Untitled - Opéra de Lyon

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Untitled - Opéra de Lyon
Pour la présente édition
© Opéra national de Lyon, 2010
PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI
EUGÈNE ONÉGUINE
Livret du compositeur & de Konstantin Chilovski
d’après le roman en vers d’Alexandre Pouchkine
Scènes lyriques en trois actes
& sept tableaux
1879
OPERA de LYON
LIVRET
7
11
16
22
84
124
Fiche technique
L’argument
Les personnages
EUGÈNE ONÉGUINE
Premier acte
Deuxième acte
Troisième acte
CAHIER de LECTURES
153
166
171
175
178
Alexandre Pouchkine
Eugène Onéguine (extraits)
Marina Tsvétaeva
Les leçons de Tatiana
Fédor M. Dostoïevski
Tatiana, la femme russe
Correspondance de Tchaïkovski
Eugène Onéguine est d’une poésie infinie
André Lischke
Un succès en demi-teintes
CARNET de NOTES
182
192
193
195
196
Piotr Illitch Tchaïkovski
Repères biographiques
& Notice bibliographique
Alexandre Pouchkine
Repères biographiques
& Notice bibliographique
Eugène Onéguine
Orientations discographiques
Illustrations.
Dessins de Pouchkine, 1824
Tatiana (Manuscrit de la “Lettre de Tatiana à Onéguine”)
Pouchkine & Onéguine sur les quais de la Néva à Saint-Pétersbourg
LIVRET
Elisaveta Lavroskaia, cantatrice et amie du compositeur, lui
suggère en mai 1877 le sujet d’Eugène Onéguine. Dans un
premier temps, Tchaïkovski trouve l’idée absurde. Puis, très
rapidement, il relit l’œuvre de Pouchkine et élabore le canevas du livret en une nuit. Konstantin Chilovski (1849-1893)
se charge de l’adaptation du scénario du compositeur.
PARTITION
Tchaïkovski commence le travail de composition en juin
1877. L’essentiel de la partition est écrit dans la propriété
des Chilovski, dans le village de Glebovo. Le travail fut
interrompu par le mariage malheureux du compositeur, et la
période dépressive qui avait suivi. La partition fut achevée
le 1er février 1878
7
PERSONNAGES
LARINA, propriétaire terrienne
Ses filles :
TATIANA
OLGA
FILIPIEVNA, la nourrice
EUGÈNE ONÉGUINE
LENSKI
LE PRINCE GRÉMINE
LE CAPITAINE, chef de compagnie
ZARETSKI
TRIQUET, le Français
GUILLOT, le valet de chambre
Mezzo-soprano
Soprano
Contralto
Mezzo-soprano
Baryton
Ténor
Basse
Basse
Basse
Ténor
Rôle muet
Paysans, paysannes, invités du bal, propriétaires
(hommes et femmes) et officiers
8
L’action se déroule à la campagne et à Saint-Pétersbourg
dans les années vingt du XIXe siècle
ORCHESTRE
3 flûtes dont 1 piccolo
2 hautbois
2 clarinettes
2 bassons
4 cors
2 trompettes
3 trombones
Timbales
Harpe
Cordes
DURÉE MOYENNE
2 heures 20 minutes
CRÉATION
17 mars 1879, au Théâtre Maly, Moscou.
Direction. Nikolaï Rubinstein
Avec Sergueï Guilev (Onéguine), Maria Klimentova
(Tatiana), Vassili Makhalov (Grémine),
Mikhaïl Miedviediev ( Lenski), Alexandra Levitskaïa
(Olga), D.V. Tarkhov (Triquet), Zinaïda Konchina
(Filippievna)
À noter. Des extraits de l’œuvre sont donnés en décembre
1878 au Conservatoire de Moscou, par les étudiants.
CRÉATION en FRANCE
9
7 mars 1895, à l’Opéra de Nice (version en français).
Direction musicale. M. Roland
Avec Mesdames Brietti (Tatiana), Brazzi (Olga), Resteau
(Madame Larina), Bertrand (Filipievna) & Messieurs
Labis (Onéguine), Defly (Lenski), Cobalet (Grémine)
L’œuvre est donnée en russe pour la première fois
en France en mai 1911 par la troupe du Théâtre impérial
de Moscou au Théâtre Sarah-Bernhardt à Paris.
L’ŒUVRE à LYON
1984
Direction. John Eliot Gardiner / Jean-Paul Penin
Mise en scène.Andrei Serban
Décors & costumes.Michaël Yeargan
Chorégraphie. Kate Flatt
Avec Knut Skram / Gilles Cachemaille (Onéguine),
Joan Rodgers / Margarita Noye (Tatiana),
Dimitri Kavrakos (Grémine), John Graham Hall /
Neil Rosensheim (Lenski), Catherine Robbin /
Anne Salvan (Olga), Helen Watts (Madame Larina),
Krystina Szostek-Radkowa (Filippievna), Antoine David
(Triquet), René Schirrer (Zaretski), Jacques Djirikian
(Le Capitaine)
2007
Direction. Kirill Petrenko
Mise en scène.Peter Stein
Décors. Ferdinand Wögerbauer
Costumes. Anna Maria Heinreich
Éclairages. Duane Schuler / Japhy Weideman
Chorégraphie. Lynne Hockney
Avec Wojtek Drabowicz (Onéguine), Olga Mykytenko
(Tatiana), Michail Scheliomanski (Grémine),
Edgaras Montvidas (Lenski), Elena Maximova (Olga),
Stefania Toczyska (Madame Larina), Margarita Nekrasova
(Filippievna), Christophe Mortagne / Leonard Pezzino
(Triquet), Jérôme Varnier (Zaretski), Paolo Stupenengo
(Le Capitaine)
PREMIER ACTE
SCÈNE 1
Fin d’après-midi dans le jardin de MADAME LARINA. Par
les fenêtres ouvertes sur la terrasse, on entend ses deux
filles, TATIANA et OLGA, fredonner un chant un peu mélancolique. Dehors, MADAME LARINA et FILIPIEVNA, la vieille
nourrice, évoquent le passé.
(No 1. Duo & quatuor)
Dans le lointain, on entend un chœur s’approcher : LES PAYSANS viennent offrir à la propriétaire la traditionnelle gerbe
de blé décorée marquant la fin des moissons. TATIANA et
OLGA sont sorties pour profiter de leurs chants et de leurs
danses. (No 2. Chœur & danse des paysans) Si elles laissent TATIANA rêveuse, ces chansons rendent OLGA heureuse comme une enfant.
(No 3. Scène & air d’Olga)
TATIANA est pâle, bouleversée par l’histoire d’amour du
livre qu’elle lit. Sa mère lui rappelle que dans la vie, il n’y
a pas de héros. LES PAYSANS ont pris congé, on annonce
l’arrivée du jeune LENSKI. (N o 4. Scène)
11
12
Il est accompagné d’un voisin et ami, ONÉGUINE. LENSKI
fait les présentations. ONÉGUINE s’étonne que LENSKI, à
l’âme si poétique, se soit épris d’OLGA au « visage rond et
rose », plutôt que de TATIANA. LENSKI célèbre les
contrastes qui l’unissent à OLGA. Pour TATIANA, l’arrivée
d’ONÉGUINE est comme un coup de foudre : « Je sais, je
sais que c’est lui ! » OLGA imagine les cancans qui vont
naître de la visite d’ONÉGUINE et que la rumeur publique
va vite le fiancer à TATIANA. (No5. Scène & quatuor)
Promenade au jardin : ONÉGUINE et TATIANA font connaissance, elle lui parle de son amour de la lecture, de son
goût pour la rêverie ; LENSKI chante son amour à OLGA
avec la fougue un peu exagérée d’un poète. Les deux
fiancés se rappellent leur enfance : destinés l’un à l’autre,
ils s’aimaient déjà. (No 6. Scène & arioso de Lenski)
Le soir tombe, c’est l’heure du dîner. Les deux couples regagnent la maison. De loin, FILIPIEVNA observe TATIANA
« humble, les yeux baissés » aux côtés d’ONÉGUINE. La vieille
nourrice pressent qu’elle est éprise.
(No 7. Scène finale)
SCÈNE 2
C’est l’heure du coucher. Dans sa chambre, TATIANA étouffe,
angoissée par ce qui lui arrive. Elle demande à la nourrice
si elle a jamais été amoureuse. La vieille FILIPIEVNA lui
raconte comment elle a été mariée de force. Mais déjà
TATIANA ne l’écoute plus. Elle demande du papier et de quoi
écrire. La nourrice se retire en lui souhaitant une bonne nuit.
(No 8. Introduction & scène avec la nourrice)
TATIANA se jette à corps perdu dans l’écriture d’une lettre
à Onéguine. Plusieurs fois, elle s’y reprend, s’interrompt
puis reprend, y met ses doutes, ses peurs les plus profondes, ses espoirs les plus fous... « Qui es-tu : mon ange
gardien ou un tentateur malin ? » Sans se relire, elle signe
et cachette. (No 9. Scène de la lettre)
Le jour se lève, on entend le pipeau d’un berger. L’aube
sereine contraste avec l’angoisse de TATIANA. Elle demande
à FILIPIEVNA, venue la réveiller, de faire porter par son petitfils la lettre à Onéguine. (No 10. Scène & duo)
SCÈNE 3
Dans le jardin des Larine, on entend les filles de la maison entonner une chanson : « Joli garçon, ne viens pas
épier nos chansons... » (No11. Chœur des jeunes filles)
Sur un banc, TATIANA attend ONÉGUINE et se reproche de
lui avoir écrit, d’avoir perdu toute retenue. EUGÈNE la
rejoint, lui dit avoir lu sa lettre avec une certaine émotion,
mais lui reproche sa conduite candide. De toutes façons,
bien qu’il l’aime « d’un amour fraternel », il rejette l’idée
de mariage et de vie à deux ; il lui recommande aussi de
mieux se maîtriser : « L’inexpérience peut conduire au malheur ! » TATIANA est brisée. ONÉGUINE lui offre son bras et
ils quittent le jardin, tandis qu’on entend l’écho du chœur
des jeunes filles: « Ne viens pas épier nos jeux de filles ! »
(No 12. Scène & air d’Onéguine)
DEUXIÈME ACTE
SCÈNE 1
Le salon des Larine. Bal pour la fête de TATIANA. On
s’amuse, on valse. ONÉGUINE danse avec TATIANA et entend
au passage les ragots que LES INVITÉS colportent sur son
compte : c’est un joueur, un buveur, un franc-maçon, etc.
ONÉGUINE, furieux, s’en veut d’être venu, en veut à LENSKI
de l’avoir entraîné là. Il décide de se venger en faisant une
cour appuyée à OLGA, l’invitant pour toutes les danses.
(No 13. Entracte & valse avec scène et chœur)
LENSKI s’en irrite et reproche son comportement à OLGA,
qui trouve sa réaction ridicule. Pour le punir de sa jalou-
13
sie, elle accepte encore de danser le cotillon avec ONÉLeur querelle est interrompue par l’arrivée de
MONSIEUR TRIQUET, un Français qui séjourne au village.
En hommage à TATIANA, il lui chante – à l’admiration de
tous – une romance composée pour elle, en français.
(No 14. Scène & couplets de Monsieur Triquet)
ONÉGUINE danse le cotillon avec OLGA puis la ramène à sa
place. LENSKI lui fait d’amers reproches. Leur différend
dégénère rapidement en querelle. On s’insulte, LES INVITÉS s’approchent, LENSKI demande réparation et provoque
ONÉGUINE en duel. (No 15. Mazurka & scène)
OLGA rejette toute responsabilité, TATIANA sait que cela
va mal finir. LENSKI est inébranlable, ONÉGUINE se sent
coupable mais finit par accepter le duel. (N o 16. Finale)
GUINE.
16
SCÈNE 2
Petit matin sur un paysage hivernal. En attendant son
adversaire, LENSKI, qui pressent sa propre mort, se rappelle les jours heureux de sa prime jeunesse.
(No 17. Introduction, scène & air de Lenski)
ZARETSKI, ordonnateur du duel, annonce l’arrivée d’ONÉGUINE. LENSKI et ONÉGUINE, chacun pour soi-même, s’interrogent sur l’absurdité de ce duel mais décident d’y aller.
On prend les pistolets. Quelques pas, ONÉGUINE tire,
LENSKI est tué. (No 18. Scène du duel)
TROISIÈME ACTE
SCÈNE 1
Le grand salon du palais du PRINCE GRÉMINE à SaintPétersbourg. On y donne un bal. (N o 19. Polonaise)
ONÉGUINE, ami du PRINCE GRÉMINE, fait partie des invités.
Poursuivi par le sentiment de culpabilité, il a débarqué le
jour même d’un long voyage – d’une longue errance – à
l’étranger. Il s’ennuie, même dans cette fête brillante. Au
bras de son époux, la femme du PRINCE GRÉMINE fait son
entrée, très élégante. ONÉGUINE stupéfait reconnaît TATIANA, qui le reconnaît également, très troublée. GRÉMINE
annonce à son ami ONÉGUINE qu’il est marié depuis deux
ans avec TATIANA, dont il fait un vibrant éloge : elle a
changé et illuminé sa vie d’homme déjà âgé.
(No 20. Scène, écossaise & air de Grémine)
LE PRINCE présente son ami ONÉGUINE à son épouse.
TATIANA, très simplement, cache son émotion profonde.
Pour ONÉGUINE , c’est le coup de foudre. Il est amoureux
fou, « comme un gamin », de TATIANA.
(No 21. Scène, arioso d’Onéguine & écossaise)
SCÈNE 2
Une salle de réception dans le palais du PRINCE GRÉMINE.
TATIANA entre, à la main une lettre reçue d’Onéguine. Sa
passion pour lui s’est réveillée, elle en est angoissée et
pleure. ONÉGUINE paraît. TATIANA lui rappelle la leçon
qu’il lui avait donnée, sa froideur et lui demande la raison de cette soudaine flamme : serait-ce parce qu’elle est
devenue une aristocrate et que son mari, par sa brillante
carrière militaire, s’est attiré les faveurs de la cour ?
Mortifié par cette supposition, O NÉGUINE proteste de la
sincérité de son amour pour elle. TATIANA en pleurs lui
avoue qu’elle l’aime toujours, mais affirme sa fidélité à
l’homme qu’elle a épousé. Malgré les prières d’ONÉGUINE, malgré la passion qu’elle ressent toujours, TATIANA
reste ferme et repousse ONÉGUINE. Elle lui dit adieu et
sort. ONÉGUINE reste seul, brisé. (N o 22. Scène finale)
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« On prétend qu’Onéguine n’est pas scénique... Moi, je me
contrefiche des effets de théâtre! Si vous en trouvez d’authentiques dans Aïda, par exemple, je vous jure que tout l’or du
monde ne pourrait me tenter de composer un opéra sur un sujet
pareil ! Je veux des êtres humains et non pas des marionnettes... » écrivait Tchaïkovski.
Dès la création, on a fait à Eugène Onéguine le reproche
de manquer d’action théâtrale, de reposer sur une intrigue
quasi inexistante. Le sous-titre de l’œuvre – « scènes lyriques en trois actes et sept tableaux » – témoigne d’une écriture théâtrale par fragments scéniques, par esquisses, par croquis. Il y a peu d’action peut-être dans Eugène Onéguine,
mais il y a la vie même, la vie des âmes, la vie des cœurs et
des sentiments. Une vie intense et dramatique, comme dans
le théâtre de Tchékhov : sous les apparences de la banalité du
quotidien, le tragique.
Les protagonistes d’Eugène Onéguine sortent à peine de
l’adolescence. Ils ont autour de vingt ans et leur jeunesse
marque leurs actions. LENSKI est « ce jeune homme de dixhuit ans à l’abondante chevelure et aux réactions impulsives et
originales d’un jeune poète à la Schiller », selon la description
du compositeur. En toute chose, il met de la poésie – un jour
sans voir OLGA sa fiancée devient l’Éternité ; il revendique une
intransigeante pureté dans ses rapports avec la vie, avec les
autres, avec OLGA. Il ne peut donc supporter qu’ONÉGUINE
fasse la cour à celle qu’il aime. « Jeune poète à la Schiller »
certes, mais aussi à la Goethe : c’est à Werther que LENSKI fait
penser, dans sa fascination vertigineuse pour la mort, pour sa
propre mort et pour l’image de sa bien-aimée venant pleurer
sur son urne funéraire. Son parcours est presque suicidaire.
Son ami ONÉGUINE est à peu près son opposé : il vit sa
vie au jour le jour, non sans ennui et non sans cynisme. Il tient
à distance les sentiments dans lesquels LENSKI se complaît. Il
sent seulement que TATIANA est une âme poétique, ce qu’il dit
à son ami, s’étonnant qu’il ne l’ait pas choisie elle, plutôt que
la blonde OLGA. Devant la déclaration d’amour de TATIANA, il
s’esquive en lui reprochant sa franchise et sa candeur. Son
narcissisme ne lui permet pas d’envisager une vie de couple.
Et faire la cour à OLGA n’est pour lui qu’un jeu, une revanche
un peu provocatrice et sans conséquences. Le duel que lui propose LENSKI, il l’accepte presque malgré lui, rentrant dans le
jeu mortifère de son ami jusqu’à tenir un rôle de meurtrier.
Rôle qui l’amènera ensuite à une errance conduite par un fort
sentiment de culpabilité. ONÉGUINE ne sort de son cynisme
qu’en revoyant TATIANA quelques années après. Il devient alors
aussi « amoureux qu’un gamin », passionné et, significativement, il l’exprime sur un thème musical que chantait TATIANA
alors qu’elle écrivait sa lettre d’amour ; il devient un amoureux
désespéré, sa conversion s’étant opérée bien trop tard :
TATIANA est mariée, TATIANA est fidèle.
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TATIANA LARINA : pour paraphraser Dostoïevski, cela
aurait pu être le titre de l’opéra, tant son personnage est le
centre de l’œuvre. Tchaïkovski « aime Tatiana comme
Pouchkine l’avait aimée – et nous la fait aimer à son tour »
(Michel R. Hofmann). Avec ONÉGUINE, TATIANA est le personnage dynamique de l’œuvre ; on y suit son évolution, de la
jeune fille qui se réfugie dans ses lectures et dans ses rêves, à
la femme mariée, élégante et parfaitement maîtresse d’ellemême. Dans son parcours, TATIANA, malgré ses doutes, malgré
ses peurs, est sincère avec elle-même. Elle se jette dans son
destin comme à la mer. Brisée par ONÉGUINE, on la retrouve
quelques années après, épouse fidèle sinon aimante, épouse
loyale, archétype de la femme russe selon Dostoïevski (voir
page 173). C’est elle qui décide du destin du héros, elle est le
véritable pivot de l’œuvre.
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« Les chœurs ne doivent pas être un troupeau de brebis comme
sur la scène impériale, mais des humains qui prennent part à l’ac tion de l’opéra », demandait Tchaïkovski. Les CHŒURS
d’Eugène Onéguine représentent la vieille Russie rurale et populaire, avec ses chants de paysans et ses chansons de jeunes
filles. Ils incarnent aussi la société somme toute médiocre qui
entoure les protagonistes, et dont les ragots mettent le feu aux
poudres et appellent la provocation vengeresse d’ONÉGUINE.
Dans ces scènes lyriques, Tchaïkovski dessine également
une série de personnages touchants ou pittoresques, qui ont
tous leur place dans la dramaturgie de l’œuvre.
Il y a la fiancée de LENSKI, OLGA, une jeune fille toute
blonde et toute simple, heureuse de vivre. On pourrait se
demander ce qu’elle va devenir après la mort de LENSKI :
dépressive ou veuve joyeuse ?
Il y a le prince GRÉMINE, l’époux de TATIANA, beaucoup
plus âgé qu’elle. Il n’intervient au troisième acte que pour présenter son ami ONÉGUINE à TATIANA et pour chanter, avec
grande noblesse, l’amour qui illumine la vie et qui touche à
tout âge. GRÉMINE, dont les « glorieuses blessures » lui valent
les faveurs de la cour impériale, est comme un Mazeppa qui
aurait bien tourné : homme de guerre valeureux, touché tardivement par l’amour, il forme avec TATIANA un couple marqué
par un amour adulte et loyal.
Il y a Monsieur TRIQUET, le Français qui séjourne en
Russie et qui chante, en hommage à TATIANA, une romance
belle et banale, en français, souvenir d’une Europe volontiers
francophone.
Il y a ZARETSKI, qui apporte un soin méticuleux – et
presque comique – à l’organisation du duel, et qui est bien
contrarié qu’ONÉGUINE ait choisi comme témoin son valet de
chambre, Monsieur GUILLOT, encore un Français.
Et puis il y a les vieilles femmes : MADAME LARINA,
mère d’OLGA et de TATIANA et FILIPIEVNA, leur vieille
nourrice. Elles représentent le passé et le souvenir. Elles
racontent, au fil des scènes, la vie d’autrefois, les mariages
arrangés ou forcés, leur résignation et leur consolation :
« L’habitude nous tient lieu de bonheur. »
Les souvenirs de FILIPIEVNA s’estompent dans sa mémoire
– c’est une très vieille dame – et, de toute façon, personne
n’écoute vraiment ce qu’elle raconte. Même si TATIANA la
questionne sur sa vie amoureuse, la jeune femme, obsédée par
son propre amour tout neuf, ne l’écoute qu’à moitié, et ne
ménage pas sa vieille tête.
Évoquant sa jeunesse, l’homme qu’elle aimait et puis celui
qu’elle épousa, MADAME LARINA dessine, dès la première
scène, ce que sera le destin de TATIANA : l’histoire des
femmes, toujours recommencée.
J.S.
PIOTR ILLITCH
TCHAÏKOVSKI
EUGÈNE ONÉGUINE
DEISTVIIE PERVOÏE
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INTRODUCTION
KARTINA PERVAÏA
No 1. Duo & quatuor
TATYANA I OLGA
Slykhali l’vy za rostchei glas natchnoï
Peftza lioubvi, peftza svaïei pétchali?
Kagda palia f tchas outrenniï moltchali,
Sviriéli zvouk ounylyi i prastoï,
Slykhali l’ vy?...
LARINA
Ani païout, i ia, byvalo,
V davno prachedchiié gada,
Ty pomnich li, i ia pévala.
PREMIER ACTE
INTRODUCTION
Le jardin de la propriété des Larine en fin d’après-midi.
Madame Larina et Filipievna, la nourrice, sont assises
sous un arbre. Les portes de la maison sont ouvertes
sur la terrasse. De l’intérieur, on entend chanter
Tatiana et Olga.
SCÈNE 1
No 1. Duo & quatuor
TATIANA & OLGA
Avez-vous entendu, au fond des bois, la nuit
Ce chant d’amour, chant mélancolique ?
Et le matin, dans les prés silencieux,
Le son de la flûte, simple et triste,
L’avez-vous entendu ?...
LARINA
Elles chantent et moi, jadis,
Je chantais aussi,
Tu te souviens, je chantais.
23
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
FILIPIEVNA
Vy byli molady tagda.
TATYANA I OLGA
Vzdakhnouli l’ vy vnimaïa tikhiï glas
Peftza lioubvi, peftza svaïéi pétchali?
Kagda v lessakh vy iounochou vidali
Vstrietchaïa vzor ievo patoukhchikh glas.
Vzdaknouli l’ vy?
LARINA
Kak ia lioubila Ritchardsona!
FILIPIEVNA
Vy byli molady tagda.
24
LARINA
Nié patamou, chtoby pratchla.
No v starinou kniajna Alina,
Maïa maskovskaïa kousina,
Tviérdila tchasta mnié a niom.
FILIPIEVNA
Da, pomniou, pomniou.
TATYANA I OLGA
... Vy iounochou vidali,
Vstretchaïa vzor iévo
Patoukhchikh glas...
LARINA
Akh, Grandison! Akh, Grandison!
FILIPIEVNA
V to vriémia byl iéstcho jenikh
PREMIER ACTE SCÈNE 1
FILIPIEVNA
Vous étiez jeune alors.
TATIANA & OLGA
Avez-vous soupiré entendant cette voix
Ce chant d’amour, chant mélancolique ?
En croisant, en forêt, le regard sombre
D’un jeune homme mélancolique.
Avez-vous soupiré ?
LARINA
Comme j’aimais Richardson !
FILIPIEVNA
Vous étiez jeune alors.
LARINA
Je ne le lisais pas, pourtant.
Mais la princesse Aline,
Ma cousine de Moscou
Me parlait souvent de lui.
FILIPIEVNA
Oui, je me souviens, je me souviens.
TATIANA & OLGA
... En croisant dans la forêt
Le regard sombre
D’un jeune homme triste...
LARINA
Ah, Grandison ! Ah, Grandison !
FILIPIEVNA
Votre futur vous faisait la cour
25
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Souprouk vach, no vy paniévolé
Tagda metchtali a drougom,
Katoryï siérdtzém i oumom
Vam nravilsia garazda bolé!
TATYANA I OLGA
... Vzdakhnouli l’ vy?
Vzdakhnouli l’ vy?
LARINA
Akh, Ritchardson!
Viet’ on byl slavnyï frant,
Igrok i gvardiyi serjante!
FILIPIEVNA
Davno prachedchiié gada!
26
LARINA
Kak ia byla vsiegda adiéta!
FILIPIEVNA
Vsiegda pa modé!
LARINA
Vsiegda pa modé i k litzou!
FILIPIEVNA
Vsiegda pa modé i k litzou!
TATYANA I OLGA
... Vzdakhnouli l’ vy,
Vstretchaïa vzor iévo
Patoukhchikh glas,
Vzdakhnouli l’ vy?
Vzdakhnouli l’ vy?
PREMIER ACTE SCÈNE 1
Mais vous ne vouliez pas,
Vous rêviez alors d’un autre,
Qui à votre cœur, à votre esprit,
Plaisait bien davantage !
TATIANA & OLGA
... Avez-vous soupiré ?
Avez-vous soupiré ?
LARINA
Ah, Richardson !
Mais c’était un beau dandy,
Un joueur, un sergent de la garde !
FILIPIEVNA
Notre temps passe !
LARINA
Comme j’étais élégante alors !
FILIPIEVNA
Toujours à la mode !
LARINA
À la mode et cela m’allait !
FILIPIEVNA
À la mode et cela m’allait !
TATIANA & OLGA
... Avez-vous soupiré,
En croisant
Son regard sombre,
Avez-vous soupiré ?
Avez-vous soupiré ?
27
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
LARINA
No vdrouk bez maiévo saviéta...
FILIPIEVNA
... sviézli vniézapna vas k viéntzou!
Patom, chtoby rasseïat’ goré...
LARINA
Akh, kak ia plakala snatchala,
S souprougom tchut’ nié razviélas!
FILIPIEVNA
... siouda priiékhal
Barine vskoré.
Vy tout khaziaïstvom zanialis’,
Privykli davol’ny stali.
28
LARINA
Patom khaziaïstvom zanialas’,
Privykla i davol’na stala.
FILIPIEVNA
I slava bogou!
LARINA I FILIPIEVNA
Privytchka svyché nam dana,
Zaména stchastyiou ana.
Da, tak-ta tak!
Privytchka svyché nam dana,
Zaména stchastyiou ana.
LARINA
Korssiét, albom, kniajnou Polinou,
Stikhof tchouvstvitelnykh tetrat’,
Ia vsio zabyla.
PREMIER ACTE SCÈNE 1
LARINA
Mais soudain, sans rien me demander...
FILIPIEVNA
... On vous maria à un autre !
Alors, pour effacer votre tristesse...
LARINA
Ah, comme j’ai pleuré au début
Je manquais de quitter mon mari !
FILIPIEVNA
... Immédiatement c’est ici
Que le maître vous amena.
Vous vous êtes consacrée à la maison,
Résignée, puis apaisée.
LARINA
Je me suis consacrée à la maison,
Résignée, puis apaisée.
FILIPIEVNA
Dieu merci !
LARINA & FILIPIEVNA
Le ciel nous envoie l’habitude,
Qui nous tient lieu de bonheur.
Oui, c’est ainsi !
Le ciel nous envoie l’habitude,
Qui nous tient lieu de bonheur.
LARINA
Corsets, albums, princesse Pauline,
Cahiers de poésies sentimentales,
J’avais tout oublié.
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TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
FILIPIEVNA
Stali zvat’, Akoulkoï priéjniouï
Siélinou i abnavili nakoniètz...
LARINA
Akh...
LARINA I FILIPIEVNA
... na vaté chlafrock i tchepiétz!
Privytchka svyché nam dana,
Zaména stchastyiou ana.
Da, tak-to tak!
Privytchka svyché nam dana,
Zaména stchastyiou ana.
LARINA
No mouch, ménia lioubil sierdiétchno...
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FILIPIEVNA
No barine vas lioubil sierdiétchno...
LARINA
... Vo vsiom mnié viéril on,
Bespiétchno.
FILIPIEVNA
... Vo vsiom vam viéril on,
Bespiétchno.
LARINA I FILIPIEVNA
Privytchka svyché nam dana,
Zaména stchastyiou ana.
No 2. Chœur & danse des paysans
PREMIER ACTE SCÈNE 1
FILIPIEVNA
La servante, vous l’avez appelée
Akoulka et non plus Céline...
LARINA
Ah...
LARINA & FILIPIEVNA
... Robe de chambre et bonnet molletonnés !
Le ciel nous envoie l’habitude,
Qui nous tient lieu de bonheur.
Oui, c’est ainsi !
Le ciel nous envoie l’habitude,
Qui nous tient lieu de bonheur.
LARINA
Mais mon mari m’aimait vraiment...
31
FILIPIEVNA
Mais le maître vous aimait vraiment...
LARINA
... Et me faisait vraiment confiance,
Sans réserve.
FILIPIEVNA
... Et vous faisait vraiment confiance,
Sans réserve.
LARINA & FILIPIEVNA
Le ciel nous envoie l’habitude,
Qui nous tient lieu de bonheur.
No 2. Chœur & danse des paysans
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
ZAPEVALO
Boliat moyi skory nojen’ki
So pakhodouchki!
KRESTIANI
... Skory nojen’ki so pakhodouchki.
ZAPEVALO
Boliat maïi biély routchen’ki
So rabotouchki!
32
KRESTIANI
... Biéli routchen’ki so rabotouchki.
Stchemit maïo retivoïé siérdtzé
So zabotouchki!
Nié znaïou, kak byt’,
Kak lioubiéznava zabyt’!
Boliat maïi skory nojen’ki
So pakhodouchki!
Boliat maïi biély routchen’ki
So rabotouchki!
Zdrastvouï matouchka-barynia!
Zdrastvouï, nacha karmilitza!
Vot my prichli k tvaïei milosti,
Snop prinesli razoukrachennyi!
S jatvaï pakontchili my!
LARINA
Chto j, i prekrasno, viéssélites’,
Ia rada vam.
Prapoïté chto-nibout’ paviésséliéi!
PREMIER ACTE SCÈNE 1
On entend au loin un chœur qui se rapproche.
LE PREMIER PAYSAN
Mes p’tits pieds agiles ont mal
À force d’avoir marché !
LES PAYSANS
... Ont mal à force d’avoir marché.
LE PREMIER PAYSAN
Mes p’tites mains blanches ont mal
À force d’avoir travaillé !
LES PAYSANS
... Ont mal à force d’avoir travaillé.
Mon cœur brûlant a mal
D’être angoissé !
Je ne sais quoi faire
Pour oublier mon amour !
Mes p’tits pieds agiles ont mal
À force d’avoir marché !
Mes p’tites mains blanches ont mal
À force d’avoir travaillé !
(Les paysans entrent.)
Salut à toi, maîtresse, petite mère !
Salut à toi, notre bienfaitrice !
Nous apportons à votre grâce
Une gerbe de blé décorée,
La moisson est terminée !
LARINA
Bien, c’est parfait, soyez joyeux,
Soyez les bienvenus.
Chantez-nous quelque chose de joyeux !
33
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
KRESTIANI
Izvol’té, matouchka,
Patiéchim baryniou!
Nou, diéfki, f krouk
Skhadites’!
Nou, chto j vy, stanovites’, stanovites’!
34
Ouch kak pa mostou, mostotchkou,
Pa kalinovym dassotchkam,
Vayinou, vayinou, vayinou, vayinou,
Pa kalinovym dassotchkam,
Tout i chol prochol détina,
Slovno iagoda malina, vayinou...
Slovno iagoda malina.
Na pletché nessiot doubinkou,
Pat paloï nessiot sous volynkou,
Vayinou...
Pat paloï nessiot volynkou,
Pat drougoï nessiot goudotchek.
Dagadaïsia, mil droujotchek, vayinou...
Dagadaïsia, mil droujotchek.
Solntze siélo, ty nié spich li!
Libo vyidi, libo vychli, vayinou...
Libo vyidi, libo vychli,
Libo Sachou, libo Machou,
Libo douchetchkou Parachou, vayinou...
Libo douchetchkou Parachou,
Libo Sachou...
Parachen’ka vykhodila,
S milym riétchi gavarila: vayinou...
S milym riétchi gavarila:
«Nié bessout’-ka, moï droujotchek,
V tchom khodila, v tom i vychla,
V khouden’koï vo roubachonké,
PREMIER ACTE SCÈNE 1
LES PAYSANS
Avec plaisir, petite mère,
Divertissons la maîtresse !
Allons les filles,
Faites le cercle !
Qu’attendez-vous, préparez-vous !
(Les filles font une ronde.
Olga et Tatiana sortent sur la terrasse.)
Sur le pont, un jour, sur le petit pont
Sur les planches de noisetiers
Vaïnou, vaïnou, vaïnou, vaïnou,
Sur les planches de noisetier
Beau garçon vint à passer,
Délicieux comme une framboise, vaïnou...
Délicieux comme une framboise.
Sur l’épaule un gros bâton
Sous un bras un beau biniou,
Vaïnou, vaïnou, vaïnou, vaïnou
Sous un bras un beau biniou
Et sous l’autre un violon.
Devine un peu, ma belle, vaïnou...
Devine un peu ma belle.
Le soleil s’est couché, tu ne dors pas !
Sors toi-même ou envoie quelqu’un, vaïnou...
Sors toi-même ou envoie quelqu’un
Envoie Sacha ou Macha,
Ou la belle Paracha, vaïnou...
Envoie la belle Paracha,
Envoie Sacha...
La petite Paracha sortit,
Causa avec son petit ami : vaïnou...
Causa avec son petit ami :
« Ne te fâche pas, mon trésor,
Je suis venue comme j’étais,
Avec mon pauvre chemisier usé,
35
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Vo karotkaï panijonke, vayinou...
V khouden’kaï vo roubachonké,
Vo karotkaï panijonké!
Nié bessout’ – ka, moï droujotchek...»
Vayinou, vayinou, vayinou, vayinou...
No 3. Scène & air d’Olga
TATYANA
Kak ia lioubliou pat zvouki pessen
Etikh metchtaïou ounasitza inagda
Kouda-ta, kouda-ao daleko!
36
OLGA
Akh, Tanya Tanya!
Vsiegda metchtaïéch ty!
A ia tak nié f tébia,
Mnié viésséla, kagda ia piénié slychou.
«Ouch kak pa mastou, mastotchkou,
Pa kalinovym dassotchkam...»
Ia nié spasobna k grousti tomnaï
Ia nié lioubliou metchtat’ f tichy.
Il’ na balconié, notch’iou tiomnaï,
Vzdykhat’, vzdykhat’,
Vzdykhat’ iz gloubiny douchy.
Zatchem vzdykhat’, kagda stchastlivo
Maïi dni iounyié tékout?
Ia bezzabotna i chalavliva,
Ménia rebionkam vsié zavout!
Mnié boudet jyzn’ vsiegda, vsiegda mila,
I ia astanous’, kak i priéjdé
Padobna viétrenaï nadiéjdé,
Rezva, bespiétchna, viésséla!
Padobna,...
Ia nié spasobna k grousty tomnoï.
PREMIER ACTE SCÈNE 1
Et ma petite jupe courte, vaïnou...
Avec mon pauvre chemisier usé,
Et ma petite jupe courte.
Ne te fâche pas, mon trésor... »
Vaïnou, vaïnou, vaïnou, vaïnou...
No 3. Scène & air d’Olga
TATIANA
Comme j’aime entendre ces chansons
Et flotter, dans mon rêve,
Ailleurs, loin, très loin !
OLGA
Ah, Tania, Tania !
Tu rêves sans cesse !
Je ne te ressemble vraiment pas,
Les chansons me rendent joyeuses.
« Sur le pont, un jour, sur le petit pont
Sur les planches de noisetiers... »
Je ne suis pas faite pour la tristesse,
Je n’aime pas rêver dans la solitude.
Sur un balcon, la nuit,
Soupirer, soupirer,
Soupirer de toute mon âme.
Pourquoi soupirer alors que, heureux,
Les jours de ma jeunesse passent paisiblement ?
Je suis insouciante et joyeuse
Et l’on me prend pour une enfant !
Ma vie sera douce, toujours douce
Et toujours je serai telle que je suis,
Confiante, le cœur léger,
Espiègle, insouciante et joyeuse.
Je ne suis pas faite pour la tristesse
Je n’aime pas rêver dans la solitude.
37
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Il’ na balconié, notch’iou tiomnaï,
Vzdykhat’, vzdykhat’,
Vzdykhat’ iz gloubiny douchy.
Zatchem vzdykhat’, kagda stchastlivo
Maïi dni iounyié tékout?
Ia bezzabotna i chalavliva,
Ménia rebionkam vsié zavout!
No 4. Scène
LARINA
Nou ty, maïa vostrouchka,
Viéssiolaïa i riésvaïa ty ptachka,
Ia doumaïou, pliasat’ sitchas gatova.
Nié pravda li?
38
FILIPIEVNA
Tanioucha!
A Tanioucha chto s taboï?
Ouch nié bol’na li ty?
TATYANA
Nièt, niania, ia zdarova.
LARINA
Nou, milyié, spasiba vam za piésni.
Stoupaïté k fligueliou!
Filipievna, a ty viéli im dat’ vina.
Prastchaïté, drougui!
KRESTIANI
Prastchaïté, matouchka!
PREMIER ACTE SCÈNE 1
Sur un balcon, la nuit,
Soupirer, soupirer,
Soupirer de toute mon âme.
Pourquoi soupirer alors que, heureux,
Les jours de ma jeunesse passent paisiblement ?
Je suis insouciante et joyeuse
Et l’on me prend pour une enfant !
No 4. Scène
LARINA
Eh bien, mon petit oiseau,
Joyeuse et gaie comme un pinson,
Tu es prête pour la danse,
Pas vrai ?
Tatiana et Filipievna se mettent un peu à l’écart.
39
FILIPIEVNA
Tanioucha !
Hé, Tanioucha, qu’as-tu ?
Tu n’es pas malade ?
TATIANA
Non, Nounou, ça va.
LARINA
Bien mes amis, merci pour vos chansons.
Vous pouvez vous retirer !
Filipievna, qu’on leur verse du vin !
Au revoir, mes amis !
LES PAYSANS
Au revoir, petite mère !
(Ils sortent.)
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
OLGA
Mamacha,
Pasmatrité-ka na Taniou!
LARINA
A chto? Y vpriam’, moï drouk,
Bledna ty otchen’
TATYANA
Ia vsiegda takaïa,
Vy nié trévojtes’, mama!
Otchen’ interiésno to, chto tchitaïou.
LARINA
Tak attavo bledna ty?
40
TATYANA
Da kak jé, mama!
Poviést’ mouk sierdiétchnykh
Vlioublionnykh dvoukh ménia valnouiét.
Mnié tak jal’ ikh, biédnykh!
Akh, kak ani stradaïout,
Kak ani stradaïout.
LARINA
Polno, Tanya, byvalo ia, kak ty,
Tchitaïa knigui éti, valnavalas’.
Vsio éta vymyssel, prochli gada,
I ia ouvidela, chto v jyzni nièt guéroïéf.
Spakoïna ia.
OLGA
Naprasno tak i pakoïny!
Smatrité, fartouk vach vy sniat’ zabyli!
Nou, kak priïédet Lenski, chto tagda?
Tchou! Podiézjaiét kto-to, éta on!
PREMIER ACTE SCÈNE 1
OLGA
Petite maman,
Regardez donc Tania !
LARINA
Qu’y-a-t-il ? Vraiment ma mie,
Tu es toute pâle.
TATIANA
Comme toujours,
Ne t’inquiète pas, maman !
Il est si passionnant, le livre que je lis.
LARINA
Tu es pâle à cause de lui ?
TATIANA
Mais évidemment, maman !
Le récit des peines d’amour
De ces deux amants m’émeut.
Ils me font de la peine, les pauvres !
Ah comme ils souffrent,
Comme ils souffrent !
LARINA
Assez, Tania, jadis, comme toi,
Ces lectures me bouleversaient.
Ce sont des fictions. Avec le temps,
J’ai compris qu’il n’y a pas de héros dans la vie.
Je me suis calmée.
OLGA
Vous êtes trop calme !
Voyez, vous avez gardé votre tablier !
Et si Lenski arrivait.
Chut ! On vient, c’est lui !
41
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
LARINA
I v samom diélé!
TATYANA
On nié adine...
LARINA
Kto b éta byl?
FILIPIEVNA
Soudarynia, priiékhal Lenski barine.
S nim gaspadine Onegin.
TATYANA
Akh, skaréié oubégou!
42
LARINA
Kouda ty, Tania?
Tiébia assoudiat!
Batiouchki, a tcheptchik moï na bakou!
OLGA
Viélité jé prassité!
LARINA
Prassi, skariéi, prassi!
N o 5. Scène & quatuor
LENSKI
Mesdames!
Ia na siébia vzial
Smiélost’ priviést priïatelia.
Rékomendouiou vam,
Onegin, moï sassiét.
PREMIER ACTE SCÈNE 1
LARINA
C’est lui en effet !
TATIANA
Il n’est pas seul...
LARINA
Qui cela peut-il être ?
FILIPIEVNA
Madame, c’est Lenski, le jeune maître.
Accompagné de monsieur Onéguine.
TATIANA
Ah, vite, je me sauve !
LARINA
Où vas-tu, Tania ?
On va le remarquer !
Ciel, mon bonnet est de travers !
OLGA
Fais-les venir !
LARINA
Qu’ils viennent, vite, qu’ils viennent !
No5. Scène & quatuor
LENSKI
Mesdames !
Je me suis permis
D’amener un ami
Puis-je vous présenter
Onéguine mon voisin.
43
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
ONEGIN
Ia otchen’ stchastliv!
LARINA
Pamilouité...my rady vam...
Prissiat’té;
Vot dotchéri maï!
ONEGIN
Ia otchen’, otchen’ rat!
LARINA
Vaïdiomté v komnaty...
Il, mojét byt’, khatité na vol’nom vozdoukhé ostatza?
Prachou vas.
Bez tzeremoniï bout’té, my sossiédi,
Tak nam tchinitza niétcheva!
44
LENSKI
Préliéstna zdiés’! Lioubliou
Ia état sat oukromnyi i ténistyi.
V niom tak ouioutno!
LARINA
Prekrasno! Païdou pakhlapatat’ ia v domé
Pa khaziaïstvou.
A vy gastiéi zaïmité... Ia sitchas.
ONEGIN
Skaji, katoraïa Tatyana?
PREMIER ACTE SCÈNE 1
ONÉGUINE
Je suis très honoré !
LARINA
Je vous en prie... Enchantée...
Asseyez-vous.
Voici mes filles !
ONÉGUINE
Enchanté, très honoré !
LARINA
Venez dans la maison...
Ou peut-être préférez-vous
Rester ici, à l’extérieur ?
Je vous en prie, pas de cérémonies entre voisins,
Pas besoin de formalités.
45
LENSKI
L’endroit est délicieux ! J’aime
Ce jardin ombreux et retiré.
On est si bien ici !
LARINA
Très bien ! Pardonnez-moi, dans la maison
Je dois m’occuper de quelques affaires.
(À ses filles)
Occupez-vous de nos hôtes... Je ne serai pas longue.
Lenski et Onéguine s’écartent un peu en discutant,
Olga et Tatiana sont perdues dans leurs pensées.
ONÉGUINE
Dis-moi, laquelle est Tatiana ?
Je serais très curieux de le savoir.
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
LENSKI
Da ta, katoraïa groustna
I moltchaliva, kak Sviétlana!
ONEGIN
Mnié otchen’ lioubapytna znat’.
Niéouchto ty vlioublion v Miénchouiou?
LENSKI
A chto?
ONEGIN
Ia vybral by drougouiou
Kagda b ia byl, kak ty, poet!
46
TATYANA
Ia dajdalas’, otkrylis’ otchi!
Ia znaïou, znaïou éta on!
OLGA
Akh znala, znala ia,
Chto païavliénié
Onéguina proïzviédiot
Na vsiékh balchoïé vpetchatliénié,
I vsiékh sassiédei razvletchot!
Païtdiot dagadka za dagadkoï...
LENSKI
Akh, milyi drouk...
ONEGIN
V tchertakh ou Olgui jyzni nièt,
Totch-v-totch v
Vandikovoï madonnié.
Krougla, krasna litzom ana...
PREMIER ACTE SCÈNE 1
LENSKI
Eh, c’est celle qui est triste
Et silencieuse comme Svetlana !
ONÉGUINE
Es-tu vraiment épris
De la plus jeune ?
LENSKI
Pourquoi ?
ONÉGUINE
J’aurais choisi l’autre
Si comme toi, j’avais été poète !
TATIANA
Finie mon attente, mes yeux s’ouvrent
Je sais, je sais que c’est lui !
OLGA
Ah je savais, je savais que
L’apparition
D’Onéguine ferait impression
Sur tout le monde,
Et que les voisins en parleraient !
Ce sera des suppositions sans fin...
LENSKI
Ah, mon ami...
ONÉGUINE
Dans les traits d’Olga, aucune vie,
Elle ressemble
À une madone de Van Dyck.
Le visage rond et rose...
47
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
LENSKI
... Valna i kamen’,
Stikhi i proza, liot i plamen’,
Nié stol’ razlitchny miéch saboï!
TATYANA
Ouvy tépiér’ i dni i notchi, i jarkiï,
Odinokiï son.
Vsio, vsio napomnit obras milyi!
OLGA
Vsié stanout tolkavat’ oukratkaï
Choutit’, soudit’ nié bez grekha!
Païdiot dagatka...
48
LENSKI
... valna i kamen’,
Stikhi i proza, liot i plamen’,
Nié stol’ razlitchny miéch saboï!
ONEGIN
... kak éta gloupaïa louna,
Na étom gloupom niébosklonié!
TATYANA
Bez oumolkou, volchebnoï siloï,
Vsio boudet mnié tviérdit’ o niom,
I douchou jetch lioubvi aghniom.
OLGA
... choutit’, soudit’ nié bez grekha,
I tanié protchit’ jenikha!
LENSKI
... Kak my vzaïmnoï raznatoï!
PREMIER ACTE SCÈNE 1
LENSKI
... L’eau et le roc,
La poésie et la prose, la glace et le feu
Ne pourraient être plus différents que nous.
TATIANA
Maintenant, mes jours et mes nuits,
Mes rêves brûlants et solitaires,
Seront pleins de sa chère image !
OLGA
Tous vont jaser en cachette
Railler, juger, avec malice !
Suppositions sans fin...
LENSKI
... L’eau et le roc,
La poésie et la prose, la glace et le feu
Ne pourraient être plus différents...
ONÉGUINE
... comme la lune stupide,
Dans le ciel idiot !
TATIANA
Incessamment, comme par magie,
Tout me parlera de lui,
Et mon âme brûlera du feu d’amour.
OLGA
... railler, juger avec malice,
Le désigner fiancé de Tania !
LENSKI
... Que nos natures contrastées !
49
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
ONEGIN
Krougla, krasna litzom ana...
LENSKI
Volna i kamen’, liot i plamen’,
Stikhi i proza...
ONEGIN
... Kak éta gloupaïa louna,
Na étom gloupom niébosklonié!
TATYANA
Vsio boudit mnié tviérdit’ a niom, i douchou...
OLGA
Païdiot dagadka za dagadkoï, i stanout...
50
LENSKI
... Nié stol’ razlitchny miéch saboï,
Kak my vzayimnaï raznatoïou!
ONEGIN
Ia vybral by drougouiou!
TATYANA
... Jetch lioubvy aghniom!
OLGA
... Tanié protchit jenikha!
No 6. Scène & arioso de Lenski
PREMIER ACTE SCÈNE 1
ONÉGUINE
Le visage rond et rose...
LENSKI
L’eau et le roc, la glace et le feu,
La poésie et la prose...
ONÉGUINE
... comme la lune stupide,
Dans le ciel idiot !
TATIANA
Tout me parlera de lui, et mon âme...
OLGA
Suppositions sans fin, et on le désignera...
LENSKI
... ne pourraient être plus différents,
Que nos natures contrastées.
ONÉGUINE
J’aurais choisi l’autre !
TATIANA
... Brûlera du feu d’amour !
OLGA
... Comme le fiancé de Tania !
Lenski s’approche d’Olga
et Onéguine, nonchalant, de Tatiana.
No 6. Scène & arioso de Lenski
51
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
LENSKI
Kak stchastliv, kak stchastliv ia!
Ia snova vijous’ s vami!
OLGA
Vtchéra my vidélis’, mnié kajétza!
LENSKI
O da! No vsioj dién’ tzélyi, dolguiï dién’
Prachol v razlouké. Eta viétchnost’!
OLGA
Viétchnost’!
Kakoïé slovo strachnoïé!
Viétchnost’, dién’ adine...
52
LENSKI
Da, slovo strachnoïé,
No nié dlia moïei lioubvi!
ONEGIN
Skajité mnié,
Ia doumaïou, byvaiét vam
Preskoutchna zdiés’ v glouchy,
Khatia preliéstnaï, no daliokoï?
Nié doumaïou, chtop mnoga
Razvlétchéniï dano vam bylo.
TATYANA
Ia tchitaïou mnoga...
ONEGIN
Pravda, daïot nam tchtenié
PREMIER ACTE SCÈNE 1
LENSKI
Quel bonheur, quel bonheur pour moi !
Je vous revois enfin.
OLGA
Nous nous sommes vus hier, je crois !
LENSKI
Oh oui ! Mais tout un long jour
Sans vous voir. Une éternité !
OLGA
Une éternité !
Quel grand mot !
Une éternité, pour un seul jour...
LENSKI
Oui, un grand mot,
Mais pas pour mon amour !
Olga et Lenski s’éloignent.
ONÉGUINE
Dites-moi,
Je pense que vous devez vous ennuyer
Dans cette campagne, certes très belle,
Mais loin de tout.
Je ne pense pas que vous ayez
Beaucoup de distractions.
TATIANA
Je lis énormément...
ONÉGUINE
Il est vrai, la lecture donne
53
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Bezdnou pistchi
Dlia ouma i siérdtza,
No nié vsiegda sidiét’ nam.
Mojna s knigaï.
TATYANA
Metchtaïou inagda,
Bradia pa sadou.
ONEGIN
O tchom je vy metchtaiéte?
TATYANA
Zadoumtchivost’ maïa
Padrouga at samykh kalybiél’nykh dniéi.
54
ONEGIN
Ia vijou vy metchtatelny oujasno,
I ia takim kagda-to byl.
LENSKI
Ia lioubliou vas,
Ia lioubliou vas, Olga, kak adna
Bezoumnaïa doucha poéta
Iéstcho lioubit’ ossoujdéna.
Vsiegda, viézdié adno
Metchtanié, adno privytchnaïé jélanié,
Adna privytchnaïa petchal’!
Ia otrok byl taboï plenionnyi,
Sierdiétchnykh mouk iéstcho, nié znaf,
Ia byl svidiétel’ oumilionnyi
Tvaïkh mladiéntcheskikh zabaf.
F téni khranitel’naï doubravy
PREMIER ACTE SCÈNE 1
Une nourriture abondante
Au cœur et à l’esprit.
Mais on ne peut pas lire
Tout le temps.
TATIANA
Je rêve parfois,
Me promenant dans le jardin.
ONÉGUINE
À quoi rêvez-vous ?
TATIANA
Les rêves ont été mes compagnons
Depuis mon enfance.
ONÉGUINE
Je vois que vous êtes une vraie
Rêveuse, moi aussi je rêvais, jadis.
Ils s’éloignent, Lenski et Olga reviennent.
LENSKI
Je vous aime,
Je vous aime, Olga, comme seul
Le cœur fou d’un poète
Peut aimer.
Partout, toujours, un seul
Rêve, un seul et constant désir,
Une seule peine constante !
Enfant, j’étais fasciné par toi,
Je ne connaissais pas les peines de cœur,
Avec une tendre émotion, je regardais
Tes jeux d’enfant.
À l’abri des feuillages,
55
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Ia razdelial tvaï zabavy.
Akh, ia lioubliou tiébia,
Ia lioubliou tiébia, kak adna
Doucha poéta tol’ko lioubit’.
Ty adna v maïkh metchtaniakh,
Ty adno maïo jelanié,
Ty mnié radost’ i stradanié.
Ia lioubliou tiébia,
Ia lioubliou tiébia, i nikagda, nichto:
Ni okhlajdaïoustchaïa dal’,
Ni tchas razlouki, ni viésiélia
Choum nié otrezviat douchy,
A sagriétoï diévstviénnym
Lioubvi aghniom.
56
OLGA
Pat krovam siélskaï tichyny...
... Rasli s taboïou vmiéste my,
I pomnich, protchili viéntzy
Ouch v ranniém diétztvié
Nam s taboï nachy atzy.
LENSKI
Ia lioubliou tiébia!
Ia lioubliou tiébia!
Ia lioubliou tiébia!
No 7. Scène finale
LARINA
A, vot i vy!
Kouda je diélas’ Tania?
PREMIER ACTE SCÈNE 1
J’y prenais part.
Ah, je t’aime,
Je t’aime comme seul
Peut aimer le cœur d’un poète.
Je ne rêve que de toi,
Tu es mon seul désir,
Tu es ma joie, tu es ma peine.
Je t’aime,
Je t’aime et rien, jamais :
Ni l’éloignement,
Ni la séparation,
Ni le tumulte de la joie,
N’apaisera en mon cœur
Le feu de l’amour virginal.
OLGA
Dans la paix de la campagne...
... J’ai grandi avec toi,
Et te souviens-tu que nos parents
Nous avaient destinés, enfants,
L’un à l’autre ?
LENSKI
Je t’aime !
Je t’aime !
Je t’aime !
No 7. Scène finale
Larina et Filipievna sortent sur la terrasse.
La nuit est presque tombée.
LARINA
Ah, vous êtes là !
Mais où est passée Tatiana ?
57
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
FILIPIEVNA
Daljno byt’, ou prouda
Gouliaiét s gostem;
Païdou iéio paklikat’.
LARINA
Da skaji-ka iéi,
Para de v komnaty,
Gastiéi galodnykh
Papottchevat’ tchem bokh paslal!
Prachou vas pajalouité!
LENSKI
My vsliét za vami.
58
ONEGIN
Moï diadia samykh tchesnykh
Pravil, kagda nié v choutkou zaniémok,
On ouvajat’ siébia zastavil,
I loutchché vydoumat’ nié mok,
Iévo primiér drouguim naouka.
No, bojé moï, kakaïa skouka
S bol’nym sidiét’ i dién’ i notch,
Nié atkhadia ni chagou protch!
FILIPIEVNA
Maïa galoupka, skloniv galovkou
I glaski apoustif, idiot smirnién’ko,
Stydliva bol’no! A i to!
Nié priglianoulsia li iéi barine état novyi?
PREMIER ACTE SCÈNE 1
FILIPIEVNA
Sans doute près de l’étang
Se promenant avec notre hôte ;
Je vais l’appeler.
LARINA
Dis-lui de ma part qu’il est temps
De rentrer, nos hôtes ont faim,
Ils vont partager notre repas,
Ce que Dieu nous offre !
Je vous en prie, entrez !
LENSKI
Nous arrivons.
Onéguine et Tatiana reviennent.
ONÉGUINE
Mon oncle avait des principes rigoureux,
Quand il dut s’aliter,
Il força le respect de chacun
Par sa fin honorable,
Que chacun profite de son exemple.
Mais, mon Dieu, quel ennui
De veiller nuit et jour au chevet d’un malade,
Sans oser s’éloigner d’un pas !
FILIPIEVNA (les suivant de loin)
Ma petite colombe va,
Humble, tête inclinée, yeux baissés,
Elle est terriblement timide ! Je me demande !
Serait-elle éprise de ce nouveau jeune maître ?
59
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
KARTINA VTORAÏA
No 8. Introduction & scène avec la nourrice
FILIPIEVNA
Nou, zabaltalas’ ia!
Pora ouch, Tania, rano
Tiébia ia razboujou k abiédnié;
Zasni skariéi.
TATYANA
Nié spitza, niania, zdiés’ tak douchna!
Atkroï akno i siat’ ka mnié.
60
FILIPIEVNA
Chto, Tania, chto s taboï?
TATYANA
Mnié skoutchna
Pagavarim a starinié.
FILIPIEVNA
O tchom jé, Tania? Ia byvalo,
Khranila v pamiati
Niémalo starinnykh bylei i
Niéby1itz pro zlykh
Doukhov i pra dévitz,
A nynié vsio temno mnié stalo:
Chto znala, to zabyla.
Da! Prichla khoudaïa tchéréda!
Zachyblo.
PREMIER ACTE SCÈNE 2
SCÈNE 2
La chambre de Tatiana, simplement meublée.
Tatiana, en chemise de nuit blanche, est pensive.
N o 8. Introduction & scène avec la nourrice
FILIPIEVNA
Bon, j’ai assez bavardé !
C’est l’heure de dormir, Tania
Je te réveillerai tôt pour la messe ;
Va vite te coucher.
TATIANA
Je n’ai pas sommeil, Nounou, on étouffe ici !
Ouvre la fenêtre, assieds-toi près de moi.
FILIPIEVNA
Pourquoi, Tania, qu’as-tu donc ?
TATIANA
Je m’ennuie,
Parlons d’autrefois.
FILIPIEVNA
Comment, Tania ?
Jadis, je connaissais
Plein de vieux récits et de contes,
Avec des esprits malins
Et de belles jeunes filles,
Mais ma mémoire est partie :
J’ai oublié tout ce que je savais.
Oui ! La vieillesse est venue !
Triste.
61
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
TATYANA
Rasskaji mnié, niania,
Pro vachy staryié goda:
Byla ty vlioubléna tagda?
FILIPIEVNA
I polno, Tania!
V nachi liéta my nié slykhali pra lioubof,
A to pakoïnitza sviékrof ’
Ménia by soghnala so sviéta.
TATYANA
Da kak jé ty viéntchalas’, niania?
62
FILIPIEVNA
Tak, vidno, bokh viéliél!
Moï Vania malojé byl ménia, moï sviét,
A bylo mnié trinadtzat liét!
Niédiéli dvié khadila svakha
K maïei radnié i nakaniétz
Blagaslavil ménia atiétz!
Ia gor’ka plakala sa strakha,
Mnié s platchem kossou raspléli,
I s pién’iém f tzerkaf’ paviéli,
I vot vviéli v sem’iou tchoujouiou...
Da ty nié slouchaïéch ménia?
TATYANA
Akh, niania, niania, ia stradaïou,
Ia taskouiou, mnié tochno, milaïa maïa;
Ia plakat’, ia rydat’ gatova.
FILIPIEVNA
Ditia maïo, ty niézdarova;
Gaspot’ pamiloui i spassi!
PREMIER ACTE SCÈNE 2
TATIANA
Raconte-moi, Nounou,
Ton passé :
Jeune, étais-tu amoureuse ?
FILIPIEVNA
Qu’est-ce que tu dis là, Tania !
À cette époque, on ne parlait pas d’amour,
Sinon ma feue belle-mère
M’aurait chassée de la face de la terre.
TATIANA
Mais comment t’es-tu mariée, Nounou ?
FILIPIEVNA
La volonté de Dieu, je pense !
Mon Vania était plus jeune que moi,
Ma fille, et je n’avais que treize ans !
Pendant une semaine ou deux
La marieuse a harcelé mes parents,
À la fin, mon père donna son accord !
Je pleurais d’angoisse,
Je sanglotais quand on défit ma tresse de fille
Et qu’on m’emmena à l’autel en chantant.
J’arrivais dans une famille inconnue...
Mais, tu ne m’écoutes pas ?
TATIANA
Ah, Nounou, Nounou, j’ai mal,
Je souffre, je suis malheureuse, ma chérie ;
J’ai envie de pleurer.
FILIPIEVNA
Mon enfant, tu es malade ;
Que Dieu nous protège !
63
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Daï akrapliou tiébia sviatoï vadoïou.
Ty vsia garich.
TATYANA
Ia nié bal’na, ia... Znaiéch niania... Ia...
Vlioubléna... Astaf’ ménia, astaf’ ménia...
Ia vlioublena...
FILIPIEVNA
Da kak-je...
TATYANA
Padi, astaf’ ménia adnou.
Daï, niania mnié pero,
Boumagou,da stol pridvin’;
Ia skora liagou. Prasti.
64
FILIPIEVNA
Pakoïnaï notchi, Tania.
N o 9. Scène de la lettre
TATYANA
Pouskaï paguibnou ia, no priéjdé
Ia v aslépitel’naï nadiéjdé
Blajenstvo tiomnoïé zavou,
Ia niégou jizni ouznaïou!
Ia p’iou volchebnyi iad jélaniï!
Ménia presliédouiout metchty!
Viézdié, viézdié pérédo mnoï
Moï iskoussitel’ rakavoï!
Viézdié, viézdié,
On prédo mnoïou!
PREMIER ACTE SCÈNE 2
Laisse-moi t’asperger d’eau bénite.
Tu as la fièvre.
TATIANA
Je ne suis pas malade... Nounou chérie... Je...
Suis amoureuse, laisse-moi, laisse-moi...
Je suis amoureuse...
FILIPIEVNA
Mais bien sûr...
TATIANA
Va, laisse-moi seule.
Nounou, donne-moi une plume,
Du papier, approche la table ;
Je me coucherai bientôt. Pardonne-moi.
FILIPIEVNA
Bonne nuit, Tania.
(Elle sort.)
N o 9. Scène de la lettr e
TATIANA (agitée mais déterminée)
Même si je meurs, je dois d’abord
En un brûlant espoir,
Éprouver le bonheur inconnu,
Goûter l’ivresse de la vie !
Je bois le philtre magique du désir !
Je suis remplie de rêves !
Partout, partout se dresse devant moi
Mon funeste tentateur !
Partout, partout,
Je le vois.
(Elle s’assoit, écrit, puis s’interrompt.)
65
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Nièt, vsio nié to!
Natchnou snatchala!
Akh, chto so mnoï, ia vsia gariou...
Nié znaïou, kak natchat!
«Ia k vam pichou... Tchévo jé bolé?
Chto ia magou iéstcho skazat’?
Tepiér’ ia znaïou, v vachei volé
Ménia prezrién’iém nakazat’!
No vy, k moïei niéstchastnoï dolé
Kho’t kapliou jalosti khrania,
Vy nié ostavité ménia.
Snatchala ia moltchat’ khatiéla;
Paviér’té, maïévo styda vy nié ouznali b
Nikagda, nikagda!»
66
O da, klialas’ ia sokhranit’ v douché
Priznanié v strasty
Pylkoï i bézoumnoï!
Ouvy! Nié v silakh ia vladiét’ svaïei douchoï!
Poust’ boudet to, chto byt’ doljno so mnoï!
Iémou priznaïous’ ia! Sméliéi!
On vsio ouznaiét!
«Zatchem, zatchem vy possétili nas?
V glouchy zabytava siéliénia
Ia b nikagda nié znala vas,
Nié znala b gor’kava moutchénia.
Douchy niéopytnoï volniénia smiriv,
So vriéméniém, kak znat’?
Pa siérdtzou ia nachla by drouga,
Byla by viérnaïa souprouga
I dabradiételnaïa mat...»
PREMIER ACTE SCÈNE 2
Non, ça ne va pas !
Je recommence !
(Elle déchire la page.)
Ah, qu’est ce qui m’arrive, je brûle...
Je ne sais comment commencer !
(Elle écrit, s’arrête, relit.)
« Je vous écris, que dire d’autre ?
Que puis-je dire de plus ?
Je sais à présent qu’il est en votre pouvoir
De me punir de votre mépris !
Mais si vous avez une once de pitié
Pour mon triste sort
Vous ne me repousserez point.
J’ai d’abord voulu me taire ; ainsi,
Croyez-le, vous n’auriez pas su ma honte
Jamais, jamais ! »
(Elle s’interrompt.)
Oh oui, je me jurai de cacher en mon âme
L’aveu de cette passion
Folle et brûlante !
Hélas, je ne puis soumettre mon cœur !
Advienne que pourra, je suis prête !
Je dirai tout ! Courage !
Il saura tout !
(Elle reprend l’écriture.)
« Pourquoi, pourquoi êtes-vous venu ?
Cachée dans ma campagne tranquille,
Je ne vous aurais jamais connu,
Ni jamais connu cette torture.
Le tourment d’un jeune cœur,
Le temps, qui sait, l’aurait calmé ?
J’en aurais connu un autre
J’aurais été épouse fidèle
Et mère vertueuse... »
(Pensive, elle se lève.)
67
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
68
Drougoï! Nièt, nikamou na sviéte
Nié atdala by siérdza ia!
To v vyschniém soujdéno soviéte,
To volia niéba: ia tvaïa!
Vsia jizn’ maïa byla zalogom
Svidania viérnava s taboï;
Ia znaïou: ty mnié poslan bogom
Da groba ty khranitel’ moï!
Ty v snovidiéniakh mnié
Y, iavlialsia, niézrimyi,
Ty ouch byl mnié mil,
Tvoï tchoudnyi vzgliat ménia tamil,
V douché tvoï golos razdavalsa.
Davno... Nièt éta byl nié son’!
Ty tchout’ vachol, ia vmik. Ouznala
Vsia abamliéla, zapylala,
I v mysliakh molvila:
Vot on! Vot on!
Nié pravda l! Ia tiébia slykhala...
Ty gavaril so mnoï v tichy,
Kagda ia biédnym pamagala,
Ili malitvoï ouslajdala taskou douchy?
Y v éta samoïé mghnaviénié nié ty li,
Milaïé vidiénié,
V prazratchnaï temnatié mel’knoul,
Priniknouv tikho k izgaloviou
Nié ty l’ s atradaï i liouboviou
Slava nadiéjdy mnié chepnoul?
«Kto ty: moï anguel li khranitel’
Ili kovarnyi iskoussitel’?
Maïi somniénia razrechy.
Byt’ mojét, eta vsio poustoïé,
Obman niéopytnaï douchy,
I soujdéno sovsiém inoïé...»
PREMIER ACTE SCÈNE 2
Un autre ! Non, aucun autre
N’aurait reçu mon cœur !
C’est un décret du ciel,
C’est la volonté d’en-haut : je suis à toi.
Toute ma vie fit le serment
De cette rencontre inévitable ;
Je le sais : Dieu t’a envoyé à moi
Tu me protègeras jusqu’à la tombe !
Tu m’es apparu dans mes rêves,
Même inconnu, je te chérissais,
Ton regard clair m’emplissait de désir,
Ta voix résonnait dans mon cœur,
Autrefois... Non ce n’était pas un rêve !
Je t’ai reconnu dès ta venue,
Foudroyée, je brûlais,
Et me disais : c’est lui ! c’est lui !
Pas vrai ? Je t’ai entendu...
Ne m’as-tu point parlé dans le silence,
Alors que je visitais les pauvres,
Ou que, par la prière, je cherchais
L’apaisement de mon âme angoissée ?
Et dans ce moment précis,
N’était-ce pas toi, chère image,
Qui éclaira la transparente nuit,
Se pencha doucement sur ma couche,
Et avec joie et amour,
Me murmura des mots pleins d’espérance ?
(Elle se rassied et écrit.)
« Qui es-tu : mon ange gardien
Ou un tentateur malin ?
Détruis mes doutes.
Peut-être n’est-ce qu’un rêve vide,
L’illusion d’un cœur sans expérience,
Et arrivera tout autre chose... »
(Elle se lève et marche, songeuse.)
69
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
No tak i byt’! Sud’bou moïou
Atnynié ia tébié vroutchaïou,
Péret taboïou sliozy liou,
Tvaïei zastchity oumaliaïou,
Oumaliaïou. Vaabrazi: ia zdiés adna!
Nikto ménia nié panimaiét!
Rassoudok moï izniémagaïét,
I moltcha guibnout’ ia daljna!
Ia jdou tiébia, ia jdou tiébia!
Iédinym slovam nadiéjdy
Siértza ojyvi,
Il sonn tijolyi pérervi,
Ouvy, zasloujennym,
Ouvy, zasloujennym oukoram!
Kontchaïou! Strachno pérétchest
70
Stydom i strakhom zamiraïou,
No mnié paroukaï vacha tchest’.
I smiéla iéi siébia vviériaïou!
N o 10. Scène & duo
TATYANA
Akh, notch minoula,
Prasnoulos’ vsio...
I solnychka vstaïot.
Pastoukh igraiét...
Spakoïno vsio.
A ia-to! Ia-to...
FILIPIEVNA
Para, ditia maïo! Vstavaï!
Da ty, krasavytza, gatova!
O, ptachka ranniaïa maïa!
Viétchor ouch kak baïalas’ ia...
PREMIER ACTE SCÈNE 2
Qu’il en soit ainsi ! Mon destin
Je le pose entre tes mains,
En pleurs à tes pieds,
J’implore ta protection,
J’implore. Penses-y : je suis seule ici !
Personne ne me comprend !
Mes pensées se dérobent,
Je dois mourir en silence !
Je t’attends, je t’attends !
Dis le mot qui fera renaître
Le plus bel espoir de mon cœur
Ou détruis ce rêve oppressant
Avec, hélas, le mépris,
Avec, hélas, le mépris que je mérite !
Fini ! J’ai peur de me relire.
(Elle signe et cachette la lettre.)
J’ai peur et j’ai honte,
Mais son honneur est ma protection.
Et je lui fais confiance !
No 10. Scène & duo
TATIANA
Ah, la nuit s’achève,
Tout s’éveille...
Et le soleil se lève
Le berger joue du pipeau...
Tout est paisible.
Et moi ! Moi...
FILIPIEVNA (entrant doucement)
Il est l’heure, mon enfant ! Debout !
Mais tu es déjà levée, ma belle !
Ô, mon petit oiseau du matin !
J’étais si inquiète hier soir...
71
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Nou, slava bogou, ty ditia zdarova!
Taski natchnoï i sliédou nièt,
Litzo tvaïo, kak makov sviét!
TATYANA
Akh, niania, sdiélaï adaljénié...
FILIPIEVNA
Izvol’, radnaïa, prikajy!
TATYANA
Nié doumaï... Pravo... Padazriénié...
No vidich... Akh, nié atkajy!
FILIPIEVNA
Moï drouk, vot bokh tiébié paroukoï!
72
TATYANA
I tak, pachli tikhon’ka vnouka,
S zapiskaï étaï k Onié... K tamou...
K sassiédou, da viéli iémou,
Chtop on nié gavaril ni slova,
Chtop on... chtop on nié nazyval ménia.
FILIPIEVNA
Kamou jé, milaïa maïa?
Ia nyntché stala bestalkova!
Krougom sassiédei mnoga iést’
Kouda mnié ikh i pérétchest’?
Kamou jé, kamou jé, ty tolkam gavari!
TATYANA
Kak niédagadliva ty, niania!
FILIPIEVNA
Sierdiétchnyi drouk ouch ia stara!
PREMIER ACTE SCÈNE 2
Bon, grâce à Dieu, tu vas bien !
Plus trace de ta fièvre d’hier soir,
Tes joues sont rouges comme des pivoines !
TATIANA
Ah, Nounou, sois gentille...
FILIPIEVNA
Bien sûr, mon cœur, dis-moi !
TATIANA
Ne crois pas... vraiment... ne crois pas...
Mais vois-tu... ah, ne dis pas non !
FILIPIEVNA
Ma chérie, Dieu m’est témoin !
TATIANA
Alors, en secret, envoie ton petit fils,
Avec cette lettre chez Oné... chez ce...
Chez notre voisin, dis-lui
De ne pas dire un mot,
De ne pas dire... de ne pas dire mon nom.
FILIPIEVNA
Chez qui, mon enfant ?
Mon esprit n’est plus aussi vif qu’avant !
Nous avons beaucoup de voisins ici,
Tu veux que j’aille tous les voir ?
Chez qui, chez qui ? Parle clairement !
TATIANA
Ce que tu es lente, Nounou !
FILIPIEVNA
Ma chérie, je suis vieille !
73
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Stara; toupiéiét razoum, Tania;
A to, byvalo, ia vastra, byvalo, mnié slovo
Barski voli...
TATYANA
Akh, niania, niania, da tavo li!
Chto noujdy mnié v tvaïom oumié:
Ty vidich, niania, diélo a pis’mié...
FILIPIEVNA
Nou, diélo, diélo, diélo!
TATYANA
Chto noujdy, niania, mnié v
Tvaïom oumié!
74
FILIPIEVNA
Nié ghniévaïsia, doucha maïa!
Ty znaiéch: niépaniatna ia!
TATYANA
... K Onéguinou...
FILIPIEVNA
Nou, diélo, diélo: ia paniala!
TATYANA
... K Onéguinou...
... A pis’mom...
... K Onéguinou pachli ty vnouka, niania!
FILIPIEVNA
Nou, nou, nié ghniévaïsa, doucha maïa!
Ty znaiéch, niépaniatna ia!...
Da chto j ty snova pabledniéla?
PREMIER ACTE SCÈNE 2
Vieille ; mon esprit s’est alourdi, Tania ;
Autrefois, autrefois j’étais assez vive
Un seul mot des maîtres...
TATIANA
Ah, Nounou, Nounou, peu importe !
Qu’ai-je à faire de ton esprit :
Tu vois, Nounou, c’est cette lettre...
FILIPIEVNA
Bon, bien, bien, bien !
TATIANA
Qu’ai-je à faire, Nounou,
De ton esprit !
FILIPIEVNA
Ne te fâche pas, mon trésor !
Tu sais : je suis lente.
TATIANA
... Chez Onéguine...
FILIPIEVNA
Bon, bien, bien : je comprends !
TATIANA
... Chez Onéguine...
Cette lettre...
... Chez Onéguine envoie ton petit-fils, Nounou !
FILIPIEVNA
Bon, bon, ne te fâche pas, mon trésor !
Tu sais, je suis lente !...
Ciel ! De nouveau toute pâle ?
75
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
TATYANA
Tak, niania, pravo nitchévo!
Pachli jé vnouka svaïévo!
KARTINA TRETIA
No 11. Chœur des jeunes filles
76
DIÉVOUCHKI
Diévitzy, krassavitzy,
Douchen’ki, podroujen’ki!
Razygraïtes’, diévitzy,
Razgouliaïtes’, milyié!
Zatianité piéssenkou,
Piéssenkou zaviétnouiou,
Zatianité molodtza
K kharavodou nachémou!
Kak zamanim molodtza,
Kak zavidim izdali,
Razbéjimtes’, milyié,
Zakidaiém vichéniém,
Vicheniém, malinoïou,
Krasnaïou smarodinoï!
Nié khadi padslouchivat’
Piéssen’ki zaviétynié,
Nié khadi padsmatrivat’
Igry nachi diévitch’i!
Diévitzy, krassavitzy...
N o 12. Scène & air d’Onéguine
PREMIER ACTE SCÈNE 3
TATIANA
Ce n’est rien, Nounou, vraiment rien !
Va, envoie ton petit-fils !
Filipievna prend la lettre et sort.
Tatiana s’assied et reste pensive.
SCÈNE 3
Le jardin des Larine.
No 11. Chœur des jeunes filles
LES SERVANTES
Jeunes filles jolies,
Compagnes aimables et belles !
Venez jouer les filles,
Venez danser, jolies !
Chantez une petite chanson
Une chanson de chez nous,
Pour attirer un garçon
Et pour qu’il danse avec nous !
Quand il sera appâté,
Qu’il s’approchera de nous
Amies, nous devrons filer
En lui jetant des cerises
Des cerises et des framboises,
Et des groseilles rouges !
Ne viens pas pour épier
Nos chansons qui sont à nous,
Ne viens pas pour espionner
Nos jeux de filles !
Jeunes filles jolies...
N o 12. Scène & air d’Onéguine
77
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
TATYANA
Zdiés on, zdiés on, Iévguéniï!
O bojé! O bojé, chto padoumal on,
Chto skajet on ? Akh, dlia tchévo,
Sténaniou vniav douchy bal’noï,
Nié sovladaf sama s soboï,
Iémou pis’mo ia napisala!
Da! Siérdtzé mnié tépiér’ skazalo,
Chto nadsmeiotza nada mnoï
Moï soblaznitel’ rakavoï!
O, bojé moï! Kak ia niéstchastna,
Kak ia jalka! Chagui... Vsio blijé...
Da, éta on, éta on!
78
ONEGIN
Vy mnié pisali.
Nié atpiraïtes’. Ia pratchol
Douchy daviértchivoï priznania,
Lioubvi niévinnoï izliïania;
Mnié vacha iskrennost’ mila!
Ana v volniénié priviéla
Davno oumolknouvchiié tchouvstva.
No vas khvalit’ ia nié khatchou;
Ia za niéio vam atplatchou
Priznaniém takjé bez iskousstva.
Primité j ispaviét’ maïou,
Siébia na sout vam atdaïou!
TATYANA
O bojé! Kak abidno i kak bol’no!
PREMIER ACTE SCÈNE 3
Tatiana entre et, fatiguée, se laisse tomber sur un banc.
TATIANA
Il est là, il est là, Eugène !
Ô Dieu ! Ô Dieu, qu’a-t-il pensé,
Que va-t-il dire ? Ah, pourquoi
Lui ai-je, écoutant mon cœur,
Perdant toute retenue,
Écrit cette lettre !
Oui ! Mon cœur me dit maintenant
Que mon funeste séducteur
Va rire de moi !
Ô mon Dieu ! Que je suis misérable
Que je suis lamentable ! Des pas... se rapprochent...
Oui, c’est lui, c’est lui !
Onéguine entre. Tatiana se lève et baisse la tête.
79
ONÉGUINE
Vous m’avez écrit.
Ne niez pas. J’ai lu
Cet aveu d’une âme confiante,
Le débordement d’un cœur innocent ;
Votre candeur m’a ému !
Elle a ranimé en moi
Des sentiments endormis depuis longtemps.
Mais je n’approuve pas votre conduite ;
Mais je vous répondrai
Avec la même franchise.
Écoutez ma confession,
Puis jugez par vous-même !
TATIANA (se laissant tomber sur le banc)
Ô Dieu ! Quelle humiliation et quelle douleur !
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
80
ONEGIN
Kagda by jizn’ damachnim krougom
Ia agranitchit’ zakhatiél,
Kagda b mnié byt’ atzom, souprougom
Priïatnyi jrébiï paviéliél,
To, viérna b, kromé vas adnoï,
Niéviésty nié iskal inoï.
No ia nié sozdan dlia blajenstva,
Iémou tchoujda doucha maïa,
Naprasny vachy soviérchenstva,
Ikh nié dastoyine vovsé ia.
Paviér’té, soviést’ v tom paroukoï,
Souproujestvo nam boudet moukoï.
Ia skol’ko ni lioubil by vas,
Privyknouv razlioubliou tottchas.
Soudité j vy, kakiïé rozy
Nam zagatovil guiméniéi,
I, mojét byt’, na mnogo dniéi!
Metchtam i godam nièt vazvrata,
Nié abnovliou douchy maïei!
Ia vas lioubliou liouboviou brata,
Lioboviou brata il, mojét byt’,
Iéstcho niéjniéi!
Il, mojét byt’ iéstcho, iéstcho niéjniéi!
Paslouchaïté j ménia bez ghniéva,
Sménit nié raz mladaïa diéva
Metchtami liokhkiié metchty!
Outchites’ vlastvovat’ saboï...
... Niévsiakiï vas, kak ia, païmiot,
K bedyé n’eopitnost vedyot!
DIÉVOUCHKI
Diévitzy, krassavitzy,
Douchen’ki, padroujen’ki!
Razygraïtes’, diévitzy...
PREMIER ACTE SCÈNE 3
ONÉGUINE
Si j’avais voulu passer ma vie
Au sein du cercle familial,
Si le destin m’avait donné le rôle
D’un époux et d’un père,
Alors, sûrement, c’est vous seule,
Que j’aurais choisie comme compagne.
Mais le bonheur conjugal ne m’est rien,
Il est étranger à mon âme,
Vos perfections me sont inutiles,
Je n’en suis pas digne.
Croyez-moi, je vous assure
Que le mariage nous serait une souffrance.
Même si je vous aimais,
L’habitude tuerait cet amour.
Jugez quel épineux lit de roses
L’hymen serait pour nous,
Et peut-être pour longtemps !
On ne revient pas sur ses rêves ni sa jeunesse,
Je ne puis rénover mon âme !
Je vous aime d’un amour fraternel,
D’un amour fraternel,
Et peut-être un peu plus
Et peut-être, peut-être un peu plus !
Écoutez-moi sans colère,
Très souvent une jeune fille
Échange un rêve pour un autre !
Maîtrisez vos sentiments...
... Tout le monde ne comprendrait pas comme moi.
L’inexpérience peut conduire au malheur !
LES SERVANTES (au lointain)
Jeunes filles jolies,
Compagnes aimables et belles !
Venez jouer les filles,
81
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
... Razgouliaïtes’, milyié.
Kak zamanim molodtza,
Kak zavidim izdali,
Razbéjimtes’, milyié,
Zakidaiém vychéniém.
Nié khadi patslouchivat’,
Nié khadi patsmatrivat’
Igry nachy diévitchïi!
82
PREMIER ACTE SCÈNE 3
Venez danser, jolies !
Quand le garçon sera appâté,
Qu’il s’approchera de nous
Amies, nous devrons filer
En lui jetant des cerises.
Ne viens pas pour épier,
Ne viens pas pour espionner
Nos jeux de filles !
Onéguine offre son bras à Tatiana. Ils sortent lentement.
83
DEISTVIIE VTOROÏE
KARTINA PERVAÏA
No 13. Entracte & valse avec scène et chœur
84
GOSTI
Vot tak siourpris!
Nikak nié ajidali
Vaïénnoï mouzyki!
Viéssiélié-khot’ kouda!
Davno ouch nas
Tak nié ougastchali!
Na slavou pir!
Nié pravda l’, gaspada?...
Ouch davno nas
Tak nié ougastchali!
Pir na slavou,
Nié pravda l’, gaspada?
Bravo, bravo, bravo, bravo!
Vot tak siourpris nam!
Bravo, bravo, bravo, bravo!
Slavnyi siourpris dlia nas!
DEUXIÈME ACTE
SCÈNE 1
Le salon des Larine. Vives lumières.
Les jeunes valsent, les vieux observent.
No 13. Entracte & valse avec scène et chœur
85
LES INVITÉS
Quelle surprise !
Nous n’espérions pas
Une fanfare militaire !
Du plaisir, plus qu’il n’en faut !
Ça fait longtemps que
Nous ne nous sommes tant amusés !
Une belle fête !
Pas vrai madame ?...
Ça fait longtemps que
Nous ne nous sommes tant amusés !
Une belle fête !
Pas vrai madame ?...
Bravo, bravo, bravo, bravo !
Quelle belle surprise !
Bravo, bravo, bravo, bravo !
Splendide surprise pour nous tous !
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
POJILYIÉ POMÉSTCHIKI
V nachykh pomiéstiakh nié
Tchasta vstrétchaiém
Bala viéssiolava radostnyi bliésk,
Tol’ko akhotoï siébia razvlékaiém,
Lioup nam akhotnitchiï gomon i triésk.
MAMEN’KI
Nou ouch viéssiélié, dién’ tzélyi létaïout
Pa diébriam, palianam, balotam, koustam!
Oustanout, zaliagout, i vsio atdykhaïout,
I vot razvletchenié dlia biédnykh vsiékh dam!
MOLODYIÉ DIÉVITZY
Akh, Trifon Petrovytch,
Kak mily vy, pravo!
My tak blagadarny vam...
86
ROTNYI
Polnote-s... Ia sam otchen’ stchastliv!
MOLODYIÉ DIÉVITZY
Popliachem na slavou my!
ROTNYI
Ia tojé namiéren.
Natchniomté-j pliasat’!
MAMEN’KI
Glian’te-ka! Glian’te-ka!
Tantzouiout pijony!
Davno ouch para by...
Nou, jénichok!
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
VIEUX MESSIEURS
Nous voyons peu dans nos domaines
L’éclat joyeux d’un bal splendide.
La chasse est notre seul plaisir, nous aimons
Son fracas et et son bouillonnement.
VIEILLES DAMES
Beau divertissement, tout le jour chasser
Par monts et par vaux, marais et fourrés !
Ils s’épuisent, s’écroulent au lit,
Voilà notre amusement, à nous, pauvres femmes !
JEUNES FILLES (entourant le Capitaine)
Ah, Tryphon Petrovitch,
Comme vous êtes gentil, vraiment !
Nous vous savons gré, vraiment...
LE CAPITAINE
Je vous en prie... Le plaisir est pour moi !
JEUNES FILLES
Nous aimons tant danser !
LE CAPITAINE
J’entends bien en profiter,
Alors, allons-y !
Onéguine danse avec Tatiana.
Les autres couples les regardent.
VIEILLES DAMES (dialoguant par groupes)
Regardez ! Regardez !
Les deux pigeons qui dansent !
Il était temps...
Quel fiancé !
87
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Kak jalko Taniouchou!
Vaz’miot iéio v jony...
... i boudiét tiranit’!
On, slychno, igrok!
On niéoutch strachnyi, soumasbrodit,
On damam k routchké nié padkhodit
On farmazon, on p’iot adno
Stakanom krasnoïé vino!
88
ONEGIN
I vot vam mniénié! Naslouchalsia
Davol’no ia raznykh spliéten
Miérzkikh! Padélom mnié vsio
Éta! Zatchem priiékhal ia
Na état gloupyi bal? Zatchem?
Ia nié prostchou Vladimirou
Ouslougou étou. Boudou oukhajivat’ za Olgoï...
Vzbéchou iévo poriadkom!
Vot ana! Prochou vas!
LENSKI
Vy obéstchali mnié tépiér!
ONEGIN
Achipsia, viérno, ty!
LENSKI
Akh, chto takoïé!
Glazam nié viériou!
Olga! Bojé, chto so mnoï...
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
Pauvre Tanioucha !
Il va l’épouser...
... Et jouera les tyrans !
On dit que c’est un joueur !
(Onéguine en passant surprend
des bribes de conversation.)
Terriblement grossier, un fou,
Il ne baise pas la main des dames
Un franc-maçon, il ne boit
Que du vin rouge, énormément !
ONÉGUINE (à part)
C’est ce qu’on pense de moi ! J’en ai
Entendu plus qu’assez de ces dégoûtants
Papotages ! Bien fait pour moi !
Pourquoi suis-je venu à ce bal idiot ?
Pourquoi ? Je rendrai à Vladimir
La monnaie de sa pièce. Je ferai la cour à Olga...
Il sera furieux !
La voilà ! Puis-je me permettre ?
Olga est indécise.
LENSKI
Vous me l’aviez promise !
ONÉGUINE
Tu dois faire erreur !
Onéguine et Olga dansent ; il lui fait une cour appuyée.
LENSKI
Ah, qu’est-ce que ça veut dire !
Je n’en crois pas mes yeux !
Olga ! Dieu, qu’est-ce qui m’arrive...
89
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
90
GOSTI
Pir na slavou!
Vot tak siourpris!
Pir na slavou!
Vot tak siourpris!
Vot tak ougastchénié!
Viéssiélié-khot’ kouda!
Pir na slavou!
Vot tak siourpris!
Nikak nié ajidali
Vaïénnoï mouzyki!
Viéssiélié – khot’ kouda!
Ouch davno nas
Tak nié ougastchali!
Pir na slavou! Nié pravda l’?
Bravo, bravo, bravo, bravo!
Vot tak siourpris nam!
Bravo, bravo, bravo, bravo!
Nié pravda l’? Na slavou pir, nié pravda 1’?
Da, voïénnoï mouzyki nikak nié ojidali my!
Pir na slavou...
Viéssiélié-khot’ kouda!
Pir na slavou!
No 14. Scène & couplets de Monsieur Triquet
LENSKI
Oujel’ ia zasloujil at vas
Nasmiéchkou étou?
Akh, Olga, kak jestoki vy so mnoï!
Chto sdiélal ia?
OLGA
Nié panimaïou v tchom vinavata ia!
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
LES INVITÉS
Une belle fête !
Quelle surprise !
Une belle fête !
Quelle surprise !
Quel délice !
Du plaisir, plus qu’il n’en faut !
Une belle fête !
Quelle surprise !
Nous n’espérions pas
Une fanfare militaire !
Du plaisir, plus qu’il n’en faut !
Ça fait longtemps que
Nous ne nous sommes tant amusés !
Une belle fête ! Pas vrai ?
Bravo, bravo, bravo, bravo !
Quelle belle surprise !
Bravo, bravo, bravo, bravo !
Pas vrai ? Une belle fête, pas vrai ?
Une fanfare militaire, nous ne l’espérions pas !
Une belle fête !
Du plaisir, plus qu’il n’en faut !
Une belle fête !
No 14. Scène & couplets de Monsieur Triquet
LENSKI (s’approchant d’Olga)
Ai-je mérité de vous
Un tel mépris ?
Ah, Olga, comme vous êtes cruelle !
Que vous ai-je fait ?
OLGA
Je ne comprends pas ce que j’ai fait de mal !
91
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
LENSKI
Vsié èkossèzy, vsié valsy
S Onéguinym vy tantzévali.
Ia priglachal vas,
No byl atviérghnout!
OLGA
Vladimir, éta stranno,
Is poustiakof ty siérdichsia!
LENSKI
Kak! Iz-za poustiakof!
Oujéli ravnodouchno ia videt’ mok
Kagda smeïalas’ ty,
Kokiétnitchaïa s nim?
K tebié on naklonialsia i roukou
Jal tiébié! Ia videl vsio!
92
OLGA
Vsio éta poustiaki i briéd!
Revnouiéch ty naprasna,
My tak baltali s nim,
On otchen’ mil!
LENSKI
Dajé mil!
Akh, Olga, ty ménia nié lioubich!
OLGA
Kakoï ty strannyi!
LENSKI
Ty ménia nié lioubich!
Katilion sa mnoï tantzouiéch ty?
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
LENSKI
Chaque écossaise, chaque valse
Vous les avez dansées avec Onéguine.
Je vous ai invitée,
Vous avez refusé !
OLGA
Vladimir, c’est ridicule,
Tu t’irrites pour rien !
LENSKI
Quoi ? Pour rien ?
Comment serais-je indifférent
Quand tu ris et flirtes avec lui ?
Il s’inclinait devant toi
Et te pressait la main !
Je l’ai vu !
93
OLGA
Ce sont des sottises absurdes !
Tu es jaloux sans motif,
Nous bavardions seulement.
Il est très aimable !
LENSKI
Aimable, allons donc !
Ah, Olga, tu ne m’aimes plus !
OLGA
Que tu es sot !
LENSKI
Tu ne m’aimes plus !
Danseras-tu le cotillon avec moi ?
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
ONEGIN
Nièt, so mnoï.
Nié pravda l’, slovo vy mnié dali?
OLGA
I sderjou ia slovo!
Vot vam nakazanié
Za riévnast’ vachou!
LENSKI
Olga!
OLGA
Ni za chto!
Gliadité-ka!
Vsié barychni idout siouda s Triquet.
94
ONEGIN
Kto on?
OLGA
Frantzous, jiviot ou Kharlikova.
MOLODYIÉ DIÉVITZY
Monsieur Triquet, Monsieur Triquet,
Chantez de grâce un couplet !
TRIQUET
Koupliète imiéiét ia s soboï.
No gdié, skajité, Mademoiselle?
On doljen byt’ pérédo mnoï,
Car le couplet est fait pour elle !
GOSTI
Vot ana! Vot ana!
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
ONÉGUINE (s’approchant d’eux)
Non, avec moi.
Vous l’aviez promis, pas vrai ?
OLGA
Et je tiendrai ma promesse !
(À Lenski)C’est ta punition
Pour ta jalousie !
LENSKI
Olga !
OLGA
(À Lenski )Jamais !
(À Onéguine) Regardez !
Les filles arrivent avec Triquet.
ONÉGUINE
Qui est-ce ?
OLGA
Un Français, il vit chez les Kharlikov.
JEUNES FILLES
Monsieur Triquet, Monsieur Triquet,
Chantez de grâce un couplet !
TRIQUET
J’ai les couplets ici, avec moi.
Mais où est – je pose la question – Mademoiselle ?
Il faut qu’elle soit là, devant moi,
Car le couplet est fait pour elle !
LES INVITÉS
La voilà ! La voilà !
95
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
TRIQUET
Aha!
Voilà tzaritza état dién’.
Mesdames, ia boudou natchinaït.
Prochou tépiér’ mnié nié méchaït.
A cette fête conviés,
De celle dont le jour est fêté,
Admirons le charme et la beauté.
Son regard doux et enchanteur
Répand sur nous tous sa lueur.
De la voir quel plaisir quel bonheur !
Brillez, brillez, toujours belle Tatiana !
Brillez, brillez, toujours belle Tatiana !
96
GOSTI
Bravo, bravo, bravo, Monsieur Triquet !
Koupliét vach prévaskhoden
I otchen’, otchen’ mila spiét!
TRIQUET
Que le sort comble ses désirs,
Que la joie, les jeux, les plaisirs
Posent sur ses lèvres le sourire !
Que sur le ciel de ce pays
Étoile qui toujours brille et luit,
Elle éclaire nos jours et nos nuits.
Brillez, brillez, toujours belle Tatiana !
Brillez, brillez, toujours belle Tatiana !
GOSTI
Bravo, bravo, bravo, Monsieur Triquet !
Koupliét vach prévoskhoden
I otchen’, otchen’ mila spiét!
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
Les invités forment le cercle autour de Tatiana.
TRIQUET
Aha !
Voilà la reine du jour.
Mesdames, je vais commencer.
Je vous prie de ne pas m’interrompre.
À cette fête conviés,
De celle dont le jour est fêté,
Admirons le charme et la beauté.
Son regard doux et enchanteur
Répand sur nous tous sa lueur.
De la voir quel plaisir, quel bonheur !
Brillez, brillez, toujours belle Tatiana !
Brillez, brillez, toujours belle Tatiana !
LES INVITÉS
Bravo, bravo, bravo, Monsieur Triquet !
Le couplet est charmant
Et vraiment joliment chanté !
TRIQUET
Que le sort comble ses désirs,
Que la joie, les jeux, les plaisirs
Posent sur ses lèvres le sourire !
Que sur le ciel de ce pays
Étoile qui toujours brille et luit,
Elle éclaire nos jours et nos nuits.
Brillez, brillez, toujours belle Tatiana !
Brillez, brillez, toujours belle Tatiana !
LES INVITÉS
Bravo, bravo, bravo, Monsieur Triquet !
Le couplet est charmant
Et vraiment joliment chanté !
97
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
No 15. Mazurka & scène
ROTNYI
Messieurs, mesdames,
Mesta zaniat’ izvol’té;
Sitchas natchniotza katilion!
Pajalouité!
ONEGIN
Ty nié tantzouiéch, Lenski?
Tchild Garoldom staïich kakim-ta!
Chto s taboï?
98
LENSKI
Sa mnoï? Nitchévo.
Lioubouious’ ia taboï,
Kakoï ty drouk prékrasnyi!
ONEGIN
Kakavo!
Nié ajidal priznania ia takova!
Za chto ty douiéchsia?
LENSKI
Ia douious’? O, nimalo!
Lioubuious ia, kak slof
Svaïikh igroï i sviétzkoï baltavnioï
Ty kroujich golavy i diévotchek smoustchaiéch
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
Tatiana fait la révérence. Triquet s’incline exagérément
et lui remet les couplets.
No 15. Mazurka & scène
LE CAPITAINE
Messieurs, mesdames,
À vos places, s’il vous plaît ;
Le cotillon va commencer !
Puis-je vous prier !
Onéguine danse avec Olga puis la ramène à sa place.
ONÉGUINE
Tu ne danses pas, Lenski ?
Tu es planté là comme Childe Harold !
Qu’est-ce que tu as ?
99
LENSKI
Moi ? Rien.
Je t’admire.
Quel bon ami tu fais !
Olga s’éloigne, invitée à danser une mazurka.
ONÉGUINE
Comment ?
Je ne m’attendais pas à ce discours !
Pourquoi boudes-tu ainsi ?
LENSKI
Moi je boude ? Oh pas du tout !
J’admire seulement comment,
Avec des mots choisis et le discours
D’un homme du monde, tu tournes la tête
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Pakoï douchévnyi!
Vidna, dlia tiébia adnoï Tatiany malo.
Iz iioubvi ka mnié
Ty, viérna, khotchech
Olgou pagoubit’,
Smoutit’ iéio pakoï, a tam,
Sméïatza nad niéiou jé!
Akh, kak tchesna éta!...
ONEGIN
Chto? Da ty s ouma sachol!
LENSKI
Prekrasna!
Ménia j ty askarbliaiéch,
I ménia jé ty zavioch pomiéchannym!
100
GOSTI
Chto takoïé?
V tchom tam diélo?
Chto takoïé?
LENSKI
Onegin! Vy bol’ché mnié nié drouk!
Byt’ bliskim s vami
Ia nié jélaïou bol’ché!
Ia... Ia préziraïou vas!
GOSTI
Vot niéojidannyi siourpris!
Kakaïa ssora zakipiéla!
Ou nikh pochlo nié v choutkou diélo!
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
Et pertubes l’esprit des jeunes filles !
Apparemment pour toi, Tatiana ne suffit pas.
Par amitié pour moi
Tu veux encore, sans doute,
Séduire Olga,
Pertuber son esprit et puis,
Ensuite, rire d’elle !
Ah, comme tu es noble !...
ONÉGUINE
Quoi ? Tu perds la raison !
LENSKI
Excellent !
Tu m’insultes
Et puis tu me traites de fou !
Tout le monde s’arrête de danser,
on entoure les deux hommes.
LES INVITÉS
Qu’y a-t-il ?
Que se passe-t-il ?
Qu’y a-t-il ?
LENSKI
Onéguine ! Vous n’êtes plus mon ami !
Je ne veux plus
Être de vos proches !
Je... je vous méprise !
LES INVITÉS
Quel coup de théâtre !
Quelle dispute a éclaté !
Il n’ont pas l’air de plaisanter !
101
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
ONEGIN
Paslouchaï, Lenski, ty nié praf!
Ty nié praf!
Davol’na nam privlékat’
Vnimaniié nachéi ssoraï!
Ia nié smoutil, Iéstcho nitchéi pakoï,
I priznaïous, jélania
Nié imiéiou iévo smoustchat’!
LENSKI
Tagda zatchem jé ty
Iéi roukou jal, cheptal iéi chto-to?
Krasniéla, smiéïas’, ana!
Chto, chto ty gavaril iéi?
102
ONEGIN
Paslouchaï, éta gloupa,
Nas akroujaïout!
LENSKI
Chto za diélo mnié?
Ia vami askarblione
I satisfaktziyi ia triébouiou!
GOSTI
V tchom diélo? Rasskajité.
Rasskajité, chto sloutchilas’?
LENSKI
Prosto ia triébouiou,
Chtop gaspadine Onegin
Mnié ab’iasnil svaï pastoupki!
On nié jélaïét étava,
I ia prachou iévo priniat’ moï vyzaf.
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
ONÉGUINE
Écoute, Lenski, tu fais erreur !
Tu fais erreur !
Nous avons assez attiré l’attention
Avec cette dispute !
Je n’ai perturbé l’esprit de personne,
Et, je le dis,
Je n’en ai pas l’intention !
LENSKI
Alors pourquoi lui as-tu
Pressé la main, murmuré quelque chose ?
Elle a rougi, elle a ri !
Que lui disais-tu, quoi ?
ONÉGUINE
Écoute, c’est ridicule,
Tout le monde écoute !
LENSKI
Qu’est-ce que ça me fait ?
Vous m’avez offensé
Et je demande réparation !
LES INVITÉS
Qu’est-ce qui se passe ? Dites.
Dites-nous ce qui est arrivé !
LENSKI
J’ai simplement
Prié Monsieur Onéguine
De m’expliquer sa conduite !
Il ne veut pas,
Je lui demande de relever mon défi.
103
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
LARINA
O bojé! V nachem domié!
Pastchadité! Pastchadité!
No 16. Finale
LENSKI
V vachem domié! V vachem domié!
V vachem domié, kak sny zalatyié,
Maï diétzkiïé gody tékli!
V vachem domié fkoussil
Ia vpervyié radast’ tchistaï i sviétlaï lioubvi!
No sivodnia ouznal... Ia drougoïé,
Ia izvédal, chto jizn’ nié roman,
Tchest’ lich zvouk, droujba slova...
104
ONEGIN
Na iédinié s svaïei douchoï
Ia niédavolén sam soboï.
Nad étoï strastiou ropkaï, niéjnaï..
LENSKI
... Poustoïé,
Askarbitiel’nyi, jalkiï abmane,
Da, askarbitiel’nyi, jalkiï, da,
Jalkiï abmane!
ONEGIN
... Ia slichkam pachoutil,
Niébriéjno!
Vsiém siérdtzém
Iounachou lioubia,
Ia b doljén pakazat’ siébia...
TATYANA
Patriaséna ia, oum nié mojét
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
LARINA
Ô Dieu ! Dans notre maison !
De grâce ! De grâce !
No 16. Finale
LENSKI
Dans votre maison ! Dans votre maison !
Dans votre maison, comme un rêve doré
Mon enfance s’est écoulée !
Dans votre maison, j’ai goûté
Les joies d’un amour pur et serein !
Mais aujourd’hui, j’apprends... autre chose,
J’apprends que la vie n’est pas un roman,
Que l’honneur n’est qu’un mot, l’amitié n’est qu’un mot...
ONÉGUINE
Au profond de mon cœur,
De moi je suis mal satisfait.
Avec cet amour pudique et tendre...
LENSKI
... Vide,
Un mensonge humiliant, pitoyable,
Humiliant, pitoyable, oui,
Un mensonge lamentable !
ONÉGUINE
... J’ai été désinvolte,
Stupide !
Ce garçon, je l’aime
De tout mon cœur,
J’aurais dû, avec lui, me montrer...
TATIANA
Je suis bouleversée, je ne peux
105
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Paniat’ Iévgiéniïa,
Trévojit, ménia trévojit
Revnivaïa taska!
GOSTI
Biédnyi Lenski!
TATYANA
Akh, terzaiét mnié siérdtzé taska!
Kak khalodnaïa tch’ia-ta rouka...
LARINA I OLGA
Baïous’, chtoby vassliét viéssiéliou,
Nié zaviérchylas’ notch douéliou!
106
ONEGIN
... Nié miatchikam predrassoujdéniï,
No moujem s tchest’iou i oumom.
GOSTI
Biédnyi iounacha!
TATYANA
... Ana mnié sjala siérdtzé
Bol’na tak, jestoka!
ONEGIN
Ia slichkam pachoutil
Niébriéjna!
LENSKI
Ia ouznal zdiés, chto...
... Diéva krassoïou
Mojét byt’, totchna anguel, mila
I prékrasna, kak dién’,
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
Comprendre Eugène,
Je suis tourmentée
Par la jalousie !
LES INVITÉS
Pauvre Lenski !
TATIANA
Ah, mon cœur est déchiré d’angoisse !
Comme si une main de glace...
LARINA & OLGA
Je crains qu’après tant de joie,
La nuit ne s’achève par un duel !
ONÉGUINE
... Insensibles aux préjugés vulgaires,
En homme d’honneur et de raison.
DES INVITÉS
Pauvre garçon !
TATIANA
... s’était posée sur mon cœur
Douloureuse, cruelle !
ONÉGUINE
J’ai agi
Stupidement !
LENSKI
J’ai appris que...
... Une jeune fille
Peut être douce comme un ange,
Belle comme le jour,
107
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
No douchoïou, no douchoïou,
Totchna diémon, kavarna i zla!
GOSTI
Ouchol tépiér’,
Vasliét viéssiéliou,
Ikh ssora douéliou
Akonchit nach dién’?
No maladioch tak gariatcha!
Pavzdoriat, pasporiat,
Sitchas jé déroutza!
Pavzdoriat...
... Ikh ssora kontchitza douéliou?
No maladioch tak gariatcha!
Ani rechaïout vsio splétcha!
108
TATYANA
Akh, paguibla ia, paguibla ia!
Mnié siérdtzé gavarit,
No guibel’ at niévo lioubiézna!
Paguibnou, paguibnou,
Mnié siérdtzé skazala,
Raptat’ ia nié smiéiou, nié smiéiou!
OLGA
Akh, krof’ v moustchinakh gariatcha,
Ani réchaïout vsio splétcha,
Bes ssor nié mogout astavatza,..
Doucha v niom riévnast’iou ab’iata,
No ia ni v tchom nié vinavata, ni v tchom!
LARINA
Akh, maladioch tak gariatcha!
Ani réchaïout vsio splétcha;
Bes ssor nié mogout astavtza,...
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
Mais dans son cœur, dans son cœur,
Méchante et sournoise comme un démon !
LES INVITÉS
Faut-il,
Qu’après tant de plaisirs,
Leur querelle
Se termine en duel ?
Les jeunes gens sont si bouillants !
Il se disputent, s’insultent,
Et puis se battent !
Ils se disputent...
... Et ça se termine en duel !
Les jeunes gens sont si bouillants !
Il n’agissent qu’impulsivement !
TATIANA
Ah, je suis perdue, je suis perdue !
Je le sens en mon cœur,
Mais j’aime la mort qu’il me donne !
Je suis maudite, maudite,
Mon cœur me le dit.
Je n’ose pas, je n’ose pas me plaindre !
OLGA
Ah, les hommes ont le sang chaud,
Ils s’emportent vite,
Il ne peuvent éviter la querelle...
Son cœur brûle de jalousie,
Mais ce n’est pas ma faute, pas ma faute !
LARINA
Ah, les jeunes gens sont si bouillants,
Ils n’agissent qu’impulsivement ;
Ils ne peuvent éviter la querelle,
109
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Baïous’, chto vasliét vissésiéliou,
Nié zaviérchylas’ notch douéliou!
Maladioch tak gariatcha!
ONEGIN
Na iédinié s svaïei douchoï,
Ia niédavolén sam saboï...
Ia b doljén pakazat’ siébia...
LARINA I GOSTI
Akh, maladioch tak gariatcha!
Bes ssory nié mogout tchassou astatza!
Pavzdoriat, pasporiat,
Sitchas jé i dratza ani gatovy!
110
TATYANA
Akh, zatchem raptat’?
Nié mojét on stchastia mnié dat’!
Paguibnou,
Mnié siérdtzé skazala,
Ia znaïou!
OLGA
Akh, ia ni v tchom nié vinavata!
Moustchiny nié mogout
Bes ssory astatza.
Pavsdoriat, pasporiat....
LENSKI
Akh, nièt! Ty niévinna, anguel moï,
Ty niévinna, niévinna moï anguel!
On nizkiï, kavarnyi. Bezdouchnyi prédatel’!
On boudét nakazan!
ONEGIN
... Nié miatchikam
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
J’ai peur qu’après tant de plaisirs,
La nuit ne s’achève par un duel !
Les jeunes gens sont si bouillants !
ONÉGUINE
Au profond de mon cœur,
De moi je suis mal satisfait...
J’aurais dû me montrer...
LARINA & LES INVITÉS
Ah, les jeunes gens sont si bouillants !
Pas un jour sans une querelle !
Il se disputent, s’insultent,
Et puis soudain, ils se battent !
TATIANA
Ah, pourquoi se plaindre ?
Il ne peut me rendre heureuse !
Je suis maudite,
Mon cœur me le dit,
Je le sais !
OLGA
Ah, je ne suis pas coupable !
Les hommes ne peuvent
Éviter la querelle.
Ils se disputent, s’insultent...
LENSKI
Ah, non ! Tu es innocente, mon ange,
Tu es innocente, innocente, mon ange !
C’est un traître vil, perfide, sans cœur !
Il sera puni !
ONÉGUINE
... Insensible
111
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Predrassoujdiéniï,
Nié pylkim rébionkam
No moujem ouch zriélym
Ia vinavat!
GOSTI
Oujel tépiér’, vasliét viéssiéliou,
Ikh ssora douéliou
Akontchit nach dién’...
TATYANA
Akh! Paguibnou ia...
Raptat’ ia nié smiéiou!
OLGA
Akh! Krof’ v moustchinakh gariatcha...
Ia ni v tchom nié vinovata, ni v tchom!
112
LARINA
Akh! Maladioch tak gariatcha…
Maladioch tak gariatcha!
ONEGIN
Naïédinié s svaïei douchoï,
Ia niédavolén sam saboï!
No diélat’ niétchéva
Tépiér’ ia doljén atviétchat’
Na askarbliénia!
K ouslougam vachim ia.
Davol’na! Vyslouchal ia vas,
Bézoumny vy, bézoumny vy!
I vam ourok pasloujit k ispravliéniou!
LENSKI
Itak da zavtra!
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
Aux préjugés vulgaires,
Je ne suis pas un gamin,
Je suis un homme.
Je m’en veux !
LES INVITÉS
Faut-il qu’après tant de plaisirs,
Leur querelle
Se termine en duel...
TATIANA
Ah ! Je suis maudite...
Je n’ose pas me plaindre !
OLGA
Ah, les hommes ont le sang chaud...
Mais ce n’est pas ma faute, pas ma faute !
113
LARINA
Ah ! Les jeunes gens sont si bouillants...
Les jeunes gens sont si bouillants !
ONÉGUINE
Au profond de mon cœur,
De moi je suis mal satisfait !
Mais il n’y a rien à faire,
Je dois à présent
Répondre à l’offense !
Je suis à votre disposition.
Assez ! Je vous ai entendu,
Vous êtes fou, vous êtes fou !
Vous avez besoin d’une leçon.
LENSKI
Alors à demain !
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Pasmotrim, kto kavo praoutchit!
Pouskaï bézoumetz ia, no vy,
Vy bestchestnyi sablaznitel’!
ONEGIN
Zamaltchité, il’ ia oub’iou vas!
114
GOSTI
Chto za skandal!
My nié dapoustime
Douéli miéj nimi,
Kravavaï raspravy!
Ikh prosta atsiouda nié poustime.
Derjité, derjité, derjité!
Da, ikh prosta iz domou nié poustime!
OLGA
Vladimir, ouspakoïsia oumaliaïou!
LENSKI
Akh, Olga, Olga!
Prastchaï naviék!
GOSTI
Byt’ douéli!
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1
Nous verrons qui donnera la leçon !
Peut-être suis-je fou,
Mais vous être un ignoble séducteur !
ONÉGUINE
Taisez-vous, ou je vous tue !
Onéguine se jette sur Lenski; on sépare les deux hommes;
Tatiana est en larmes.
LES INVITÉS
Quel scandale !
Nous ne leur permettrons pas
De se battre en duel,
De répandre leur sang !
Ne les laissons pas partir.
Retenez-les, retenez-les, retenez-les !
Oui, qu’ils ne quittent pas la maison !
OLGA
Vladimir, calme-toi, je t’en supplie !
LENSKI
Ah, Olga, Olga !
Adieu pour toujours !
Lenski et Onéguine sortent très vite.
Olga s’évanouit dans les bras de sa mère.
LES INVITÉS
Il y aura un duel !
115
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
KARTINA VTORAÏA
No 17. Introduction, scène & air de Lenski
ZARETZKY
Nou, chto jé?
Kajétza, prativnik vach nié iavilsia.
LENSKI
Iavitza sitchas.
116
ZARETZKY
No vsio jé éta stranna
Mnié niémnochka
Chto nièt iévo: séd’moï viét’ tchas!
Ia doumal, chto on jdiot ouch nas!
LENSKI
Kouda, kouda, kouda vy oudalilis’,
Viésny maïei zlatyié dni?
Chto dién’ griadoustchiï mnié gatovit?
Iévo moï vzor naprasno lovit:
V gloubokaï mglié taïtza on!
Nièt noujdy; prav soud’by zakone!
Padou li ia, stréloï pranzionnyi,
Il’ mima pralétit ana,
Vsio blaga; bdiényi ia i sna
Prikhodit tchas aprédélionnyi!
Blagaslavién i dién’ zabot,
Blagaslavién i t’my prikhot
Bliesniot za outra loutch dennitzy
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2
SCÈNE 2
No 17. Introduction, scène & air de Lenski
Paysage d’hiver. Une rivière, un moulin à eau, des arbres.
C’est l’aube. Lenski est plongé dans ses pensées.
ZARETSKI
Que se passe-t-il ?
On dirait que votre adversaire ne vient pas.
LENSKI
Il sera là bientôt.
ZARETSKI
Mais c’est quand même étrange,
À mon sens,
Qu’il ne soit pas déjà là : il est presque sept heures !
Je pensais qu’il nous attendait déjà !
(Il s’éloigne.)
LENSKI
Où, où, où avez-vous fui,
Jours dorés de ma jeunesse ?
Que m’apporte le jour qui naît ?
Je le sonde en vain :
Il est empli de ténèbres !
Peu importe : le destin est juste !
Que sa flèche me blesse, me tue,
Ou qu’elle m’évite,
Tout sera bien ; dormir ou veiller,
Toute chose a son heure !
Béni soit le jour de l’angoisse,
Bénies aussi soient les ténèbres !
L’étoile de l’aube reluit
117
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
118
I zaïgraiét iarkiï dién’,
A ia, byt’ mojét, ia grabnitzy
Saïdou v taïnstviénnouiou sién’!
I pamiat’ iounava paèta
Paglotyt miédlennaïa Liéta.
Zaboudet mir ménia; no ty!
Ty!... Olga... Skajy,
Pridioch li, diéva krassoty,
Slézou prolit’ nad ranniéi ournaï
I doumat’: on ménia lioubil!
On mnié iédinoï pasviatil
Rassviét pétchal’nyi jizni bournoï!
Akh, Olga, ia tiébia lioubil!
Tébié iédinoï pasviatil
Rassviét pétchal’nyi jizni bournoï!
Akh, Olga, ia tiébia lioubil!
Sierdiétchnyi drouk, jélannyi drouk.
Pridi, pridi! Jélannyi drouk.
Pridi, ia tvoï souprouk, pridi, pridi!
Ia jdou tiébia, jélannyi drouk.
Pridi, pridi; ia tvoï souprouk!
Kouda, kouda, kouda vy oudalilis’,
Zlatyié dni, zlatyié dni maïei viésny?
N o 18. Scène du duel
ZARETZKY
A, vot ani! No s kiém je vach priïatel?
Nié razbérou!
ONEGIN
Prachou vas izviniénia!
Ia apazdal niémnoga.
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2
Et le jour s’éclaire,
Et moi, peut-être vais-je pénétrer
Dans l’ombre mystérieuse de la tombe !
Et le souvenir d’un jeune poète
S’engloutira dans les eaux tristes du Léthé.
Le monde m’oubliera ; mais toi !
Toi !... Olga... Dis-moi,
Viendras-tu, ma belle,
Verser une larme sur l’urne précoce
Et penser : il m’aimait !
À moi seule il dédia
L’aurore triste de sa triste vie !
Ah, Olga, je t’aimais !
À toi seule j’ai dédié
L’aurore triste de ma triste vie !
Ah, Olga, je t’aimais !
Mon cœur, mon aimée,
Viens, viens ; mon aimée !
Viens, je suis ton fiancé, viens, viens !
Je t’attends, mon aimée.
Viens, viens ; je suis ton fiancé !
Où, où, où avez-vous fui,
Jours dorés, jours dorés de ma jeunesse ?
No 18. Scène du duel
ZARETSKI (revenant)
Ah, les voilà ! Mais avec qui est votre ami ?
Je ne le reconnais pas !
Onéguine arrive avec Guillot, son valet,
qui porte les pistolets.
ONÉGUINE
Je vous prie de m’excuser !
Je suis en peu en retard.
119
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
ZARETZKY
Pazvolté! Gdié j vach siékoundante?
V douéliakh klassik ia, pédante;
Lioubliou métodou ia iz tchouvstva,
I tchélaviéka rastianout
Pazvoliou ia nié kak-nibout’,
No v stroguikh pravilakh iskousstva,
Pa vsiém prédaniam stariny.
ONEGIN
Chto pakhvalit’ my vas doljni!
Moï sékoundante? Vot on: Monsieur Guillot!
Ia nié predvijou vazrajéniï
Na predstavliénié maïo;
Khot’ tchélaviék on niéizviéstnyi,
No ouch, kaniéchna, malyi tchestnyi.
120
ONEGIN
Chto j? Natchinat’?
LENSKI
Natchniom, pajaloui!
LENSKI I ONEGIN
Vragui! Davno li drouk at drouga,
Nas jajda krovy atviéla?
Davno li my tchassy dassouga,
Trapiézou i mysli i déla
Délili droujna? Nynié zlobna,
Vragam nasliédstviénnym padobna,
My drouk dlia drouga v tichynié
Gatovim guibel’ khladnakrovna.
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2
ZARETSKI
Pardonnez-moi ! Qui est votre témoin ?
En matière de duel, je suis un classique sourcilleux ;
J’aime la procédure
Et ne permets point qu’un homme
Soit abattu n’importe comment,
Mais selon les strictes règles de l’art,
D’après l’antique tradition.
ONÉGUINE
Soyez-en loué !
Mon témoin ? Le voici : Monsieur Guillot !
Je ne pense pas qu’on fasse
Aucun reproche à mon choix ;
Il n’est certes pas très connu,
Mais c’est un honnête garçon.
Guillot salue profondément,
Zaretski lui répond froidement.
ONÉGUINE
Bien ? Commençons-nous ?
LENSKI
Commençons, je vous prie !
LENSKI & ONÉGUINE (se tournant le dos, attendant)
Ennemis ! Depuis quand
La soif de sang nous sépare-t-elle ?
Y a-t-il si longtemps que nous partagions tout,
Repas et pensées et loisirs,
Comme des amis ? À présent dans la haine,
Comme des ennemis héréditaires,
Silencieux et de sang-froid,
Nous nous préparons à tuer l’autre.
121
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Akh! Nié zasméïatza l’ nam,
Paka nié abagrilasia rouka,
Nié razaïtis’ li palioubovno?
Nièt! Nièt! Nièt! Nièt!
ZARETZKY
Tépiér’ skhadites’!
ONEGIN
Oubit?
ZARETZKY
Oubit!
122
DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2
Ah ! ne devrions-nous pas éclater de rire
Avant de tacher nos mains de sang,
Et nous séparer bons amis ?
Non ! Non ! Non ! Non !
Zaretski tend un pistolet à chacun.
ZARETSKI
Maintenant avancez !
Ils avancent. Lenski vise, Onéguine tire, Lenski s’écroule.
Onéguine se précipite. Zaretski examine le corps.
ONÉGUINE
Mort ?
ZARETSKI
Mort !
Effondré, Onéguine se cache la tête dans les mains.
123
DEISTVIIE TRETIE
KARTINA PERVAÏA
124
No 19. Polonaise
No 20. Scène, écossaise & air de Grémine
ONEGIN
I zdiés’ mnié skoutchna!
Bliésk i souiéta bol’chova
Sviéta nié rassiéïat’ viétchnaï
Tamitel’naï taski!
Oubif na païédinké drouga,
Dajif bes tzéli, bes troudof,
Da dvadtzati chesti gadof,
Tamias’ bezdiéistviiém dassouga,
Bes sloujby, bes jény, bez diél;
Siébia zaniat’ ia nié soumiél!
Mnoï avladiéla bespakoïstva,
Akhota k pérémiénié miést,
TROISIÈME ACTE
SCÈNE 1
Un bal dans le grand salon d’un palais de Saint-Pétersbourg.
125
No 19. Polonaise
No 20. Scène, écossaise & air de Grémine
ONÉGUINE
Ici aussi, je m’ennuie !
L’éclat de la société, son animation
Ne peuvent apaiser mon dégoût
Mortel du monde !
J’ai tué en duel mon ami,
Je n’ai pas de but, pas d’occupation,
J’ai atteint vingt-six ans,
Épuisé par le néant du désœuvrement,
Sans travail, sans famille, sans emploi ;
Je n’ai rien trouvé à quoi me consacrer !
J’étais animé par l’angoisse et
Le désir constant de changement,
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Viés’ma moutchitel’noïé svoïstva,
Niémnoguikh dabravol’nyi kriést!
Astavil ia svaïi siéliénia,
Lésof i nif ouiédiniénié,
Gdié akravavlennaïa tién’
Ka mnié iavlialas’ kajdyi dién’!
Ia natchal stranstviïa bez tzeli
Dastoupnyi tchoustvou adnamou...
I chto j? K niéstchastiou maïémou
I stranstviïa mnié nadaïéli!
Ia vazvratilsia i papal,
Kak Tchatskiï, s karablia na bal!
126
GOSTI
Kniaguinia Grémina!
Smatrité! Smatrité!
Katoraïa? Siouda vzglianité!
Vot ta, chto siéla ou stala.
Bespiétchnaï priélestiou mila!
ONEGIN
Oujel’ Tatyana? Totchna... Nièt!...
Kak! Iz glouchy stepnykh siéliéniï?
Nié mojét byt’! Nié mojét byt’!
I kak prasta, kak viélitchava,
Kak niébriéjna!...
Tzaritzei kajétza ana!
TATYANA
Skajite, kto éta?...
... Tam s moujem?
Nié razgliajou.
TROISIÈME ACTE SCÈNE 1
Irritant traits de caractère,
Bien peu porteraient cette croix !
J’ai quitté ma campagne,
La solitude des bois et des prés,
Où un spectre ensanglanté
Devant moi se dressait chaque jour !
J’ai d’abord voyagé, sans but,
Où ma fantaisie me conduisait...
Et qu’arriva-t-il ? Pour mon malheur,
Les voyages aussi étaient ennuyeux !
Je revins et débarquai,
Comme Tchatski, du navire au bal !
Le prince Grémine entre avec Tatiana, très élégante.
Elle s’assoit sur un divan.
LES INVITÉS
La princesse Grémine !
Regardez ! Regardez !
Laquelle est-ce ? Là-bas voyez !
Elle vient de s’asseoir à cette table.
Délicieuse de beauté sereine !
ONÉGUINE
Est-ce Tatiana ? Certainement... Non !
Quoi ? Du fin fond de son village de la steppe ?
Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible !
Et quelle simplicité, quelle dignité,
Quelle aisance !...
On dirait une reine !
TATIANA (aux invités qui l’entourent)
Dites, qui est-ce ?...
... Près de mon mari ?
Je ne le reconnais pas.
127
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
GOSTI
Tchoudak pritvornyi, petchal’nyi, strannyi
Soumasbrot. V tchoujikh kraïakh on byl...
I vot, viérnoulsia k nam tépiér’ Onegin!
TATYANA
Iévgiéniï?
GOSTI
On izviéstén vam?
TATYANA
Sassiét on pa dériévnié nam.
O, bojé! Pamagui mnié skryt’,
Douchy oujasnaïé valniénié...
128
ONEGIN
Skaji mnié. Kniaz’, nié zniaéch ty,
Kto tam v malinavam bériété
S paslom ispanskim gavarit?
GREMIN
Aha! Davno j ty nié byl v sviété!
Postoï, tiébia predstavliou ia.
ONEGIN
Da kto j ana?
GREMIN
Jéna maïa!
ONEGIN
Tak ty jénat? Nié znal ia ranié!
Davno li?
TROISIÈME ACTE SCÈNE 1
LES INVITÉS
Un singulier personnage, excentrique, bizarre
Mélancolique. Il a voyagé à l’étranger...
Et à présent, il nous est revenu, Onéguine !
TATIANA
Eugène ?
LES INVITÉS
Le connaissez-vous ?
TATIANA
Il est notre voisin à la campagne.
(À part) Ô Dieu ! Aide-moi à cacher
Le terrible trouble de mon âme...
ONÉGUINE (à Grémine)
Dis-moi, Prince, connais-tu
Cette femme à la toque écarlate
Qui parle à l’ambassadeur d’Espagne ?
GRÉMINE
Aha ! Longtemps tu n’as pas fréquenté la société !
Attends, je vais te présenter.
ONÉGUINE
Oui, mais qui est-ce ?
GRÉMINE
Mon épouse !
ONÉGUINE
Tu es donc marié ? Je ne savais pas !
Depuis longtemps ?
129
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
GREMIN
Okala dvoukh liét.
ONEGIN
Na kom?
GREMIN
Na Larinaï...
ONEGIN
Tatianié!
GREMIN
Ty iéi znakom?
ONEGIN
Ia im sassiét!
130
N o 20 a. Air du prince
GREMIN
Lioubvi vsié vozrasty pakorny,
Iéio paryvy blagatvorny
I iounoché v rastzviété liét
Iédva ouvidevchémou sviét,
I zakalionnomou osud’boï
Baïtzou s siédoïou galavoï!
Onegin, ia skryvat’ nié stanou,
Bezoumna ia lioubliou Tatianou!
Taskliva jizn maïa tekla;
Ana iavilas’ i zajgla,
Kak solntza loutch srédi niénastia,
Mnié jizn’, i moladast’, da,
Moladast’, i tstchastié!
Sriédi loukavykh, maladouchnykh,
TROISIÈME ACTE SCÈNE 1
GRÉMINE
Environ deux ans.
ONÉGUINE
Avec qui ?
GRÉMINE
Une Larine...
ONÉGUINE
Tatiana !
GRÉMINE
Tu la connais ?
ONÉGUINE
Je suis un de ses voisins !
131
No 20 a. Air du prince
GRÉMINE
L’amour ne se soucie pas de l’âge,
Ses joies réjouissent autant
Ceux de la fleur de l’âge
Dont les yeux s’ouvrent au monde,
Que le guerrier aux cheveux blancs,
Trempé par l’expérience !
Onéguine, je ne te le cacherai pas,
J’aime passionnément Tatiana !
Tristement, ma vie s’écoulait ;
Elle apparut et l’illumina,
Comme un soleil dans un ciel noir,
Me rendant la vie et la jeunesse, oui,
La jeunesse, et le bonheur !
Parmi ces enfants gâtés, sournois,
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Chal’nykh. Balovannykh détiéi,
Zladiéiév i smechnykh i skoutchnykh,
Toupikh, priviaztchivykh soudiéi,
Sriédi kakiétak bagamol’nykh,
Sriédi khalopiéf dabravol’nykh,
Sriédi vsiédniévnykh, modnykh stzen,
Outchtivykh, laskovykh izmién,
Sriédi khalodnykh prigavoraf
Jestokasiérdoï souiéty,
Sriédi dassadnoï poustaty
Rasstchotov, dum i razgovorov,
Ana blistaiét, kak zviézdza
Va mraké notchi, v niébe tchistom
I mnié iavliaiétza vsiégda
V siïanyi anguéla,
V siïanyi anguéla loutchistom.
Lioubvi vsié vozrasty pakorny...
132
No 21. Scène, arioso d’Onéguine & écossaise
GREMIN
Itak, païdiom, tiébia predstavliou ia.
Moï drouk, pazvol’ tiébié predstavit’
Radniou i drouga maïévo, Onéguina.
TATYANA
Ia otchén’ rada.
Vstretchalis’ priéjdé s vami my.
ONEGIN
V dériévnié! Da... Davno.
TATYANA
Atkouda?
Ouch nié iz nachikh li staron?
TROISIÈME ACTE SCÈNE 1
Médiocres, stupides,
Ces vauriens ridicules et creux,
Ces juges stupides et ignorants,
Parmi les coquettes bigotes,
Parmi les flatteurs serviles,
Parmi l’aimable hypocrisie mondaine,
La trahison doucereuse habituelle,
Parmi les vanités cruelles
Au jugement glacé,
Dans ce vide terrible
Du calcul, de la pensée, de la parole,
Elle brille dans la nuit obscure
Comme une étoile dans un ciel pur,
Et m’apparaît toujours
Comme un ange,
Comme un ange auréolé.
L’amour ne se soucie pas de l’âge...
133
N o 21. Scène, arioso d’Onéguine & écossaise
GRÉMINE
Allons, viens, je vais te présenter.
(Il le conduit vers Tatiana.)
Ma chérie, permets-moi de te présenter
Un parent, un vieil ami, Onéguine.
TATIANA (avec simplicité)
Enchantée.
Nous nous sommes déjà rencontrés.
ONÉGUINE
À la campagne ! Oui... autrefois.
TATIANA
D’où arrivez-vous ?
De notre région peut-être ?
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
ONEGIN
O nièt! Iz dal’nikh stranstviï
Ia vazvratilsia.
TATYANA
I davno?
ONEGIN
Sivodnia.
TATYANA
Drouk moï, oustala ia!
134
ONEGIN
Oujel’ ta samaïa Tatyana,
Katoraï ia naiédinié,
V gloukhoï, daliokaï staranié
V blagom pylou nravaoutchénia,
Tchital kagda-ta nastavliénia?
Ta diévatchka katoroï ia
Préniébrégal v srmiriénnoï dolé?
Oujéli to ana byla tak ravnadouchna, tak sméla?
No chto sa mnoï? Ia kak va snié!
Chto chéviél’noulas’ v gloubinié douchy
Khalodnoï i lenivoï?
Dasada, souiétnost’ il vnof’,
Zabota iounasti lioubof’?
Ouvy, somniénia nièt vlioublion ia
Vlioublion, kak mal’tchik,
Polnyi strasti iounaï.
Pouskaï paguibnou ia, no priéjdé
Ia v aslépitel’naï nadiéjdé
Vkouchou valchebnyi iad jélaniï,
TROISIÈME ACTE SCÈNE 1
ONÉGUINE
Oh non ! Je suis revenu
D’un long voyage à l’étranger.
TATIANA
Depuis quand ?
ONÉGUINE
Aujourd’hui.
TATIANA (au Prince)
Mon ami, je suis fatiguée !
Elle sort au bras de son mari.
ONÉGUINE
Est-ce vraiment la même Tatiana
À qui, en tête-à-tête,
Au fin fond d’une campagne,
Dans un belle ferveur morale,
Je fis jadis un sermon ?
La même jeune fille
Que j’ai méprisée dans sa simplicité ?
Vraiment elle, si sereine, si sûre d’elle ?
Qu’est-ce qui m’arrive ? Je dois rêver !
Qu’est-ce qui s’émeut au tréfonds de mon cœur
Froid et nonchalant ?
Anxiété, vanité ou, une fois encore,
Le feu de la jeunesse, l’amour ?
Hélas, aucune doute, je suis amoureux,
Amoureux comme un gamin,
Un gamin enflammé.
Que je meure, mais d’abord
Dans un espoir brûlant,
Il me faut goûter le philtre magique
135
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Oup’ious’ niésbytatchnoï metchtoï!
Viézdié viézdié on prédo mnoï,
Obras jélannyi, daragoï!
Viézdié viézdié on prédo mnoïou!
KARTINA VTORAÏA
No 22. Scène finale
136
TATYANA
O! Kak rnnié tiajélo!
Apiat’ Onegin stal na pouti maïom,
Kak prizrak bespastchadnyi!
On vzoram oghniénnym
Mnié douchou vazmoutil,
On strast’ zaglokhchouiou
Kak jiva vaskrésil,
Kak boutta snova
Diévatchkoï ia stala,
Kak boutto s nim ménia
Nichto nié razloutchalo!
TATYANA
Davol’no, vstan’té, ia daljna
Vam ab’iasnitza atkraviénno.
Onegin, pomnité l’ tot tchas
Kagda v sadou, v alliéié nas,
Soud’ba sviéla i tak smiriénno
Ourok vach vyslouchala ia?
TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
De l’amour, le poison du rêve !
Partout, partout devant moi,
Je vois la chère image !
Partout, partout je la vois !
SCÈNE 2
Une salle de réception dans le palais du Prince Grémine.
Tatiana entre, une lettre à la main.
No 22. Scène finale
TATIANA
Oh ! Comme je suis angoissée !
Une fois encore, Onéguine croise ma route,
Comme un fantôme impitoyable !
Son regard brûlant
Trouble mon cœur
Et ranime ma passion endormie,
Comme si j’étais à nouveau
La jeune fille de jadis,
Comme si rien
Ne nous avait
Jamais séparé !
(Elle éclate en sanglots.)
Onéguine paraît. Il regarde Tatiana, puis se jette
à ses pieds. Calmement, elle lui fait signe de se relever
.
TATIANA
Il suffit, relevez-vous, il me faut
Vous parler franchement.
Onéguine, vous rappelez-vous cette heure
Où, dans l’allée du jardin,
Le destin nous réunit et où j’écoutai,
Humiliée, votre leçon ?
137
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
ONEGIN
O, sjaltes’, sjaltes’ nada mnoïou!
Ia tak achibsia, ia tak nakazane!
138
TATYANA
Onegin! Ia tagda malojé,
Ia loutchché, kajetza, byla!
I ia lioubila vas, no chto jé
Chto v vachem siérdtzé ia nachla,
Kakoï atviét? Adnou sourovast’!
Nié pravda i, vam byla nié novast’
Smiriénnoï diévatchki lioubof’?
I nyntché... Bojé, styniét krof’,
Kak tol’ka vspomniou
Vzgliat khalodnyi i étou propaviéd’!
No vas ia nié viniou...
V tot strachnyi tchas
Vy pastoupili blagarodna
Vy byli pravy prédo mnoï.
Tagda, nié pravda li v poustynié.
Vdali ot souiétnaï malvy,
Ia vam nié nravilas’; chto j nynié
Ménia presliédouiété vy?
Zatchem ou vas ia na primiété?
Nié patamou 1’, chto v vyschem sviété
Tépiér’ iavliatza ia daljna,
Chto ia bagata i znatna,
Chto mouch v srajéniakh izouviétchen,
Chto nas za to laskaiét dvor?
Nié patamou i, chto moï pazor
Tépiér’ by vsiémi byt’ zamiétchén
I mok by v obstchestvié priniést’
Vam sablaznitel’nouiou tchest’?
ONEGIN
Akh! O bojé! Oujel’,
TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
ONÉGUINE
Oh, par pitié, par pitié, épargnez-moi !
Je me suis tant trompé, je fus tant puni !
TATIANA
Onéguine ! J’étais plus jeune alors,
Et bien meilleure, je crois !
Et je vous aimais, mais quoi,
Quelle réponse trouvai-je
Dans votre cœur ? Rien que de glacial !
En vérité, rien de nouveau pour vous
Dans l’amour d’une jeune fille ?
Aujourd’hui encore... Dieu, mon sang
Se glace au souvenir
D’une telle froideur, d’un tel discours !
Mais je ne vous en veux pas...
Dans ce moment pénible,
Vous avez été honorable,
Vous avez bien agi envers moi.
À l’époque, n’est-il pas vrai, dans cette campagne
Éloignée des frivolités du beau monde,
Je ne vous plaisais pas ; pourquoi alors
Me poursuivre maintenant ?
Pourquoi suis-je l’objet de vos attentions ?
Se pourrait-il que c’est parce qu’à présent
Je fréquente la haute société,
Que je suis riche et aristocrate,
Et que les blessures glorieuses de mon époux
Nous valent les faveurs de la cour ?
Ne serait-ce point parce que ma déchéance
Serait remarquée de tous
Et vous vaudrait la réputation
D’un grand séducteur ?
ONÉGUINE
Ah ! Ô Dieu ! Se pourrait-il
139
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Oujel’ v malbié maïei smiriénnoï
Ouvidit vach khalodnyi vzor
Zatiéyi khitrosti prezriénnoï?
Ménia terzaiét vach oukor!
Kagda b vy znali, kak oujasna
Tamitza jajdaïou lioubvi,
Pylat’ i razoumom vsiétchasna,
Smiriat valniénié v kkravi,
Jélat’ abniat’ ou vas kaliéni
I, zarydaf ou vachikh nok
Islit’ mol’by, priznania piéni
Vsio, vsio chto vyrazit’ by mok!
TATYANA
Ia platchou!
140
ONEGIN
Platch’té, éti sliozy
Darojé vsiékh
Sakrovistch mira!
TATYANA
Akh! Ststchastié byla tak vazmojna,
Tak bliska! Tak bliska!
ONEGIN
Akh!
TATYANA I ONEGIN
Ststchastié byla tak vazmojna,
Tak blizka! Tak blizka!
TATYANA
No soud’ba maïa ouch réchéna.
I bezvazvratna, ia vychla zamouch,
Vy daljny, ia vas prachou ménia astavit’!
TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
Se pourrait-il, que dans mon humble prière
Votre froid regard ne voit rien
Que le calcul d’une misérable ruse ?
Vos reproches me font souffrir !
Si vous saviez combien il est dur
De souffrir de peine d’amour,
D’endurer et de ramener sans cesse
À la raison la fièvre de son sang,
De désirer étreindre vos genoux,
Et, pleurant à vos pieds,
De répandre reproches, serments et plaintes,
Tout, tout ce que je veux exprimer !
TATIANA
Je pleure !
ONÉGUINE
Pleurez, ces larmes
Me sont plus précieuses
Que tous les trésors du monde !
TATIANA
Ah ! Le bonheur était si proche,
Si proche ! Si proche !
ONÉGUINE
Ah !
TATIANA & ONÉGUINE
Le bonheur était si proche,
Si proche ! Si proche !
TATIANA
Mais mon destin est tout tracé,
Et sans appel. Je suis mariée.
Je vous en supplie, vous devez me laisser !
141
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
ONEGIN
Astavit’? Astavit’?
Kak!... Vas astavit’?
Nièt! Nièt!
Paminoutna videt’ vas,
Pavsioudou sliédavat’ za vami,
Oulybkou oust, dvijénié vzgliat,
Lavit’ vlioublionnymi glasami,
Vnimat’ vam dolga panimat’
Douchoï vsio vaché saviérchenstva.
Pret vami v strastnykh moukakh zamirat’,
Blednièt’ i gasnout’: vot blajenstva,
Vot adna metchta maïa adno blajenstva!
142
TATYANA
Onegin, v vachem siérdtzé iést’
I gordast’, i priamaïa tchest’!
ONEGIN
Ia nié magou astavit’ vas!
TATYANA
Iévgeniï! Vy daljny,
Ia vas prachou ménia astavit’.
ONEGIN
O, sjal’tes’!
TATYANA
Zatchem skryvat’, zatchem loukavit’,
Akh! Ia vas lioubliou!
ONEGIN
Chto slychou ia?
TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
ONÉGUINE
Vous laisser ? Vous laisser ?
Comment ? Vous laisser ?
Non ! Non !
Vous voir à toute heure,
Veiller sur votre seuil, suivre
Votre sourire, vos pas, votre regard
Avec des yeux amoureux,
Vous écouter pendant des heures, saisir
En mon cœur votre perfection.
(Il saisit sa main qu’il couvre de baisers.)
Périr devant vous de souffrances passionnées,
Blêmir et mourir : voilà ma joie,
Mon seul rêve, mon seul bonheur !
TATIANA (retirant sa main, un peu effrayée)
Onéguine, dans votre cœur il y a
De l’orgueil et un honneur vrai !
ONÉGUINE
Je ne vous laisserai pas !
TATIANA
Eugène ! Vous le devez.
Je vous prie de me laisser.
ONÉGUINE
Ô, pitié !
TATIANA
Pourquoi le cacher, pourquoi faire semblant,
Ah ! Je vous aime !
ONÉGUINE
Qu’entends-je ?
143
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
Kakoïé slova ty skazala!
O, radast’! Jizn maïa!
Ty priéjniéiou Tatianoï stala!
TATYANA
Nièt! Nièt!
Prochlava nié varatyt’!
Ia atdana tépiér’ drougomou,
Maïa soud’ba ouch rechéna.
Ia boudou viék iémou viérna.
144
ONEGIN
O, nié gani, ménia ty lioubich!
I nié astavliou ia tiébia.
Ty jizn’ svaïou naprasno sgoubich!
To volia niéba: ty maïa!
Vsia jizn’ tvaïa byla zalogam
Saïédiniéniïa sa mnoï!
I znaï: tiébié ia poslane bogam,
Da groba ia khranitel’ tvoï!
Nié mojech ty ménia atrinout’,
Ty dlia ménia daljna pakinout’
Pastylyi dom, i choumnyi sviét.
Tebié drougoï darogui nièt!
TATYANA
Onegin, ia tviérda astanous’;
ONEGIN
Nièt, nié mojech ty...
... Ménia atrinout’...
TATYANA
... Soudboï drougomou... Ia dana,
S nim boudou jit’ i nié rastanous’;
TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
Quels mots as-tu dits !
Ô joie ! Ma vie !
Tu es la Tatiana d’autrefois !
TATIANA
Non ! Non !
Le passé ne revient pas !
Je suis maintenant à un autre,
Mon destin est déjà scellé,
Je lui serai toujours fidèle.
ONÉGUINE
Ô, ne me repousse pas, tu m’aimes !
Et je ne te laisserai pas.
Tu sacrifies ta vie pour rien !
C’est la volonté du ciel : tu es à moi !
Toute ta vie était la promesse
De notre union !
Et sache-le : Dieu m’a envoyé à toi.
Je suis ton ange jusqu’à la mort !
Tu ne peux pas me repousser,
Pour moi, tu dois laisser
Cette maison sinistre, la rumeur du monde.
Tu n’as pas d’autre choix !
TATIANA
Onéguine, je suis inébranlable.
ONÉGUINE
Non, tu ne peux pas...
... Me repousser...
TATIANA
... Le destin m’a donnée... à un autre,
Je vivrai avec lui, je ne le laisserai pas.
145
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
ONEGIN
... Y dlia ménia...
... Daljna pakinout’ vsio vsio...
Pastylyi dom i choumnyi sviét!
Tiébié drougoï darogui nièt!
O, nié gani ménia, maliou!
Ty lioubich ménia; ty jizn’ svaïou
Naprasna sgoubich!
Ty maïa naviék maïa!
146
TATYANA
... Nièt, kliatvy
Pomnit’ ia daljna!
Glouboka v siérdtzé pranikaiét,
Iévo attchaïannyi prizyf
No, pyl prestoupnyi padavif,
Dolk tchesti sourovyï,
Sviastchennyi tchoustva pabejdaiét!
Ia oudaliaïous’!
ONEGIN
Nièt! Nièt! Nièt! Nièt!
TATYANA
Davol’na!
ONEGIN
O, maliou: nié oukhadi!
TATYANA
Nièt, ia tviérda astanous’!
ONEGIN
Lioubliou tiébia, lioubliou tiébia!
TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
ONÉGUINE
Pour moi...
... Tu dois tout laisser, tout...
Cette maison sinistre, la rumeur du monde !
Tu n’as pas d’autre choix !
Ô ne me repousse pas, je t’en supplie !
Tu m’aimes ; tu sacrifies ta vie
Pour rien !
Tu es à moi, pour toujours !
TATIANA
... Non, je n’oublierai pas
Mon serment !
Au fond de mon cœur, son appel
Fait vibrer une corde enfouie.
Mais j’ai étouffé une flamme coupable,
Mon honneur, mon devoir dur et sacré
Sera vainqueur de la passion !
Je vous laisse !
ONÉGUINE
Non ! Non ! Non ! Non !
TATIANA
C’est assez !
ONÉGUINE
Ô, je t’en supplie : ne pars pas !
TATIANA
Non, je suis résolue !
ONÉGUINE
Je t’aime, je t’aime !
147
TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE
TATYANA
Astaf’ ménia!
ONEGIN
Lioubliou tiébia!
TATYANA
Prastchaï naviék!
ONEGIN
Ty maïa!
Pazor!... taska!...
O jalkiï, jrébiï moï!
148
Translittération révisée par le Centre linguistique franco-russe de Lyon
TROISIÈME ACTE SCÈNE 2
TATIANA
Laisse-moi !
ONÉGUINE
Je t’aime !
TATIANA
Adieu pour toujours !
(Elle sort.)
ONÉGUINE
Tu es à moi !
(Il reste immobile un moment, pétrifié de douleur.)
Honte !... Douleur !...
Ô mon pauvre destin !
(Il sort rapidement.)
149
CAHIER de LECTURES
Alexandre Pouchkine
Eugène Onéguine (extraits)
Marina Tsvétaeva
Les leçons de Tatiana
Fédor M. Dostoïevski
Tatiana, la femme russe
—
Correspondance de Tchaïkovski
Eugène Onéguine est d’une poésie infinie
André Lischke
Un succès en demi-teintes
ALEXANDRE POUCHKINE
EUGÈNE ONÉGUINE
Le héros
[Chapitres 1 & 2]
Sans préambule à l’instant même,
Présentons-le tout uniment :
C’est le héros de mon roman.
Mon camarade Onéguine
Naquit, lecteur, à Pétersbourg,
Où vous aussi vîtes le jour
Et vous brillâtes, j’imagine ;
Jadis, j’y flânais, jour et nuit :
Mais le climat du nord me nuit.
[...]
Mon Onéguine est libre, il vole :
Coiffé à la dernière école,
Vêtu comme un dandy, enfin
Il voit le monde, il en a faim.
C’est un français irréprochable
Qu’il employait dans tous les cas,
153
ALEXANDRE POUCHKINE
Dansait fort bien la mazurka
Et s’inclinait d’un air affable –
Chacun l’aima en le jugeant
Aussi charmant qu’intelligent.
[...]
L’ennui traquait notre Onéguine
Dans un village délicieux
Où l’homme simple, j’imagine,
Aurait cent fois béni les cieux.
Son ami
[Chapitre 2]
Or un nouveau propriétaire
Vint s’installer alors tout près,
[...]
Vladimir Lenski, un poète,
Fleur de Göttingue, cœur et tête,
Beau, jeune et fort, empli d’ardeur
De Kant brûlant admirateur,
Des brumes bleues de l’Allemagne
Portait les fruits de l’instruction –
Des rêves de libération,
Une âme d’aigle des montagnes,
Un discours vif et ampoulé,
De longs cheveux noirs et bouclés.
Olga
[Chapitre 2]
D’Olga dès son adolescence,
L’âme encor vierge de souffrir,
Il avait vu en innocence
Les jeux d’enfants et les plaisirs ;
[...]
Des yeux bleu ciel, des boucles blondes,
Tout en Olga, – ses joues bien rondes,
154
EUGÈNE ONÉGUINE
Sa voix, ses moindres mouvements,
Vous... Mais n’importe quel roman
Nous en présente la peinture,
Peinture qui, jadis, m’a plu,
Mais dont le charme n’agit plus
Et qui m’ennuie outre mesure.
Permettez-moi de me tourner
Vers Tatiana, sa sœur aînée.
Tatiana
[Chapitre 2]
Oui, Tatiana... Les tendres pages
De nos romans n’ont jamais vu
Nommer ainsi un personnage* ;
Ma foi, ceci est un début.
[...]
Donc, Tatiana... Ce nom, je l’ose.
Ni par le charme de sa sœur,
Ni sa fraîcheur au teint de rose
Elle n’aurait séduit les cœurs.
Sauvage, sombre, silencieuse,
Biche des bois, toujours anxieuse,
Elle avait l’air parmi les siens,
Venue d’ailleurs, surgie de rien.
Inapte à plaire, à sourire, elle
Ne câlinait pas ses parents,
Enfant, avec d’autres enfants,
Ne jouait pas à la marelle
Mais restait seule à la croisée,
Tout absorbée dans ses pensées.
* Tatiana est un prénom typiquement paysan, d’un usage, donc, théoriquement impossible en littérature. (NdT)
155
ALEXANDRE POUCHKINE
Visite chez les Larine
[Chapitre 3]
« J’y vais, c’est l’heure. » – On peut savoir
Quel est le nom de la retraite
Où tu t’enterres tous les soirs ?
« Chez les Larine. » –
[...]
Attends, je sais,
Je vois ces gens comme en peinture :
Un foyer simple, de chez nous,
Hospitalier et tout et tout –
Des régiments de confiture,
Et les potins jusqu’à la nuit,
La basse-cour, le lin, la pluie...
[...]
Eh quoi, tu pars ? tant pis, mais bon,
Dis, à propos, Lenski, peut-on
La voir, cette divine idole,
Objet de songes et d’écrits,
De larmes, de rimailleries ?
Présente-moi. – « Vraiment ? » – Parole.
« C’est bien. » – Quand donc ? « Viens avec moi,
Nous recevoir sera leur joie. »
[...]
Et les amis s’élancent ;
Ils entrent ; on déploie pour eux
Ce zèle non sans insistance,
L’art de l’accueil de nos aïeux.
[...]
Mais à l’allure la plus vive,
Rentrent chez eux nos deux héros.
Prêtons une oreille furtive
(Nous le pouvons) à leurs propos.
[...]
« Et Tatiana, laquelle était-ce ? »
156
EUGÈNE ONÉGUINE
– C’est l’autre, enfin, qui est entrée
Avec ce masque de tristesse
Et s’est assise à la croisée.
« Attends, tu aimes la cadette ? »
– Pourquoi ? « Moi, si j’étais poète
C’est l’autre que j’aurais choisie ;
Les traits d’Olga n’ont pas de vie,
Comme Van Dyck peint la Madone –
C’est bien joli, c’est rose et blond,
C’est bête comme l’astre rond
Dans ce ciel bête et monotone. »
Lenski fut sec en répondant
Et ne desserra plus les dents.
Et cependant, chez les Larine
Ce fut l’événement soudain
Que l’apparition d’Onéguine,
De quoi distraire les voisins.
On vit mystère sur mystère
Chacun y fut d’un commentaire –
Sourire en coin, bon mot corsé :
Tania avait un fiancé.
Tatiana en amour
[Chapitre 3]
Tania prenait d’abord ces fables
Avec dépit ; mais en secret
C’est une joie comme impalpable
Qui malgré elle l’entraînait.
L’idée surgit, une heure heureuse
Fleurit – elle était amoureuse.
[...]
Depuis longtemps l’ardente sève
Montait, oppressée, en son sein
L’âme attendait... juste quelqu’un.
157
ALEXANDRE POUCHKINE
Il arriva... Ses yeux s’ouvrirent ;
Elle se chuchota : c’est lui !
[...]
Tania, Tania, douce rêveuse,
À présent, je pleure avec toi ;
D’une ombre tyrannique et creuse
Tu as choisi d’être la proie.
[...]
La nuit descend ; la lune brille
Sur les cieux sombres et secrets ;
Dans les ténèbres des forêts
Un rossignol poursuit ses trilles,
Et Tatiana, qui ne dort pas,
À sa nounou parle tout bas.
[...]
La voilà seule. Cieux sereins.
Elle écrit, penchée sur sa feuille
Ne pense plus qu’à Evgueni,
Et dans sa lettre désunie
Sa candeur vibre et se recueille ;
Sa lettre est prête, elle est pliée.
« Je vous écris – quoi d’autre à dire ?
J’ai tout dit si je vous écris. »
Tania ! à qui t’es-tu liée ?
Le sermon d’Onéguine
[Chapitre 4]
D’abord ce fut un long silence,
Mais Onéguine s’approcha
Et : « Vous m’avez écrit, je pense »
Commença-t-il. « Ne niez pas.
J’ai lu l’aveu d’une âme pure,
Son innocence, sa droiture ;
Il m’a paru certes charmant ;
Il fit jaillir des sentiments
158
EUGÈNE ONÉGUINE
Que bien longtemps j’avais fait taire :
Pourtant, mon blâme reste entier,
Et je me dois de vous payer
Par un aveu aussi sincère ;
[...]
Vous aimerais-je ? – accoutumé,
Je cesserai de vous aimer ;
Vous pleurerez ; vos pauvres larmes,
Loin de pouvoir toucher mon cœur
Accroîtront juste sa fureur ;
[...]
Vous aimerez encor. Mais quoi...
À l’avenir soyez plus sage ;
Un autre aurait compris plus mal ;
Tant de candeur sera fatal. »
Tel fut le sermon d’Onéguine
Des larmes lui voilant les yeux,
Muette, un poids sur la poitrine,
Tania l’écoutait de son mieux.
La fête de Tatiana
[Chapitre 5]
A deux battants s’ouvre la porte –
Lenski et Onéguine. « Enfin ! »
Crie Larina, « Mon Dieu ! »
[...]
On fait asseoir les deux amis.
Face à Tania – et, pâlissante,
Ainsi la lune au jour naissant,
Biche harassée, elle est tremblante,
Et son regard, s’obscurcissant,
Reste baissé ; toute son âme
Brûle, elle étouffe, elle se pâme :
159
ALEXANDRE POUCHKINE
Les deux amis l’ont saluée.
[...]
Les nerfs, les crises féminines,
Les évanouissements subits
Insupportaient mon Onéguine,
Lui avaient trop gâché la vie.
Quand ce toqué vit les convives,
Il fut fâché. Devant la vive
Flamme qui avait pris Tania,
Baissant les yeux, il enragea ;
Il se jura, comme en vengeance
De faire bien bisquer Lenski
[...]
Touchant l’instant de sa vengeance,
Evgueni, triomphant d’avance,
Va vers Olga, et, tous les deux,
Ils dansent tant qu’on ne voit qu’eux.
[...]
Les gens s’étonnent ; Vladimir,
Eberlué, se sent frémir.
[...]
Il n’y tient plus ; Lenski tout pâle,
Vouant la femme et son cœur faux
Au diable, exige ses chevaux
Et part. Deux pistolets, deux balles
– Un point c’est tout ! – Voilà, soudain,
De quoi répondre à son destin.
Le duel
[Chapitre 6]
Dorénavant, le doute est vain :
Ils se retrouveront au moulin
Dès qu’ils verront le jour paraître,
Et, là, tous deux, ils viseront
La cuisse ou carrément le front.
160
EUGÈNE ONÉGUINE
[...]
Evgueni s’adresse à Lenski :
– Donc, on y va ? « Oui, je suppose »,
Répond Lenski, et chacun part
Sur le terrain.
[...]
Les armes luisent, la baguette
Tinte sous le maillet, glissant
Au fond du fût à six facettes
La balle. Et le chien claque. Un lent
Filet de poudre tombe, claire,
Au bassinet.
[...]
Les deux amis s’arment. C’est tout.
« Marchez. »
Les ennemis s’avancent ;
Pour l’instant, ils ne visent pas.
Leurs pas sont fermes, froids ; silence ;
Ils font les quatre premiers pas,
Marches mortelles, assassines.
Sur sa lancée, là, Onéguine
A entrepris de redresser
Son pistolet, sans se presser.
Voila cinq pas supplémentaires.
Plissant l’œil gauche, alors, Lenski
Vise à son tour, mais Evgueni
Tire... L’heure a sonné sur terre,
Et le poète sans un bruit,
Laisse échapper son arme, puis
Pose sa main sur son sein gauche
Et tombe. Dans ses yeux brumeux,
Nulle douleur – la mort qui fauche.
[...]
Inerte, il gisait là, et pâle,
161
ALEXANDRE POUCHKINE
Son front plein d’une étrange paix.
Du sein qu’avait troué la balle
Le sang en s’écoulant fumait.
Voilà encore une seconde,
Ce cœur était empli d’un monde,
Rêvant, aimant et haïssant,
Tremblant de vie, bouillant de sang :
C’est comme une maison déserte,
Vouée au vide pour toujours,
Tout y est calme, triste et lourd.
Volets fermés, vitres couvertes
De craie. La maîtresse est loin.
Où ça ? Dieu sait. Plus trace, rien.
Errance voyageuse d’Onéguine
[Chapitre 8]
Il fut saisi par l’inquiétude,
Le besoin de changer d’endroit
(Torture certes des plus rudes,
Bien peu choisissent cette croix.)
Il délaissa son ermitage
Et les forêts de son village
Où ne cessait de le hanter
Le pauvre spectre ensanglanté
Et se mit à courir la terre,
Toujours en proie au souvenir,
Et les voyages, pour finir
Comme le reste, le lassèrent ;
Il en revint, tant bien que mal,
Tel Tchatski, « du navire au bal* ».
* Référence au Malheur d’avoir de l’esprit de Griboïedov. Tchatski, le personnage principal, débarque littéralement et se retrouve dans un bal donné
par la famille de sa bien-aimée – laquelle, pendant son absence, s’est détournée de lui. (NdT)
162
EUGÈNE ONÉGUINE
Soirée chez le prince
[Chapitre 8]
– Qui est-ce ?... – Et Evgueni se pince. –
C’est elle ?... Est-ce possible ?... Non.
Quoi ?... du fin fond de sa province ?...
[...]
Prince qui est-ce, le sais-tu,
Cette femme au béret framboise
Qui cause avec l’ambassadeur ?
« Oui, tu débarques, mon cher cœur... »
Répond le prince, et il le toise :
« Je te présente dans l’instant. »
– Qui est-ce enfin ? « Ma femme. » – Attends...
Tu es marié ?... Oui, imagine... »
– Avec qui ? « Une Larine. »
– Quoi, Tatiana ? « Tu la connais ? »
– C’est ma voisine. « Eh bien, splendide »,
Répond le prince, et il le guide
Vers la princesse, le présentant
Un vieil ami, presque un parent.
Elle a levé les yeux. Peut-être
A-t-elle été bouleversée,
Abasourdie – mais en pensées
Elle n’a laissé rien paraître :
Le même ton, la même voix,
Un salut affable et courtois.
Non, rien qui pût trahir la fièvre,
Rougeur, pâleur, brusque souci –
Un tremblement au coin des lèvres,
Un frémissement des sourcils.
Il cherche, il scrute – quoi qu’il fasse,
Il ne retrouve plus de trace
De la Tania qu’il connaissait.
163
ALEXANDRE POUCHKINE
[...]
L’enfant si simple, et monotone...
Il se sentit rongé au cœur
Par sa distance et sa rigueur.
[...]
Quel rêve étrange l’a saisi ?
Dans l’âme qui semblait transie
Remue comme une vie nouvelle –
Lubie ou rage, ou bien retour
De sa folie d’antan – l’amour ?
[...]
Le long des quais, où a couru
Mon Evgueni ? Question risible ;
Qui donc, lecteur, ne devina ?
Oui, mon toqué incorrigible,
Il vole, il court chez Tatiana.
Il entre, il est plus blanc qu’une ombre ;
Le vestibule est vide et sombre.
La salle ; l’autre salle aussi.
Une autre porte. Il est saisi,
Bouleversé dans tout son être.
C’est la princesse... Il s’est figé...
Assise, pâle, en négligé,
Lisant je ne sais quelle lettre ;
Pleurant tout bas, pleurant sans fin,
La joue appuyée sur la main.
Qui n’eût senti que la détresse
Rongeait son âme à cet instant,
N’eût reconnu en la princesse
Tania, notre Tania d’avant !
[...]
« Et le bonheur était si proche,
Oui, si possible !...
[...]
Je suis mariée. Pour vous, il faut
164
EUGÈNE ONÉGUINE
S’il vous plaît, me laisser vous-même.
Je sais qu’il est dans votre cœur
De la fierté et de l’honneur.
À quoi bon feindre, je vous aime,
Mais j’appartiens à mon époux
Et lui serai fidèle en tout. »
Elle est partie. Pour Onéguine,
Il reste là, tétanisé.
À quels yeux noirs, à quelle ruine
Son cœur se retrouve exposé !
[...]
Et là, notre héros, lecteur,
Juste à l’instant de sa douleur,
Quittons-le de façon furtive.
Pour longtemps, pour toujours. Assez
De routes avons-nous tracées
Ensemble au cours des ans. La rive
Est là. Mes félicitations !
Il était temps, j’ai l’impression.
Extraits de Eugène Onéguine,
traduit du russe par André Markowicz,
© Éditions Actes Sud, 2005
(Intertitres : Opéra de Lyon)
MARINA TSVÉTAEVA
LES LEÇONS DE TATIANA
Un peu plus tard – j’avais six ans, ma première année de
musique – à l’école de musique Zograf-Plaskina, passage
Merzliakov – on donnait – rien que ce nom ! – une soirée
publique pour Noël. Une scène de “La Roussalka”, puis
Rognèda et :
Transportons-nous dans le jardin
Où Tatiana le vit soudain.
Un banc. Sur le banc – Tatiana. Entre Onéguine. Il ne s’assied pas. C’est elle qui se lève. Ils restent debout, tous les
deux. Mais il n’y a que lui qui parle. Il parle longtemps, tout
le temps. Elle, elle ne dit pas un mot. Et je comprends alors
que le gros chat roux, et Augusta Ivanovna, et les poupées –
tout ça n’est pas l’amour. L’amour, c’est ça : un banc, et ellesur
le banc, et lui qui entre, et lui qui parle tout le temps, et elle
qui ne dit pas un mot.
– Alors, Moussia, qu’est-ce que tu as préféré ? (Ma mère,
à la fin.)
166
LES LEÇONS DE TATIANA
– Tatiana et Onéguine.
– Vraiment ? Pas “La Roussalka”, avec le moulin, le prince
et le démon ? Pas Rognèda ?
– Tatiana et Onéguine.
– Mais comment ça ? Qu’est-ce que tu as pu y comprendre ? Eh bien ! de quoi est-ce que ça parle ?
Silence.
Ma mère, triomphante :
– Ah ! tu vois bien – tu n’as pas compris un mot. C’est
bien ce que je pensais. Et à six ans, encore ! Qu’est-ce qui a
bien pu te plaire là-dedans ?
– Tatiana et Onéguine.
– Tu es complètement idiote ! Une vraie tête de mule ! (Se
tournant vers le directeur de l’école, Alexandre Léontiévitch
Zograf, venu la saluer :) Je la connais ; maintenant, pendant
tout le trajet, tout ce qu’elle va trouver à répondre à mes
questions, c’est « Tatiana et Onéguine ». Vraiment, elle n’est
pas sortable. Pas un enfant au monde n’aurait préféré
« Tatiana et Onéguine » : ils auraient tous préféré “La
Roussalka” – au moins, ça, c’est un conte, on comprend tout.
Je ne sais pas quoi faire avec cette enfant !
– Mais, ma petite, pourquoi donc, « Tatiana et Onéguine » ? (M. Zograf, avec une douceur infinie.)
(Moi – le silence. Mais – à pleine voix :)
– Parce que c’est – l’amour.
[...] Sur le chemin du retour – traîneau glissant, traîneau
de nuit – ma mère qui se fâche : « Quelle honte ! Même pas
dit merci pour la mandarine ! Amoureuse d’Onéguine, comme
une imbécile, et à six ans !... »
Pas d’Onéguine, Maman, mais d’Onéguine et Tatiana (et
plus de Tatiana, peut-être), des deux ensemble – de l’amour.
Jamais, plus tard, je n’ai écrit un de mes textes sans être
amoureuse des deux ensemble (d’elle – un peu plus), et pas
des deux, mais de leur amour. De l’amour.
167
MARINA TSVÉTAEVA
Ce banc où ils ne se sont pas assis se révéla déterminant.
Ni à l’époque ni plus tard – jamais je n’ai aimé quand on
s’embrasse, – toujours quand on se quitte. Jamais quand on
s’assied – toujours quand on va son chemin. Ma première
scène d’amour fut toute – non-amour : il n’aimait pas (je
comprenais) – il ne s’est pas assis ; c’est elle qui aime, et qui
se lève donc. Pas un instant ils n’ont été ensemble, ils ont
fait le contraire : il parlait, elle ne disait mot ; il n’aimait
pas, elle aimait ; il est parti, elle est restée – soulevez le
rideau : elle reste là, elle s’est assise, peut-être, parce
qu’elle n’était debout que pour lui – elle s’est donc effondrée, elle restera assise – à tout jamais. À tout jamais, elle
est assise sur ce banc.
Ma première scène d’amour détermina toutes les autres,
cette passion pour l’amour malheureux, impossible – à sens
unique. Dès cet instant, j’ai refusé toute idée de bonheur et je
me suis vouée – au non-amour.
C’était ça, l’essentiel : il n’aimait pas, et elle, elle a aimé
ainsi – rien que pour ça, et lui entre tous, lui et pas un autre,
parce qu’elle savait, au plus profond, qu’il ne pouvait
répondre à son amour. (Cela, je le dis aujourd’hui, mais à six
ans je le savais déjà. Aujourd’hui, j’ai appris à le dire.) Ceux
qui possèdent le don fatal de l’amour malheureux – l’amour
sans la réponse, l’amour pris sur soi seul – ont le génie des
dissemblances.
Pas que cela – Eugène Onéguine détermina bien autre
chose. Si pendant toute ma vie, jusqu’à aujourd’hui même, j’ai
toujours écrit – la première, toujours – tendu la main – au
diable tous les juges – la première, c’est qu’à l’aube de mes
jours, Tatiana dans son livre, à la lumière de la chandelle, la
natte détresséesur la poitrine, l’avait, sous mes yeux – fait.
Plus tard, quand ils partaient (ils sont toujours partis), je
n’ai jamais tendu les mains, je ne me suis jamais retournée :
c’est que dans le jardin, alors, Tatiana était restée figée.
Statue.
168
LES LEÇONS DE TATIANA
Leçon de courage. Leçon de fierté. Leçon de fidélité.
Leçon de destin. – Leçon de solitude.
*
* *
Quelle autre nation possède une telle héroïne de l’amour ?
– Courage et dignité – amour et constance – clairvoyance
et amour.
Pas de rancune dans la confession de Tatiana. – Voilà
pourquoi la pleine vengeance frappe Onéguine, voilà pourquoi
il reste « comme frappé de foudre ».
Tous les atouts en main pour se venger ou pour le rendre
fou, tous les atouts pour l’humilier, le rendre humus, terre portant ce banc, parquet de cette salle où elle a tout anéanti par
cet unique aveu : « Pourquoi feindrais-je ? – Je vous aime. »
Pourquoi feindrais-je ? – Mais pour vaincre, pour triompher – sur qui ? C’est à cela, vraiment, que Tatiana ne sait
quelle réponse – intelligible – faire : la revoici, debout, dans
le cercle magique de la salle, comme alors, – dans le cercle
magique du jardin – cercle de son amour à sens unique –
sans nul secours, alors, béni, maintenant – alors et maintenant
– aimante, jamais ne pouvant être aimée.
Tous les atouts en main. Or, elle ne joue pas.
Oui, jeunes filles, avouez – les premières, et puis, écoutez les sermons, puis épousez des médaillés couverts de
gloire, puis écoutez les confessions, et puis refusez-les –
vous serez mille fois plus heureuses que l’autre héroïne, celle
qui, ses désirs exaucés, n’a d’autre solution que se coucher
sur les rails.
Entre la plénitude du désir et l’exaucement de ses désirs,
entre la plénitude de la souffrance et le vide du bonheur, mon
choix était fait – à l’origine. Mon origine fut – ce choix.
Car Tatiana forma aussi ma mère. Quand mon grandpère, A.D. Meyn, lui imposa le choix entre le bien-aimé ou
169
MARINA TSVÉTAEVA
lui, elle choisit son père et pas le bien-aimé, puis elle fit un
mariage mieux que celui de Tatiana, pour laquelle « Tous
les partis se valaient bien. » – Un veuf, deux fois plus âgé
qu’elle, père de deux enfants, amoureux de sa première
femme. Elle épousa – les enfants et le malheur, aimant,
aimant toujours – le refusé, qu’elle ne chercha plus jamais à
revoir, et auquel, le retrouvant par hasard à une conférence
de son mari, alors qu’il l’assaillait de questions sur sa vie,
sur son bonheur, que sais-je – elle répondit : « J’ai une fille
d’un an, c’est un très beau bébé, elle est très intelligente, je
suis parfaitement heureuse... » (Seigneur, comme elle devait
à cet instant, moi le « très beau bébé », le bébé « très intelligent », me haïr – pour n’être pas sa fille – à lui !)
Ce n’est donc pas une influence pour toute la vie, cette
influence est ma vie même. Sans Tatiana, je n’aurais pas – été.
Les femmes lisent les poètes – comme ça.
Il est symptomatique que ma mère ne m’ait pas appelée
Tatiana – pour m’épargner quand même un peu, sans doute...
*
* *
Depuis l’enfance, je réduis Eugène Onéguine à trois
scènes : la chandelle – le banc – le parquet. D’aucuns de
mes contemporains y ont vu un magnifique jeu d’esprit,
presque une satire. Ils ont peut-être raison, mais je l’ai lu à
sept ans... À cet âge où n’existent ni jeux d’esprit ni satires :
existent les sombres jardins (le nôtre, à Taroussa), le lit défait
et la chandelle (la nôtre, dans notre chambre), les parquets
astiqués (celui de notre grande salle), existe l’amour (le mien,
celui dans ma poitrine – là).
Extrait de Mon Pouchkine,
traduit du russe par André Markowicz,
© Clémence Hiver éditeur, 1987
FÉDOR M. DOSTOÏEVSKI
TATIANA, LA FEMME RUSSE
Onéguine arrive de Pétersbourg – nécessairement de
Pétersbourg, c’était sans aucun doute une précision indispensable à son poème, et Pouchkine ne pouvait omettre un détail de
cette importance dans la biographie de son héros. [...] Au début
du poème, il n’est encore qu’à moitié un fat et un mondain, il a
trop peu vécu encore pour trouver le temps de se désenchanter
entièrement de la vie. Mais déjà commence à le visiter parfois
et à le tourmenter « le noble démon d’un ennui secret ».
Dans ce coin perdu de province, au cœur de son pays
natal, il ne se sent évidemment pas chez lui, ce n’est pas son
milieu familier. Il ne sait qu’y faire, il se sent comme un visiteur à son propre foyer. Par la suite, quand il errera avec ennui
à travers son propre pays et à travers les pays étrangers, il se
sentira encore davantage, en homme incontestablement intelligent et incontestablement sincère qu’il est, étranger à luimême jusque parmi les étrangers. Il est bien vrai qu’il aime
171
FÉDOR M. DOSTOÏEVSKI
tout comme un autre sa terre natale, mais il ne lui fait pas
confiance. Il a certes entendu parler aussi des idéaux qu’elle
nourrit, mais il ne croit pas en eux. Il ne croit qu’à la totale
impossibilité d’un travail quel qu’il soit sur le sillon natal, et
ceux qui croient à la possibilité de ce travail – ils étaient peu
nombreux alors comme aujourd’hui – il les regarde d’un air de
raillerie attristée. Il a tué Lenski par simple hypocondrie,
peut-être, qui sait, par nostalgie bilieuse d’un idéal de vie...
c’est tellement dans nos cordes que c’est vraisemblable.
Telle n’est pas Tatiana ; elle, c’est un être ferme, solidement campé sur son sol. Elle est plus profonde qu’Onéguine,
et assurément plus intelligente que lui. Son seul généreux instinct lui suffit pour pressentir où et en quoi réside la vérité, ce
qui ressort bien du motif final du poème. Peut-être même
Pouchkine aurait-il mieux fait d’intituler son poème du nom
de Tatiana plutôt que de celui d’Onéguine, car elle est sans
conteste le héros principal. Elle est un type positif et non
négatif, elle est le type de la beauté positive, elle est l’apothéose de la femme russe, et c’est elle que le poète a destiné
à exprimer la pensée de son ouvrage dans la scène célèbre de
la dernière rencontre de Tatiana et d’Onéguine. [...]
Et la voici qui dit fermement à Onéguine :
Je vous aime, à quoi bon ruser ?
Mais je suis l’épouse d’un autre,
Et je lui resterai fidèle.
C’est en femme russe qu’elle a prononcé ces mots, c’est
son apothéose. Elle résume la vérité du poème. [...]
Si elle a refusé de le suivre, bien qu’elle lui ait dit ellemême « je vous aime », est-ce parce que, « femme russe » (et
non point méridionale ou française quelconque), elle ne serait
pas capable d’une démarche audacieuse, elle n’aurait pas la
force de briser ses chaînes, elle ne serait pas de taille à
sacrifier les prestiges des honneurs, de la richesse, de la mondanité, des conventions de la vertu ? Non, la femme russe sait
172
TATIANA LA FEMME RUSSE
être audacieuse. La femme russe suit hardiment la voie qui est
celle de sa foi, et elle l’a prouvé. Mais elle est « l’épouse d’un
autre, et elle lui reste fidèle ». Et à qui donc, à qui est-elle
fidèle ? À quels devoirs ? Est-ce donc à ce vieux général
qu’elle ne peut pourtant pas aimer puisqu’elle aime Onéguine,
et qu’elle n’a épousé que parce que sa mère «l’en suppliait et
l’en conjurait en pleurant », alors qu’il n’y avait dans son âme
offensée et blessée que désespoir, nulle espérance et nulle
lumière ? Oui, elle est fidèle à ce général, son mari, homme
d’honneur qui l’aime, qui la respecte et qui est fier d’elle. Sa
mère a bien pu la supplier, c’est elle, et personne d’autre
qu’elle, qui a donné son consentement, c’est elle et elle-même
qui lui a juré d’être sa loyale épouse. Qu’importe qu’elle l’ait
épousé par désespoir, il est maintenant son époux, et sa trahison le couvrirait de honte et d’opprobre et le tuerait.
Or, peut-on fonder son bonheur sur le malheur d’autrui ?
[...] Que peut être un bonheur fondé sur le malheur d’un
autre ? Imaginez, s’il vous plaît, que vous entrepreniez d’édifier les destinées humaines en vous donnant pour but de
rendre les hommes heureux, de leur donner finalement la paix
et la tranquillité ; et imaginez en même temps qu’il faille pour
cela, nécessairement et inéluctablement, mettre au supplice
ne serait-ce qu’un seul être humain, et plus encore, qu’il ne
soit même pas tellement digne d’intérêt, que ce soit même un
être ridicule aux yeux de tel ou tel, non pas quelque
Shakespeare, mais tout simplement un honnête vieillard, le
mari d’une femme jeune en l’amour de laquelle il croit aveuglément sans rien connaître de son cœur, et qui l’aime, la respecte, est fier d’elle, heureux par elle et sans méfiance. Et
qu’il suffise de le couvrir de honte, de le déshonorer et de le
faire souffrir pour pouvoir bâtir votre édifice sur les larmes de
ce vieillard déshonoré ! Consentiriez-vous à être l’architecte
d’un édifice bâti sur de telles fondations ? Voilà la question.
[...]
173
FÉDOR M. DOSTOÏEVSKI
Dites, Tatiana pouvait-elle prendre une autre décision, elle
dont l’âme est si élevée et dont le cœur a tant souffert. Non, la
décision de sa pure âme russe est celle-ci : « Qu’importe,
qu’importe que je sois seule privée de bonheur, qu’importe
que mon malheur soit infiniment plus grand que celui de ce
vieillard, qu’importe enfin que jamais personne, ni ce vieillard
non plus, ne connaisse mon sacrifice et ne le mesure, mais je
ne veux pas être heureuse en faisant le malheur d’un autre ! »
Il y a là une tragédie et elle se consomme, il y a là une barrière qui ne saurait être franchie, il est trop tard et Tatiana a
éconduit Onéguine.
Extrait d’un discours du 8 juin 1880 à la séance solennelle
de la Société des Amis de la littérature russe
Publié dans Journal d’un écrivain, 1880
Traduction de Gustave Aucouturier
Bibliothèque de la Pléiade, © Gallimard
Eugène Onéguine est d’une poésie infinie
CORRESPONDANCE de TCHAÏKOVSKI
Tchaïkovski à son frère Modest
18 mai 1877
La semaine dernière, j’étais chez Lavroskaïa. La conversation porta sur les sujets d’opéra. Son imbécile de mari disait
les pires inepties et proposait les sujets les plus invraisemblables. Lavroskaïa ne disait rien, se contentant de sourire
avec indulgence. Soudain elle dit « Et si vous preniez Eugène
Onéguine ? » L’idée me parut invraisemblable et je ne répondis rien. Puis, étant aller dîner tout seul dans une auberge, je
repensai à Onéguine et, en y réfléchissant, je commençai à
trouver l’idée de Lavroskaïa acceptable. Elle commença
même à m’enthousiasmer et, vers la fin du repas, ma décision
était prise. Je courus chercher le livre de Pouchkine. Je le
trouvai non sans mal, rentrai à la maison, le relus avec émerveillement, et passai une nuit sans sommeil, dont le résultat
fut un charmant scénario sur un texte de Pouchkine. Le lendemain, j’allai chez Chilovski, qui est en train d’adapter mon
scénario à toute allure. [...]
175
PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI
Tu auras du mal à croire à quel point je suis enthousiasmé par
ce sujet. Je suis tellement heureux de me débarrasser de toutes
ces princesses éthiopiennes, de ces pharaons, de ces empoisonnements, de toute cette emphase. Eugène Onéguine est d’une
poésie infinie. Je reste cependant lucide, je sais qu’il y aura peu
d’effets scéniques et peu d’action dans cet opéra. Mais la poésie
de l’ensemble, l’aspect humain et la simplicité du sujet, servis
par un texte génial, compensent largement ces défauts.
Tchaïkovski à son frère Modest
Glebovo, le 9 juin 1877
Peu importe que mon opéra soit peu scénique et manque
d’action. Je suis amoureux de l’image de Tatiana, je suis émerveillé par les vers de Pouchkine. Il est vrai que l’on ne peut
imaginer conditions plus favorables à la composition que celles
dont je jouis ici. J’ai à ma disposition une maison entière, parfaitement meublée, et lorsque je travaille, je ne vois personne,
excepté Aliocha. [...] J’ai déjà écrit le deuxième tableau du
premier acte (Tatiana avec la nourrice) et j’en suis fort satisfait.
L’essentiel du premier tableau est prêt également.
Tchaïkovski à Karl Albrecht,
inspecteur de la musique des théâtres impériaux
15 décembre 1877
Voilà ce qu’il me faut pour Onéguine :
1) des chanteurs de moyenne force mais bien préparés et sûrs d’eux-mêmes ;
2) des chanteurs qui sachent jouer tout simplement
tout en jouant bien ;
3) il me faut une mise en scène sans luxe, mais qui
corresponde rigoureusement à l’époque à laquelle se passe
l’action (c’est-à-dire les années 1820) ;
4) les chœurs ne doivent pas être un troupeau de brebis comme sur la scène impériale, mais des humains qui prennent part à l’action de l’opéra ;
176
EUGÈNE ONÉGUINE EST D’UNE POÉSIE INFINIE
5) le chef d’orchestre ne doit pas être une machine, ni
même un musicien à la Napravnik dont le seul souci est qu’on
joue bien do et non do dièse. [...]
Pour rien au monde je ne donnerai Onéguine à la direction
de Saint-Pétersbourg ni à celle de Moscou. Et s’il se fait qu’on
ne peut pas le jouer au Conservatoire, alors qu’on ne le joue
nulle part.
Tchaïkovski à sa mécène Madame von Meck
28 décembre 1877
Je pense à mon opéra. Où trouverai-je cette Tatiana, que
Pouchkine avait imaginée et que j’ai essayé d’illustrer musicalement ? Où prendrai-je l’artiste qui se rapprochera un tant
soit peu de l’Onéguine idéal, de ce froid dandy imprégné jusqu’à la moelle des os des bonnes manières mondaines ? Où
prendra-t-on Lenski, ce jeune homme de dix-huit ans à
l’abondante chevelure et aux réactions impulsives et originales d’un jeune poète à la Schiller ? Le ravissant tableau de
Pouchkine sera terriblement avili lorsqu’on l’aura transporté
sur la scène et livré à la routine, aux traditions absurdes et aux
vétérans qui n’hésitent pas à jouer les jeunes filles de seize
ans et les adolescents imberbes.
Tchaïkovski à Nikolaï Rubinstein
11 février 1878
J’ai totalement fini l’opéra. Maintenant, je recopie simplement le livret et, dès que tout est prêt, je l’envoie à Moscou.
Extraits recueillis dans Tchaïkovski au miroir de ses écrits
d’André Lischke, © Fayard, 1998
ANDRÉ LISCHKE
UN SUCCÈS EN DEMI-TEINTES
La création d’Eugène Onéguine eut lieu le 17 mars 1879
au Théâtre Maly de Moscou, devant une salle bondée, dans
l’interprétation des élèves du Conservatoire, sous la direction
de Nikolaï Rubinstein. L’effectif orchestral et choral était relativement modeste : 32 musiciens et 48 choristes – 28 femmes
et 20 hommes.
Tout ne se passa pas sans quelques accrocs – les étudiants
eurent beau faire preuve de plus de fraîcheur que les vieux
routiers des Théâtres impériaux, ils déployèrent aussi moins
de métier. Dans une lettre à Madame von Meck du 19 mars,
Tchaïkovski relata les moments essentiels et les angoisses de
la première représentation, qui s’était plutôt moins bien passée que les répétitions. Le passage dangereux du premier acte,
le quatuor vocal, avait été raté à cause d’une défaillance de
l’interprète du rôle d’Olga. Onéguine et Lenski ne plurent
guère. Les applaudissements allèrent surtout à Klimentova,
interprète de Tatiana, aux couplets de Monsieur Triquet, à
Grémine et aux chœurs du premier acte. Mais au total, on put
cependant parler d’un succès réel.
178
UN SUCCÈS EN DEMI-TEINTES
Les comptes rendus furent divers et plutôt positifs,
quoique la plupart s’accordant sur le peu d’effets scéniques et
surtout sur la qualité douteuse du livret et l’inadaptation à la
musique de certains passages du texte. Laroche, dans les
Moskovskie Vedomosti[Nouvelles de Moscou] du 22 mars, fit
observer : « On sent assez nettement, dans l’opéra, que le
texte poétique a été malmené et il faut tout le talent, toute
l’inspiration de P.I. Tchaïkovski pour nous le faire accepter, ou
plutôt oublier. » Son article s’avéra pourtant l’un des plus élogieux et des plus justes que ce musicographe versatile écrivit
sur son ami : « Dans peu de ses œuvres antérieures Tchaïkovski aura été autant lui-même que dans Eugène Onéguine.
[...] La générosité mélodique jaillit de chaque page de la partition : les magnifiques cantilènes (surtout dans les parties
vocales de Tatiana, de Lenski et de Grémine) nous font oublier
que nous vivons à la fin du XIXe siècle, époque où l’invention
mélodique, selon un verdict général, est totalement tarie. [...]
Une douceur veloutée, une sorte de lumière vespérale élégiaque imprègne toute l’œuvre. »
Allant dans le même sens, le critique Levenson dans les
Rousskie Vedomosti[Nouvelles russes] déclara : « L’œuvre de
M. Tchaïkovski, malgré son absence de vie dramatique, deviendra certainement une des pièces les plus populaires de
notre répertoire d’opéra, grâce à un sujet national et à une
musique ravissante. »
Extrait de Piotr Illitch Tchaïkovski
© Fayard, 1993
CARNET de NOTES
Piotr Illitch Tchaïkovski
Repères biographiques
& Notice bibliographique
—
Alexandre Pouchkine
Repères biographiques
& Notice bibliographique
—
Eugène Onéguine
Orientations discographiques
PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES
HISTOIRE
TCHAÏKOVSKI
1840.
Le règne du tsar Nicolas Ier
dure depuis 15 ans.
1840.
Naissance le 7 mai à Votkinsk.
Son père est gentilhomme,
ses ancêtres avaient combattu
à Poltava. Son grand-père
maternel est le marquis
d’Assier émigré en Russie
pendant la Révolution française.
1848.
Révolutions en Europe.
Fondation de la II e république
en France.
1849.
Kossuth proclame
l’indépendance de la Hongrie.
1852.
Fondation du Second Empire.
1854.
Guerre de Crimée : France et
Angleterre contre la Russie.
1855.
Avènement du tsar Alexandre II.
1858.
Les serfs appartenant à la
couronne russe sont affranchis.
182
1845.
Sa mère lui donne ses
premières leçons de piano.
1850-1859.
Études de droit à
Saint-Petersbourg.
1852.
Il assiste à une représentation
de Don Giovanni qui détermine
sa vocation musicale.
TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS
MUSIQUE
LETTRES, ARTS
& SCIENCES
1840.
Schumann, Dichterliebe.
1840.
Naissance de Zola, de Rodin,
de Monet.
Poe, Histoires extraordinaires.
1841.
Naissance de Chabrier
et de Dvorák.
1842.
Glinka, Ruslan et Ludmilla.
1842.
Publication des Âmes mortes
de Gogol.
1844.
Naissance de Rimski-Korsakov.
1848.
Mort de Chateaubriand.
1849.
Mort de Chopin.
1852.
Mort de Gogol.
Tourgueniev, Récits d’un chasseur.
1854.
Naissance de Leos Janácek.
1857.
Naissance du Groupe des Cinq :
Balakirev, Borodine, Cui,
Moussorgski, Rimski-Korsakov.
Mort de Glinka.
1859.
Ostrovski, L’Orage.
183
PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES
HISTOIRE
1861.
Abolition totale du servage
en Russie.
TCHAÏKOVSKI
1862.
Entre au Conservatoire de
Saint-Pétersbourg.
1863.
Insurrection polonaise écrasée
par la Russie l’année suivante.
1867.
Publication en Allemagne
du premier livre du Capital
de Karl Marx.
1868.
Naissance du futur Nicolas II,
dernier tsar de Russie.
1870.
Guerre franco-prussienne.
Naissance de Vladimir Illitch
Oulianov (Lénine).
184
1868.
Création de la Première
Symphonie “Rêves d’hiver”
à Moscou sous la direction
de Nikolaï Rubinstein.
1869.
Création au Bolchoï de son
premier opéra, Le Voiévode.
Rencontre Franz Liszt.
TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS
MUSIQUE
LETTRES, ARTS
& SCIENCES
1860.
Naissance de Mahler.
1860.
Naissance de Tchekhov.
1862.
Dostoïevski, Souvenirs
de la maison des morts.
1863.
Berlioz, Les Troyens.
1864.
Naissance de Richard Strauss.
1863.
Naissance du metteur en scène
Konstantin Stanislavski.
1865-1869.
Tolstoï, Guerre et Paix.
1866.
Naissance de Vassily Kandinsky.
1867.
Rimski-Korsakov, Sadko.
1867.
Mort de Baudelaire.
1868.
Naissance de Maxime Gorki.
Dostoïevski, L’Idiot.
1869.
Mort de Dargomijski
et de Berlioz.
185
PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES
HISTOIRE
TCHAÏKOVSKI
1871.
Défaite de la France.
La Commune de Paris est
écrasée dans le sang.
4 septembre : proclamation
de la IIIe République.
1875.
Création du Premier Concerto
pour piano et orchestre
à Boston, sous la direction
de Hans von Bülow.
1876.
Séjourne à Paris où il retrouve
son ami Saint-Saëns et
rencontre Massenet.
Assiste au premier festival
de Bayreuth.
Premier contact épistolaire
avec Madame von Meck
qui deviendra son mécène.
1877.
Guerre des Balkans.
186
1877.
Mariage avec A. Milioukova.
Échec conjugual et dépression
du compositeur.
TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS
MUSIQUE
LETTRES, ARTS
& SCIENCES
1871.
Verdi, Aïda.
1872.
Naissance d’Alexandre Scriabine.
1872.
Monet, Impression, soleil levant.
Nietzsche, La Naissance
de la tragédie.
1873.
Naissance de Serge Rachmaninov
et de Fédor Chaliapine.
1873.
Rimbaud, Une saison en enfer.
Tolstoï, Anna Karénine.
1874.
Moussorgski, Boris Godounov.
Naissance de Schönberg.
1875.
Bizet, Carmen. Mort de Bizet.
Naissance de Ravel.
Inauguration du Palais-Garnier.
1876.
Premier festival de Bayreuth.
Wagner, La Tétralogie.
1876.
Bell invente le téléphone,
1877.
Edison invente le phonographe.
1878.
Dvorák, Danses slaves.
187
PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES
HISTOIRE
TCHAÏKOVSKI
1879.
Naissance de Iossif
Vissarionovitch Djougachvili
(Josef Staline).
1879.
Création d’Eugène Onéguine
par les élèves du Conservatoire
de Moscou.
1881.
Assassinat du tsar Alexandre II
par l’organisation populiste
“La Volonté du peuple”.
1880.
Création à Moscou du
Capriccio italien.
1881-1882.
Pogroms contre les Juifs
en Russie.
1884.
Création de Mazeppa au Bolchoï.
1889.
Premier emprunt russe lancé
en France.
1890.
Au Mariinski de
Saint-Pétersbourg, création
de La Dame de pique.
1891-1893.
Tournées aux États-Unis, en
Allemagne, en Suisse, en Italie,
en Belgique.
188
TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS
MUSIQUE
LETTRES, ARTS
& SCIENCES
1881.
Mort de Moussorgski.
1881.
Mort de Dostoïevski.
1882.
Naissance d’Igor Stravinski.
1882.
Naissance de James Joyce.
1883.
Naissance de Webern
et de Varèse.
1883.
Pavlov passe sa thèse
de doctorat en médecine.
Mort de Karl Marx.
1885.
Naissance d’Alban Berg.
1885.
Mort de Victor Hugo.
1887.
Mort de Borodine.
1887.
Naissance de Marc Chagall.
Tchekhov, Ivanov.
1889.
Rimski-Korsakov, Schéhérazade.
1890.
Création posthume
du Prince Igor de Borodine.
1890.
Naissance de Boris Pasternak.
1891.
Naissance de Serge Prokofiev.
1891.
Naissance d’Ossip Mandelstam.
189
PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES
HISTOIRE
TCHAÏKOVSKI
1892.
Création de Casse-Noisetteau
Mariinski de Saint-Petersbourg.
1893.
Tchaïkovski dirige lui-même
la création de la Sixième
Symphonie “Pathétique”.
Il meurt du choléra neuf jours
plus tard.
190
TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS
MUSIQUE
LETTRES, ARTS
& SCIENCES
1892.
Naissance de Marina Tsvétaeva.
1893.
Verdi, Falstaff.
1893.
Émile Zola, Le Docteur Pascal,
dernier volet des Rougon-Macquart.
Naissance de Maïakovski.
191
PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
Du compositeur
PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI. Voyage à l’étranger,
Collection Les Inattendus, Le Castor astral, 1993.
Tchaïkovski au miroir de ses écrits, textes choisis,
traduits et présentés par André Lischke, Fayard, 1998.
Sur le compositeur
MICHEL . R. H OFFMAN. Tchaïkovski, Collection Solfèges, Seuil, 1959.
GUY ERISMANN. Tchaïkovski, l’homme et son œuvre,Seghers, 1964.
NINA BERBEROVA. Tchaïkovski, Actes Sud, 1987.
ANDRÉ LISCHKE. Piotr Illitch Tchaïkovski,Fayard, 1993.
Sur Eugène Onéguine
Eugène Onéguine, L’Avant-Scène / Opéra, no 43, 1982.
192
ALEXANDRE POUCHKINE REPÈRES BIOGRAPHIQUES
1799.
Le 26 mai, naissance à Moscou d’Alexandre Sergueiévitch
Pouchkine. Son père est d’une vieille famille de la noblesse.
Sa mère est l’arrière-petite-fille de l’Africain Hannibal,
filleul du tsar et dont Pouchkine fera le héros de son roman
Le Nègre de Pierre le Grand.
1811.
Il entre au lycée de Tsarskoïé Siélo qui prépare les jeunes
des familles nobles au service de l’État.
1814.
Première publication d’un texte de Pouchkine, À un ami
poète, dans la revue Le Messager de l’Europe.
1817.
Entre au service du ministère des Affaires étrangères.
Commence son poème Rouslan et Ludmila
1820.
Il est envoyé en exil administratif en Ukraine à la suite de la
publication de poèmes jugés séditieux (Liberté, Le Village).
1822.
Publication du Prisonnier du Caucase.
1824.
Révocation de Pouchkine du service de l’État et exil
près de Pskov.
1825.
Publication du premier chapitre d’Eugène Onéguine.
Pouchkine termine Boris Godounov.
1826.
Après l’avènement de Nicolas 1 er, Pouchkine est autorisé à
vivre à Moscou, sous étroite surveillance. Le tsar, qui le
reçoit, s’est institué son censeur personnel.
1827.
Est autorisé à vivre à Saint-Pétersbourg.
193
ALEXANDRE POUCHKINE REPÈRES BIOGRAPHIQUES
1828.
Écrit Poltava.
1829.
Voyage dans le Caucase et en Arménie.
1830.
Après plusieurs interdictions et quelques aménagements,
publication de Boris Godounov. (« Le tsar l’a lu avec plaisir »,
fait savoir Benkendorf, chef du corps des gendarmes
de Moscou.)
1831.
Mariage avec Natalia Gontcharova qui a seize ans.
Réintégration au ministère des Affaires étrangères.
1832.
Naissance de sa fille, Marie.
1833.
Publication de l’intégralité d’ Eugène Onéguine.
Élu membre de l’Académie russe. Naissance de son fils Sacha.
1834.
Publication de La Dame de pique dans la revue
Le Cabinet de lecture.
1835.
Publication du Conte du Coq d’or. Naissance de son fils Grégoire.
1836.
Naissance de sa fille Nathalie.
Publication de La Fille du Capitaine.
1837.
Provoque en duel Georges d’Anthès qui faisait à sa femme
une cour insistante depuis plusieurs mois :
Pouchkine est blessé le 27 janvier. Il meurt le 29.
(D’Anthès, émigré français qui servait dans l’armée russe est destitué
et expulsé. Sous le Second Empire, il sera sénateur et président
du conseil général du Haut-Rhin.)
194
ALEXANDRE POUCHKINE NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
Sur l’écrivain
JEAN-LOUIS BACKÈS. Pouchkine par lui-même, Le Seuil, 1966.
Pouchkine, Hachette, 2000.
ABRAM TERTZ [alias ANDRÉ SINIAVSKI]. Promenades avec Pouchkine,
traduit du russe par Louis Martinez, Collection Pierres vives,
Le Seuil, 1976.
MARINA TSVÉTAEVA. Mon Pouchkine suivi de Pouchkine & Pougatchov,
traduits du russe par André Markowicz, Clémence Hiver
éditeur, 1987, 2010.
HENRI TROYAT. Pouchkine, biographie, Perrin, 1999.
Revue Europe no 843 : Pouchkine, 1999.
Œuvres de Pouchkine
Eugène Onéguine :
- édition bilingue, traduction de Marc Semenoff et Jacques
Bour, Aubier, 1979.
- traduction d’André Markowicz, Actes-Sud, 2005.
Boris Godounov / Écrits autobiographiques / Proses diverses / Récits
en prose (dont La Dame de pique, Le Nègre de Pierre le Grand,
La Fille du Capitaine...), Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard, 1973.
Dans le collection Classiques slaves des éditions L’Âge d’homme :
Œuvres poétiques(2 volumes) / Œuvres en prose, drames,
romans (1 volume) / Le Talisman / Eugène Onéguine.
Correspondance en français, Ombres, 2001.
195
EUGÈNE ONÉGUINE ORIENTATIONS DISCOGRAPHIQUES
BORIS KHAÏKIN
Orchestre & Chœurs du Théâtre du Bolchoï de Moscou
Evgeni Belov (Onéguine), Galina Vichnievskaïa (Tatiana),
Sergueï Lemeshev (Lenski), Larissa Avdeyeva (Olga),
Ivan Petrov (Grémine), Valentina Petrova (Larina),
Evgenia Verbitsakaïa (Filipievna), Andrei Sokolov (Triquet)
Mélodyia – 1955
MSTISLAV ROSTROPOVITCH
Orchestre & Chœurs du Théâtre du Bolchoï de Moscou
Yuri Mazurok (Onéguine), Galina Vichnievskaïa (Tatiana),
Vladimir Atlantov (Lenski), Tamara Siniavskaïa (Olga),
Alexander Ognitsev (Grémine), Tatiana Tugarinova (Larina),
Larissa Avdeyeva (Filipievna), Sergueï Vlassov (Triquet)
EMI – Melodyia – 1970
JAMES LEVINE
Orchestre de la Staatskapelle de Dresde
Chœurs de la Radio de Leipzig
Thomas Allen (Onéguine), Mirella Freni (Tatiana), Neil Shicoff
(Lenski), Anne Sofie von Otter (Olga), Paata Burchuladze
(Grémine), Rosemarie Lang (Larina), Ruthild Engert
(Filipievna), Michel Sénéchal (Triquet)
DG – 1989
SEIJI OZAWA
Orchestre philharmonique de Vienne
Chœurs de l’Opéra de Vienne
Wolgang Brendel (Onéguine), Mirella Freni (Tatiana),
Peter Dvorsky (Lenski), Rohangiz Yachmi (Olga),
Nicolaï Ghiaurov (Grémine), Gertrud Jahn (Larina),
Margarita Lilowa (Filipievna), Heinz Zednik (Triquet)
Enregistrement public réalisé en 1988
ORFEO – 2004
196
NOTES
COLLECTION OPÉRA de LYON
BÉLA BARTÓK
Le Château de Barbe-Bleue, 2007
LUDWIG VAN BEETHOVEN
Fidelio, 2003
ALBAN BERG
Wozzeck,2003
Lulu, 2009
GEORGES BIZET
BENJAMIN BRITTEN
Djamileh, 2007
Curlew River, 2008
Le Songe d’une nuit d’été, 2008
Mort à Venise, 2009
EMMANUEL CHABRIER
DIMITRI CHOSTAKOVITCH
CLAUDE DEBUSSY
PASCAL DUSAPIN
Le Roi malgré lui, 2005, 2009
Moscou, quartier des cerises,2004, 2009
Pelléas et Mélisande, 2004
Faustus, The last night, 2006
PETER EÖTVÖS
Lady Sarashina, 2008
GEORGE GERSHWIN
Porgy and Bess, 2008
PHILIP GLASS
GEORG-FRIEDRICH HAENDEL
HANS WERNER HENZE
Dans la colonie pénitentiaire, 2008
Alcina, 2006
L’Upupa & le triomphe de l’amour filial, 2005
TOSHIO HOSOKAWA
Hanjo, 2008
LEOS JANÁCEK
Jenufa, 2005
Kátia Kabanová, 2005
L’Affaire Makropoulos, 2005
FRANZ LEHÁR
MICHAËL LEVINAS
FRANK MARTIN
CLAUDIO MONTEVERDI
La Veuve joyeuse, 2006
Les Nègres, 2004
Le Vin herbé,2008
L’Orfeo, 2004
Le Couronnement de Poppée,2005
COLLECTION OPÉRA de LYON
WOLFGANG AMADEUS MOZART
La Flûte enchantée, 2004
Cosi fan tutte, 2006
Les Noces de Figaro, 2007
La Clémence de Titus, 2008
Don Giovanni, 2009
JACQUES OFFENBACH
Les Contes d’Hoffmann, 2005
La Vie parisienne, 2007
FRANCIS P OULENC
La Voix humaine, 2007
GIACOMO PUCCINI
Il Tabarro, 2007
SERGE PROKOFIEV
Le Joueur, 2009
Manon Lescaut, 2009
JEAN-PHILIPPE RAMEAU
KAIJA SAARIAHO
SALVATORE SCIARRINO
JOHANN S TRAUSS
R ICHARD STRAUSS
IGOR STRAVINSKY
TAN DUN
PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI
Les Boréades, 2004
Émilie, 2010
Luci mie traditrici, 2007
La Chauve-Souris, 2008
Ariane à Naxos, 2005
The Rake’s Progress, 2007
Tea, 2004
Mazeppa, 2006, 2010
Eugène Onéguine, 2007, 2010
La Dame de pique, 2008, 2010
MICHEL VAN DER AA
G IUSEPPE VERDI
After Life, 2010
Falstaff, 2004
La Traviata, 2009
R ICHARD WAGNER
Lohengrin, 2006
Siegfried, 2007
KURT WEILL
Le Vol de Lindbergh,
Les Sept Péchés capitaux,2006
ALEXANDER VON ZEMLINSKY
Une tragédie florentine, 2007
Chargé d’édition
Jean Spenlehauer
Remerciements
Éditions Clémence Hiver
Conception & Réalisation
Brigitte Rax / Clémence Hiver
Impression
Imprimerie Lussaud
Opéra national de Lyon
Saison 2009/10
Directeur général
Serge Dorny
OPÉRA NATIONAL DE LYON
Place de la Comédie
69001 Lyon
Renseignements & Réservation
0.826.305.325 (0,15 e/mn)
www.opera-lyon.com
L’Opéra national de Lyon est conventionné par le ministère de la Culture et
de la Communication, la Ville de Lyon, le conseil régional Rhône-Alpes
et le conseil général du Rhône.
ISBN 978-2-84956-050-1
Dépôt légal : avril 2010
ACHEVÉ d’IMPRIMER
au printemps 2010 pour les représentations de
d’EUGÈNE ONÉGUINE à l’Opéra national de Lyon
dans une mise en scène de PETER STEIN
& sous la direction musicale de
KIRILL PETRENKO