Domaine public - Le Conseil d`État
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Domaine public Section de l'intérieur - Avis n° 371.615 - 26 juillet 2005 Consistance, délimitation et statut juridique du terrain d’assiette du Grand-Palais à Paris Incidence sur le régime de transfert de propriété. Le Conseil d’Etat (section de l’intérieur), saisi par le ministre de la culture et de la communication des questions suivantes : 1. Quelle est actuellement la personne publique propriétaire du terrain d’assiette du Grand Palais à Paris ? 2. Dans l’hypothèse où la ville de Paris serait propriétaire de ce terrain, selon quelles modalités juridiques sa propriété pourrait-elle être transférée à l’Etat ? 3. Un tel transfert de propriété devrait-il obligatoirement donner lieu au versement d’une indemnité au profit de la ville de Paris ? Vu la Constitution ; Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ; Vu la loi des 20-27 août 1828, portant concession à la Ville de Paris de la place Louis XVI et de la promenade dite des Champs-Elysées ; Vu le décret du 27 mars-9 avril 1852, relatif à la construction, dans le grand carré des Champs-Elysées, d’un édifice destiné à recevoir les expositions nationales, et pouvant servir aux cérémonies publiques et aux fêtes civiles et militaires ; Vu la délibération du 23 juillet 1852 de la commission municipale de la Ville de Paris relative à la location à l’Etat du Grand Carré des fêtes aux Champs-Elysées, le décret impérial du 30 août 1852 relatif à la concession du Palais de l’Industrie dans le grand carré des ChampsElysées approuvant ladite délibération et la loi du 6 juin 1857 relative au rachat, par l’Etat, du Palais de l’Industrie ; Vu la délibération du conseil municipal de la Ville de Paris en date du 18 avril 1890 autorisant le renouvellement de la location faite à l’Etat du terrain sur lequel est construit le Palais de l’Industrie, la convention entre l’Etat et la ville de Paris en date du 16 juillet 1891 et la loi du 24 décembre 1891 approuvant ladite convention ; Vu la convention entre l’Etat et la ville de Paris en date du 18 novembre 1895 et la loi du 16 juin 1896, relative à l’Exposition universelle de 1900, approuvant ladite convention ; Est d’avis, sous réserve de l’appréciation des juridictions compétentes, de répondre dans le sens des observations qui suivent : Sur la première question : Construit par l’Etat en vue de l’Exposition universelle de 1900, le Grand Palais a été édifié en remplacement de l’ancien Palais de l’Industrie sur un terrain que l’Etat louait à la ville de Paris en exécution d’une première convention délibérée par la commission municipale de Paris le 23 juillet 1852, approuvée par le décret impérial du 30 août 1852, renouvelée le 16 juillet 1891 par une deuxième convention elle-même approuvée par la loi du 24 décembre 1891, dont les effets ont été reportés du Palais de l’Industrie sur le Grand Palais par une troisième convention en date du 18 novembre 1895, approuvée par la loi du 16 juin 1896. Ce 1 terrain, désigné à l’article 1er du décret du 30 août 1852 comme étant le « grand carré des fêtes aux Champs-Elysées », était alors inclus dans la promenade dite des Champs-Elysées qui, après avoir été une dépendance du domaine de la Couronne, a été incorporée dans le domaine de l’Etat par la loi du 27 novembre 1792, puis « concédée » à la ville de Paris par la loi du 2027 août 1828, toujours en vigueur, qui dispose que : « Sont concédés à la ville de Paris, à titre de propriété, la place Louis XVI et la promenade dite des Champs-Elysées, telles qu’elles sont désignées au plan annexé à la présente loi, y compris les constructions dont la propriété appartient à l’Etat et à l’exception des deux fossés de la place Louis XVI qui bordent le jardin des Tuileries. Ladite concession est faite à la charge de la ville de Paris : 1° de pourvoir aux frais de surveillance et d’entretien des lieux cidessus désignés ; 2° d’y faire, dans un délai de cinq ans, des travaux d’embellissement jusques à concurrence d’une somme de deux millions deux cent trente mille francs au moins ; 3° de conserver leur destination actuelle aux terrains concédés, lesquels ne pourront être aliénés en tout ou en partie. » En premier lieu, il résulte des termes précités, éclairés par les travaux préparatoires dont ils sont issus, que les auteurs de la loi du 20-27 août 1828 ont entendu transférer gratuitement à la ville de Paris la propriété des terrains appartenant jusqu’alors à l’Etat et énumérés au 1°, à charge pour elle de pourvoir aux frais de leur surveillance et de leur entretien et d’y faire des travaux pour la somme et dans le délai fixés au 2°, et sous les conditions, énoncées au 3°, de leur conserver leur destination de promenade publique et de ne pas les aliéner en tout ou partie. Telle est au demeurant l’interprétation donnée à la loi de 1828 par le commissaire du Gouvernement Corneille dans ses conclusions sous la décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 7 avril 1916 Astruc et société du Théâtre des Champs-Elysées (au recueil p. 163), publiées au même recueil p. 832. Dans plusieurs autres décisions, notamment celles du 8 juin 1917 (Fleuret, p. 449) et du 30 novembre 1992 (Fédération française de tennis et ville de Paris), le Conseil d’Etat a par ailleurs jugé que les terrains du Bois de Boulogne, « concédés » dans des termes identiques à ceux de la loi de 1828 à la Ville de Paris par une loi du 8 juillet 1852, appartenaient au domaine de cette collectivité publique. Il a de même jugé que le bois de Vincennes, que la loi du 24 juillet 1860 a « concédé en propriété à la ville de Paris » en mettant à la charge de celle-ci des obligations proches de celles contenues dans les lois de 1828 et 1852, faisait partie du domaine de la ville (14 juin 1972 Eidel, 18 février 1981 Genet). Le terrain d’assiette du Grand Palais, inclus dans la promenade des Champs-Elysées « concédée » en 1828, appartient donc à la ville de Paris. En second lieu, un immeuble dont une personne publique est propriétaire est incorporé dans son domaine public dès lors qu’il reçoit une affectation soit à l’usage direct du public, soit à un service public et qu’il est spécialement aménagé à cet effet. Le Grand Palais, édifié ainsi qu’il a été dit ci-dessus par l’Etat en application de la loi susvisée du 16 juin 1896 relative à l’Exposition universelle de 1900, dans le but d’y organiser des expositions et salons d’art et d’industrie et des cérémonies publiques, accueille plusieurs institutions dont les missions relèvent du service public, notamment : le Palais de la Découverte, créé pour l’Exposition universelle de 1937 et dont le statut, désormais régi par le décret n° 90-99 du 25 janvier 1990, est celui d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel placé sous la tutelle du ministère chargé de l’enseignement supérieur, et les Galeries Nationales installées à partir de 1965 pour y présenter au public des expositions temporaires, érigées par arrêté du ministre de la culture du 16 décembre 1988 en service à compétence nationale rattaché à la direction des musées de France, les expositions étant produites par la Réunion des Musées Nationaux, établissement public industriel et commercial régi par le décret n° 90-1026 du 14 novembre 1990 et placé 2 sous la tutelle du ministère de la culture et de la communication. Le Grand Palais et le terrain sur lequel il a été édifié sont donc affectés à un service public et ils ont fait et font actuellement encore l’objet d’aménagements spéciaux à cet effet. En conséquence, le terrain d’assiette du Grand Palais constitue une dépendance du domaine public de la ville de Paris. Sur la deuxième question : Ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la loi du 20-27 août 1828 a assorti le transfert gratuit à la Ville des terrains des Champs-Elysées dépendant jusqu’alors du domaine de l’Etat d’une interdiction d’aliéner tout ou partie de ces terrains, dont les termes clairs, généraux et absolus ne comportent aucune exception au profit de l’Etat. Cette interdiction d’aliéner est indépendante du statut domanial des terrains en cause et subsisterait donc même si la ville de Paris était en mesure de mettre fin à l’affectation au service public de tout ou partie de ces terrains et de procéder à leur déclassement. Le transfert à l’Etat de la propriété du terrain d’assiette du Grand Palais ne peut donc se faire que par un acte dérogeant à l’interdiction d’aliéner édictée par la loi de 1828. Cette dérogation ne peut se faire que par la loi, dès lors que la disposition en cause de la loi de 1828 constitue pour la ville de Paris une restriction à la libre disposition de son domaine et relève par suite des matières réservées à la loi par l’article 34 de la Constitution. Sur la troisième question : Si en principe l’acquisition par l’Etat d’un élément du domaine d’une collectivité territoriale donne lieu à versement, au profit de celle-ci, d’une indemnité représentative de la valeur vénale du domaine ainsi cédé, la loi peut, sans porter atteinte à un principe de valeur constitutionnelle ni aux engagements internationaux de la France, transférer dans le domaine public de l’Etat une dépendance du domaine public d’une autre collectivité publique sans versement d’une telle indemnité, pourvu que l’intérêt général le justifie et qu’il ne soit pas porté une atteinte excessive à la libre disposition de son domaine par la collectivité en cause. En jugeant (décision n° 86-207 DC des 25-26 juin 1986, et décision n° 94-346 DC du 21 juillet 1994) que les dispositions de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes desquelles « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité », « ne concernent pas seulement la propriété privée des particuliers, mais aussi, à un titre égal, la propriété de l’Etat et des autres personnes publiques », le Conseil constitutionnel a entendu affirmer que ces dispositions de valeur constitutionnelle font obstacle à ce qu’un ou des éléments du domaine public de l’Etat et des autres personnes publiques soient cédés à des particuliers ou grevés de droits réels sans contrepartie appropriée eu égard à la valeur réelle de ce patrimoine comme aux missions de service public auxquelles il est affecté, ou à ce que des biens ou entreprises faisant partie de patrimoines publics soient cédés à des personnes poursuivant des fins d’intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur. On ne peut déduire de ces décisions que les dispositions de l’article 17 s’opposent à ce que la loi procède, entre personnes publiques, à des transferts de propriété de leur domaine public à titre gratuit. Par ailleurs les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales selon lesquelles « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par 3 la loi et les principes généraux du droit international » visent à maintenir un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde de l’intérêt individuel et ne s’appliquent pas aux rapports entre l’Etat et les collectivités territoriales dans l’exercice de leurs pouvoirs de puissance publique, auquel se rattache la gestion de leur domaine public. Le droit au respect des biens garanti par les stipulations précitées ne s’oppose donc pas davantage à ce que le législateur procède au transfert gratuit de dépendances du domaine public entre collectivités publiques. Enfin et compte tenu de ce que le terrain d’assiette du Grand Palais a été transféré gratuitement du domaine de l’Etat dans celui de la ville, puis affecté au service public par suite de la construction, par l’Etat, des bâtiments du Grand Palais, et qu’il est d’intérêt public de réunir en une seule main ces deux éléments superposés du domaine public, le transfert à titre gratuit de ce bien dans le domaine de l’Etat revêtirait un caractère d’intérêt général et n’affecterait pas significativement la liberté de la ville dans l’administration de son domaine. Cependant dès lors que le terrain en cause est une dépendance du domaine public et doit rester affecté à un service public, il serait loisible à l’Etat de faire usage du principe, récemment réaffirmé dans la décision du Conseil d'Etat statut au contentieux du 23 juin 2004 Commune de Proville, (Rec. p. 259) en vertu duquel les dépendances du domaine public pouvant recevoir toute affectation compatible avec leur caractère domanial et, à cette fin, être remises sans formalité à la collectivité publique chargée de la conservation du domaine correspondant à leur affectation, le pouvoir réglementaire peut procéder à des changements d’affectation ayant pour effet d’affecter un bien du domaine public d’une collectivité à un autre, sans pour autant recourir à une cession. La mutation domaniale n’emporte pas de transfert de propriété et ne donne donc pas lieu à indemnité de dépossession au profit de la collectivité propriétaire, ainsi qu’il a été jugé dans 16 juillet 1909 Ville de Paris (Rec. p. 707, avec les conclusions Teissier). La ville de Paris aurait cependant droit, dans le cas où l’Etat déciderait de procéder à un transfert de gestion à son profit, à une indemnité compensant le préjudice qu’elle subirait de ce fait, à raison notamment de la perte éventuelle de revenu dont elle pourrait justifier : (13 mars 1925 Ville de Paris c/ Cie du chemin de fer d’Orléans, Rec. p. 271). 4