Mêlée sociale à Massy - Jean

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Mêlée sociale à Massy - Jean
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Samedi 24 janvier 2015
| SPORT & FORME |
AV I S AU X A M AT E U R S
Mêlée sociale à Massy
prix « le monde » ­ fais­nous rêver
Avec 700 licenciés et une trentaine de nationalités, le club de rugby de la banlieue parisienne est une belle machine à intégrer
Ce projet, dont nous republions le reportage
paru dans notre édition du 25 octobre 2014, a
été plébiscité par les internautes du Monde.fr.
Il recevra le prix « Le Monde » ­ Fais­nous rêver
de l’éducation par le sport, le 28 janvier à l’As­
semblée nationale.
L
es professionnels cathodiques
de la déclinologie, qui instru­
mentalisent le sport au service
de leur discours, seraient bien
inspirés d’aller crotter leurs Ri­
chelieu un mercredi après­midi
au Parc des sports de Massy. Là, ils constate­
raient que le modèle français d’intégration,
dont ils ne cessent de déplorer l’extinction,
fonctionne encore. Par le miracle d’un
sport, le rugby, et de ses valeurs, souvent
donneuses de leçons à l’incivique football,
mais dont la pérennité est réelle malgré
deux décennies de professionnalisation.
Le cas du Rugby Club Massy Essonne
(RCME), fondé en 1971, prouve d’ailleurs
que celle­ci ne nuit pas nécessairement à
un projet social. Au Parc des sports, vaste
complexe s’étendant de part et d’autre de
la nationale et bruissant des avions au dé­
collage d’Orly, on parvient à faire cohabiter
le sport d’en haut et celui d’en bas. D’un
côté, une équipe qui vient d’accéder, pour
la deuxième fois de son histoire, à la Pro
D2, l’antichambre de l’élite, et se mesure à
Perpignan, Agen ou Biarritz. De l’autre, une
école de rugby ouverte à tous et œuvrant à
la cohésion sociale.
C’est qu’avec près de 700 licenciés, Massi­
cois, Essonniens et Franciliens, le RCME est
un club de masse, le deuxième en France
après Montpellier, ce qui ne laisse pas de
surprendre pour cette commune de
45 000 habitants. Le deuxième pilier de
« On les fait aller
de l’avant dans la vie.
Et le rugby apprend ça :
plaquer, récupérer
la balle et avancer »
philippe meyrignac
bénévole du RCME
l’Ovalie dans ce département, avec le Cen­
tre national du rugby à Marcoussis – quar­
tier général du XV de France –, et en atten­
dant, pour 2018, le Grand Stade de Ris­
Orangis. Une famille nombreuse dans sa
tenue bleu et noire, dont les plus jeunes
éléments se réunissent le mercredi au
stade Jules­Ladoumègue, le temple non
sanctuarisé des pros. L’un d’eux, l’ailier sé­
négalais Aubin Mendes est d’ailleurs pré­
sent pour aider à l’entraînement des pous­
sins, mercredi 15 octobre.
Les bonnes volontés ne sont pas de refus.
Car il faut encadrer 280 enfants, âgés de 6 à
14 ans, répartis sur cinq terrains. « Nous
avons pour principe de ne refuser personne
car nous avons la capacité d’accueillir tout
le monde », annonce Bruno Ghiringhelli,
30 ans, un ancien de l’équipe première,
coordinateur de l’école de rugby et respon­
sable du pôle de détection. Cette volonté
d’insertion non limitative est inscrite dans
le projet du club. « Le Parc des sports est un
espace partagé avec une mixité d’usages et
d’usagers, rappelle Fabrice Trouslot, du ser­
vice des sports de la mairie. On utilise ici
des fonds publics, nous avons donc les obli­
gations des administrations publiques. »
Pour promouvoir l’égalité des chances,
une action est menée en milieu scolaire
pour élargir le recrutement. « Tous les CE2,
CM1 et CM2 de Massy font du rugby pen­
dant six semaines, précise Bruno Ghirin­
ghelli. On peut découvrir de jeunes talents
qui nous auraient échappés. J’appelle et je
rencontre des parents. Comme ils n’ont pas
la culture rugby, il faut insister sur le côté
éducatif. Le rugby a un peu la même image
que le judo, un sport de contact avec le sol et
avec l’adversaire. Pour attirer les plus
grands, la Pro D2 nous aide. » Mais aussi les
performances des moins de 12 ans du
Près de 280 enfants âgés
de 6 à 14 ans, répartis
sur cinq terrains,
s’entraînent sur
la pelouse du stade
Jules­Ladoumègue,
le 15 octobre 2014.
JEAN­FRANÇOIS JOLY POUR « LE MONDE »
RCME, qui viennent de remporter, toutes
catégories confondues, le tournoi de Joué­
lès­Tours devant Clermont, Brive ou La Ro­
chelle. La prospection se fait encore in situ
– et en bonne entente – chez le voisin du
Football Club de Massy : « Eux ont déjà trop
de licenciés et doivent refuser des gamins.
Alors on repère le rondouillard, celui qui
joue goal en équipe 3 ou 4. On le débauche et
il devient pilier titulaire. »
La symbiose entre profils, gabarits et mi­
lieux se réalise sur la pelouse. Dans la mê­
lée, on peut trouver les habitants de la cité
voisine, des enfants de manutentionnaires
et de transporteurs, comme de cadres sup’
et même de rugbymen. Un jeune et promet­
teur Malien, repéré très tôt dans une école
primaire, travaille ses enchaînements avec
les fistons des internationaux géorgiens Da­
vit Ashvetia et Shalva Sutiashvili, ou celui
du Tongien Poaki Vakaloa. « On les fait aller
de l’avant dans la vie. Et le rugby apprend ça :
plaquer, récupérer la balle et avancer », s’en­
thousiasme Philippe Meyrignac, un des
quarante bénévoles de l’école.
En 2012, un sondage avait fait apparaître
pas moins de 27 nationalités (et double­na­
tionalités) différentes, entre Africains de
l’Ouest, Maghrébins, Comoriens, Angolais,
Russes… Un cauchemar communautaire ?
Pas vraiment. Les élèves, qui parlent tous
français, n’ont que faire des origines de
chacun. Il reste toutefois un domaine où la
diversification pèche : la mixité. Seules
trois filles sont présentes.
Ce droit à pratiquer le rugby dans les
meilleures conditions s’accompagne natu­
rellement de devoirs consignés dans une
charte. Tout comportement ou geste dé­
placé est sanctionné d’un renvoi, provi­
soire ou définitif. Et si on est venu pour
prendre du plaisir, on n’est pas là pour ri­
goler. Un apprenti centre se fait rabrouer
par son entraîneur : « Richard, t’en as pas
marre de te faire arrêter ! Tu te fais plaquer
en match par des Minimoys ! Ce n’est pas
normal pour un grand comme toi. »
« On éduque aussi les parents à soutenir
toute l’équipe et pas seulement leur enfant »,
ajoute Philippe Meyrignac. Sans les bercer
d’illusions. Si l’accès à l’école est démocrati­
que, peu rejoindront le Centre de forma­
tion d’où sont issus Mathieu Bastareaud
(Toulon), Yacouba Camara (Toulouse) ou le
numéro 9 du RCME, Grégory Coudol.
« Pour obtenir un pro, il faut 80 gamins de
moins de 12 ans », rappelle l’éducateur. 
bruno lesprit
Réinventer la fraternité
| tribune |
A
la faveur de la gigantesque mo­
bilisation qui a suivi les attentats
qui ont frappé notre pays, la fra­
ternité est réapparue sur le de­
vant de la scène. Pour que cette manifesta­
tion ne soit pas qu’une « apparition », elle
doit aujourd’hui trouver de nouveaux ter­
rains d’expressions.
La fraternité, c’est celle que nous vivons
depuis dix­huit ans avec l’Agence pour
l’éducation par le sport (Apels) auprès des
clubs, associations, établissements scolai­
res et collectivités que nous accompagnons
et soutenons dans leur démarche de « vi­
vre ensemble ».
Ce message a inspiré Jacques et Nacer, les
tauliers du club de foot de la Goutte­d’Or,
dans le 18e arrondissement, à Paris. Jacques
et Nacer pratiquent la fraternité au quoti­
dien pour soutenir une jeunesse parfois
découragée, pour résoudre des difficultés
qui surviennent à l’école ou dans leur quar­
tier. Ces éducateurs sont nos « grands hom­
mes ». Des Jacques et des Nacer, nous en
avons croisé beaucoup à Calais, Vaulx­en­
Velin, Sevran, Sarcelles ou Epinal… Ce sont
eux qui « tiennent » nombre de quartiers
qui se trouvent dans un désert de recon­
naissance.
La fraternité, c’est, au­delà des discours et
des visites officiels, reconnaître le travail
de ces éducateurs de l’ombre que nous ren­
controns partout sur le territoire à travers
notre dispositif Fais­nous rêver et que
Le Monde met à l’honneur dans son sup­
plément « Sport & forme » chaque semaine
depuis plus de trois ans.
Valeur cardinale
La fraternité est avant tout un acte de
solidarité et de bienveillance envers l’autre,
« l’autre comme soi ». Etre à l’écoute de
l’autre quels que soient son origine, ses dif­
ficultés. Il convient de faire de cette dimen­
sion la priorité absolue dans chaque lieu de
pratique sportive.
La convivialité est la première des valeurs
reconnues dans la pratique de l’éducation
par le sport. Elle doit devenir une valeur
cardinale dans chaque association ; tout
comme l’éthique doit l’être pour chaque
club, des dirigeants aux licenciés.
Mais être fraternel, c’est aussi être réa­
liste. Aussi, nous savons le chemin qui
reste à parcourir, et nous savons que les
obstacles sont nombreux. La compétition
comme seul et unique objectif peut nuire
au développement et à l’épanouissement
des jeunes, elle doit s’inscrire dans un pro­
jet plus large de partage, de bien­être physi­
que et moral. Par ailleurs, d’autres formes
de pratiques connaissent un succès impor­
tant auprès des jeunes (danse urbaine, par­
cours, cirque…), mettant en avant l’esthé­
tisme, le beau geste. Ces projets font aussi
appel à la solidarité du groupe et dévelop­
pent des valeurs fraternelles considérables.
Ils méritent une meilleure prise en compte.
Le « sport business » transmet trop sou­
vent des valeurs opposées à celles portées
par l’activité sportive telle que nous la dé­
fendons. Un bon projet n’est pas seulement
un projet qui communique, mais avant
tout un projet dont l’évaluation sérieuse
prend en compte des critères d’épanouisse­
ment et d’insertion sociale.
Pour les femmes et les jeunes filles, l’of­
fre sportive est trop limitée dans la plu­
part des banlieues. Trop peu d’éducatrices
sportives sont aujourd’hui formées. Un
effort considérable doit être fait à la fois
pour l’accès à la pratique et la diversité
des disciplines.
Le sport doit muter dans nos villes et
donner la possibilité à tout type d’organisa­
tion de proposer des activités sportives,
qu’elles soient compétitives ou non, en
fonction de ces nouveaux critères qui
visent à améliorer le vivre­ensemble.
Dans la foulée de la remise des prix
nationaux Fais­nous rêver, le 28 janvier à
l’Assemblée nationale, l’Apels lancera un
plan national d’insertion des jeunes par le
sport sur la base des meilleurs projets
français. Pour semer de nouvelles graines
de fraternité. 
¶
Jean­Philippe Acensi
est fondateur
de l’Agence pour
l’éducation par
le sport (Apels).
Christian Philip
est son président.

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