écOnOMie - Le Mensuel de Rennes
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écOnOMie R. Joly C’est entre Rennes et Cesson-Sévigné que le Minitel fut inventé, en 1978. A l’heure où le mal-être des employés de France Télécom alimente les gazettes, Bernard Marti, le père de cette invention, raconte l’aventure d’une des plus belles réussites françaises en matière de télécommunications. Bernard Marti Inventeur du Minitel ans la salle à manger de la maison familiale, la décoration n’a pas bougé d’un iota depuis les années 70. Sur la table, deux Minitel se côtoient. Le premier date de 1974. L’autre de 1999. Entre les deux, la vie professionnelle de Bernard Marti a défilé. Pour cet ingénieur de l’ORTF, l’aventure de la télématique démarre en 1972. Polytechnicien, il est chargé de la création au Centre commun d’études de télévision et de télécommunications (CCETT) de Rennes. A cette époque, les Français s’équipent massivement en téléphones. « L’Etat cherchait une innovation importante qui permette de poursuivre le développement de l’industrie française des télécommunications, se souvient Bernard Marti. On nous a donné carte blanche pour imaginer le prochain média de masse. » Désormais en retraite, l’ingénieur de 67 ans garde un très bon souvenir de sa carrière dans ce qui s’appelle désormais Orange. « C’était une belle époque : l’âge d’or de l’entreprise publique. Les crédits coulaient à flots. Nous travaillions pour le long terme, pas pour les profits du lendemain. Pourtant, contrairement à ce qu’a asséné Didier Lombard, PDG d’Orange, on n’a jamais pêché des moules durant nos heures de travail ! » L’origine du Minitel ? Bernard Marti n’en fait pas mystère : c’est bien en creusant une idée anglaise que les Français sont devenus les leaders de la télématique. Au début des années 70, nos voisins d’Outre-Manche ont inventé le système du télétexte, un texte qui défile sur la télévision. Quelques années plus tard, les Français reprennent cette invention et font transiter les données textuelles par le réseau téléphonique. Tout en développant le système pour l’adapter à d’autres langues. Le Minitel est né. « Internet nous a coiffés sur le poteau » La première expérimentation de taille a lieu en Russie, en vue des Jeux olympiques de 1980. Bernard Marti en rigole encore : « C’était franchement du bricolage. Sur le sol russe, tout ce que nous faisions était surveillé. Le jour de la mise en place du dispositif, quel tralala ! On a vu défiler tous les chefs des télécommunications du pays ! Jusqu’au ministre ! A chaque passage, les employés se courbaient jusqu’à terre devant leur 40 Le Mensuel Mensuel/décembre /décembre 2009 www.lemensuelderennes.fr supérieur hiérarchique. Pour rigoler, nous avons surnommé ce jour "la journée des carpettes". » Dans le même temps, à Saint-Malo, une cinquantaine de foyers testent l'annuaire électronique. « Les PTT étaient propriétaires de ces informations, ça évitait de demander des autorisations », sourit le polytechnicien, compagnon de promotion de Jacques Attali. En 1981, malgré la grogne des parlementaires et de certains patrons de presse qui craignent que le nouveau média concurrence les journaux imprimés, l’expérimentation est étendue à 4 000 foyers en Illeet-Vilaine. Le succès est au rendez-vous. Mieux : le Minitel décolle, littéralement. En 1985, un million de foyers français l’utilisent. Son principal intérêt ? Le fameux 3611 : l’annuaire électronique qui supplante l’annuaire papier. Très rapidement, les 3613, 3614 et 3615 complètent la gamme de tarifications. Des horaires de train au Minitel rose, les services pullulent. Mais déjà, une autre innovation pointe son nez : Internet. « De mauvais choix commerciaux ont été faits, souffle l’ingénieur. Les directeurs n’ont pas voulu aller vers les images ou les dessins. Du coup, Internet nous a coiffés sur le poteau. » Page de gauche. Le Minitel sur lequel Bernard Marti pose ses mains est un des tout premiers sortis d’usine. Il possède un clavier ABC. « Une bêtise qui a dérouté les habitués des claviers normalisés(Azerty), ceux des machines à écrire. » « On n’a jamais pêché des moules durant nos heures de travail ! Une prime de Noël pour récompense Ironie technologique : les trouvailles rennaises participent au développement d’Internet. « Il faut savoir que les PTT sont propriétaires de 40% des brevets du JPEG et de 60% de ceux du MP3. Grâce à eux, France Télécom touche des sommes considérables. Cet argent va directement dans la poche des actionnaires. L’an dernier, huit milliards d’euros leur ont été reversés ! A côté de ça, la recherche sur les télécommunications patine, c’est scandaleux ! On est en train de tuer la poule aux œufs d’or. » Quant à Bernard Marti, sans amertume, il assure n’avoir perçu pour son invention qu'une prime de Noël. « Mais j’avais mon salaire… C’était l’essentiel. J’ai été très heureux. » Pourtant, le Minitel n’a pas dit son dernier mot. Il conserve des adeptes. En février dernier, France Télécom a enregistré dix millions de connexions. « Certaines personnes continuent de l’utiliser, car elles apprécient la simplicité et la sécurité absolue du réseau », décrypte Bernard Marti. Pied de nez de l’histoire, sur Facebook, un groupe de soutien au Minitel a même été créé. L’ingénieur n’y a pas adhéré. « Je n’aime pas les réseaux sociaux. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir été dans les premiers à me connecter à Internet : dès 1992 ! » Voilà pourquoi, au milieu de sa salle à manger des années 70, à côté des Minitel, trône un Macintosh dernier cri. » B. MARTI Polytechnicien, né en 1943 à Paris, Bernard Marti a inventé le Minitel. C’est à l’ORTF que l’ingénieur a commencé sa carrière en 1962. Il était chargé d’animer des dessins par ordinateur. En 1972, il rejoint le Centre commun d’études de télévision et de télécommunications de Rennes, où il coordonne la mise au point du Minitel en 1978. Cet habitant de Noyal-sur-Vilaine a inventé un système de cryptage qu’utilisera Canal + durant plusieurs années. Il a également bûché sur la Télévision numérique terrestre (TNT). Père de trois enfants, il a pris sa retraite en 2005. Claire Staes [email protected] Le Mensuel/décembre 2009 www.lemensuelderennes.fr 41