Cristallisations

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Cristallisations
Cristallisations
Éclat, pureté, structure géométrique, lumière, couleur…
La cristallisation est un des prodiges de la nature : un aspect de
croissance continue autour du germe central. On les rencontre en
masse dans le monde minéral : étoiles de marcassite ou de stibine,
mamelons d’hématite, de malachite ou de rhodochrosite, roses des
sables, fleurs de givre...
Les cristallisations apparurent dans la céramique occidentale au milieu
du XIXe siècle, à la Manufacture de porcelaine de Sèvres, puis à
Copenhague, Meissen, Berlin. Plus que toute autre glaçure, la
cristallisation comporte risques et incertitudes car le rôle du hasard y
est déterminant.
La couverte cristallisée a vu le jour à Sèvres en 1882, à la suite d’une
erreur de formule chimique travaillée par Lauth et Vogt. En essayant
de reproduire la "porcelaine japonaise", ils ont les plus grandes
difficultés à réaliser la couverte transparente cuisant à 1 280°C.
En utilisant comme fondant l’oxyde de zinc, ils obtiennent par
accident un émail cristallisé ne répondant pas, et de loin, à leurs
attentes.
Après la publication de cette découverte en 1883 à la Manufacture de
Copenhague, Adolphe Clément, à la recherche de monocristaux,
obtient probablement des couvertes cristallisées.
Plus tard, des pièces sont présentées à l’Exposition universelle en 1889
à Paris. En 1900, les manufactures de Sèvres, Meissen et Berlin, entre
autres, exposent des vases à couvertes cristallisées à l’Exposition
universelle et internationale de Paris.
Le phénomène de la cristallisation par Denis Caraty
C’est le résultat d’un phénomène de "Nucléation-Croissance" qui se
développe dans la glaçure pendant la cuisson à haute température.
Initialement, la glaçure contenant de faibles quantités d'oxydes
colorants est répartie sur la pièce de façon homogène. L'échauffement
jusqu'à un pic de température de 1 280 - 1 300°C fait fondre la glaçure
et dissout en quasi-totalité tous ses composants cristallins (quartz,
feldspaths, kaolin…). Cette étape de la cuisson est cruciale car les
résidus cristallins qui subsistent vont servir à amorcer la nucléation
(création du germe cristallin). Ils devront être en juste nombre pour
permettre une répartition équilibrée des cristaux.
Lors de la montée à haute température,
l'écoulement par gravité d'une partie de la
glaçure au bas des pièces est souvent
inévitable. Chaque pièce doit donc être posée
en équilibre sur un support spécifique destiné
à recueillir l’écoulement d’une partie de la
glaçure pour éviter d’endommager le four.
La croissance des cristaux s’effectue par un
maintien de la température entre 1 050°C et
1 100°C ; ceci permet aux germes de se
développer et de former des structures
cristallines particulières. La glaçure doit être
maintenue dans un état de fusion à faible
viscosité afin que ses éléments puissent avoir
une mobilité suffisante pour permettre la
construction du réseau cristallin. Les cristaux
grandissent et s'étalent dans la glaçure en
fusion, puisant dans celle-ci les éléments
nécessaires à leur construction et à leur
coloration. Cette réaction est lente : il faut des
heures pour obtenir des cristaux de quelques
centimètres.
- l’existence de certains germes pouvant
donner naissance à des cristaux. Certaines
glaçures, pourtant riches en zinc et silice, ne
produisent aucun cristal par manque de
germes,
L’apparition de cristaux dans une glaçure
dépend de nombreux facteurs :
A noter enfin que cette technique de la
cristallisation demande plus particulièrement
au céramiste un équipement adapté : four en
bon état avec répartition de la chaleur,
instrumentation de mesure de température et
de régulation. Précision dans le travail et
prises de notes régulières s’avèrent enfin
indispensables.
- la présence d’éléments susceptibles de
composer des cristaux en quantité abondante
comme la silice et le zinc ou encore la silice, le
zinc et le titane,
- une viscosité de la glaçure assez faible pour
permettre la mobilité des éléments et
construire le réseau cristallin, sans quoi les
cristaux restent minuscules,
- l’effet solvant de la glaçure pour dissoudre
tous ses composants lors de la montée à
haute température et ne laisser subsister des
résidus cristallins qu’en très faible proportion. Les glaçures fortement alcalines sont,
pour ces raisons, très courantes,
- la connaissance des limites des matériaux
utilisés pour définir les meilleures conditions
de cuisson que sont la hauteur du pic
maximum et celle du palier de croissance.
Marc Uzan, Vase (détail)
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Denis Caraty, Vase rouge de rouge flammé
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Les artistes
Denis Caraty, né en 1956.
Céramiste de formation (École de Vierzon de
1972 à 1977), il a fait un parcours dans la
céramique industrielle pendant près de trente
ans au sein d'une grande manufacture des arts
de la table.
« C'est en forgeant qu'on devient forgeron ».
Toutes ses oeuvres céramiques restent ainsi
empreintes des exigences de cette longue
expérience industrielle. Le contact avec le
monde de la poterie d'outre-atlantique par
l'émergence de l'Internet, il y a presque
10 ans, a été pour lui le point de départ d'une
nouvelle passion pour une recherche
personnelle et approfondie envers les
cristallisations sur porcelaine. Passionné par
la recherche céramique, l’art de la
cristallisation est pour lui une voie
d’exploration majeure quasi inépuisable où
les mondes du verre et de la céramique se
rejoignent et révèlent toute la beauté et la
puissance de la matière.
Jean-Pierre Kohut, né en 1960.
Formé à l’école de Sèvres (ENSCI),
Jean-Pierre Kohut installe son atelier à
Homécourt (Meurthe et Moselle), après dix
ans dans l’industrie, notamment en Afrique,
Asie et Amérique du Sud.
Depuis 1994, il produit de la céramique d’art,
grès et porcelaine : objets de décoration ou
utilitaires. Il se passionne pour les émaux et
travaille en utilisant les outils modernes
(ordinateurs, analyses, plans d’expériences,
programmateurs…) pour réaliser une
approche systématique des émaux de grès et
porcelaine.
Jean-Pierre Kohut affectionne particulièrement le travail de cristallisation. Il utilise la
porcelaine. Les pièces sont soit tournées, soit
estampées, soit modelées. La glaçure est
composée de différents minéraux broyés sous
forme de farine très fine. Elle contient du
quartz, du feldspath, du verre broyé et de
l’oxyde de zinc.
Il ajoute de l’oxyde de cuivre pour le vert,
de l’oxyde de cobalt pour le bleu, de
l’oxyde de fer et de manganèse pour
le marron afin de colorer ses
pièces.
Denis Caraty, Vase "Canari"
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Les artistes
Jean-Pierre Kohut, Saladier
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Les artistes
Yves Lambeau, né en 1942.
« J’aime créer des poteries aux contours
simples que l’on peut prendre dans ses mains
en rêvant. Au fil du temps, j’ai suivi le
parcours malicieux de "mon inspiration" :
tentation de réaliser des formes archaïques
comme il en existe depuis la nuit des temps.
Je vais aujourd’hui au plus près de la cristallisation, procédé hérité de l’Art Nouveau et du
Bauhaus, technique donnant naissance à des
abstractions mais aussi à des formes figuratives, animales ou végétales…Quel sera le
prochain émerveillement de mon "inspiration" facétieuse ? Je ne le sais pas… ».
Yves Lambeau, Soliflore
Marc Uzan, né en 1955.
« […] Marc travaille comme un chercheur,
toujours à l’écoute du hasard, analysant
erreurs et incidents, sachant exploiter dans
l’instant les enseignements dispensés par les
pièces sortant du four. Au-delà de la précision
nécessaire des formules pour obtenir les
émaux souhaités, il aime particulièrement les
effets aléatoires des superpositions, des
cristallisations ou des craquelures. […]
Contrairement à de nombreux céramistes,
Marc trouve grand plaisir à l’émaillage. C’est
même pour lui l’instant le plus excitant, et par
opposition, le tournage représente un
moment propice au calme et à une plus
grande sérénité. […] ».
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