ménager, mais aussi à qui l’on demande d’entourer le malades.
Nonobstant, il est indéniable que c’est oublier le caractère altruiste et humain du médecin. Le
médecin qui choisit de travailler au contact des mourants ou dans un service de réanimation
ou tout autre domaine où le taux de mortalité des patients est important sait qu’il s’engage
dans un voie où la part de l’humain est la plus importante.
Quoi qu’il en soit, Monsieur Sargos a désigné les risques graves comme étant les
risques « qui sont de nature à avoir des conséquences mortelles, invalidantes ou même
esthétiques graves compte tenu de leur répercussions psychologiques ou sociales » 988 . Le
commissaire Chauvaux proposait une définition identique989 et envisageait les hypothèses de
décès et d’invalidité. Cette formule a été reprise par le conseil d’Etat 990 . Le risque grave
semble devoir désigner toute possibilité d’atteinte importante à l’intégrité corporelle du
malade. La jurisprudence antérieure à la loi du 4 mars 2002 a généralement appliqué ce critère
en imposant une information sur tous les risques de décès ou d’invalidité de l’acte médical
effectué991. Toutefois certains arrêts ont admis la nécessité d’une information sur un risque
988
P. Sargos, rapp. sur Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, préc..
Concl. Chauvaux sur CE, 5 janv. 200, préc. ;
990
V. par exemple, CE, 19 avr. 2000, Juris-Data n° 2000-060599. – 16 juin 2000, Juris-Data n° 2000 –060653
– 15 janvier 2001, préc.
991
V. par exemple, pour un décès, CE, 15 janv. 2001, Courrech, préc. – pour une paralysie Cass. 1re civ., 18 juill.
2000, Juris-Data n° 2000-124881, CE, 16 juin 2000, Juris-Data n° 2000-060680, pour la perte de la vision d’un
989
- 314 -
objectivement moins important, en prenant en compte la nature de l’intervention réalisée.
Cette vision est cependant plus subjective. Elle est théoriquement compréhensive, l’acte
médical est toujours entrepris sous le bénéfice potentiel de l’acte entrepris. Cette appréciation
plus subjective risque pourtant de laisser entrer une liberté plus large chez les juges du fond,
ce qui avait justement conduit au revirement de la cour de cassation et du conseil d’Etat992.
Finalement, le médecin peut selon le patient auquel il s’adresse se trouver dans une
situation paradoxale. On ne pourra pas en effet lui reprocher de ne pas avoir convaincu le
patient décédé de la nécessité d’un acte, alors que ce dernier ne présentait peut être pas de
risque mortel. Au contraire, il verra sa responsabilité engagée alors même qu’il n’aurait pas
informé un patient, bien que l’acte soit d’une absolue nécessité. Enfin, il aura effectué un acte
positif de soin, bénéfique pour le patient, même si cet acte pouvait avoir des conséquences
dramatiques. La rapport au paternalisme médical que l’on a longtemps mis en avant en France
semble en théorie au moins totalement inversé. Le patient apparaît être le maître de sa santé,
un usager du système. Sous cet angle, la notion d’usager prend un éclairage nouveau.
Ainsi, d’une façon générale, l’information doit permettre l’obtention du consentement
éclairé du patient. La cour de cassation a estimé, reprenant en cela les termes de l’article 35 du
code de déontologie médicale, que l’information devait être « loyale, claire et appropriée »993.
Le conseil d’Etat indique quant à lui que « le patient doit être informé dans des conditions qui
permettent de recueillir son consentement éclairé »994. Les deux jurisprudences évoquent ainsi
la même idée selon laquelle l’information doit varier selon la personnalité du patient et doit
permettre à ce dernier d’avoir une réelle compréhension des avantages et des risques de l’acte
médical projeté. Le médecin doit adapter son discours au niveau intellectuel du patient, à son
état psychologique, à son âge, à son anxiété. Son langage doit être clair, donc accessible au
profane.
œil, Cass. 1re civ., 10 mai 2000, Juris-Data n° 2000-001922 – Cass. 1re civ., 15 déc. 1999, Juris-Data n° 1999004581.
992
V. pour des arrêts récents sur l’obligation d’information : C. Rougé-Maillart, N. Sousset et M. Penneau,
Influence de la loi du 4 mars 2002 sur la jurisprudence récente en matière d’information du patient, Méd. &
Droit 2006, p. 64-70 ; C. Corgas-Bernard, Chronique de jurisprudence de responsabilité civile médicale, Méd. &
Droit 2006, p. 25 et s., n° 1
993
Cette formule est constante depuis Cass . 1re civ., 7 oct. 1998, préc. Antérieurement, la Cour de cassation
énonçait qu’il fallait une information « simple, approximative, intelligible et loyale », V. par exemple, Cass. 1re
civ., 21 janv. 1961, JCP G 1961, II, 12129, note R. Savatier.
994
CE, 5 janv. 2000, préc..
- 315 -
L’obligation d’information est très lourde995. Cependant, lorsque la vie est en jeu, cette
information apparaît comme primordiale. En effet, d’elle dépend tous les choix qui vont
suivre pour les derniers instants d’une personne. L’obligation d’information permettra à la
personne de faire le choix qu’elle estime être le meilleur pour elle, éclairé par la science du
médecin. A la lourdeur d’une intervention, on choisira parfois une alternative moins
douloureuse même si celle-ci devait finalement conduire à une vie moins longue. Il faut aussi
noter que le nouvel article L. 1111-7 alinéa 6 du code de la santé publique, reprenant les
anciennes dispositions réglementaires, reconnaît un droit d’accès des ayant droit au dossier
médical du défunt dans la limite du secret médical. La loi du 4 mars 2002 prévoit une
dérogation à ce dernier au profit des héritiers dans trois hypothèses :
-
connaissance de la mémoire du défunt ;
-
défense de la mémoire du défunt ;
-
exercice de leurs droits par les héritiers, sauf volonté contraire de la personne
exprimée avant son décès.
L’information claire et précise permet ainsi au patient de donner un consentement éclairé. Le
consentement est toujours librement révocable, le patient pouvant retirer son accord à tout
moment de façon purement discrétionnaire996. Si un écrit peut être utile à titre probatoire, il
n’est pas prévu que le consentement du patient soit soumis à un quelconque formalisme997. Le
formalisme permet au praticien de se pré-constituer une preuve de l’information éclairée
délivrée au patient ainsi que la transcription par ce dernier de son consentement. Le droit du
patient à consentir aux soins possède son pendant négatif, celui de ne pas consentir aux soins.
Ce refus peut, lorsque les soins relèvent d’une nécessité impérieuse avoir des conséquences
irréversibles. Le médecin est-il dès lors tenu par le refus opposé par son patient alors que la
995
V. C. Rougé-Maillart, N. Sousset, M. Penneau, Influence de la loi du 4 mars 2002 sur la jurisprudence récente
en matière d’information du patient, Méd. & Droit 2006, pp. 64-70.
996
Cette solution a longtemps reposé sur une lecture a contrario de l’article 16-3, alinéa 2 du code civil, imposant
l’adhésion préalable du patient avant toute atteinte à son intégrité corporelle et sur certains textes spéciaux V. par
exemple art. L. 1231-1 du code de la santé publique relatif aux prélèvements d’organe sur la vivant :
consentement révocable « sans forme et à tout moment ». Le nouvel article L. 1111-4 alinéa 3 du code de la
santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002, consacre aujourd’hui explicitement la faculté de rétractation du
patient. Il dispose que « le consentement peut être retiré à tout moment ».
997
Tout au moins dans le droit commun de l’acte médical. Le législateur a imposé des solennités dans certains
cas particuliers. Ainsi, des articles du code de la santé publique imposent parfois de recueillir le consentement du
patient par écrit. V. par exemple art. L. 2212-5 CSP dans le cadre de l’IVG, l’art. L. 1122-1 du même code pour
les recherches biomédicales ou encore l’art. L. 2141-10 de ce code pour l’assistance médicale à la procréation. Il
arrive aussi qu’une formalité plus lourde soit imposée, le consentement des patients devant être exprimé devant
une autorité judiciaire ou un notaire. Exemples dans les hypothèses d’assistance médicale à la procréation faisant
intervenir un tiers donneur (art. 311-20 du code civil) ; de dons d’embryons (art. L. 2141-5 du code de la santé
publique). Il s’agit d’attirer l’attention du patient sur la gravité de l’acte entrepris, ce qui confirma la tendance du
législateur, observée par ailleurs dans le droit commun, d’utiliser le formalisme comme modalité de protection
du consentement.
- 316 -
vie de ce dernier est en jeu ? Lorsque le patient est un adulte conscient, qu’il soit ou non en fin
de vie, le médecin a l’obligation de respecter la volonté du patient de refuser des soins, même
vitaux.
B- L’obligation pour le médecin de respecter la volonté de refus de soins du patient
conscient aux risques de mort
Le refus de soins peut s’exprimer de différentes façons par le patient. Sue ce refus soit
partiel ou total, le médecin devra chercher une solution avec son patient pour le soigner. Trois
types de refus de soins peuvent ainsi être distingués : soit le refus du traitement curatif
proposé ; soit le refus de tout traitement curatif, soit le refus de tout traitement quel qu’il soit.
Dans le cas du refus du traitement curatif proposé, « le malade n’accepte pas de se soumettre
à la thérapeutique ou, d’une manière générale, à l’acte médical proposé par le médecin, mais
il accepte d’être soigné, dès lors qu’une autre technique qu’il croit moins dangereuse sera
utilisée »998 . Dans l’hypothèse d’un refus de tout traitement curatif, le malade refuse toute
obstination déraisonnable, tout nouveau soin ou la poursuite du traitement curatif : il veut
mourir en paix. Le patient ne refuse pas tout soin mais uniquement ceux à caractère curatif
devenus extraordinaires ou inutiles999. Le malade choisit donc de ne supporter que des soins
ordinaires c’est-à-dire l’alimentation naturelle ou artificielle et les soins palliatifs. Enfin, si le
patient refuse tout soin quel qu’il soit, il refuse alors de se faire soigner. Ce refus peut
s’analyser comme une demande indirecte de mort lorsque le pronostic vital est en jeu. Chez le
mourant, il y a un refus de tout soin curatif devenu inutile, mais aussi de tous les soins
ordinaires, même ceux de base, ce qui revient à une grève de la faim, et donc un suicide. Chez
le vieillard, ce phénomène est appelé syndrome du glissement. Il s’analyse en une
dépression1000 obligeant juridiquement le médecin à intervenir.
La consécration textuelle du droit au refus de soins fut tardive. Qu’y a-t-il, en effet, de
plus frustrant pour un médecin que de voir un malade refuser un traitement ou une
998
Nerson. R., Le respect par le médecin de la volonté du malade, in Mélanges Marty, Université des sciences
sociales, Toulouse 1978, p. 872.
999
Il est donc possible que des malades curables refusent les soins curatifs car ils sont contre un certain type de
traitement ou las des traitements, ce qui peut mettre les médecins face à des difficultés importante lorsque le
pronostic vital est en jeu et que le remède est simple mais refusé ( cf. infra.).
1000
« Chez le sujet âgé, le suicide passif se traduit par la cessation volontaire (tout au moins au début), de deux
fonctions entretenant la vie, l’alimentation et l’hydratation, parfois, il peut s’agir de refus de soins » (entendus
ici comme des soins curatifs). […] En effet, le suicide passif des personnes âgées dévoile souvent une dépression
sous-jacente qui doit être traitée, mais ce type de suicide recouvre seulement en partie ce que l’on appelle en
gériatrie le syndrome du glissement » : Picault L.., Suicides et tentatives de suicides chez la personne âgée,
Gériatrics – Praticiens et 3e Age – 1995 – ½, p. 21.
- 317 -
intervention, alors que le médecin estime scientifiquement qu’il peut, sinon lui sauver la vie,
du moins la prolonger de façon significative ? Pourtant, éthiquement et juridiquement, sauf
incapacité mentale, la décision appartient au patient et non au médecin. Ce droit existe, en
effet, dès lors que l’on admet le droit du patient à consentir aux soins qu’il doit subir. Le refus
s’exprime le plus souvent au temps où l’on envisage la réalisation de l’acte médicale. Le
pouvoir décisionnel du patient peut ainsi s’opposer à la réalisation de l’acte (1). Le patient,
anticipant son refus dans le cas où il ne pourrait exprimer son refus parce qu’il est inconscient,
peut aussi décider d’inscrire ce refus dans une directive anticipée (2).
1- Le médecin confronté au pouvoir décisionnel du patient aux risques de
mort
Le refus opposé par un patient aux soins proposés est très difficilement acceptable
pour un médecin qui tente de préserver la vie. Ce choix a cependant été reconnu au patient
conscient. Le principe d’autonomie de la volonté a ainsi été consacré contre le paternalisme
médical. Cependant, si le médecin est tenu par la volonté exprimée par son patient de refuser
des soins au péril de sa vie (a), la loi fait obligation au praticien de chercher à convaincre son
patient de subir des soins nécessaires. Le médecin ne doit pas se ranger trop facilement à
l’avis de son patient, qui pourrait reposer sur des convictions autres que l’intérêt strictement
médical (b).
a) L’obligation pour le médecin d’écouter la volonté du patient
conscient de refuser les soins au péril de sa vie
Le code de déontologie médicale du 28 juin 19791001 se contentait de prévoir dans son
article 7 que « la volonté du malade doit toujours être respectée dans toute la mesure du
possible ». Cette disposition ne manquant pas d’ambiguïtés a permis une importante
casuistique. Le médecin semblait restait libre d’apprécier in fine si les soins devaient être
subis par le patient. Ainsi, dans l’hypothèse où l’avis du patient et du médecin divergeaient, le
second devait l’emporter sur le premier. Le Code de déontologie médical, qui guide le
médecin dans l’exercice de son art, ne lui imposait pas de se soumettre à la volonté du patient,
il se contentait d’obliger le médecin à consulter le patient et d’agir de concert avec lui « dans
la mesure du possible ». Cette lecture sévère à l’égard des médecins, puisque celle-ci perpétue
1001
Décret n° 79-506.
- 318 -
l’infantilisation du patient, semble pourtant être celle qui prévalue. Le consentement du
patient aux soins a longtemps été perçu comme superflu par les professionnels de santé.
Si le principe a pu être déduit de quelques textes ou principes, il ne fut consacré que
très récemment. De nombreux auteurs affirment, en effet, qu’il y a un droit au refus de
soins 1002 , voire une liberté de refuser les soins, qu’ils déduisent du principe même de la
nécessité du consentement libre et éclairé à l’acte médical ou du droit au respect de l’intégrité
corporelle de la personne. En ce sens, pour eux, le refus de soins serait consacré par l’article
16-3 du code civil, issu de la loi du 29 juillet 1994, lu a contrario. Toutefois la vraie
consécration est issue de la charte du patient hospitalisé1003 du 6 mai 1995, qui précise tout
d’abord en son titre IV que « tout patient informé par un praticien des risques encourus peut
refuser un acte de diagnostic ou un traitement, peut l’interrompre à tout moment à ses risques
et périls ». On peut penser que la liberté de refus reconnue dans ce texte est de nature absolue,
puisque le patient peut en user « à ses risques et périls » et donc refuser un acte, même si une
telle opposition met sa vie en danger. Toutefois cette charte, annexée à une circulaire en vue
d’être remise comme document d’information à chaque patient dès son entrée dans un
établissement public hospitalier, s’avère d’une portée juridique incertaine.
Le nouveau code de déontologie médicale du 6 septembre 1995 entérinait l’évolution
des rapports médecin patient et le développement au profit de ce dernier du principe de
l’autonomie de la volonté. Le texte est particulièrement clair quant à la liberté du patient de
refuser les soins proposés. L’article 36 dispose que, « lorsque le malade, en état d’exprimer sa
volonté, refuse des investigations ou les traitements proposés, le médecin doit respecter ce
refus après avoir informé le malade des conséquences ». Cette disposition est plus précise que
la charte du patient hospitalisé. Cependant on ne peut conclure que le code de déontologie
médicale de 1995 confère aux patients un droit de refus de soins. Ce code est en effet un code
d’application interne à la profession médicale et n’est pas à proprement parler applicable aux
malades. Il n’établit pas des règles de droit impératives, applicables à tous, mais recense
simplement les usages qui s’imposent aux membres de la profession et dont le non-respect est
1002
Cf. en ce sens : Penneau J., Le consentement face au droit de la responsabilité médicale, Gaz. Pal. 1er /5-11999, p. 9. Cerrutti F.R., L’euthanasie, Approche médicale et juridique, préface de L .V. Thomas, Privat, 1987,
p. 259. Moreau J. et Truchet D., Droit de la santé publique, Mémentos Dalloz, 3e éd., 1995, p. 162 : selon ces
auteurs, le malade a le droit de consentir aux soins. Ce droit est rappelé par l’article 16-3 du code civil, qui, lu a
contrario, accorde au malade le droit de refuser les soins.
1003
Texte annexé à la circulaire DGS/DH n° 95-22 du 6 ami 1995 relative aux droits des patients hospitalisés et
comportant une charte des patients hospitalisés.
- 319 -
sanctionné par des juridictions disciplinaires spécifiques, le conseil d’Etat intervenant comme
juge de cassation 1004 . En dehors de tout contentieux disciplinaire, le code de déontologie
consacre les usages de la profession et le constat de leur violation est susceptible d’amener le
juge administratif ou judiciaire, saisi d’un recours en responsabilité, à conclure à l’existence
d’une faute de droit commun1005.
Sur le plan international, plus particulièrement européen, la convention européenne sur
les droits de l’homme et la bio-médecine du 4 avril 1997 – le convention d’Oviedo – pose le
principe, dans son article 5, qu’ « une intervention dans le domaine de la santé ne peut être
effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé »,
ce qui implique le pouvoir de refuser. Le même article énonce plus loin que « la personne
concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement ». On peut regretter que la
France, pourtant signataire originaire de la convention, ne l’ait toujours pas ratifiée.
Finalement la loi du 9 juin 1999 sur les soins palliatifs devait consacrer un droit de refus de
soins au profit des malades1006. Celle-ci a introduit un article L.1 C dans le Code de la santé
publique, qui allait devenir l’article L.1111-2, prévoyant que « la personne malade peut
s’opposer à toute investigation ou thérapeutique ». Figurant dans un premier temps sous un
titre 1er intitulé « Droits de la personne malade », puis ensuite au sein d’un chapitre 1er sur
« les principes généraux » du droit de la santé, cette disposition avait une portée générale qui
ne se limitait pas aux contexte des seuls soins palliatifs. Elle procédait à une consécration par
la loi du droit au malade de s’opposer à toute forme de soins, qu’il y ait ou non danger pour sa
vie et quelle que soit l’urgence de la situation, pour autant, évidemment, bien que la loi soit
demeurait silencieuse sur ce point, que ce refus soit libre et éclairé. Aucune mention
cependant n’était faite au médecin de son devoir de ne pas accepter passivement un tel refus
et d’informer le patient des conséquences. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits de
malades devait combler ce silence1007. Cette loi présentait le refus de soins comme le principe
corollaire de la nécessité pour le médecin de recueillir le consentement de son patient. A ce
1004
G. Mémeteau, Cours de droit médical, Les études hospitalières, 2001, p. 67 et s.
C.cass. civ. 1er, 27 janvier 1982, Bull. civ. I, p. 53, JCP 1983, II, n° 19923, note F. Chabas : la violation
d’une obligation déontologique peut constituer une faute de droit commun en droit de la responsabilité médicale.
1006
Loi n° 99-477 visant à garantir l’accès aux soins palliatifs.
1007
Par son nouvel article L.1111-4 du code de la santé publique, la loi a dissipé toute incertitude. Cet article
dispose : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des
préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la
personne après l’avoir informée des conséquences de son choix. Si la volonté de la personne de refuser ou
d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre
d’accepter les soins indispensables. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le
consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».
1005
- 320 -
stade, le refus de soins apparaissait devoir faire pleinement effet. Il fût encore précisé par la
loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie.
Face à l’imminence de la mort, la réglementation récente canalise les pouvoirs du
médecin en comparaison aux pouvoirs habituels que l’on reconnaissait au praticien. Lorsque
la personne est consciente, elle est désormais maîtresse de la décision d’arrêter les soins qui
lui permettent de rester en vie. L’image paternaliste classique du médecin serait donc en
déclin1008. Ainsi la loi française du 22 avril 20051009 relative aux droits des malades et à la fin
de vie est venue préciser le droit au refus de soins pour le malade. Sans ajouter de principes
novateurs, elle va prendre directement en compte le cas des malades en fin de vie.
Dorénavant, le médecin devra respecter l’autonomie du patient conscient, qu’il soit ou non en
fin de vie1010, avant d’assurer la protection de la vie. Il ne pourra donc pas faire prévaloir le
principe de bienfaisance en imposant un traitement forcé. Cette obligation peut placer le
professionnel en situation de conflit avec sa conscience d’homme de l’art, mais également
avec les principes même du Code de la santé publique. L’article R. 4127-9 de ce code rappelle
en effet « Le devoir pour le médecin de porter assistance au malade et de s’assurer qu’il reçoit
les soins nécessaires ». La loi impose au médecin d’agir à l’encontre de ses principes de
déontologie, en respectant la volonté du patient. Le respect de l’autonomie de la volonté du
patient donne à penser que l’accord donné par le patient et son consentement justifient le
médecin. Ce serait alors reconnaître un droit personnel et subjectif sur son corps et passer du
corps que l’on est au corps que l’on a1011. Malgré certaines atteintes et la récente affirmation
de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle il existerait un « droit de
disposer de son corps, partie intégrante de la notion d’autonomie personnelle »1012, le principe
1008
La formule s’inspire d’une expression de P. Mistretta, note sous Cass. civ. 1re, 15 nov. 2005, JCP G 2006, II,
10045, p. 619.
1009
F. Alt-Maes, La loi sur la fin de vie devant le droit pénal, JCP 2006.I. 119 ; D. Bailleul, Le droit de mourir
au nom de la dignité. A propos de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie. JCP-G 2005, n°23, I
142, p. 1055 ; S. Hocquet-Berg, Le texte sur la fin de vie : une loi pour les malades ou… les médecins ?, Resp.
civ. et assur., mai 2005, p. 4 ; E. Putman, Commentaire de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades
et à la fin de vie, RJPF-2005-6/13, p. 6 ; F. Vialla, Droits des malades en fin de vie, D. 2005, p. 1797 ; I.
Corpart, Nouvelle loi sur la fin de vie : début d’un changement. Commentaire de la loi n° 2005-370 du 22 avril
2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, Droit fam., juin 2005,n° 14, p. 7 ; D. Roman, Le respect de
la volonté du malade : une obligation limitée ? RD sanit. soc. n°3/2005, p. 423 ; A. Cheynet de Beaupré, La loi
sur la fin de vie, D. 2005, n° 3, p. 164 ; J. Pradel, La parque assistée par le Droit. Apports de la loi du 22 avril
2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, D. 2005, Chron. 2107 ; A.-M. Leroyer, Chron. législation
française, RTD civ. 2005. 646.
1010
A. Lamboley, Le refus de soin, l’éthique et la mort, Rev. gén.dr. méd. 2004, p. 123 ; D. Roman, Le respect de
la volonté du malade : une obligation limitée, RD sanit. soc. 2005, p. 423.
1011
F. Alt-Maes, La loi sur la fin de vie devant le droit pénal, JCP G 2006, I 119, p. 483, v. spéc. n°20.
1012
CEDH, 17 févr. 2005, n° 42758/98 et n° 45558/99, K.A. et A.D. c/ Belgique, RTD civ. 2005, p. 341, obs.
Marguénaud, sur des pratiques sado-masochistes librement consenties.
- 321 -
demeure qu’on ne saurait disposer de son corps. Ce n’est pas le consentement donné par le
malade qui justifie le praticien mais la loi elle-même1013. Deux situations différentes sont ainsi
à distinguer.
Si la personne malade consciente n’est pas en fin de vie, son droit de refuser un
traitement a été inscrit dans la loi du 4 mars 20021014. Elle reconnaissait même que, si ce refus
met en danger la vie du patient, le médecin ne peut qu’obtempérer, une fois qu’il a tout mis en
œuvre pour convaincre le patient d’accepter les soins indispensables. Si la loi nouvelle
réaffirme son droit au refus de soins, elle instaure une procédure de réflexion. Elle va
également plus loin puisqu’elle précise que le patient peut refuser « tout » traitement. C’est
particulièrement remarquable puisque la loi a changé l’expression ancienne de l’article L.
1111-4 du code de la santé publique de refus d’« un traitement » par celle de « tout
traitement ». Il s’agit pour le patient d’opposer à la personne qui le soigne un droit de veto au
risque de la mort. La modification n’est pas anodine car elle vise l’alimentation artificielle.
Selon les travaux préparatoires en effet, la notion de traitement engloberait également le refus
de s’alimenter. Le patient serait en droit de refuser qu’on l’hydrate de force
1015
.
L’alimentation artificielle est en effet considérée comme un traitement par les médecins et les
théologiens, voire par plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, puisqu’il s’agit d’un
élément permettant la maintien de la vie1016. Cette mesure pourrait se révéler particulièrement
drastique pour le malade, mais aussi la famille et le personnel médical. Une personne, en fin
de vie ou non, pourrait être rattachée à la vie par cette alimentation artificielle. Y mettre fin
implique donc que le patient va décéder de faim dans des conditions extrêmement
douloureuses. Voilà le choix offert par la loi lorsque l’on veut vraiment mourir ! Devant des
souffrances intenses, le patient peut désirer voir abréger son existence. Or ce choix d’une mort
souhaitée est toujours refusé ; « mourir à petit feu en refusant tout soin est donc en France la
seule façon de s’éclipser. »1017. Le patient sera laissé au désespoir de mourir de faim. Certains
auteurs ont cependant estimé que des soins de confort et une sédation adaptée doivent
1013
Le consentement de la victime ne vaut pas fait justificatif dans les infractions contre les personnes. V. F. AltMaes, L’apport de la loi du 20 déc. 1988 à la théorie du consentement de la victime, Rev. sc. crim. 1991, p. 220 ;
X. Pin, Le consentement en matière pénale, LGDJ, 2002.
1014
Art. L. 1111-4 du Code de la santé publique.
1015
V. E. Alfandari et P. Pedrot, La fin de vie et la loi du 22 avril 2005, RD sanit. soc. 2005.755 et la référence
aux travaux de la commission des affaires sociales du Sénat qui admettent implicitement cette interprétation ; J.
Pradel, La Parque assistée par le Droit, Apports de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits de malades et à la
fin de vie, D. 2005, Chron. 2107, spéc. p. 2110
1016
Rapport Droits des malades en fin de vie, Ass. nat., n° 1929, nov. 2004, p. 24-25.
1017
E. Garaud, La question de l’euthanasie traitée à droit presque constant par la loi sur la fin de vie, RJPF 2005,
n° 20, p. 41.
- 322 -
nécessairement être mis en place, conformément aux prescriptions de la loi
1018
?!. En
revanche, la demande d’euthanasie, d’aide active à mourir, ne pourrait, aujourd’hui comme
hier, trouver une issue favorable en droit1019. La loi de 2005 a en effet refusé d’autoriser cette
possibilité. Sous l’empire de la loi nouvelle, le cas de Vincent Humbert aurait pu être résolu
sans en arriver aux extrémités auxquelles, du fait l’ambiguïté juridique ancienne, sa mère et
l’anesthésiste-réanimateur étaient venues, pour répondre au désir de mourir émis par le jeune
homme. De l’avis des promoteurs de la loi du 22 avril 20051020, Vincent aurait pu demander
l’arrêt de l’alimentation artificielle dont dépendait sa vie.
Face à un malade en fin de vie conscient, le nouvel article L. 1111-10 du code de la
santé publique dispose que, lorsque le malade, « en phase avancée ou terminale d’une
affection grave et incurable […] décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin
respecte sa volonté après l’avoir informé des conséquences de son choix ». Cette disposition
rejoint celles des codes de déontologie et de la loi du 4 mars 2002. Il faut entendre par malade
en fin de vie le patient souffrant d’une maladie grave et incurable, en phase avancée ou
terminale, en un mot le mourant, celui dont la fin est proche. Pour autant, l’appréciation de
l’état de santé des personnes pourrait évoluer. En effet, en Belgique par exemple, toute
personne souffrant de la maladie d’Alzheimer est considérée comme en fin de vie et donc
fondée à revendiquer une intervention médicale1021. Quoi qu’il en soit, les précautions sont
restreintes et l’impératif de la formule ne laisse aucun doute : la loi de 2005 est venue
introduire un droit discrétionnaire du malade à demander un arrêt de traitement. La loi
instaure au profit du patient un droit de mourir. Cette disposition est le corollaire du refus de
toute obstination déraisonnable. Cette reconnaissance d’un véritable droit de mourir pour les
malades en fin de vie est d’autant plus remarquable qu’elle a abouti à l’autorisation de
recourir à des traitements anti-douleur susceptibles d’abréger la vie lorsqu’il n’y a pas d’autre
solution pour soulager la souffrance d’une personne en phase avancée ou terminale d’une
affection grave et incurable. Le médecin informe le patient de l’impasse dans laquelle il se
1018
S. Hasendahl, Loi Leonetti sur la fin de vie. Un anniversaire tout en pédagogie, Le Quotidien du Médecin 11
avril 2006 ; M. Gomez, Les praticiens apprivoisent lentement la loi sur la fin de vie. Un an après le vote de la loi
autorisant la suspension de traitements « inutiles », des médecins témoignent de leurs questionnements au
quotidien, La Croix 3 avril 2006.
1019
Sur la mort, impossible objet de droit, cf. C. Labrusse-Riou, Quelques regards civilistes sur la fin de vie, in
Euthanasie et responsabilité médicale, Revue de l’institut de criminologie de Paris 2005-2006, n° 5, p. 37 et s.
1020
V. S. Blanchard, Laisser mourir de faim, Le Monde 5 février 2006 (opinion J. Leonetti, N. Morano, G.
Gorce) ; Dictionnaire permanent Bioéthique et biotechnologies, bull. n° 149 du 5 mai 2005, p. 6650.
1021
F. Dekeuwer-Defossez, Actualité du droit des personnes et de la famille en 2004 , Rev. Lamy dr. civ., fév.
2005, n° 13, supplément.
- 323 -
trouve, et celui-ci est donc libre de consentir, en toute connaissance de cause, à des soins qui
peuvent hâter sa mort. La loi exige seulement que la procédure soit inscrite dans le dossier
médical, afin d’exonérer le médecin de toute sanction. Cette préoccupation revient d’ailleurs à
plusieurs reprises dans la loi.
En cas de fin de vie et au risque de la mort, le médecin n’a plus de pouvoir sans limites
d’appliquer des traitements thérapeutiques au malade. La volonté du patient d’écourter sa vie
et d’affronter la mort, sans pour autant la provoquer, s’impose au praticien. Dans l’évolution
du droit médical, on observe désormais que le médecin doit tenir compte de la volonté du
patient. Plus loin, face à la personne consciente, il semble que le médecin n’est là que pour
répondre à une demande du patient ou à son refus de soins. Sa marge de manœuvre apparaît
dès lors particulièrement réduite. Dans les deux cas visés cependant, le refus du patient
d’accepter des mesures curatives n’implique pas de la part du médecin une adhésion
immédiate et passive. Ce dernier doit s’assurer de la conviction profonde de son patient. Cette
décision entérinée, cela ne signifie pas non plus pour le médecin abandon ou délaissement. En
revanche, l’inscription d’une telle procédure au dossier médical du patient vise à garantir
l’absence de toute poursuite du médecin en cas d’abstention.
b) L’obligation pour le médecin de tenter de convaincre le patient
de subir les soins nécessaires
Lorsque le patient refuse tout traitement, le médecin n’est cependant pas déchargé de
toute obligation. Il doit tout d’abord s’assurer de la détermination du malade à refuser les
soins, aux risques pour ce dernier de mourir. Il doit ensuite, si ce refus de soins est confirmé,
accompagner le patient jusqu’à sa mort.
Face à un refus de soins de la personne malade consciente qui n’est pas en fin de vie,
le médecin ne doit pas rester passif ; il a l’obligation d’informer pleinement le malade des
conséquences de sa décision, une telle information pouvant dissuader le patient de persister
dans son refus et permettant en tous cas d’assurer qu’un tel refus est bien éclairé. Mais a
priori, si malgré tout le refus demeure, alors « le médecin doit respecter ce refus ». L’article
37 du Code de déontologie médicale fait alors obligation au médecin de « s’efforcer de
soulager les souffrances de son malade ». L’article 38, tout en rappelant l’interdiction de
provoquer délibérément la mort (al 2) fait obligation au médecin d’ « accompagner le mourant
- 324 -
jusqu’à ses derniers moments » et d’ « assurer par des soins et mesures appropriés la qualité
d’une vie qui prend fin » (al. 1). La volonté affichée est toutefois de préserver la vie du patient
en lui permettant de réfléchir afin que sa décision ne soit pas le fruit de la peur ou d’une
mauvaise compréhension des investigations médicales, mais aussi pour permettre un dialogue
avec le corps médical pour trouver une nouvelle voie de soins.
Ainsi le refus fait l’objet de garanties de sécurité à l’aide de trois mesures procédurales
rigoureuses 1022 « dans le double intérêt bien compris du malade et du médecin » 1023 . Le
médecin peut tout d’abord, à la lumière du refus de traitement du patient, « faire appel à un
autre membre du corps médical » et renouer le dialogue avec le malade afin de le
convaincre1024. L’information délivrée doit donc être complète et portera sur les conséquences
du choix du patient. La loi impose ici une nouvelle exigence quant à la délivrance de
l’information1025, elle doit orienter le malade dans le sens d’une renonciation. Ensuite, que le
médecin ait fait ou non appel à un confrère, le malade devra « réitérer sa demande après un
délai raisonnable ». L’existence de ce délai de réflexion imposé au malade est de nature à
rendre son refus mûrement réfléchi. La loi n’a pas fixé de délai chiffré et laisse à
l’appréciation des médecins la durée de temps avant le second refus du malade. Le médecin a
donc une certaine latitude, qu’il pourrait bien exploiter1026. Enfin la décision du patient doit
être inscrite dans son dossier médical : le médecin pourra ainsi, en cas de poursuites, faire la
preuve que le malade avait refusé les soins ou avait demandé leur arrêt1027.
Si la personne est en fin de vie, le médecin doit respecter ce refus de façon absolue, en
s’assurant cependant que la volonté du malade d’arrêter les soins est bien fondée sur un refus
d’obstination déraisonnable et non sur un découragement moral ou physique passager, sur un
sentiment d’abandon1028. Il s’agit ici sans doute d’une interrogation importante à laquelle le
médecin et le patient sont soumis. Que faut-il penser d’une personne en fin de vie qui
demande à mourir ? Est-elle suffisamment lucide, ce qui lui permet de demander l’arrêt de
soins, ou au contraire est-elle dépressive, si découragée qu’elle a abandonné tout idée de vie ?
1022
Celles-ci sont fixées à l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique.
Rapport droit des malades en fin de vie, n° 1929, préc. p. 25.
1024
Idem. p. 26.
1025
V. F. Alt-Maes, Les deux faces de l’information médicale, vers un nouvel équilibre des relations
malade/patient après la loi du 4 mars 2002, Gaz. Pal. 14/16 déc. 2003, p.3.
1026
Cf. infra la réflexion menée sur l’urgence et le refus de soins.
1027
La sanction du non-respect des conditions légales par le praticien permettrait de le poursuivre pour nonassistance à personne en danger (C. Pén. , art. 223-6).
1028
Rapport Droits des malades en fin de vie, n° 1929, préc., p. 35.
1023
- 325 -
Et, en ce cas, le médecin ne se doit-il pas de refuser d’accéder à sa demande puisque celle-ci
ne semble pas clairvoyante ? Le médecin peut ainsi par ce biais retrouver une certaine liberté
de manœuvre face au patient prétendument conscient en fin de vie. Toutefois, s’agissant d’un
malade en fin de vie, il est légitime de penser que le médecin sera enclin à suivre une telle
directive, tout espoir n’étant plus malheureusement permis quant à la survie du patient. Et
c’est bien en ce sens que l’a entendu le législateur. En effet, pour éviter toute dérive – il faut
entendre dérive euthanasique – le choix du malade doit être inscrit dans son dossier médical.
Dans cette hypothèse, le médecin n’a pas à chercher à convaincre le patient de revenir sur sa
décision, ni à lui laisser un quelconque temps de réflexion. La procédure applicable au malade
en fin de vie est donc simplifiée. Il y a là une véritable consécration du droit à la mort. La
médecine doit s’effacer devant la mort toute proche.
Dans les deux cas, la fin des mesures curatives ne doit pas avoir pour conséquence
l’abandon ou le délaissement du patient par le médecin. La loi de 2005 est systématiquement
venue affirmer l’obligation pour le médecin de dispenser des soins palliatifs, en écho au droit
accordé par la loi du 9 juin 1999 à tous les malades dont l’état le requiert d’accéder à des
soins palliatifs et à un accompagnement 1029 , afin de sauvegarder la dignité du mourant et
d’assurer la qualité de sa fin de vie1030. Cette mesure est répétée comme un leitmotiv dans la
loi nouvelle. Elle apparaît comme le souci premier du législateur.
L’autre facette de cette disposition est qu’elle permet au médecin de laisser mourir son
patient sans être inquiété. La mesure concerne ainsi tant le patient que le médecin.
L’organisation du système de santé se traduit finalement le mieux peut être à la lumière de
l’engagement ou non de la responsabilité du médecin, civile ou pénale, lorsque ce dernier
respecte ou non la volonté de son patient. Le médecin est dans l’obligation de respecter la
volonté du patient conscient et ce même en cas de danger pour sa vie. Le médecin, qui s’est
conformé à la volonté de son patient, n’est a priori donc susceptible d’aucun reproche de
nature disciplinaire ou judiciaire. Les garanties procédurales qui prescrivent l’inscription de la
décision du patient dans son dossier médical visent à dégager le médecin de toute
responsabilité en cas de poursuite. C’est donc dans la dépénalisation indirecte que la loi 2005
1029
Art. L. 1110-9 et 1110-10 du Code de la santé publique.
Le non-respect de ces conditions pourrait être à l’origine de poursuites fondées soit sur le délaissement d’une
personne hors d’état de se protéger (C. pén. , art. 223-3) ou encore sur la non-assistance à personne en danger (C.
pén., art. 223-6, al. 2). Inversement l’assimilation de l’alimentation artificielle et de l’hydratation à un traitement
susceptible d’être refusé fait que désormais l’alimentation forcée du malade contre sa volonté est une atteinte à
sa liberté qui peut relever des violences physiques (C. pén., art. R. 625-1).
1030
- 326 -
opère que réside sans doute son apport principal : sans avoir besoin de retoucher le Code
pénal, la loi est venue garantir l’irresponsabilité du médecin qui serait poursuivi pour
abstention1031.
On peut imaginer que la famille du patient, par hypothèse, décédé de sa maladie,
décide de poursuivre le médecin pour non assistance à personne en danger. Pour se prémunir,
le médecin devra préserver la preuve du refus de son patient de subir les actes et soins
indispensables à sa survie. Cette preuve, établie par écrit, devra indiquer l’information du
patient quant aux soins envisagés, les risques en cas de refus, l’option d’autres choix
médicaux éventuels. Elle sera co-signée du patient et du médecin responsable. Elle devra être
versée au dossier médical et donc être établie en double exemplaire. Cette précaution est-elle
suffisante ? Pas tout à fait. Le code de déontologie médicale et la loi du 4 mars 2002 relative
aux droits des malades, ainsi que le loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie, précisent que
le médecin doit tout faire pour convaincre son patient de subir les soins indispensables. Ici le
médecin n’est pas soumis à une obligation de résultat mais au moins à une obligation de
moyens : il doit tenter de persuader son patient de subir les actes nécessaires à son état de
santé. La loi fait donc obligation au médecin de ne pas renoncer trop facilement, et de ne pas
se retrancher derrière le refus de son patient. Par ailleurs, la Cour de Cassation, par un arrêt du
15 novembre 2005, réaffirme l’exigence pour le médecin, face à une situation de refus de
soins de la part du patient, de dûment éclairer celui-ci sur les risques découlant d’un tel refus.
A défaut de pouvoir faire la preuve que cette information a été donnée, le praticien pourra voir
sa responsabilité mise en cause sans qu’il puisse opposer au patient son refus1032. Le médecin,
par son savoir, a un devoir de protection du patient. Il doit donc tout tenter pour préserver la
santé de ce dernier. On pourrait voir ici un reste du paternalisme médical. L’idée n’est sans
doute pas totalement fausse, mais les raisons principales sont ailleurs. La première est à
rechercher dans un sentiment très humain : la peur. Le patient est terrorisé à l’idée de subir
telle opération ou tel acte, ou simplement se sent incapable d’en assumer les conséquences : la
perte de cheveux pour une chimiothérapie, une prothèse après une amputation… Le
renoncement rapide du médecin à convaincre son patient peut empêcher la guérison du
1031
Le mouvement avait été largement amorcé par la jurisprudence : v. A.-M. Leroyer, Chron. législation
française, RTD civ. 2005. 646, spéc. p. 651. Sur le recul des infractions d’abstention (délaissement d’une
personne hors d’état de se protéger, art. 223-3 du Code pénal, non assistance à personne en danger, art. 223-6 du
Code pénal) et de l’homicide involontaire, v. F. Alt-Maes, La loi sur la fin de vie devant le droit pénal, JCP
2006.I.119.
1032
Cass. 1re civ., 15 nov. 2005, Bull. civ. I, n° 155, JCP G 2005, II, 10045, note P. Mistretta ; Dict. perm.
bioéth. et biotechno., Bull. 155/2005, p. 6551.
- 327 -
patient, qui avait besoin d’un peu de temps et surtout d’être rassuré et soutenu. La seconde est
que la vie du patient étant en jeu, il existe donc ici une question de santé publique puisqu’il y
a lieu de tout faire pour préserver la vie. Enfin le droit à la vie, droit fondamental, est
considéré comme un droit absolu. Il ne faut pas se résoudre à la mort, et ce d’autant plus
lorsque l’acte médical envisagé peut être simple et sans risque. On souligne souvent
l’incompréhension et l’amertume de tout un chacun lorsqu’une personne décède alors que la
médecine avait les moyens de la sauver.
Le médecin ne peut donc se considérer délivré de son obligation de soigner que par le
refus « acharné », et certain pour le patient, de subir l’acte médical. C’est en ce sens que s’est
précédemment prononcée la jurisprudence. Par l’arrêt Gatineau1033, tout d’abord, la chambre
criminelle de la cour de cassation a estimé que le médecin qui se conforme à la volonté de son
patient n’encourt aucune responsabilité pénale ni civile. En l’espèce, elle a relaxé un médecin
poursuivi pour non-assistance à personne en danger et homicide involontaire. Confronté au
refus obstiné et agressif de sa patiente, un médecin n’avait pu mettre en pratique sa
thérapeutique, celle-ci lui ayant signé un certificat par lequel elle s’opposait aux soins.
En 1974, mais cette fois sur une demande de dommages et intérêts réclamés au responsable
d’un accident de la route par les ayants droits de la victime ayant concouru à son propre décès
par son refus ultérieur et répété de toute transfusion sanguine, la cour de cassation a indiqué
que se priver ainsi d’une chance de survie constitue une faute à prendre en considération pour
déterminer les sommes à allouer. Il faut noter que le médecin, qui s’était conformé à la
volonté de l’opéré, ne semble pas avoir été mis en cause sur le fond1034. Cette jurisprudence
était réaffirmée par la décision du 15 novembre 2005 précitée.
Le médecin des hôpitaux qui se conforme à la volonté du patient ne déclenche pas davantage
la responsabilité de la puissance publique. Dans un arrêt du 6 mars 1981, le Conseil d’Etat a
donné une solution similaire dans une affaire où la responsabilité disciplinaire d’un médecin
avait été engagée 1035 . Le Conseil d’Etat a refusé le principe d’une faute disciplinaire du
médecin qui n’avait prescrit qu’un traitement palliatif pouvant atténuer les manifestations de
son mal à une malade qui refusait les traitements proposés pour le cancer dont elle était
atteinte. Pour le conseil d’Etat, il n’y avait pas de tromperie sur les effets du traitement
1033
Cass. crim., 3 janvier 1973, Bull n° 2 ; D. 1973.220 ; Rev. sc. crim. 1973. 693, obs. Levasseur.
Cass. crim., 30 oct. 1974, Bull. n° 308, Gaz. Pal. , Rec. 1975.II, 331, note Doll ; D. 1975. 178, note Savatier,
et sur renvoi, Lyon, 6 juin 1975, D. 1976. 416, note même auteur ; J.C.P. 1976.II.18322, note L.M., Adde civ.
1er, 7 nov. 1961, Bull. n° 508, exigeant la preuve du refus d’un blessé de recevoir des soins.
1035
Rec. Lebon, 133.
1034
- 328 -
prescrit, il n’y avait donc pas de faute du médecin. Le commissaire du gouvernement
considérait, quant à lui, que l’attitude du médecin permettait de ne pas abandonner la patiente
tout en respectant sa volonté1036.
La loi nouvelle a adopté enfin une position claire et précise, qui n’empêchera pas le
médecin de s’entourer de précautions lorsqu’il se conforme à la volonté de son patient.
Cependant, parce qu’il estimera que tel est son devoir, qu’il doit toujours tout tenter et ce
même contre l’avis du patient, le médecin pourrait être susceptible de passer outre le refus
opposé par le patient. En ces circonstances, à la lumière de la loi nouvelle, le médecin pourrait
voir engager sa responsabilité. Le médecin doit cesser tous les soins que le patient refuse, sous
peine d’engager sa responsabilité. Le praticien se devra toujours d’accompagner son patient
jusqu’à sa mort. Le patient conscient a donc gagné en autonomie. Le médecin se doit
désormais d’accéder à sa demande. Ce patient conscient pourrait encore décider d’anticiper
son refus de soins par des directives anticipées ou encore appelées « Testament de vie » dans
le cas où il sombrerait dans l’inconscience. Il pourrait ainsi espérer voir sa volonté respectée
quelle que soit la situation dans laquelle il se trouve. Si la loi du 22 avril 2005 prévoit cette
innovation importante puisqu’elle permet au patient d’anticiper cette situation d’inconscience
et d’exprimer par le biais d’une directive anticipée son souhait pour toute décision
d’investigation ou de traitement, elle en a largement limité la portée. Ces directives anticipées,
qui concernent à la fois le patient en fin de vie et celui qui ne l’est pas, posent en effet des
problèmes spécifiques.
2- La portée simplement informative de la volonté anticipée de mort du patient
conscient
Une personne consciente peut être intéressée par la possibilité de laisser un document
qui contiendrait des instructions dans le cas où ce patient ne pourrait plus exprimer sa volonté.
De cette façon, la volonté exprimée l’est au moment où la personne est consciente – en ce
sens, elle pourrait s’imposer au médecin – pour s’appliquer à un moment où la personne ne
peut plus s’entretenir avec le praticien. Cette possibilité est connue depuis longtemps par le
droit étranger sous l’appellation « living will » c’est-à-dire le « testament de vie ».
1036
M. Labetoulle, conclusions, RD. Sanit. Soc. 1981, p. 413.
- 329 -
A partir de 1970, un courant nouveau est, en effet, apparu. Il s’est cristallisé dans la loi
californienne : le Natural Death Act, imitée par d’autres Etats. Il ne s’agit pas à proprement
parler d’une reconnaissance de l’euthanasie mais d’une lutte contre l’acharnement
thérapeutique et la cessation d’un traitement en assurant à chaque individu le contrôle du
pouvoir décisionnel sur la continuation d’un traitement médical. Mais le point le plus connu
de cette loi est sans nul doute ce que l’on appelle communément « le testament de vie »1037 ou
testament de soins. La notion de « living will » a été exposée pour la première fois en 1976 à
Boston (Etats-Unis d’Amérique) par le Docteur Sissela Bok sous la forme d’un directive
publiée dans le New England Journal of Medicine. Cette directive peut se résumer en ces
quelques phrases :
Je désire vivre pleinement et longtemps, mais pas à n’importe quel prix. Si la mort est
proche et inévitable, si j’ai perdu la faculté de communiquer, si j’endure des
souffrances intenses et intolérables, je ne souhaite pas que ma vie soit prolongée. Je
demande que l’on ne me fasse pas subir de traitement de réanimation, ni être
maintenu en vie par des respirateurs mécaniques, ni par d’autres méthodes de
prolongation de la vie. Je souhaite recevoir des soins qui me procureront un sentiment
de bien-être et de réconfort et qui m’apporteront la paix1038.
La notion de testament de vie, sa conception ressort d’un particularisme éminemment
personnel. L’intéressé désire régler, par précaution, deux hypothèses prises soit isolément, soit
cumulativement : être atteint d’une maladie incurable et n’être plus en état de préciser ou de
manifester sa volonté. Le testament de vie est donc un document contenant des directives par
lesquelles un patient interdit à son médecin, et au corps médical en général, de faire usage à
son égard, dans des conditions aussi précises que possible, de mesures prolongeant
artificiellement la vie en raison de l’inanité de sa condition (accident ou maladie grave). Le
patient, préalablement et par précaution, refuse le consentement à tout traitement médical au
cas où son état le mettrait ultérieurement dans l’incapacité de prendre une décision.
Le Natural Death Act permet à une personne d’anticiper les problèmes de sa fin de vie. Cette
loi vise en effet l’arrêt des procédures de maintien en vie. Il s’agit de l’arrêt des moyens,
mécaniques ou artificiels, mais jamais de l’arrêt d’une administration de médicaments ou de
traitements destinés à soulager la douleur. La personne demande donc au médecin de
respecter sa volonté, qu’elle a inscrite dans un document tendant à laisser se dérouler d’une
manière naturelle une mort imminente. Le document en question, valable pour 5 ans, au
1037
1038
Le bien mal nommé : faut-il y voir un euphémisme antithétique ou un oxymore ?
F.-R. Cerruti, L’euthanasie, Approche médicale et juridique, Privat, 1987, p. 288.
- 330 -
terme desquels il doit être renouvelé, doit être intégré au dossier médical du patient chez son
médecin traitant. Il est révocable à tout instant. Il ne peut être établi que par une personne
majeure et en présence de deux témoins. Cette loi a donc introduit le testament de vie, valable
dans l’Etat Californien. Ce testament présente un caractère obligatoire pour le médecin. Ce
dernier est obligé de respecter la volonté du patient inscrite dans ce document. La volonté
anticipée consciente a donc le même caractère impératif pour le médecin que la volonté
consciente exprimée dans un temps contemporain à l’acte médical.
Cette pratique a été suivie par d’autres pays comme le Danemark, la Suisse,
l’Allemagne (patiententestament), l’Espagne (testalento vital)1039 ou le Canada. Les directives
anticipées sont aussi encouragées au niveau européen. Le Conseil de l’Europe, par sa
recommandation 1418 de l’Assemblée parlementaire, rappelait la vocation de ce Conseil à
protéger la dignité des être humains et les droits qui en découlent. Cette recommandation
visait spécialement les mourants, pour lesquels les soins palliatifs devaient être développés et
prescrivait le respect des « living will »1040. L’article 9 de la Convention sur les droits de
l’homme et la bio médecine dispose que les souhaits antérieurement exprimés par un patient
au sujet d’une intervention médicale seront pris en compte dans la décision sur le point de
savoir si une personne incapable de consentement doit ou non subir cette intervention1041.
1039
V. pour de plus amples détails : J. Picard, Testament de vie. Dispositions de dernières volontés médicales.
France. Allemagne. Espagne., JCP éd. N. 1998, p.1783.
1040
V. pour de plus amples détails, Regard éthique, L’euthanasie Vol. II, Conseil de l’Europe, spécialement les
annexes, notamment p. 189 et s.
1041
Il y a toutefois une différence entre la prise en compte de l’expression d’une volonté et le fait de lui donner
un caractère juridiquement contraignant. Environ un quart des Etats membres du Conseil de l’Europe ont des
dispositions qui rendent les directives anticipées juridiquement contraignantes dans certaines circonstances – ce
qui signifie qu’elles doivent être respectées même si le médecin ou la famille de l’intéressé(e) sont en désaccord
avec la demande ainsi exprimée. Les médecins ne peuvent toutefois être contraints à procéder à une intervention
illégale, ni à appliquer un traitement non approprié à l’état du patient. C’est ainsi qu’en pratique, les directives
légalement contraignantes concernent généralement le refus d’un type de traitement donné. Dans certains pays
comme la Hongrie, pour qu’une directive anticipée soit valide, la loi exige qu’elle soit faite sous une forme
particulière. D’autres pays, comme la Slovénie et l’Espagne, requièrent la présence de témoins. Au Danemark,
les testaments de vie sont consignés dans un registre national, de sorte que, si un patient a perdu la capacité de
prendre lui-même des décisions le médecin peut consulter ce registre afin d’instituer ou de poursuivre un
traitement prolongeant la vie et vérifier ainsi que ce traitement est effectivement conforme aux vœux du patient.
En Allemagne et en Finlande, où les directives de fin de vie formulées de manière anticipée sont potentiellement
contraignantes, il peut y avoir des exceptions si la déclaration correspondante est ancienne, particulièrement si
de nouveaux traitements ont été mis au point pour l’affection dont souffre le patient à l’heure actuelle. En
France, où les déclarations anticipées n’ont pas de valeur juridiquement contraignante, la loi autorise une
personne capable de consentement à désigner une « personne de confiance »qui doit être consultée par l’équipe
soignante si le patient n’est pas en mesure de prendre les décisions lui-même. D’autres Etats, dont la Norvège,
ont mis en place des procédures impliquant la consultation des proches du patient. C’est un autre moyen pour un
patient d’être certain que le traitement qu’il recevra est celui qu’il aurait souhaité. Aux Etats-Unis, certains
autorisent les patients à désigner une autre personne chargée de prendre en leur nom des décisions juridiquement
contraignantes en matière de traitement médical s’ils ne peuvent prendre eux-mêmes ces décisions., Regard
éthique, L’euthanasie Vol. II, Conseil de l’Europe, p. 165.
- 331 -
La loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie devait innover en reconnaissant à toute
personne la possibilité de rédiger des directives anticipées. Ainsi, malade ou bien portant, une
personne se voit autoriser à exprimer sa volonté sur des actes ou des actions de fin de vie,
« pour toutes décision d’investigation, d’intervention, ou de traitement le concernant » à venir
ou à régler une situation alors qu’elle ne pourrait exprimer sa volonté. Ce « testament de vie »
est révocable à tout moment. Il doit être réitéré régulièrement, sa validité étant limitée à trois
ans. Enfin il doit être consultable à tout moment. Pourtant, l’introduction du testament de vie
en droit français ne relevait pas du tout de l’évidence1042. Il n’est pas certain en effet que ce
testament serait nécessairement un signe de liberté, tant il est difficile de choisir entre une
obstination déraisonnable et un renoncement thérapeutique. Plusieurs tentatives législatives de
ce genre s’étaient soldées par le passé par un échec. C’est sans doute une des raisons pour
laquelle la force du testament de vie est limitée à un caractère informatif : si le médecin doit,
en effet, prendre en compte la volonté du patient ainsi exprimée, il n’est pas tenu par cette
directive anticipée. Celle-ci n’est qu’un indice de la volonté du patient. Elle doit être
consultée quand elle existe mais ne possède pas de caractère impératif pour le médecin. La loi
du 22 avril 2005 a laissé au médecin le pouvoir décisionnel lorsque le patient ne pouvait
directement exprimer sa volonté au moment de la réalisation de l’acte médical. Lorsque le
patient n’est pas conscient, le praticien conserve très largement la maîtrise de la décision. Le
droit français a choisi de préférer la situation présente à celle prévisionnelle anticipée par le
patient. Or, au moment de la prise de décision effective de l’acte médical, le patient est, par
hypothèse, inconscient. Le médecin est alors considéré par notre droit comme le mieux placé
pour décider de ce qui est le mieux pour le patient.
Il est vraie que la possibilité offerte de laisser des directives anticipées apparaît, au
premier regard, séduisante. Cependant elle n’échappe pas à quelques écueils. Un tel testament
n’est, en effet, pas sans danger. Etabli quand les questions qu’il résout ne se posent pas, il ne
reflétera peut être pas, le moment venu, le souhait de son auteur. « Une chose est en effet,
pour un individu en bonne santé, d’envisager librement, non même sans quelque détachement,
les conditions de sa fin de vie lorsqu’il n’entrevoit pas encore, ou seulement de manière
lointaine, cette échéance ; en est une autre la confrontation réelle à la perspective d’une mort
1042
F.-R. Cerruti, L’euthanasie, op. cit., p. 291.
- 332 -
prochaine, qui seule paraît en mesure de constituer le contexte d’une volonté éclairée »1043. Le
patient aura-t-il alors les moyens de changer d’avis ? C’est pourquoi certains pays étrangers
réservent l’application de la directive à l’état de santé de l’auteur. La France a fait, elle, le
choix de laisser cette décision au médecin1044. Elle a choisi ainsi de faire prévaloir l’instant
présent, ce qui est justifié par une approche plus réaliste d’un point de vue médical.
Par ailleurs, conçu comme un moyen de lutte contre l’acharnement thérapeutique, le testament
de vie peut être un obstacle à la lutte contre la maladie et finalement être un renoncement
thérapeutique. Or il n’y pas deux cas, deux situations identiques et la marge de manœuvre
entre acharnement et renoncement thérapeutique est parfois très ténue. De plus, les directives
anticipées peuvent desservir l’intérêt du malade dans la mesure où les appareils de
réanimation ou de survie peuvent réduire la souffrance du malade.
Cependant elles permettent au malade de préparer sa fin de vie, et plus précisément de
permettre l’établissement d’une planification de soins lorsqu’une maladie grave est détectée.
Le malade pourra ainsi avec son médecin écrire sa fin de vie. Les directives permettent
surtout au médecin d’être mieux informé sur son patient pour prendre la décision la plus
conforme à ses vœux. En outre, il sera plus à l’aise pour abandonner des soins alors que la
famille manifeste des opinions différentes ou se déchire sur les choix à adopter1045. Dans le
cadre de l’arrêt de soins, les directives anticipées prévalent, en effet, sur l’avis de la personne
de confiance, qui lui-même prévaut sur tout autre avis médical1046. Il faut rappeler que le
patient peut avoir désigné une personne de confiance pour le cas où il ne serait plus en état
d’exprimer sa volonté. Cette institution créée par la loi du 4 mars 2002, et inscrite à l’article
L. 1111-6 du code de la santé, a été valorisée par la loi nouvelle, cette dernière lui donnant
une voix prépondérante 1047 . En conclusion, les directives doivent être considérées comme
utiles1048.
1043
D. Bailleul, Le droit de mourir au nom de la dignité humaine, A propos de la loi relative aux droits des
malades et à la fin de vie, JCP G 2005, I 142, p. 1055, n° 11.
1044
V. étude de la législation comparée du sénat n° 139 - c’est notamment le cas de l’Allemagne, du Danemark
et de la Suisse.
1045
Droits des malades en fin de vie, n° 1929, p. 38.
1046
Art. L. 1111-12 et Art. R. 4127-37. II du Code de la santé publique. Cf. supra. le droit de « laisser mourir »
du médecin.
1047
Le mandat donné par le malade n’est cependant pas un mandat classique qui confère un pouvoir décisionnel
à la personne de confiance, le médecin se bornant à entendre cette personne et prenant lui-même la décision. La
priorité donnée à la personne de confiance s’explique par la nécessité de prendre en compte la volonté du patient
et par la difficulté à laquelle peut être confrontée un médecin de pouvoir compter sur la famille (dispersée,
recomposée) ou d’être confronté à de multiples interlocuteurs dont les avis divergent.
1048
J. Pradel, La Parque assistée par le Droit. Apports de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades
et à la fin de vie, D. 2005, p. 2106.
- 333 -
La loi nouvelle a, semble-t-il, laissé des questions en suspend. Elle donne le sentiment
d’un travail inachevé. Il est vrai qu’il est difficile de légiférer de manière satisfaisante en
matière médicale, et particulièrement dans le domaine de la fin de vie. Alors le législateur
contourne la difficulté par le biais du renforcement des soins palliatifs et refuse de se poser les
questions, d’entamer la vraie question, celle du droit de mourir, et non simplement celle de
laisser mourir1049. « Il paraît inconcevable de laisser en totale opposition le droit et la pratique
médicale de plus en plus fréquente, à la demande de l’intéressé ou de sa famille. Laisser le
droit en parfaite inadéquation avec la réalité n’est pas une bonne chose ; la législation sur
l’interruption volontaire de grossesse en est peut être le meilleur exemple »1050 . La loi ne
consacre pas le libre choix pour le malade de sa mort, tout en reconnaissant au médecin le
« droit de laisser mourir », en ne réanimant pas une personne, en mettant fin à un traitement.
Alors que la raison première de la médecine et des soins tendent essentiellement vers la
préservation de la vie, cette loi vient donner les pouvoirs au médecin de décider de celle-ci,
décider la mort. Le rôle de décision de vie et de mort du médecin est-il justifié ? Doit-il n’être
qu’un agent ou un acteur ? Beaucoup soulignent que seul le patient est à même de choisir sa
mort. En ce sens, le député François Autain a souligné : «Il manque à ce texte le droit de
choisir sa fin. Le moment est venu où la médecine doit accepter que la mort soit avant tout
l’affaire de celui qui meurt ». « La passivité » médicale, la non prise de décision en quelque
sorte aurait l’avantage de laisser ce dernier dans son rôle premier de préservation de la vie.
Cependant ce choix, qui consacrerait totalement le principe de l’autonomie de la volonté,
déresponsabiliserait totalement le médecin d’une part, réduirait son rôle à celui d’enregistrer
la demande du patient d’autre part, et enfin mépriserait la qualité d’agent au service de la
santé publique qu’est aussi le médecin. Or cette préoccupation justifie aussi que certains choix
de société doivent prévaloir sur l’avis individuel.
Par ailleurs, cette loi a cherché un rééquilibrage entre le libre arbitre du patient et le
rôle du médecin. Elle a été faite ainsi autant pour les médecins que pour les patients, elle a
rassurés les premiers par une certaine dépénalisation1051. Ce faisant, elle pourrait placer le
médecin dans une tenaille entre volonté de préserver la vie et pouvoir de « laisser mourir ». Il
1049
Il faut noter cependant que Philippe Douste-Balzy a affirmé que tant qu’il serai ministre de la santé, il ne
saurait être question de l’euthanasie.
1050
J. Picard, Testament de vie. Dispositions de dernières volontés médicales : France, Allemagne, Espagne, JCP
–Not.immo, n° 50-51, déc. 1998, p. 1783.
1051
F. Alt-Maes, Esquisse et poursuite d’une dépénalisation du droit médical, JCP G 2004, I 184.
- 334 -
faut comprendre, et la loi dit là plus que ce qui y est écrit, qu’elle a donné un rôle au médecin
dans la mort. Il n’est pas seulement dit qu’il ne doit pas faire d’obstination déraisonnable, il
est dit qu’il peut arrêter – acte positif – tout traitement sans encourir une quelconque
poursuite. Il reste que, si le médecin est à même d’apprécier la qualité de vie d’un malade,
cette appréciation médicale ne saurait être prise en compte que d’un point de vue objectif. Qui
pourrait définir pour un autre la qualité de sa vie ? Faut-il établir des critères ? On pourrait
s’entendre sur un consensus. Mais une généralité ne sera jamais la réponse à un cas
particulier. La question de ce droit de laisser mourir du médecin en lien avec son patient
existe-t-elle vraiment pour le patient seul ? La loi laisse mourir le patient qui le peut ! La loi
française a au moins le mérite de la prudence. La précipitation ne serait être de mise en la
matière. Emmanuel Putman écrit : « Le choix du législateur français, dont on pourra discuter à
l’infini les fondements éthiques, a le mérite, face aux dérives effrayantes des autres systèmes,
de rester prudent. C’est à la fois peu et beaucoup »1052. A n’en pas douter pourtant, cette loi
est une loi d’annonce, sans délai dans le temps. Elle est un premier pas, le premier pas vers la
discussion sur le droit de mourir. Parce que, si le débat a lieu entre partisans et opposants à
l’euthanasie, il ne se fait que par médiats interposés. Le législateur devra un jour porter le
débat dans l’hémicycle.
Si la loi du 4 mars 2002 a fait entrer le principe de l’autonomie de la volonté dans le
champ médical, la loi de 2005, tout en confirmant et intensifiant cette prise en compte pour le
patient conscient, a maintenu les pouvoirs décisionnels du médecin lorsque le patient ne peut
directement exprimer sa volonté ou lorsque le médecin est confronté à une situation
d’urgence.
§II - La persistance du pouvoir décisionnel du médecin
Dans la proximité de la mort, une sorte de hiérarchie des acteurs a été mise en place, la
volonté d’arrêt de soins du malade l’emporte sur le souci curatif du médecin. Cette règle
générale peut cependant être remise en cause dans des circonstances exceptionnelles. Malgré
la reconnaissance d’un droit au refus de soins et le développement du principe de l’autonomie
de la volonté du patient, il serait en effet une erreur de penser que le refus de soins est
1052
E. Putman, Commentaire de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, RJPF2005-6/13.
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désormais sans limites 1053 .Dans une situation extrême d’urgence médicale vitale (B) ou
lorsque le patient s’efface, ne veut ou ne peut manifester de volonté particulière (A), le
pouvoir décisionnel revient au médecin .
A- Le pouvoir décisionnel du médecin pour le patient conscient passif et les
patients autres que conscients
La loi tient compte de situations particulières dans lesquelles le médecin n’est pas lié
par le refus de soins de son patient. Deux situations particulières doivent être envisagées : le
mineur d’une part (1), les incapables majeures et lorsque la personne est hors d’état de
manifester sa volonté d’autre part (2).
1- Le mineur
Il est possible que l’on considère que le patient n’est pas, du fait de son âge, de son
état mental ou physique, suffisamment lucide pour exprimer un consentement personnel à
l’acte médical1054. Dans ce cas, le droit positif transfère à un tiers la prérogative de consentir à
la place du patient. Toutefois le médecin doit, dans la mesure du possible, associer le patient
incapable à la décision médicale, compte tenu de ses facultés de discernement ou son degré de
maturité1055. Conformément au droit commun relatif à l’autorité parentale, le médecin doit
recueillir en principe non le consentement de son patient mineur, mais celui de ses parents et
de façon plus générale de ses représentants légaux1056. Cependant, bien que le mineur soit
1053
V. pour un article général, D. Roman, Le respect de la volonté du malade : une obligation limitée ?, R.D.
sanit. soc. 2005, p. 423.
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V. T. Fossier, Démocratie sanitaire et personnes vulnérables, J.C.P. G 2003, I, 135, p. 931 ; J.-P. Gridel,
L’acte éminemment personnel et la volonté propre du majeur en tutelle, Rapp. C. Cass. 2000, p. 79 ; C. Geoffoy,
La protection tutélaire des majeurs en matière personnelle, J.C.P. G 1993, I, 3724 ; J. Hauser, Réflexions sur la
protection de la personne de l’incapable, Mélanges Raynaud, p. 227 ; M.-E. Oppelt-Reveneau, La protection de
la personne de l’incapable majeure, P.A., 4 nov. 1999, p. 4 ; T. Fossier, Les libertés et le gouvernement de la
personne incapable majeure, J.C.P. G 1985, I, 3195 ; M. Harichaux et T. Fossier, La tutelle à la personne des
incapables majeurs, l’exemple du consentement à l’acte médical, RD sanit. soc. 1991, p. 1 ; F. Fresnel, La tutelle
à la personne est aussi une mission du protecteur de l’incapable, Gaz. Pal. 1999, 2, doct. p. 1239 ; adde, J.-M.
Plazy, La personne de l’incapable, éd. La Mouette, 2001, coll. Thèses ; J. Massip, Les incapacités, éd. 2002,
notamment n° 600, 648 et 649 ; M. Bauer et T. Fossier, Les tutelles, 3e éd., ESF, 1999, p. 302 à 308.
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Art. L. 1111-2, al. 5 et L. 1111-4, al. 5 du Code de la santé publique.
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La difficulté réside en effet ici dans la notion d’acte usuel appliquée au domaine médical. Toutefois on peut
penser qu’un tel caractère doit s’apprécier au regard des risques d’atteinte à l’intégrité corporelle du mineur (Art.
371-1 et s. du code civil et art. L. 1111-2 al4 du code de la santé publique). Ainsi les actes courant do

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