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Date : 17/18 OCT 15
Page de l'article : p.16
Journaliste : Sébastien Lapaque
Pays : France
Périodicité : Quotidien Paris
OJD : 314312
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DÉBATS
Jonathan Nossiter : « Les vignerons
naturels sont des insurgés »
PROPOS RECUEILLIS PAR
SEBASTIEN LAPAQUE
LE FIGARO. - En Usant votre livre, on
songe au mot de la philosophe Simone
Weil : « Tu ne pouvais pas mieux naître
qu'à une époque où l'on a tout per du ».
C'est étonnant et magnifique d'être placé
en position de redécouverte ?
Jonathan NOSSITER. - Si j'étais
Houellebecq, j'en serais resté à la remière
partie de la proposition : tout est perdu.
Mais je n'ai pas écrit ce livre pour
raconter la fin d'un monde. Au contraire.
J'ai voulu témoigner de la menace
énorme qui pèse sur la fin de l'espèce
humaine. C'est la premiere fois dans
l'histoire que tout ce que nous avons bâti
risque de disparaître. Mais il n'est pas trop
tard. Sionréagit avec joie,
avec rigueur, avec enthousiasme et désir,
on va sauver tout ce qui peut l'être.
Cela dit, il est désolant de voir à quel point
les acteurs du monde culturel font
les autruches et refusent de regarder
les périls. Ça, c'est la fin de quelque chose.
Vous évoquez de nombreuses figures
réfractaires, écrivains, penseurs,
cinéastes et vignerons. Dans quelle
mesure sont-elles possibles à l'heure
de la subversion organisée ? Croyez-vous
qu'un cinéaste tel que Michelangelo
Antonioni trouverait aujourd'hui
les moyens de
tourner
ENTRETIEN
L'Awentura ?
Oui. L'Antonioni
Les artisans de la terre ont repris le rôle
d'aujourd'hui
contestataire assumé jadis par les artistes, plaide
s'appelle Jeanle cinéaste américain Jonathan Nossiter dans
pierre Frick, il est
« Insurrection culturelle », un essai lumineux
vigneron en Alsace.
C'est dans ses
et surprenant écrit avec Olivier Beuvelet*.
Tous droits réservés à l'éditeur
vignobles que se reinvente L'Awentura.
Son voisin a un potager biodynamique
qui témoigne d'une reflexion profonde
sur les choses, dans les mêmes termes
d'austérité et de retenue qu'Antonioni.
Il participe lui aussi a l'aventure. Culture
profonde, rigueur intellectuelle, désir
d'innover. Tout est là.
L'analogie que vous établissez dans
votre livre entre le monde de la culture
et le monde de l'agriculture n'est
donc pas simplement rhétorique ?
Qu'est-ce que la biodynamie ? C'est
l'intelligence de dire qu'on n'est pas seul.
Qu'on fait un geste qui engage
l'humanité. Si on fait un film ou un livre
juste pour sa gloire et pour
son comptable, c'est aussi vain que
si on descend dans sa vigne en ne pensant
qu'a soi. De même que je n'aime pas
les films qui ne reflètent que l'ego
du cinéaste, je déteste les plats qui
sont uniquement l'expression de l'ego
d'un chef, occultant la complexité de
l'apprentissage et de la transmission.
Ils nous font oublier les ingrédients
qu'on devrait regarder comme des
cadeaux de Dieu. On n'a pas besoin d'être
croyant dans le sens strict du terme pour
découvrir un côté divin dans
cet ensemble. Ne pas respecter
la complexité de l'ensemble est une
folie narcissique. Le cinema est vivant
lorsqu'il respecte la biodiversité depuis
le premier geste. Aujourd'hui,
cette biodiversite est respectée
de maniere sublime et joyeuse
par des agriculteurs rebelles
Du côté de l'industrie, n'observez-vous
pas une stratégie consistant à effacer
la « memoire du goût », comme disait
le regretté Marcel Lapierre ?
LEPUY 9364955400508
Date : 17/18 OCT 15
Page de l'article : p.16
Journaliste : Sébastien Lapaque
Pays : France
Périodicité : Quotidien Paris
OJD : 314312
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Se souvenir n'est pas facile. Ce n'est pas
gratuit. C'est une chose durement
acquise. Cela se gagne avec l'expérience
et avec un engagement sérieux avec soimême et avec les autres. Mais l'exercice
du pouvoir cherche depuis toujours a
nous faire perdre la memoire aussi bien
que la voix. Aujourd'hui, on voit bien que
c'est refléchi. Depuis les années Thatcher
et Reagan, quand les conservateurs ont
cessé de vouloir conserver quoi que
ce soit et sont devenus les libéraux
les plus extrémistes de la planete,
la memoire vécue comme un refuge
est devenue la seule garantie de liberté.
Le mouvement du pouvoir depuis une
quarantaine d'années va complètement
vers l'effacement de cette mémoire.
de harcèlement bureaucratique
institutionnel, comme on a pu le voir
avec Olivier Cousin ou Emmanuel
Giboulot. Mais ce qu'ont montré Jeanpierre Amoreau et quèlques autres,
c'est qu'il y avait de l'espoir dans leur
modele. On n'a plus besoin d'appellation
pour vendre son vin. Si Alexandre Bain
réussit à faire un vin qui provoque,
comme un cinéaste italien dans les
annees 1960, un vin qui émerveille,
qui stimule et rend joyeux et réflectif,
il n'a pas besoin de l'AOC pouilly-fumé
pour que ses vins circulent dans le monde
entier. Il ne deviendra jamais riche, mais
il sera heureux et il réussira à gagner sa
vie avec dignite - ce qui devrait quand
même être le but de tout artisan et artiste.
On vit aujourd'hui
autour d'une serie
Si on fait un film ou un livre juste
de mensonges qui
pour sa gloire ou pour son comptable, nous empêchent
de voir la realité.
c'est aussi vain que si on descend
La maniere de
dans sa vigne en ne pensant qu'à soi
concevoir une vie
d'illusions
« Nous autres fascistes sommes les seuls
détachée de nos racines fraternelles est
véritables anarchistes », déclare un
déjà morte, même si elle continue dans le
personnage de Solo ou les 120 Journées
quotidien, ordonnée par les gens qui
de Sodome, de Pasolini. À entendre ce
gèrent nos vies. C'est vrai qu'il n'y a pas
cinéaste, l'ordre libéral libertaire serait
d'insurrection dans les villes. Mais il y a
donc le seul « fascisme » à avoir réussi ?
une insurrection dans les campagnes,
Là, il n'y a aucun doute.
menée par des ermites, des hérétiques,
des rêveurs, des rebelles et des sceptiques
Mais, même dans une société festive
qui ont compris l'énormite de l'enjeu
et laïque, le pouvoir ne va pas sans
pour la planete. Un petit geste personnel,
contraintes. Parmi les vignerons que
quotidien, peut sauver le monde, si
vous évoquez, le Bordelais Jean-Pierre
chacun le fait. Ce n'est pas un hasard si le
Amoreau s'est fait déclasser en vin
pape François l'a rappelé dans sa derniere
de table une partie de sa récolte en 2005
encyclique en prêchant à sa maniere
et aujourd'hui c'est Alexandre Bain,
l'insurrection de la vie contre la mort.
à Pouilly-sur-Loire, qui est l'objet
* « Insurrection culturelle », de Jonathan
de persécutions...
Nossiter et Olivier Beuvelet, en librairie le
C'est vrai qu'il y a de plus en plus
21 octobre (Stock, 270p., 18,50 €). m
Tous droits réservés à l'éditeur
LEPUY 9364955400508