Qu`est-ce qu`être parent - Cursus

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Qu`est-ce qu`être parent - Cursus
Université Rennes 2
novembre 2011
LA NOTION DE PARENTALITÉ
Qu’est-ce qu’être parent ?1
Plan
INTRODUCTION – De la parentalité
I. BIOLOGIE ET SOCIOLOGIE DE « L’ÊTRE PARENT »
1. « Faire » un enfant
2. Parenté – parentèle
3. Rôle parental
4. Parité et paternité
4.1. La Théorie de la Médiation
4.2. Nexus et munus
4.3. Paternité et responsabilité sociale
II. DEVENIR ET ÊTRE PARENT
Analyse critique de quelques conceptions psychologiques
contemporaines
1. Processus de parentification
2. Soins parentaux
3. Transmission psychique
1
- Master 1 de Psychologie : module EF 9 Psychologie clinique de l’enfant et de l’adolescent. Cours
« La famille et l’enfant » : enseignement de Claude BOUCHARD, MCU Université Rennes 2.
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 1
III. EXPÉRIENCE ET EXERCICE DE LA PARENTALITÉ
Perspectives psychanalytiques
1. Le désir d’enfant
1.1. Féminin
1.2. Masculin
2. La fonction paternelle
2.1. Le concept de Nom-du-Père
2.2. Les trois dimensions de la paternité
2.3. « Il n’y a pas de mère sans père »
CONCLUSION – Être parent : une double rupture
Références bibliographiques
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 2
LA NOTION DE PARENTALITÉ
Qu’est-ce qu’être parent ?
INTRODUCTION – De la parentalité
Le terme de parentalité a été introduit en France dans les années 1980 par des
psychologues et des psychanalystes. Il recouvre aujourd’hui très largement les divers
apports de la psychologie clinique et de la psychanalyse concernant « l’être parent ». Il
semblerait que ce terme ait été employé pour la première fois par le psychologue René
Clément, dans un article où il proposait dans le même temps le vocable dysparentalité
pour désigner les dysfonctionnements ou les troubles de la parentalité (Clément, 1985).
Bien avant lui, le psychanalyste Paul-Claude Racamier avait déjà forgé (en 1961) le
néologisme maternalité dans une étude sur les psychoses du post partum, et d’autres
auteurs à sa suite avaient parlé de paternalité pour les pères.
Dans ses usages les plus courants, le terme de parentalité ne renvoie pas à un
concept, au sens où il ne relève pas d’une théorie définie. C’est plutôt un terme de
commodité permettant de rassembler et d’articuler les divers aspects d’un problème
complexe, irréductible à une discipline savoir donnée comme à une conception
théorique unique. La définition qu’en donne Didier Houzel (pédopsychiatre et
psychanalyste) dans Les enjeux de la parentalité (1999) est exemplaire d’un tel usage
synthétique. Pour cet auteur et dans une orientation plutôt psychologique, le terme de
parentalité désigne d’abord « le processus par lequel on devient parent d’un point de
vue psychique » (Houzel, 1997). En ce cas, le mot « parentalité » est synonyme de
processus de parentification2. De façon plus précise, on peut cependant décliner, dans le
champ de la parentalité ainsi définie, d’autres aspects de « l’être parent ». D. Houzel
propose de distinguer :
-
l’exercice de la parentalité
l’expérience de la parentalité
la pratique de la parentalité.
 L’exercice de la parentalité concerne le niveau symbolique, c’est-à-dire « [ce]
qui fonde et qui, jusqu’à un certain point, organise la parentalité en situant chaque
individu dans ses liens de parenté et en y associant des droits et des devoirs » (Houzel,
1999, p. 193). Il s’agit d’un ordre de réalité qui transcende l’individu, sa subjectivité,
ses comportements, et qui, dans nos sociétés occidentales modernes, se repère en partie
par une codification juridique de la parenté et de la filiation.3
2
- Le terme de parentification est parfois employé en psychologie et en psychopathologie dans un autre
sens, pour désigner un renversement, temporaire ou continu, des rôles parents-enfants. Il s’ensuit une
distorsion de la relation entre les partenaires (enfant-parent ou conjoints), l’un mettant l’autre dans une
position de parent (Boszormenyi-Nagy, 1973).
3
- On peut supposer que le terme « exercice (de la parentalité) » est choisi ici par Houzel dans son sens
juridique, comme on dit « exercer ses droits », et en se rappelant qu’en droit une personne a toujours des
droits et des obligations. Insistons toutefois pour dire que la dimension symbolique de la parentalité n’est
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 3
D’un point de vue anthropologique, l’exercice de la parentalité renvoie aux liens
de parenté et à leur organisation : « Les liens de parenté constituent un ensemble
généalogique auquel appartient chaque membre et qui est régi par des règles de
transmission. […] C’est un ensemble structuré par des liens complexes d’appartenance
(ou affiliation), de filiation, d’alliance. Les règles qui régissent l’ensemble impliquent
des droits et des devoirs dévolus à chacun de ses membres. Au mieux, elles leur ouvrent
et leur garantissent des espaces de développement et de liberté, mais toujours au prix
de certaines restrictions, de certaines contraintes. » (Houzel, op. cit., p. 117-118).
L’exercice de la parentalité n’est cependant pas uniquement culturel et social. La
psychanalyse, notamment, a décrit le complexe d’Œdipe comme organisateur à la fois
du psychisme individuel et des liens libidinaux et fantasmatiques du groupe familial et
social. « Sur le plan psychodynamique [et psychanalytique], l’exercice de la parentalité
se rattache aux interdits qui organisent le fonctionnement psychique de tout sujet et
notamment l’interdit de l’inceste. » (ibid., p. 194).
 L’expérience de la parentalité désigne « l’expérience subjective consciente et
inconsciente du fait de devenir parent et de remplir des rôles parentaux. Elle comporte
de nombreux aspects. Deux de ces aspects méritent d’être mis en relief : le désir
d’enfant et le processus de transition vers la parentalité ou parentification. » (ibid.,
p. 194).
 Enfin, « par “pratique de la parentalité”, on désigne les tâches quotidiennes
que les parents ont à remplir auprès de l’enfant. C’est le domaine des soins maternels
[…]. Il vaudrait mieux dire soins parentaux plutôt que maternels, car il ne fait aucun
doute que chacun des parents a son rôle à jouer dans ces tâches. On entend par soins
non seulement les soins physiques, mais également les soins psychiques. » (ibid.,
p. 195).
En résumé : Dans une perspective plutôt psychologique (d’inspiration
manifestement psychanalytique) Didier Houzel propose de considérer que la notion
d’exercice de la parentalité renvoie à l’identité de la parentalité, celle d’expérience de la
parentalité aux fonctions de la parentalité, et celle de pratique de la parentalité aux
qualités de la parentalité (ibid., p. 114).
L’analyse de Didier Houzel est ici un premier tri dans la complexité des
questions que nous allons développer dans ce cours.
pas réductible à sa seule définition juridique. Des règles, des conventions, des usages, des rites
contribuent aussi à marquer les limites et les principes de toute organisation humaine de parenté.
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 4
I. BIOLOGIE ET SOCIOLOGIE DE « L’ÊTRE PARENT »
Sous la notion d’exercice de la parentalité, Houzel rappelle que la « parentalité »
se rattache à une organisation de toute société humaine, quelle qu’en soit les formes
sociétales particulières. Cette organisation sociale émerge sur un fond plus général
d’acculturation, c’est-à-dire sur notre capacité humaine à transcender et à structurer
notre nature animale en un ordre de culture.
1. « Faire » un enfant
Pour dire les choses d’abord de façon assez triviale : être parent, ce n’est pas
« faire » un enfant.
Être parent, en effet, n’a rien de naturel et n’est pas à confondre avec les
processus biologiques qui concourent à la fécondation et à l’enfantement. On pourrait
même dire, au contraire, que toutes les sociétés humaines se caractérisent par le fait
qu’elles transcendent et réorganisent « la mécanique conceptuelle (= de la conception
d’un enfant) » (G. Poussin), et que le fait de devenir père ou mère ne se construit pas
principalement sur l’engendrement, c’est-à-dire sur le fait d’être géniteur ou génitrice.
Les exemples sont nombreux, qui montrent la non-coïncidence entre
reproduction et être-parent. On peut le repérer sur le plan sociologique : cf. les rites de
« reconnaissance » entourant la naissance, l’institution de l’adoption, le concept
juridique d’autorité parentale... On peut le repérer aussi sur le plan psychologique : on
est parent surtout « dans sa tête », plus que dans son corps – comme en témoignent par
exemple la clinique des parents adoptants, celle des naissances par I.A.D. (insémination
artificielle par donneur), ou les phénomènes somatiques de participation ou
d’identification à l’enfantement fréquemment observables chez les jeunes pères,
phénomènes repris dans les rites de « couvade », et qui constituent une autre forme de
démenti du lien entre reproduction et « parentification » (Guyotat, 1980 ; Delaisi de
Parseval, 1981). Ou encore, du point de vue de la loi française actuelle, la nonconfusion entre enfantement et maternité : une femme peut ne pas reconnaître son
enfant et accoucher « sous X ».
Il faut ici repositionner la notion d’instinct parental, plus souvent attribuée
d’ailleurs à la mère (« instinct maternel »). Cette notion a largement contribué à
naturaliser la fonction maternelle à partir du XIXème siècle, conférant à celle-ci un
caractère normatif particulièrement puissant. Les études historiques sur la famille
occidentale moderne (Ariès, Shorter, Knibiehler, Badinter, Flandrin, Gélis, etc.),
conjointement aux critiques féministes, ont clairement montré la relativité sociohistorique de cette maternité prétendument naturelle, instinctive.
On ne peut toutefois nier totalement, dans un excès inverse, la dimension
instinctuelle de la reproduction (au sens d’« instinct de reproduction »). Après examen
des résultats de diverses recherches comparatives d’éthologie animale et humaine,
Gérard Poussin retient « que la notion d’instinct rend compte [dans l’espèce humaine]
d’une infime partie de la réalité en même temps qu’elle la déforme par une conception
mécaniste et simpliste des rapports entre l’individu et le milieu ; [et] qu’à bien des
égards, le sens de l’évolution va dans celui d’une complexification des processus
parentaux, tout en conservant un souvenir des comportements instinctuels qui sont
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 5
encore pratiquement les seuls en cause dans les espèces inférieures » (Poussin, 1993,
p. 19).
À ces constats, ajoutons que si les données physiologiques ne sont pas décisives,
dans l’espèce humaine, pour pouvoir être père ou mère, elles y contribuent cependant au
niveau imaginaire, comme le montrent les nombreuses situations où le sentiment d’être
parent s’étaie sur le constat d’un lien concret « de chair » ou « de sang ». (Exemples :
les hommes qui ne se sentent pères que par la « preuve génétique » ; les femmes qui ne
peuvent investir le nouveau-né à la suite d’une ignorance ou d’un « déni » de leur état
de grossesse.)
Concevoir un enfant peut aider à se concevoir comme parent, mais cela n’y
réduit pas et n’y suffit pas, tant que cette « conception » n’est pas aussi élaboration
d’une position parentale.
2. La parenté
Le terme de « parentalité » n’est pas sans ressembler au terme de parenté, ou
aussi à celui de parentèle, et il convient par conséquent de bien les différencier.
Comme Didier Houzel le rappelle sous le terme d’exercice de la parentalité, être
parent, c’est aussi s’inscrire dans de la parenté, c’est-à-dire dans « des rapports entre
individus basés sur certaines formes d’affinité ou sur une ascendance commune, réelle
ou supposée » (Ferréol, 1991, p. 195). Plus précisément, la parenté recouvre une
définition symbolique des liens de filiation (rapports parents-enfants), de germanité
(rapports frères-sœurs) et d’alliance (rapports mari-femme).
La parentèle est l’effet, le résultat de la parenté et de sa structuration (cf. les
« structures élémentaires de la parenté » selon Lévi-Strauss) selon un système
symbolique donné, c’est-à-dire dans une société donnée et dans un espace-temps
historique donné. Une parentèle est l’ensemble des personnes qu’un système de parenté
donné va définir comme étant « parents », c’est-à-dire comme faisant partie d’une
même parenté.
Le plus souvent, chez D. Houzel par exemple, on entend le terme « parent » au
titre des liens de filiation. Toutefois, de la même manière que l’on peut être tenté de
rabattre la filiation sur la reproduction, on peut être tenté de réduire les liens de filiation
aux liens d’alliance. Or, il n’y a pas de coïncidence entre le rapport mari-femme et le
rapport parent-enfant. Dans certains systèmes de parenté, non seulement le père n’est
pas le géniteur de l’enfant mais ce n’est pas même l’époux de la mère ; ce sera par
exemple le frère de la mère ou les hommes de la parentèle. Dans la législation française
jusqu’en 2006, le critère de la paternité était le fait d’être le mari de la mère et non
d’être le géniteur de l’enfant, la reconnaissance de paternité n’intervenant que si celui-ci
n’était pas marié à la mère de l’enfant. De nos jours, l’usage de tests de paternité tend
à rabattre les critères du droit sur des critères biologiques mais cet usage ne se suffit pas
par lui-même ; il reste défini et encadré par une procédure judiciaire, et suspendu à la
décision d’un tribunal qui peut également s’appuyer sur le critère de l’éducation de
l’enfant (pour la loi, le père est aussi celui qui assure l’éducation d’un enfant).
Globalement, les liens de parenté ne recouvrent pas nécessairement les liens de
sang. Par exemple, les liens de germanité (frères-sœurs) peuvent concerner des pairs du
même clan ou de la même classe d’âge dans un même groupe social (clan, tribu, rang
social…) sans que cela implique une communauté génétique entre eux.
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 6
La notion de consanguinité s’avère ainsi être relativement déliée de toute
référence biologique concrète, puisqu’elle met l’accent sur le fait d’être rattaché à la
même parentèle (c’est-à-dire au même groupe de parenté), et non pas d’être du même
sang. L’inceste et sa prohibition, dont l’anthropologie sociale et la psychanalyse ont
montré l’importance comme principe fondateur de toute société humaine, reposent
sur des liens de consanguinité sociologique, c’est-à-dire sur une organisation de la
parenté qui, de toute façon, n’est jamais une consanguinité biologique, même
lorsqu’elle coïncide avec celle-ci (Ghasarian, 1996).5
3. Le rôle parental
La parentalité ne peut pas non plus être réduite à du rôle parental.
En sociologie et en psychologie sociale, la notion de rôle désigne « une
configuration de modèles de conduites associées à une position ou fonction dans un
système » (Ferréol, 1991, p. 251). On considère parfois que le rôle est « l’aspect
dynamique du statut » (ibid.), c’est-à-dire ce qui permet de manifester celui-ci et de le
maintenir.
Le rôle parental est la pratique d’une position de parent, telle qu’elle est définie
en tant que statut. Le rôle parental dépend donc de données statutaires, relatives au(x)
système(s) d’appartenance et de référence du « parent ». Il peut s’agir d’une définition
par rapport à un système de parenté, et en ce cas le rôle parental renvoie au codage et à
la réglementation des conduites au niveau des rapports de filiation. Mais le rôle parental
peut aussi se rapporter à d’autres références : socioculturelles, familiales, conjugales,
morales, juridiques...
Chaque famille ou chaque milieu social a sa propre définition des qualités,
devoirs et obligations par lesquels se « reconnaît » l’être-parent. La loi juridique ellemême (le droit civil, notamment) définit, d’une certaine manière, un rôle parental
lorsqu’elle énonce les critères qui, a contrario, lui permettent de qualifier, par exemple,
une situation de maltraitance ou de négligence, et d’ordonner la restriction des droits
d’un parent ou la « déchéance » de celui-ci de ses droits. La « protection de l’enfance »
n’est que l’expression indirecte d’une définition normative, sociojuridique (civile et
pénale) et socio-morale, du rôle parental (Lalanne, 1990).
La psychologie sociale a particulièrement étudié, généralement sous le concept
d’identité sociale, les processus d’assimilation, de reconnaissance et d’adéquation des
rôles sexuels et parentaux. Si l’on peut effectivement considérer que l’exercice de la
parentalité ne peut échapper à ces processus identitaires d’encodage et à leur fonction de
repérage statutaire, il n’en demeure pas moins que, du point de vue de la parentalité
elle-même, ceux-ci n’en représentent en fait que l’aspect conventionnel et normatif.
Être parent passe certes par du rôle parental et des auteurs comme Didier Houzel
prennent justement cette dimension en compte dans leur définition de la parentalité. Au
risque toutefois, si l’on définit l’être-parent principalement par du rôle, de réduire ses
aspects psychologiques à de l’identité psychosociale et donc plus globalement à des
processus de socialisation.
5
- « Envisagée du point de vue le plus général, la prohibition de l’inceste exprime le passage du fait
naturel de la consanguinité au fait culturel de l’alliance. » - (C. Lévi-Strauss, Les structures élémentaires
de la parenté, 1949, p. 36).
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 7
4. Parité et paternité
Afin de compléter et d’approfondir ce que nous venons de développer autour de
la notion de parenté, arrêtons-nous un moment sur la distinction et l’articulation des
dimensions de la parité et de la paternité, proposées par la Théorie de la Médiation
(TDM) de Jean Gagnepain (1923-2006) – (Gagnepain, 1994 ; de Lara, 2006).
4.1. La Théorie de la Médiation
Elaborée à partir de l’étude du langage sous tous ses aspects, la Théorie de la
Médiation s’est construite progressivement comme une anthropologie générale, c’est-àdire comme une théorie (ou science) de l’Homme considéré essentiellement comme
être de culture. Il faut entendre ici le mot « culture » dans son sens anthropologique
général, par opposition à « nature » ou, dans le cas de l’homme, par opposition à
« animalité ». L’idée directrice de la Théorie de la Médiation est que l’humain est
capable de s’abstraire de sa condition naturelle, de la transcender en quelque sorte, pour
la « médiatiser », c’est-à-dire pour la réorganiser en un ordre (ou rationalité) de culture,
sans toutefois se couper de sa nature. La Théorie de la Médiation est structuraliste, dans
la mesure où elle considère que ce processus d’abstraction culturelle (ou acculturation)
est structuré et structurant, à l’instar de ce que Ferdinand de Saussure a montré en
linguistique et Claude Lévi-Strauss en anthropologie sociale ; elle se dit aussi clinique
(« anthropologie clinique ») parce qu’elle valide systématiquement ses analyses par la
contre-épreuve de la pathologie (neuropathologie et psychopathologie) selon les
principes d’une méthode pathologique.4
La TDM considère que la rationalité culturelle humaine opère selon quatre
dimensions distinctes (ou « plans »), non hiérarchisées et qui peuvent se combiner entre
elles :
 le premier plan est celui du Signe, qui nous rend capable de grammaire
(rationalité logique) ;
 le second est celui de l’Outil, qui rend compte de notre capacité de technique
(rationalité ergologique) ;
 le troisième, celui de la Personne qui renvoie à notre capacité de société
(rationalité sociologique) ;
 le quatrième est celui de la Norme qui nous rend capable d’éthique
(rationalité axiologique).
Pour les besoins de notre propos, nous nous intéresserons ici à la seule
rationalité de la Personne (Gagnepain, 1991, 1994 ; Quentel, 1993, 2001 ; Lamotte,
2001 ; Quentel & Laisis, 2006).
4
- Méthode pathologique : terme introduit en psychologie en 1909 par Théodule Ribot (1839-1916) pour
désigner le principe de validation scientifique qui consiste à analyser et expliquer les processus mentaux à
partir de l’étude de leurs troubles, ceux-ci étant supposés produire une sorte d’expérimentation spontanée,
par une « désorganisation » (Ribot) de ce qui, dans le fonctionnement mental ordinaire, ne peut être saisi
que comme un ensemble complexe indistinct. Selon ce principe méthodologique on posera par exemple
que les processus à l’œuvre dans l’élaboration et la production du langage nous apparaîtront plus clairement par l’étude des aphasies (troubles fondamentaux du langage) que par celle des performances
langagières d’individus « sains ». Autre exemple de « méthode pathologique » : Sigmund Freud a développé une théorie du psychisme (métapsychologie), ou plus précisément une psychologie des pulsions,
basée sur l’étude de certains troubles mentaux qui nous renseignent particulièrement bien sur cette dimension psychique, en l’occurrence les névroses.
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 8
4.2. Nexus et munus
Pour la TDM, la parentalité est l’une des dimensions fondamentales de la
personne, et de façon indissociable de la parité. En tant qu’humains, nous sommes en
effet capables de nous abstraire de notre sexualité (sexus) et de notre génitalité (partus)
animales, et de les acculturer respectivement en nexus (en latin : « nœud, lien ») et en
munus (« service rendu »).
La nature nous a faits mâle ou femelle, c’est pour ainsi dire notre sexualité
naturelle. Nous sommes ainsi capables d’accouplement sexuel. Mais en tant qu’êtres de
culture et pas seulement êtres de nature, nous ne cessons de nous abstraire de cette
appartenance sexuelle, que par ailleurs nous ne pouvons totalement nier. C’est par cette
opération de médiation culturelle (par opposition à l’immédiateté ou à la non-médiation
animale) que nous pouvons transformer notre sexualité naturelle en sexualité culturelle,
sociologique, et définir de « l’autre » pas seulement comme un individu sexué (un sujet
naturel mâle ou femelle), mais aussi et surtout comme un « autre » sociologique défini
par le principe de l’inceste.5
« Toute société a comme un de ses principes d’abstraire la sexualité. Aucune
société n’admet la bestialité, n’admet la rencontre de fortune. C’est ce qu’on
appelle traditionnellement le principe de l’inceste. L’inceste est à entendre ici en
son sens exclusivement sociologique, sans le confondre avec ce qui s’y indique
par exemple de prohibition et qui, à nos yeux, ressortit au plan axiologique
[rationalité éthique]. La prohibition est une affaire de refoulement du désir,
tandis que l’inceste dont nous parlons ici est une question de définition, de
délimitation. Il n’y a pas en effet de rapport nécessaire entre la constitution dont
vous disposez (plan III) et, d’autre part, les besoins qu’elle crée (plan IV). Pour
faire la biologie de l’estomac, vous n’allez pas faire de la gastrologie en disant
par exemple que vous n’aimez pas les bananes, etc. – c’est-à-dire, faire
l’inventaire de vos nausées et de vos appétits. Les désirs que suscite l’estomac
certes s’expliquent, mais l’estomac ne se réduit pas à l’inventaire de ses
pulsions. C’est pareil pour la sexualité. […] Bref, quand on parle d’inceste,
c’est une affaire de définition [= d’appartenance sociologique]. L’inceste, au
fond, veut dire le manque de chasteté, dont le principe repose finalement sur la
différence entre le sexe social et le sexe biologique. Quelle que soit la moitié
[d’un groupe social], comme dit Lévi-Strauss, moitié A, moitié B, vous aurez
toujours des mâles et des femelles, parce que la sexualité est naturellement
double, et que pour pouvoir être abstraite et culturellement contestée, il faut
qu’elle soit au moins double – en fait, elle est toujours plus complexe. La société
minimale, c’est une société avec deux moitiés tribales. De toute façon, ce qui
fonde l’inceste, c’est que le sexe social n’est jamais le sexe biologique et que si
vous n’épousez pas votre mère, votre fille, votre grand-mère, c’est parce
qu’elles sont sociologiquement de même sexe. Inversement, si vous prenez
quelqu’un dans l’autre moitié tribale, même s’il est de sexe biologique identique,
il est sociologiquement d’un autre sexe que vous. […] Il faut donc dissocier la
sexualité de culture de la sexualité naturelle. La sexualité de culture fait que si
vous appartenez à la moitié A, les mâles et les femelles de cette moitié sont
5
- Le principe de l’inceste se retrouve se retrouve dans la notion de mésalliance. Cependant la
mésalliance n’est pas contradictoire avec le principe de l’inceste. Elle témoigne seulement du souci
qu’une alliance considère et maintienne un certain rang social pour les deux parties de l’alliance, tout en
respectant le principe d’exogamie.
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 9
réputés de même sexe. Si vous voulez devenir fécond, il faut donc aller chercher
de l’autre côté, à la limite n’importe quel mâle, n’importe quelle femelle. Il est
bien certain que c’est là de l’abstraction et que si vous voulez rester fécond, il
vaudra mieux choisir quelqu’un qui naturellement est un peu différent de vous.
Cela prouve que nous ne sommes jamais réduits à cette abstraction culturelle
à laquelle nous émergeons, puisque nous sommes contraints par la nature
de nous replonger dans une sexualité cette fois naturelle qui nous rendra
féconds. [Néanmoins] la sexualité sociale n’est pas la sexualité naturelle. D’où
l’inceste. » - (Gagnepain, 1994, p. 129-130)
De même pour la génitalité naturelle, qui n’est pas la génitalité culturelle, sociologique : la génitalité n’est pas la paternité. Du fait naturel, animal, de s’accoupler, de
« faire » un petit et de le soigner, l’homme est capable de s’abstraire culturellement pour
accéder à de la paternité.
« Par exemple, dans l’ancienne Grèce préhomérique, quand un enfant naissait
(par tokos), il n’était pas nécessairement socialement reconnu (par le gonos).
C’était le père qui, le prenant sur ses genoux, le reconnaissait comme appartenant à la cité (cfr. la parenté entre gonu [genou] et gonos [naissance sociale]).
Tout petit n’est pas nécessairement un fils. Même dans la Bible. Certes, les
[psych]analystes ont beaucoup insisté sur le meurtre du père, mais on oublie
le meurtre du fils. Ainsi, l’histoire d’Abraham et d’Isaac. Le Tout-Puissant
demande à Abraham de Lui sacrifier Isaac, enfant né dans sa vieillesse, son
premier-né. Abraham n’a pas hésité. Heureusement l’ange a arrêté son bras !
Certes, tout cela est symbolique, mais cela voulait dire pour qu’Isaac devienne
fils, il faut qu’il ne t’appartienne plus ; il faut que tu aies renoncé à lui, que
tu aies accepté de tuer le fils. Le problème des parents est bien plus fréquent
que celui des fils. C’est plutôt les pères ou les mères qui n’acceptent pas de tuer
le fils ou la fille, qui veulent que cela reste toujours leur petit, qu’ils hyperprotègent. Mais il y a un moment de “renoncement” nécessaire dans la vie, et
c’est cela qui est fondateur, qui est définitoire. Autrement dit : la paternité n’est
pas la génitalité. C’est ce qui fait que l’éducation n’est pas l’élevage, et en
particulier que le service rendu à l’autre ne consiste pas simplement à s’occuper
du tout petit, à le laver, le faire marcher, etc., bref à le gaver, On ne peut
pas restreindre ce type de rapport aux seuls hommes (mâles), si on veut que la
génitalité s’acculture en paternité. Cette paternité n’est rien d’autre que
l’invention de la division, non pas du travail, mais des services rendus. Bref,
l’homme est capable dans le groupe de rendre des services je te fais ton pain, tu
me fais mes chaussures. Cette division du travail dont parlait tant Durkheim, est
valable depuis le début. Et ce que Freud enseigne sous le nom de paternité, c’est
cela même. C’est pour cela que je préfère au terme de paternité le terme de
munus, c’est-à-dire le service rendu. » - (ibid., p. 130-131)
Ainsi, tout comme l’alliance (parité) se fonde sur le principe de l’inceste, le
service (paternité) se fonde sur le principe de castration, c’est-à-dire sur le renoncement
à être omnipotent, à être « tout pour l’autre » comme dirait la psychanalyse (la mère
« toute » chez Lacan, le père tout-puissant de la horde primitive chez Freud).
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 10
4.3. Paternité et responsabilité sociale
Notons encore deux précisions importantes :
a) Dans la TDM, la paternité, ou plutôt le munus, est neutre car elle concerne
aussi bien le père que la mère.
« Si vous dégagez une paternité, définie culturellement, des conditions
biologiques de la génitalité, le père en question ne saurait être ni masculin, ni
féminin : il est, bien évidemment, épicène, c’est-à-dire que la paternité n’est pas
plus l’apanage du porteur du phallus que de celle qui est supposée en manquer.
De même que la personne ne se réduit pas au mâle et à la femelle, elle ne
saurait non plus se réduire au géniteur et à la génitrice, c’est-à-dire que
l’émergence à la culture, et donc à l’humain, n’a pas de sexe, si bien que chaque
fois que je parlerai de “père” ou de “paternité“, il s’agira tout autant de la
femme que de l’homme. » - (Lamotte, 2001, p. 32, c’est l’auteur qui souligne).
Toutefois, sur ce fonds commun d’un même principe de paternité, le père et la
mère se distingueront par le fait que ce principe s’opèrera en fonction d’une partition
sexuelle mâle/femelle néanmoins indéniable et active (c’est la part biologique de
« l’exercice de la parentalité » chez D. Houzel), et qu’il s’investira dans des rôles
socialement distingués selon ce que les normes sociétales ambiantes définiront et
distribueront comme services « masculins » et services « féminins » (la « pratique de la
parentalité » selon D. Houzel). Pour autant, et en tant que principe d’acculturation de la
génitalité en général, la paternité, répétons-le, n’est ni masculine ni féminine ; elle n’est
pas non plus réductible aux types de services (rôles) par lesquels elle se manifeste et se
distribue, de façon variable, selon tel ou tel contexte sociétal particulier.
b) Par ailleurs, on l’aura compris, le principe de paternité tel que le définit la
TDM va bien au-delà de la simple « parentalité ». Il rend compte, plus globalement, de
l’une des dimensions fondamentales de notre socialité (la Personne), à savoir notre
capacité de faire de la parité et de l’alliance (l’autre comme pair par acculturation de la
partition sexuelle) mais aussi du service rendu à un autre ou métier (par acculturation de
la reproduction).6 Le prototype de ce service rendu est l’enfant, c’est-à-dire, à la
différence de l’animal, non plus un petit procréé et objet d’un élevage (ce qu’on appelle
la puériculture), mais un être humain à éduquer. L’élevage n’est pas l’éducation, et ceci
en fonction d’un sentiment d’obligation, de dette qu’on appelle couramment « devoir ».
« Voilà qui explique que, par le métier, c’est-à-dire par ce service que la
personne est apte à rendre à la Cité, chacun puisse se sentir investi d’une sorte
de mission ou de responsabilité sociale qui définit ce que l’on appelle le
“devoir”, concept dont il faut, en conséquence, dissiper l’ambiguïté. Ce qui
nous fourvoie complètement, ici, c’est le télescopage que nous opérons, spontanément et presque constamment, entre la moralité et la société: nous faisons du
devoir une notion morale, alors qu’il s’agit d’un concept purement sociologique.
Certes, il peut se faire que la morale s’en mêle, mais si nous voulons y voir clair,
il nous faut absolument dissocier les plans, en rapprochant ce concept de devoir
de la notion de “dette” – mot qui procède exactement de la même racine –, qui
6
- « … dans le munus, nous situons cette capacité qu’a l’homme de pousser l’abstraction de l’élevage
jusqu’à l’échange des services les plus abstraits, sans nécessaire ré-munération [= contrepartie du
“munus”, du service rendu]. C’est la paternité : non pas l’état de pair, mais le ministère. Le ministerium
désigne [en latin] le fait de rendre service (minus/minor, “plus petit”/celui qui rend service). […] Ainsi,
d’un côté [du côté du nexus], l’état, et de l’autre, le ministère. » - (Gagnepain, op. cit., p. 132)
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 11
est une manière de concevoir une obligation sans rien qui nous y oblige.
Pourquoi, alors, assumer cette obligation ? Tout simplement parce que l’homme
n’est pas un animal. Autrement dit, et en parodiant le dicton, “personne oblige”,
ce qui signifie que la seule raison de cette obligation est dans la personne qui,
en tant qu’elle résulte de l’acculturation de notre génitalité, nous fait accéder à
la paternité – et c’est ce qui définit, indépendamment de toute considération
éthique, notre aliénation fondamentale. Mais si cette aliénation est, précisément,
fondamentale – c’est-à-dire constitutive de notre humanité –, on ne saurait,
comme font certains, envisager le devoir par rapport à celui à qui l’on doit,
c’est-à-dire le créancier : cela supposerait en effet que le créancier (ou autrui)
précède l’obligation que l’on a à son égard, exactement comme on s’imagine
que l’autre préexiste à l’alliance que l’on instaure avec lui. Il faut concevoir que
de même que c’est l’alliance qui fait le partenaire, de même c’est la dette qui
fait le créancier, et non l’inverse ; autrement dit, c’est parce que nous vivons la
paternité comme devoir social que nous assumons une dette dont nous essayons
en permanence de nous acquitter en nous donnant, nous-mêmes à nous-mêmes,
des créanciers, ce que nous faisons, notamment, en fabriquant des enfants. […]
En somme, nous sommes ici à la source même de tous nos systèmes sociopolitiques en tant qu’ils sont, d’une part, de l’appartenance contractuellement
partagée (ou identité), et, d’autre part, du service contractuellement consenti
(ou responsabilité). » - (ibid., p. 33-34, c’est l’auteur qui souligne)
On retrouve ici une idée qu’a également développée le philosophe Hans Jonas
dans son ouvrage Le principe responsabilité : Une éthique pour la civilisation
technologique (1992). Pour cet auteur, la responsabilité parentale constitue
« l’archétype intemporel de toute responsabilité ».
« La responsabilité des parents à l’égard de leurs enfants a un caractère absolu
qui la distingue des autres situations de responsabilité : elle concerne la totalité
de l’enfant et de son avenir, elle s’exerce sans relâche. Elle nous prend en otage,
littéralement. Du fait de l’état de dépendance et de vulnérabilité totales qui
caractérise l’enfant, le parent est « irréfutablement » responsable de lui. « Je dis
“irréfutable” et non pas “irrésistible”, car naturellement il est possible de résister
à la force de ce “on doit” comme à n’importe quel autre, on peut faire la sourde
oreille à son appel [...] ou il peut être étouffé par d’autres “appels”, comme par
exemple l’abandon légal des enfants, le sacrifice du premier-né et des choses de
ce genre [...], mais tout cela ne change rien au caractère irréfutable de cette
injonction ni à son évidence immédiate. » (Jonas, op. cit., p. 180-181). La prise
en charge de l’enfant par les parents est le devoir humain le plus fondamental,
car elle contient en germe toutes les autres formes de responsabilité. Elle nous
habitue à répondre avec empathie à la vulnérabilité et à la fragilité humaines.
Elle nous apprend à nous faire du souci pour autrui, à nous sentir personnellement interpellé par la précarité de sa situation. Elle suscite de la sollicitude
et de la crainte : “Que lui arrivera-t-il, si moi je ne m’occupe pas de lui ?”
[Jonas, op. cit., p. 301]. » - (M. Métayer, La philosophie éthique. Enjeux et
débats actuels, Saint-Laurent, Québec, ERPI, p. 198)
c) En résumé :
« Ce que l’homme a inventé, c’est celui avec qui on peut nouer des nœuds
sociaux – c’est le pair –, en même temps que celui grâce auquel on peut rendre
des services au groupe – c’est le père, c’est-à-dire le parent, qu’il soit père ou
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 12
mère. L’invention de la personne, c’est le pair et le père. La personne, au-delà
de la sexualité et de la génitalité, consiste à avoir élaboré les deux. C’est la
vieille conception ethnologique de la famille : du parage et du lignage. Et les
concepts analytiques d’inceste et de castration parlent de cette même chose,
mais il ne faut pas les séparer. […] Il s’agit au contraire des deux faces de la
même analyse. […] Aucune des deux n’est anticipable par l’autre. Les deux
sont définitoires et du sujet [naturel] et de la personne [culturelle] – dans la
mesure où elles s’acculturent par l’inceste (nexus) et la castration (munus). » (Gagnepain, op. cit., p. 131-132)
L’intérêt de ce détour par la Théorie de la Médiation est, premièrement, d’y
retrouver en grande partie les apports de l’anthropologie sociale structuraliste (voir
supra, point I.2), reconnus et en partie repris chez D. Houzel dans ce qu’il appelle
« l’exercice de la parentalité », bien que plus largement définis et inscrits par la TDM
dans une conception de la Personne comme être culturel d’alliance et de métier.
La TDM, deuxièmement, nous invite à distinguer la rationalité sociologique qui
nous rend capable de pair et de père, du désir qui peut l’investir et qui relève, selon cette
théorie, d’une rationalité axiologique et non sociologique (cf. par exemple le distinguo
argumenté entre principe d’inceste et prohibition de l’inceste). C’est en partie la même
distinction que Didier Houzel propose lorsqu’il dégage le plan de « l’expérience de la
parentalité » et qu’il fait du désir d’enfant l’une des dimensions principales de celle-ci.
Enfin, et troisièmement, bien que la TDM différencie nettement la Personne en
deux « faces », alliance et paternité, ou nexus et munus, elle laisse apercevoir qu’il peut
exister des rapports de l’une à l’autre. Ou, comme le diraient les psychologues, entre
conjugalité (ou fraternité) et parentalité (ou filiation).
La rivalité jalouse par exemple peut déterminer, chez un père ou une mère, d’une
part une conjugalité tyrannique entre eux et d’autre part une éducation des enfants
possessive ou surprotectrice. Par ailleurs, et dans la même logique, on peut observer
chez une même personne des analogies de mode d’alliance, par exemple dans le lien
conjugal et dans le lien de partenariat socioprofessionnel. Dans le cas de la rivalité
jalouse, cela se traduira éventuellement par une simultanéité ou une alternance entre
surveillance aliénante ou crise chronique de confiance dans la vie conjugale (alliance
conjugale) et méfiance défensive, protectionniste dans le domaine du travail (alliance
partenariale).
II. DEVENIR ET ÊTRE PARENT
Analyse critique de quelques conceptions psychologiques
contemporaines
Le désir d’enfant et la fonction paternelle sont deux des questions classiques de
l’approche psychanalytique de l’expérience de la parentalité. Nous y consacrerons plus loin un
développement spécial (voir chap. III).
Auparavant, nous envisagerons quelques-uns des autres thèmes développés par les
travaux contemporains.
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 13
1. Processus de parentification
Il s’agit des processus psychiques qui se déroulent chez un individu qui devient père ou
mère. La notion de parentification entendue en ce sens, rejoint donc la notion de maternalité qui
pour Racamier désignait les transformations de la personnalité et du fonctionnement psychique
d’une femme pendant la grossesse et durant les premiers mois de la vie de son enfant. Pour
Racamier, ces transformations pouvaient s’interpréter comme une crise d’identité, comparable à
celle de l’adolescent.
D’autres auteurs avant Racamier avaient étudié la psychologie de la grossesse ou des
premiers soins maternels. Helen Deutsch par exemple a considéré que la mère, durant la
grossesse, investit l’enfant comme un objet faisant partie à la fois de son moi et du monde
extérieur, et qu’elle répète envers cet objet extérieur les relations objectales positives et
négatives avec sa propre mère (Deutsch, 1945). Winnicott, de son côté, a développé la notion de
préoccupation maternelle primaire, pour désigner un état psychique qui se développe durant la
grossesse et se poursuit pendant plusieurs semaines après la naissance de l’enfant, et qui est
ensuite refoulé (Winnicott, 1956). Il s’agirait d’un mode de fonctionnement psychique, caractérisé par un repli narcissique, et nécessaire à la mère pour accueillir psychiquement le bébé et
permettre un accordage optimal entre le nourrisson et les soins maternels.
« Cet état organisé (qui serait une maladie, n’était la grossesse) pourrait être comparé
à un état de repli, ou à un état de dissociation, ou à une fugue, ou même encore à un
trouble plus profond, tel qu’un épisode schizoïde au cours duquel un des aspects de la
personnalité prend temporairement le dessus. » (Winnicott, 1956, trad. fr., p. 170)
Parmi les auteurs actuels, Monique Bydlowski (1978, 1991) a parlé de transparence
psychique de la grossesse. « ... en cas de grossesse, tout se passe comme si la femme était a
priori dans une situation d’appel à un “référent” extérieur à sa famille, comme à l’adolescence.
En outre, pour ces femmes, la corrélation entre la situation actuelle, la grossesse, et les
souvenirs infantiles paraît aller de soi, sans résistance. Il n’est pas rare de rencontrer des
femmes qui sont dans une sorte d’état de transe remémorative faisant penser à un créateur à
l’œuvre. » (Bydlowski, 1995, p. 185). Selon l’auteur (qui parle aussi d’état de grâce de la
grossesse), cet état psychique débuterait dès les premières semaines de la grossesse et se
caractériserait par une « grande perméabilité aux représentations inconscientes, par une
certaine levée du refoulement en ce moment précis de la vie » (ibid.).
Remarquons, chez ces divers auteurs, la comparaison de la disposition maternelle durant
la grossesse ou dans les semaines qui suivent la naissance, à un état de crise (dont l’exemple
cité est l’adolescence) et/ou à un état psychotique.
Le processus de parentification chez les pères (ou paternalité) a été beaucoup moins
étudié, bien que la clinique montre, par de nombreux signes, qu’il s’agit pour les pères aussi
d’une crise d’identité intense (Ebtinger, 1978 ; Guyotat, 1980 ; This, 1980 ; Delaisi de Parseval,
1981). On fait peu de cas, par exemple, des nombreuses situations de pères qui présentent,
dans les semaines qui suivent la naissance de l’enfant, des signes cliniques proches de ceux
de la préoccupation maternelle. On peut supposer que ce moindre développement des études
sur ce sujet est lié à des tabous socioculturels sur ces aspects de la psychologie masculine,
conjointement à une idéalisation de la maternité. D’autres facteurs sont peut-être en cause,
comme le suggère une réflexion récente de Didier Houzel à propos de la théorie de la
constellation de la maternité du psychanalyste américain Daniel Stern7. L’auteur français
7
- Daniel Stern appelle « constellation de la maternité » une organisation psychique spécifique qui se
développe chez la femme pendant la grossesse et qui peut durer de quelques mois à plusieurs années. Elle
se compose de tendances, fantasmes, sensibilités, peurs et désirs spécifiques. Stern y repère quatre thèmes
principaux : le thème de la croissance de la vie (la mère s’interroge sur sa capacité à maintenir la vie et la
croissance de son bébé), le thème de la communication primaire (pourra-t-elle entrer dans une communication émotionnelle authentique avec le bébé ?), le thème de la matrice de soutien (saura-t-elle créer
le système de soutiens nécessaires pour assumer ces fonctions ?), et le thème de la réorganisation de
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 14
considère en effet que, dans la constellation de la maternité (ou constellation maternelle), les
aspects paternels sont bien présents, mais dans une position particulière :
« L’intégration harmonieuse, dans chacun des deux parents mais aussi dans le
fonctionnement du couple parental, des deux pôles maternel et paternel du psychisme
humain joue sans doute un rôle fondamental dès le début de l’existence extra-utérine de
l’enfant. Elle connaît de profonds remaniements au fur et à mesure que l’enfant se
développe et que son processus d’individuation progresse, mais elle est présente dès le
début. Sous cet angle, je pense que la constellation de la maternité, décrite par Daniel
Stern, est à comprendre comme une configuration particulière de cet équilibre des rôles
parentaux, dans laquelle les aspects paternels ne sont pas absents, mais plutôt tamisés
par les aspects maternels, auxquels en retour ils servent d’appui. Dans la constellation
œdipienne qui remplace peu à peu la constellation de la maternité, la relation de
l’enfant à chacun des deux parents est plus directe, mais chacun des deux parents doit
médiatiser la relation de l’enfant à l’autre parent. Sans cette médiatisation des objets
parentaux l’un par l’autre, les relations pulsionnelles, fantasmatiques et affectives qui
se développent entre l’enfant et eux seraient trop violentes et destructrices. » (Houzel,
1997, p. 179)
Remarquons ici une proximité de pensée avec la position de Winnicott, qui considérait
que, durant les derniers mois de la grossesse, un changement psychique se produit chez le père,
parallèlement à la préoccupation maternelle primaire, et qui amène le père à devenir « l’agent
protecteur qui libère la mère pour que celle-ci se consacre à son bébé » (Winnicott, 1950,
p. 282). Plus tard, lorsque l’enfant émergera du stade de la dépendance absolue pour passer à
une dépendance « simple », le père deviendra important pour l’enfant en tant que personne et
comme figure familière mais différente de la mère à partir de laquelle l’enfant s’est d’abord
développé (voir : Davis, Wallbridge, 1992, p. 125-127).
On pourrait ainsi interpréter la méconnaissance fréquente des processus psychiques
propres au père à la fin de la grossesse et dans les premiers temps de la vie de l’enfant, comme
étant un effet de la corrélation étroite, supposée par Winnicott et Houzel, entre la disposition
maternelle et la disposition paternelle, celle-ci étant en quelque sorte subsumée par la première.
2. Soins parentaux
Les soins maternels, et plus largement les soins parentaux, sont un autre thème de
l’étude de la parentalité, étant entendu qu’il s’agit non seulement des soins physiques, mais
aussi et surtout des soins psychiques. Les études sur les carences affectives précoces (A. Freud,
Spitz, Winnicott), et plus récemment la découverte des « compétences » du nouveau-né
(Brazelton, Bruner), ont largement contribué à imposer l’idée que le petit enfant n’est nullement
passif et que, bien que vulnérable, il est aussi partenaire des soins qui lui sont apportés. D’où
l’intérêt d’étudier les relations du bébé avec son environnement, selon la conception aujourd’hui
dominante d’une interaction parent-enfant (modèle de la spirale transactionnelle ou
interactionnelle) (Stoleru, Lebovici, 1995).
L’interaction parent-nourrisson se fait par le biais de certains canaux (ou modalités) de
communication, dont le regard, la voix et la parole, et le contact physique. Ces divers canaux
opèrent, de plus, de façon intriquée, lors des contacts et actions associant le nourrisson et son
environnement maternant.
On a longtemps insisté sur la relation mère-enfant. Plus récemment se sont développées
des conceptions incluant aussi le père, ou plutôt considérant que l’unité familiale de base est en
l’identité (sera-t-elle capable de transformer son identité pour faciliter ces fonctions ?). Pour D. Stern, les
facteurs socioculturels jouent un rôle important dans la « constellation de la maternité » à travers les
idéaux et les contraintes qu’ils imposent à la mère. Enfin, cet auteur considère que la « constellation de la
maternité » se substitue à l’organisation œdipienne, et qu’elle n’en découle pas (Stern, 1995 ; Houzel,
1997).
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 15
fait la triade père-mère-nourrisson (Fivaz, 1989). Celle-ci constituerait un système co-évolutif
dans lequel se développe « l’autonomie » de tous les membres de la famille (celle de l’enfant
dépend, bien entendu, de son niveau de développement).
Plusieurs travaux ont montré, d’autre part, que les interactions père-nourrisson sont en
grande partie semblables aux interactions mère-nourrisson, avec toutefois un caractère plus
« physique », plus stimulant que dans les interactions mère-nourrisson. D’autres aspects ont été
soulignés :
-
rôle de distinction de la mère par l’enfant, que permet le père par sa différence
(Winnicott, Kestemberg) ;
-
rôle de sublimation de l’agressivité à travers des jeux physiques (Herzog) ;
-
rôle de facilitation des contacts avec les personnes étrangères à la famille (Le
Camus, Labrell, Zaouche-Gaudron, 1996).
Certains auteurs ont tenté d’intégrer les données dégagées de l’observation des
interactions mère-nourrisson et les conceptions psychanalytiques, notamment par la notion
d’interaction fantasmatique (Lebovici, Soulé, 1970 ; Lebovici, Stoleru, 1983).
Plus précisément, Marie Lamour et Serge Lebovici (1991) ont distingué trois niveaux
d’interactions parents-enfant :
 les interactions comportementales : ce sont celles des échanges corporels (portage de
l’enfant, ajustement postural, dialogue tonique) et sensoriels (contact œil à œil, rôle de miroir de
la mère, cris, langage d’adresse de la mère au bébé, dialogue préverbal) ;
 les interactions affectives et émotionnelles : moins directement observables que les
précédentes, elles concernent les processus d’échange par lesquels l’enfant va pouvoir
interpréter la signification de ses expériences psychiques à partir des réponses de la mère et
accéder ainsi à l’intersubjectivité, donc à la subjectivité. Selon Daniel Stern, il s’agit surtout
d’un processus d’accordage affectif : « la mère commente, le plus souvent sans s’en rendre
compte, un message émis par son bébé en lui répondant à l’aide d’une autre modalité
d’expression que celle utilisée par l’enfant, mais en en respectant l’intensité, la chronologie et
la forme (par exemple elle émet un son pour accompagner une expression motrice de l’enfant) ;
grâce à cet accordage transmodal le bébé peut comprendre que son message a été reçu
intérieurement par son partenaire maternel, ce qui lui permet à la fois de développer son
empathie et de découvrir l'autonomie de son psychisme et de celui d’autrui. Une véritable
communication affective s’établit entre mère et bébé par-delà cette altérité selon des contours
dynamiques que Stern appelle contours de vitalité, que l’enfant intériorise. » (Houzel, 1999, p.
159-160).
 les interactions fantasmatiques, enfin, qui renvoient à la relation psychique
inconsciente entre parents et enfant. On peut ainsi considérer que, dans les interactions mèreenfant, plusieurs « bébés » coexistent et interfèrent, et que ces interférences peuvent soit faciliter
soit entraver l’adéquation entre la mère et l’enfant :
- l’enfant imaginaire est l’enfant consciemment désiré, consciemment souhaité, voire
planifié. C’est celui du projet d’enfant, qui naît avec le désir de grossesse de la mère. C’est
l’enfant des rêveries (fantaisies) maternelles. « L’enfant imaginaire naît avec la période de
transparence psychique du premier trimestre de la grossesse. La jeune femme imagine alors un
enfant qu’elle donne à son conjoint ; elle espère un sexe ; elle a peur qu’il ne soit mal formé :
elle le voit à l’échographie et à notre époque connaît son sexe avant l’accouchement dans les
trois quarts des cas. Le choix du prénom, lorsqu’il n’est pas défini par le code culturel, conduit
à des discussions qui déjà engagent l’avenir de l’enfant : ce prénom sera celui d’un grand-père
adoré, d’un parent mort trop tôt, d’un amour secret, etc. » (Stoleru, Lebovici, 1995, p. 335). On
pourrait dire encore que l’enfant imaginaire est celui de la « constellation de la maternité »
décrite par D. Stern.
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 16
- l’enfant fantasmatique est l’enfant du désir (inconscient) de maternité ; « il est
directement issu des conflits libidinaux et narcissiques de la mère, c’est-à-dire qu’il est lié au
conflit œdipien maternel » (Marcelli, 1993, p. 43).
- l’enfant réel, enfin, est celui qui interagit matériellement, concrètement, selon son
équipement fonctionnel et ses compétences propres, avec la fantasmatique maternelle : « cette
résonance peut combler des désirs ou au contraire confirmer des craintes fantasmatiques et “ce
faisant” la mère donnera un sens précis aux conduites de son nourrisson, puis répondra à ces
conduites en fonction de ce sens supposé, réponses qui dans un second temps structurent ellesmêmes le comportement du bébé. C’est à travers ce “ce-faisant interactif” que s’organise la vie
fantasmatique de la mère et du bébé : les interactions précoces mobilisent les fantasmes
maternels qui eux-mêmes contribuent au développement épigénétique de la vie fantasmatique
du bébé » (ibid.).
La notion d’interaction fantasmatique est une contribution majeure à la compréhension
psychanalytique des relations mère-nourrisson et de leurs troubles éventuels, par exemple
lorsqu’elles se fondent sur un investissement partiel déréel ou narcissique de l’enfant
(dominance de l’enfant imaginaire), ou lorsque le nouveau-né est le support de fantasmes qui
concernent les grands-parents maternels (dominance de l’enfant fantasmatique).
Incorporation – Introjection – Identification
Incorporation. « Processus par lequel le sujet, sur un mode plus ou moins fantasmatique, fait
pénétrer et garde un objet à l’intérieur de son corps. L’incorporation constitue un but pulsionnel
et un mode de relation d’objet caractéristiques du stade oral ; dans un rapport privilégié avec
l’activité buccale et l’ingestion de nourriture, elle peut aussi être vécue en rapport avec d’autres
zones érogènes et d’autres fonctions. Elle constitue le prototype corporel de l’introjection et de
l’identification. » (p. 200)
Introjection. « Processus mis en évidence par l’investigation analytique : le sujet fait passer,
sur un mode fantasmatique, du "dehors" au "dedans" des objets et des qualités inhérentes à ces
objets. L’introjection est proche de l’incorporation qui constitue son prototype corporel mais
elle n’implique pas nécessairement une référence à la limite corporelle (introjection dans le moi,
dans l’idéal du moi, etc.). Elle est dans un rapport étroit avec l’identification. » (p. 209)
Identification. « Processus psychologique par lequel un sujet assimile un aspect, une propriété,
un attribut de l’autre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle de celui-ci. La
personnalité se constitue et se différencie par une série d’identifications. » (p. 187)
(Laplanche, Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, 5ème éd., Paris, PUF, 1976.)
3. Transmission psychique
Un autre thème enfin, assez récent, est celui de la transmission psychique, c’est-à-dire
l’étude des processus par lesquels se transmettent d’une génération à l’autre8 des souffrances
psychiques, des traumatismes, des conflits, des dysfonctionnements psychiques ou comportementaux. Ces recherches sont parties de questions cliniques particulières, notamment les
troubles psychosomatiques, les deuils pathologiques, et la répétition générationnelle de
conduites ou de situations traumatiques (agressions, ruptures familiales, violences).
8
- En sociologie, c’est la question de la reproduction sociale étudiée notamment par Pierre Bourdieu.
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 17
Notons que l’usage des termes intergénérationnel et transgénérationnel varie d’un
auteur à l’autre, ce qui ne facilite pas toujours la confrontation entre les divers travaux traitant
de ces questions.
On réserve parfois l’appellation de transmission intergénérationnelle pour désigner les
éléments utiles et même indispensables au développement psychique qu’une génération apporte
à une autre (dite « réceptrice »), et celle de transmission transgénérationnelle pour désigner au
contraire la transmission d’éléments assimilables de telle façon qu’ils constituent des enclaves
intrapsychiques pathogènes, sources de souffrances, de perturbations et de répétitions, tant
qu’ils n’ont pas fait l’objet d’une élaboration psychique et d’une prise de conscience (Granjon,
1989).
D’autres auteurs (par ex. : Tisseron, 1995) appellent « intergénérationnel » un phénomène qui concerne deux générations adjacentes (parents-enfant) et « transgénérationnel » un
phénomène qui implique plusieurs générations, sans que cela présume d’une qualité pathogène
chez l’un ou l’autre de ces deux types de transmission.
Une autre difficulté est dans la notion même de « transmission ». C’est en effet un terme qui
peut induire en erreur, dans la mesure où il peut laisser croire que la vie psychique se
« transmet » comme on transmet des biens. Or, la réalité psychique est autrement plus
complexe, car elle n’est jamais modelée de façon passive.
« Il n’y a jamais transmission ni réception passive d’un corps étranger venu d’une
génération antérieure. La vie psychique de tout nouvel arrivant au monde se construit
en effet en interrelation avec la vie psychique de ses proches, et c’est ainsi que,
marquée par celle de ses parents, elle l’est aussi, à travers eux, par celle de ses
ascendants. Cette dynamique relationnelle se réalise dans le quotidien de la vie
psychique du bébé, puis du jeune enfant, et pas seulement au moment œdipien, dans ce
qui serait une configuration particulière de ce “complexe”. Elle fait intervenir les
objets internes des objets d’élection du sujet. Ceux-ci contribuent ainsi indirectement à
la constitution des objets internes de l’enfant sans qu’il s’agisse à aucun moment de
“transmission” à proprement parler. La plupart de ces opérations psychiques sont
inconscientes. [...] Elles résultent du double mouvement des impressions des parents sur
les enfants et des expressions des enfants à l’adresse des parents. [...] Puis de
nombreux facteurs liés aux différentes étapes de la construction de sa vie psychique par
l’enfant viennent transformer ses propres objets internes et confirmer ou contrarier les
mécanismes psychiques déjà mis en place. L’environnement au sens large y intervient,
et pas seulement l’environnement familial. » - (Tisseron, 1995, p. 2)
Pour toutes ces raisons, il paraît préférable de parler d’influence psychique (Tisseron)
plutôt que de « transmission », la notion d’influence ayant l’intérêt de laisser une place à
l’interprétation du message qui lui est adressé ou de l’action exercée sur lui par le récepteur, et
donc de mieux rendre compte d’une interaction active complexe : « l’influence suppose une
confrontation entre le stimulus et le sujet et l’existence d’un contexte communicatif » (ibid.,
p. 3).
Enfin, dernière source de difficulté, la diversité des questionnements des auteurs.
Certains s’interrogent plutôt sur les composantes psychiques en jeu (en particulier narcissiques)
dans les phénomènes de transmission psychique ; d’autres s’intéressent aux processus par
lesquels un événement se trouverait privé d’ « inscription » ou de « représentation » psychique
d’une génération à une autre ; d’autres encore s’attachent à étudier les rapports entre les
différents niveaux de représentation (verbale, non verbale, affective, etc.) impliqués dans la
transmission psychique (Kaës & al., 1993 ; Tisseron & al., 1995 ; Eiguer & al., 1997).
Du point de vue des mécanismes supposés à l’œuvre dans la transmission psychique,
qu’elle soit inter- ou trans-générationnelle, plusieurs hypothèses et concepts ont été invoquées :
l’identification à l’agresseur (par ex. : Stoleru, 1989) et la répétition traumatique (par ex. :
Abraham & Törok, 1978). Rappelons également la théorie du Surmoi chez Freud (qui suppose
une introjection, par l’enfant, du Surmoi des parents), la théorie de l’identification (articulée à
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 18
l’incorporation et à l’introjection : voir encadré) ; ou encore le concept d’imprégnation proposé
par la théorie de la Médiation de Jean Gagnepain et repris par J.C. Quentel dans ses travaux sur
l’enfant et le parent (1993, 2001).

Parmi les divers thèmes ainsi inclus dans la notion de parentalité, nous développerons
plus particulièrement la question du désir d’enfant et celle de la fonction paternelle.
III. EXPÉRIENCE ET EXERCICE DE LA PARENTALITÉ
Perspectives psychanalytiques
1. Le désir d’enfant
Soulignons tout de suite qu’il s’agira bien ici de « désir d’enfant » et non de projet
d’enfant, les deux notions étant fréquemment confondues. Le désir d’enfant (notion d’inspiration psychanalytique) est inconscient et fait intimement partie de la construction subjective
de l’individu et du processus d’identification, lié en particulier au travail du complexe d’Œdipe ;
alors que le « projet d’enfant » est conscient et renvoie au « parcours de vie » d’un couple – en
ce sens, le projet d’enfant est davantage une construction psychosociologique.
Dans la perspective freudienne, le désir d’enfant trouve sa source d’une part dans le
narcissisme (choix d’objet narcissique), d’autre part dans la résolution du complexe d’Œdipe :
 investissement narcissique : « L’investissement narcissique, selon lui [Freud], correspond aux types de choix d’objet suivants : aimer ce que l’on est soi-même, ce que l’on a été soimême, ce que l’on voudrait être soi-même, la personne qui a été une partie du propre Soi (c’està-dire la personne qui a donné les soins). » (Houzel, 1999, p. 135). On se rappellera ici le texte
célèbre où Freud (1914) étudie la valorisation de l’enfant par ses parents, et où il suppose une
réédition de leur propre sentiment narcissique de toute-puissance.
« Le narcissisme primaire de l’enfant, dont nous avons supposé l’existence et qui
constitue l’une des présuppositions de nos théories sur la libido, est moins facile à
saisir par l’observation directe qu’à confirmer par un raisonnement récurrent à partir
d’un autre point. Si l’on considère l’attitude des parents tendres envers leurs enfants,
l’on est obligé d’y reconnaître la reviviscence et la reproduction de leur propre
narcissisme qu’ils ont depuis longtemps abandonné. Un bon indice que nous avons déjà
apprécié, dans le choix d’objet, comme stigmate narcissique, la surestimation, domine,
c’est bien connu, cette relation affective. Il existe ainsi une compulsion à attribuer à
l’enfant toutes les perfections, ce que ne permettrait pas la froide observation, et à
cacher et oublier tous ses défauts ; le déni de la sexualité infantile est bien en rapport
avec cette attitude. Mais il existe aussi devant l’enfant une tendance à suspendre toutes
les acquisitions culturelles dont on a extorqué la reconnaissance à son propre
narcissisme, et à renouveler à son sujet la revendication de privilèges depuis longtemps
abandonnés. L’enfant aura la vie meilleure que ses parents, il ne sera pas soumis aux
nécessités dont on a fait l’expérience qu’elles dominaient la vie. Maladie, mort,
renonciation de jouissance, restrictions à sa propre volonté ne vaudront pas pour
l’enfant, les lois de la nature comme celles de la société s’arrêteront devant lui, il sera
réellement à nouveau le centre et le cœur de la création. His Majesty the Baby, comme
on s’imaginait être jadis. Il accomplira les rêves de désir que les parents n’ont pas mis
à exécution, il sera un grand homme, un héros, à la place du père ; elle épousera un
prince, dédommagement tardif pour la mère. Le point le plus épineux du système
narcissique, cette immortalité du moi que la réalité bat en brèche, a retrouvé un lieu sûr
en se réfugiant chez l’enfant. L’amour des parents, si touchant et, au fond, si enfantin,
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 19
n’est rien d’autre que leur narcissisme qui vient de renaître et qui, malgré sa
métamorphose en amour d’objet, manifeste à ne pas s’y tromper son ancienne nature. »
(S. Freud, Pour introduire le narcissisme, 1914, trad. fr., p. 96)
 résolution du complexe d’Œdipe : le désir d’enfant est ici supposé être en lien avec le
procès de sexuation que constitue le complexe d’Œdipe et avec le renoncement aux désirs
incestueux par lequel le garçon ou la fille en vient à orienter son désir d’enfant vers un
partenaire autre que le parent objet de ces désirs incestueux.
1.1. Féminin
Pour Freud la notion centrale dans sa conception de la sexualité féminine est l’envie du
pénis9, moment originel dans le désir œdipien de recevoir en soi le pénis du père et, au-delà, un
enfant de celui-ci (Freud, 1925).
Ce fantasme incestueux est en fait le produit complexe d’une double destinée. A l’envie
du pénis, s’ajouterait une autre représentation, plus primitive : celle de « l’enfant-fèces » (enfant
interne, à l’image d’une corporéité anale), avatar des théories sexuelles infantiles (Freud, 1908).
L’enfant-fèces (ou fécal) constituerait l’élément prototypique de l’enfant-cadeau qu’on « fait »
et qu’on « donne », et se retrouverait comme fantasme de base aussi bien chez la femme que
chez l’homme (c’est d’ailleurs lors de l’analyse du « petit Hans », publiée en 1909, que Freud
repère le thème de l’enfant-fèces).
Le désir d’enfant chez l’homme trouverait là l’une de ses sources, ce qui rendrait
compte de certaines des défenses de l’homme contre les activités « maternantes », dans le
sillage du refoulement des pulsions anales et des tendances homosexuelles que ce fantasme
évoque.
D’autres psychanalystes après Freud ont également mis en valeur, chez la femme, le
rôle de l’identification à la mère. Pour Ruth Mack Brunswick (1940) par exemple, le désir
d’avoir un enfant serait antérieur à l’envie du pénis ; il procéderait d’une identification précoce
à la mère (être une mère, c’est avoir un enfant), qui s’associerait secondairement au registre anal
pour prendre la valeur de don et de cadeau : d’abord passivement reçu de la mère, puis
activement donnée à celle-ci, avant une orientation de ce fantasme en direction du père au
moment de l’Œdipe.
Ces vues ne sont pas très éloignées de celles de Melanie Klein (1928). Pour celle-ci, le
désir d’enfant, découle, dans les deux sexes, de l’Œdipe précoce, qu’elle fait commencer dans le
second semestre de la vie de l’enfant, c’est-à-dire dans une période du développement
psychique où l’objet maternel commence à être différencié, mais où domine encore la
destructivité des pulsions infantiles archaïques (position dépressive). L’objet désiré, la mère, est
en même temps menacé de destruction par la violence de ces pulsions. Pour échapper à
l’angoisse et à la culpabilité qui s’ensuivent, l’enfant doit mettre en place une activité
fantasmatique réparatrice. D’après M. Klein, c’est cette activité de réparation qui introduit dans
le monde fantasmatique et libidinal de l’enfant, l’objet paternel, chargé à la fois de protéger la
mère de la destructivité des pulsions de l’enfant et de restaurer ses qualités et sa fécondité, en
particulier sa capacité à enfanter. D’où un fantasme d’union des deux parents, que M. Klein
appelle le fantasme de la bonne scène primitive, et qui n’est donc pas ressenti de façon
seulement négative comme chassant l’enfant de l’intimité maternelle ou le privant de son
pouvoir sur elle, mais aussi de façon positive comme réparant l’objet endommagé et préservant
le bon lien avec lui.
9
- « Elément fondamental de la sexualité féminine et ressort de sa dialectique. L’envie du pénis naît de la
découverte de la différence anatomique des sexes : la petite fille se sent lésée par rapport au garçon et
désire posséder comme lui un pénis (complexe de castration) ; puis cette envie du pénis prend dans le
cours de l’Œdipe deux formes dérivées : envie d’acquérir un pénis au-dedans de soi (principalement sous
la forme du désir d’avoir un enfant) ; envie de jouir du pénis dans le coït. L’envie du pénis peut aboutir à
de nombreuses formes pathologiques ou sublimées. » – (Laplanche, Pontalis, 1976, p. 136).
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 20
« Dans ce fantasme de bonne scène primitive, chacun des parents répare l’autre et
préserve pour l’enfant la qualité des liens qu’il a établis avec eux. Dans une perspective
dynamique, on peut ajouter que chaque objet parental médiatise la relation de l’enfant
à l’autre objet parental. Il faut une médiation paternelle pour que la relation à la mère
demeure favorable, c’est-à-dire qu’elle ne soit ni dangereuse fantasmatiquement pour
l’enfant, ni détruite par la violence de ses pulsions. De même, il faut une médiation
maternelle pour maintenir la bonne relation de l’enfant à son objet paternel. C’est
l’identification de l’enfant à ses bons objets parentaux, unis dans une relation d’amour
et de fécondité, qui fonde pour Melanie Klein le désir d’enfant dans l’un et l’autre
sexe. » (Houzel, 1997, p. 173)
Dans la perspective kleinienne, la féminité est la résultante d’un mouvement
d’identification à la mère (notamment en s’appropriant par introjection l’intérieur du corps
maternel) et qui se tourne vers le père pour incorporer-recevoir le pénis du père. Incorporer le
pénis est donc étroitement lié à introjecter le contenu maternel, le désir d’enfant se rapportant au
fantasme d’un objet maternel interne qu’il s’agit, pour la fille, de s’approprier.
Notons, enfin, que la clinique montre toute la complexité et la variabilité du « désir
d’enfant ». Certains cliniciens ont ainsi tenté d’en différencier les formes manifestes, sous les
noms de « désir de procréation » (être fécondée, être engrossée), de « désir de grossesse »
(porter un enfant, être enceinte), de « désir d’enfantement » (accoucher, faire un enfant, avoir un
enfant, « mettre au monde ») – selon les objets et les modes d’investissement par lesquels
s’exprime le « désir d’enfant ».
D’un point de vue plus métapsychologique, on peut aussi situer le désir d’enfant dans
un registre narcissique (sur le mode de la relation spéculaire), ou dans un registre de libido
d’objet ; le désir d’enfant peut être aussi héritier de l’objet interne (s’emparer de l’intérieur
maternel), ou celui de l’envie du pénis (l’envie du pénis, pour Melanie Klein, marquant un
échec de la féminité).
1.2. Masculin
Pour l’homme, on a beaucoup plus développé l’étude de son accès à la paternité que la
question de son désir d’enfant.
On a ainsi insisté sur divers aspects :
-
l’identification narcissique du père à l’unité mère-et-enfant et/ou à une capacité
phallique à engendrer (Aubert-Godard, 1996) ;
-
l’envie et la jalousie paternelles, qui trouvent leur source dans la rivalité œdipienne
mais aussi dans la jalousie originaire, celle qui vise ce qui fait vivre l’autre en
dehors de moi (Mounier, 1992) ;
-
le processus d’endettement qui lie à son père le fils devenu père (« Tant qu’il n’est
pas père, un homme est un fils, démuni et en dette devant son père, quelque exploit
qu’il accomplisse par ailleurs. » – Aubert-Godard, 1996, p. 141) ;
-
le processus de « paternalisation » par lequel un enfant fait d’un homme un père
(« la filiation va de l’enfant au père qui est paternalisé en retour » – Lebovici,
1994, p. VII).
Mais qu’en est-il du désir d’enfant au masculin ?
Chez l’homme comme chez la femme, le désir d’enfant trouve l’une de ses sources
majeures dans le complexe d’Œdipe, c’est-à-dire dans l’attachement tendre du garçon à sa mère
et dans l’issue de cet attachement, sous l’effet du complexe de castration, par un renoncement à
la mère et un déplacement du choix d’objet sur d’autres femmes. L’expérience clinique des
névroses a permis à Freud d’explorer certains aspects de cette destinée œdipienne du désir
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 21
d’enfant chez le garçon, par exemple dans le fantasme névrotique de sauver la mère ou le père
d’un danger (Freud, 1910).
Dans ce fantasme, la gratitude envers la mère vient justifier le désir incestueux de lui
donner un enfant en retour, à l’image de soi-même, et de devenir ainsi son propre père. De
même, la gratitude justifie, dans le fantasme de sauvetage du père, le désir agressif d’être
« quitte » à l’égard de celui-ci, ou bien celui plus tendre d’avoir le père comme fils et d’inverser
ainsi les positions filiales. Dans une telle configuration fantasmatique, faire un enfant à une
femme, c’est la rendre mère, c’est la rendre (la restituer) comme mère, mais dans le même
temps c’est la faire sa propre mère à soi.
Ces aperçus cliniques nous font ainsi apparaître quelques-uns des avatars fantasmatiques (fixés et prédominants chez les sujets névrotiques) du « désir d’enfant » chez l’homme et,
au-delà, du devenir-père.
Mais pour le garçon, le complexe d’Œdipe introduit aussi la question de l’homosexualité père-fils, avec comme corollaire le fantasme, pour le fils, d’être « enceint » des œuvres
du père.
Freud a en effet précisé (en 1923) que le complexe d’Œdipe, sous sa forme complète,
est double : forme « à la fois positive et négative, en rapport avec la bissexualité originelle de
l’enfant : nous voulons dire par là que le petit garçon n’observe pas seulement une attitude
ambivalente à l’égard du père et une attitude de tendresse libidinale à l’égard de la mère, mais
qu’il se comporte en même temps comme une petite fille, en observant une attitude toute de
tendresse féminine à l’égard du père et une attitude correspondante d’hostilité jalouse à l’égard
de la mère » (Freud, 1923, trad. fr., p. 202).
Il existe ainsi une double identification du garçon au père : l’une secondaire, qui
l’amène à imiter son père, et le désir d’enfant procède alors de la face positive du complexe
d’Œdipe : avoir un enfant, c’est devenir comme le père ; l’autre primaire, qui procède de la face
négative du même complexe d’Œdipe : avoir un enfant, c’est avoir un enfant du père.
Selon d’autres auteurs, ces deux aspects du complexe d’Œdipe ne se résoudraient pas en
même temps. La face positive, c’est-à-dire celle de la rivalité avec le père, se résoudrait juste
avant l’entrée dans la phase de latence (vers l’âge de 5-6 ans) ; tandis que la face négative, celle
de la position féminine à l’égard du père, trouverait sa résolution plus tardivement, à la fin de
l’adolescence, au moment de l’entrée dans l’âge adulte, et en particulier au moment de la
grossesse qui rend le garçon-fils pour la première fois père. C’est ce qui expliquerait les
passages à l’acte homosexuels ou les somatisations sous-tendues par le fantasme d’être enceint
des œuvres du père, observables chez bon nombre d’hommes dans ce moment d’accès au statut
de père (Guyotat, 1980 ; Teboul, 1994). La réactivation de cette face négative du complexe
d’Œdipe contribue à l’actualisation (reviviscence et réaménagement) de l’homosexualité pèrefils et à sa possible résolution.
2. La fonction paternelle
« Le père est celui qui est en charge
d’instituer la limite à l’endroit de chaque enfant. »
P. Legendre, 1989
2.1. Le concept de Nom-du-Père
L’une des contributions majeures de la psychanalyse structuraliste de Jacques Lacan est
d’avoir reformulé la théorie freudienne du complexe d’Œdipe et d’y avoir expliqué la fonction
du père comme porteur de la Loi. Cette conception a notamment l’intérêt de distinguer la
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 22
fonction paternelle du rôle paternel10, et d’avoir centré les enjeux psychiques du complexe
d’Œdipe, non plus autour d’un père réel ou imaginaire (comme pouvait le laisser croire la
version « familiale » freudienne ou la construction mythique de Totem et tabou), mais autour du
père symbolique et de ce que le psychanalyste Pierre Legendre (1985) appellera « l’Office du
père ».
L’essentiel de la thèse lacanienne a été vulgarisé par de nombreux psychanalystes,
psychologues et spécialistes de l’éducation, qui n’en ont généralement retenu que deux aspects :
a) c’est de la mère que dépend l’accès de l’enfant à l’ordre symbolique et à la
structuration œdipienne, et cette ouverture consiste essentiellement en une « parole » qui
signifie son désir pour un homme et donc une instance tierce introduisant une séparation entre
l’enfant et elle. Faute de quoi, il y a forclusion, ou au moins : négation du « Nom-du-Père » (le
père symbolique) et maintien de l’enfant dans une dépendance imaginaire aliénante au désir de
la mère.
b) la référence au père symbolique n’est pas à identifier à une présence-absence
concrète, physique d’un homme socialement désigné comme père, mais bien au discours de la
mère quant à une référence à « du » père.
Ces deux points résument en effet assez bien la théorie lacanienne, mais au prix
toutefois de quelques raccourcis, qu’il convient de rectifier pour mieux comprendre ce que
Lacan entend par « père réel », comment le père réel s’articule avec la fonction paternelle, et la
définition de la mère qui s’ensuit.
Pour ce faire, rappelons succinctement ce que Lacan entend par Symbolique.
S’appuyant sur les thèses structuralistes de Ferdinand de Saussure en linguistique et de
Claude Lévi-Strauss en anthropologie sociale, Lacan reprend l’idée d’un ordre culturel
structurant fondamentalement l’humain.
« Toute culture peut être considérée comme un ensemble de systèmes symboliques au
premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports
économiques, l’art, la science, la religion. » (C. Lévi-Strauss, 1950)
Lacan transpose et spécifie la notion d’ordre symbolique en psychanalyse, pour élaborer
une conception de l’inconscient qui, en rupture avec une réduction de celui-ci à de l’instinctuel
et de l’affectif, va faire de l’inconscient cela même qui structure l’ordre humain, échappant
radicalement au sujet mais néanmoins fondateur de celui-ci : « Cette extériorité du symbolique
par rapport à l’homme est la notion même de l’inconscient » - (Lacan, Ecrits, 1966, p. 469).
Le concept de Symbolique chez Lacan renvoie principalement à deux idées majeures :
 La première est la définition de l’inconscient comme étant une structure, c’est-à-dire
un ensemble d’éléments interdépendants, et dont on peut comprendre l’organisation et les
propriétés à l’instar du langage, également compris comme fait de structure symbolique (d’où la
formule : « L’inconscient est structuré comme un langage »... ce qui ne signifie pas pour autant
que l’inconscient ne soit que du langage !).
« [La constellation symbolique qui gîte dans l’inconscient du sujet], il faut toujours la
concevoir comme structurée, et selon un ordre qui est complexe. [...] Quand nous allons
à la découverte de l’inconscient, ce que nous rencontrons ce sont des situations
structurées, organisées, complexes. » - (Lacan, Séminaire I [1953-54], 1975, p. 79)
 La seconde idée est la relation étroite entre l’inconscient et ce qui globalement fonde
l’ordre symbolique en tant qu’instance ou loi organisatrice et que Lacan nomme le Nom-du-
10
- « Nous pouvons définir le rôle du père comme la manière qu’a chaque homme d’être père à l’égard
de son enfant. La fonction paternelle par contre est liée à la position psychique du père et à sa reconnaissance par la mère. » (Fredefon, 1996, p. 107).
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 23
Père (c’est-à-dire la fonction paternelle ou Père symbolique, non réductible au père réel et
imaginaire, et liant le sujet à la Loi).
« Le sujet se pose comme opérant, comme humain, comme Je, à partir du moment où
apparaît le système symbolique. » - (Lacan, Séminaire II [1954-55], 1978, p. 68)
Cette conception permet de comprendre l’idée, sur laquelle insistera notamment Maud
Mannoni, que l’ordre symbolique préexiste au sujet et le détermine fondamentalement :
« Les symboles enveloppent en effet la vie de l’homme d’un réseau si total qu’ils
conjoignent avant qu’il vienne au monde ceux qui vont l’engendrer “par l’os et par la
chair”, qu’ils apportent à sa naissance avec les dons des astres, sinon avec les dons des
fées, le dessin de sa destinée, qu’ils donnent les mots qui le feront fidèle ou renégat... » (Lacan, Ecrits, p. 279)
« L’homme parle donc, mais c’est parce que le symbole l’a fait homme. » (ibid., p. 276)
« La position du désir n’est en fait pas choisie, le sujet est victime du signifiant. » (M. Mannoni, Education impossible, 1973)
Du Symbolique, Lacan dit encore qu’il est ce qui ordonne et positionne l’Imaginaire et
le Réel.
S’appuyant sur la fameuse étude de Henri Wallon sur le « stade du miroir » chez
l’enfant (1929-1931), Lacan en fait le moment-clé d’une construction du moi basée sur une
identification à la fois structurante et illusoire. Le moi, dans le modèle lacanien, ne peut même
être que la résultante des identifications imaginaires - celles-ci étant également à l’œuvre dans
toute relation intersubjective basée sur (et donc aliénée par) l’image d’un semblable.
« L’être humain ne voit sa forme se réaliser, totale, le mirage de lui-même que hors de
lui-même. » (Lacan, Ecrits, p. 69).
« Il suffit de comprendre le stade du miroir comme une identification, au sens plein que
l’analyse donne à ce terme : à savoir la transformation produite chez le sujet, quand il
assume une image dont la prédestination à cet effet de phase est suffisamment indiquée
par l’usage, dans la théorie, du terme antique d’imago. » (ibid., p. 94)
C’est l’ordre symbolique, comme médiation tierce, qui permet le dégagement, en même
temps que son intégration, de la relation spéculaire-imaginaire.
C’est aussi l’ordre symbolique qui donne fondement au Réel, puisque le Réel est ce qui
« ex-siste » par rapport au Symbolique. C’est l’impossible de la pulsion, c’est ce « dont la
caractéristique est d’être illusoire ». On notera, du reste, que l’Imaginaire chez Lacan renvoie à
la fois au rapport du sujet avec ses identifications formatrices, et plus globalement au caractère
illusoire, de leurre donc, de la relation du sujet au Réel.
2.2. Les trois dimensions de la paternité
C’est en 1958 que Lacan reprend la théorie du complexe d’Œdipe, pour y reconnaître
trois « temps » (logiques et non chronologiques) de scansion, au cours desquels le père est
constamment opérant mais selon des modalités différentes.
2.2.1. Caractéristiques de la théorie lacanienne de l’Œdipe
Dans la théorie initiale du complexe d’Œdipe, Freud cumulait un double enjeu : d’une
part, une crise identitaire et un procès (processus) de sexuation ; d’autre part, la conclusion de la
petite enfance dominée par le lien à l’objet primaire (maternel) et un moment critique de
stucturation du désir de l’enfant (castration symbolique, émergence du Surmoi). Jacques Lacan
dissocie ces deux enjeux pour en traiter séparément et retient, dans sa propre conception de
l’Œdipe, seulement le second d’entre eux.
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 24
Comme le processus de sexuation est ici considéré distinctement, le complexe d’Œdipe
selon Lacan concerne l’enfant en général, quel que soit son sexe, garçon ou fille.
Chez Freud (et plus encore chez Melanie Klein dont la théorisation est fondée sur la vie
fantasmatique de l’enfant) le complexe d’Œdipe est centré sur l’enfant et principalement
considéré de son point de vue. Chez Lacan, l’Œdipe est une co-construction impliquant aussi les
deux autres termes du « triangle oedipien », à savoir l’objet primaire (dit « mère ») et l’instance
séparatrice de la Loi (dite « père »), et ceci à la fois comme promoteurs du processus de
castration et comme sujets de ce processus. L’enjeu et le travail de castration symbolique valent
en effet aussi pour la mère et pour le père, et pas seulement pour l’enfant, et constituent une
expérience critique du processus de parentification.
Plus largement, Lacan propose une modélisation de la fonction paternelle qui n’est pas
assimilable à l’autorité paternelle au sens sociologique et juridique de la famille bourgeoise,
mais qui désigne une extériorité symbolique fondatrice, structurée et structurante pour l’enfant
tout autant que pour la mère et pour le père.
2.2.2. Les trois temps de l’Œdipe
Les trois temps du complexe d’Œdipe selon Lacan sont exposés selon un ordre
séquentiel (chronologique) pour des raisons d’exposé didactique. Ils sont cependant à
comprendre dans une articulation logique entre eux, qui pourrait être représentée par le schéma
suivant :
Le père comme Nom
(père symbolique)
Le père comme imago
(père imaginaire)
Le père comme
homme d’une femme
(père réel)
 Le premier temps est celui du père comme Nom.
Ce père apparaît dans la mesure où la mère s’y réfère en signifiant à l’enfant qu’elle est
elle-même prise dans l’ordre symbolique, c’est-à-dire en lui signifiant le père comme Nom.
Autrement dit, dans ce premier « temps » de l’œdipe : « La paternité est une place vide
instaurée par la mère pour l’enfant. » (Julien, op. cit., p. 168, c’est l’auteur qui souligne).
« Mais ce sur quoi nous voulons insister, c’est que ce n’est pas uniquement de la façon
dont la mère s’accommode de la personne du père qu’il conviendrait de s’occuper mais
du cas qu’elle fait de sa parole, disons le mot : de son autorité, autrement dit de la
place qu’elle réserve au Nom-du-Père dans la promotion de la Loi. » - (Lacan, 1966,
p. 579)
Remarquons que la position lacanienne renverse la perspective généralement admise :
ce n’est pas le désir de l’enfant pour la mère qui est ici primordial, mais le désir de la mère et
l’interrogation de l’enfant sur le désir de la mère : « que veut-elle ? de quoi y a-t-il désir en
elle ? » (Julien, 1992, p. 168, c’est l’auteur qui souligne).
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 25
La place vide, vacante, ainsi laissée par la mère permet à l’enfant de découvrir qu’il
n’est pas tout pour elle, ni elle pas toute pour lui, et qu’elle laisse un espace potentiel que
viendra occuper le père réel.
 Le second temps de l’œdipe est celui du père comme imago, c’est-à-dire celui du père
imaginaire construit par l’enfant dès lors qu’il se tourne vers l’image du désir de la mère et qu’il
en revêt toute figure d’homme réel. Ce père idéal relève de l’imaginaire, puisque sa toutepuissance provient d’un transfert au père de la toute-puissance initialement attribuée à la mère.
En ce sens, le père idéal marque une modification imaginaire du rapport de l’enfant à l’objet
maternel primaire.
« Ce père-là est aimé en tant que Puissant. Quel en est l’enjeu ? Que le père fasse le
poids quant au désir de la mère. Si la mère a un manque, un désir, que ce manque en
elle vienne du père seul et non de moi l’enfant, car je suis non-suffisant ! Faiblesse de
l’enfant, impuissance face à la mère pour la combler : son narcissisme est ébranlé et
mis en question. Il n’est pas suffisant. Alors, qu’il y ait donc un Père de haute stature
qui soit la cause unique de la privation de la mère ! qu’elle soit privée par ce père-là
seul ! Bref, enfant, je ne suis pas le phallus qui lui manque et je n’ai pas à l’être parce
que le père l’a. La mère est privée par lui seul et non par moi. L’enjeu est de pouvoir
respirer un peu. » (Julien, op. cit., p. 169-170, c’est l’auteur qui souligne)
Mais si la figure du père idéal permet à l’enfant de se dégager de la position « d’être le
phallus » de la mère et de se mettre en position de rivaliser avec tous ceux qui sont supposés
« avoir le phallus », elle laisse aussi l’enfant aux prises avec cette figure imaginaire, donc
aliénante, et d’autant plus terrible que c’est celle d’un interdicteur absolu. Dès lors, comment
l’enfant va-t-il pouvoir se déprendre du père idéal ? C’est la question que va résoudre le
troisième « temps » de l’œdipe :
 Le temps du père réel : celui de l’homme d’une femme.
En instaurant une place hors d’elle, en position tierce entre l’enfant et elle, la mère
laisse la possibilité d’une place pour le réel. « Mais la place est vide. C’est dire par-là que le
père n’est pas assigné par la mère à remplir tel rôle, à accomplir telle tâche. Il ne s’agit pas
d’être-à-la-botte. La chaise est vide, et le père réel l’occupe à sa manière à lui. » (ibid., p. 171).
Le père réel est ainsi et avant tout, pour l’enfant, l’homme d’une femme : c’est l’homme
qui a fait d’une femme – généralement la mère pour l’enfant – la cause de son désir et l’objet de
sa jouissance.
Il s’ensuit deux conséquences majeures :
a) en se positionnant comme l’homme d’une femme, le père réel est celui qui introduit
pour l’enfant, et la concrétise en l’incarnant, une « castration », c’est-à-dire une négation du fait
que l’enfant puisse se considérer comme le phallus de la mère, comme ce qui lui manque.
« Le père réel est agent de la castration en tant qu’il instaure pour l’enfant un rideau,
un voile, un juste mi-dire, quant à ce qu’il en est de sa jouissance de cette femme-ci. Il
établit pour l’enfant un non-savoir de sa jouissance d’homme concernant telle femme.
Rideau. Le réel est cet impossible à savoir. Et le père est père du réel, de ce réel-là :
“Cette jouissance, ça ne te regarde pas. Ce n’est pas ton affaire. Tu pourras imaginer
toutes les scènes primitives (au sens freudien) que tu voudras : ce sera ton fantasme.
Oui, mais je ne m’y prêterai pas par quelque monstration ou exhibition que ce soit. Ta
chambre est ta chambre, la mienne est la mienne !” » (ibid., p. 172)
b) d’un autre côté, le père réel ne pourra être celui qui va « nouer dans le réel de sa
parole, de sa présence, l’imaginaire du “père idéal” et le symbolique de la loi » (Hurstel, 1996,
p. 63), que s’il renonce à chercher la jouissance du côté de son enfant – c’est-à-dire, s’il renonce
à faire la loi sur tout, se tournant vers l’enfant tout le temps.
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 26
« Les effets ravageants de la figure paternelle s’observent avec une particulière
fréquence dans les cas où le père a réellement la fonction de législateur ou s’en
prévaut, qu’il soit en fait de ceux qui font les lois ou qu’il se pose en pilier de la foi, en
parangon de l’intégrité ou de la dévotion, en vertueux ou en virtuose, en servant d’une
œuvre de salut, en quelque objet ou manque d’objet qu’il y aille, de nation ou de
natalité, de sauvegarde ou de salubrité, de legs ou de légalité, du pur, du pire ou de
l’empire, tous idéaux qui ne lui offrent que trop d’occasions d’être en posture de
démérite, d’ insuffisance, voire de fraude, et pour tout dire d’exclure le Nom-du-Père de
sa position dans le signifiant. » - (Lacan, 1959, p. 579)
Autrement dit, l’enfant ne pourra se déprendre du père idéal (imaginaire), que si le père
réel ne s’identifie pas à cette image de père tout-puissant, et manifeste par-là qu’il est, lui aussi,
marqué par le manque, la castration et la finitude. C’est en ce sens que l’on a pu dire que la
fonction du père réel est de « prendre sur lui l’angoisse de l’enfant » (Moustafa Safouan), c’està-dire non seulement de protéger l’enfant contre la menace d’aliénation que représentent la mère
et son désir, mais de le protéger aussi contre le « père idéal » produit par le transfert de cette
figure maternelle phallique, toute-puissante, sur le père réel.
On pourrait ainsi parler de « trois dimensions de la paternité » : « Celle du père comme
Nom : elle vient de la mère. Celle du père comme image : elle vient de l’enfant. Celle du père
comme l’homme d’une femme : elle vient du père réel. » (Julien, op. cit., p. 173)
2.3. « Il n’y a pas de mère sans père »11
Un autre point est souvent oublié dans la théorie lacanienne de la fonction paternelle,
c’est qu’elle fait également apparaître une théorie originale de la fonction symbolique
maternelle.
Plus précisément, on peut distinguer trois aspects :
 Le premier est que la mère est « celle qui, à travers la satisfaction des différents
besoins, donne sens aux sensations et émotions corporelles de l’enfant » (Durif-Varembont,
1992, p. 145, c’est l’auteur qui souligne). « La manière dont elle s’en occupe donne corps au
bébé grâce à la fonction d’interprétation de ses demandes. Et cette reconnaissance de l’enfant
comme interlocuteur met toujours en jeu l’articulation de l’objet du besoin et de l’objet du
désir. » (ibid., p. 145).
Plusieurs psychanalystes ont insisté sur le fait qu’en parlant à l’enfant, la mère fait du
bébé un « nourrisson parlant », et qu’en le manipulant elle lui donne « une mêmeté d’être »
(Dolto) ou un « sentiment continu d’exister » (Winnicott). Ou encore, en référence à la théorie
lacanienne de l’imaginaire (le stade du miroir) : « La mère, c’est ce qui me fait moi » (DurifVarembont). Mais ceci n’est possible que si la mère est « suffisamment bonne » (Winnicott),
c’est-à-dire que dans la mesure où :
-
elle assure les fonctions maternelles (ou maternantes) primaires : présentation de
l’objet, holding, handling ;
-
elle n’est pas « toute » pour l’enfant et se distingue ainsi de la mère imaginaire
toute-puissante et lieu d’identifications projectives.
 Le second aspect de la fonction maternelle est donc de témoigner à l’enfant qu’elle
n’agit pas pour lui en son nom propre, mais au nom d’un Autre, au Nom-du-Père, c’est-à-dire
« dans un rapport à la loi qui interdit de posséder l’engendré comme sa chose et oblige à
l’appeler d’un nom » (Durif-Varembont, op. cit., p. 147).
Nous ne reviendrons pas sur cet aspect de la fonction maternelle, puisqu’il renvoie à
l’introduction de la fonction paternelle de coupure précédemment évoquée (« Le père, c’est ce
11
- Titre d’un article du psychanalyste J.P. Durif-Varembont (1990).
La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 27
qui me sépare de l’autre et de moi », Durif-Varembont, 1992, p. 146). Remarquons seulement
qu’elle illustre exemplairement la problématique du don et qu’elle éclaire de façon décisive la
question de la violence maternelle :
« ... un vrai don non seulement ne s’impose pas mais doit (au sens d’une loi) perdre sa
valeur d’usage pour signifier quelque chose et du donataire et du destinataire. Quand
la mère donne le sein à l’enfant, ça parle d’elle et de lui à condition qu’elle ne soit pas
son sein. [...] Le don est annulé ou refusé quand la mère se donne toute entière ou
quand elle ne donne rien à travers l’objet. La double figure de la violence maternelle
s’impose quand la coupure ne passe pas entre elle et le sein, c’est-à-dire quand il n’y a
pas d’écart, de place tierce entre elle et l’enfant. » (ibid., p. 146)
 Un troisième aspect de la fonction symbolique maternelle, enfin, nous fait revenir à la
question du désir d’enfant. Il concerne le fait qu’en ouvrant à l’enfant l’accès à l’œdipe, le
discours maternel lui signifie non seulement son désir (le sien à elle) pour un homme, mais aussi
à l’enfant le vœu qu’il puisse un jour devenir père ou mère à son tour. Il s’agit d’aider l’enfant à
se légitimer comme parent potentiel et à élaborer son « désir d’enfant ».
« La réalisation d’un désir de paternité trouve sa source dans un vœu porté par le
discours maternel. [...] La mère porteuse du désir que son fils devienne père permettra
qu’un espace possible se dessine pour lui dans le futur. L’enfant pourra s’approprier
cet espace potentiel. Pour transmettre cela à ses enfants, la mère ne pourra se référer
qu’à ce qui vit en elle de l’ordre de la fonction paternelle, grâce à ce que lui a légué
sa mère et à ce que son propre père en a assuré, mais aussi grâce à l’amour et
à la reconnaissance de l’homme qu’elle a choisi, et qui est devenu père par son
intermédiaire. » (Fredefon, 1996, p. 107-108)
En résumé : Complémentairement à la fonction paternelle, on peut parler, dans le cadre
de la théorie lacanienne, d’une fonction symbolique maternelle. Celle-ci est essentiellement
caractérisée par une dimension de don, c’est-à-dire de référenciation du lien mère-enfant à un
au-delà de l’imaginaire dans lequel risquent constamment de s’aliéner et l’enfant et la mère.
Mais le risque est aussi présent du côté du père, dans la tentation pour celui-ci de s’identifier à
la figure, à la fois fascinante et terrible, du père idéal.
La seule garantie d’une désaliénation est la référence à la loi symbolique, c’est-à-dire le
renoncement, pour la mère comme pour le père, d’être « tout » pour l’enfant et de laisser celuici dans l’illusion qu’il est « tout » pour le parent, ou encore de mettre l’enfant dans l’obligation
d’être « à l’image » du désir parental.
Ce travail de deuil de la toute-puissance n’est possible que si les fonctions paternelle et
maternelle, chacune dans le registre qui lui est propre, s’articulent l’une à l’autre. En ce sens, on
pourrait parler d’une fonction croisée de la parentalité (P. Legendre).
« La fonction parentale ne s’exerce jamais dans un rapport duel avec l’enfant mais par
le détour d’une demande inconsciente adressée à l’autre parent [...]. Faute de cette
ouverture, surgit la violence du rabattage de l’un sur l’autre, dans le cercle fermé d’une
demande de complémentarité narcissique où tout tiers est exclu. [...] Il n’y a donc pas
de mère sans père pas plus que de père sans mère, ce qui n’implique pas une symétrie
mais une articulation : le croisement des fonctions parentales suppose que chacune
s’exerce dans un registre spécifique. » (Durif-Varembont, op. cit., p. 144-145).

La famille et l’enfant : Qu’est-ce qu’être parent ? / 28
Conclusion
Notre analyse introductive à l’étude psychologique du champ familial s’est centrée sur
« l’être parent » et ses différents niveaux d’implication. D’autres aspects, bien sûr, auraient pu
être traités, par exemple la question du fonctionnement des groupes familiaux dans la double
dimension de l’actuel (« système » familial) et du générationnel (« transmission »). On peut
cependant percevoir que ces questions trouvent leurs fondements dans la filiation, c’est-à-dire
dans ce qui permet de fonder du parent et de l’enfant (au sens de « fils » ou « fille »), d’où le
choix fait ici de traiter du parent et de la relation de filiation. Les destins de « l’être frère (ou
sœur) », comme ceux des « générations » et de la transmission familiale, peuvent se lire comme
des effets, éventuellement dysfonctionnants, de ce qui nous institue comme « être familial », et
d’abord dans un lien de filiation reçu, donné.
Étudier « l’être parent » et en faire apparaître la complexité nous a permis, d’autre part,
de rappeler combien notre avènement à une identité d’homme ou de femme est étroitement
intriqué avec le fait d’être fils ou fille de-, et potentiellement d’être père ou mère. Si le
structuralisme a parfois reproché à Freud – et à juste titre – d’avoir donné du complexe d’Œdipe
une version trop historique, familiale, qui en brouille l’essentiel fondateur, – cette lecture
freudienne a cependant l’intérêt capital de clairement situer que c’est d’abord dans un espace
filiatif et générationnel que nous construisons notre identité sexuelle. Elle montre, par ailleurs,
les conditions paradoxales de cet avènement, et qui peut se résumer en deux formules :
a) devenir homme ou femme, c’est accepter de ne pas être tout : homme et femme, fils (fille)
et époux (épouse) ; b) devenir père ou mère, c’est accepter de ne pas être tout : parent et enfant,
parent de son propre enfant et cet enfant lui-même (par identification narcissique), parent de
son enfant et enfant de ses propres parents (par identification à l’enfant idéal ou à l’enfant
œdipien).12
Ainsi, le paradoxe de la filiation, et son fondement-même, est-il qu’elle ne peut
faire lien qu’au prix d’une rupture – celle-là même que la psychanalyse a théorisée sous la
notion de « castration ».
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12
- Du point de vue de la Théorie de la Médiation dont la conception sur ce point est différente de celle
de la psychanalyse, on reconnaît ici les deux principes respectivement de l’inceste (sur la face de la parité
et de l’alliance) et de la castration (sur la face de la paternité et du métier) – voir supra partie I.4.
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