Le partage aux jardins familiaux de Blanquefort : "d`accord, mais pas

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Le partage aux jardins familiaux de Blanquefort : "d`accord, mais pas
Le partage aux jardins familiaux de Blanquefort :
"d'accord, mais pas avec les ravageurs !"
Texte issu de la formation organisée pour les membres des Jardins Familiaux de Blanquefort
(séance du samedi 10 novembre 2007)
par M.Alain CHAMBARAUD, professeur au Centre de Formation Professionnelle
et de Promotion Agricoles (CFPPA) de Bordeaux-Blanquefort
Les clefs distribuées au début de l’été, les portillons s’étaient ouvert sur des parcelles que l’on ne
pouvait pas encore décemment qualifier de “jardins” : les rhizomes du chiendent traçaient leurs
réseaux sous terre, les stolons des potentilles rampaient et les chardons resplendissaient de fleurs
violettes dressées haut sur des hampes menaçantes.
Les bonnes volontés déshydratées sous le soleil d’été, les racines des herbes vivaces amoncelées en tas
énormes sont aujourd’hui dans les souvenirs tandis que des paroles amicales s’échangent et tissent des
liens dans les allées propres des jardins de la forteresse.
La visite d’un potager travaillé sagement et la rencontre d’un jardinier d’expérience comme Monsieur
Jean-Marie Lespinasse ont, en septembre, beaucoup réconforté, donné des idées et nous ont ouvert des
perspectives prometteuses (voir les articles sur le blog retraçant cette visite : « chez Jean-Marie
Lespinasse », « les ados aussi au jardin ! », « pailler pour protéger la terre », « fabriquer son propre
engrais consoude », « un jardin même en hiver », « le chou préfère la tanaisie »).
Un diagnostic sur la culture des légumes
Hélas ! Le diagnostic du samedi 6 octobre 2007 paraissait bien décevant : les jardiniers n’étaient pas
les seuls occupants des jardins de la forteresse !
Certes on avait bien vu passer quelques sangliers cet été et chacun avait apprécié la solidité des
clôtures où s’accrochaient déjà les vrilles des cornichons et autres potimarrons, les jaunes fleurs des
Cucurbitaceæ...
Mais cette fois les ennemis des cultures se faisaient plus discrets, plus nocturnes, plus voraces :
Larves ("fausse-chenille") Athalia rosae gris-brun ou noir sur navet (photo INRA)
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Pire encore : la “chenille” était fausse puisqu’elle ne produirait pas de charmant papillon à la grâce
duquel le jardinier poète eût tout pardonné. Depuis le samedi 10 novembre au matin, la fausse chenille
est dévoilée ; elle se métamorphose en un hymenoptère funeste du groupe des tenthrèdes :
Athalia rosæ ou "tenthrède de la rave" au stade adulte (ici une femelle à la recherche de nectar)
(photo Entomoland : http://detpbourgeois.free.fr/)
Une recherche documentaire et une réflexion qui s’imposent avant d’agir
Il est intéressant pour le jardinier de bien connaître les ennemis des cultures pour lutter efficacement
contre eux sans perte de temps en essai et erreurs souvent décourageants. Pour cela, plusieurs sources
d'information existent, à la fois utiles et passionnantes :
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les centres de documentation : la médiathèque du C.F.P.P.A.1 de Blanquefort, par exemple,
est ouverte à tous
les sites sur internet comme la base de données encyclopédiques de l'INRA dédiée aux
ravageurs, dénommée HYPPZ (sur : http://www.inra.fr/internet/Produits/HYPPZ/).
La recherche documentaire sur le tenthrède de la rave (Athalia rosæ) révèle par exemple les
caractéristiques suivantes :
Athalia rosae (L.)
Athalia colibri (Christ)
Insecta, Hymenoptera, Tenthredinidae .
Tenthrède de la rave
Description
- Adulte : 6 à 8 mm de long. Le mâle est plus petit que la femelle. La partie postérieure du corps est de
couleur jaunâtre à orange-jaunâtre. La tête et les côtés du thorax sont d'un noir brillant. Les ailes,
transparentes, ont leur bord antérieur foncé. Il n'y a pas de constriction visible entre le thorax et
l'abdomen.
- Larve : fausse chenille, 16 à 18 mm de long. La peau est ridée, parsemée de nombreuses petites
papilles. Les fausses-chenilles récemment écloses sont de couleur gris clair à verdâtre clair, les larves
plus âgées changent de couleur et deviennent vert foncé à noires sur le dos et grises sur la face
ventrale. La capsule céphalique est noire et brillante. En plus des trois paires de pattes thoraciques, la
larve possède 7 paires de fausses pattes ventrales et une paire anale.
- Oeuf : Il est pondu dans une logette que la femelle a fabriqué avec son oviscapte, en bordure d'une
feuille.
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Biologie
- Adultes : éclos en mai et juin, ils quittent le sol et s'accouplent le jour même. Quelques jours après, la
ponte commence. Après s'être alimentées, les femelles incisent les feuilles latéralement à l'aide de leur
oviscapte en dents de scie et déposent leurs œufs un par un, dans les logettes, confectionnées de
préférence sur des jeunes feuilles.
La fécondité d'une femelle est d'environ 300 œufs.
- Oeuf : l'évolution embryonnaire dure de 6 à 8 jours. Les œufs non fécondés donnent des larves
mâles.
- Larve : à 20°C, les larves dévorent en 24 heures le double de leur poids initial. Après la mue, l'exuvie
reste sur la feuille. La nymphose a lieu au bout de 10 à 13 jours passés dans les couches supérieures du
sol à une profondeur de 1 à 5 cm dans un cocon.
Le dernier stade larvaire hiberne dans un cocon sous terre.
Cycle de vie
- Il peut y avoir jusqu'à 3 générations par an.
- En juillet-août apparaît la 2e génération de Tenthrèdes, qui pond ses œufs sur les plantes cultivées
comme engrais verts et les plantes fourragères. Par temps favorable, il faut compter avec une 3e
génération qui peut causer des dégâts sur le colza d'hiver.
Cette Tenthrède est capable, avec l'aide du vent, d'effectuer de longs vols migratoires.
- Un faible pourcentage de la population, au stade nymphe, peut subir une diapause.
Dégâts
- Les jeunes larves décapent la face inférieure des feuilles ou les trouent (dégâts économiquement
insignifiants), tandis que les larves plus âgées, de couleur foncée, rongent les feuilles à partir de la face
inférieure et du bord, ne laissant subsister que les nervures.
- En cas de pullulation, une défoliation complète peut avoir lieu.
- Sur la Moutarde blanche (Sinapis alba), les larves plus âgées dévorent aussi les siliques.
Remarque
Répandue de l'Europe jusqu'en Extrême-Orient (Corée), en Afrique du Nord et du Sud ainsi qu'en
Amérique du Nord.
Noms communs
DE: Kohlrübenblattwespe, Rübsenblattwespe ES: Oruga de los nabos FR: Tenthrède de la rave IT:
Tentredine delle crucifere PT: Atália do nabo GB: Coleseed sawfly, Turnip sawfly.
La même démarche de recherche documentaire devra être entreprise pour d’autres ravageurs
méconnus du jardinier avant une intervention sérieuse.
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Toutefois, le site naturel où les jardins familiaux de Blanquefort sont implantés est à partager avec des
êtres vivants plus agréables que la chenille concurrente pour la consommation du navet que nous
avons identifiée sous le nom d’Athalia rosae comme ce précieux auxiliaire du jardinier :
Parus major mésange charbonnière (photo Marc Bernard sur le site PBase)
S'il est bon que la vie soit respectée dans sa diversité, le jardinier devrait aussi pouvoir consommer les
légumes qu’il a patiemment cultivés.
Heureusement, des moyens de lutte qui concilient jardinage et biodiversité existent. Ils faisaient l’objet
de la séance studieuse du samedi 10 novembre 2007 sur la protection biologique intégrée à laquelle
les jardiniers de la forteresse étaient conviés au C.F.P.P.A.2 de la Gironde. La protection biologique
intégrée est une méthode qui fait partie de la lutte biologique.
La Lutte biologique
C'est un moyen de lutte qui respecte la vie tout en permettant de réduire la population d'un organisme
qui gêne la croissance des cultures, en le faisant dévorer par un de ses ennemis naturels.
Les insectes prédateurs ou parasites sont principalement utilisés dans la lutte biologique, mais des
bactéries, des champignons, des virus, des nématodes sont aussi employés contre les ravageurs des
cultures et les vecteurs (c’est à dire des insectes qui transportent les virus ou les bactéries à l’origine
des maladies des plantes cultivées).
D’autres êtres vivants sont aussi agents de lutte biologique ou " auxiliaires " pour détruire les insectes
ravageurs : ce sont des petits mammifères ou des oiseaux dont le jardinier facilitera l’installation à
proximité du potager.
Toutefois, malgré les recherches, il n'y a pas de moyen de lutte contre chaque insecte impliqué comme
ravageur. Bien sûr, les effets indésirables de la lutte biologique sur la faune autochtone qui pourraient
exister sont étudiés avant commercialisation des auxiliaires et des produits utilisés pour la lutte
microbiologique. Une homologation est en effet obligatoire.
une définition
La définition officielle de l'Organisation Internationale de Lutte Biologique SROP3 nous dit que la
lutte biologique est : « l'utilisation d'organismes vivants pour prévenir ou réduire les dégâts causés
par des ravageurs ».
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un principe simple
La lutte biologique se base sur l'exploitation par l'Homme d'une relation naturelle entre deux êtres
vivants :
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un organisme ravageur d'une plante cultivée indésirable cible ;
l'agent de lutte (ou auxiliaire) est un organisme différent, souvent c’est un parasite, un
prédateur ou un agent pathogène du premier, qui le tue plus ou moins vite, s’en nourrit ou
limite son développement.
une classification
Pour la lutte contre les insectes, on distingue :
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la lutte par entomophage si l'auxiliaire est un animal qu’il soit un vertébré (mammifère,
batracien, oiseau insectivore), un nématode (un ver microscopique) ou un autre insecte. Les
prédateurs tuent et mangent plusieurs proies au cours de leur développement ;
la lutte par parasitoïdes (parasites, qui vivent aux dépens d'un unique hôte (œuf, larve,
nymphe) qui meurt après développement du parasitoïde ;
la lutte microbiologique si l'auxiliaire antagoniste est un micro-organisme. L'agent pathogène
auxiliaire est soit un champignon, une bactérie, un virus, un protozoaire... L'agent pathogène
auxiliaire se multiplie dans l'hôte (le ravageur) et provoque sa mort par destruction de tissus,
septicémie, ou par l'émission d'une substance toxique. Les cadavres de l'hôte libèrent les
agents pathogènes dans le milieu qui se dispersent à la recherche d’autres ravageurs
identiques ;
la lutte biologique par acclimatation, si l'organisme antagoniste peut, à la suite de son apport
par le jardinier au contact de l'insecte cible, se développer et se maintenir aux dépens de cet
insecte, sans nécessiter un nouvel apport ;
la lutte biologique inondative si l'organisme antagoniste doit être lâché ou inoculé à chaque
fois que l'effectif du ravageur croît dangereusement. Ces auxiliaires sont qualifiés de
biopesticides. Ils sont destinés à des applications répétées. Ils font l'objet de contrôles de leur
innocuité pour les autre êtres vivants ;
la lutte autocide ou lutte par mâles stériles consiste à introduire un grand nombre mâles
rendus stériles (par rayonnements ionisants) mais au comportement sexuel intact, dans une
population naturelle de la même espèce. Ces mâles auxiliaires lâchés entreront en compétition
avec les mâles sauvages. En peu de générations, si les apport de mâles stériles sont maintenus,
la population cible est anéantie.
D'autres méthodes non chimiques vieilles comme le monde
Quand le jardinier souhaite éviter la lutte chimique ou qu’elle n’est pas possible, d’autres techniques
complètent la protection biologique intégrée :
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des méthodes mécaniques telles que la chasse, que ce soit au moyen de la tapette à mouches,
du bâton, voire du fusil contre le gibier (dans le respect de la réglementation), la brosse pour
nettoyer les écorces des arbres, l'échenilloir, ou les barrières et clôtures en grillage ainsi que et
la couverture par des filets, ou le piégeage avec de panneaux jaunes englués ;
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des méthodes physiques comme le froid qui détruit les larves des ravageurs et ralentit le
développement des champignons, une hygrométrie (humidité de l’air) élevée nocive au
développement des ravageurs que sont les acariens, le chaud, les rayons ultraviolets (U.V.)
utilisés dans le cadre de la solarisation pour lutter contre les “mauvaises herbes”, etc.
des méthodes psychiques comme les si pittoresques épouvantails, les plantes-pièges comme la
capucine, les leurres, les appâts alimentaires à base de phosphate ferrique (Fe PO3) utilisables
contre les limaces (mais qui ne répandent pas de substances toxiques dans l’environnement),
les pièges sexuels à base de phéromones. Dans le cadre de la lutte par confusion sexuelle, on
utilise un produit de synthèse qui ressemble à la phéromone de rapprochement des sexes
(produit volatil émis par la femelle vierge d'un papillon, par exemple qui attire les mâles à
grande distance) non pas en vue de capturer ces mâles dans un piège, mais pour les
désorienter. La phéromone est épandue sur la culture & ses abords : les papillons mâles sont
alors incapables de détecter les femelles, qui restent donc infécondes ;
les méthodes culturales préventives emploient des variétés résistantes, ce sont souvent des
variétés anciennes sélectionnées localement parce qu’elles sont adaptées à la fois au terrain &
au climat local. Aujourd’hui les professionnels utilisent aussi des plants de légumes greffés sur
des porte-greffe résistants à des ravageurs (nématodes ou champignons) présents dans le sol.
Le principe se base sur l'exploitation de propriétés naturelles de résistance aux Insectes
phytophages et aux agents pathogènes que possèdent certaines lignées de plantes. Elles
consistent d'autre part à créer des modifications du milieu défavorables aux animaux
nuisibles : par éclaircie, dessiccation superficielle du sol, élimination des abris et des résidus
de culture, etc.
S’il était possible de conclure...
La protection biologique intégrée est un vaste sujet dont il n’est pas possible de cerner les contours en
si peu de lignes. Si c’est un ensemble de techniques que le jardinier développe au jour le jour, au fil de
ses propres expériences dont il tire les leçons, c’est aussi un champ de recherche scientifique très
actuel où interviennent des chercheurs de plusieurs disciplines : entomologistes, microbiologistes,
climatologues...
Les jardiniers des jardins familiaux, sont appelés à devenir eux-mêmes experts, non seulement dans
l’observation de leurs cultures et des symptômes d’attaques sur leurs légumes, mais aussi de
l’identification des ravageurs et des auxiliaires ainsi que de la connaissance de leurs cycles de
développement. Mieux encore, ils prennent conscience qu’ils participent à la vie de l’écosystème des
rives de la Jalle, qu’ils y agissent en responsables, dans la lucidité, parce qu’ils ont cette possibilité de
dire et de penser par le langage ce qu’ils font.
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