parceque14

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Ceci est une sorte de journal de bord car il mʼest de plus
en plus difficile de tenir une comptabilité précise des événements. Jʼai parfois peur de me concentrer sur une personne
disparue. Imaginez la perte de temps. Ce nʼest pas si simple.
Cela demande beaucoup dʼénergie et les gens sʼimaginent que
cela est simple de tuer et que le plus difficile consiste à
ne pas se faire prendre. Cʼest tout le contraire. Le résultat dépend toujours de la phase de préparation et surtout du
degré de volonté. Pour moi, cʼest beaucoup plus simple, je ne
tue pas réellement, je suicide. La différence peut paraître
fine pour les bonnes âmes.
Jʼagis seul, je nʼai quʼun seul but soit celui de débarrasser
le plancher. Je nettoie, je retire certaines choses de mon
paysage. Je réponds directement à une violence en réutilisant
leurs violences. Je nʼai aucune mission, je ne suis pas un
apôtre dʼune quelconque secte ou doctrine. Non, cela est plus
égoïste et plus direct. Je tue car cela me fait du bien et je
crois en avoir besoin pour vivre.
Dès lʼâge de 5 ans, jʼai eu la foi. Une vision, une sorte de
transe, une attitude ésotérique, une folie, choisissez le bon
terme et biffez les autres.
Nous habitions en région parisienne, dans un appartement situé
au 4ième étage. La famille était déjà composée telle quʼelle
le sera définitivement. Seul le chien manque sur la photo.
Je jette lʼensemble de mes jouets par la fenêtre pour mes
copains qui attendent en bas. Je fais le constat que je suis
dans lʼillégalité. Ma chambre se vide, chaque jouet est distribué à mes amis qui attendent en bas. Ils sont tous surpris,
ils attendent sans savoir sʼils peuvent se servir. Je les
entends encore me demander de cesser. Ils les désirent mais
aucun ne va y toucher. Le camion Tonka que je trouve dans le
coffre à jouets va faire une chute de quatre étages. Je le
vois tomber, cʼest amusant un camion qui vole. Ce nʼest pas
réellement fait pour cela. Je lʼentends choir lourdement. Il
nʼest pas brisé. Il est presque 13h. Je vais bientôt être
appelé pour manger. Nous sommes rentrés du marché ce samedi
avec Maman. Le repas est presque prêt. Je ne quitte pas le
balcon. Je propose dʼautres jouets. Je dois crier pour demander à mes copains sʼils en veulent dʼautres. Ma chambre
est pleine. Je ne touche quʼà mes affaires. Maman entre dans
la chambre et demande ce que je fais. Je lui explique que je
donne mes jouets. Elle ne comprend pas trop, vient à mes côtés et contemple le spectacle. Je crois quʼelle est surprise.
Sans un cri, maman me regarde droit dans les yeux, me demande
dʼaller ramasser les jouets. Je prends un vieux sac à dos,
je descends par lʼascenseur, je fais le tour de lʼimmeuble
et reprends les gros jouets. Je distribue les autres à mes
copains.
Le repas est calme, jʼai un souvenir dʼune longue conversation sur les raisons de mon geste.
« Maman, cʼest simple. Jʼai des jouets et dʼautres enfants
nʼen ont pas. Je lʼai entendu la semaine dernière à la radio.
Jʼai beaucoup de jouets dans ma chambre, alors je les ai donnés. »
Maman a compris mon geste.
La semaine dernière, lorsque je suis retourné à Montréal,
jʼai eu la perception que la mort de Julie Snyder ne lʼétait
pas. Julie Snyder était morte quelques heures auparavant.
Sa voiture avait été retrouvée sur lʼautoroute complètement
emboutie. Je viens dʼacheter lʼédition spéciale du Journal
de Montréal pour en savoir plus. Jʼai hâte que le taxi arrive à la maison afin que je puisse mieux comprendre. Je dois
penser peut-être à mʼacheter une télévision et prendre le
câble. Je perds trop dʼinformations. À Paris, je peux me renseigner facilement, mais à Montréal, cet hiver est vraiment
trop froid pour tenter de trouver un endroit où je pourrais
regarder LCN.
Cʼest la nouvelle de ce samedi. Julie Snyder, la productrice/
présentatrice de lʼémission la plus regardée du Québec vient
de disparaître. Je ressens une onde électrique dans la ville
identique à celle ressentie lorsque Kurt Cobain était mort.
Un samedi matin, Gérard Leffort commença son émission par ce
mot :
« Hommage». Par la suite jʼentendis les premières notes de
Smells Like teen spirit, ces quelques mots que je ne comprenais pas «Load up on guns and bring your friends». Nous nous
regardions, nous venions de réaliser que Kurt Cobain était
mort. Juste un mot et quelques notes venaient de nous faire
entrer dans notre âge adulte. Nous venions dʼavoir notre
héros à nous. Trop jeune pour avoir connu Ian Curtis, pas encore conscient pour les Janis Joplin et autres Jim Morisson,
Nirvana est le groupe qui nous datera au carbone 14.
Ce matin, jʼai comme lʼimpression que des personnes viennent
de vivre cette même sensation. Le temps est suspendu. Je ne
ressens rien, jʼobserve, je sais que dʼici quelques heures,
un journaliste va recevoir une lettre. Je me fais un oeuf
bénédictine. Cette fille mʼa donné la lubie de ce plat. Je
ne mange que cela depuis quelques jours. Il ne faut pas trop
attendre sinon, cʼest médiocre. Le jaune doit couler sur le
pain légèrement grillé dès que le blanc est crevé.
Dʼun poste de radio à une autre, cʼest la même frénésie. Le
même discours hommage à Julie Snyder. Partie boulotte, elle a
terminé son parcours médiatique écrasée par une masse métal-
lique. Après un aller-retour sur les différentes fréquences,
je me positionne sur CKAC 730 AM de Montréal. Je dépose mon
assiette sale dans lʼévier, calmement, au ralenti. Le temps
vient de prendre une nouvelle notion. La nouvelle devrait
bientôt être diffusée, si lʼordinateur de Paris nʼest pas
en rade. Je ressens le premier stress du cas Snyder. Le seul
point faible du dispositif va sʼenclencher dans quelques instants, juste après avoir posé mon assiette dans lʼévier et
après avoir ouvert le robinet. Il est temps que la nouvelle
parte. Jʼaugmente le son de la radio et je verse du liquide
vaisselle.
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