franck broage global contact

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franck broage global contact
GLOBAL CONTACT
Attention…
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Prologue
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1- Transitions
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2- Bienvenue au Cerro Paranal
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3- AVALON
22
4- Natacha arrive!
30
5- CNI ou BDC?
40
6- Butch Brand
55
7- Baïkonour
70
8- Mes beaux scaphandres!
80
9- Le Café des Allumés
85
10- Une question de poids!
96
11- Le sol lunaire est aussi dur que le sol terrestre
104
12- New Moskova
110
13- Edelweiss
120
14- Premier Contact
127
15- Quid?
139
16- Confrontations
150
17- L’ultime bataille
162
18- La marche de Copernic Bay
173
19- Révélations
187
Epilogue
190
1
Copyright Patrice Broage © 2004
Toute utilisation commerciale et toute copie partielle ou complète sont interdites sans autorisation préalable
écrite de l’auteur. La diffusion gratuite de la présente œuvre « Global Contact » est autorisée sous ce seul
format électronique pdf. Le livre au format papier est disponible à la vente sur le site www.fnac.com.
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A ma grand-mère Marie
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Attention…
Yann Dellowski, 27 ans, les cheveux bruns, de taille normale, un mètre quatre-vingt dix, est hyper concentré.
Dans le vaste bureau parisien du 26ème étage de la Tour Le Chandelier de la Défense, les yeux bruns du docteur
en climatologie planétaire fixent les informations qui défilent sur le moniteur avec une attention extrême.
Diplômé de l’Ecole Polytechnique de Paris à 23 ans, il a révolutionné les statistiques modernes. Il a mis au
point des modèles de prévisions météorologiques qui ont prouvé que le réchauffement global de la planète allait
dilater l’atmosphère d'une manière hallucinante dès que la glace des pôles aurait terminé de fondre. Elle se
dilaterait tellement qu'elle s’échapperait en masse comme de l'air qui fuit d'une baudruche: ça a fait l’effet d’une
bombe!
On a le droit de dire que n’importe quoi peut provoquer l’Apocalypse.
On n’a pas le droit de le prouver.
Telle est la devise de la société moderne qui déifie la technologie mais qui en a aussi une peur bleue. Après la
magie blanche et la magie noire, la chasse aux sorcières pourrait bien commencer contre les adorateurs de la
technologie noire!
Yann Dellowski s’en est douloureusement rendu compte. Il a reçu tellement de menaces de mort de la part de
gens apeurés par la montée des eaux déjà flagrante et de fanatiques du tout technologique qu’il a déjà dû
déménager quatre fois!
Tour Le Chandelier de La Défense, Paris, France.
Jeudi 8 juillet 2066, Temps Universel 13h16.
26ème étage.
Plongé devant les théorèmes mathématiques qu’élabore son ordinateur, Yann Dellowski anticipe les résultats.
Un petit casque souple, bleu translucide, recouvert d’un léger tissu noir, contenant seize millions de capteurs,
est posé sur sa tête. Le chapeau bleu, comme certains l’appellent, reconnaît les échanges électriques et
chimiques du cerveau ainsi que les modifications du flux sanguin du cervelet. Parcouru de légers éclairs çà et
là, la couleur du petit casque miroite mystérieusement et donne une réalité mystique aux pensées du chercheur.
Muni de cet attirail, il déplace les sept curseurs de son ordinateur sur l’immense écran épinglé au mur en face
de son bureau simplement en émettant une pensée embryonnaire. Il modifie aléatoirement les paramètres de
calcul qui virevoltent sur l’image et qu’on a peine à suivre.
Yann pense si vite qu’il est au-delà de la matérialisation de sa pensée par des mots. Ca le ralentirait tellement
que ça suffirait à lui faire perdre le cours de son raisonnement. Même les images mentales qui d’habitude
remplacent la construction des idées restent inachevées dans l’esprit de leur auteur.
L’impression que Yann dégage quand il travaille de la sorte est l’air qu’un illuminé acquiert avant de passer à
l’acte final de destruction personnelle. Les pupilles brillantes roulant désordonnées à la recherche d’une sortie
dans les orbites des yeux écarquillés; le cœur battant, le sang cherchant un endroit plus calme que celui de ses
artères, tourbillonnant jusque dans les moindres recoins de ses muscles, tendus, prêts à faire bondir la bête qui
sommeille au tréfonds de l’humain, Yann est cependant très sûr de lui, maître du moindre mouvement de ses
muscles et de ses nouveaux membres, ses curseurs.
Son bureau est envahi de disques de multiples théoriciens, et des feuilles de papier couvertes de réflexions, de
calculs, de remarques, de postulats et d’énoncés terminent de cacher la couleur « granit vert clair » de son
bureau en pierre simili plastique.
Quelques-unes sont tombées à même la moquette bleue nuit.
Un petit cocotier isolé dans un coin du bureau, la grande baie vitrée de l’autre, tel est le monde de Yann.
Un petit cadre en osier verni trône au milieu du désordre indescriptible de son bureau. L’image représente le
portrait d’une femme immobile souriante sur un paysage artistiquement flou à peine discernable de gratte-ciel.
Les cheveux noirs mi-longs ondulent doucement et interminablement. La tête un peu penchée en arrière, les
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yeux d’or pétillants de bonheur entourés de légers cils noirs, elle dévore le photographe d’un regard gourmand.
Son grand sourire coquin fait ressortir légèrement ses fossettes roses et donne encore un peu plus de relief à son
visage lumineux, légèrement bronzé.
Les seuls autres mouvements discernables de la photo sont ceux de la respiration de Natacha qui provoque
parfois une légère buée sur le verre du cadre.
L’ordinateur de Yann lui signale un appel prioritaire d’un de ses confrères.
Grâce au casque posé sur sa tête, Yann commute mentalement son ordinateur vers l’appel reçu.
Il répond.
- Allô ?
A ce moment, il entend un léger sifflement très caractéristique accompagné de grésillements dont l'intensité
croît immédiatement exponentiellement.
D’un réflexe, il jette son casque violemment à l’autre bout de la pièce.
Il s’aplatit sur le sol.
Le bureau vole en éclats.
La baie vitrée explose.
Le cocotier est désintégré.
Le vacarme est impressionnant.
La déflagration n’a fait aucune flamme.
L'explosion a été d’une telle force que les feux de signalisation à l’angle de la rue soixante mètres plus bas
s’éteignent et déclenchent leur système anti-incendie.
Tous les ascenseurs du gratte-ciel s’immobilisent et bloquent leurs 256 passagers.
Les débris ne touchent pas encore le sol que l’alarme résonne à tous les étages. Le service de sécurité du
bâtiment se rue vers les portes d’ascenseurs pour libérer les prisonniers.
Essayant maladroitement de se relever, complètement groggy, les oreilles hurlantes, le dos complètement râpé
par l’explosion, le Docteur Yann Dellowski se rend compte qu’il lui manque la jambe gauche.
Son bureau n’existe plus. Son écran d’ordinateur termine de planer du 26ème étage, dans une pluie de débris. La
plupart de ses dossiers ont été vaporisés. Le cocotier a disparu.
Une ombre apparaît dans le montant de la porte du bureau. Tiens, la porte n’existe plus non plus, se dit Yann.
L’ombre s’anime et s’agite. Elle gesticule dans tous les sens. Complètement out, Yann n’entend absolument
rien de la personne qui semble être une femme en face de lui.
« Tiens, au fait, c’est Audrey. Est-ce qu’elle vient pour me dire qu’elle a fini ses tests?
Moi, j’ai pas fini de réaliser mes modélisations… »
Soudain tout tourne.
C’est le noir absolu.
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Prologue
Flottant dans l’infini, dans l’immensité du Cosmos, être vivant de l’Univers, La Voie Lactée évolue lentement
dans le sublime ballet du ciel.
Etincelante, blanche dans ce velours noir profond du Ciel, elle s’abandonne lascivement pour tourner lentement
sur elle-même, étale gracieusement et paresseusement ses longs bras parcourus de frissons si subtils que seules
les étoiles les perçoivent…
Embellie de sa ceinture de diamants des nuages stellaires qui dansent autour de son corps, couronnée de ses
deux nuages de Magellan proches de cent soixante dix mille années lumières, elle inonde la scène de sa clarté et
de sa tranquillité. Au cœur de la scène enveloppée d’immenses tapisseries d’un velours noir profond, sa sublime
présence repose et sa nonchalance provocante force l’admiration.
Etincelante, blanche, très légèrement vêtue de ce rouge, ce bleu et ce jaune des étoiles qui changent de teintes si
subtilement pour faire ressortir délicatement l’humeur, l’humour et l’amour, cette noble demoiselle invite à la
contemplation passionnée.
Accrochées tel un médaillon bleu turquoise scintillant sur cette longue robe noire que seule la chanteuse de
blues Dianne Reeves sait faire onduler trônent les sept sœurs légendaires, les fascinantes filles d’Atlas et de
Pléione, les Pléiades.
De ses lèvres, nébuleuses rouges, oranges, bleu sombre ou encore brun orangé, elle accompagne ses
mouvements de son chant des étoiles, de ses notes célestes qui sonnent et qui rythment ce spectacle que seule
une main divinement inspirée a su créer, a su animer, a su y insuffler la Vie.
Etincelante, blanche dans ce velours noir profond du Ciel, elle s’abandonne lascivement pour tourner lentement
sur elle-même, étalant paresseusement et gracieusement ses milliards d’étoiles parmi lesquelles le Soleil, infime
dans La Multitude, arbore fièrement sa jeunesse de cinq milliards d’années et son cortège fabuleux de neuf
planètes.
D’ailleurs, depuis quelques instants, à peine cent ans, cette étoile jaune se fait excellemment remarquer par sa
troisième planète, la Terre.
Toutes ces ondes radio issues de cette petite boule de matière solide qui partent se perdre partout dans
l’immensité du Cosmos sont un phénomène vraiment exceptionnel! D’une rareté qui fait honneur à l’étoile
bienfaitrice et protectrice. Cette supernova d’ondes radio augmente exponentiellement en intensité depuis
cinquante ans et vient ajouter au concert céleste un rythme plein de vitalité, de vivacité, de vigueur et d’énergie
nouvelles.
Tous ces appels téléphoniques qui échangent les mots d’amour, les mots d’amitié, les données économiques,…
Toutes ces émissions de radio qui transmettent les chansons, les publicités, les informations,…
Tous ces programmes de télévision numériques et analogiques qui projettent les films, les reportages, les talkshows,…
Toutes ces données informatiques qui sont échangées,…
…simultanément dans toutes les langues, sur une plage de longueurs d’ondes incroyablement étalée, allant du
nanomètre au kilomètre, sur une gigantesque échelle d’intensités, allant du micro ampère au kilo ampère,
pulsant tranquillement et régulièrement toutes les vingt trois heures cinquante six minutes et quatre secondes,
au fur et à mesure de la rotation de la Terre…
…forment une aura autour de la planète qui lui donne une saveur astrale mystérieuse et exquise, sucrée et
épicée, fleurie et dorée à point à la fois.
Tous ces rayonnements porteurs d’informations explosent dans l’Ether infini.
Leur force augmente.
Leur nombre croît.
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Les Cieux voient tout.
Les Cieux savent tout.
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1- Transitions
Samedi 10 juillet 2066, Temps Universel 10h42.
Quai d’Orsay, Paris.
Ca ne peut plus durer! Ca fait cinq fois que je change d’interface! Dès que j’en ai une nouvelle, des pirates
informatiques font sauter les circuits par internet! Et grâce à sa composition en mousse sinusoïdale, ils
arrivent à désintégrer le casque en faisant sauter individuellement ses seize millions de capteurs! Celui là a
failli m’avoir!
Si j’ai pas fait un vol plané de 26 étages, c’est uniquement grâce à mes réflexes! C’est surtout pas grâce à
vos services!
Jetant le nouveau casque optronique que le chef de la sécurité vient de lui donner, Yann Dellowski se masse
rageusement l’oreille gauche. Encore sous le choc de cette explosion qui lui avait arraché une jambe, agité tel
un automate déprogrammé, les yeux exorbités comme un malade de la fièvre jaune en plein délire, Yann se
tient debout devant le capitaine Landry, un frêle petit bonhomme haut d’à peine un mètre soixante huit, assis
derrière son bureau comme s'il était recroquevillé, semblant caché derrière son écran comme pour se protéger.
Le fonctionnaire de police, en bras de chemise, est si pâle qu’on le croit proche de son dernier souffle. Lui aussi
est extrêmement nerveux. A tel point qu’on pourrait parier à cent contre un qu’il vient juste de terminer la partie
complète de « Mortal Kombat Artificial Intelligence 7 » en trois minutes chrono. Il se tient assis derrière un
bureau qui prouve que les ordinateurs ne sont pas là pour sauver les arbres.
Les dossiers jonchent son bureau, recouvrent son notepad. Les capteurs cérébraux de son vieux Série 9 dont la
vitesse est de deux eggs, c’est-à-dire de deux cent équivalents terahertz, traînent lamentablement par terre. Les
disques, qui vont d’une compile de trombinoscopes de tous les terroristes informatiques recensés que compte la
planète à l’encyclopédie Larousse multimédia, sont jetés en vrac sur le bureau. Plusieurs canettes de Coca-Cola
vides emplissent sa corbeille. Sa webcam ne tient plus que par du scotch. A l’écran jauni par la fumée de
cigarette, manquant de se décrocher du mur qui fait face à son bureau, trône, tel un reporter de journal télévisé,
le buste du chef de cabinet du ministère de l’intérieur.
Sur la défensive, Landry essaye calmer Yann.
- Attendez, attendez, cette fois-ci on a failli les avoir…
- Ouais, c’est ça. Ca fait déjà trois plombes que vos sbires me sortent le même refrain! Quand je serai dans
une boîte en sapin sous vide, vous ne serez même pas capable de me protéger! C’est quoi ce travail!? Vos
experts du net savent peut-être même pas ce que c’est qu’un bot!
- Nous sommes tout à fait au point sur les programmes robotisés d’internet et nous avons aussi nos propres
prototypes de combat que nous améliorons continuellement dans nos arènes virtuelles. Vous savez, le
casque cérébral qu'on vous fournit est arrosé par un spray. Ca permet de décoder chaque rayonnement capté,
de l'analyser et de le retransmettre à nos services. Cette fois-ci on leur a explosé trois modèles de
bots espiègles, les plus dangereux. A ce train là vous n’avez plus besoin de vous en faire. Le prochain appel
n’aura même pas achevé son protocole de reconnaissance que les pirates seront neutralisés. A ce moment là,
en moins de dix secondes on aura détruit tout leur système jusqu’au moindre circuit, et une patrouille de
police pourra les coffrer en moins de sept minutes.
- Vous vous foutez de ma gueule ou quoi!? Il a pas fallu deux secondes pour me faire sauter!
- Allons, allons, calm…
- A chaque fois vous trouvez des arguments supplémentaires! Ces types ont toujours une longueur d’avance
sur vous! Heureusement que j’ai débranché mes webcams depuis trois mois! Sinon Dieu sait ce qu’ils
auraient trouvé pour me faire sauter la cervelle! Ils sont complètements malades! C’est quand même pas ma
faute si l’atmosphère s’échappe! Ils n’ont qu’à s’en prendre aux magnats du pétrole!
-
Le chef de cabinet Fillaume choisit ce moment pour intervenir.
- Bon écoutez-moi, j’ai une solution.
Yann tourne la tête vers le moniteur miteux accroché au mur.
Calme, sûr de lui, maître de la situation, le chef de cabinet continu:
- Nous avons mis en place depuis quelques années un service que nous avons copié aux américains.
L’avantage que nous avons est que notre service est totalement inconnu. C’est un programme de protection
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des témoins. Nous vous proposons de prendre pendant quelques temps, au maximum un an, un peu de
distance. Vous aurez un service de sécurité H vingt-quatre. Vous pourrez contacter vos amis et collègues
par courrier papier et uniquement via nos services. Vous aurez une couverture sûre à cent pour cent.
- Hum…
Un peu calmé, Yann écoute Fillaume qui continu.
- Il y a plusieurs conditions obligatoires non négociables que vous devez connaître. Vous devrez suivre ces
règles.
Un agent rapproché sera votre contact direct. Vous aurez obligation de suivre ses conseils à la lettre, sinon
votre protection s'arrêtera immédiatement.
- Hum…
- Vous ne devrez jamais divulguer l’endroit où vous êtes à qui que ce soit. Vous ne devrez jamais parler de ce
service à qui que ce soit sinon vous serez mis en isolement…
- Hum…
- Vous devez quitter Paris immédiatement. Votre amie peut vous suivre si vous le voulez et si elle le souhaite
aussi.
- Hum…
Yann se plonge dans une profonde et intense réflexion. Hésitant, inquiet, sachant que sa décision va changer
inéluctablement le cours de sa vie, il propose:
- Vous me demander de faire une croix sur ma vie et de vous donner une réponse immédiate. C’est pas
possible. Il me faut un moment pour décider de la solution que je vais adopter.
- Non, on ne vous change pas votre vie. C’est comme si… vous partiez quelque temps… disons dans un
endroit où les communications sont moins faciles, le temps qu’on neutralise les gens qui vous veulent du
mal.
- Vous êtes sûr que vous m’avez bien tout dit?
- A peu de choses près, oui. Là où vous serez, vous serez obligé d’avoir une nouvelle identité et vous aurez
interdiction formelle de dévoiler la vraie…
- Quoi? C’est peu de choses pour vous? Allons, restons sérieux! Ou bien vous me donnez toutes les billes
pour que je puisse me décider ou alors on en reste là!
Le chef de cabinet ne perd pas une once de son assurance.
- Vous avez toutes les informations.
- Bon. Je veux huit heures pour réfléchir, pour récupérer des documents et pour vous donner ma décision.
Ensuite, si j’accepte d’être protégé par ce programme de protection des témoins, je veux avoir chaque
semaine un rapport complet sur l’évolution de l’enquête et des actions menées par vos services de police, de
la DST, et par les services antiterroristes.
Fillaume répond aussitôt:
- Vous aurez un rapport hebdomadaire sur l’évolution de la situation.
Par contre, vous n'avez pas huit heures pour vous décider. Vous devez le faire maintenant. C’est non
négociable.
Nos agents s’occuperont de vos dossiers. Ils sont peut-être déjà être piégés. Vous avez vu les dégâts que
peut faire un appareil de vingt grammes piégé uniquement par un programme uploadé du net. Rendez-vous
compte des dégâts que peut causer un ordinateur de trois kilos qui tourne à sept eggs!
Yann lâche alors un soupir de lassitude.
- Bon, alors donnez-moi quand même quelques instants pour réfléchir.
- Non. Ce n’est pas possible. Le moindre instant que l’on perd peut vous faire perdre la vie. Il faut vous
décider maintenant.
Yann Dellowski demande alors:
- Bon je suis d’accord mais à une condition. Je veux aller dans la Cordillère des Andes, au Chili. Là-bas se
trouve l’Observatoire Européen Austral, l’ESO, qui est le plus puissant réseau de télescopes optiques de la
planète. Je pourrai y mener de nouvelles recherches qui me feront prendre un peu de distance avec mon
travail actuel.
- Accordé. Capitaine Landry, préparez tous les dossiers immédiatement.
Depuis l'écran du capitaine, on voit alors le chef de cabinet Fillaume se détourner légèrement vers un deuxième
écran situé en dehors du champ de la caméra.
On l'entend dire alors :
- Occupez-vous de toute la logistique. Envoyez une équipe prendre tous les dossiers du Docteur.
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Revenant vers Yann, il dit:
- Voulez-vous que nous demandions à votre amie de vous accompagner?
- Oui. Dites-lui que si elle ne veut pas venir, je comprendrai.
Alors, vers le deuxième écran:
- Proposez la protection à Mademoiselle Natacha Mercury.
A nouveau en direction du Docteur:
- Votre avion décolle dans deux heures. Un hélicoptère vous attend sur le toit de l’immeuble. Si
Mademoiselle Mercury décide de partir, alors elle vous rejoindra là-bas. Si tout ce passe bien, vous ne me
verrez plus. Je vous souhaite bon voyage et bonne chance. Au revoir Docteur.
Et à l'attention de Landry:
- Capitaine, dès que vous aurez préparé et rédigé personnellement tous les documents, vous me les amènerez
tout aussi personnellement. Vous avez trois heures pour tout terminer. Il est 12h53. Rendez-vous dans mon
bureau à 16h00, Capitaine.
La communication s’interrompt et l'écran s'éteint.
Le Capitaine Landry, maintenant lui aussi tranquille, se tourne vers le Docteur.
- Au revoir Docteur Dellowski. Vous vous appelez maintenant Professeur Yann Rassoli. Vous avez de la
chance, vous êtes monté en grade… Au revoir et bon courage. Si vous avez besoin d’aide quand vous serez
là-bas, n’oubliez pas que je peux vous aider.
- Humpff… Merci Capitaine. Au revoir.
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2- Bienvenue au Cerro Paranal
Samedi 10 juillet 2066, 09h23 heure locale
Je m’appelle Yann Rassoli, 27 ans, les cheveux blonds châtains, de taille normale, un mètre quatre-vingt dix. Je
suis soucieux. Dans l’Airbus A521 de l’Aérospatiale à bord duquel je me trouve en compagnie de 111 autres
passagers, je me demande ce qui m’attend. L’appareil amorce l’atterrissage à Santiago la capitale du Chili. Mes
yeux d’un bleu gris cendré fixent le moteur avec une attention somme toute… aérienne. A voir la lenteur avec
laquelle il se déplace maintenant, on devine que l’appareil ne peut réagir qu’avec un long moment de latence si
un problème se présente à lui.
L’atterrissage est tranquille et quand je descends de l’avion, j’accède à ce lieu Saint de la Technologie qu’est
l’aéroport ultra moderne Carmen Quintana de Santiago.
Nommée ainsi en l’honneur d’une étudiante de dix huit ans qui fut immolée vive par une patrouille de la junte
militaire de Pinochet le 2 juillet 1986, d’un blanc lumineux, cette cathédrale de la technologie des années
cinquante de ce vingt et unième siècle fait l’étalage des sensibilités artistiques et scientifiques du Chili.
A son extrémité la plus éloignée des pistes, et la plus proche des parkings, le bâtiment semble être poussé par le
sol pour s’élever progressivement et former un vaste dôme ovale, large de trois cent cinquante mètres, long de
plus d’un kilomètre, et culminant à plus de trois cent mètres de haut. L’architecte qui a construit la structure l’a
laissé retomber légèrement pour mieux l’élever et la lancer vers le ciel. Ainsi placée, la tour de contrôle semble
représenter la trajectoire figée d’un vaisseau fantastique qui aurait voulu bondir au-dessus de la cordillère des
Andes.
Les radars hémisphériques qui couronnent la tour sont pareils à des cloches qui se balancent inlassablement
pour appeler les fidèles. Cette tour dont les courbes fluides fuient vers l’infini donne toute sa vigueur et son élan
au géant éveillé. La centrale éolienne qu’elle contient permet à tout le complexe aéronautique d’y puiser
l’électricité nécessaire. Mais surtout cette tour multifonctions est là pour dire au Voyageur: « Regardez ce que
nos ingénieurs et nos architectes sont capables d’accomplir! ».
Le plus impressionnant, c’est de voir comment la perception de la construction change en fonction de
l’éclairage. Tôt le matin, avec la lumière du soleil qui commence à percer accompagnée d’une multitude de
couleurs allant du jaune pâle au bleu presque noir, la structure ressemble plus à une jeune femme enceinte
couchée et levant un bras vers le ciel. Le midi, le hall de l’aéroport donne l’impression au voyageur d’être un
avion poussé par le sol pour décoller, la tour de contrôle représentant la dérive de l’appareil. Enfin, le soir,
quand la pénombre commence, quand le ciel commence à prendre des teintes jaunes, rouges, rouge foncé, bleu
nuit puis noir étoilé, il ressemble à une église construite pour des géants, surmontée d’un clocher prêt à lancer
son concert cacophonique pour rappeler les habitants de la montagne avant que la nuit accompagnée du froid ne
descendent des hauteurs.
En pénétrant dans le hall de l’aéroport, je suis surpris de ne pas subir les effets du climat. Toutes les portes du
complexe sont grandes ouvertes, mais il faut croire que l’air à l’intérieur refuse de se mélanger à celui de
l’extérieur. Aucune fenêtre n'a de vitre! Et pourtant ni le froid, ni le bruit, ni les odeurs de kérosène n’entrent
dans le luxueux hall.
L’architecture est fantastique. On y cherche vainement les piliers. Les marbres blanc, brun, vert et marine qui
recouvrent les murs représentent des fresques de l’histoire du Chili. Cela ressemble à s’y méprendre à une
version moderne et minérale des tapisseries de Bayeux. Elle se termine royalement par la représentation d’un
condor qui plane au-dessus de l’entrée principale. Composé de marbres brun foncés et blancs, le majestueux
rapace fixe la Cordillère des Andes visible à l’autre bout du hall.
Une palmeraie côtoie la galerie marchande où les boutiques vantent les produits détaxés. La foule est d’une
densité surprenante. Pourtant, grâce à l’organisation des lieux, personne ne se bouscule. Le ballet incessant des
gens sur les tapis roulants est génial. Ils montent, descendent, tournent et se séparent vers les différents
terminaux pendant que d’autres arrivent de toutes parts pour se rassembler au niveau des guichets automatiques
de réservations de voitures et d’hôtels. D’autres personnes préfèrent plutôt marcher simplement pour rejoindre
leur destination. Quelques voitures électriques font rapidement la navette d’un endroit à l’autre. Les couleurs
des vêtements de tous ces gens forment un kaléidoscope complètement ahurissant. Voir autant de voyageurs si
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différents les uns des autres par leurs habits, leur culture et leur couleur forment une superbe chorégraphie
perpétuelle.
« En fait, suis-je en train de réfléchir, on se croirait tout simplement au centre commercial du Louvre à Paris, si
ce n’est qu'ici les palmiers sont omniprésents. »
Le slogan de l’aéroport pourrait être: « Visitez le monde sans prendre l’avion : visitez le hall de notre
aéroport! ».
Surplombant tout cet univers, plusieurs statues monumentales contemplent le va-et-vient de tous ces
représentants de la planète qui viennent de partout et vont ailleurs… L’une d’elles en marbre blanc représente
une jeune fille assise en tailleur. De son visage transparaît une douceur d’une profondeur incroyable. Toutes ses
courbes créent une impression de tranquillité qui repose le spectateur. Les coudes posés sur ses genoux, ses
deux mains à peine tendues en avant sont refermées l’une sur l’autre. Elle est prête à ouvrir les paumes. Que
cache-t-elle ainsi? Son mystère attise l’attention du voyageur. Son regard apaisant est illuminé par le tendre
sourire qu’elle esquisse. Une beauté magique s’en dégage.
Un peu plus loin domine une sculpture sans une face lisse. Sombre, faite d’une matière poreuse et rugueuse,
une multitude d’échardes en sortent dans tous les sens. Tourmentée, elle ne ressemble à rien. D’elle ne
transparaît que le doute et la violence. Une esquisse de bras tendu en avant est le seul trait d’humanité qu’on
peut y trouver. Encore un peu plus loin, une grande surface vide, blanche, de dix mètres carrés, est réservée à
un petit disque informatique qui repose à un mètre cinquante de hauteur en lévitation magnétique, défiant les
forces gravitationnelles. Le disque invite à la contemplation tranquille, au calme certain. Analogue à la
puissance sereine de la volonté de l’Homme face au destin du cours des choses, le disque flottant est fondu dans
l’ambiance aérienne du lieu. Il invite à dire que rien n’est inéluctable et qu’à force de volonté l’impossible est
possible.
Malgré le mouvement, la ferveur et l’éternel bruit de conversation qui règnent dans cet immense hall, malgré
les annonces par haut-parleur des départs et des arrivées, des notes de flûte de pan se font entendre dans un
murmure de vent qui souffle doucement et d’eau qui coule résonnant légèrement.
Selon les endroits où je me trouve dans l’aéroport, des odeurs virtuelles différentes se font sentir en alternance
sans jamais entrer en conflit les unes par rapport aux autres. Les émetteurs sont disséminés un peu partout, et
c’est par résonance ondulatoire que mon odorat est bluffé. Là où je me trouve à présent, je perçois une odeur de
pins. Il y a deux minutes, c’était une odeur de fruits exotiques. Ces sensations sont très agréables et achèvent de
me dépayser. Paris est vraiment loin maintenant. Bien plus qu’à trois heures de distance!
Là, je passe une petite heure à attendre un vieux DC-10 qui va m’amener à la ville portuaire d’Antofagasta De
La Sierra, beaucoup plus près de l’observatoire. Je contemple le paysage à travers les immenses baies. C’est
absolument incroyable. Derrière le ballet des avions qui décollent et qui atterrissent, les palmiers sont visibles
pas très loin des pistes au pied des montagnes recouvertes des neiges éternelles au blanc encore immaculé. Le
mélange de ces deux éléments soulignés par l’aspect sombre, presque noir, de la pierre des montagnes qui se
dégage ça et là est réellement unique.
Bientôt le DC-10 décolle, et nous laissons Santiago derrière nous.
Le temps de passer non loin du site où culmine le Cerro Paranal à 2635 mètres d’altitude, de prendre un
rafraîchissement dans l’avion et d’y manger les traditionnelles cacahuètes génétiquement multicolores et nous
arrivons dans le petit aérodrome de montagne à près de 1300 kilomètres au nord de Santiago.
Antofagasta De La Sierra est à 130 kilomètres de l’observatoire. Isolé de tout, le centre astronomique ne subit
aucune lumière parasite dans le ciel. Pas de vibration venant du sol. Pureté du ciel austral. Les conditions
idéales pour l’observation astronomique sont toutes réunies. Je descends de l’avion et le froid vif s’empare
aussitôt de moi.
Inquiet, je me demande dans quel pétrin je me suis mis. Je suis à l’autre bout du monde en train de fuir des
fanatiques qui veulent ma mort. Je ne sais pas quel est mon contact. Ni comment il s'appelle, ni à quoi il
ressemble. Et que devient Natacha?
Les questions m’assaillent. Les réponses se laissent désirer. Le doute m'envahit.
« Quelle erreur j'ai commis en acceptant de venir ici ! »
Je peste contre moi-même.
C'est alors que mon contact me reconnaît.
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Il s’approche de moi et m’accueille avec son fort accent espagnol qui me fait définitivement penser que je suis
bel et bien arrivé au Chili:
- Je m’appelle Gonzalo Safotas, Professeur Rassoli. Suivez-moi s’il vous plaît.
Prêt à lui répondre que je suis le Docteur Dellowski, je me ravise en repensant à ma nouvelle identité. Je me
sens complètement désorienté et je le suis sans dire un mot.
Nous arrivons à sa voiture, un petit taxi.
Il me tend une parka.
Impeccable. Elle stoppe immédiatement le froid.
Je n’ai aucun bagage avec moi, et c’est avec plaisir que je monte rapidement à l’avant du véhicule chauffé.
Il se met au volant. La banquette arrière est remplie de vivres, de couvertures et d’autres matériels de camping.
Ce n’est pas pour moi car je serai le soir même bien au chaud dans un appartement. Aussi je ne pose pas de
questions.
Enfin, … Finalement, … J'espère être ce soir même au chaud dans un appartement…
Les questions m'assaillent de nouveau.
Les cheveux bruns en bataille, Gonzalo est un homme assez trapu, bon vivant mais sans trop d’embonpoint. La
trentaine bien passée, il est assez jovial. L’agent de la DGSE, la Direction Générale de la Sécurité Européenne,
le principal organisme de services secrets européens pour les affaires extérieures, me semble assez vif, malgré
les apparences qui laisseraient penser qu’il préfère la bière à la randonnée.
Cependant, en le voyant conduire, j’ai l’impression qu’il peut se faire passer pour n’importe qui. Pour un
chauffeur de taxi tranquille, comme maintenant, ou bien pour un « cadre dynamique », ou encore pour un
déménageur. J’ai le sentiment que c’est un véritable caméléon et qu’il peut endosser n’importe quel type de
rôle. Cette impression me rassure, et c’est plus serein que je me laisse conduire.
Sur la route qui nous emmène à l’observatoire, la B70 Old Panamerican Highway, il m’explique la situation.
- Bien, Professeur Rassoli, j’espère que vous avez fait bon voyage. Tout d’abord, j’ai des nouvelles de votre
amie: elle arrivera demain par le prochain avion. Dès lors, elle sera ici à vos côtés.
- Ah, super. Cela a dû lui faire un choc d’apprendre la nouvelle de façon aussi abrupte.
- On m’a dit qu’elle l’a plutôt bien pris.
- Oui, elle est très rationnelle.
- A propos des pirates : nous avons réussi à nous faire passer par vous au cours d’une nouvelle
communication. On leur a détruit six nouveaux types de bots espiègles. Ce qui nous intrigue, c’est comment
ils peuvent en avoir autant. Ils sont très organisés vous savez. Heureusement qu’ils agissent toujours pareil!
Mais dès qu’ils sauront que vous êtes caché, ils arrêteront cette série d’attaque pour se lancer à vos trousses.
Il faut que nous les ayons avant qu’ils ne changent leurs méthodes. Sinon, ça sera beaucoup plus compliqué
pour nous de les avoir.
- En clair, dis-je, si on ne les arrête pas maintenant, il y en aura pour des années?
- Ne soyez pas pessimiste…
- Humpff…
Changeant alors de sujet, il me dit :
- Tenez. Voici les clés de votre appartement et de votre voiture. Vous avez une Plymouth. Rassurez-vous, la
correction de trajectoire peut être inhibée. En haute montagne, c’est important.
- Oui, c’est vrai.
- Voici vos cartes de crédit et vos pièces d'identités. Vous n’aurez pas d’arme. Vous n’en aurez pas besoin, et
cela pourrait attirer l’attention.
- De toute façon, je n’en veux pas.
Je mets les différents objets dans mes poches pendant qu’il me décrit ma couverture.
- Nous vous avons trouvé une mission payée par le gouvernement français. On a cherché un moment, mais
cela devrait vous convenir. Vous êtes envoyé ici pour une durée de six mois, renouvelable si nécessaire.
Vous devez participer au programme SETI 2 qui doit débuter dans trois semaines. Si on vous pose la
question, vous direz que vous arrivez dès maintenant pour vous familiariser avec leurs méthodes de travail,
leur matériel, et pour vous plonger dans les dossiers du programme SETI précédent qui avait été mis en
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place par l'université de Berkeley. Dans le coffre du taxi se trouve votre ordinateur avec tous les dossiers
scientifiques dont vous pouvez avoir besoin.
- Je pense que c’est une mission intéressante, dis-je simplement. Je travaille seul ou en équipe?
- Vous travaillez avec votre amie qui arrive demain. Ca permet d’interrompre votre mission à tout moment
sans avoir de compte à rendre.
- Excellent. A propos, j’y pense. Quelle est la nouvelle identité de Natacha?
- Désormais, pour la durée de votre mission ici, c’est votre femme.
- J’étais marié sans le savoir dites donc! dis-je avec un large sourire.
- C’est vrai!, réagit Gonzalo. Congratulations!
Partant d’un bon rire, je me dis que cette épreuve ne sera peut-être pas aussi terrible que ça.
- Son prénom reste le même. Ca évite tout risque d’erreur. Son nom de jeune fille était Mademoiselle
Mercury. Son nom actuel est donc le même que le vôtre, Professeur Rassoli. Tenez, voici votre alliance.
- Au fait, est-ce qu’elle sait qu’elle est mariée?, fais-je à Gonzalo.
Il rigole un peu.
- Pas encore! Un collègue lui donnera tous ses papiers et son alliance juste avant qu’elle n’embarque pour
venir vous rejoindre ici!
- Très drôle! Elle qui depuis quelque temps commençait à souhaiter cet événement… Elle sera heureuse
d’apprendre la nouvelle! Nous sommes mariés depuis combien de temps?
- Et bien, là aussi pour rendre la mission plus réaliste, vous venez de vous marier il y a seulement quelques
semaines. En fait, officiellement, vous avez décider de vous marier dès que vous avez appris que vousmême viendriez ici à l’ESO. Pour qu’elle puisse venir avec vous.
- Très bien pensé!
- On a des gars qui sont payés pour ça, vous savez, dit Gonzalo un peu goguenard.
- Oui, mais savez-vous que ma femme ne connaît pas grand chose à l’astronomie?
- On sait qu’elle est intelligente et qu’elle est extrêmement motivée. Elle apprendra vite, vous verrez!
Après avoir emprunté la route sinueuse pendant près de deux heures, nous commençons à sortir du désert
enneigé d’Atacama et nous commençons à apercevoir le réseau de télescopes qui trône au sommet du Cerro
Paranal. La végétation est très rude. La plupart du temps, elle n’est composée que d’herbe rase. Pourtant, depuis
une dizaine d’années, les habitants ont commencé à y faire pousser des arbres. L’air raréfié de l’altitude associé
à des engrais spéciaux leur permet d’obtenir en quelques années des arbres de taille adulte. Du coup, il y pousse
aussi par endroits de hautes herbes et broussailles, alors que même en 2000, le sol était pour ainsi dire
désertique à cet endroit.
De loin en loin, on aperçoit des bois où tous les arbres ont à peu près la même taille. Entre deux bois se trouvent
des parcelles où il n’y a plus que des souches parfois masquées par une plaque de neige. C’est ainsi que nous
continuons à parcourir ce paysage monotone, alors que l’Océan Pacifique est à moins de dix kilomètres à vol
d’oiseau.
Gonzalo reprend son explication à propos de ma couverture:
- Vous êtes chercheur indépendant en France et vous avez répondu à un appel d’offre du gouvernement.
Votre candidature a été retenue, puis vous avez été sélectionné. L’appel d’offre a réellement été ajouté dans
les archives du ministère de la recherche. S’ils veulent recouper les informations, il n’y aura pas de
problèmes.
- Quelles ont été mes principales recherches et réalisations au cours de ma carrière? Sur quel sujet était ma
thèse? Et quel est mon background scolaire?
- Toutes ces informations se trouvent dans votre ordinateur. Une partition de votre disque dur a été créée. Elle
y est cachée. Quelles que soient les tentatives d’effraction dans votre ordinateur, les informations relatives à
votre couverture ne sont accessibles que par un seul moyen. Au moment du démarrage de l’ordinateur, entre
le moment où le bios précise « Economiseur d’énergie initialisé » et « Interface française sélectionnée »,
vous avez une demi-seconde pour taper le code « R2D2! ».
- Amusant…
- Oui, je sais, dit-il en voyant mon air surpris. C’est un fan de « Star Wars » qui a choisit le code.
Bon, ensuite, vous verrez que l’ordinateur paraît bloqué. En fait, pour tout ce qui touche les liaisons
internet, il l’est réellement. Vous tapez alors votre numéro de sécurité sociale. Vous verrez l’ordinateur
redémarrer et vous aurez accès à toutes les données cachées. Si vous laissez votre ordinateur allumé dans
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cet état, dès que vous vous en éloignerez, il se repositionnera automatiquement sur l’autre partition,
standard, du disque dur. Vous devrez redémarrer l’ordinateur pour accéder à nouveau aux données cachées.
Il fait une courte pause et me demande:
- C’est bon, vous avez bien suivi?
- Oui, il n’y a pas de problème. Juste un point : je croyais que je ne pouvais pas communiquer vers l'extérieur,
et là vous me parlez d'internet?
- Oui, mais ce n'est pas internet normal. C'est seulement un lien vers notre base de données qui est protégée
des intrusions de l'extérieur.
Trois choses encore.
Un, vous montrerez ces informations à votre femme.
Deux, par mesure de sécurité, toutes les informations qui sont sur la partition cachée de votre ordinateur
seront détruites d’ici une semaine.
Enfin, je serai votre contact ici. Pour m’appeler, c’est très simple: prenez le taxi! Je ne fais jamais de
réunion autrement. Tenez, voici ma carte.
- Merci. Je vois que tout est bien pensé… Maintenant, parlez-moi un peu des gens que je vais côtoyer au
centre.
- Je vais commencer par le directeur du centre. C’est le Professeur Butch Brand. Il est américain. Il a
commencé en tant que spécialiste des télécommunications spatiales. Ensuite, il a activement participé à la
construction de Hubble 2. Il sait très bien mener sa barque. Il est là depuis six mois et sera là pendant encore
un an et demi. Le directeur du centre change tous les deux ans. Il gère les dix équipes d’astronomes, la
vingtaine de chercheurs indépendants, et l’équipe informatique qui est responsable du centre de calcul.
Il y a une équipe affectée par télescope plus deux autres. L’une a en charge la maintenance du système
informatique. L’autre coordonne les « équipes télescopes » pour mener à bien des observations communes.
Il y a en moyenne cinq à six membres par équipe. En ce moment, quatre sont Européennes, quatre sont
Américaines, une est Australienne. La dernière est Canadienne.
- Canadienne ou Québécoise?
- Non, non, Canadienne. Le Québec Libre n’a pas encore envoyé de chercheur ici. L’équipe de coordination
est actuellement Américaine. Les informaticiens sont Européens. Quant aux chercheurs indépendants, ils
viennent d’un peu partout.
Nous arrivons. Vous voyez, là, à droite, c’est pour aller au centre. Ici, à gauche, c’est pour aller au village.
Vous verrez, il y a quand même pas mal d’animation. Ah oui, au fait, j’ai failli oublier. Vous avez rendezvous avec le Professeur Butch Brand lundi matin à 09h00. Vous pourrez discuter directement avec lui des
fenêtres d’observations dont vous aurez besoin et de tous les autres détails que vous jugerez utiles à votre
travail. Dans votre ordinateur se trouve aussi un détail du budget dont vous disposez. Votre couverture est
une véritable mission scientifique!
- Oui, je m’en suis rendu compte. D’ailleurs, je suis payé combien?
- Sur votre nouveau compte en banque, vous avez vingt mille euros et des bananes. Votre salaire est de 6500
euros net par mois. Non négociable.
- Hum…
Bon, c’est pas trop mal, suis-je en train de penser. C’est vrai que ça ressemble à s’y méprendre à une vraie
mission scientifique. Le salaire n’est pas celui du privé, mais ça ira quand même.
Le taxi arrive enfin dans la petite bourgade, Jeff. Gonzalo me la présente rapidement.
- Cette bourgade a pris le nom du récent tremblement de Terre qui l’a miraculeusement épargnée ainsi que
l’observatoire. Toute la région avait été dévastée en 118 secondes par ce tremblement de terre de magnitude
8,2 sur l’échelle de Richter et dont l’épicentre était situé à 150 kilomètres de là. Pas de chance pour le reste
de la région. Pourtant, les sismologues avaient calculé qu’un tel phénomène avait à peine un pour cent de
chance de se produire tous les cent ans! Et il a fallu que ça arrive il y a trois ans…
- J’ai entendu parlé de ce tremblement de terre. 118 secondes!… C’est vraiment long!
- Oui, et comme le centre et le village ont résisté sans aucun dommage, certains y voient un signe divin et
commencent à venir ici en pèlerinage.
A l’entrée du village nous accueille un grand panneau disant: « Welcome to the city of the European South
Observatory ». Le panneau est illustré par un grand logo de l’ESO. Entourées de quatre petites étoiles
scintillantes, le O d’ESO soutien les deux autres lettres majuscules.
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Derrière, plusieurs dizaines de petits chalets enneigés se distinguent d’une quinzaine de grosses bâtisses. En
béton, celles-ci n’ont pas ponctionné beaucoup sur le budget de construction du centre scientifique. Au milieu
trône une petite église catholique. C’est en fait un chalet dont le toit pointu n’est qu’une image holographique.
Moins cher et construit bien plus facilement, cet hologramme donne néanmoins du cachet à la petite ville.
Pendant que nous rejoignons mon appartement, j’aperçois dans la rue quelques personnes qui vont ça et là, de
l’épicerie au café, de la supérette à la station essence où est stationné un chasse neige au milieu de quelques
motoneiges. Voir le taxi arriver n’intéresse pas les villageois. Ca me rassure, ça veut dire qu’il y a quand même
du passage.
Le village est à flanc de montagne à quelques kilomètres du centre de recherche scientifique. Quelques touristes
prennent un whisky sur la terrasse du café en contemplant l’océan en contrebas. Deux vieux bus Renault
stationnent le long de la route. Mis à part quelques détails, on se croirait dans une petite station montagnarde
Alpine.
Un enfant amène son lama vers le cours d’eau artificiel dans la vallée quelques centaines de mètres en
contrebas. Quelques vieilles femmes avec leur éternel chapeau portent leurs sacs pleins de pizza Hut surgelées
et de bouteilles de Coca-Cola. D’autres ramènent les bouteilles plastiques vides consignées ou vont vendre leur
fromage traditionnel de brebis. Au loin, en contrebas sur le versant de la montagne, de l’autre côté de la rivière
artificielle, des hommes travaillent autours des kina-kina, ces arbres dont le nom veut dire « l’écorce de
l’écorce ». On les appelle quinqana, renommés pour les vertus curatives de la quinine qu’on en tire. Mais s’ils
sont exploités aussi intensément ici, c’est parce qu’ils entrent dans la fameuse composition du Coca-Cola dont
la recette reste encore et toujours jalousement gardée secrète. Ces arbres, qui poussent dans une atmosphère
relativement raréfiée éloignée de toute pollution importante sont très à la mode en ce moment. A la fois dans les
pays occidentaux et en Asie, la dernière stupidité en vogue est d’acheter une petite boîte en bois dans laquelle
on y met la tête. « Respirez cinq minutes par jour dans la boîte du vrai quinqana de la Cordillère des Andes, et
grâce à cette unique essence végétale issue d'une plante qui a poussé dans un mélange d’air pur d'altitude et
d’air salin du Pacifique, vous vous sentirez bien toute la journée! ». Le pire, c’est que ça se vend comme des
petits pains. Il faut dire que quand on a seulement un niveau de pollution 4 à Lille, on est content! « Faites du
sport, profitez-en! », annoncent alors les médias.
« C’est complètement ridicule, suis-je en train de penser. Il vaut mieux faire du sport dans une salle munie d’un
purificateur d’air. Enfin,… Au moins, c’est une chose que je gagnerai pendant mon séjour ici: respirer de l’air
pur. »
En voyant la tête que je fais, Gonzalo me rassure:
- Attendez d’avoir vu la ville souterraine, vous serez content! Dans la bourgade à l’extérieur, là où d’ailleurs
vous habitez, il y a moins de mille personnes. Dans la ville souterraine, il y a en a près de trois mille qui y
résident. Vous savez, il y a près d'une centaine de chercheurs pour le centre. Il faut du monde pour la
logistique. Et la bourgade a aussi son économie: l’élevage des moutons et des lamas et le tourisme
scientifique.
- Ce qui me surprend, ce sont tous ces animaux et tous ces arbres à une altitude pareille.
- Oui, tout à fait. Vous savez, grâce aux recherches génétiques, il a été facile de faire pousser des arbres ici.
Pour les animaux, ça a été plus simple. A partir du moment où il y avait à bouffer, ils se sont adaptés tout à
fait naturellement!
Gonzalo continue:
- Dans les souterrains, construits pour protéger l’observatoire de la lumière parasite qui sinon aurait été
diffusée dans le ciel, il y a un cinéma avec plusieurs salles, une boîte de nuit, un complexe sportif et une
piscine. Il y a même un dojo et une salle des fêtes où la plupart des spectacles sont retransmis en liaisons
directes internet! On s’y croirait! Vous avez même l’avantage, avec les lunettes 3D, de vous croire sur la
scène au milieu des danseurs et des chanteurs! L’effet est saisissant! Je vous conseille d’essayer! Après,
vous ne pourrez plus vous en passer!
Je ne lui dis pas qu’à Paris de tels systèmes existent couramment depuis plus de cinq ans, il a l’air tellement
content de me montrer que ce village n’est pas un trou… en altitude…
Nous arrivons au parking de mon chalet. Cinq voitures sont garées. Y compris une Plymouth bleue. Elle n’est
pas toute jeune. C’est un modèle de 58, mais elle n’a pas l’air trop mal en point. Le principal est qu’on puisse
escamoter son radar de correction de trajectoire. Il vaut mieux pouvoir le débrancher en montagne, surtout
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quand il neige. On part tellement vite dans le décor sinon!… Parfois, ils devraient mieux y réfléchir par deux
fois avant d’homologuer les brevets!
- Vous êtes au deuxième étage, me dit-il.
Nous entrons dans l’immeuble. Le vestibule est assez petit mais très fonctionnel. Il a en tout cas l’énorme
avantage d’être chauffé. J’ai beaucoup de mal à m’habituer au froid des montagnes.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrent à ce moment-là. Un individu blond, de grande taille, en sort. Il est
visiblement surpris de nous voir. Néanmoins, il passe devant nous comme si de rien n’était et il sort du
bâtiment.
Gonzalo réagit immédiatement. Il sort de sa poche un petit appareil et me dit:
- Tenez. C’est un détecteur d’émissions radio. S’il bip quand vous êtes dans votre appartement, alors c’est
que des micros y sont cachés. Moi, je vais suivre le bonhomme qu’on vient de croiser. Je vous donnerai de
mes nouvelles dès que possible. Votre appartement est le 21. Voici les clés.
Et aussitôt il sort de l’immeuble. A ce moment, j’entends une voiture partir en trombe. Des crissements de
pneus se font entendre et le bruit du moteur commence à disparaître. Le moteur du taxi se met en marche et part
à sa poursuite. En quelques secondes, je n’entends plus personne.
Interdit, je reste là pantois quelques instants. Il n’y a plus aucun bruit, hormis la ventilation du hall et les
moteurs électriques de l’ascenseur.
Je tends l’oreille, aux aguets. Rien. Je regarde partout autour de moi. Rien. Je me rends alors compte que je
commence vraiment à avoir chaud et j’ouvre ma parka. Je n’ai toujours pas bougé de l’endroit d’où m’a laissé
Gonzalo.
Les portes de l’ascenseur devant moi sont restées ouvertes. Elles attendent que j’entre. Je préfère emprunter
l’escalier. Cet engin ne me dit rien qui vaille.
Je me dirige vers l'escalier.
Je monte précautionneusement les deux étages.
J'arrive en haut. J’ouvre.
Il n’y a personne.
Le couloir n’est pas très long. Droit, il se termine par une petite fenêtre fermée dont le verre est légèrement
opaque. La lumière est claire. Il n’y a que deux appartements. J’ai une bonne vision des lieux. J’active le
détecteur de Gonzalo. Aucun signal. Je m’engage dans le couloir.
Quelqu’un regarde la télévision.
Aucun autre bruit.
Les deux appartements ne sont pas en vis-à-vis. Je suis obligé de passer devant le premier avant d’entrer dans le
mien. Je passe. Je suis prêt à bondir. A la télé, un joueur hésite pour répondre que le titre de Tomb Raider III
était La Confrontation Finale. Je suis devant la porte de mon appartement. Le récepteur n’émet aucun son. Elle
est fermée. A clé. Jusque là, tout va bien.
Je regarde dans le trou de la serrure. Aucun piège visible.
Mon cœur bat à tout rompre.
J'y introduis la clé. J'attends une seconde. Je tourne la clé. J'appuie sur la poignée. La porte s’ouvre lentement.
Le récepteur ne fait toujours aucun bruit. Une enveloppe traîne par terre. Elle a été glissée sous la porte. Je m'en
occuperai tout à l'heure. Rien ne presse. Je dois m'assurer avant tout que l'endroit est sûr.
Je suis dans un petit hall de quelques mètres carrés. Je dénombre quatre portes. Je ferme celle de l’entrée.
J'assure mes arrières.
Le récepteur ne dit rien. Il y a une légère odeur de peinture. Il fait frais. Une fenêtre doit être ouverte. Un
frisson me parcourt le dos, …, très lentement…
Je commence par celle de gauche.
Je l’ouvre.
Sans difficulté. Sans grincer. C’est la chambre. Personne. La porte n’a pas tout à fait fini de s’ouvrir… Je
rentre. Mon ouïe est tendue au maximum.
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Il y a deux armoires et une autre porte.
Elle est déjà ouverte.
Elle donne sur un rangement. J’avance doucement. Tout doucement. Je ne perçois aucun bruit. Aucun
mouvement. Je surgis dans le rangement!… Il n’y a personne. Je crois ne pas avoir fait de bruit.
De toute façon, s’il y a quelqu’un, il sait que je suis là. Il m’a forcément entendu ouvrir la porte avec les clés.
Je fais demi-tour.
Je retourne dans la chambre. J’ouvre le premier placard. Je m’attends à voir quelqu’un bondir sur moi!
Personne. Je me dirige vers le deuxième, quand j’entends comme un frottement qui vient d’une autre pièce…
Cela vient de derrière la première porte à droite de l’entrée. Je retiens mon souffle. J’avance.
La lumière est diffusée légèrement par-dessous la porte.
Elle vacille puis redevient normale.
Quelqu’un en bougeant a fait obstacle à la lumière qui filtre sous la porte! Ma tête bourdonne. Je prends mon
courage à deux mains. J’avance doucement… Je longe le mur…Je n’ai aucune arme. Mon seul bouclier est la
parka rouge signée Adidas que m’a donnée Gonzalo à l’aéroport. J'avance.
De l’autre côté, un fracas retenti! Je me jette en avant! Je hurle pour effrayer l'intrus!
Je surgis dans la salle de cuisine… et je vois le robot ménager qui jette tranquillement les aliments dont la date
limite de consommation est périmée depuis ce matin. Je mets quelques secondes à reprendre mes esprits.
Je souffle.
J'aspire l'air frais à grandes goulées.
Je décide de terminer la visite de l’appartement. Pour avoir l’esprit tranquille.
C’est avec un soupir de soulagement que je fais demi-tour pour me diriger vers la porte suivante, la deuxième
en partant de la droite par rapport à l’entrée.
Mais un détail attire mon attention. L’enveloppe qui avait été glissée sous la porte d’entrée n’est plus là.
Un frisson glacial me parcourt le dos en un quart de seconde.
Ce n’est pas le robot qui l’a prise! Je sens mon cœur battre plus fort. Mes cheveux semblent se hérisser
lentement au-dessus de ma tête… Qu’est devenue l’enveloppe? Instinctivement, je me contracte.
Doucement, sans un bruit, je retourne dans la cuisine et y cherche un couteau. Je ne trouve qu’un pic émoussé à
rôtissoire. Je le prends. En quelques pas, je me retrouve dans l’entrée. J’avance doucement… Tous mes sens
sont développés au maximum. La légère odeur de peinture devient entêtante. L’ai froid qui vient de la fenêtre
ouverte de la cuisine se fait vif. Le sang qui bourdonne dans mes tempes fait tellement de bruit que l'intrus doit
l'entendre aussi. Je n’aime pas les armes, mais il est clair que j'aurai préféré un vieux 357 magnum que ce pic à
rôtissoire, je ne suis pas à l’aise. Je continue à avancer. J’ai l’impression que le temps dure une éternité. Ca fait
à peine une minute que je suis entré.
Plus j’avance, plus l’air se réchauffe. J'étouffe. Je cherche l’air frais. Ma main tremble. Elle n’est plus qu’à
quelques centimètres de la poignée de la porte de ce que je crois être la salle de bain. Je la saisis doucement. Ma
respiration devient lourde. J’essaye de garder mon calme. Mes nerfs sont tendus. Tous sont prêts à exploser!
D’un seul mouvement, je tourne la poignée de porte et plonge en avant! Je me cogne la tête dans une vieille
armoire en bois massif. Complètement groggy, je me retourne en faisant de grands moulins dans le vide avec
mon pic à rôtissoire. Je me relève. Je titube. Tout tourne autour de moi. Mes oreilles bourdonnent. Il n’y a
personne dans la pièce. Vu le bruit que j’ai fait, je risque le tout pour le tout et je me lance à l’assaut de la
quatrième pièce. J’y bondis avec une telle violence que je pousse tout devant moi tel un ras de marée. C’est le
salon. Il y a une baie vitrée. Elle est grande ouverte! Je me précipite à l’intérieur de la pièce. Je la traverse en
trois enjambées! Je vois disparaître une ombre! Je l’entends qui s’éloigne en courant.
Sans réfléchir, j’escalade le balcon. Je me laisse tomber sur la terrasse du premier étage. Je recommence et
j’atterris sur le goudron du parking. Le bruit des pas est assez lointain maintenant. Je commence la poursuite sur
la seule petite route du village. Ca fait un moment que j’ai arrêté de faire du sport. Et même si je ne fume pas,
ce n’est pas l’air de Paris qui m’aura aidé à maintenir ma forme physique! En plus, l’air de haute montagne
n’est pas fait pour m’aider! Rapidement, je me mets à chercher l’oxygène raréfié. J’ai du mal à respirer. Mon
souffle est court. Ma tête tourne. Je vois soudainement une ombre qui se dirige vers un bâtiment aux formes
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bizarres. Une enseigne y annonce « Bienvenue dans le complexe souterrain! ». Je sens qu’il va m’échapper.
J’arrive à l’entrée de la bâtisse. Un escalier automatique plonge dans les profondeurs de la montagne. Je
descends les marches quatre à quatre au risque de glisser et de me ramasser au bas des escaliers.
J’arrive en bas au bout de cinq secondes. J’ai dû dévaler trente mètres au moins. Plusieurs personnes sont
surprises de me voir débouler comme un diable surgissant de sa boîte.
En ce samedi après-midi, j’ai l’impression que tous les habitants de la petite ville se sont donnés rendez-vous
ici. Le fugitif a trouvé refuge dans la foule. Je n’ai plus moyen de le rattraper à présent. Que contenait cette
enveloppe? Qui sait que je suis ici? Pourquoi quelqu’un a-t-il pris autant de mal pour me la donner? Et
pourquoi ensuite quelqu’un s’est-il donné autant de mal pour me l’enlever? J’essaye un moment de retrouver le
fuyard, n’ayant que mon instinct pour me guider. Au bout de quelques minutes, je laisse tomber la poursuite. Il
m’a échappé.
Rageusement, tout en reprenant mon souffle, je décide de retourner à mon appartement et d’y attendre Gonzalo,
quand soudain une détonation retentit violemment! Des cris se font entendre. Je me précipite pour voir ce qui
s’est passé. Je ne veux pas m’approcher trop près pour ne pas attirer l’attention mais je vois un homme couché
qui ressemble vaguement à la silhouette que je poursuivais. Mais honnêtement, je suis incapable de certifier
qu’il s’agissait bien de lui. De loin, je regarde s’il n’a pas une enveloppe. Non. Bizarre… Que se passe-t-il ?
Cette enveloppe est décidément très dangereuse!
Les questions envahissent mon esprit pendant que je m’éloigne de la scène du crime. J’arrive à nouveau devant
mon appartement. Je rentre.
Stupeur!… L’enveloppe est revenue. Glissée à nouveau sous la porte! Je n’ai pourtant croisé personne! Je la
prends aussitôt. Furieux, muni de mon détecteur de micros, je refais le tour de l’appartement en moins de temps
qu’il ne faut pour le dire. Il n’y a personne. Mais quand j’arrive dans la chambre, mon appareil émet un léger
bip un peu étouffé.
Il y a un micro!
L’écran à cristaux liquides m’indique la direction et la distance. Je suis les indications. Je ne vois rien.
Finalement, à force d’écarquiller les yeux, je perçois un léger filament, épais comme un cheveu, collé contre le
mur. Je le décolle. Sans le lâcher, je me dirige vers la fenêtre du bout du couloir de l’étage. Je l’ouvre et je
souffle sur ma main qui le tient. Le micro espion s’envole légèrement dans la Cordillère.
Je reviens rapidement dans mon appartement. Je referme précautionneusement la porte d’entrée. Je ferme toutes
les fenêtres, m’assure que la porte et la baie vitrée sont verrouillées, je me sers un cognac et je m’assois.
Je respire de bonnes goulées d’air frais.
Posément, je me mets à réfléchir.
Je regarde fixement l’enveloppe. Aucune trace sur l'enveloppe qui peut m'en dire plus.
Est-ce qu’elle est piégée? Je ne suis pas Superman, mais j’aurai bien aimé avoir sa vision à rayons X pour voir
au travers. Avec tous les attentats que j’ai subi ces derniers temps, je fais extrêmement attention à mon courrier,
qu’il soit normal, électronique ou téléphonique! Il est trop explosif ces temps-ci!
L’enveloppe est assez épaisse. Antichoc. Il y a donc une couche plastique sous le papier de l’emballage. C’est
peut-être sous vide… Du sodium? Si c’est ça, alors dès que je l’ouvrirai, ce métal mou sera instantanément mis
au contact de l’oxygène présent dans l’air et il explosera! Je flaire l’enveloppe. Je ne détecte aucune odeur
bizarre. Je vais chercher de l’eau de Javel dans la salle de bain. J’en passe un tout petit peu sur les bords de
l’enveloppe avec mon index. S’il y a eu des traces de sodium sur l’enveloppe, alors elles réagiront avec ce
liquide et formeront du sel. Vu la très faible quantité que j’ai déposée, ça sèche presque immédiatement. Je
passe ma langue là où j’ai déposé l’eau de Javel. Je ne détecte aucune sensation salée. Je me rince rapidement la
bouche.
Bon… Je n’ai rien détecté. Si j’avais perçu le goût du sel, j’aurai été fixé. Mais là, je n’ai rien senti. Je ne peux
pas prendre le risque non plus de me dire que comme je n’ai pas détecté la présence éventuelle de sodium, c’est
qu’il n’y en a pas! Je ne suis donc pas plus avancé.
Je la secoue un peu. Ca bouge. Comme s’il y avait un disque et des feuilles en papier. Il me vient alors une idée
géniale…
Les disques sont entièrement plastifiés depuis maintenant quelques années.
Je me dirige alors vers la cuisine, sûr de moi.
Si l'enveloppe ne contient qu'un disque et des feuilles de papier, ça ne risque rien et ça n'abîmera rien. Si c’est
une bombe ou du sodium, il y a forcément du métal. Ca explosera. Je n’aurai que quelques secondes pour me
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mettre à l’abri. Vu la taille du paquet, la cuisine sera complètement rasée, mais normalement, ça ne devrait pas
détruire plus que ça!…
Enfin, je l’espère…
Normalement…
Je préfère avoir comme couverture le poste d’un chercheur faisant partie du projet SETI 2 ici au Cerro Paranal
plutôt que celui d’un grand brûlé à l’hôpital de Clamart près de Paris! Dommage pour l’apart, il était si bien
refait à neuf!…
Je mets l’enveloppe dans le four à micro-ondes. Je règle la minuterie pour une durée de quinze secondes. Je
positionne la puissance de l’appareil au maximum, soit 3200 watts. Je prépare mon chemin de secours. Je
pousse un peu des chaises et la petite table du salon. Je bloque les portes grandes ouvertes pour être certain
qu’elles ne sont pas fermées au moment de mon passage. Il n’y a ni fil, ni tapis sur le sol. Au moins, je ne
trébucherai pas.
Dès que j’aurai mis en marche le four, je me réfugierai derrière le canapé en cuir du salon, qui est de l’autre
côté de l’entrée par rapport à la cuisine. Ca devrait amortir suffisamment l’onde choc s’il y a une explosion. Je
n’aurai pas une seule seconde à perdre. La moindre hésitation peut me coûter la vie.
Je mime l’action. Je fais comme si j’appuyais sur le bouton de mise en marche. Je cours aussitôt. Je plonge
derrière le canapé. Il s’est écoulé entre deux et trois secondes pour que je fasse les dix pas qui me sont
nécessaires pour aller me protéger. J’espère que ça ira!
Je me dirige à nouveau vers la cuisine. Je suis très tendu, mais pourtant, je suis extrêmement calme.
Je respire un bon coup.
J’approche tranquillement mon index du bouton « On/Off ». Je regarde le chemin qu’il faut que j’emprunte. Je
me mets en extension…
Je mets en marche le four.
Tel un coureur du cent mètres plat, je bondis en avant! Je claque la porte de la cuisine en ramenant mon bras.
Au bout de trois pas, je plonge derrière le canapé. Il s’est passé à peine une seconde et demie. J’attends… Le
temps me paraît ralentir. Durer une éternité. Je suis prêt à boucher mes oreilles. J’entends le bruit du ventilateur
du four tourner tranquillement… L’apocalypse peut se déclencher à tout moment! D’un instant à l’autre!
Soudain, …
« Ding! »
La cuisson est terminée… Jamais ce signal de fin de cuisson ne m’a paru aussi beau. Ce tintement léger,
unique, simple, est pour moi tellement impressionnant à l’instant présent, que j’en ferai une œuvre d'art.
« Symphonie pour clochette de micro ondes »… Cette pensée est si stupide que, la pression se relâchant,
j’explose d’un fou rire que je ne peux contenir. Finalement, je commence à me calmer. Je reste allongé ainsi
pendant près d’une minute, occupé à ralentir les battements de mon cœur, affalé sur le sol, dos à la moquette,
derrière le canapé en cuir, immense au-dessus de moi.
Finalement, je pousse un long soupir de soulagement. Je me lève et c’est rempli de curiosité que je me dirige
vers la cuisine. Que contient donc cette si éprouvante enveloppe?! Cet objet qui a probablement déjà coûté la
vie à une personne?! Je la récupère et retourne dans le salon. Cette fois-ci, c’est dessus le canapé que je
m’installe.
Je l’ouvre.
Elle contient non pas un, mais deux disques sans aucun boîtier. Un mot est joint. La personne qui l’a écrit était
sous l’emprise d’un stress profond. Ca crève les yeux.
« Les informations contenues sur ces deux disques sont seulement pour vos yeux. N’en parlez pas à qui que ce
soit. Surtout, ne les perdez pas. Cachez les dans un endroit sûr quand vous ne vous en servirez pas. N’en parlez
surtout pas à l’agent qui vous a accueilli ici au Chili. Nous savons que vous allez participer au programme de
recherche SETI 2. Ces informations sont là pour vous avertir que vous êtes en grand danger. L’homme qui vous
a dérobé l’enveloppe n’a pas pu vous éliminer parce que nous étions nous aussi dans votre appartement. Ce
n’est pas votre ennemi que vous poursuiviez mais notre homme, qui lui-même poursuivait celui qui a tenté de
vous tuer. Vous ne pouvez pas nous contacter. Nous vous donnerons bientôt de nos nouvelles. »
Aucune signature.
Ca alors! J’ai le souffle coupé. On m’envoie me mettre à l’abri à l’autre bout de la planète, et moi qui ai
toujours eu une vie tranquille, je me trouve coup sur coup en danger! C’est hallucinant!
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Etre harcelé par des fanatiques qui veulent votre peau parce que vous avez découvert une vérité qui ne plaît pas,
c'est déjà une lourde épreuve,… Mais que ma couverture soit aussi en danger! Non, alors là, c’est le bouquet!
Quant à cet appartement!… Nous étions trois dans l’appartement au moment où je suis rentré!!!
J’ai du mal à le réaliser… je me prends un deuxième cognac et vide mon verre d’un trait. Ah, ça brûle la gorge,
mais ça me remet les idées un peu en place.
Enfin, …
Les émotions, … La course folle, … L'air raréfié, …
J'ai la tête qui tourne.
C’est décidé, me dis-je. Plus question de fuir. Je reste ici. Voyons voir ce que contiennent ces deux disques.
Mon ordinateur est dans le coffre du taxi de Gonzalo. Il faut que je trouve une borne publique où je pourrai
consulter ces deux disques en toute tranquillité. Et tout bien réfléchi, ce sera le meilleur endroit. Si je les lis à
partir de mon ordinateur, Gonzalo saura automatiquement ce qu’ils contiennent. Il a probablement dû mettre
mon portable sur un réseau de surveillance rapproché. Et en plus, maintenant, je ne sais plus exactement à qui je
dois faire confiance. Pour me faire une idée, autant commencer par lire ces deux disques. Après, j’aviserai.
Cinq minutes plus tard, je suis dans le cybercafé du village souterrain.
Le calme est tout relatif. Des policiers en uniformes et des inspecteurs interrogent les témoins du meurtre de cet
après-midi. Heureusement pour moi, le cybercafé est éloigné de cette foule.
Je m’installe dans un coin tranquille, sur un PC dont l'écran est tourné vers un mur et pas vers la rue, je
commande un sirop à base d’extrait de plantes du coin et je commence finalement la lecture du premier disque.
Une femme de race noire apparaît à l’écran. Ses cheveux bouclés noirs ont des teintes dorés. Ils glissent le long
de sa nuque et de son coup. Ses yeux en amandes surlignent un visage parfaitement symétrique et sont
augmentés de fins sourcils noirs comme s’il s’agissait d’un coup de crayon qu’aurait pu donner Gauguin à un
de ses portraits. La couleur de sa peau, brun foncé, donne à ses yeux brillants un relief saisissant. Son œil
gauche est d’un bleu profond tel un lagon dans lequel on aimerait plonger. Son œil droit est telle une agate d’un
vert tout aussi profond. La différence des deux couleurs donne un relief superbe à son visage.
Elle regarde droit dans la caméra. On devine que lorsqu’elle sourit, rien ne lui résiste. Mais pour l’instant, elle
est très sérieuse. Elle s’adresse à moi.
- Bonjour Professeur Rassoli. Je m’appelle Doris Warflemann. Je suis Hollandaise. Je suis Docteur en
Cosmologie mais j’ai aussi un Doctorat en Sociologie. Je vais vous présenter le contenu de ces deux disques
et vous allez comprendre combien ils sont importants… Combien il est vital que vous en cachiez l’existence
à quiconque…
Et il est vital que vous sachiez combien vous êtes en danger.
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3- AVALON
Je ne suis arrivé que depuis quelques heures au Chili.
Le Professeur Rassoli, c'est le nom de ma couverture, n'existe que depuis que je suis dans l'avion qui m'a amené
dans ce pays.
Et déjà de nombreuses personnes connaissent ce professeur.
Je suis littéralement stupéfait.
Je clique sur l’image du Docteur Doris Warflemann. La belle femme continue alors son exposé.
-
Je travaille au sein d'un groupe pour déterminer comment optimiser les recherches de vies extraterrestres.
Notre groupe de recherche s’appelle AVALON. Cela signifie « Are we alone? ». Nous avons choisi ce nom
parce que nous voulons créer un espace de travail sur le net qui soit sûr, qui soit un espace de paix et de
tranquillité pour quiconque s’intéresse à ce genre de chose.
Notre groupe a commencé ses recherches et ses propositions en tant qu’association en Suède. Puis, nous
avons grandi pour atteindre une taille de six cent personnes à travers la planète. Nous étions alors en 2064,
il y a donc deux ans.
A ce moment là, un de nos membres, un thésard, Jude Schmidt, a émit l’idée qu’il fallait concentrer les
écoutes pour chercher les preuves d’existence de civilisation extraterrestre sur une onde porteuse. Celle-ci
doit être absolument universelle dans la globalité de l’univers. Cette onde existe. Il s’agit du rayonnement
3K.
Je suppose que vous avez déjà entendu parler de ce rayonnement. Découvert au siècle dernier, ce
rayonnement a permis aux cosmologues de déterminer la date du Big Bang et la taille de l’Univers. Ce
rayonnement est en fait l’onde de choc issue de la création de la matière dans l’Univers. C’est aussi la
température ambiante de l’univers. Cette température s’élève à trois degrés Kelvin. Et bien sûr, cette onde
de choc est présente partout.
Peu de temps après l’émission de cette idée, Jude Schmidt a eu un malheureux accident de voiture. Le
système d’autopilote a eu une défaillance, et la voiture est entrée en collision avec un train. Une fuite de gaz
inexpliquée a ensuite volatilisé sa maison. Et avec elle, tous les documents. Tous ses travaux. Tous ses
résultats. Son maître de thèse a eu une subite crise cardiaque le lendemain.
A ce moment là, certains membres ont eu peur et ont coupé tout contact avec l’association. D’autres,
n’ayant pas pris conscience du danger, ou voulant continuer les recherches à tout prix, ont continué à
organiser les réunions et à mener les recherches à bien. Là, l’horreur est apparue. Au cours de la vague
d’attentats survenue à Tripoli en Libye il y a dix huit mois, les deux groupes de réflexion de l’association
qui y séjournaient ont été désintégrés. Bien sûr, les attentats ont été mis sur le dos des extrémistes du
« Souvenir de Kadafi ».
Le quartier général d’AVALON a été rasé au cours du raz de marée Simona à Perth en Australie. Tous les
membres principaux étaient présents. Une succession d’accidents mortels a eu lieu sur toute la planète
atteignant la plupart des membres de l’association.
Le dix sept septembre 2065, nous avons alors officiellement décidé de dissoudre l’association pour
préserver la vie de nos membres. Le noyau dur de l’association d’origine avait été complètement détruit.
En clair, l'association a été rasée. Anéantie. Annihilée.
Nous sommes rentrés dans la clandestinité. Cinquante huit personnes triées sur le volet ont décidé de faire
perdurer AVALON. Officiellement, nous sommes un groupe d’informaticiens qui organise des tournois de
jeux sur le net. Secrètement, nous sommes un groupe de scientifiques et nous continuons nos recherches sur
la vie extraterrestre.
Les jeux que nous utilisons sont sur le deuxième disque. En fait, ceux-ci nous permettent d’échanger les
résultats de nos recherches et nous permettent aussi de communiquer.
Sur le disque que vous visionnez maintenant, vous disposez de plusieurs logiciels de cryptage et de
décryptage des données. Les données que vous voulez envoyer, que ce soit du texte ou bien des formules
mathématiques, des schémas ou n’importe quoi d’autre, sont convertis en dessins. Ces dessins sont les fonds
d’écrans des jeux que nous utilisons sur le net. Vous comprenez à présent combien ces disques nous sont
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vitaux. A partir d’eux, nous redevenons vulnérables. Nous ne savons même pas qui a voulu décimer notre
association. Nous avons une bonne partie de nos membres qui cherchent les responsables de tous ces
meurtres, mais nous piétinons. Notre seul recours est de nous protéger.
Les seules choses que nous ayons découvertes sont que ces gens sont extrêmement puissants et influents. Ils
font de l’obscurantisme et tuent quiconque représente une once de risque de menace pour leur domination
de la planète.
Pour ne vous citer que quelques exemples, je peux vous parler du Professeur Jaan Haas, qui a trouvé le
moyen de rendre les déserts de sables fertiles et est subitement mort d’une crise d’apoplexie dans le
« People Mover » de Détroit, avant même d’avoir pu publier ses résultats; le Docteur Yann Dellowski, qui
grâce à ses recherches en climatologie planétaire a commencé à faire prendre conscience à la société son
incidence réelle sur la Nature, a failli être tué dans plusieurs attentats et a été porté disparu hier…
A ce moment là, un frisson me parcourt lentement le dos… et je me rends compte que cet après-midi, ça
devient décidément une habitude.
On m’a donné à Paris une pilule qui modifie complètement la pigmentation de la peau et modifie l’aspect
musculaire du corps et du visage. Je suis sûr de passer inaperçu. Ca me rassure.
Je n’écoute plus le Docteur Warflemann. Une lueur d’espoir apparaît.
Ces gens pourront m’aider à trouver ceux qui me harcèlent et cherchent à me tuer. Un réseau entier avec qui je
pourrai trouver mes assaillants! Génial! Mais une inquiétude s’empare soudain de moi. Et si c’était un piège? Si
ce n’était qu’une mascarade pour me démasquer et pour m’éliminer ensuite en toute tranquillité?
Comment savoir si ces gens sont réellement ce qu’ils prétendent être? L’exposé est très convaincant. Mais si la
personne qui parle là n’est pas le Docteur qu’elle prétend être mais est plutôt une actrice? Si je lui pose une
question extrêmement pointue sur ses domaines de recherche, ça ne prouvera rien. Si c’est effectivement une
actrice, alors il y a beaucoup de gens derrière elle pour l’aider à répondre… Et puis la contacter, c’est me
dévoiler… Quoique… Ils savent déjà où me trouver de toute façon. Et de plus, ils ne veulent pas me tuer.
Enfin… Pas eux… Du moins pour le moment…
Voilà donc un point d’établi.
Ensuite, soit ce qu’elle dit est vrai, alors je ne peux que les rejoindre, soit elle ment. Dans ce cas, je suis à
nouveau en danger! Et Natacha qui arrive demain! Il faut absolument que j’aie découvert si le Docteur
Warflemann dit vrai ou non dès aujourd’hui. Donc maintenant. Après, ça sera trop tard avec Gonzalo qui risque
revenir d’un instant à l’autre à l’appartement.
L’angoisse m'envahit un bref instant. Il faut que j’agisse vite, que ma décision soit la bonne car elle sera sans
appel. Si je me trompe, au bout, c’est peut être la mort qui nous attend, à Natacha et moi.
Voyons voir, comment puis-je procéder?… Ils attendent de moi une vérification de leurs hypothèses. Ca ne
m’engage en rien de faire ça. De toute façon, il vaut mieux que je surveille mes arrières. Quant à Gonzalo,… Ils
me demandent de ne pas lui en parler. Soit. Mais pourquoi? A priori, il est dans le même camp. Il faudra que je
leur demande des explications. Pour savoir quelle ligne de conduite adopter, il faut absolument que j’en
apprenne le maximum sur leur groupe AVALON. Comment faire? Si je fais des recherches directement à partir
d’ici, tous ceux qui s’intéressent de plus ou moins près à cette affaire seront au Cerro Paranal d’ici à la fin de la
journée…
Bon, voyons voir le plan d'attaque.
Si je me connecte en tant que visiteur sur le site web du CERS, le Centre Européen de la Recherche
Scientifique, je peux forcer le passage par un bug que j’avais découvert il y a quelques mois. A ce moment là, je
n’aurai que trois secondes et demi pour changer mon code de connexion avant que le système de surveillance
ne repère mon passage. Dès que j’aurai adopté ma nouvelle identité, je pourrai actionner plusieurs bots. Ce sont
des petites merveilles de technologie qui sont en fait des programmes doués d’intelligence artificielle qui se
reproduisent à l'infini en s'améliorant à chaque fois. Ce sont des bots comme ceux que je vais utiliser qui me
cherchent sur le net pour m’éliminer, programmés par les tarés qui veulent ma peau.
Je vais donc actionner des bots pour avoir des identités aléatoires ainsi que des adresses internet mouvantes.
Personne ne pourra remonter jusqu'à moi tant que les bots tiendront. Trois bots devraient suffire à cette tâche.
Le bouclier intelligent qu’ils vont former devrait contrer toute tentative de repérage pendant au moins une
minute à partir du moment où j’aurai commencé mes recherches sur AVALON.
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Ah oui,… Il faudra aussi que je les programme pour qu’ils me déconnectent automatiquement dès que deux des
trois bots seront détruits. Même après la déconnexion, le troisième bot continuera son brouillage. Je ne veux pas
donner d’indice à mes ennemis avec l'heure de déconnexion. Ils pourraient s’en servir comme indice de
repérage. Et comme ça, je suis sûr que même à l’instant où je serai éjecté du net, aucune information sur mon
identité ni sur mon adresse internet ne filtrera.
Bon, maintenant, il me faudra cinq autres bots pour aller pêcher les informations sur AVALON.
L’un d’eux ira me récupérer la liste des membres. Ca pourra me servir pour vérifier par la suite si l’association
est infiltrée et par qui. Il ne faut surtout pas que je fasse de recherches simultanées sur le Docteur Warflemann.
Si elle dit la vérité, alors ça donnerait aux ennemis d’AVALON la preuve qu’elle en fait partie intégrante. Sa
vie serait aussitôt mise en danger.
Le deuxième bot ira chercher tous les articles qui ont parlé de cette association.
Les trois autres me listeront toutes les personnes, tous les organismes et tous les groupes qui ont déjà eu affaire
à AVALON. L’un dans l’historique des connexions du site web de l’association, les deux autres sur l’ensemble
du réseau informatique mondial.
Bon, il n’y a pas trop de monde dans le cybercafé. C’est parti. Je me connecte au CERS. Action.
OK, jusque là, tout va bien. Bon, le bug est toujours là. Vite, je me reconnecte. Ouf, c’est fait. Voyons voir, je
vérifie le système d’alerte du site. Pas de problème. Mon intrusion n’a pas été repérée. Les dossiers où sont
placés les bots sont là… Pas de nouveau type de bot depuis les deux dernières semaines. OK, je prends ce
modèle là, celui-là aussi…Je paramètre les trois bots de protection… Je m'occupe maintenant des bots de
recherche…
Je prépare mon écran de contrôle.
Je le scinde en huit fenêtres graphiques. Elles représenteront l’état de santé des trois bots de protection mais
aussi des cinq autres de navigation et de recherche. Le nombre de changement d'identité et le nombre d'attaque
y sera visualisé sous forme de graphique. Les informations liées aux recherches apparaîtront en arrière plan sur
les fenêtres des programmes de recherche.
OK, je suis prêt.
J’enlève le disque présent dans lecteur et j’en mets un nouveau, vierge. J’en dispose de trois sur ma table. Dans
les cafés parisiens, à l’heure du petit déjeuner, on trouve des croissants sur sa table. Si on n’en veut pas, on n’en
mange pas et on ne les paye pas bien sûr. Mais si on en veut, ils sont déjà servis. C’est simple.
Ici, c’est le même principe. Sur toutes les tables sont présents plusieurs disques qu’on peut utiliser si bon nous
semble. J’en prends donc un et le mets dans le lecteur. Toutes les données récupérées iront s’y graver
automatiquement.
« Bon, attention, qu’elle heure est-il? Surtout ne pas prendre une heure ni une minute pile. Ca facilite les
recherches sur le net… 14h52 et vingt huit secondes.
C’est parti.
Je lance la procédure. Sur mon écran de contrôle, les huit fenêtres graphiques commencent à s'animer. Je sens
mon cœur battre plus vite. De cette recherche découlera ma décision. Nos vies, à Natacha et à moi, peuvent
dépendre des résultats ramenés par les bots. Je n’aurai pas droit à un deuxième essai. Le premier doit
absolument être le bon. Un doute m'envahit soudain. Est-ce que j’ai bien fait de lancer cette recherche sur le
net? J’aurai dû contacter d’urgence Gonzalo! De toute façon, c'est trop tard maintenant.
Dix secondes viennent de s’écouler.
Un des trois bots de protection a du mal à tenir la cadence. Vingt-six milles changements d'identités et
d’adresses de connexion par secondes vous secoue même le meilleur bot.
Douze secondes.
Ca y est, le premier bot de protection subi des attaques. Sur la première fenêtre de mon écran, les courbes de
visualisation de changement d’adresses ralentissent leurs modifications. Le nombre de hits, c’est-à-dire de
contacts qu’il subit atteint maintenant le millier par seconde. Qui sont ses assaillants? J’espère que les
informations qui s’inscrivent sur le disque éclaireront ma lanterne! Les ennemis sont extrêmement efficaces.
Aux aguets, ils n’ont pas mis longtemps à détecter mon premier bot… Au moins, ça, c’est une certitude: ils sont
bel et bien là et ils ne font pas de cadeaux! Ils tirent sur tout ce qui bouge! Je ne sais vraiment pas si c’est une
bonne idée…
Mon attention est aspirée par les écrans de contrôle.
Sur les deux fenêtres suivantes, le nombre de hits est nul pour le moment. tout va bien.
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Sur la quatrième fenêtre, celle qui correspond au bot qui doit lister les membres de l’association, les noms
récupérés sont automatiquement contrôlés. S’ils ne correspondent à rien d’existant, ils apparaissent en rouge.
Presque tous les noms récupérés sont déjà en rouge! Et je n’en ai pour l’instant qu’une trentaine. C’est pas
terrible!
Sur la cinquième fenêtre, je vois que le bot de recherche ne subit pas de hit. Il a déjà trouvé une centaine
d’articles dans des journaux sur toute la planète. OK, ça avance…
Sur la sixième fenêtre, celle qui correspond au bot qui doit copier la liste de l’historique des connexions du site
web, aucune donnée n’est récupérée pour l’instant! Ce bot subit lui aussi de nombreuses attaques. Moins
fréquentes que celles du premier bot de protection, il enregistre déjà quand même plusieurs centaines de hits par
seconde!
Le système de surveillance du site internet n’aime pas mes bots et réagit fortement.
Ca y est! Mes bots sont pris entre deux feux: d’un côté, les assaillants, de l’autre, les défenses de l’association.
Sur les fenêtres sept et huit, je n’ai que quelques adresses. Plusieurs sont en rouge aussi. Les deux commencent
à être touchés par des hits. Pas beaucoup encore, ça va. Mais ça veut dire qu’ils sont à présent clairement
détectés.
Vingt cinq secondes depuis que j’ai commencé. Le nombre de hits sur le premier bot de protection atteint le
million par seconde! C’est incroyable! Il tient encore! Il arrive même encore à changer d’adresses plusieurs
milliers de fois par seconde! Il va s’arrêter!
Soudain, la fenêtre affiche un message « Connexion Lost ».
Ca y est, il a été détruit! Il aura tenu vingt six secondes un quart. C’est moins que ce que je pensais.
Et le deuxième bot de protection!… Combien de temps va-t-il tenir? Je table sur une dizaine de secondes
maintenant. A présent, mes assaillants savent comment venir à bout de mes bots de protection. Où en sont les
autres? Le sixième bot, celui qui doit copier la liste de l’historique des connexions du site web subi lui aussi
plusieurs dizaines de milliers de hits par secondes. Il ne va plus tenir très longtemps. Il n’est pas programmé
pour résister longtemps aux attaques. Mais je suis quand même impressionné! Je ne pensais pas qu’il résisterai
autant! Sur les fenêtres numéros sept et huit, les bots sont touchés par plusieurs centaines de hits par secondes.
Ca va encore.
Trente deux secondes. Le deuxième bot de protection n’en a plus pour longtemps! Soudain, je pense à quelque
chose de capital. Si les assaillants de mes bots de protection rencontrent ceux de mes bots de recherche, alors ils
vont être mis directement en contact avec l’association. Et si le Docteur n’a pas menti, alors je vais les mettre
en grave danger! Les assaillants de mes bots de protection pourront remonter sans problème les signaux
d’attaque de l’association et pourront alors repérer leurs membres et les détruire! Le deuxième bot subi
maintenant plusieurs centaines de milliers de hits par secondes! Je lance un signal d’arrêt aux cinq bots de
recherche. En moins de temps qu’il ne faut que pour le dire, je vois sur mon écran que tous les signaux en
provenance des bots quatre à huit sont stoppés.
Trente six secondes. Le deuxième bot subi maintenant lui aussi plus d’un million de hits par seconde! Soudain,
l’écran de mon ordinateur s’éteint. Il s’allume à nouveau, avec non plus les huit fenêtres de mes bots, mais la
page de présentation du cybercafé. Ca y est, le deuxième bot a été détruit. J’ai donc été déconnecté aussitôt.
Heureusement que j’ai eu le temps de stopper les autres bots avant que l’irréparable n’aie été commis!
Le troisième bot, à présent déconnecté, doit subir en ce moment plusieurs centaines de milliers de hits. Il ne va
pas tenir très longtemps. Mais il a déjà rempli sa mission, puisqu’il tenait encore quand j’ai été déconnecté.
Je sais que mes assaillants ne pourront pas remonter jusqu’à moi. Ni à AVALON.
Je pousse un grand soupir de soulagement. Chercher des informations sur le net est très éprouvant!
Je commande un verre d’eau au barman, un petit homme moustachu, assez trapu, qui est surpris de voir ma
fébrilité. Sans une remarque, curieusement mais maladroitement discrètement, il jette un coup d’œil à mon
écran. Il ne voit rien d’autre que la page de présentation. A voir sa tête quand il s’éloigne, je suis certain qu’il se
demande s'il n’y a pas eu une erreur sur les herbes qui ont servi à ma boisson précédente.
Je décide de consulter les données qui sont maintenant présentes sur le disque.
Je dispose de quatre listes.
La première est celle des membres de l’association. J’ai récupéré soixante huit adresses. Elles sont toutes en
rouge. Pas une seule n’est réelle! Bon, au moins, ça veut dire que soit ils se sont bien protégés, soit ils ont été
fabriqués de toute pièce. Mon intuition me laisse plutôt penser que c’est parce qu’ils se sont bien protégés.
La deuxième liste est celle des articles qui ont parlé d’AVALON. Il y en a deux cent huit! Et bien, moi qui ne
savais pas comment passer mes longues soirées d’hiver!…
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La troisième est celle de l’historique des connexions du site web. Il n’y a aucun nom. Elle complètement vide.
« Bon, et bien, j’aurai essayé!… Du reste, j’aurai dû m’en douter.
La quatrième et dernière liste est celle des connexions de tous les individus ou groupes d’individus qui se sont
connectés à AVALON. Cette liste est celle qui a été établie à partir d’une recherche sur l’ensemble du réseau
informatique mondial, à partir de la consultation directe d’une quantité colossale de messageries émail. Elle
contient pas mal d’adresses. Beaucoup sont en rouge. Beaucoup sont en noir. Il faudra que j’enquête avec
parcimonie… Le bot n’a pas eu le temps de finir son travail. Dans la liste des adresses en noir, certaines
n’existent pas. En enquêtant pour savoir si c’est le cas ou non, il ne faudra pas que je me fasse repérer. Elles
peuvent représenter des pièges susceptibles de me jeter dans la gueule du loup.
Et bien j’ai eu mon lot d’émotions pour la journée. Le bilan est maigre.
Je termine mon verre d’eau et décide de repartir à mon appartement. Sur le chemin, je réfléchis à ce que je vais
dire à Gonzalo.
En arrivant je vois son taxi. Il doit m’attendre dans l’appartement. Je suppose qu’il a un double. Et puis, mon
appartement est vraiment un moulin où tout le monde peut rentrer à sa guise, non?
Je m’assure que les trois disques concernant AVALON et mon résultat de recherche de la journée sont bien au
fond de ma poche de parka. Je me calme. L’air vivifiant de la montagne m’aide à retrouver une tension
normale. En plus, je n’ai plus les mains moites comme tout à l’heure. C’est idiot, mais ça m’aurait trahi
instantanément au moment de se dire bonjour.
Je rentre dans l’appartement.
Il est au téléphone. Au moment où il me voit, je l’entends dire:
- Ah! Il arrive. Bon il n’y a pas de problème. Au revoir.
Remettant son appareil dans sa poche, il me demande:
- Que s’est-il passé?
- Rien. Après avoir passé l’appartement au crible avec le détecteur de micros, je suis allé visiter un peu la
ville et la ville souterraine. Là, quelqu’un a été tué.
- Oui, j’en ai entendu parlé, fait-il.
- Et vous, que vous est-il arrivé?
- Et bien, la poursuite de voiture n’a pas duré longtemps. On a rapidement grimpé jusqu’à deux mille cinq
cent mètres d’altitude sur le Cerro Armazones, à 11 kilomètres d’ici en ligne droite. Il y fait bien plus froid
qu’ici. Il y a des neiges éternelles là haut. A un moment donné, il a relâché sa vigilance au volant. Sa
voiture a raté un virage. Il n’avait pas débranché le radar de correction de trajectoire de sa voiture. Il a voulu
donner un coup de volant pour redresser, mais l’ordinateur de bord a donné la priorité aux données du radar
du véhicule. Il a heurté le rail de sécurité sur le bord de la route. Il allait trop vite. Il a glissé sur une centaine
de mètres. Il est alors parti en une terrible succession de tonneaux. J’ai alerté les secours. Le temps que
j’arrive en bas, le conducteur était mort. Je ne sais pas qui c’était. Il n’avait aucun papier d’identité sur lui.
- Ca fait deux morts en une journée, dis-je avec un calme effrayant.
- Oui, mais ne vous en faites pas Professeur Rassoli. Ici, vous êtes en sécurité. Personne ne sait qui vous êtes,
et comme votre identité n’a été créée que depuis quelques heures, je ne vois vraiment pas qui pourrait en
avoir contre vous! Non, dormez sur vos deux oreilles. Si quoi que ce soit arrive, appelez-moi. En moins de
deux heures je serai là! Donc, vous voyez, vous ne craignez absolument rien ici, et c’est une excellente
chose que votre femme, vous rejoigne.
Ce que me dit Gonzalo me surprend, mais il est vrai qu’il ne sait rien de ce qui m’est arrivé cet après-midi. Et
pour l’instant, il est tout à fait hors de question que je lui en parle: je ne sais pas à cent pour cent si ce qui m’est
arrivé aujourd’hui est lié aux fanatiques qui m’en veulent à Paris, mais si c’est le cas, je veux profiter de
l’occasion qui m’est donnée pour résoudre ce problème le plus rapidement possible. Je ne laisse donc rien
paraître et lui dis alors.
- Oui, vous avez raison. Si nous vidions le coffre de votre taxi? Je crois que vous avez des affaires pour moi,
si je devine bien?
- Bonne idée.
Pendant que nous prenons les sacs, je vois que la banquette arrière est complètement vide. Quand Gonzalo m’a
accueilli à l’aéroport ce matin, elle était remplie de vivres, de couvertures et de matériel de camping.
Toi, tu ne me dis pas tout non plus, mon pote, suis-je en train de penser. Est-ce que l’autre est vraiment mort?
Et si oui, l’est-il à cause d’un accident de voiture? Et si accident de voiture il y a, s’agit-il d’un accident…
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accidentel ou provoqué? Je garde toutes ces questions pour moi et nous terminons de monter les affaires dans
l’appartement.
Peu de temps après, Gonzalo repart.
- A demain, me dit-il. J’arriverai avec votre femme vers 15h00.
Dès que la porte de l’appartement est fermée, je me dirige vers la fenêtre. Je n’attends que quelques instants
avant de voir Gonzalo. Je le regarde discrètement s’éloigner avec son taxi, et je sors aussitôt. Il m’a bien donné
un ordinateur portable, mais si je consulte les dossiers du disque que je viens d’enregistrer au cybercafé avec, il
en sera au courant immédiatement. Le portable est certainement muni d’un système de surveillance. La
meilleure chose à faire est de m’en acheter un deuxième. Je préfère ne pas utiliser les services du cybercafé trop
souvent. Je veux me garder un moyen de secours pour communiquer rapidement et confidentiellement.
Je retourne dans la ville souterraine, et là je trouve mon bonheur: Un « Série 10 » à 4,5 eggs, graveur de disques
à vitesse alpha à moins de 3000 euros. Pas de problème, je le prends. Il possède Linux et les logiciels de base
déjà installés et sa batterie permet de tenir pendant au moins une semaine sans recharge. J’en prends quand
même une deuxième pas sécurité et je retourne à mon appartement.
Pendant que je pose mes achats sur la petite table du salon, je regarde les quelques sacs et valises que m’a
amenés Gonzalo.
L’ordinateur portable est dans la chambre, sur le lit. Les sacs contiennent des vêtements.
Je m’assure que toutes les portes, portes-fenêtres et fenêtres sont bien fermées et je sors de ma poche le
détecteur de signaux que m’avait donné Gonzalo un peu plus tôt. Je parcours toutes les pièces. Rien. Il vaut
mieux vérifier une deuxième fois l’intégrité de l’appartement. Aucun signal. Impeccable, voilà au moins un
point sur lequel je suis sûr. Je suis tout seul dans l’appartement et personne ne me surveille… du moins de
l’intérieur de l’appartement. En fait, aux vues des événements qui viennent de se dérouler aujourd’hui, rien ne
me prouve qu’un micro satellite espion n’est pas en train de m’écouter en observant les vibrations des grands
carreaux de la baie vitrée provoquées par les sons présents dans l’appartement. Qu’importe. Si je bloque
plusieurs chiffons sur les coins de la baie vitrée, ça bloquera ce système d'écoute. Dès lors, seul un micro
directionnel très puissant et très proche pourrait m’espionner. Mais avec le froid nocturne qui arrive dehors, je
doute que quelqu’un y soit. Bon, mes chaussettes rempliront cette opération parfaitement!
Toutes les chaussettes sont maintenant en place. Voilà, c’est fait. Ils peuvent renvoyer au placard leur fichu
matériel de plusieurs millions d’euros!
Je tire les double rideaux du salon. Je me sers un Coca, et je sors une bonne pizza jambon ananas du microonde. C'est cool, les morceaux d'ananas sont présents à profusion. Enfin une marque qui ne radine pas dessus.
Il est 18h33 quand je m'installe dans le canapé du salon, et je commence enfin l’étude des dossiers que j’ai
récupérés d’internet cet après-midi.
Le logiciel d’intelligence artificielle de l’ordinateur que je viens d’acheter me trie automatiquement les articles
à lire en fonction de mes priorités et de mes paramètres de recherche. Résultat, au lieu de lire les deux cent huit
articles, je n’ai plus qu’à lire les principaux et les plus pertinents. Pour les autres, il les lit lui-même et m’en fait
la synthèse en français, quelle que soit leur langue d’origine. Le recoupement des données a lieu aussi en temps
réel. Dès qu’un nom apparaît dans un article, il le compare aussitôt aux listes que j’ai récupérées. Je me
retrouve ainsi rapidement avec seulement vingt six articles à lire. Plus une synthèse globale des deux cent deux
autres qu’il termine de rédiger.
A vingt et une heures, j’achève ma lecture.
J’ai éliminé toutes les adresses. Ca ne me donne aucune information supplémentaire, pourtant j’ai la conviction
profonde que le Docteur Doris Warflemann ne m’a pas menti. Je n’ai aucune preuve sur ce que j’avance, mais
j’en ai la présomption.
De plus en plus forte.
Pour être certain du tri qu’a réalisé le logiciel d’intelligence artificiel, je prends au hasard trois articles parmi les
deux cent deux qui ont été résumés. Ma lecture ne m’apprend rien de nouveau. OK, le logiciel a donc
fonctionné correctement.
Je décide alors de mon plan de bataille.
Je préfère me baser sur mon intime conviction. J’accepte de faire confiance à ce Docteur en Cosmologie et
j’aviserai après l’avoir rencontrée si je bosse avec elle ou non.
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Quant à Gonzalo et aux services de la DGSE, je ne leur dis rien pour l’instant. Si le Docteur dit vrai, alors je
serai bien plus en sécurité en travaillant aux côtés de l’association, enfin de l’organisation internationale qu’elle
représente. Ce… AVALON…
En prenant la décision de la rencontrer, je joue avec le feu, mais je n’ai pas le choix… Surtout si je veux cesser
d’être manipulé comme maintenant et si je veux être sûr que je sauverai bien notre peau, à Natacha et à moi.
Par contre, je dois être certain que mon choix est le bon. Si je me plante, non seulement je risque ma vie, mais
surtout je risque celle de Natacha… En plus, je ne peux plus rien faire pour l’empêcher d’arriver. Je ne peux pas
la contacter.
Mes doutes m’assaillent.
Je préfère changer le cours de mes pensées pour continuer à avoir un raisonnement constructif plutôt que de me
réfugier dans une peur qui ne ferai qu’accroître exponentiellement le danger. Là pour le coup, ça deviendrait
destructif et mon comportement induit en deviendrait dangereux pour Natacha et moi.
Voyons voir les documents que m’a donnés Gonzalo.
J’éteins mon PC. Je mets les trois disques dans la poche intérieure de ma parka. Je cache provisoirement
l’ordinateur que je viens d’acheter entre le matelas et le sommier de mon lit, et je mets en marche celui que m’a
fournit Gonzalo, je tape le mot de passe « R2D2! ». L’appareil se bloque comme prévu. Je tape mon numéro de
sécurité sociale. Il reboote. J’accède enfin aux données ultra confidentielles.
C’est le chef de cabinet Fillaume qui « m’accueille ».
- Bonjour Professeur. Si vous écoutez ce message, c’est que tout s’est parfaitement déroulé. J’espère que
vous êtes arrivé sans encombre. Gonzalo a dû vous accueillir avec des vêtements chauds. Pour que vous
puissiez vous en procurer d’autres, nous avons pourvu votre compte en banque. Alors n’hésitez pas à vous
en servir.
Le chef de cabinet continu:
- Bien, j’espère aussi que vous avez pris possession de votre appartement. Normalement il a dû être refait à
neuf, à notre demande. Les ouvriers n’ont eu que cinq heures pour refaire les peintures et papiers peints. Les
peintures chauffantes n’étaient plus en très bon état et vous auriez eu froid. Vous avez des provisions dans
la cuisine. Gonzalo vous a aussi normalement fourni le linge standard et quelques tee-shirts anti-grippaux.
Ah, super. Natacha refuse systématiquement de se soigner contre la grippe chaque année, mais elle accepte
depuis l’an dernier d’utiliser ces tee-shirts qui contiennent du vaccin anti-grippal et le diffusent régulièrement
dans le corps par le biais des pores de la peau. Encore une technologie de la fin du siècle dernier que le nôtre
s’est approprié royalement. C’est de bonne guerre après tout.
- Abordons maintenant le vif du sujet. Je comprends tout à fait votre énervement d’hier. Néanmoins, croyez
que nous faisons le maximum pour vous protéger activement. Nous vous avons promis un rapport toutes les
semaines. Le premier est celui-ci. Les pirates informatiques qui vous en veulent se cachent derrière une
organisation scientifique secrète dont nous ignorons encore le nom. Tout ce que nous savons, c’est qu’ils
ont déjà assassiné le Professeur Jaan Haas.
Mon attention croît subitement.
Le Docteur Warflemann a également cité ce nom. et elle fait partie d’une organisation scientifique secrète
internationale. Oh, là!… Ne nous emballons pas. S’agit-il de la même organisation ou d’une organisation
ennemie? Oups… Si je tombe en pleine guerre économique internationale, c’est pas malin! Pourtant, mes
recherches n’étaient liées à aucune organisation internationale! Mon employeur était le gouvernement
français… Il est vrai que les impacts prouvés par mes études concernent tout le monde, et les industries
polluantes, tout ce qui tourne autour du pétrole et des voitures est directement impacté… J’espère que ce n’est
pas ce docteur qui est caché derrière cette organisation, sinon c’est bien plus grave que ce que je ne pensais!
Dans ce cas, Natacha et moi on n’est pas sortis de l’auberge!
J’arrête l’enregistrement deux secondes pour faire le point.
A priori, c’est la même organisation qui a tué ce chercheur américain et qui a voulu me faire la peau. Qui cela
peut-il être?…
Alkaïda a fait pas mal d'émules, même après son éradication par les Américains. Les groupuscules ont du mal à
être suivis. Ca peut être un truc comme ça…
Peut-il s’agir de fous écologiques ou bien au contraire, d’extrémistes pro-technologistes, à qui mon étude sur la
fuite de l’atmosphère terrestre a déplu? Hum, d’après les derniers éléments dont je dispose, cette possibilité
tend à devenir improbable.
Enfin, il reste deux possibilités.
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Soit c’est un gouvernement qui voit ses recherches contrées par le Professeur Jaan Haas et par moi-même. Le
Professeur était Américain et je suis Européen. Vu le contexte politico-économique actuel, cette possibilité est
hautement improbable.
Soit, il s’agit d’un groupe financier ou industriel puissant qui voit d’un très mauvais œil ces recherches. On en
revient donc à une organisation internationale privée qui ne dépend pas d’un gouvernement. De quel type de
groupe peut bien-t-il s’agir? Il faudrait que je fasse des recherches sur les gens avec qui il était en contact. J’en
trouverai peut-être que je connais! Ca fera peut-être avancer l’enquête. Je peux demander à Gonzalo de me
récupérer ces informations. Mais si Fillaume m’en parle, c’est qu’il a déjà fait ce type de recoupements… Bon,
que dit-il ensuite? »
Je remets en route l’enregistrement et il continu:
- Nous avons découvert que ce sont les mêmes individus qui vous en veulent. Les services américains, avec
qui nous sommes en étroite collaboration, ont retrouvé le bot qui a empoisonné le Professeur Jaan Haas en
déréglant le système de diffusion de ses médicaments. Il utilisait exactement le même algorithme qu’un des
bots qui a fait sauter votre casque à la tour Le Chandelier. On a donc recoupé ses contacts avec les vôtres.
Aucun lien. Vos recherches n’avaient vraiment rien à voir avec les siennes, et aucune des personnes avec
qui vous travailliez ne l’a contacté. De ce côté là, ça n’a rien donné donc.
Vous aurez votre prochain rapport la semaine prochaine. C’est tout pour aujourd’hui.
Sacré progrès dans l’enquête! Bon, ben il ne dit rien de plus…, me dis-je, cynique.
L’image sur l’écran s’estompe. Une petite fenêtre apparaît alors. « Suppression des fichiers en cours ».
« Suppression terminée ». Le rapport de Fillaume vient d’être effacé.
Les mesures de sécurité informatiques ont l’air d’être bien au point. Tant que ceux qui me harcelaient ne me
retrouvent pas, ça me convient. Néanmoins, même s’ils ne retrouvent pas l’ancien Docteur Yann Dellowski, ils
sont bien capables de vouloir supprimer le nouveau Professeur Yann Rassoli si je ne fais pas attention avec tout
ce qui se passe ici! Ils feraient d’une pierre deux coups! Et ils seraient vraiment surpris et contents de
l’apprendre!
Je me remémore tous les événements. Tout bien considéré, le meilleur endroit où être protégé pour le moment
est ici sous une fausse identité. L’urgent est de gagner du temps pour retrouver la trace de ces tarés et qui font
de la guérilla comme des snipers sur internet.
Je parcours aussi les documents concernant le programme SETI 2.
Les différents domaines d’activité de ce programme sont d’abord de cartographier le ciel selon plusieurs
critères.
Sur un rayon de cent millions d’années lumières, il faut repérer tous les sites contenant des acides aminés,
essentiels à la vie telle que nous nous la représentons. Ca, c’est une équipe en Australie qui doit s’en charger,
avec le concours d’un télescope spatial.
Parallèlement à ça, toujours sur un rayon de cent millions d’années lumières, plusieurs équipes réparties en
Europe, à Nançay, et au VLA, au Socorro au Nouveau Mexique doivent trouver un maximum de planètes
telluriques tournant autour d’étoiles équivalentes à notre Soleil. Si on part de notre propre expérience sur la
Terre, on peut se dire que la vie a pu se former à une vitesse sensiblement identique.
Le troisième axe consiste, pour plusieurs équipes au Tibet, en Ukraine et en Allemagne, à cartographier toutes
les nébuleuses où des étoiles sont en formation, sur un rayon d’un milliard d’années lumières. Une fois cette
cartographie achevée, on déterminera quelles sont celles qui auront des étoiles du même âge que le Soleil au
moment où les émissions radio qu’on aura envoyées y arriveront. Plus tard, ça nous permettra d’envoyer de
puissants messages dans ces directions. Peut-être qu’une civilisation, aujourd’hui encore inexistante, captera
alors ces messages dans quelques millions d’années.
Enfin, le quatrième et dernier axe est de déterminer quels sont les moyens les plus simples et les plus efficaces
pour qu’un signal soit transmis dans l’espace intersidéral sans subir de trop fortes altérations et pour qu’il
puisse se propager le plus loin possible sans diminution importante depuis son signal de départ.
C’est ma mission avec plusieurs autres équipes à Seattle, à l’Université de Berkeley, à Oxford et à Meudon.
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4- Natacha arrive!
Dimanche 11 juillet 2066, 10h41 heure locale
L’Airbus A521 amorce sa descente à Santiago au Chili.
A son bord, 126 passagers. Dont Natacha Rassoli.
Personne ne sait que cinq minutes avant d’embarquer elle s’appelait Natacha Mercury. Elle fait à présent parti
d’un programme de protection des témoins organisé par la DGSE. L’avion sort tranquillement ses roues et
commence l’atterrissage. Son vol n’a duré que deux heures dix-huit depuis le décollage de Paris, presque
exactement le temps qu’a mis l'avion de Yann la veille. Les roues touchent enfin le sol.
L’explosion est foudroyante.
Le souffle de la déflagration touche à mort l’engin volant ultramoderne. Juste derrière les ailes. Aucune chance
ne lui a été laissée. Il tremble terriblement dans toutes ses structures. Il est annihilé jusque dans son tréfonds. La
boule de feu qu’il vient de devenir en une fraction de seconde part dans une succession d’embardées
chaotiques. Totalement incontrôlable, il dévale la piste à trois cent kilomètres à l’heure. Derrière lui, c’est un
aperçu de l’Enfer. Dans un hurlement invraisemblable du métal tordu de la carlingue, il laisse un sillage de feu
creusé dans le bitume. Des pans de carcasse entiers sont éjectés dans tous les coins de la piste. La piste est
longue de quatre kilomètres.
Contrairement au Phénix, cet oiseau de feu ne renaîtra pas de ses cendres.
Ca fait déjà un kilomètre qu’il glisse.
Il dévore la longueur devant lui en un temps record. Un quart de la longueur est déjà passé! Désintégré par
l’explosion, le pilote a laissé son avant-bras bloqué sur la manette des gaz. Les systèmes de sécurité des boîtes
blanches de l’avion ont pris le relais. Aucun signal sensé ne leur parvient du poste de pilotage. Ils coupent les
moteurs. Ils activent les quelques extincteurs en état de marche. Ceux-ci commencent à expulser leur neige
carbonique vers les moteurs et sur la fournaise des ailes. L’appareil ne résiste pas à la violence de la glissade. Il
se coupe en deux. La queue du A521 commence à onduler comme si une immense main diabolique jouait avec
elle. Comme si elle était un vulgaire dé lancé par le diable. Elle dérape un peu vers le côté gauche. Avec l’élan,
elle commence à rouler sur elle-même dans un fracas monumental. Des gerbes d’étincelles fusent de tous les
côtés. Les fibres de verre des commandes optroniques sont sectionnées partout. Aussi puissants que des lasers,
les jets de lumière qui s’en échappent découpent plusieurs passagers. La dérive et les ailerons explosent quand
la queue sur laquelle ils sont fixés entame sa terrible roulade. Les passagers sont éjectés dans tous les sens et
sont littéralement disloqués. La partie principale de l’avion continu à creuser son vaste sillon dans la piste. Les
deux ailes l’ont déjà beaucoup freinée. Ce reste de machine ultrasophistiquée à l’agonie a ralenti énormément.
Ca fait près de trois kilomètres qu’il glisse ainsi.
Ca y est.
Il s’arrête.
Il était temps. Le bout de la piste n’est plus loin. Le rugissement des flammes diminue. L’apport d’oxygène
dans le brasier dû à la glissade est terminé. Les extincteurs achèvent d’envoyer leurs dernières gouttes de neige
carbonique. Les airbags non crevés des passagers se dégonflent lentement, maintenant que plus aucun choc
n’est enregistré par les appareils des deux boîtes blanches encore en état de marche. Heureusement que ces
boîtes existent! Elles complètent les deux boîtes noires qui permettent d’analyser un accident après coup.
Comme leurs consœurs noires, elles résistent à des chocs d’une extrême violence. Ce sont elles qui permettent,
grâce aux appareils de commande qu’elles contiennent, d’aider au maximum les passagers et les membres de
l’équipage pendant un accident et même, le cas échéant, de prendre des initiatives pour lancer les procédures de
secours et de sauvetage aux moments opportuns. Comme maintenant.
Des volutes de fumées commencent à envahir le cadavre de l’Airbus. Mais Natacha entend un fracas de plus en
plus fort qui se fait entendre.
C’est la queue de l’avion.
Elle continue de rouler sur elle-même et se rue à toute vitesse vers l’avant. Véritable rouleau compresseur, elle
n'a pas deux ailes pour la freiner. Natacha ne voit pas ce qui se passe mais elle comprend que quelque chose de
très dangereux arrive à toute allure sur l’avion. Elle sait aussi qu’elle n’a pas le temps de sortir. La plupart des
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passagers est tellement choquée autour d’elle qu’aucune réaction ne se fait sentir. Mais plusieurs entendent et
comprennent ce qui se passe. Certains essaient de se ruer vers les toboggans de secours qui sont en train de se
mettre en place.
La course contre la mort est inutile.
Le choc de titans provoque une pluie de projectiles vers l’avant.
Les passagers qui essayaient de fuir sont transformés en pantins désarticulés et sont éjectés au travers de la
carlingue. La collision n’a duré que quelques fractions de secondes. C’est trop rapide se dit Natacha. Ca cache
quelque chose!… Où alors, c’est que l’autre partie de l’A521 devait aller relativement doucement.
Mais la Mort n’a pas terminé son travail. C’est le calme avant la tempête.
Au moment du choc, avec son élan, la partie arrière roulait sur elle-même tellement vite qu’elle a été projetée
en l’air!
Lancée presque verticalement, la queue de l’appareil atteint une altitude d’une dizaine de mètres au-dessus de
l’autre morceau de la carlingue. Au moment où elle retombe, moins d’une seconde plus tard, tous les survivants
se disent que c’est la fin du monde! Le ciel leur tombe sur la tête. Tout s’écroule. Le vacarme est titanesque.
Dantesque. Le voisin de droite de Natacha reçoit de l’arrière un accoudoir de siège en pleine poitrine. Un peu
plus loin devant elle, des câbles des commandes électriques s’enroulent autour des pieds d’un passager et les
sectionnent aussitôt. Le plafond s’écroule. Il vient l’écraser. Soudain, une douleur fulgurante la lance au niveau
de sa cuisse gauche. Un morceau de hublot est venu lui perforer la jambe. Il éclate au contact de l'os. Elle hurle
de douleur.
Plus rien ne bouge.
C’est fini.
L’appareil a rendu l’âme.
Pour elle et tout autour, c’est l’Enfer.
Partout des gens appellent à l’aide. D’autres pleurent ou gémissent sous les décombres.
Sonnée, elle n’entend qu’à peine les camions de pompiers qui arrivent et qui commencent aussitôt à éteindre les
dernières flammes. Heureusement que l’explosion n’a pas eu lieu au moment du décollage, sinon, Il n’y aurait
eu aucun survivant. Mais là, au moment de l’atterrissage, alors que les réserves de carburant de l’appareil
étaient quasiment vides, les vapeurs de kérosène et d’oxygène liquide ont été suffisantes pour laisser à l’avion
son statut de bombe volante.
Les volutes de fumées noires continuent d’envahir la carlingue. L’incendie est éteint maintenant, mais des
parties plastiques de l’appareil continuent de se consumer, sans une seule flamme. Natacha commence à avoir
du mal à respirer. Elle regarde au-dessus d’elle. Rien qui puisse l’aider à respirer mieux. Elle voit qu’elle a eu
de la chance. Le plafond n’est qu’à quelques centimètres au-dessus de sa tête. Elle commence à tousser. Ses
yeux piquent. Elle entend les pompiers parler espagnol. Ils sont trop loin. Avec toute cette fumée, ils ne peuvent
pas la voir. Elle se met à appeler au secours. Mais sa jambe lui fait terriblement mal. Jamais elle n’a souffert
ainsi. Elle entend d’autres véhicules s’arrêter tout autour des débris calcinés, des restes de ce qui fut il y a
quelques instants un des fleurons de l’industrie aéronautique européenne. Elle décide d’enlever le plus gros
morceau de hublot qui lui déchire la cuisse gauche. La douleur lui dévore littéralement la jambe. Elle hurle.
Mais le morceau est enfin retiré. Elle se met un garrot. Avec un morceau de tissu qu’elle trouve à côté d’elle,
elle écrit avec son sang l’heure exacte du garrot sur son pantalon. 10h43. Cette information destinée aux
secouristes qui devront le lui enlever lui sera vitale.
Elle a de plus en plus de difficulté à trouver de l’oxygène. Elle commence à avoir des quintes de toux. Epuisée
par l’effort qu’elle vient de fournir, elle repousse l’airbag qui l’a protégé de la plus grande partie du crash. Son
visage est tuméfié. Elle essaye de détacher sa ceinture de sécurité. Elle s’y prend à plusieurs fois. Elle tremble
de tous ses membres. Elle a du mal à s’extraire de son siège. Elle ne peut pas s’appuyer sur sa jambe meurtrie.
Elle se cogne la tête contre le plafond. Elle ne voit plus qu’à un mètre ou deux devant elle. Sa tête commence à
tourner. L’odeur de toute cette fumée et du métal fondu qui continue d’envahir l’habitacle lui retourne le cœur.
Elle respire avec effort. De nouveau, elle essaye d’appeler au secours. Sa voix est enrouée. Seul un son informe
sort de sa gorge. Sa toux reprend de plus belle.
« De toute façon, c’est inutile. Ils ne m’ont même pas entendue hurler quand j’ai retiré l’éclat de hublot de ma
jambe », se dit-elle.
Elle retombe sur son siège. Sa volonté est son seul moteur à présent. Elle n’est plus capable de penser. Elle
n’est qu’à sept ou huit mètres de la sortie. Elle essaye à nouveau de se porter hors de ce siège qui risque bien
devenir son tombeau. Soudain, elle voit une ombre surgir de l’épaisse fumée noire. C’est un pompier. Il l’a voit.
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Il a un masque. Il lui donne aussitôt de l’oxygène. Elle avale goulûment cet air sauveur. Cet apport soudain
d’énergie la sort de sa léthargie. La douleur lui vrille sa jambe. Les larmes viennent aux yeux de Natacha. Le
pompier lui tend la main et lui dit quelques mots en espagnol. Elle ne comprend pas. Elle s’imagine qu’il lui dit
qu’il va la sortir de là. Il l’a prend par l’épaule gauche. Elle ne voit rien du tout. La fumée commence pourtant à
se dissiper un peu. Le passage est étroit entre les sièges. Elle trébuche. Ils arrivent enfin à la sortie. Un
deuxième pompier arrive. D’autres foncent à l’intérieur de l’habitacle munis de torches électriques et de
bouteilles d’oxygène chercher d’autres survivants.
En sortant de la carlingue calcinée, Natacha a une vision d’effroi.
La queue de l’appareil est complètement enfoncée dans la partie avant.
C’est comme s’il s’agissait d’une croix mal faite.
C’est comme s’il s’agissait d’une diabolique parodie de croix Catholique.
Des ailes, il ne reste plus que deux moignons fondus. Ce qui ressemblait il y a une minute à peine à un superbe
avion n’est maintenant plus qu’un enchevêtrement de métal. L’appareil est totalement disloqué. Des pompiers
grimpent avec des échelles dans la partie arrière éventrée. A l'avant, il n'y a que la porte qu'elle est en train
d'emprunter qui est ouverte. Et ouvrable. Des pompiers percent un passage à travers la paroi pour entrer plus
vite. Des policiers leur prêtent main forte. Elle voit des ambulances partout. Certaines arrivent, d’autres partent
toutes sirènes hurlantes. La piste est couverte de gyrophares de toutes les couleurs. La piste est couverte de
débris fumants. Des camions de pompiers continuent d’arroser l’Airbus et la piste de neige carbonique.
D’autres voitures sont disséminées ça et là sur la piste pour ramasser les corps sans vie qui ont été vomis sur le
bitume pendant le crash. Quelques flammes brûlent encore ça et là le long de la terrible cicatrice gravée dans la
piste.
Natacha est emmenée dans une ambulance. Elle part immédiatement toutes sirènes hurlantes. Le médecin
regarde son garrot, lit l’heure écrite en lettres de son sang, lui fait une piqûre, et c’est le noir complet…
De son poste d’observation, Fargo, l’agent relais des services secrets européens à Santiago pour la mission
Rassoli, a tout vu.
Tout s’est passé très vite.
Il a vu l’Airbus A521 du vol AF0823 du vol quotidien en provenance de Paris se poser normalement.
Il a vu l’explosion.
Il a vu la glissade infernale.
Il a vu la séparation des deux parties de l’appareil. Puis l’avion était trop loin.
Il n’a pas vu la suite.
Il a aussitôt réagit.
Profitant de la confusion, il est passé dans un local réservé de l’aéroport et a enfilé une veste du service de
sécurité. Une casquette terminant le déguisement, il a sauté dans le camion le plus proche qui sortait du garage
pour se diriger vers les lieux du crash. Son objectif. Trouver Natacha. Coûte que coûte. Si elle était vivante, elle
était peut-être blessée. Mais si elle était vivante, qu’elle soit blessée ou non, elle serait de toute façon emmenée
d’urgence dans un hôpital. Il lui fallait impérativement savoir lequel. Si elle était vivante, oui… Sinon,… Il ne
voulait pas envisager cette autre possibilité.
Plus le camion se rapprochait de la carlingue, moins il avait d’espoir de la retrouver en vie.
Jamais il n’avait vu un tel carnage.
L’avion… C’était bien un avion avant, non?… sur le bout de la piste trônait…gigantesque amoncellement de
ferrailles fondues… D’épaisses volutes de fumées s’en dégageaient. Les premiers camions de pompier
commençaient à prendre position autour du lieu du drame. Sur tout le long de la piste étaient éparpillés des
morceaux de carcasse métallique. Des voitures de police s’arrêtaient auprès de corps allongés sur la piste, des
malheureux passagers qui avaient été éjectés pendant l’infernal roulage de la queue de l’appareil… Les
malheureux n’avaient pas eu une seule chance dans ce rouleau mortel. Comme un terrible tambour de machine
à laver. Au programme essorage.
Ensuite, ce rouleau compresseur est venu terminer sa course folle sur l’autre partie de l’engin, a rebondi, et s’est
écrasé dessus. Fargo se dit que s’il retrouvait Natacha, il aurait beaucoup de chance. Nombre de passagers est
méconnaissable. Nombre de passagers est sous les carcasses. Nombre de passagers est semé sur la piste.
Eparpillé.
Le camion s’arrêta. Il sauta sur le sol. Des pompiers commençaient déjà à entrer dans les décombres encore en
flammes. Il s’empara d’une hache et commença à creuser une entrée directement au travers de la carlingue de
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l’appareil. Aidé de secouristes et de policiers, l’entrée fut rapidement percée. Dans un tel accident, chaque
instant peut permettre de sauver une vie. Ils venaient de terminer l’entrée permettant le passage d’une personne
quand il vit un pompier soutenir une passagère qui ressemblait fortement à Natacha. Il s’approcha un peu de la
blessée. C’était elle! Miracle! Ouf! Génial! Il poussa un profond soupir de soulagement. Même si elle était
blessée, elle avait traversé cet enfer et était toujours en vie. Il alla voir le conducteur de l’ambulance et lui
demanda son lieu de destination.
Aussitôt, il profita de l’aide d’un véhicule qui retournait aux bâtiments de l’aéroport pour retrouver sa voiture.
Ca fait déjà cinq minutes qu’il roule en trombe vers l’hôpital Salvador Allende. Avec un peu de chance, il y
arrivera en moins d’une demi-heure. Il faut à tout prix qu’il y soit le plus vite possible. Une terrible pensée lui
vient alors à l’esprit. « Et si l’avion avait été saboté ou piégé à cause de la présence de Natacha? »
Pourtant, ça lui semble stupide.
« Les pirates informatiques, aussi tarés soient-ils, auraient jamais voulu tuer des innocents, surtout en aussi
grand nombre. En plus, Natacha avait pas été inquiétée. Ou alors, ils ont changé leurs méthodes, mais ça, je
crois pas. Quelqu’un d’autre était visé? C’est un accident?… L’explosion a eu lieu au moment de
l’atterrissage… Pas au moment où les réservoirs étaient pleins… Ni au moment où l’avion était en orbite. Là,
l’explosion aurait été mortelle à cent pour cent. Instantanément. Mouais… »
L’agent fait la moue en pensant à tout ça.
Il contacte immédiatement son équipe.
- Allô, ici Fargo.
- Gonzalo, oui?
- Un problème est survenu.
- Qu’est-ce qui s’est passé?
- L’avion de Madame Natacha Rassoli a sauté au moment de l’atterrissage.
- Quoi?!!!
Gonzalo manque de s’étouffer. Fargo continue.
- Elle est en vie.
- Ouf!…
- Elle est blessée à une jambe. Les secours l’amènent à l’hôpital Salvador Allende.
- Bon. Déclenche un code de protection orange. Fais-toi fournir une équipe. Ne la lâchez pas d’une semelle.
Je veux une protection rapprochée et discrète vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
- Entendu. J’appelle le central de Santiago.
- De mon côté, je sais quoi faire. Rappelle-moi dès que tu as du nouveau. Je prends les choses en main. Merci
de m’avoir contacté aussitôt.
Gonzalo coupe la communication.
Fargo et Gonzalo déclenchent la procédure de protection.
- Allô, ici Fargo.
- Joaquim.
- Bon. Prends Samuel avec toi et partez immédiatement à l’hôpital Salvador Allende. Le vol AF0823 a
explosé à l'atterrissage. Natacha Rassoli est notre protégée. Elle sera au service des urgences de l’hôpital.
Avec la cohue qu’il va y avoir, sa protection ne sera pas facile. Prend également avec toi Gattiana.
Attention: c’est un code orange. Vous ne devez absolument pas vous faire repérer. La vie de Natacha
Rassoli peut en dépendre.
- Okay. On est parti.
Fargo raccroche.
Gonzalo fait démarrer l’enquête sur le crash de l’A521.
- Allô, ici Gonzalo.
- Anguilla bonjour. Qu’y a-t-il?
- Appel prioritaire code 128.
- Voilà.
- Merci
Un bip de localisation se fait entendre. Puis un deuxième de traçage. Une voix enregistrée retentit alors:
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Votre système vient d’être piégé. Si vous utilisez ce numéro illégalement, votre système de communication
sera détruit. Confirmez-vous votre appel?
- Oui, je confirme. Ici agent 9153>3A basé à Santiago. J’appelle de mon poste.
- Je vous passe le service demandé.
Moins d’une seconde plus tard, une autre voix, humaine cette fois-ci, demande:
- Bonjour, quelle est votre demande?
- Le vol AF0823 a explosé à l'atterrissage. Notre protégée était dedans. Il faut me mettre immédiatement une
équipe sur cette explosion. Je veux avoir le plus vite possible la liste de tous les passagers enregistrés ainsi
que la liste de toutes les victimes. Enfin, je veux qu’une enquête soit ouverte pour déterminer exactement
les causes du crash. Il s’agit peut-être d’un sabotage. Soit contre l’avion, soit contre l’aéroport. Dans les
deux cas, je veux avoir la liste de toutes les connexions internet liées à l’avion et à l’aéroport à partir du
moment du décollage de l’appareil jusqu’à maintenant.
Je veux une équipe sur les accès de l'aéroport à Paris et une autre à Santiago. Je laisse la gestion de l'équipe
française à Paris. Donnez-moi une équipe sur place.
- D’accord. Attendez, ne quittez pas. Vous allez avoir la réponse à votre demande d’équipe dans quelques
secondes… C’est bon. Vous disposez d’une équipe de quatre personnes. Cela vous suffit-il pour l’instant?
- Oui, c’est parfait.
- Les infos concernant vos hommes vous sont transmises. Bonne chance.
- Merci.
Gonzalo coupe la communication. Dans la foulée, il appelle le quai d’Orsay à Paris et prévient le capitaine
Landry. Simultanément, il monte dans son taxi et part en direction du Cerro Paranal pour aller chercher le
Professeur Rassoli. Sur le chemin, grâce au lecteur tête haute dont est munie sa voiture, il parcourt le profil des
quatre hommes qui sont mis à disposition.
-
Quelques minutes plus tard, son service l’appelle à nouveau:
- On vous transmet en ce moment la liste des passagers enregistrés. La liste des victimes et des disparus est
en cours d’élaboration. Vous aurez les mises à jour au fur et à mesure.
- Parfait. Au revoir.
- Toujours au volant de son taxi, il envoi le fichier reçu à l’ordinateur de bord de son véhicule. Vers son
ordinateur, il demande:
- Recoupez les informations issues de la liste des passagers à la liste des personnes en danger extrême du
programme de protection des témoins, hormis Natacha Rassoli.
- Chargement de la liste alpha en cours… Recherche des informations en cours…
Quinze secondes et demi plus tard, la réponse attendue se fait entendre.
- Aucune donnée dans la sélection
- Lancez la recherche sur le fichier alpha d’interpol, puis sur le programme américain de protection des
témoins.
- Chargement des fichiers en cours… Impossible de charger la liste correspondant au programme américain
de protection des témoins. Chargement de la liste alpha d’interpol.
- Bon, tant pis, on fera sans.
Trente deux secondes plus tard, la même réponse se fait entendre.
- Aucune donnée dans la sélection
Il semblerait que la cible visée, s’il s’agit bien d’un attentat, ce qui n’est toujours pas sûr, était Natacha Rassoli.
Pourquoi?…, réfléchi Gonzalo.
Un nouvel appel retenti.
- Gonzalo, oui?
- Ici Fargo. On a des nouvelles a propos de l’origine du crash. C’est bien un attentat. Une revendication vient
de tomber sur les émails du Courrier International en France, du New Herald Tribune aux Etats-Unis, ainsi
qu’au journal Analisis, à Santiago.
- Quels sont les auteurs des revendications et que revendiquent-ils?
- Ils se réclament pour le renouveau de la CNI. Tu sais, l’ancienne police secrète Chilienne, la Central
Nacional de Informaciones, qui s’est impliquée dans plusieurs milliers d’affaires contre les Droits de
l’Homme quand l’ancien dictateur Pinochet était au pouvoir.
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C’est donc un problème local, à ce qu’il semble…
Oui, mais on est en train de vérifier si c’est vrai ou si c’est pour brouiller les pistes. On ne t’envoie pas
encore le courriel. On l’analyse. Il est peut être muni d’un code de guidage camouflé. Si on te l’envoyait
sans vérification, ca permettrai à ses auteurs de remonter jusqu’à toi puis jusqu’au Professeur Rassoli.
- Bon, vérifiez si un des passagers du vol était plus particulièrement visé par la CNI. Envoyez-moi un
historique de ce groupe terroriste ainsi que la liste des indics qui peuvent nous aider à mener nos
investigations dans cette direction.
- D’accord.
- Quant à moi, j’ai vérifié que pas une seule autre personne du vol AF0823 ne faisait partie d’un programme
de protection des témoins. Mais si ce sont les hommes de la CNI qui sont réellement responsables de cet
attentat, alors il est logique qu’ils aient choisi l’aéroport Carmen Quintana. En tout cas, la coïncidence avec
la présence de Natacha et le fait que l’avion explose au moment de l’atterrissage qui ressemble à du « juste
à temps pour faire sauter la femme du prof » m’intrigue beaucoup.
- On essaye de recouper toutes nos infos. Les ordinateurs du centre de calcul à Paris mettent au point scenario
sur scenario pour vérifier les différentes hypothèses.
- Okay, rappelez-moi dès que vous avez du nouveau.
Gonzalo raccroche. Ses pensées filent à toute vitesse.
« Hum, tout ça sent mauvais. Ca sent le piège à plein nez. »
Accélérant, Gonzalo est maintenant en plein dans la montagne. Il repense aussi à l’agent qu’il a poursuivi hier.
« C’est vraiment dingue. Ce sont des fanatiques. Ce type a volontairement envoyé sa voiture dans le ravin
quand il a vu que la route était coupée par un glissement de terrain un peu en amont du Cerro Paranal. Qui sontils? Il faut le découvrir à tout prix! Comment ont-ils retrouvé la trace de l’ex Docteur Dellowski? Personne ne
savait qu’il arriverai ici!
Okay, deux solutions sont possibles. La première, c’est qu’ils ont vraiment réussi à le retrouver. Pour que ce
soit aussi rapide, ça veut dire en fait qu’ils ne l’ont jamais lâché! Dans ce cas, il y a une taupe dans nos services.
Et c’est vraiment très grave. Tous les témoins du programme de protection sont en danger de mort! »
Gonzalo se calme un peu et reprend le cours de ses pensées.
« Bon, bon, ne nous emballons pas!… La deuxième solution, c’est qu’avec sa nouvelle couverture il a soulevé
un autre gros gibier! Mais dans ce cas il joue vraiment de malchance! Il faut que je pose deux ou trois questions
au Professeur. Il me cache peut-être quelque chose. Je serai à son appartement dans moins de trois heures. D’ici
là, il faut que je réfléchisse à un éventuel plan de repli. »
Le téléphone sonne. Un petit écran affiche le nom de la personne qui cherche à le joindre. C’est Fargo. Sans
lever les mains de son volant, il dit simplement le mot clé qui fait décrocher le téléphone:
- Allô?
- C’est Fargo. On a vérifié parmi les passagers qui aurait pu être en contact avec la CNI.
- Oui, et alors.
- Alors, tenez-vous bien. Le fils du chef de la police secrète était à bord. Il s’agirait sans doute d’une guerre
intestine du groupe armé. On essaye de voir ce qui s’est passé cette semaine au sein de la CNI pour savoir
ce qui a provoqué cette attaque.
- Waoh! On avance bien. Félicitations! Continuez comme ça et rappelez-moi.
Le taxi de Gonzalo s’enfonce toujours plus dans la Cordillère des Andes.
-
Je sors d’une bonne douche brûlante. Je suis harassé par le décalage horaire, et je mets un bon moment pour
émerger de ma torpeur.
- Un bon café chaud me fera le plus grand bien! me dis-je.
Machinalement, j’allume la télé pour écouter brièvement les infos. Je sélectionne la langue française et
m’assoie dans le canapé l’esprit encore embrumé.
C’est une page de publicité, aussi je commence à zaper. Le téléphone sonne. Sans me lever, je dis alors:
- Transmission de la communication sur le poste de télé.
Le téléphone continue de sonner et la scène de pub où l’on voit une superbe femme poser un horrible capteur
encéphalographique sur sa tête continue de se dérouler. L’image de mon correspondant ne la remplace pas. La
sonnerie insiste. C’est vrai!… Les installations multimédia de cet appartement ne sont pas du dernier cri… A
peu près réveillé maintenant, je me lève et prends alors le téléphone en main.
D’une vois embrumée, je dis:
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- Allô?
- Allô Professeur Rassoli?
Soudain l’esprit aux aguets, je demande:
- Qui est là?
- Je vous appelle de la part du Docteur Doris Warflemann.
- Qui êtes-vous? dis-je en me répétant.
- Mon nom est Juarez Setupp. Vous ne me connaissez pas. J’aimerai vous rencontrer. C’est à propos des
disques que je vous ai donnés.
- C’était vous?! dis-je soudain vivement intéressé. Qu’est-ce qui s’est passé exactement hier?
- Je ne peux rien vous dire à distance. Je suis sur le parking devant votre appartement. Regardez par la
fenêtre.
Je m’approche vivement près de la baie vitrée du salon. Je vois un homme dans une parka bleue de taille
moyenne, un peu moins d’un mètre quatre-vingt dix. Malgré mon approche discrète, il me voit et me fait signe.
- Puis-je monter? me demande-t-il.
- Bon, montez, je vous attends.
- Merci.
Je raccroche.
Oups… J’espère que j’ai bien fait de la faire monter comme ça. Je prends des risques.
La sonnette retentit.
Je ne peux plus reculer, me dis-je.
Je fais pivoter la caméra de la porte d’entrée afin de visionner le couloir dans son ensemble. Juarez fait
volontairement face à la caméra. Je le vois parfaitement. La fenêtre du bout du couloir est fermée. Je perçois le
loquet. Il est resté fermé. De l’autre côté, la porte donnant sur l’escalier est close elle aussi.
Je prends le risque. Avec tous les événements d’hier, il y a quelque chose d’anormal. J’ai besoin de savoir si je
dois partir, changer à nouveau de couverture et prévenir Natacha pour qu’elle ne coure aucun risque. C’est
peut-être un piège… J’en suis conscient. Mais je dois savoir.
J’ouvre la porte.
- Entrez.
Il passe le seuil assez rapidement.
Je verrouille aussitôt la porte derrière lui. Je sais que ça ne sert strictement à rien maintenant qu’il est dans la
place: s’il est armé, alors il pourra ouvrir la porte sans problème. Et s’il a des complices dehors,…
Sur mes gardes, je répète ma question:
- Que s’est-il passé hier, mais qui êtes-vous d’abord?
L’homme me répond tout de go.
- Comme je vous l’ai dit, mon nom est Juarez Setupp. Je fais partie d’une des équipes de maintenance de la
cité souterraine ici au Cerro Paranal. Vous pourrez facilement me retrouver au village et vérifier mon
identité.
Je savais que vous deviez arriver. AVALON m’avait prévenu de votre arrivée. Vous savez, cette association
est incroyablement avancée dans le domaine de la recherche de vie extraterrestre. Aussi, ses membres
étudient très attentivement quiconque vient ici pour participer au programme international SETI 2.
Comme AVALON me l’a demandé, j’ai donc déposé le pli contenant les deux disques sous votre porte.
Mais en sortant de l’immeuble, j’ai croisé quelqu’un qui n’était pas du coin. C’était inhabituel. Ca m’a mit
la puce à l’oreille. J’ai discrètement fait demi-tour pour savoir ce que ce bonhomme venait faire dans cet
immeuble. Mais j’ai vu trop tard qu’il n’était pas seul: un autre type qui l’attendait dans une voiture sur le
parking a repéré mon manège. Je suis alors remonté rapidement au deuxième étage. Je me suis faufilé par la
fenêtre du bout du couloir. Je venais à peine de la refermer que j’ai entendu la sonnette de l’ascenseur qui
signalait l’ouverture des portes. Je me suis tapi sur le rebord. Sans bouger. Sans un bruit. De là où il était,
l’homme a simplement jeté un coup d’œil dans le couloir puis il est reparti par les escaliers où il croyait m’y
débusquer.
C’est alors que vous êtes arrivés. La suite de l’histoire, vous la connaissez.
Ce que vient de me dire Juarez me fait réfléchir. Néanmoins, il interrompt mes pensées et me dit:
- Je suis venu pour vous confirmer de vive voix ce que le Docteur Doris Warflemann vous a raconté via les
disques. Sachez d’abord que j’ai pris de très gros risques en vous les apportant hier et en venant vous parler
directement maintenant.
36
-
Ce que je suis venu vous dire, c’est que quelle que soit votre décision quant à faire vos recherches avec
notre collaboration ou non, nous la respecterons. Mais dans tous les cas, vous ne devez pas dévoiler ce que
contiennent les disques. Il en va de la sécurité directe du Docteur, de la mienne, et de l’association. Si vous
décidez de ne pas travailler avec nous, alors je vous demanderai de me redonner les disques. Si vous
décidez de marcher avec nous, nous vous ferons part de nos recherches et de nos résultats.
Je vous remercie, lui dis-je. Vous comprendrez que je dois réfléchir à tout ça et que je dois être très prudent,
vu tout ce qui vient de se passer et tout ce que vous et le Docteur Doris Warflemann m’avaient appris.
Je comprends, dit-il en se dirigeant vers la porte d’entrée. Prenez votre temps. Je vous recontacterai dans
quelque temps pour vous demander quelle est votre décision.
Merci. Au revoir, lui dis-je alors qu’il sort de l’appartement.
Quand je ferme la porte après son départ, je souffle deux secondes. Mes nerfs étaient tendus. J’étais prêt à
bondir à la moindre attaque. Mais finalement, ça s’est très bien passé, mieux même que ce que je n’aurai pensé.
Je me plonge dans une profonde réflexion sur ce qu’il vient de me raconter, mais ma méditation est de courte
durée. Le téléphone sonne de nouveau.
- Allô? dis-je en décrochant.
Une voix avec un fort accent espagnol que je ne reconnais absolument pas me répond.
- Allô, ici le capitaine Vasquez de la police de Santiago.
- Oui, que se passe-t-il? dis-je.
- Je vous appelle pour vous annoncer que votre femme Natacha Rassoli est blessée suite au crash de son
avion à l’aéroport de Carmen Quintana à Santiago. Elle est actuellement à l’hôpital Salvador Allende. Nous
vous envoyons un hélicoptère pour venir vous chercher. Il vous amènera à l'aéroport d'Antofagasta. Là, un
Falcon vous emmènera à Santiago pour que vous rejoigniez votre femme. Tenez-vous prêt à partir dès qu’il
sera là.
Je suis complètement soufflé. Complètement désorienté par la manière qu’à ce capitaine d’annoncer ce type de
nouvelle, je me laisse lourdement tomber dans un fauteuil.
- Qu'est-ce que vous dites?!…
J'ai besoin de reprendre mes esprits.
- Qu’est-ce qu’elle a?, je demande enfin.
- Ne vous inquiétez pas, sa vie n’est pas en danger. Nous arrivons. Je vous donnerai plus de détails. A tout à
l’heure Professeur.
Il raccroche.
Je réagis aussitôt. J’appelle Gonzalo.
- Allô?
- Bonjour Professeur.
- Je vous appelle à propos du crash de l’avion dans lequel se trouvait Natacha.
- Qui vous à mis au courant? me demande-t-il surpris.
- La police de Santiago vient de m’appeler. Ils viennent me chercher en hélicoptère pour m’amener à
Antofagasta. De là, je prendrai un avion pour Santiago.
Au travers du téléphone, j’entends un crissement de pneus.
- Okay. Je venais vous prévenir. Prenez cet hélicoptère. Je fais demi-tour. Je retourne à l’aérodrome le plus
vite possible. Je préviens l’équipe de surveillance de l’hôpital.
- D’accord. A tout à l’heure.
La communication terminée, je me tourne vers mes deux ordinateurs portables. Celui que m’a donné Gonzalo et
celui que j’ai acheté. Il faut que je les cache. Et dans deux endroits différents. On ne sait jamais…
Je cherche plusieurs cachettes dans l’appartement. En vain. Dans le lit, dans le canapé ou sous une pile de linge
dans une armoire, ça ne ferait pas long feu. Il me faut mieux que ça. Beaucoup mieux même. J’ai affaire à des
professionnels. Voyons voir… Je sais. Pour les disques, je me les envoie en poste restante. C’est classique mais
toujours aussi efficace. Ensuite, pour le portable que je viens d’acheter, je vais lui provoquer une légère
surtension pour lui détruire quelques circuits imprimés. Je pourrai alors le laisser chez un réparateur qui en aura
au moins pour un ou deux jours à le réparer. Là-bas, il sera bien caché! Ah, mais non, ça ne marchera pas. On
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est dimanche et les petits magasins sont fermés. En plus, comme mon portable est encore sous garantie, il
refusera de me le réparer et me le changera contre un autre.
Bon, je ne suis pas plus avancé…
Mais j’y pense, les plaques à induction dans la cuisine sont escamotables. Voilà un bon endroit! Je vais y laisser
celui que j’ai acheté. Quant à celui que Gonzalo m’a passé, je n’ai finalement pas réellement besoin de le
cacher. Pour ma couverture, il s’agit de mon portable de travail. Les voleurs seront incapables d’accéder aux
données secrètes qui y sont cachées. Je vais donc le mettre tranquillement dans le bureau. »
J’attends maintenant l’hélicoptère. Mort d’inquiétude pour Natacha, je suis terriblement impatient de l’entendre
arriver. A chaque bruit de moteur, je tends l’oreille en espérant. Enfin, j’entends comme un bruit sourd répétitif.
Je me dirige vers la baie vitrée. Il arrive.
J’enfile ma parka rouge, je mets mon téléphone cellulaire dans ma poche et je sors précipitamment.
Arrivé dans le parking devant la résidence, je vois l’appareil se diriger de mon côté, vers un champ enneigé
pentu un peu en contrebas. Je me dépêche. Je ne suis alors qu’à une trentaine de mètres quand il se pose. Un
homme en surgit. Il se dirige vers moi. Quelques badauds commencent à s’approcher.
L’homme s’adresse à moi en français, ce qui me surprend:
- Vous êtes le Professeur Rassoli?
J’acquiesce du chef.
- Venez avec moi! me dit-il. Je suis le capitaine Francisco Octobre de la police de Santiago. Baissezvous pour entrer!
Je monte aussitôt et nous nous élevons dans les airs.
Dans l’appareil, le policier se penche vers moi et me dit:
- Je ne vais pas tourner autour du pot. Votre femme est blessée assez méchamment à la cuisse gauche. Elle
est en état de choc mais va bien. Les services médicaux d’urgence l’ont évacuée immédiatement à l’hôpital
Salvador Allende. Elle y est maintenant depuis quarante cinq minutes environ. Nous avons vu dans ses
papiers que vous étiez ici. C’est comme ça qu’on a pu vous retrouver aussi vite.
- Est-ce qu’elle se remettra sans problème?
- D’après l’équipe médicale, elle n’aura pas de séquelles.
Après un bref instant, alors que nous entendons à peine le bruit du double rotor, il ajoute:
- Vous savez, elle a eu énormément de chance de s’en sortir comme ça. Elle est née sous une bonne étoile.
Sur les 135 passagers et membres d’équipage, il n’y a que 28 survivants, dont seulement cinq sont
indemnes.
- Que s’est-il passé exactement?
- Une enquête vient de démarrer pour déterminer les causes exactes du crash. Nous ne divulguons aucune
information. Les seules que vous pourrez obtenir seront diffusées par la presse. Néanmoins, je peux vous
dire ceci: il s’agirait d’un acte terroriste dû à des fanatiques qui réclament le retour de la dictature des
descendants de Pinochet. Ils ont mal joué. Ils se sont mis la population à dos. On cherche à savoir quels sont
les mécènes susceptibles de les avoir aidés. On connaît quelques groupes financiers aux activités louches et
quelques états agissant dans l’ombre pour déstabiliser le gouvernement chilien en place. On suit ces pistes.
Vous savez, depuis que les dictateurs sont menés devant le tribunal international de La Haye, ils n’agissent
plus aussi ouvertement qu’avant.
Quand j’arrive à l’hôpital Salvador Allende, mon inquiétude est extrême. Plus j’avance, plus j’espère que le
traumatisme qu’elle a subi ne la suivra pas toute sa vie.
J’arrive dans l’entrebâillement de sa chambre. Natacha est déjà debout et est en train de commencer à faire
manœuvrer sa jambe. Aidée d’un kiné, elle fait quelques pas. Elle me voit. Son sourire éclaire immensément
son visage rose. Il me réchauffe tellement le cœur!… Elle se dirige vers moi en trébuchant un peu. Je l’enlace
aussitôt. Son doux parfum me bouleverse. Et dire qu’elle a frôlé la mort! Dans mes bras, elle éclate en sanglots.
Le médecin kiné nous laisse seuls. La pression était colossale, étouffante. Elle sait que maintenant elle peut la
relâcher. Nous restons comme ça un long moment. Nous nous embrassons avec fougue, comme si une éternité
s’était écoulée depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. Ses larmes sèchent rapidement. Son sourire
est radieux. Elle se reprend à vue d’œil. En la voyant ainsi, je sais que le choc émotionnel qu’elle a subi pendant
le crash ne l’affectera pas longtemps. Mon stress chute proportionnellement à son rétablissement.
- Tu n'es pas trop blessée?, je lui demande.
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- Non, ça va. Tiens vois. Ma cuisse a été recousue et les chairs sont déjà bien cicatrisées.
Lucide, le regard meurtrier, la voix pleine de détermination, elle me dit:
- Je veux découvrir qui sont les salauds qui ont fait ça. Je passerai le temps qu’il faudra, mais je saurai qui ils
sont et ils seront jugés pour leurs crimes.
- Rentrons, lui dis-je simplement.
Nous montons dans la voiture officielle qui nous attendait à la porte de l’hôpital et nous rejoignons à nouveau le
Falcon.
Il fait déjà nuit quand nous arrivons à l’appartement. Je n’ai pas vu Gonzalo de la journée ni les membres de
son équipe. Je sais qu’ils nous ont suivi tout le temps sans nous lâcher un seul instant. Ils étaient prêts à toute
éventualité mais sont restés invisibles.
Pendant que nous nous installons, je sors l’appareil de détection radio que m’a confié Gonzalo hier. Avec tous
les événements du week-end, je veux m’assurer que nous sommes bien seuls dans l’appartement. Je mets alors
le détecteur en marche et je passe toutes les pièces au crible. Il n’émet aucun signal sonore. Pour le tester,
j’allume mon téléphone. Il bipe aussitôt. Bon, ça va. Il fonctionne bien. Il n’y a donc aucun micro espion dans
l’appartement.
Pendant ce temps, Natacha s’est dirigée sous la douche. Sa jambe la lance un peu. Sa peau la tire un peu, mais
d’après les médecins, ça devrait s’atténuer rapidement. D’ici une journée, toute trace aura complètement
disparue. Dans quelques jours, elle pourra recommencer à faire son jogging quotidien. Il faut dire que la
blessure était profonde. Les éclats de verre avaient atteint l’os et coupé un tendon. Mais bon, il faut laisser un
peu de temps aux produits cicatrisants.
Pendant que nous entamons le rôti de lama à la sauce tartare que j’ai trouvé dans le congélateur, je lui explique
la situation.
Je lui raconte tout ce qui s’est passé en son absence.
Mon départ de Paris.
Gonzalo.
Les deux morts.
La recherche des infos sur le net à propos d’AVALON.
La rencontre de Juarez Setupp.
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5- CNI ou BDC?
Lundi 12 juillet 2066, 08h50 heure locale
J’arrive au secrétariat du directeur du centre astronomique et astrophysique du Cerro Paranal.
Au moment où je rentre, je surprends la jeune secrétaire chilienne qui consulte Glamour Terre de Feu sur le net.
Un peu moins de vingt cinq ans, minuscule, moins de un mètre soixante cinq, hypermaquillée mais sans réelle
recherche, les cheveux tirés en arrière, elle est coiffée d’un chignon mauve pastel aux reflets noirs qui lui donne
un style kitsch des années soixante du siècle dernier. Il est vrai que la mode revient au galop. Ce petit brin de
femme est l’exemple stéréotype de la parfaite consommatrice moyenne, du moyen parfait. Son visage est un
superbe étalage de tous les produits moyens de beauté qu’il est humainement possible de trouver dans le
commerce.
Comme de larges amandes noires, ses yeux paraissent écarquillés tellement leur contour est peint. Son front est
orné d’un petit bijou en or scellé sur les os de son crâne. Le bijou sert de base à une petite touffe de fils d’or qui
montent se mêler à ses vrais cheveux mauve pastel. Je remarque aussi que le pigment de la peau de son front
brunâtre est génétiquement modifié pour lui permettre de bronzer beaucoup plus facilement et ainsi lui donner
un maquillage naturel. Ses joues brun orangé, dont la couleur nuancée change en fonction de l’éclairage de la
pièce, entourent ses lèvres brillantes d’un rouge sanglant.
- Good Morning, Sir.
Sa voix est légèrement chantante.
- Good Morning. I’m Professeur Yann Rassoli. I’ve an appointment with Professeur Butch Brand.
- Oh you’re French! s’exclame-t-elle en pâmoison devant mon accent très caractéristique.
I love your accent! finit-elle par dire en me dévorant des yeux.
Elle clique finalement sur son ordinateur. Elle me déshabille littéralement du regard. Elle ne doit pas voir
souvent les scientifiques français du centre! Le timbre de sa voix est un peu moins nasillard quand elle me dit,
avec son large sourire:
- Bonjour Professeur. J’ai positionné mon traducteur automatique sur la langue Française.
- Très bien, lui dis-je. Mais pourriez-vous sélectionner plutôt le Français standard et pas le Québécois?
- Tabernacle!… Oh! Pardon!
Avec un petit rire et un immense sourire, rougissant énormément, les yeux papillotants, elle me répond:
- Je suis vraiment désolée Professeur. Je ne sais pas où j’ai la tête!… Tenez Professeur. Voici un petit
traducteur anglais. Vous pourrez ainsi converser sans problème dans le centre.
- Non, je vous remercie. Je préfère les méthodes archaïques qui consistent à apprendre les autres langues. Je
parlerai directement en anglais.
Elle est un peu surprise mais complètement émerveillée. Maintenant que tout le monde peut trouver des
traducteurs automatiques, peu de personnes cherchent à apprendre les autres langues. Leur apprentissage est
toujours obligatoire à l’école, mais la motivation des élèves est telle qu’au moment de passer le bac, ils arrivent
difficilement à ânonner quelques phrases.
- Je vous annonce à Monsieur le Directeur, me dit-elle.
Elle clique sur un bouton de son ordinateur. Un petit grésillement se fait entendre dans l’oreille de la secrétaire,
munie d’un écouteur traducteur directement greffé dans sa chair.
- Le Directeur vous attend. Je vais vous introduire.
Quand elle me dit ça, je sens qu’elle arrache mentalement tous mes vêtements.
Elle me précède dans le bureau. Du haut de son petit mètre soixante cinq, toute petite à côté de moi qui la
surplombe de vingt cinq centimètres, elle ouvre la double porte capitonnée, en cuir rouge. Je remarque que le
mobilier est du style des années cinquante ou soixante du siècle dernier. Les goûts du Professeur Brand sont
sans concession pour les autres styles.
Ils ont même prévalu pour le choix de la secrétaire… me dis-je.
Le personnage que je découvre a un aspect surprenant.
La trentaine, il a les cheveux coiffés en banane tel un black angel des années cinquante. Son bureau mélange
pourtant différentes périodes artistiques du siècle dernier. Il présente précisément, synthétiquement, et avec
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exhaustivité, la personnalité du directeur d’un des plus grands centres d’astronomie et d’astrophysique mondial.
Un perfecto est accroché au porte manteau près de la porte; on le croirait tout droit sorti de West Side Story. Au
mur sont exposées de vieilles photos dédicacées du King, à côté de vieilles publicités ventant les Harley
Davidson. Même un morceau de vieille guitare électrique de Jimmy Hendrix trône au-dessus d’un juke-box.
Posé sur une moquette bleue nuit très foncée, le mobilier en cuir noir et en chêne verni, d’une brillante
obscurité, offre une ambiance très chaude et très accueillante à l’invité. Surtout mis en lumière par le papier
peint rouge sang de la pièce. L’odeur du cuir empli simplement, légèrement et agréablement la pièce. Le lustre
en cuivre et verre usé qui éclaire la pièce de ses reflets vert jaunis, a certainement roulé sa bosse de longues et
nombreuses années dans les salles de billards enfumées de la Nouvelle Orléans. La lourde lumière qui s’en
dégage cherche pourtant jalousement à rivaliser avec les rayons de soleil. Ceux-ci traversent paresseusement les
carreaux de la fenêtre puis les rideaux blancs et viennent mettre en valeur une statue en bronze de Betty Boop.
Posée sur un petit guéridon de chêne aux formes aussi élancées que s’il s’agissait de la tour Eiffel à l’envers,
sous les rayons du soleil, Betty Boop défie la gravité et paraît vouloir s’élancer dans les airs… alors qu’elle ne
fait que découvrir son célèbre porte-jarretelles avec son si célèbre sourire enjoliveur. Le petit meuble est
incrusté à la base d’une multitude de fines tiges en bronze et en cuivre. J’ai du mal à discerner l’endroit où
toutes les tiges métalliques disparaissent au profit du bois.
Fier de lui, le Professeur Brand s’avance vers moi pour me serrer la main. De sa voix typiquement nasillarde
des anglophones, il me dit:
- Je vois que vous aimez la décoration de mon bureau, Professeur Rassoli.
- C’est superbe!…Et tellement inattendu!
- Oui, j’aime surprendre les gens. Soyez le bienvenu au Cerro Paranal. Vous savez, nous sommes très
honorés de participer au deuxième programme SETI. Vous êtes le premier chercheur à venir ici pour
travailler sur ce projet. Je pense aussi que vous serez le seul ici pour ce programme.
- C’est assez bizarre pour un projet aussi important, non? Qu’en pensez-vous?
Au lieu de me répondre, il me demande:
- Que voulez-vous boire?
Un café sera parfait, merci.
S’adressant à sa secrétaire, il lui dit alors:
- Un café de Colombie et un jus d’orange des monts Atlas je vous prie, Matsuhira.
- Oui Monsieur le Directeur.
Elle s’éclipse rapidement et silencieusement.
- Vous travaillerez en solo, Professeur Rassoli. Votre laboratoire m’a dit que votre femme vous assistera?
- Oui, c’est ça. Je vous prie d’excuser son absence…
- Oui, je suis au courant. La police Chilienne m’a demandé hier vos coordonnées ici au Cerro Paranal pour
vous contacter. J’espère qu’elle s'est remise de cet accident. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je serai
heureux de vous aider.
- Merci beaucoup.
- Matsuhira a préparé vos pass avec un plan du centre pour que vous puissiez vous déplacer partout sans
problème. Votre bureau se trouve dans un autre couloir du bâtiment. Matsuhira vous expliquera comment y
aller tout à l'heure. Parlons maintenant de vos fenêtres d’observation.
- Mon gouvernement m’a assuré d’un bon pourcentage du temps d’observation sur le temps global de mon
travail ici.
- Oui, votre mission est prévue dans un premier temps pour une durée de dix mois. C’est-à-dire de cent
quatre-vingt jours ouvrés. Sur ce nombre de jours, vous aurez soixante quinze jours complets d’observation.
- Quoi? Vous n’y pensez pas!
- Vous savez, il ne m’est pas possible de vous laisser observer plus longtemps. Les autres missions réclament
elles aussi beaucoup de temps d’observation.
- Non, ce n’est pas possible. Mon gouvernement a payé pour ce projet un temps d’observation beaucoup plus
important.
- Vous vous rendez compte que vous demandez à avoir une fenêtre d’observation de cent dix huit jours!
- Oui, dont vingt jours d’observation non pas avec un seul télescope mais avec le réseau des huit télescopes
au complet.
- Vous me demandez beaucoup, vous savez! Ca sera difficile de vous satisfaire. Mais bon, ayant étudié votre
parcours scientifique, je suis assuré que vous ferez du bon travail.
41
-
-
J’aurai besoin d’informations pour réaliser mes recherches.
Oui, de quoi s’agit-il?
Il faut que j’aie à ma disposition l’emploi du temps d’utilisation des télescopes, les dates de leurs entretiens
et les fenêtres horaires prévues pour les observations en réseau global.
Voici un disque qui contient toutes ces informations, me dit-il en me donnant l’objet. La liste des logiciels
mathématiques dont nous disposons ainsi que la liste des observations en cours et pour tout le mois à venir
s’y trouvent aussi. Nous avons une politique d’optimisation des observations. Elle consiste à combiner les
observations de plusieurs équipes. Ca permet de multiplier jusqu’à dix fois les temps d’observations de
chacun. Un collaborateur vous montrera comment trouver des points communs entre vos observations et
celles de vos collègues. Par ailleurs, vous verrez que les fenêtres d’observations avec le réseau global sont
importantes, proches de quarante pour cent du temps total d’observation, et que cinq pour cent de ce temps
se fait avec le Very Large Télescope de La Silla.
Impressionnant. Et bien je consulterai avec attention toutes ces données. Je pense que ma mission ici sera
riche en événements et en découvertes. J’ai hâte de commencer.
Et bien, comme je vous le disais au moment où vous êtes rentré: Bienvenu au Cerro Paranal! A propos,
j’espère que vous me ferez le plaisir de déjeuner avec moi ce midi?
Ce sera avec plaisir, merci, dis-je en prenant congé.
Grâce aux plans du centre que m’a fourni Matsuhira, je retrouve mon bureau sans trop de problème. Il n’est pas
très grand mais est suffisant pour deux personnes. Le mobilier est tout ce qu’il y a de plus fonctionnel. Les
fauteuils à roulettes sont recouverts d’un tissu fatigué. Métalliques, les bureaux sont assez grands. Les armoires
sont du même style. Je remarque que les précédents occupants ont oublié deux ou trois disques. « Astronomie,
méthodes et calculs », « Rapport annuel du bureau des longitudes » daté de 2064 et un volume des
« Ephémérides » daté lui aussi de 2064. Vieux de 2 ans, ils sont assez inutiles maintenant. Je mets en marche
mon ordinateur de bureau. C’est un vieux série 9 à 3 eggs qui est directement relié aux principaux centres de
calculs de la planète, et bien sûr, prioritairement, à celui du centre de Cerro Paranal ici. C’est assez exceptionnel
de disposer de son propre centre de calcul, mais l’astronomie, tout comme la météo, demande une telle
puissance de calcul que nous en avons un. C’est un modèle « HAL » à 16,2 eggs, du nom de l’ordinateur du
roman de Arthur C. Clarke « 2001: L’odyssée de l’espace ». Tant qu'il ne se détraque pas…
Je commence à peine à fouiller dans le réseau informatique du centre pour savoir quels logiciels pourront me
servir tout au long de mon séjour ici quand je tombe sur une base intitulée « Brand ». La curiosité me démange.
Je décide de voir ce qu’il contient. Ca ne marche pas, c’est bloqué. J’ai besoin d’un mot de passe. Tant pis. Je
continue mon exploration. Je copie des quantités de documents sur mon disque.
Je commence finalement ma lecture. Au fur et à mesure que mon travail avance, je les efface et ajoute un lien
électronique dans mon bloc note pour pouvoir les retrouver plus tard si le besoin s’en fait sentir. Au bout d’une
heure, j’ai lu tout ce que je voulais savoir sur les principaux logiciels du centre scientifique.
Je décide de vider les documents de la corbeille électronique de mon ordinateur. J’ouvre alors celle-ci. Par
habitude, je vérifie tous les documents qu’elle contient avant de les supprimer définitivement. J’ai toujours peur
d’effacer un document que je veux conserver. Il y a toujours moyen de les récupérer, mais il peut y avoir des
problèmes parfois. Je parcours alors la liste des fichiers qui y figurent et je trouve trois documents qui y étaient
déjà. Par curiosité, je les ouvre.
Le premier est le rapport des résultats du centre sur la période de la semaine dernière.
C’est récent!, me dis-je.
Voyons voir ce que ça donne… Equipe un: Découverte d’une nouvelle planète tellurique de la taille de la lune
autour de Proxima du Centaure. Equipe deux: Poursuite de la cartographie des quasars. Aucune nouvelle source
d’émission de rayonnements gamma détectée. Equipe trois: Poursuite de la modélisation de la propagation des
gaz interstellaires au point alpha entre les deux nuages de Magellan et des interactions des quatre forces
fondamentales qui s’y produisent. Equipe quatre: Poursuite de la cartographie des astéroïdes du système solaire.
Equipe cinq: Suivi de l’observation de la nova NGC13621, ou, selon la nouvelle codification, NGC2027h, dans
la constellation du Phénix. Equipe six: Poursuite de la cartographie du grand nuage de Magellan. Etudes
approfondies sur la nébuleuse de la Tarentule. Aucune découverte majeure. Equipe sept: Aucune avancée
significative dans l’estimation de la croissance de l’Univers. Pas d’avancée significative quant à la remise en
cause du principe fondamental d’entropie. Equipe huit: Poursuite de l’étude de la naine brune NGC2025b dans
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la constellation du Toucan. Equipe neuf: Amélioration significative de la méthode de prévision des aléas
gravimétriques du système d’étoiles triples NGC2012k dans la constellation du Caméléon. Equipe dix:
Poursuite de la cartographie des naines blanches.
La liste continue sur les travaux des vingt chercheurs indépendants.
Une note en bas de document attire mon attention:
« Le Professeur Rassoli envoyé par le gouvernement français arrivera lundi prochain pour participer au
programme SETI 2.
Faites parvenir ce rapport au comité exécutif du BDC.
Une action est à entreprendre quant à l’avancée des recherches de l’équipe neuf. Leurs travaux avancent
très vite et leurs résultats pourraient devenir gênants. Le Professeur Girard en est le principal moteur.
Par ailleurs, je dois savoir quelles actions éventuelles je dois mener vis-à-vis du Professeur Rassoli qui
arrivera lundi. J’ai mené une enquête à son propos. Il a un profil tout à fait classique. A priori non
dangereux.
Le BDC est notre pensée. Le BDC est notre juge. Le BDC est notre exécuteur. »
Qu’est-ce que c’est ce BDC? Je n’en ai jamais entendu parlé. Et cette série de commentaires me laisse interdit.
Il est vrai qu’avec le système ultra libéral dans lequel nous vivons, le système féodal tel qu’il existait au moyen
âge revient au goût du jour. Chaque groupe financier ou industriel a son blason, que l’on appelle logo; chaque
groupe a sa culture; chaque groupe peut avoir sa monnaie; et chaque groupe peut avoir son armée. En dehors de
ça, heureusement, il y a des gardes fous: les gouvernements et les différentes instances nationales et
internationales. Malgré tout, les principaux groupes financiers passent souvent outre. Espérons que ce Moyen
Age moderne ne sera pas trop long et que la Renaissance arrivera rapidement, sans se faire autant attendre que
la précédente. Essayons d’éviter l’obscurantisme le plus possible.
J’ouvre le document suivant.
Il est encore plus étonnant que le précédent.
C’est la réponse du BDC.
Le document est surmonté de la représentation d’un diamant finement dessiné dont les contours légers sont à
peine discernables. Devant ce diamant apparaît une épée verticale qui pointe vers le haut. Enfin, le logo est
terminé par une balance maintenue en son centre à la fois par la poignée du glaive et par la pointe basse du
diamant.
Le texte est le suivant:
« Professeur,
Nous avons pris en compte votre rapport. Nous agirons dès ce week-end à propos de votre requête pour
l’équipe neuf. Quant au nouveau Professeur Rassoli, nous aviserons en temps utile. Son travail n’apportera
pas plus de solution que ne l’avait fait le programme SETI de la fin du siècle dernier. Si jamais une surprise
survenait, ce qui est hautement improbable, nous aviserons. D’ici là, son travail ne nous gêne en aucune
manière.
Le BDC a pensé. Le BDC a jugé. Le BDC va exécuter. »
Qu’est-ce que ça veut dire?! Le Professeur Girard court un très grave danger! Que faire!? Je ne sais même pas
qui c’est ni à quoi il ressemble! Je ne peux pas appeler Gonzalo d’ici, c’est trop dangereux. Il faut que je sorte
pour l’appeler.
J’éteins précipitamment mon ordinateur et je me dirige vers la sortie du bâtiment.
J’ouvre la porte d’entrée. Quelqu’un se dirige vers moi. Mon sang ne fait qu’un tour.
Ont-ils vus que j’ai lu ces documents? C’est vrai que j’étais complètement stupide! Je n’ai pris aucune sécurité
pour lire ces infos! Nerveux, je fais face à l’homme d’environ vingt cinq ans qui vient vers moi.
Lui aussi est très nerveux. Il me demande:
- Avez-vous vu le Directeur? Le professeur Girard a été retrouvé mort gelé dans la montagne!
Interdit, je réponds:
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- Oui, le Directeur est dans son bureau.
- Merci.
L’homme s’éloigne aussitôt et prend la direction du bureau du Professeur Brand.
Je reste interdit sur le pas de la porte.
Une petite fontaine artificielle est à proximité. Je prends un verre. Je sens l’eau vive couler dans ma gorge. Sa
fraîcheur me redonne de l’énergie et me ramène à la réalité.
Que faire?… Pour l’instant, le mieux pour moi est de retourner à mon bureau. De toute façon je ne risque rien.
Du moins pour l’instant. Et il faut que je donne le change face aux agents du BDC. Par contre, il faut que je sois
extrêmement vigilant.
J’allume à nouveau mon ordinateur.
Je consulte son historique. A qui appartenait-il avant que je ne le récupère? Voyons voir…
Ca y est! Il appartenait à une personne nommée Pitt Crawie. Voyons voir avec quelle équipe il travaillait… Ah,
la liste des chercheurs du centre est ici… Pitt Crawie… Pas là. Feuille suivante… Ah, il est là. C’était un
chercheur indépendant, mais il est parti vendredi, il y a trois jours. Bon, je verrai comment le contacter. Il doit
avoir énormément d’informations intéressantes à me raconter à propos du BDC. Voyons voir la corbeille de
mon ordinateur… La liste des documents n’a pas bougé. Bon, tous les documents y sont. J’ouvre le troisième
document que je n’ai pas encore lu. »
C’est un bulletin d’adhésion au BDC.
Voyons voir… Les informations nécessaires à l’inscription vont me mettre un peu sur la voix quant aux
objectifs de cette organisation. Nom, âge, sexe, profession, nationalité… Bon toutes les infos habituelles… Ah
si, là: dernières recherches en cours. Résultats obtenus. Classification du niveau de confidentialité des
recherches réalisées. Niveau d’accréditation obtenu. Préciser les contacts privilégiés acquis avec les laboratoires
publics ou privés, et avec quels départements d'états…
Toutes ces informations sont extrêmement importantes. Ce Pitt Crawie doit en effet avoir énormément d’infos
sur le BDC, mais s’il s’est inscrit auprès de ce groupe, je ne pense pas qu’il soit disposé à les partager avec moi!
Et ce logo? Le diamant est là en tant que symbole de pureté?… Si je veux enquêter dans cette direction, il
faudra que je prenne bien plus de précautions que lorsque j’ai voulu obtenir des renseignements à propos
d’AVALON.
Il faut absolument que je mette Gonzalo au courant. Je ne peux pas l’appeler d’ici. Bon, je sors.
Je copie les trois fichiers sur un disque. Je supprime tous les documents de la corbeille. Je consulte l’historique
des fichiers utilisés via mon ordinateur. Il n’y a que ceux que j’ai lus aujourd’hui. Je réinitialise l’historique. Je
vérifie une nouvelle fois la corbeille de mon PC, que j’éteins enfin. Je prends le disque et je sors.
A la grille extérieure du centre, je montre mon badge au gardien.
- Il est très tôt dites donc!
- Oui, je viens d’arriver. J’amène tous mes dossiers ici.
- Ah oui! Un déménagement, ça demande beaucoup d’efforts!
Je laisse le gardien très curieux derrière moi et j’arrive en ville. Dans la voiture, j’appelle Gonzalo. Au moment
où il parle, je reconnais son accent très caractéristique.
- Allô, taxi central que puis-je pour vous?
Tiens, s’il me répond ainsi, c’est qu’il ne peut pas parler ouvertement.
- J’ai besoin d’un taxi au Cerro Paranal.
- Pour quand?
- Dès que vous pouvez.
- Est-ce que c’est urgent?
- Non, non.
- Pas de problème. Je suis en train de m’approcher du village. J’y serai dans dix minutes environ. Où puis-je
vous retrouver?
- Et bien disons chez moi, au 5 Plazza Copernic.
- A tout à l’heure.
Je raccroche. J’arrive maintenant chez nous, Natacha et moi. Sur le parking, il n’y a qu’une voiture.
Tiens, au fait, à qui est-elle?
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Quand je rentre dans l’appartement, studieuse, enfoncée dans le canapé du salon, plongée dans les infos que j’ai
récupérées du net, Natacha lève la tête.
- Tu es déjà là? Il y a un problème?
- Oui. J’ai appelé Gonzalo. Il ne va pas tarder à arriver.
- Qu’est-ce qui s’est passé? demande-t-elle inquiète.
Je lui dis alors ce qui s’est passé ce matin.
Pendant que nous parlons, je copie les fichiers et range le portable dans sa cachette dans la cuisine, sous les
plaques à induction.
- Je n’ai jamais entendu parler du BDC. Qu’est-ce que ça peut bien être?
- C’est pour ça que j’ai demandé à Gonzalo de venir. Tu te souviens des difficultés que j’ai rencontrées pour
récupérer les infos à propos d’AVALON? Cette fois-ci, j’ai bien l’impression que le poisson que j’ai repéré
est beaucoup plus gros. Avec ses services, Gonzalo pourra enquêter sur ces nouveaux éléments.
A ce moment-là, on entend une voiture se garer dans le parking.
- Le voilà, dit Natacha. Il a fait vite!
La sonnette retentit. Je fais entrer Gonzalo.
- Bonjour. Que se passe-t-il? demande-t-il aussitôt.
Je lui donne le disque sur lequel j’ai enregistré les fichiers trouvés dans la corbeille de mon ordinateur.
- Tenez. Là-dessus, vous avez trois documents importants. Je crois qu’ils sont liés à mes problèmes parisiens.
- Vous devez faire extrêmement attention, Professeur. Je peux vous changer de cachette et de couverture à
l’instant.
- Non, non. C’est trop tôt.
- Si ça tourne mal, il faudra partir.
- Avez-vous entendu parler d’un chercheur qui aurait été retrouvé gelé cette nuit dans la montagne?
- Oui, je suis au courant. Après un éboulement de neige sur sa voiture, son système d’appel au secours
automatique a été détruit. Sa voiture a été trouvée ce matin par l’employé municipal qui ouvrait la route
avec son chasse-neige.
- Dans ce disque, il y a la preuve que ce n’est pas un accident.
- Quoi?
Gonzalo est complètement abasourdi. Il n’en croit pas ses oreilles.
- Avez-vous déjà entendu parler du BDC?
- Oui, bien sûr. C’est une organisation internationale tout ce qu’il y a de plus honorable. C’est le « Bright
Diamond Consortium ». Ils ont le quasi-monopole du marché diamantifère planétaire.
- C’est ça! Je m’écris joyeusement comme un enfant. Le diamant du logo, c’est tout à fait ça!
- Pourquoi? Vous ne pensez tout de même pas qu’ils sont impliqués là dedans! Vous savez, avec le fric dont
ils disposent, je ne vois absolument pas pourquoi ils s’impliqueraient dans de telles affaires louches!
- Enquêtez sur eux! Ce sont eux! J’en suis sûr! On a trouvé mes fanatiques!
Je me mets à rigoler. Je ne tiens pas en place. Dès mon premier jour de travail sous ma couverture choisie au
hasard, je trouve mes ennemis. J’en suis abasourdi. Natacha est radieuse elle aussi.
- Calmez-vous, me dit Gonzalo.
- Consultons ces documents directement sur le portable que vous m’avez passé avant-hier. Vous allez être
dans le même état que moi!
- Non, ce n’est pas la peine, fait-il, un peu apeuré par mon comportement. Si ce que vous me dites est vrai,
alors il n’y a pas une minute à perdre. Je vais demander à ce qu’une enquête urgente des plus discrètes soit
ouverte sur le BDC. Mais vous savez, s’ils ont décidé de jouer les mauvais garçons, alors il sera
extrêmement difficile de les contrer! Et même de le prouver. Leur chiffre d’affaires dépasse largement celui
de la Belgique!
Ce qu’il me dit me refroidit quelque peu.
- Je vois qu’il va falloir avancer sur des œufs, dis-je.
D’un air de tueur, Natacha dit avec une voix qui fait froid dans le dos:
- De ces œufs assassins, je m’en ferai une omelette avec grand appétit.
- Si ce sont bien eux les responsables de vos ennuis, dit Gonzalo, dites-vous que vous avez eu une chance
fantastique d’être déjà passé une fois au travers des mailles de leur filet. Il n’est pas certain que vous soyez
capable de réaliser cet exploit une nouvelle fois, même avec l’aide de nos services. Je dois vous mettre en
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garde. Laissez nous faire. Contentez-vous de vous de jouer le rôle qu’on vous demande. Je lance une
procédure d’enquête immédiatement. Je vous tiendrai au courant.
Il sort vivement de l’appartement. Nous nous regardons, Natacha et moi, inquiets maintenant. Si ce groupe est
aussi puissant que ça, alors il a des ramifications partout. Gagner la partie ne va pas être coton. Mais pas de
question de se laisser faire. Il est hors de question qu’on continue de vivre ainsi caché le restant de notre vie.
S’il faut se battre, on se battra.
Natacha devine ce que je vais lui dire. Aussi elle me précède en disant:
- Je veux avoir ces salauds. Ce sont eux qui ont fait sauter l’Airbus. J’en suis intimement convaincue. Je ne
veux pas baisser les bras. Je n’aurai de cesse tant qu’ils ne seront pas mis hors d’état de nuire. Tous ces gens
dans l’avion qui sont morts à cause d’eux! Jamais je ne l’oublierai.
- Ils ne nous feront pas de cadeaux, dis-je simplement.
Elle me regarde durement, calmement, froidement:
- On leur rentre dedans.
- Bon. Tout n’est pas perdu d’avance. Nous avons deux alliés de taille: la DGSE et AVALON.
- AVALON, on ne sait pas… me répond-elle. Tu t’avances beaucoup. Restons prudents. D’un autre côté, si
les services de renseignement européens n’améliorent pas la qualité de leurs prestations, il ne faudra pas
trop compter sur eux.
- Oui, mais maintenant qu’ils savent à qui ils ont à faire, ils seront, j’espère, plus efficaces. Je pense que
Gonzalo va faire attention avant de lancer l’enquête. Il ne va contacter que des gens de toute confiance.
- Quant à notre deuxième allié, il est très mystérieux.
- Oui, je ne sais ni comment les contacter ni quand ils vont me contacter, dis-je.
- Quand ils le feront, nous déciderons de la marche à suivre.
- D’ici là, je dois retourner au bureau avant que mon absence ne soit trop remarquée.
- Je te rejoindrai cet après-midi.
- Tu es certaine que ta jambe va suffisamment bien?
- Oui, oui. Il n’y a pas de problème. Et puis rester enfermée ici toute la journée va me rendre chèvre!
De retour à mon bureau, j’ai un message dans la boîte aux lettres de mon ordinateur.
Je dois faire parvenir mes demandes d’observations dès que possible au secrétariat de Brand. Au travail!
Voyons voir, par quoi vais-je bien pouvoir commencer pour mener à bien ce programme SETI 2. Je suis en
contact avec le groupe de recherche de Meudon en France ainsi qu’avec les différents radio-observatoires de
Nançay en France, d’Effelsberg en Allemagne et de Socorro au Nouveau-Mexique, où se trouve le VLA, le
Very Large Array.
Voyons voir à quoi ils vont consacrer leur temps…
Après avoir passé la matinée à passer des coups de téléphone vers les différents centres de recherche liés au
programme SETI 2 pour mettre au point les fenêtres d’observations communes, en recoupant les solutions avec
les possibilités de l’observatoire du Cerro Paranal, j’envoie mes propositions au secrétariat.
Je les ai à peine envoyées que le Professeur Brand entre dans mon bureau, revêtu de son perfecto.
- Vous êtes prêt pour aller déjeuner?
- Oui, on peut y aller.
- Comment se passe votre installation? Vous avez pu faire un tour du complexe?
- Ca se passe très bien. Le centre est vraiment grand, dites donc!
- Oui, moi, il m’a fallu une bonne semaine pour m’y retrouver. Je vais vous présenter à quelques-uns de vos
collègues.
- J’ai croisé quelqu’un ce matin qui m’a dit qu’un chercheur était décédé ce week-end.
- Oui, c’est terrible ce qui est arrivé. Quelle idée d’être allé là-haut tout seul… Vous savez, comme le disait
un de vos écrivains, Antoine de Saint Exupéry, « Les Andes, en hiver, ne rendent point les hommes. »
- Oui, c’était à propos de Guillaumet dont l’avion s’y était écrasé. Enfin, lui a été plus fort que la
montagne…dis-je en guise de provocation.
Son regard luit soudain d’une lueur maléfique. Il me regarde, sérieux, esquissant à peine un sourire, sans même
dévoiler ses canines, comme s’il n’était même pas utile de me menacer. Il ne me met même pas au défi. Comme
si au moindre geste, mon destin était scellé. Comme si je ne représentais même pas une once d’idée de danger.
Pourtant, il dit, cyniquement:
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- En fait, Saint Ex s’est trompé. Les Andes ne rendent les hommes que si elles le veulent. Eté comme hiver.
- Alors, comme le dit la légende, elles sont d’une beauté fatale à celui qui n’est pas convié.
- Oui, d’ailleurs je vous déconseille de les défier.
Sa voix résonne sourdement. Son regard me jauge et me juge. Son ton est bizarre. Comme s'il s'agissait d'un
avertissement.
Je ne réagis volontairement pas à sa remarque.
- Je viens d’envoyer mes propositions de fenêtres d’observations à votre secrétaire, dis-je simplement.
- Parfait.
La tension disparaît instantanément, comme si je n’avais fait qu’imaginer les secondes précédentes.
- Je vous donnerai mon avis d’ici ce soir. Ma priorité est bien sûr de voir ce que va devenir l’équipe du
Professeur Girard.
- Bien sûr. Merci.
- Tenez, voici les autres membres du centre.
Après la présentation de quelques autres membres scientifiques du centre et le traditionnel café du dessert,
chacun retourne à ses occupations. L’ambiance est très sombre. Plusieurs membres de l’équipe de Girard ne
sont pas là.
- Partager ce repas avec vous a été très instructif, dis-je au Professeur Brand en le quittant.
- C’est partagé, me répond-il. Bon après-midi.
De retour à mon bureau, je vois qu’un mot manuscrit a été posé près de mon ordinateur. Il est signé de Juarez!
Comment a-t-il fait pour savoir que j’étais dans ce bureau? Et comme il ne travaille même pas pour le centre
mais pour une équipe de maintenance de la cité souterraine, ça ne lui a certainement pas été facile de
s’introduire ici! Ou alors il dispose de moyens que j’ignore, ou alors il a menti… D’autant plus que c’est très
risqué de laisser un tel message de manière aussi visible!…
Que dit-il?
« Rejoignez-moi immédiatement au sous-sol de votre bâtiment. Là, à gauche des escaliers, entrez dans les
toilettes mixtes. Je vous y attends. »
C’est beaucoup trop grossier pour que ce soit un piège. Quoique… Plus le piège est gros, moins on s’y attend.
Néanmoins, je ne vois absolument pas pourquoi le BDC s’y prendrait ainsi avec moi. Vues leurs méthodes, ce
n’est certainement pas un message d’eux…
J’y vais.
Je me retrouve dans des ateliers de maintenance du centre scientifique.
Là, de vieux instruments d’optique y sont entreposés. Des bidons contenant une espèce de graisse noire épaisse
et fortement odorante sont entreposés dans une pièce sans porte. Je continue mon chemin. Le sous-sol propre
est parfaitement éclairé par des néons répartis régulièrement. J’y croise un chariot automatique qui amène son
chargement quelque part. Avant de me croiser, il klaxonne par mesure de sécurité. La signalisation est très
claire. Dans une pièce dont la porte est ouverte, je vois des pièces métalliques entreposées pour parer toute
défaillance technique des huit télescopes, de leurs montures et de leurs moteurs.
J’arrive finalement devant la porte des toilettes. J’entre. Juarez est là. Nerveux, on sent qu’il veut partir d’ici le
plus vite possible.
- Nous avons des informations très importantes à vous révéler. Mais tout d’abord, je dois savoir si nous
travaillons ensemble ou pas. Si vous préférez ne pas travailler avec nous, c’est votre liberté. Dans ce cas,
dès que vous m'aurez remis les deux disques, vous ne me verrez plus et n’entendrez plus jamais parler de
moi. Ni d’AVALON. Nous vous laisserons tranquille. Que choisissez-vous?
- Pour vous répondre, je dois vous poser une question.
- Bon, allez-y mais qu’elle soit courte.
- Mais pourquoi êtes-vous aussi nerveux?
- C’est ça votre question?
- Ne soyez pas stupide!
- Le centre n’est pas sûr et je ne pouvais pas attendre pour vous rencontrer. Je n’ai pas eu d’autres alternatives
que de vous laisser ce mot sur votre bureau. C’était le plus rapide.
- Mais pas le plus sûr.
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Je décide de lui dévoiler mes informations. Je tente le coup. S’il travaille pour le BDC, j’espère que je pourrai
réussir à sortir d’ici vivant, mais c’est le seul moyen. C’est presque dans un souffle que je lui pose la question:
- Travaillez-vous en collaboration avec le BDC?
- Non, qu’est-ce que c’est?
- Vous ne connaissez même pas?
- Non, pas du tout. Pourquoi? Je devrais?
- Ecoutez. Je suppose que vous m’avez fait venir ici pour me dire que le Professeur Girard a en fait été
assassiné par vos ennemis, non?
- Comment le savez-vous?
- Menez des recherches vis-à-vis du BDC. C’est un immense groupe financier qui détient le quasi-monopole
sur le marché diamantifère de la planète. C’est lui le commanditaire de l’assassinat. Attention: ils sont
extrêmement bien protégés. En enquêtant directement sur eux, vous risquez les amener droit sur vous en
moins de temps qu’il ne faut que pour le dire.
- Vous êtes sûr et certain de ce que vous avancez?
- Sans l’ombre d’un doute. J’ai les preuves.
- Il me les faut.
- Retrouvez-moi ce soir à 19h00 au village, au restaurant traditionnel dehors, le « Restaurant des Andes »,
près de l’entrée de la ville souterraine.
- D’accord.
- A propos, mais je ne sais pas si cette précision est utile: oui, j’accepte de travailler avec vous.
- Merci. Tenez. C’est ma carte professionnelle. Mes coordonnées sont dessus. Vous pourrez m’y contacter. A
ce soir.
- Une dernière chose. Au cours de votre recherche d’infos sur le BDC, je veux savoir si la CNI est en contact
avec eux ou pas.
- A ce soir. Je verrai si j’ai pu vous obtenir ces infos.
Lundi 12 juillet 2066, 19h00
Je suis avec Natacha dans le restaurant des Andes depuis quelques minutes. Nous prenons un vin chaud typique
des alpes. Une grande baie vitrée nous permet d’admirer le paysage fantastique qui s’offre à nous. Du haut de
notre promontoire, par un effet d'écrans, de miroirs et autres constructions optiques, l’Océan Pacifique apparaît
à nous dans toute sa splendeur. Ailleurs, un rare condor vole très loin dans le ciel. Nous sommes tellement hauts
qu'il vole assez bas par rapport à nous. Il est agréable de voir que cette espèce n'a pas disparu. Les condors se
comptent par centaines maintenant. Mais il a fallu que le gouvernement chilien fasse preuve d’une grande
fermeté face aux braconniers.
L’oiseau, avec sa manière de planer, me rappelle la représentation stylisée du hall principal de l’aéroport
Carmen Quintana de Santiago.
Je vois Juarez arriver. Il est seul. Normal.
- Bonsoir Madame Rassoli. Ne vous levez pas, je vous en prie.
L’attention de Juarez la fait sourire.
- Bonsoir, lui répond-elle. Je vois finalement l’ombre s’éclairer.
Juarez est un peu désorienté. Il me regarde.
- Que?…
Natacha lui précise alors:
- Oui, vous n’étiez qu’une ombre pour moi. Maintenant que je vous vois en pleine lumière, je vois à quoi
vous ressemblez.
Juarez sourit:
- Vous savez, il vaut mieux être une ombre mouvante qu’un flash éteint la seconde d’après. Votre jambe va
mieux?
- Je vais très bien, je vous remercie.
Il se tourne alors vers moi:
- Bonsoir Professeur.
- Bonsoir Juarez, lui dis-je.
- Voulez-vous boire quelque chose? Un vin chaud par exemple?
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- Avec plaisir, merci.
Pendant que je passe la commande, Juarez parle fièrement des Andes à Natacha.
- Vous savez, elles sont fantastiques. Qu'on les survole ou qu'on les arpente, on est toujours aussi admiratifs
et surpris par leur immensité et leur majesté!
- Oui, elles sont impressionnantes.
- Certaines fleurs de cette chaîne de montagne sont uniques. Seuls les promeneurs à pied ou à dos de cheval
ont la possibilité de les contempler directement. Vous savez, la montagne est devenue une des premières
ressources du pays depuis plusieurs années. Et nombres de randonneurs y viennent et ne trouvent leur
plénitude qu’ici!
- Elles peuvent être dangereuses aussi.
- Pour qui ne prend pas garde, en effet, fait Juarez, dont la voix baisse sensiblement.
Son vin chaud arrive.
- Ah! Merci beaucoup! La recette qu’ils servent ici est très touristique mais tellement bonne! A votre santé!
Nous trinquons et sirotons agréablement cette liqueur sucrée si bienfaisante par la chaleur et la douceur qu’elle
procure.
Natacha lui demande alors:
- Qu’avez-vous trouvé avec les infos que Yann vous a données ce midi?
- Tenez, nous dit-il avec un air entendu. Ce guide touristique vous permettra de mieux connaître la région et
ses habitants.
Je prends le disque et le range aussitôt dans une poche profonde de ma parka rouge.
Il continue:
- Vous savez que les Andes contiennent aussi beaucoup d’animaux dangereux? Je ne vous conseille pas de
vous armer, mais je ne vous recommanderai jamais assez d’être prudent et très vigilant.
- Hum, fais-je. Mais savez-vous que parfois, même le chef peut être un loup déguisé en berger?
Se penchant en avant, il s’exclame en chuchotant presque:
- Quoi, vous voulez dire que le Directeur?…
Il laisse sa question en suspend et me regarde, acquiesçant du regard.
- J'en ai la conviction. Tenez, voici les preuves de mes affirmations de ce matin, que vous m'avez demandées,
lui dis-je en lui donnant un autre CD.
Il le prend et vide son verre d’un trait.
- Je vous propose de nous revoir demain chez vous après que nous ayons chacun lu les informations
transmises et que j’ai approfondi quelques recherches sur le… berger.
- Okay. A demain 19h00.
Il s’éloigne d’un pas vif.
Natacha se tourne vers moi.
- Il a été vraiment surpris d’apprendre ce que tu lui as dit à propos de Brand. Il est parti vraiment
précipitamment. En fait, il s’est sauvé… se ravise-t-elle.
- Hum,… Ne nous éternisons pas ici et allons visionner ce qu’il nous a donné.
De retour dans l’appartement, tel un rituel, je prends le détecteur d’émissions radio de Gonzalo. Je passe dans
toutes les pièces. Tout va bien. Je mets en place les chaussettes sur les angles de la baie vitrée et je tire les
doubles rideaux.
Pendant ce temps, Natacha est partie prendre le portable sous les plaques à induction de la cuisinière.
Elle revient dans le salon et le met en marche. Elle y introduit le disque.
Les informations qu’il contient sont incroyables. C’est l’historique complet du BDC.
Le groupe financier originel a été créé en 1984 par le diamantaire Henrich Gramond en Australie, un homme
mystérieux dont on n’a retrouvé aucune archive. Le BDC s’appelait à l’époque « The Arboricole Diamond
Company ».
De 1984 à 2001, Henrich Gramond s’est évertué à supprimer systématiquement tous ses concurrents sur la
place diamantaire Australienne. En 2001, il renomme sa compagnie et créé « The Australian Diamond
Corporation ». A ce moment là, il n’y a plus que deux grands groupes en compétition en Australie: le sien et
« Sydelio and Son ». Le sien se taille néanmoins la part du lion, alors que « Sydelio and Son » subit de
mystérieux problèmes familiaux qui vont le mettre en faillite en moins de dix huit mois.
49
Henrich Gramond s’attaque dès lors à l’Afrique du Sud et au Canada. Il a fort à faire. Il lui faut faire face à la
détermination des Canadiens et à l’énergie des Sud Africains. En moins de trois ans, il disloque « L’Union »
Canadienne et prend de nombreuses parts de marchés aux Etats-Unis et en Europe où il est accueilli à bras
ouvert. Un tel trublion ne peut être qu’excellent pour le marché pense-t-on alors.
Dès lors, bien installé, il change radicalement de tactique et change le nom de son groupe. Ce sera le « Bright
Diamond Consortium », le BDC. Ce faisant, il trouve la vraie valeur du diamant, qui va faire sa vraie fortune.
Elle est fondée sur un seul mot: discrétion.
Les grands de se monde sont poursuivis par des bandes de paparazzis. Convoitée, la confidentialité de leurs
affaires leur est très chère. Gramond, en faisant son cheval de bataille de la tranquillité absolue de ses clients,
voit sa fortune augmenter exponentiellement.
Les grands se bousculent à sa porte d’entrée, dont il attise leurs désirs de venir chez lui par son refus de
publicité et par la sélection qu’il organise de ses clients. Il refuse de traiter directement avec la plupart. Triés sur
le volet, ceux-ci sont deux cents. Pas un de plus. Si l’un se retire ou bien est radié par Gramond lui-même, alors
seulement quelqu’un d’autre peut prendre sa place.
Ses clients sont Les Privilégiés. Mais même ainsi choisis, ils n’ont le droit que d’acheter ses diamants. Pas celui
de les choisir. Le faire une fois est un manque flagrant de confiance vis-à-vis du consortium. A la deuxième
fois, s’il y en a une, le client perd son statut de privilégié et la honte s’abat sur lui.
De toute façon, les diamants vendus de cette manière sont d’excellente qualité. Et le système est accepté tel
quel par tout le monde. Ainsi va le BDC.
Dès lors, sa puissance et son aura politique sont immenses.
Sa fortune croissant, il investit partout.
Il crée sociétés sur sociétés.
Il prend des participations dans de si nombreuses compagnies qu’il est au courant des moindres décisions
stratégiques concernant les orientations politiques et économiques internationales. Il crée un tel imbroglio
financier à travers la planète qu’il devient rapidement impossible à quiconque de savoir quel est exactement le
chiffre d’affaire global de toutes ses sociétés, compagnies et groupes. Au plus fort de la guerre froide, il
s’empare des mines de diamants du Kazakhstan, grâce à des sources de renseignements en provenance des pays
de l’OTAN.
Des études secrètes menées par la CIA en 2011 ont montré que sa fortune atteint alors des sommets vertigineux.
Il aurait une fortune personnelle avoisinant les cent douze milliards de dollars, et le chiffre d’affaire de toutes
ses sociétés serait de l’ordre de six cent soixante seize milliards de dollars cette année-là.
En 2012, au moment du premier crack uranium, il triple ses participations dans la plupart des grands groupes où
il était présent.
En 2015, il s’empare finalement en moins de trois mois de la quasi-totalité des mines de diamant d’Afrique du
Sud.
Henrich Gramond décède en 2017. Il a su rester tellement discret que seul le Herald Tribune a parlé de sa mort
sous sa rubrique nécrologique. Depuis, personne ne sait qui le remplace.
Etre membre du BDC est toujours resté une absolue nécessité pour le gotha planétaire. Et cela durera tant que la
discrétion sera Reine.
Jamais le BDC n’a subit la concurrence. Toujours, il a sut l’éviter…
En 2043, « L’Union » canadienne se reforme et fait ouvertement face au BDC. Ca ne durera pas pense-t-on
partout. Les appuis politiques et financiers de « L’Union » fondent plus vite que la neige au soleil. Six mois
plus tard, un vieux satellite espion soviétique des années 1970 qui contenait une pile nucléaire s’écrase dans le
Grand Nord Canadien. A moins d’un kilomètre du fleuron des mines de diamants canadien. La mine reste
inaccessible pendant une année entière. Les dégâts sont colossaux. La Russie donne quarante millions de
dollars au Canada, une misère, en guise d’indemnités. La compagnie canadienne ne s'en est pas relevée.
En 2051, le CENM, le Commissariat Européen aux Nouveaux Matériaux, annonce qu’il est possible de créer
artificiellement des diamants de plusieurs carats en quelques heures avec un coût cent mille fois inférieur à
celui d’un diamant naturel.
Le soir même, le directeur de l’équipe de recherche est assassiné, tous ses travaux partent en fumée et le
laboratoire est vaporisé par une bombe thermique. Les membres de son équipe sont harcelés. En moins d’une
semaine ils sont tous morts. Certains d’accidents, d’autres d’allergies foudroyantes. Le gouvernement Français
n’a même pas eu le temps de réagir.
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On ne sait pas qui est réellement derrière toute cette affaire. Une semaine plus tard, un rapport ultrasensible de
la DGSE fait état d’activités inquiétantes au sein de « Foncier Net », une société immobilière ayant pignon sur
rue aux Champs Elysées virtuels du net. Une croix dans la case dommages… Le site internet a été effacé et les
cent cinquante sept employés ont été retrouvés décédés. Officiellement, une fuite de gaz dans la rue les a tous
asphyxiés. Cette société appartenait à cent pour cent à une autre société écran qui, sans appartenir au BDC, était
contrôlée par lui.
En 2064, il semble être impliqué dans une série d’attentats contre l’association AVALON. C’est une
association de chercheurs sur le net qui s’intéresse de près aux phénomènes extraterrestres en tous genres. La
plupart de ses membres périssent à Tripoli en Libye.
Cette année, le BDC a préparé simultanément des coups d’état dans trois républiques touristiques Centre
Américaines. Grâce aux prévisions météo, ils savaient qu’un cyclone allait tout dévaster et tout désorganiser.
Son principal cheval de bataille était l’incompétence des gouvernements locaux. Mais au moment même où ils
ont lancé les opérations, le Docteur Yann Dellowsky a annoncé au grand public sa découverte, sa nouvelle
théorie de la fuite de l'atmosphère et des dérèglements climatiques associés.
Les trois coups d’état organisés par le BDC ont avorté aussitôt. Le consortium venait de perdre des intérêts
colossaux. En représailles, ils ont attenté à sa vie. Le ou les services qu’ils ont utilisés ne devaient par être très
expérimentés car ils ont échoué aux plusieurs tentatives qu’ils ont faites. Comme vous le voyez, nous avons la
conviction que le BDC vous menace directement. Maintenant, il semble avoir perdu votre trace mais vous
devez savoir que vous jouez avec le feu. Si vous vous faites prendre, la combustion sera aussi instantanée et
aussi discrète que celle issue d’une fusion froide.
A la lecture des documents du disque fourni par Juarez, AVALON se pose une question importante:
Vis-à-vis des assassinats de scientifiques sur toute la surface du globe, quel est le mobile?
Pourquoi ce groupe aussi puissant limite ainsi les recherches scientifiques dans quasiment tous les domaines?
A l’époque de cette ère du tout Technologique, ce holding refuse les découvertes scientifiques et va jusqu’à les
interdire en tuant un nombre incroyablement important de savants sur toute la planète. Pourquoi?
Rien dans le disque ne répond à cette question.
Quant à la question: « Est-ce que l’attentat de l’Airbus A521 est lié aux agissements du BDC, pour l’instant,
rien ne le confirme ni ne l’infirme.
La deuxième partie du disque contient les résultats des recherches de vies extraterrestres menées par certaines
équipes d’AVALON.
Des quantités de résultats de calculs statistiques en se basant sur des méthodes que j’ai moi-même mises au
point sont présents.
Plus loin dans la lecture des infos du disque, nous voyons qu’il y a aussi des résultats de recherches
philosophiques, anthropologiques et linguistiques.
La recherche des civilisations extraterrestres va peut-être donner de nouvelles lettres de noblesses à la
philosophie, que tant de gens ont du mal à comprendre! Grâce à l’anthropologie, il est très intéressant de voir
comment différents villages, ethnies ou civilisations qui ont peuplé ou peuplent encore notre planète ont su se
rencontrer et vivre, harmonieusement ou difficilement, les uns avec les autres. Il est aussi extrêmement lucratif
d’étudier comment un peuple en est arrivé à vouloir communiquer ou ne pas communiquer avec ses voisins. Et
comment il s’y est pris pour communiquer ou pour ne pas communiquer.
Natacha est beaucoup plus intéressée que moi sur cette orientation des recherches. C’est parfait. Si je
m’implique davantage du côté mathématique et qu’elle s’attache plutôt à ce côté des choses, notre travail n’en
sera que plus passionnant et avancera d’autant plus vite!
Nous avons à peine fini de faire le tour rapide des documents que nous a fournis Juarez que la sonnette de la
porte d’entrée retenti. Qui cela peut-il bien être?
Natacha éteint aussitôt le portable et va le cacher dans la cuisine.
Je m’approche de la porte d’entrée. La sonnette retenti à nouveau. Je regarde qui est dehors via la caméra de la
porte. C’est Gonzalo. Que fait-il ici?
Natacha me fait signe qu’elle a fini de cacher le portable. J’ouvre à Gonzalo. Il se précipite à l’intérieur et
referme la porte.
- Désolé de vous déranger ainsi à l’improviste. J’ai reçu l’ordre de vous emmener dans une nouvelle cachette
avec une nouvelle identité.
51
- Quoi? Que se passe-t-il?
- Je n’ai pas le temps de vous expliquer. Prenez vos affaires. Nous partons sur-le-champ.
- Non, non. Attendez. Il est hors de question que nous bougions comme ça!
- Je vous dis que je n’ai pas le temps de vous expliquer!
Je sens que je commence à m’énerver un peu.
- Et bien moi je vous dis que vous allez le prendre! Il est hors de question qu’on vous suive comme ça!
- Bon. En deux mots, vous êtes en grand danger. Plus encore qu’en France!
- Ca, on s’en était rendu compte!
- Oui, mais saviez-vous que l’attentat contre l’Airbus était directement dirigé contre Mademoiselle Mercury?
- Quoi?!
Natacha, abasourdie, se laisse tomber dans un fauteuil. Gonzalo continue.
- Les gens du BDC savaient qu’elle allait changer d’identité. Ils savaient aussi qu’ils n’avaient aucun moyen
de la suivre une fois arrivée ici au Chili. Pour résumer, ils se sont rendus compte qu’ils allaient la perdre
pendant qu’elle resterait dans l’avion. Bien sûr, ils avaient son signalement au décollage; Mais ils savaient
qu’ils seraient incapables de la reconnaître à sa descente de l’avion grâce aux camouflages génétiques qu’on
vous a fait prendre à tous les deux. Ils ont donc décidé, au dernier moment, de faire sauter l’avion. Ils s’y
sont pris par l’intermédiaire d’un des jeux vidéo qui était proposé aux passagers. Les revendications de la
CNI sont fausses. On le sait maintenant. Le véritable responsable, c’est le BDC.
Je l’interromps soudainement:
- Un moment, vous avez dit que c’est par l’intermédiaire d’un des jeux vidéo qu’ils ont fait sauter l’avion.
Quel est le nom de ce jeu?
- Non, vous ne m’avez pas compris. Il est tout à fait hors de question que je vous donne d’autres
informations. C’est un trop gros poisson pour vous. Vous ne pouvez pas les affronter. J’ai reçu l’ordre de
vous emmener hors de leur atteinte.
- Oh, là! Une seconde!
Natacha se relève du fauteuil dans lequel elle s’est remise de ses émotions. Furieuse, elle fait face à Gonzalo et
lui lance:
- Un moment! Vous avez trouvé ces renseignements grâce à nous. Vous n’avez jamais progressé aussi vite
dans cette affaire. Si vous nous éloignez maintenant, alors on perdra peut-être définitivement tout moyen de
retrouver une vie normale! Et en plus ce groupe pourra continuer ces agissements en toute impunité. Je
refuse de les laisser faire. Je refuse de partir pour me cacher à nouveau. Je refuse de fuir indéfiniment!
Gonzalo reste interdit face à la détermination de Natacha.
Je clos le débat en lui disant:
- Vous pouvez partir si vous voulez, mais nous restons. Et si vous partez, il ne nous sera même plus utile de
conserver nos fausses identités!
- Mais vous êtes complètement fous! Ce serait suicidaire! Vous ne survivrez même pas jusqu’à demain
matin!
Sans tenir compte de ce qu’il dit, je lui demande alors:
- Que faites-vous? Vous nous aidez ou vous partez?
Il sort son revolver et le pointe sur nous.
- Désolé, mais vous m’obligez à en arriver à de telles extrémités. Je ne peux pas vous laisser rester ici. En
plus, vous risqueriez mettre en danger tout le réseau européen de protection des témoins.
- Tirez, nous ne bougeons pas d’ici, lui dis-je en le défiant du regard.
Gonzalo est rouge de colère. Bouillonnant, il prend une profonde inspiration et dit alors:
- Bon attendez. Je dois en référer à mes supérieurs. Je vais voir si je peux vous aider dans la situation où vous
êtes. J’ai absolument besoin d’avoir leur feu vert pour ça.
Une idée me traverse alors l’esprit:
- Vos responsables doivent écouter les ordres du cabinet du ministère de l’intérieur, non?
- Oui, que voulez-vous dire?
- Et bien, je peux téléphoner directement au chef de cabinet du ministère en France et le convaincre de
continuer à nous laisser mener cette mission.
- Si vous arrivez à le joindre… Quelle heure est-il? 20h35. En France, il est environ quatre heures trente du
matin.
- Bon et bien désolé pour votre correspondant, mais on ne peut pas attendre. On va devoir le réveiller.
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Je compose le numéro du chef de cabinet Fillaume. Quelqu’un dont je ne reconnais pas la voix répond alors.
- Allô?
- Bonjour. Je suis le Professeur Rassoli. Désolé de vous importuner à une heure aussi indue, mais je dois
absolument parler au chef de cabinet Fillaume.
- Que lui voulez-vous?
- C’est personnel. Et urgent.
- Un moment. Quel nom avez vous dit?
- Celui qui doit certainement être affiché sur votre écran. Le Professeur Yann Rassoli.
- Je dois vous demander d’attendre quelques secondes pour nous laisser le temps de vérifier le système de
communication à partir duquel vous nous appelez. Nous vous avons localisé mais nous vérifions la
confidentialité de la ligne en vérifiant les circuits optroniques de votre appareil. Sachez aussi qu’il est piégé
maintenant.
Quelques grésillements se font entendre. Au bout d’à peine deux secondes, la voix se fait entendre de nouveau.
- Bien. Voici le chef de cabinet Fillaume.
Une voix ensommeillée répond au téléphone:
- Allô?
- Allô Monsieur Fillaume. Je suis désolé de vous réveiller ainsi, mais une situation de crise nécessite votre
intervention.
- Que se passe-t-il?
La voix du chef de cabinet n’est plus du tout endormie à présent.
Je raconte sans entrer trop dans les détails les mésaventures qui nous sont arrivées depuis ces trois derniers
jours.
J’en arrive à la conclusion.
- Il faut donc que nous puissions rester sur place pour pouvoir stopper le BDC et remonter jusqu’à la tête
pensante de cette organisation. Non seulement on se débarrasserait de ce groupe financier qui a très mal
tourné, mais en plus on garantirait d’un seul coup la sécurité de la plupart des chercheurs sur toute la surface
du globe. L’enjeu est colossal. Il y va non pas de la sécurité nationale, mais directement de la sécurité
mondiale. C’est vital pour toute la recherche internationale présente et à venir.
Un long silence clôt alors mon monologue.
- Ecoutez, je dois en référer au Ministre de l’intérieur. Je vous donnerai de mes nouvelles dans les prochaines
heures.
Gonzalo sort rapidement. Nous entendons le claquement de sa portière de voiture, le moteur démarrer. Le
ronronnement disparaît rapidement dans la nuit froide.
Natacha et moi sommes enfin seuls.
Je me tourne vers elle, toujours aussi superbe avec ses longs cheveux noirs et ses beaux yeux bleus.
- Tu as eu une promotion: tu es chercheur avec le titre de Docteur en philosophie.
Un sourire s'esquisse sur son visage:
- Je t'avais toujours dit que j'avais le niveau! C'est officiel maintenant.
Elle me donne une petite bise coquine pour me remercier de la nouvelle.
- Ah oui,… J’allais oublier aussi…
Elle me regarde interrogative.
- Oui, j'allais oublier que nous sommes mariés pour les biens de notre couverture.
Avec un large sourire, elle s’exclame:
- Super! Ah le coquin! Il ne me disait rien!
- Non, ne me chatouille pas! Tu sais que j’ai horreur de ça! Aïe!
- Hi! Hi! Tu sauras que les femmes n’aiment pas être taquinées comme ça!
- Ouf! Pax! Je me rends! Tu as gagné!…
- D’accord, c’est bon pour cette fois… Mais c’est bien parce que c’est toi…
- Merci chérie. Je reconnais bien là ton grand cœur!
- Tu sais, nous avions réussi le tour de force d'être mariés sans le savoir… Depuis deux jours?
- Oui, à l’insu de notre plein gré, mais mariés quand même…
Nous nous embrassons longuement. Le baiser langoureux et passionné que me donne Natacha me réveille
complètement.
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Les pointes de ses seins sont fermes. Je masse son sein droit voluptueux pendant que je caresse sa joue gauche.
Nous nous allongeons sur le lit. Son visage est brûlant, tout comme sa poitrine qui se gonfle sous ma main au
rythme de sa respiration qui accélère. Ses deux mains parcourent doucement mon dos. Son ventre frotte le
mien, doucement d’abord, puis avec plus de fougue. Au fur et à mesure que nos ébats se prolongent, nos
respirations deviennent plus saccadées. Nous nous enlaçons avec fougue. Je m’approche pour la prendre enfin.
Farouche, elle me repousse, augmentant ainsi notre désir mutuel. Sa respiration devient irrégulière. Notre baiser
prend plus de vigueur. Son ventre est brûlant. Ma main caresse maintenant son pubis. Ses mouvements
deviennent brusques. Leur vitesse augmente. Elle étend au loin ses deux mains. Elle s’abandonne complètement
aux allées et venues de mes mains sur son corps dont la peau est si fine et si douce. Elle laisse échapper
quelques respirations bruyantes. Elle me prend la tête à deux mains pendant et nous échangeons un nouveau
baiser avec fougue. Elle me mord l’oreille. Sa respiration est forte. Je choisis ce moment pour la prendre. Elle
est torride. Mon va et vient entre ses reins augmente nos respirations. Nous basculons. Je me retrouve sur le
dos. Natacha est sur moi. Elle se redresse avec rythme. Ma respiration devient forte à moi aussi. Nos
respirations vont à l’unisson. Nos mouvements s’accélèrent. Elle se colle maintenant à moi. Nous atteignons
l’orgasme ensemble.
Nous nous embrassons à nouveau longuement.
Finalement, Natacha se laisse retomber tranquillement à côté sur le dos.
Nos lèvres se caressent encore et encore, de plus en plus légèrement.
Elle me regarde en souriant sans rien dire.
Je lui dis alors:
- Bonne nuit chérie. Bonne nuit Madame Rassoli.
- Merci. Bonne nuit nounours…
L’un contre l’autre, nous sombrons dans le royaume de Morphée en quelques instants.
54
6- Butch Brand
Mardi 13 juillet 2066, 05h45 heure locale
Mon téléphone se met à sonner avec insistance.
Quand on disait ça au siècle dernier, bien entendu il s’agissait d’une image. Le dire maintenant signifie
réellement qu’il sonne plus fort et plus longuement.
Je prends l’appareil près de moi tout en pensant que le système main libre auquel j’étais habitué me manque un
peu.
L’écran me dit que c’est le chef de cabinet Fillaume.
D’un « Allô? » ensommeillé, je signale au chef de cabinet que je l’écoute.
- Bonjour. C’est le chef de cabinet Fillaume à l’appareil.
Même si les coordonnées s’affichent tout le temps, il est de coutume de continuer à se présenter.
- Oui,…
- Je vais vous demander de patienter quelques petites secondes, histoire de sécuriser l’appel et de vérifier
encore votre ligne.
- Allez-y… dis-je avec un long bâillement.
Sans attendre mon feu vert, les systèmes électroniques de filtrage de signaux parasites, de détection d’autres
signaux et de codage de la communication se mettent en place. Comme tout à l’heure, quelques grésillements se
font entendre, puis la voix du chef de cabinet retenti à nouveau:
- Bien. Nous pouvons parler en toute sécurité. J’ai la réponse.
- Je vous écoute.
Natacha s’est réveillée et écoute attentivement la moindre de mes paroles. Je lui fais signe que je lui
expliquerai. Il ne m’est pas possible de mettre mon téléphone sur haut-parleur. Par mesure de sécurité, cette
option a été momentanément inhibée par les systèmes automatiques de protection à l’autre bout du fil.
Le chef de cabinet Fillaume continue:
- Vous n’avez pas l’autorisation de participer à l’enquête.
- Quoi ?
- Notre agent va arriver d’ici une petite demi heure. Il va vous évacuer.
- Je ne suis pas d’accord.
- Je ne vous demande pas votre avis. C’est trop dangereux.
- On n’a jamais autant progressé dans l’enquête que maintenant! dis-je en protestant.
- Oui. Maintenant, on a une base de départ très solide et l’enquête va se terminer très rapidement. On sait
contre qui on se bat.
Je suis profondément déçu.
- Si on reste plus longtemps…
- Vous serez morts! m’interrompt-il. Cela fait partie de notre accord initial. La situation est maintenant trop
risquée. Soyez prêts dans une demi heure.
Il raccroche dans la foulée.
J’explique la situation à Natacha. Nous nous préparons très rapidement.
Gonzalo sonne à la porte de l’appartement.
Natacha rassemble rapidement nos deux manteaux. Je vais chercher le portable caché sous les plaques à
induction de la cuisinière.
Quand nous sortons, Gonzalo tient un revolver. C’est un Beretta Electromagnétique 44mm. Ses balles peuvent
traverser plusieurs troncs d’arbre d’un diamètre de cinquante centimètres. Il a un chargeur de vingt balles.
Il nous précède pour sortir de l’immeuble. Arrivé au niveau de l’escalier, il nous fait signe d’attendre et part en
éclaireur. Il revient au bout de trois secondes.
- Venez, la voie est libre.
Nous le suivons aussi silencieusement que possible.
On arrive au rez-de-chaussée. Dans l’obscurité de la nuit, on distingue très nettement les voitures dont les jantes
brillent en reflétant la lumière des étoiles. Il y a ma voiture, celle de Natacha, le taxi de Gonzalo et une
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quatrième voiture. Peut-être celle d’un de nos voisins… Peut-être pas!…Gonzalo nous fait signe de ne pas
bouger. Il va faire approcher son taxi au maximum et aussi vite que possible.
Il pose un petit casque de communication sur sa tête. Il le branche à son téléphone. Il compose le numéro du
système électronique de sa voiture. Le moteur de sa voiture se met en marche. Les phares s’allument. Les
différents radars du véhicule ne détectent personne tapi dans l’obscurité qui pourrait nous tendre une
embuscade. Cependant, plusieurs détecteurs magnétiques sont repérés sur les bords du parking ainsi qu’au
niveau de la porte d’entrée. Le taxi se met rapidement en mouvement. Il se dirige vers nous. Arrivé à quelques
mètres, les pneus crissent alors que les portes s’ouvrent toutes seules. Synchros, nous plongeons dedans. Elle
repart aussitôt en claquant les portes.
Gonzalo s’empare du volant au moment où le véhicule passe l’entrée du parking. Il accélère rapidement, mais
pas trop, afin de passer inaperçu. C’est pas le moment d’attirer l’attention. Pour nous éloigner et nous enfoncer
dans la Cordillère des Andes, au départ du petit village de Jeff, nous sommes obligés de passer devant les portes
du centre astronomique.
- Bon, nous n’allons pas vers l’aéroport. Une embuscade nous attend peut-être sur le chemin pour y aller.
Nous allons prendre la direction opposée. Nous allons passer devant le centre scientifique, puis nous
parcourrons une dizaine de kilomètres dans la montagne. J’ai installé une base secrète de replis stratégique
au cas où une telle situation arriverait. Au cas où quelque chose m’arriverait, je préfère vous dire où c’est
tout de suite. Vous prenez la première à gauche, à environ cinq kilomètres d’ici. Là, vous parcourez à
nouveau cinq kilomètres en montant. Vous arriverez près d’un immense sapin artificiel. Le refuge se trouve
à une centaine de mètres en amont. Le plus simple pour vous diriger est de prendre la direction de la croix
du sud à partir de ce grand sapin. Vous trouverez une petite chaumière. C’est là. Il y a des vivres, un
système de communications cryptées, de quoi se chauffer… Bref, de quoi tenir deux semaines.
Nous arrivons devant l’observatoire. Une fois passé, le risque potentiel de rencontrer nos ennemis sera
considérablement diminué.
Le centre apparaît au moment où le taxi sort d’un virage. Les cristaux liquides qui opacifient les fenêtres de la
guérite du gardien laissent filtrer une légère lueur.
Quelques rares halos lumineux se distinguent au milieu de la vingtaine de bâtiments. Les immenses coupoles
carrées des télescopes apparaissent sous la forme d’ombre chinoise devant l’immense voûte étoilée. Le
télescope UT7 est en train de se positionner pour ses observations et tourne lentement sur lui-même.
Nous approchons de l’entrée. Gonzalo ne ralentit pas. Nous ne sommes plus qu’à une trentaine de mètres.
La grille de l’entrée s’ouvre violemment.
Plusieurs hommes cagoulés bondissent sur la route. Simultanément, un hélicoptère de combat surgit de derrière
la montagne. Il fond sur le taxi. Plusieurs drones de combat cachés dans les fourrés se mettent à tirer sur les
pneus de la voiture.
Les pneus éclatent. Ils se reforment automatiquement grâce à leur technologie de reconstruction. La centrale
électronique du véhicule répond instantanément. Le signal taxi sur le toit de la voiture émet un éclair rouge vif.
Le rayon laser ainsi émis mitraille les fourrés sur le bord gauche de la petite route de montagne. Une explosion
illumine le fossé.
Un drone de combat en moins. L’éclair nous a permit de voir qu’il y en a plus d’une dizaine. Jamais nous n’en
viendrons à bout! La voiture tremble soudain dans toutes ses structures. On vient de rouler sur un drone
kamikaze. Il est venu se jeter sous la voiture. Une deuxième déflagration nous projette dans tous les sens. Un
des hommes cagoulés vient de tirer au bazooka sur le laser sur le toit de la voiture.
Ballotté dans tous les sens, Gonzalo pianote furieusement sur les boutons du tableau de bord du taxi. Par
simples pensées, il complète ses ordres pianotés.
« Message de détresse envoyé ». « Manœuvre d’échappement initialisée ». « Nuage de gaz lacrymogène
activé ». « Plus à droite ». « Brouillage magnétique commencé ». « Réparation du laser principal ».
Au fur et à mesure que ses messages sont envoyés, des réponses apparaissent sur la console. « Message de
détresse interrompu. Nouvel essai en cours ». « Nuage de gaz lacrymogène actif ». « Laser principal détruit »
« Manœuvre d’échappement initialisée ». « Brouillage magnétique commencé ». « Radar 1 détruit ».
« Brouillage magnétique attaqué ». « Détecteur olfactif détruit ». « Brouillage magnétique détruit ». « Message
de détresse bloqué ». « Brouillage magnétique du système de sécurité ». « Réparation du laser principal en
cours ». « Manœuvre d’échappement 1 échouée. Manœuvre d’échappement 2 initialisée ».
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Autour de nous, le métal fond et se désintègre. Les crissements suraigus du métal accompagnés des bruits
sourds des chocs rudes subis par la carrosserie sont insoutenables. La porte à ma gauche se tord soudainement
violemment. La chaleur envahi l’habitacle. Gonzalo nous crie:
- Accrochez-vous! On va s’éjecter! Ne regardez pas toit! Vous serez aveuglés!
Nous n’avons pas le temps de réagir. Des lanières sortent des sièges et nous ceinturent immédiatement. Une
fraction de seconde plus tard, tout le toit en magnésium de la voiture part de tous les côtés dans une gerbe de
feu éblouissante. Les détecteurs optiques des drones sont complètement saturés. Les hommes cagoulés ne sont
malgré tout pas éblouis du tout. Leurs lunettes ultraluminescentes sont équipées d’un système de protection. La
lumière récupérée et envoyée vers les yeux des agents ne peut pas dépasser un seuil limite. Nous sommes
éjectés vers le ciel dans l’explosion monumentale des trois fusées placées sous chacun de nos sièges. Nous
sommes à peine à sept mètres du sol que les senseurs de l’hélicoptère de combat réagissent. Trois missiles de
courtes portée s’élancent droit sur nous pour nous percuter et nous atomiser. Nous sommes perdus! Ils ne sont
plus qu’à cent cinquante mètres de nous! Leur vitesse est trois cent kilomètres heure. Le coffre arrière du taxi
s’auto-pulvérise.
Sous nos pieds, c’est l’enfer. Tout n’est que flammes et chaos.
Les trois missiles ne sont plus qu’à cent vingt mètres de nous. Quatre ou cinq missiles antimissiles décollent du
coffre volatilisé. Les hommes cagoulés s’attendaient à cette manœuvre. Ils font un tir de barrage. Plusieurs
missiles explosent avant même d’avoir fini de sortir du coffre. il n’en reste plus que deux. Ils décollent si vite
que les hommes n’ont pas le temps de suivre leur trajectoire malgré leur matériel ultrasophistiqué. Nous
sommes à vingt mètres de haut. Une seconde ne s’est pas écoulée depuis que nous avons été éjectés de la
carcasse fumante de la voiture. Les missiles envoyés par l’hélicoptère ne sont plus qu’à une cinquantaine de
mètres de nous. Même s’ils explosent maintenant, ça sera un miracle si on n’est pas tué par le souffle et les
éclats! Les missiles ont détecté les missiles antimissiles. Ils dévient légèrement de leur trajectoire et éjectent
devant eux des leurres. Les missiles antimissiles arrivent à leur niveau. Ils explosent à une trentaine de mètres
de nous! Leur souffle est directionnel. La plus grande partie des deux déflagrations simultanées se fait à peine
sentir. Mais le troisième missile est passé! C’en est fait de nous. Les hommes à terre plongent vers le sol pour
se mettre à couvert.
Il atteint un des trois fauteuils!
Celui-ci explose dans une gerbe mortelle de lumière rouge et bleue. Le tonnerre est immense.
Qui c’était?
Natacha ou Gonzalo?
J’entends Natacha hurler!
C’était Gonzalo! Dieu ait son âme!
Nous continuons de nous élever dans le ciel. La déflagration a endommagé la fusée de mon siège! Je ne vais
pas pouvoir aller plus loin! Ca y est, elle s’est arrêtée! Le parachute de secours s’ouvre! Je suis en train de
retomber sur les lieux de la bataille!
Natacha quant à elle continue de s’élever dans le ciel. Elle est maintenant à plus de trente mètres de moi.
L’hélicoptère de combat tombe sur elle tel un squale en manque de sang!
Il va l’achever.
Un flash éblouissant émerge soudainement du sol à une centaine de mètres des lieux de l’embuscade. Je ne sais
pas qui c’est, mais il vient de tirer une Fireball. Le jet de plasma magnétiquement cloisonné s’élève rapidement
dans le ciel, éblouissant. Tant qu’il ne touche pas sa cible, il ne perd que très peu d’énergie. Mais le moindre
choc détruit les parois de confinement magnétique générées par la balle métallique au centre du nuage de
plasma et toute l’énergie de la boule de feu part en irradiant dans toutes les directions.
Cette arme est redoutable. Aucun blindage normal ne lui résiste. Seules quelques armes lourdes sont équipées
de protections magnétiques suffisamment importantes pour repousser le plasma issu de l’explosion.
La boule de feu se rue sur l’hélicoptère. Celui-ci se lance dans une manœuvre de dégagement. Toutes ses
mitrailleuses rapides tirent vers la Fireball pour former littéralement un mur de feu et de métal. Tous ses radars
de poursuite pointent vers elle pour déstabiliser et détruire son confinement magnétique. Rien n’y fait.
L’explosion est colossale. L’hélicoptère est pourtant à plus de cent cinquante mètres mais je suis secoué dans
tous les sens par le souffle brûlant de la déflagration. Mon parachute se met en torche avant de reprendre la
forme d’un rectangle parfait. Une pâle de l’hélicoptère me frôle dans un hurlement et va se briser comme du
verre sur le sol à vingt mètres sous moi. Natacha est en bien plus mauvaise posture que moi. Elle n’était qu’à
quelques dizaines de mètres de l’hélicoptère quand il a explosé. La flamme de la fusée de son siège éjectable est
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soufflée par l’explosion. Natacha est propulsée au hasard dans le ciel par l’onde de choc. Automatiquement, le
parachute de son siège éjectable s’ouvre. Il se met en torche. Deux secondes se passent. Elle a perdu une
dizaine de mètres d’altitude. Il se redéploie finalement et sa vitesse ascensionnelle diminue.
Simultanément, alors que nous suivions la Fireball du regard et que, ligotés à nos sièges nous subissions la
destruction de l’hélicoptère d'attaque dans le ciel, plusieurs hommes cagoulés ont été pris par surprise. Un laser
plat de couleur verte étalé selon un angle de plus de vingt degrés illumine intensément le sol. Les hommes sont
bombardés par ce rayonnement mortel. Deux d’entre eux s’écroulent immédiatement. Un troisième n’est touché
que partiellement. Il titube mais tombe aussi. Définitivement. Il ne reste plus que deux hommes. Ils canardent
furieusement dans la direction d’émission du laser. Les drones réagissent aussi. Munis de leurs six pattes
métalliques, ils se ruent vers l’origine de la Fireball et du laser d’attaque de surface. Des coups de feu éclatent
dans les fourrés. Deux drones sont détruits. Le laser monochromatique vert s’arrête. Les deux soldats ennemis
survivants se relèvent et se précipitent dans les fourrés à la suite des drones. Ils nous ont complètement oubliés,
Natacha et moi. Nous ne sommes pas dangereux pour eux. Là où elle est, elle est encore à une quinzaine de
mètres d’altitude, à cent cinquante mètres des combats. J’atterris enfin. Mon siège tombe sur le côté. Le
parachute vient me recouvrir avec toutes ses cordes. J’ai du mal à me défaire des filaments de sécurités qui
bloquent jusqu’à mes jambes. Je me dépêtre finalement du parachute et j’émerge à l’air libre. Je suis à une
vingtaine de mètres des trois agents mis hors d’état de nuire par le laser plat. Je regarde autour de moi. La voie
est libre. Je rampe jusqu’à eux. Je n’essaye même pas de m’emparer de leurs armes. Le détecteur dont elles
disposent au niveau de la crosse ne reconnaîtrait pas l’empreinte de ma main. Ca empêcherait le fusil d’assaut
de tirer et il pourrait même exploser et me tuer sur le coup. Je n’ai pas le choix. J’entends la fréquence des
coups de feu augmenter. Les gens qui sont venus à notre secours sont certainement en mauvaise posture. Je ne
peux même pas couper la main d’un des agents morts pour que l’arme reconnaisse son empreinte: il y a aussi un
détecteur de pouls. Si aucun pouls n’est détecté sur la main qui tient l’arme, alors elle explose. Je m’empare
alors du couteau d’un des hommes à côté de moi. Je rampe à nouveau vers mon fauteuil. Son tissu plastifié est
fait d’un matériau qui garde en mémoire n’importe quelle forme, pourvu qu’on le tende suffisamment. J’en
découpe rapidement un morceau. Je ressorts de dessous le parachute et je fonce vers les hommes étendus morts.
J’applique fermement le tissu contre la paume de l’un d’eux. Deux secondes suffisent. Les coups de feu
continuent de plus belle dans les fourrés. Mais ils ont tendance à s’éloigner un peu. Je récupère mon morceau
de tissu. Je vais bien voir si ça marche… ou si l’arme m’explose dans les mains! Les dés en sont jetés.
Normalement, le morceau de tissu plastifié doit garder assez longtemps en mémoire l’empreinte de la main du
soldat cagoulé et il doit être suffisamment fin pour que les senseurs de la crosse de l’arme perçoivent mon
pouls.
J’enroule le tissu autour de la crosse. Je pose ma main dessus… Aucune réaction. Je saurai si ça marche quand
je tirerai!
Je me dirige précautionneusement vers l’origine de la fusillade. Je vois que plusieurs drones ont été détruits. Je
continue à avancer, le fusil d’assaut prêt à faire feu.
J’entends un léger bourdonnement devant moi. C’est un drone. Il m’a repéré! Je tire. Le fusil fonctionne!
Génial! Le drone explose en une gerbe d’étincelles. Les coups de feu plus loin se sont calmés l’espace d’un
instant.
Ah! Ah!… Les ennemis savent que quelque chose ne tourne pas rond! Ils ont entendu mon arme. Ils savent
qu’ils sont pris entre deux feux! Il faut redoubler de prudence. Mais il faut aller vite: la surprise joue encore
quelques secondes à mon avantage. Ils n’ont pas pu se redéployer comme il faut pour faire face à un feu croisé.
Je fonce en avant. Un autre drone me tire dessus. Je réplique. Je le rate. Je plonge derrière un rocher. La moitié
de mon bouclier improvisé part en éclats! Je roule sur le côté et je tire au jugé. Le drone est touché. Je vois une
ombre devant moi. S’agit-il d’un ami ou d’un ennemi? C’est vrai, je n’avais pas pensé à ça! C’est malin! Je tire
ou pas?! Je risque le tout pour le tout. Je me montre à l’autre. Il pointe son arme sur moi! Je me jette derrière un
autre rocher. Celui derrière lequel je me trouvais il y a un instant est pulvérisé! Okay, c’est pas un copain! Je
risque un coup d’œil et je vois que le bonhomme se trouve en plein dans mon champ de vision. Pas de bol pour
lui. Je me détends comme un diable qui sort de sa boîte. Je fais feu. Il n’a pas le temps de crier. Il est projeté
plusieurs mètres en arrière par les balles qui lui traversent le corps. Je m’aplatis aussitôt sur le sol. Les coups de
feu ne se font plus entendre que par rafales. Je rampe vers une autre position qui me permettra de dominer le
théâtre des opérations. Des balles viennent se ficher dans le sol à quelques centimètres de ma tête! Je roule sur
moi. Je tire dans tous les sens. Je continue de rouler jusqu’à ce que je me retrouve derrière un arbre. Ce n’est
pas un bouclier, mais ça peut les empêcher de me repérer. Je n’ai pas le temps de souffler. Plusieurs balles
sifflent au-dessus de ma tête en traversant le tronc de l'arbre génétiquement modifié pour qu'il pousse si haut en
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altitude. Je tire au hasard dans la direction d’où viennent les coups de feu. Je n’ai plus de balles! Je n’ai même
pas le temps de penser comment sortir de cette situation que j’entends des coups de feu derrière moi! Ils sont
destinés à mon ennemi! Sans un mot, quelqu’un me lance un chargeur. Je n’ai vu personne! Qui c’était? Je suis
éberlué! Je vois une ombre passer devant moi à toute allure et tirer dans des broussailles. Elles prennent feu.
Elles se consument rapidement mais j’ai eu le temps de repérer le dernier de nos ennemis qui court vers
l’enceinte du centre scientifique. L’homme qui m’a envoyé les munitions, à une dizaine de mètres devant moi
met en joue le fuyard. Il tire. Le dernier homme cagoulé s’écroule lourdement sur le sol en tournoyant sur luimême. Il était à une trentaine de mètres de la grille d’entrée.
Le tireur se tourne vers moi.
Il s’approche.
C’est Juarez!
Je suis tout simplement stupéfait.
- Comment!? finis-je par lui demander
- Je vous raconterai plus tard. Suivez-moi, me dit-il. On va chercher votre femme.
- Elle est par-là, lui dis-je en indiquant de la main l’endroit où je l’ai vu atterrir.
- Allons-y. Attention. Il reste peut-être un drone en état de marche. Quand ils sont seuls, ils sont vraiment
sournois. Ils sont pires que les snipers Serbes. Il faut se dépêcher. Les renforts du BDC vont arriver.
Silencieusement, il se faufile rapidement entre les fourrés et les rochers.
Je le suis.
Au bout de cent mètres de course, je suis épuisé. L’atmosphère raréfiée de haute montagne m’est terrible.
Pourtant, il faut tenir. Rien n’est joué. Quant à lui, Juarez semble être complètement dans son élément.
Harnaché d’un sac à dos, il paraît capable de faire plusieurs dizaines de kilomètres. Il a vraiment bien caché son
jeu! Je ne l’aurai jamais cru capable de tels exploits! Nous arrivons finalement au lieu d’atterrissage de
Natacha. Juarez me fait signe de ne plus bouger. Quelque chose bouge sur le siège caché par le parachute.
Juarez s’approche sans un bruit. Il lance une pierre très haut dans le ciel en direction du parachute. Elle parcourt
une superbe parabole verticale pendant deux bonnes secondes. Il profite du temps qui lui est imparti pour se
précipiter à l’abri vers un autre emplacement. La pierre est à peine tombée sur sa cible qu’une pluie de
projectile vient s’abattre exactement là où il se trouvait un instant plus tôt. Un drone est caché sous le
parachute! Juarez se met soudain debout et tire une très longue rafale vers le siège. Plus rien ne bouge.
Je vais pour me lever quand il me fait signe de ne pas bouger. Que fait-il? Il lance à nouveau une pierre vers le
parachute pour savoir si le drone est réellement détruit. La pierre retombe sur le siège. Rien ne se passe. Aucune
réaction. Il prend alors un crochet attaché à un filin et le lance vers le parachute. Toujours aucune réaction. Il
fait passer le filin derrière un petit rocher et change discrètement d’emplacement en laissant se dérouler le filin
derrière lui. Ainsi, quand il tirera dessus, le parachute ne viendra pas vers lui et il ne dévoilera pas sa position
au drone qui est peut-être encore en état de marche. Il me fait signe d’être prêt à tirer si quoi que ce soit
d’anormal se passe. De la main, il me fait signe: Trois… Deux… Un…
D’un seul coup, il tire sur le filin. Le parachute glisse vers le petit rocher qui sert de poulie improvisée. Le siège
de Natacha apparaît soudainement. Le drone est dessus! Il tire rageusement dans la direction du petit rocher.
J’étais en joue prêt à tirer, comme à la foire.
J’appuie sur la détente.
…et rien ne se passe!
Je comprends immédiatement: l’empreinte de la paume du soldat a dû s’altérer! Je lance le fusil d’assaut le plus
loin possible et me jette à plat ventre sur le sol. L’arme explose en l’air. Juarez est complètement surpris. Il
réagit instinctivement. Le drone a déjà commencé à s’éloigner. Juarez part à sa poursuite. Sentant qu’il est
poursuivit, l’engin s’arrête brutalement. Il se retourne. Il tire sur Juarez. Celui-ci plonge en avant, fait un roulé
boulé pour se rattraper, se met à genou et tire au jugé droit devant lui. Le drone s’écroule enfin dans une série
de court circuit et de petites explosions.
Tout danger est provisoirement écarté. Je me relève. Natacha n’est nulle part. Pourvu qu’il ne lui soit rien
arrivé! Juarez examine attentivement les traces laissées sur le sol.
- Vous voyez ces traces de pas?
- Oui. Il y en a beaucoup.
- Il y a trois types d’empreintes de chaussures, me dit-il. Je peux distinguer des chaussures de femme. Celles
de Natacha. Il y a ensuite des empreintes de rangers tout comme celles utilisées par les mercenaires dont on
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-
vient de se débarrasser. Enfin, il y a des empreintes assez bizarres. C’est comme si c’étaient des chaussures
de femme, mais plus grandes et plus larges, dont le talon est plus gros et moins éloigné.
Je sais ce que c’est. Ce sont les santiags de Brand. C’est un fan des années cinquante ou soixante du siècle
dernier. Ces empreintes sont les siennes.
Bingo! s’exclame Juarez.
Ah le salopard! Il était là! Il va le regretter!
Dépêchons-nous. On a peut-être une chance de le chopper.
S’il a touché au moindre cheveu de Natacha…
Allons-y. Tenez, prenez cette arme. Celle-ci au moins ne vous sautera pas à la figure.
Je prends le fusil que Juarez me tend. C’est un FAMAS 2044 de l’armée française.
- Comment on s’en sert? je lui demande, pendant que nous fonçons vers la grille d’entrée du centre
scientifique.
- Vous avez un bouton carré sur le côté droit qui sert à activer une sorte de rail magnétique pour guider et
augmenter exponentiellement la vitesse des balles. Ca vous permet d'ajuster le tir pendant que la balle vole
vers sa cible. Il y a un chargeur de trente cartouches. Tenez, en voilà deux autres.
- Merci. C’est quoi le bouton triangulaire sur le bord avant gauche?
- C’est un mécanisme d’autodestruction. Si vous appuyez dessus en pressant une fois la détente, alors vous
aurez dix secondes avant que le fusil ne saute.
- Intéressant…
- Pour pouvoir appuyer dessus, il faut appuyer aussi sur le bouton carré. Ca évite les accidents.
Nous arrivons au niveau des trois mercenaires étendus morts près de l’entrée du centre scientifique.
Juarez me fait signe de ne plus parler. Il se baisse et s’empare du système de vision nocturne de deux des
hommes. Il m’en passe un et installe l’autre sur sa tête.
Je vois comme en plein jour. Les couleurs sont parfaitement restituées. Les objets en mouvement sont signalés
par des petits points lumineux. Si quelqu’un apparaît dans mon champ de vision, il clignote une fois.
Il se baisse à nouveau et prend un petit boîtier. Il me le donne. Lui en a déjà un. C’est un système électronique
qui empêche les satellites de nous repérer et de nous voir depuis l’espace. Il crée un parasitage intense et nous
rend indétectables.
Nous entrons dans l’enceinte du centre. Des bruits se font entendre de plus en plus forts. Je discerne pas mal de
mouvements non loin du télescope UT3 et du bâtiment informatique. Je compte douze personnes. Je pense qu’il
s’agit de chercheurs. Ils ont dû appeler la police dès les premiers coups de feu. Si des satellites nous survolent
maintenant, ils doivent filmer le terrain. Maintenant que nous disposons des brouilleurs, ils ne peuvent plus
nous voir, mais il est à peu près certain qu’ils ont filmé mes exploits de tout à l’heure. Quant à Juarez, il est
resté invisible grâce au brouilleur personnel qu’il avait déjà.
Nous nous dirigeons tout de suite vers une espèce de plaque en ciment posée à même le sol. Heureusement que
Juarez connaît bien les lieux. Nous la soulevons. Elle est assez lourde. Nous nous glissons à l’intérieur. Juarez
replace la dalle. On ne doit pas laisser de trace de notre passage. Nous nous retrouvons dans un conduit étroit.
Doucement, en rampant, nous arrivons au niveau d’une autre dalle, verticale. Nous sommes dans les toilettes
mixtes du sous-sol du bâtiment principal. Il écoute attentivement. Il n’y a aucun bruit perceptible. Il pousse la
plaque de béton. Elle pivote sans problème. Nous entrons. Il la remet en place.
Nous approchons de la porte d’entrée des toilettes. Nous ne détectons rien. Aucune lumière n’est en marche. Il
fait complètement noir. Heureusement que nous disposons des lunettes ultraluminescentes. Juarez fait glisser
doucement sous la porte une petite feuille faite d’une matière bizarre. Il la laisse quelques secondes puis la
retire. Il l’observe minutieusement avec ses lunettes. Le papier n’a décelé aucune molécule aromatique pouvant
trahir un éventuel assaillant. Il y a de fortes odeurs de graisses et de peinture dans le couloir, mais personne
n’est là. Il ouvre la porte. Aucun drone. C’est beaucoup trop dangereux d’en mettre là. Il pourrait tirer sur tout
ce qui bouge. Normalement, on ne devrait pas en trouver à l’intérieur des bâtiments de recherche. Mais il vaut
mieux rester vigilants.
Extrêmement vigilants.
Nous arrivons maintenant à la hauteur de l’escalier qui mène au rez-de-chaussée. Nous montons
précautionneusement. Sans un bruit. Nous arrivons à la porte de l’escalier. Juarez y colle son oreille pour
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écouter si quelqu’un est là. Il entend quelqu’un lancer des ordres. C’est la voix de Brand. Il est là. On l’a
retrouvé. Natacha ne doit pas être loin!
- Vérifiez toutes les pièces. Ce bâtiment est un vrai moulin. Ils peuvent y entrer comme ils veulent. Vous
deux, allez au sous-sol. Vous deux, fouillez les étages. Quant à vous trois, vérifiez le rez-de-chaussée.
Nous n’avons pas le temps de faire demi-tour.
La porte s’ouvre et Juarez apparaît en plein milieu de l’embrasure de la porte. La porte est au milieu du couloir.
Juarez est donc au milieu aussi! Il tire dans le tas sans se poser de question. C’est la panique.
Des hommes se jettent contre les portes pour essayer de les enfoncer et se protéger dans la pièce. En vain. Elles
tiennent bon. Au moment où Juarez tourne son arme de l’autre côté du couloir, Brand n’est déjà plus là.
- On fonce! hurle-t-il.
En franchissant le pas de la porte, je découvre un massacre. Six des sept mercenaires gisent par terre. Il y a du
sang partout. Ils sont tous morts. Certains sont affreusement mutilés. Les murs ressemblent plus à du gruyère
qu’à autre chose. Je ne perds pas de temps. Je fonce à la suite de Juarez.
Tel qu’il est parti, Brand va assassiner Natacha. Il faut à tout prix qu’on le rattrape avant! Une course effrénée
s’engage. Contre la mort. Je suis sur les talons de Juarez. Je n’ai plus de souffle. Je continue de plus belle. En
courant, Juarez active le système de poursuite de ses lunettes ultraluminescentes. Maintenant il voit des traces
de chaleurs résiduelles et visualise les mouvements de l’air dans le couloir. On peut suivre le fuyard à la trace.
Arrivés à un angle, il m’indique une porte à droite. Quelqu’un l’a emprunté il y a quelques secondes, alors que
quelqu’un d’autre à continué à suivre le couloir. Nous nous séparons. Lui continue tout droit. Je m’occupe de
celui qui est allé dans cette pièce. Est-ce que Natacha est là? Mais je réalise que si Brand et Natacha avaient été
là, maintenant elle serait morte. Si ce n’est pas eux, il s’agit donc du dernier mercenaire qui a survécu à la
fusillade quelques secondes plus tôt. Je ne me pose pas plus de questions. J’arrose le mur d’une copieuse rafale.
Le mur est parsemé de trous. Certains plus gros que des assiettes. Je fais exploser la serrure et la poignée de la
porte en tirant une seule balle dedans. Je termine d’enfoncer la porte en plongeant en avant. Je fais un roulé
boulé pour me récupérer. Je me tasse sur moi-même et je bondis vers le haut. Je tire en même temps en tournant
sur moi-même. Une seconde a eu à peine le temps de s’écouler depuis que j’ai surgis dans la pièce. J’arrête le
tir et je regarde finalement autour de moi. C’est le chaos. Un corps gît à terre. C’était effectivement le dernier
mercenaire. Il n’y avait personne d’autre. Je ne perds pas plus de temps.
Je reprends la poursuite de Brand.
Je cours aussi vite que je peux dans le couloir. J’arrive au niveau de l’escalier pour monter au premier étage, là
où se trouve le bureau de Brand. Je n’entends aucun bruit. Il faut dire que je suis encore assourdi par les ondes
de choc qu’ont provoqué les balles à la sortie du canon de mon arme quand j’ai tiré. Tant pis. Je fonce. Chaque
seconde est terriblement précieuse. Je grimpe les marches par bonds successifs, quatre à quatre. Puis deux par
deux. J'ai du mal à trouver mon souffle. J’arrive au niveau d’un petit portillon séparant l’escalier du couloir. Je
le passe tout aussi vite. Je prends la direction du bureau de Brand. J’entends des coups de feu! J’accélère.
J’arrive devant le bureau de la secrétaire. Il y a du sang. Je ne vois personne. Je vois une forme bouger derrière
le bureau. C’est Juarez qui me fait signe de continuer. Il est blessé. J’active le mode de poursuite de mes
lunettes en tripotant les boutons. Je vois que Brand est reparti de son bureau. Il a pris un autre escalier pour aller
au deuxième étage. Je reprends la poursuite. En partant, j’entends Juarez me dire:
- Je crois qu’il est blessé aussi! Fonce!
Parfait, ça va le ralentir. J’arrive en haut de l’escalier. Je ne m’arrête pas. S’il m’attend, je suis mort. Non, il est
plus occupé à vouloir éliminer Natacha qu’à couvrir ses arrières. Je vois une forme bouger au fond du couloir
qui disparaît aussitôt. C’est lui! Je l’ai presque rattrapé! Même s’il y a plusieurs murs, je pourrai le toucher en
tirant au hasard. Mais maintenant, je pourrai tout aussi bien tirer sur Natacha. Hors de question de prendre ce
risque. J’ai autant de chance de la toucher que de toucher Brand. J’arrive à l’endroit où je l’ai vu disparaître. Oh
non! Il est redescendu! Je comprends. Il savait que j’étais à l’étage en dessous. Il a voulu me contourner par le
haut. Je sais ce qu’il fait maintenant. Je vais essayer d’anticiper son chemin si je peux. Je dévale les marches au
risque de me rompre le coup. Il se dirige vers le sous-sol! J’arrive au niveau de la porte en bas. Elle n’a pas eu
le temps de se refermer. Je vois des gouttes de sang sur le sol. Il est effectivement blessé. Je surgis dans le
couloir. Il me tire dessus! Il m’attendait! Je profite de mon élan pour me réfugier dans la pièce en face de moi.
Je tire sur la serrure de la porte et je l’enfonce en me ratatinant sur le sol. J'ai dû me luxer l'épaule gauche. Les
balles font exploser une bonne partie du mur tout autour de moi. Je me rapproche à nouveau de la porte, au
maximum, sans qu’il me voie. Il a plutôt tendance à tirer loin de la porte et ne se doute pas que je suis si près. Je
fais passer mon arme dans le couloir et je tire au jugé. Il cesse de me canarder. Je n’ai pas le kit complet du
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parfait soldat: je n’ai pas le casque qui me permet de visualiser ce que voit la petite caméra fixée sur le canon
du fusil d’assaut. C’est très efficace pour les fusillades de rues. Comme ici. Je me lance au milieu du couloir et
tire devant moi. Je me relève et le vois disparaître derrière l’angle du couloir. Tant pis. Je tire. Il faut que mes
balles lui fassent un barrage et l’empêchent d’avancer. Mon chargeur est vide! Tout en courant, je le jette
rageusement et j’en prends un autre. Le chargeur vide va rebondir violemment sur le sol pendant que j’arrive à
mon tour à l’angle du couloir. Une porte est ouverte. C’est là! Je suis sûr que Natacha est là! Mon sang ne fait
qu’un tour. Je me rue en avant.
Natacha est ligotée sur une chaise au milieu de la pièce! Brand est debout juste à côté d’elle. Il a laissé son fusil
d’assaut au profit d’un revolver. Il lève son arme vers la tempe de Natacha et tire! Elle a le réflexe de se jeter en
avant! La balle passe à quelques millimètres de sa nuque et va perforer le mur en face. Je tire. Je pensais viser
sa poitrine. Il a un réflexe si rapide que je ne fais que toucher sa main. Son arme de poing part en emportant son
avant-bras. Je continue de tirer. Ses gestes sont extraordinairement précis. Extraordinairement vifs.
Extraordinairement puissants. Profitant des trous déjà faits dans le mur d'en face, il l'enfonce violemment d'un
seul coup d'épaule. Je nous croyais au sous-sol. En fait, le sol étant en pente, nous étions ici au niveau du rezde-chaussée. Il disparaît dans les gravats et un nuage de poussière. Je tire encore. Je vide mon chargeur.
Natacha est maintenant hors de danger. Je me lance en avant tout en mettant le dernier chargeur dans mon
arme. Il a disparu. Avec toute la poussière et les pierres qui terminent de tomber, même avec le mode poursuite
de mes lunettes, je ne le vois plus. Il y a beaucoup de sang sur le sol. Je suis la piste. Je le vois courir! Mais il y
a de très nombreuses personnes dehors. Des chercheurs courent affolés dans tous les sens. Je ne peux pas tirer.
Je risquerai en toucher. Des voitures foncent vers la grille de sortie. Je vois Brand m’échapper. La priorité est
maintenant de partir d’ici avant que la police n’arrive. Je cours vers Natacha. Je la libère de ses liens. Elle
m’entoure de ses bras si fortement que j’ai le souffle coupé quelques instants.
- Tu n’es pas blessée? je lui demande, anxieux.
- Je suis sourde du côté droit… me crie-t-elle.
- Allons-y, lui dis-je doucement. Il faut nous sauver. Mais il faut aller chercher Juarez. Il est blessé lui aussi.
- Il est là? demande-t-elle ébahie.
- Oui. C’est lui qui nous a sauvés.
Elle se relève et titube un peu. Je l’aide à tenir debout. Elle se reprend. Ca va mieux maintenant. Nous
remontons rapidement pour aller chercher Juarez. Quand nous immergeons de l’escalier venant du sous-sol,
nous le voyons avec son bras gauche en écharpe. Il est assez encombré. Il tend à Natacha un petit boîtier de
parasitage antidétection satellite en lui disant:
- Heureux de vous voir en vie.
Natacha esquisse un léger sourire.
- Merci.
- Tenez, me dit-il. J’ai récupéré ça dans le bureau de Brand. Il y a aussi le disque dur du PC personnel de
Brand dedans.
Je le regarde d'un air impressionné.
- Ne tardons pas, dis-je en prenant la boîte à CD.
Nous retournons au parking du centre. Il reste une voiture. Sans doute celle de Brand. Nous la prenons. Juarez
détruit le système antivol du véhicule en arrachant la moitié du support du volant avec son bras valide. Il me
laisse la place du conducteur. Je prends la direction de la cachette que nous avait indiquée Gonzalo avant de
mourir.
Dans la voiture, Natacha commence à stopper l’hémorragie de Juarez.
En moins de vingt minutes, nous arrivons à la cachette de Gonzalo.
Les phares de la voiture font apparaître une petite maison en pierre, dont le toit en tôles, horizontal, recouvert
de panneaux solaires, est seulement à moins de trois mètres de hauteur.
Seules une petite fenêtre et une porte donne sur l'entrée.
La maisonnette est à moitié dans la montagne. Le grand arbre est à peine visible d’ici, si haut dans la montagne.
Seuls quelques petits buissons séchés sont épars çà et là, entourant deux ou trois amas de pierres et une grosse
cuve d'eau.
J'aperçois un petit garage en sous-sol, sans porte.
J'y gare la voiture.
Dans le garage se trouve une porte pour accéder dans la maisonnette.
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Elle n'est pas fermée à clé.
Nous entrons.
Avant d'allumer la lumière, je vérifie la fenêtre. Elle est fermée par des volets en bois. Les rideaux sont
également tirés.
J'allume.
La maisonnette est très petite, et nous en faisons vite le tour : une cuisine américaine sobre, une petite pièce
d'eau, deux chambres.
Il n'y a pas d'arrivée d'eau ni d'électricité. Ce sont les panneaux solaires qui nous fournissent en énergie. De
plus, comme il ne pleut pas dans la région, nous sommes beaucoup trop hauts, l'eau est recyclée
systématiquement.
La première chose à faire est de soigner Juarez.
Pendant que je vais chercher la valise de secours, que je trouve très rapidement sous l'évier de la cuisine,
Natacha l’aide à enlever sa veste puis sa chemise. Il y a un gros trou de chaque côté du bras un peu au-dessus
du coude.
- Bon, la balle n’a fait que passer. C’est déjà ça. Elle n’est pas partie en éclats non plus. Vos os ont pas mal
pris quand même d'après ce que je vois à l'œil nu.
- Ecarte-toi, Natacha. J’ai trouvé un appareil photo dans la valise de secours. Je vais lui faire une radio. Posez
votre bras sur la table là. C’est parfait.
Je prends la photo. Celle-ci sort comme si l’appareil était un vieux Polaroïd du siècle dernier.
- On va voir dans quelques secondes comment se présente la situation.
Pendant que la radio se développe, Natacha termine de nettoyer la plaie, aussi précautionneusement que
possible.
- Ca y est, dis-je.
- Faites voir? demande Juarez, inquiet.
- C’est perforé et cassé à plusieurs endroits. Quelques éclats d’os sont dans la chair, dis-je. J'ai vu qu'il y avait
des nanorobots chirurgiens dans la valise. Vous pensez qu'ils savent réparer une telle blessure?
- Je ne sais pas. Mais ça ne sera pas pire en tout cas.
- OK, lui dis-je. Calez-vous bien dans le fauteuil et posez votre bras sur l'accoudoir.
- Attendez, je vais vous aider, lui dit Natacha.
Doucement, elle lui lève le bras, et en le manœuvrant à peine, elle le repose sur le bord de l'accoudoir gauche.
Juarez souffre énormément. Il a du mal à se contenir, et quand Natacha lui lâche son bras, il reprend son
souffle.
- Allons-y, et en plus, ça va vous soulager, lui dis-je.
Je verse une espèce de poudre métallique sur la blessure de Juarez. Elle semble se mettre en mouvement
immédiatement, mais d'une manière tout à fait intelligente. Juarez sent une douleur diffuse dans son bras, puis
son membre devient indolore.
- Je me sens déjà mieux, dit-il.
- Ne bougez pas votre bras. Ca pourrait gêner les nanorobots, dit Natacha.
- C'est impressionnant, dis-je. C'est la première fois que je les vois directement à l'œuvre.
Tous les trois, nous observons les micro machines travailler dans le bras de Juarez. En fait, on ne voit pas grand
chose. Seulement des reflets métalliques qui changent de nuances dans son bras. Au bout de quelques minutes,
quelques petits éclats d'os sont extraits de la blessure et tombent sur l'accoudoir.
Un peu après, la blessure se met à saigner beaucoup moins.
Natacha se dirige alors vers la trousse de secours. Des cellules un peu bizarres, sous l'aspect de gelée, sont
présentes dans plusieurs flacons. Ne sachant lequel ou lesquels utiliser, elle pianote quelques informations sur
le tableau de commande de la valise de secours.
Le message suivant apparaît sur le petit écran de la valise:
« Utiliser la fiole bleue pour désinfecter et préparer la blessure ».
« Si des os sont abîmés, utiliser ensuite la fiole verte ».
« Terminer par la fiole blanche ».
« Les fioles ne doivent être utilisées que lorsque les nanorobots sont revenus dans leur récipient d'origine, qui
doit être laissé à côté de la blessure ».
« Attendre dix minutes entre chaque fiole ».
63
Natacha pose alors le récipient vide sur l'accoudoir à côté du bras de Juarez.
Je me repose un peu pendant que Juarez termine d'être opéré par les machines.
Au bout d'une bonne demi-heure, Juarez nous annonce que les chirurgiens sont retournés chez eux.
Natacha verse alors la gelée bleue sur la blessure.
L'épiderme brûlé semble se réparer légèrement. Les saletés présentes dans la blessure disparaissent.
Au bout du temps imparti, elle verse la gelée verte. Celle-ci prend alors la forme de l'os et se met à prendre plus
de consistance. De solidité même. A la fin des dix minutes, l'os semble avoir été reconstruit.
Enfin, elle termine par deux fioles de gelée blanche pour remplir complètement le trou restant dans le bras de
Juarez. La gelée devient opaque et prend la couleur de la peau. Nous ne voyons pas du tout ce qui se passe dans
le bras de Juarez.
Toujours est-il qu'au bout d'un bon quart d'heure, il bouge un peu son bras.
- Je le sens un peu, dit-il.
Il faudra que vous fassiez attention quelques jours, le temps que ça se solidifie complètement.
- Je vais vous mettre des bandes plastiques Upsa. Ca vous bloquera complètement le bras et le coude. Il y a
aussi des solutions de calcium hyperactif. Ca activera vos gênes réparateurs de secours. En trois jours, vous
devriez être complètement guéri.
- Parfait. Et pour la plaie, qu’est-ce qu’il y a?
- Quelques bandes autogénératrices qui vont vous aider à synthétiser l’épiderme brûlé. Quant à la réparation
du muscle endommagé, ça sera un tout petit peu plus long. Une petite semaine avec ces fortifiants en
gélules.
Finalement, je lui demande enfin:
- Comment saviez-vous que nous serions ici?
- Et bien, j’avais repéré le chauffeur de taxi et je croyais qu’il bossait pour le BDC. Il avait un comportement
un peu bizarre. Enfin, je ne sais pas pourquoi mais quelque chose chez lui a attiré mon attention. C’est
terrible ce qui lui est arrivé… Qui c’était, en fait? N'importe qui ne peut pas avoir une telle voiture équipée
de la sorte. Et une telle cachette de secours! Comment le connaissiez-vous?
- C’était une connaissance, dis-je simplement. Et c'est aussi une longue histoire. Trop longue à raconter
maintenant.
- Hum…
- Par contre, vous ne nous avez toujours pas dit pourquoi vous vous trouviez là. Nous vous devons une fière
chandelle, vous savez!
- Comme je vous disais, quelque chose chez votre… connaissance… a attiré mon attention. Il faisait des
allées et venues qui n’avaient aucun sens. C'était bien le seul chauffeur de taxi que je voyais dans les
parages, et en plus, roulant souvent à vide! En fait, maintenant que je suis ici, je comprends ce qu’il faisait.
Il était en train d'installer cet endroit. J'étais attentif à ses déplacements. Et j’ai aussi décidé de veiller
discrètement sur les mouvements autour de votre appartement.
Je l’ai ainsi vu arriver rapidement cette nuit.
Avec un système de vision particulier que je me suis bricolé, j’ai vu que vous étiez dans l’appartement,
réveillés à cette heure de la nuit. Je n'arrivais pas à vous entendre, mais je voyais qu'il régnait une agitation
assez importante. Je savais que quelque chose d’anormal se passait. J'ai laissé une mini caméra pour
confirmer mes pressentiments et j'ai foncé chez moi pour chercher une arme, au cas où ce chauffeur de taxi
deviendrait dangereux pour vous. Mais sur le chemin, j'ai croisé plusieurs voitures aux vitres fumées se
diriger vers le centre astronomique.
J'ai immédiatement fait le lien entre les deux événements.
Arrivé chez moi, je me suis alors armé au maximum et j'ai foncé vers le centre. Je savais que vous seriez
obliger de passer devant pour vous sauver. Quand j'y suis arrivé, il y régnait une activité fébrile. Un
caractère d’urgence transpirait. Je les ai observés un petit moment. Quand j’ai vu les drones de combat
sortir pour se mettre en position, j’ai compris qu’ils vous préparaient une embuscade. J’ai l’impression que
le BDC était au courant du moindre de vos mouvements.
J’ai aussitôt préparé mes armes et je me suis mis en position. Mais à cause des drones, il m’était impossible
de m’approcher trop près. Sans ça, ils m’auraient repéré et je n’aurai rien pu faire. C’est pour ça que je n’ai
pas pu agir tout de suite.
La suite, vous la connaissez.
Ayant terminé son histoire, il change le cours de la conversation en disant:
64
- En tout cas, j’ai été impressionné par tous les gadgets qu’il avait dans son taxi, dit Juarez.
- Oui, ça nous a aidé à nous en sortir, répond Natacha. Il a eu moins de chance que nous.
Un lourd silence plane.
Juarez le brise en s’exclamant rageusement:
- Quant à Brand, il a réussi à s’enfuir!
- Oui. Je n’arrive pas à croire ce que j’ai vu quand nous étions tous les trois dans le sous-sol, Natacha, lui et
moi! dis-je. Son comportement était tout bonnement incroyable. Tout à fait hors du commun. C’est
inexplicable. On aurait dit qu’il était doué de facultés exceptionnelles!
- Il les avait, répond gravement Juarez. Vous savez, les recherches génétiques sur les humains n’ont jamais
été interdites aux Etats-Unis, contrairement à une bonne partie du reste de la planète. Vous savez, dès 1999,
il était possible d’ajouter des chromosomes entiers. Il a pu ainsi être modifié génétiquement pour lui donner
la possibilité de développer ses capacités de manière exceptionnelle. Presque tout le monde est modifié à
l’heure actuelle. Temporairement ou de façon permanente. Vous voyez, dit-il en prenant une fiole de
calcium hyperactif, ce produit qui va m’aider à ressouder mes os en moins de trois jours. Sans ce produit
qui ne fait qu’activer provisoirement un gène pour que ma santé redevienne normale, il me faudrait au
minimum un mois et demi pour que je me remette d’une telle blessure! Et encore, j’en aurai conservé des
séquelles. Alors que là, dans trois jours, je serai bien soigné, complètement et sûrement.
- Je suis d’accord, mais de là à acquérir de telles capacités!…
- Ca n’a rien de réellement extraordinaire, vous savez! insiste Juarez.
- Oui, d’accord, mais si vous l’aviez vu quand il s’est échappé!… Il donnait froid dans le dos! Il avait un
aspect et des attitudes si peu humaines, si bestiales! Dit Natacha en s’exclamant.
- La violence des derniers moments que nous venons de vivre a certainement faussé votre jugement,
m’oppose Juarez.
- Peut-être. Mais si vous vous trouvez face à lui, ne le sous-estimez pas. Sinon, ce sera la dernière fois que
vous le verrez…
- Il a perdu son avant-bras, me disiez-vous?
- Oui. Quand je suis entré, il n’était pas là pour discuter! Mais il n’a pas tiré tout de suite… Il m’attendait ou
quoi? je demande à Natacha.
- Non. dit-elle. Quand il est arrivé, je l’ai vu s’approcher de moi avec son air bestial et sanguinaire. La mort
luisait dans ses yeux. Sa jambe blessée n’arrangeait pas le tableau. Tu aurais vu sa blessure! Il avait un trou
gros comme un entonnoir dans la cuisse droite! Comment pouvait-il encore marcher, je n’en ai pas la
moindre idée! C’était absolument incroyable! Seule la rage l’animait. Dès qu’il est entré, il a jeté son fusil
au profit d’une arme de poing. Il l’a pointée vers ma tempe et a tiré immédiatement. Son chargeur était vide.
Le temps qu’il en change, tu es arrivé. Tu as tiré tout de suite, mais il a eu le temps de faire feu aussi.
Heureusement que j’ai eu le réflexe de me pencher en avant!
Voilà Juarez, j’ai fini de te panser. Vous me semblez être très solide vous aussi. Vous récupérerez vite.
- Oui, je sais, fait-il fièrement. Mes ancêtres étaient les indiens Araucans qui ont été persécutés par les
conquistadores espagnols. Mon héritage génétique est très puissant. Depuis toujours nous vivons dans la
Cordillère. Ca vous rend très résistant.
- Maintenant que l’urgence de votre blessure est passée, voyons comment on peut me restituer mon ouïe
perdue. Quand Brand a tiré, la détonation m’a rendue complètement sourde d’un côté.
- Tiens, lui dis-je. Il y a plusieurs fioles de nanocapteurs dans la trousse de secours. Penche la tête, je vais te
verser le contenu de toute une fiole dès que je l’aurai amenée à 37 degrés. La gêne occasionnée par ce truc
qui a l’aspect liquide sera diminuée.
Je chauffe légèrement la fiole et je lui demande:
- Tu es prête?
- Oui, tu peux y aller, répond-elle.
Je verse la culture de cellules dans l’oreille de Natacha. La culture va permettre de régénérer les cellules
détruites.
- J’ai l’oreille qui bourdonne, dit Natacha.
- Ca devrait passer assez vite, lui dis-je pour la rassurer.
Même si cette technique est révolutionnaire, de nombreuses personnes en ont une grande appréhension.
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Pendant que Natacha garde la tête ainsi penchée, Juarez regarde la boîte de disques qu’il a récupérée après avoir
fait sauté le coffre fort de Brand. « Quelles infos peuvent-ils bien contenir? se demande-t-il. Et le disque dur
que j’ai arraché de son ordinateur, quel terrible secret va-t-il nous dévoiler? » Finalement, il dit:
- Et si on regardait ce que j’ai récupéré, maintenant qu’on est tous soignés?
- Oui, d’accord. Pour l’instant, c’est ce qu’on a de mieux à faire. De toute façon, on n’a pas le choix. Il faut
qu’on reste caché quelques jours jusqu’à ce que les choses se soient un peu calmées. Alors, seulement après,
on pourra partir d’ici pour aller dans un endroit plus sûr.
Voyons voir s’il y a un ordinateur dans les parages.
Je soulève une tenture le long d’un des murs du salon dans lequel nous nous trouvons et j’en découvre un.
- Voyons voir quel est l’état du disque dur que j’ai récupéré, dit Juarez.
- Hum, dis-je. Il a l’air assez mal en point. Mais bon, on peut toujours récupérer le disque de son boîtier.
Après avoir réalisé l’opération, je mets en marche l’ordinateur.
Nous obtenons rapidement la liste de tous les fichiers qu’il contient.
- Lisons-les par ordre antichronologique, propose Natacha. Les plus récents d’abord.
- Oui, je crois que c’est le mieux à faire, répond Juarez. Nous saurons tout de suite quelles étaient les
dernières occupations de notre cher directeur.
Quelques minutes plus tard, il dit:
- Les différentes informations que nous obtenons grâce aux fichiers datés d’aujourd’hui ne nous apprennent
rien de plus. Continuez. Pendant ce temps, je vais essayer de vous cuisiner un plat Araucan traditionnel. Les
guerriers le mangeaient au retour des combats très éprouvants. Comme aujourd’hui en fait. Je vais voir ce
qu’il y a comme ingrédients. S’il n’y a pas ce qu’il faut, je verrai s’il y a suffisamment de bases alimentaires
artificielles pour recréer les ingrédients de base dont j’ai besoin. A tout à l’heure.
- Merci, répond Natacha. A tout à l’heure.
Natacha et moi continuons le travail de fourmi. L’ordinateur qui est ici ne dispose d’aucun logiciel
d’intelligence artificielle pour nous aider à trier les fichiers intéressants. Une heure plus tard, nous avons
cependant lu près d’un tiers des données globales du disque. En fait, nous en avons éliminé une bonne partie en
nous basant sur les noms des fichiers, leurs résumés quand ils existent, et leur position dans l’arborescence des
répertoires.
Un texte nous laisse cependant assez perplexes Natacha et moi. Il s’agit d’une conclusion d’une étude
concernant le programme SETI 2.
Le texte est le suivant :
« Pour rester compréhensible, un message émis doit pouvoir traverser des distances colossales sans être trop
brouillé. Pour laisser le maximum de puissance au signal du message, il doit utiliser une porteuse…
Il faut permettre au message d’être littéralement porté par quelque chose pour qu’il traverse les distances
énormes du ciel comme si de rien n’était… Cette chose doit exister partout dans l’Univers. C’est le
rayonnement 3K. Ce rayonnement, qui indique aussi la température de l’Univers est appelé le rayonnement 3
degrés kelvin, ou 3K. Il a été émis au moment de la destruction de la matière lors de l’expansion de l’Univers.
C’est l’onde choc du « Big Bang », qui existe partout. C’est la porteuse idéale qui voit tout, qui sait tout… »
- Je n’ai entendu parler de cette théorie qu'une seule fois, fais-je à Natacha.
- Par le Docteur Warflemann! Dit Natacha qui a aussi visionné le CD.
- C’est vraiment bizarre qu’il ait ça dans son ordinateur.
- Si c’est ça qui est lié avec les assassinats de scientifiques, c’est peut-être qu’il a fait la plus grande
découverte de tous les temps!… me répond Natacha dans un souffle.
Nous voyons Juarez redescendre de la cuisine située un demi-étage plus haut que le petit salon, l’air rayonnant.
- Et si nous passions à table! s’exclame-t-il joyeusement. Je vous ai préparé une tarte aux oignons dont vous
me direz des nouvelles!
En voyant notre air, il s’interrompt et comprend qu’on a trouvé quelque chose de très important.
A son air interrogateur, je lui demande:
- Vous croyez aux extraterrestres?
Juarez est tellement surpris que Natacha explose de rire face à son air interdit.
- C’est sérieux?
66
-
On sait pas. Il faut qu’on analyse plus en avant les données de Brand.
OK, réagit-il. J’amène les assiettes ici et on continue à chercher pendant qu’on mange!
Un peu plus tard, tous les trois installés devant l’ordinateur, nous commençons le dîner.
- C’est ça la spécialité de tes ancêtres? demande Natacha étonnée.
Juarez est un peu embêté, mais il répond:
- Et bien, la cuisine est un peu moins fournie que ce que je pensais. Alors, j’ai préparé ce que j’ai pu, hein!!
- Heu… commence Natacha
- Pas de problème, moi ça me convient tout à fait, dis-je à Juarez en interrompant ma petite femme peu
enchantée à l’idée de goûter ce plat dégivré.
- Je vais aller chercher les boissons, dit-elle alors.
Et en passant devant moi, sans rien dire, elle me lance du regard un « Fayot! » qui reste inaperçu à Juarez.
Devinant qu’elle est assez peu emballée, Juarez dit:
- En tout cas, je l’ai tellement bien préparée que je suis sûr que si mes ancêtres avaient pu y goûter, ils en
auraient fait une recette traditionnelle!
A ce moment on entend le grondement d’un orage qui s’approche. Si ses ancêtres avaient voulu lui répondre, ils
n’auraient pas fait mieux!…
Un sourire au coin de la bouche, Juarez dit alors:
- Bon, et bien,… finalement, voyons comment nous, nous allons l’aimer!…
Et après un bref silence, il me demande:
- Bon, d’accord… Que voulez-vous manger d’autre?
De la cuisine où elle est, elle répond:
- Je vois qu’il y a un rôti de veau et des haricots verts dans le fraiseur!
- Ca me va, dit Juarez amusé de la tournure des événements face à sa tarte aux oignons.
- C’est tout bon pour moi, dis-je.
- Il n’y en a que pour deux, mais on t’en laissera un peu si tu as encore faim après la tarte! me lance Natacha
avec un large sourire.
Pendant que Natacha s'affaire dans la cuisine, je continue la lecture des documents de Brand.
Je me rends compte qu’il était parfaitement au courant de nos identités. Juarez voit aussi les informations.
Natacha revient de la cuisine, et je dis alors:
- Je suis en effet Yann Dellowsky, dis-je à Juarez. Et ma femme est Natacha Mercury. Nous sommes tous les
deux cachés sous une nouvelle identité pour échapper à des malades. En fait, ces malades sont les mêmes
que ceux qui en veulent à ma nouvelle identité: Le BDC et Butch Brand.
- Je comprends pourquoi vous ne vouliez ni ne pouviez rien dire, répond Juarez, en nous regardant à tour de
rôle, Natacha et moi.
- Savoir que Brand avait cette information fait froid dans le dos, dis-je. Du coup, nos ordinateurs et notre
bureau étaient tellement surveillés que Brand était aux premières loges. Il voulait remonter jusqu’à
AVALON pour l’anéantir. Il savait que nous étions en contact avec Gonzalo et toi.
- La seule chose qu’ils ne savent pas, enchaîne-t-elle, c’est qu’on a réussi à avoir toutes ces infos les
concernant.
- … et les trois fichiers qui se trouvaient dans la corbeille de mon ordinateur, dis-je. Il s’agissait
effectivement d’un oubli de la part du chercheur qui m’avait précédé au centre. Il n’est fait nulle part
mention de ces trois fichiers dans les correspondances de Brand.
Deux heures plus tard, nous terminons de faire le tour des données de Brand sans rien apprendre de plus.
- Humpff… La lecture était fastidieuse, fait Juarez en s’étirant, mais très intéressante.
- Bon, ce soir, on ne fera plus rien de bon, dis-je. Je vous propose de réfléchir à tout ça demain à tête reposée.
- Moi, je ne tiens plus debout, confirme Natacha.
Pendant que j’éteins l’ordinateur, Juarez nous dit:
- Pour les prochains jours, le plus prudent est d’instaurer un tour de garde la nuit. On ne sait pas qui ou quoi
pourrait venir rôder à proximité. Il y a bien un système d’alarme silencieuse, mais vue la technologie de nos
adversaires, on ne peut pas s’y fier à cent pour cent.
- Hum, malheureusement, dit Natacha.
- Vous avez été sérieusement blessé, dis-je à Juarez. Vous devez vous reposer.
67
-
Non, non. Justement, avec mon bras qui me lance un peu, je ne pourrai pas dormir. Il vaut mieux que je
fasse le premier quart.
- Non, je ne suis pas d’accord, dis-je avec insistance. Je tiens à ce que vous soyez rétabli le plus rapidement
possible. Je commence le premier tour de garde.
- Je prendrai le deuxième quart, dit Natacha.
A contre cœur, Juarez dit alors:
- Bon, d’accord. Je prendrai le troisième quart. Il faut changer toutes les deux heures. Au-delà, on ne sera
plus assez vigilants. Ca vous fait une garde de trois heures à cinq heures du mat, Yann, et vous Natacha, de
cinq à sept, et moi à partir de sept heures.
- Ca marche, dis-je. Mais avant tout, il faut bien repérer les différents points d’accès et les points faibles de la
structure de la baraque.
- Oui, fait Juarez. Je m’en occupe. J’ai une expérience pour ces choses là. Une dernière chose: il ne faut pas
que celui ou celle qui a son tour de garde approfondisse en même temps la consultation des dossiers. Ce
serait exactement comme si personne ne surveillait la maison. Il faut rester vigilant sur la garde.
- Oui, bien sûr, répondons-nous, Natacha et moi.
Après avoir vérifié tous les points sensibles de notre cachette, nous commençons la nuit.
Le lendemain matin, je suis réveillé par une bonne odeur de croissants. Natacha dort encore. Sans un bruit, je
vais dans la cuisine. Juarez est à table.
- Bien dormi?
- Ca va, merci. L’odeur des croissants m’a ouvert l’appétit. Rien à signaler?
- Rien. Tout est resté très calme. A part l’orage qui s’est terminé il y a une heure.
- Un orage? Je n’ai rien entendu!
- Oui, mais il n’a tonné qu’à quelques vallées d’ici, en contrebas.
Tout en savourant le bon croissant chaud que Juarez a préparé, je mets à nouveau l’ordinateur en marche.
Je parcours les disques pendant quelques minutes, mais il n’y a rien qui concerne de près ou de loin les activités
du BDC. Il s’agit plutôt de différents bilans annuels du centre astronomique.
Je suis frustré. Nous avons tout parcouru et nous n’avons pas appris beaucoup de choses. N’y a t il rien d’autre
à récupérer comme infos?
Je suis sûr que le disque dur de Brand cache autre chose. Voyons voir… Dans la corbeille… Rien d’intéressant.
Okay. Je sais ce que je vais faire. Je vais lire tous les blocs déclarés vides par la table d’allocation des fichiers
du disque. Si des données ont été supprimées, même si le disque a été reformaté, je pourrai facilement et en
seulement quelques minutes voir les données qui se trouvaient dessus avant, bloc par bloc.
Bon, je lance l’application qui permet une telle recherche. J’attends quelques minutes. Bon, voilà, c’est fini. Je
n’ai plus qu’à lancer un éditeur de texte pour lire les fichiers.
Bon, voyons voir… Il y a beaucoup de codes ascii incompréhensibles…
Ah! Du texte! C’est la fin d’un courrier quelconque. Bon, voyons voir la suite… Des codes ascii… Rien que
des codes ascii… Encore des codes ascii… Ah! A nouveau du texte. Qu’est-ce que c’est que ce truc là?
« … empêcher toutes les recherches sur les signaux extraterrestres. Le programme SETI 2 a pu être retardé
pendant quinze ans mais des événements indésirables l’ont rendu possible. Son arrêt est notre priorité absolue.
Il doit faire l’objet de toute notre attention. Chacun doit être sensibilisé sur le sujet. Il faut le stopper
définitivement. Nous devons empêcher toute avancée des recherches. La présence de Rassoli ici doit nous
permettre d'arriver à nos fins. Le BDC est notre pensée. Le BDC est notre juge. Le BDC est notre exécuteur. »
Ca, c’est un scoop! Voyons voir si je trouve d’autres infos… Bon, re des codes ascii… Okay… Okay… Ah! Du
texte à nouveau. C’est un message de Brand. Que dit-il… « éradiquer tous les résultats et modifier toutes les
publications sorties sur le net à propos des coordonnées des douze premières planètes découvertes par
Hyparcos. Le BDC est notre pensée. Le BDC est notre juge. Le BDC est notre exécuteur. »
Voyons voir la suite. Codes ascii… Du texte. « notre juge. Le BDC est notre exécuteur. ».
Dommage, j’ai pas eu le message. Bon, la suite. Des codes ascii… C’est tout.
Je retourne dans la cuisine où Natacha discute avec Juarez.
Quand j'arrive, ils me regardent pour savoir quelles sont les nouvelles infos.
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J’ai trouvé deux messages à moitié effacés sur le disque dur, dis-je. Je vous confirme qu'ils ont découvert
des messages extraterrestres et que leur objectif est de contrecarrer tout type de recherche dans ce domaine.
Juarez et Natacha me regardent impressionnés.
Je continue:
- Leur mission est, quel que soit le type de recherche réalisé sur la vie extraterrestre, de tout détruire et de tuer
quiconque se mettrait en travers de leur chemin.
Natacha est la première à réagir à ce que je viens de dire:
- Alors notre priorité pour qu’ils stoppent ce massacre est de dévoiler à tout le monde leur découverte.
- Pour ça, dis-je, il faut scruter le rayonnement 3 K dans le ciel. On a besoin d’un radiotélescope.
- On n’en trouve pas à tous les coins de rues… répond Natacha.
- J’ai bien une solution… répond Juarez, pensif.
- Oui?… fais-je intrigué.
- J’en connais un qui n’est pas utilisé.
- Lequel? demande Natacha curieuse elle aussi.
- Tu ne penses pas au radiotélescope Sélène?! dis-je soudain. Celui qui est dans la Mare Moscoviense sur la
face cachée de la Lune?! Sa construction n’est pas terminée!!
- Oui, il n’est pas fini… dit-il avec un sourire malicieux. Mais les neuf dixièmes sont achevés et tous les
moteurs des antennes marchent déjà ainsi que leur système de déplacement magnétique et leurs logiciels
d'acquisition du signal, et le BDC ne l'a pas encore détruit. Si on l’utilise, ça passera complètement
inaperçu, car personne ne s'attend à ce qu'il soit mis en marche. Et personne ne pensera à vous surveiller là
haut!
- Oui, mais… C’est sur la Lune! Et le réseau de satellites de communication relais en orbite lunaire est en
cours de tests et tombe en panne une journée sur deux! Il faudrait aller sur place! Tu n’y penses pas!
- Et pourquoi pas? Le centre spatial d’accueil est terminé. Les hôtels déjà construits ne désemplissent pas. Et
il s’en construit de nouveaux tous les mois!
Je réfléchis à toute vitesse.
- Okay, admettons qu’on puisse y aller, fais-je excité à l’idée d’aller poser le pied sur la Lune, comment va-ton financer le voyage? Ca coûte pas mal d’euros pour faire le chemin!
- Ca ne devrait pas être un trop gros problème. AVALON a quelques ressources financières. En plus, en
partant de l’astroport flottant de la NASA situé au large du Porto Rico, votre départ passera relativement
inaperçu. Vous aurez quand même besoin de changer d’identité pour que le BDC ne vous repère pas, mais à
part ça, il n’y a aucune difficulté particulière.
Natacha sourit discrètement.
Encore un changement d’identité! pense-t-elle. De mon côté, j’espère qu’à force je ne me mélangerai pas les
pinceaux entre les différentes identités par lesquelles je suis passée!
Juarez et moi remarquons son air amusé. Il dit alors:
- Je vois que la perspective d’aller sur la Lune t’enchante Natacha!
- Moui, fait-elle. J’ai toujours rêvé d’y aller un jour. En plus, savoir que nous serons en apesanteur pendant
tout le voyage!…. Voler comme un oiseau, hein mon chéri! me dit-elle l’air légèrement taquin.
- Hum… Tu sais que les tests que j’ai passés pendant ma visite médicale à la fac ont montré qu’il y a une
forte probabilité pour que je sois sensible au mal de l’espace. Vomir pendant trois jours ne me réjoui pas des
masses! Enfin, il paraît qu’ils se trompent souvent quand ils font ces examens de santé: je verrai si
l’infirmière s’est plantée ou pas dans l’analyse des résultats.
- Hé, dis-je, vous savez que même avec seulement les neuf dixièmes de terminés, c’est déjà le plus grand
radiotélescope de la planète!?
- Tu veux dire du système planétaire! me reprend malicieusement Natacha.
L’idée me fait sourire. C’est vrai qu’il n’est pas sur Terre. Je regarde Natacha avec un large sourire et dit:
- Bien, bien!… Merci d’avoir corrigé mon propos…
Juarez nous ramène à la réalité:
- Vous savez, avant de partir, il peut s’écouler quelques mois. Il faut réserver des places dans la navette et
dans un hôtel sur place.
- Il faut qu’on parte le plus rapidement possible, lui dis-je. Au plus tard dans une semaine.
- J’ai bien saisi la situation, fait Juarez. Il faut que je trouve comment faire. Je n’en ai pas le moindre
prémisse d’idée pour le moment, mais je trouverai. Faites-moi confiance.
- Préparez-vous Sélènes! Les Terriens arrivent en force! s’exclame Natacha.
-
69
7- Baïkonour
Vendredi 23 juillet 2066, 10h29 heure locale
Juarez arrive avec sa Yamaha 500 centimètre cubes Shao-Lin. En l’entendant arriver, Natacha se tourne vers
moi et me dit, alors que je suis sous la douche:
- J’espère qu’il a reçu une réponse positive d’AVALON.
Puis sautant du coq à l’âne, elle continue en disant:
- Je rêve même de manger une tarte à l’oignon! Les réserves de nourriture ne sont plus tellement variées
maintenant.
- Oui, c’est vrai que ça nous fera du bien de changer un peu. Ca fait une semaine qu’on bouffe des boîtes,
c’est pas génial.
- Et ça fait dix jours que nous sommes ici. J'ai envie de sortir!
Juarez entre dans la petite maison après avoir rangé sa moto dans le garage.
- J’ai une bonne nouvelle les amis! J’ai enfin les faux papiers tant attendus et j’ai d’excellentes informations!
- Super! s’exclame Natacha
- Oui, mais ne t’emballe pas trop vite: il y a quand même un petit hic.
- Lequel? demande-t-elle intriguée.
- Et bien il n’y a aucune place avant plusieurs mois, mais il existe un autre moyen des plus discrets pour aller
sur la Lune: tous les jours, des dizaines de containers décollent de partout pour mener à bien la colonisation
lunaire. Notre moyen pour y aller est de s’introduire en cachette dans un de ceux qui décollent de
Baïkonour. Tous ceux qui partent de là ont comme destination New Moskova, la ville lunaire près de
laquelle se trouve le radiotélescope Sélène.
- Quoi!?
- Et il faudra se débrouiller nous-mêmes.
- C’est du suicide! Pour se supprimer, c’est plus simple de signaler directement notre présence au BDC! On
se cassera moins la tête et ça ira plus vite!
- Non, non, attend, lui dit-il pour la calmer un peu.
- Tu sais comment ils envoient les containers dans l’espace? continue-t-elle cependant.
- Oui, à bord de Soyouz dont la conception n’a guère évolué depuis cinquante ans. Je sais.
- C’est ça. Ils perdent au moins un container dans l’espace tous les mois! Tu sais qu’ils n’osent même plus
mettre de pilotes dedans? Ils continuent d’utiliser ce moyen de transport uniquement parce que ça coûte
moins cher malgré ceux qui se perdent à tout jamais dans l’espace!
- L’idée est que justement il n’y a pas de pilotes dedans qu’on…
Natacha a un rire désabusé.
- Il n’y a aucune autre possibilité avant des mois! proteste Juarez face à la très vive réticence de Natacha.
D’ici là, qui sait qui le BDC aura tué?!
- Je crois qu’on n’a pas le choix, dis-je à Natacha. Par contre, il faut savoir dans quelles conditions se passera
le voyage.
- De ce côté là, tout est prévu, répond Juarez.
Les Soyouz sont envoyés du spatioport commercial de Baïkonour au Kazakhstan. Pour aller là, on prend un
avion de Santiago en partance pour la capitale Russe, Saint Petersbourg. De là, on rejoint Karaganda. On ne
peut pas rejoindre Baïkonour directement, anciennement appelé Leninsk, car le BDC y surveille toutes les
arrivées. C'est beaucoup trop dangereux. A Karaganda donc, nous louerons une voiture pour atteindre la
ville de Baïkonour.
Arrivés là bas, il faudra vraiment faire attention. Certains quartiers sont très huppés et très protégés. Mais
dans l’ensemble, cet endroit a plutôt tendance à devenir un sacré cloaque.
- Très réjouissant! fait Natacha avec une moue de dédain.
- Oui, les transports spatiaux sont la première ressource du pays, mais celui-ci a du mal à l’assumer.
- Et bien comme ça on n’aura pas trop de problèmes pour monter dans la cabine de pilotage d’un Soyouz!
dis-je.
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Ne t’y fies pas trop. Les Kazakhs sont extrêmement pointilleux sur la sécurité là-bas. Malgré le fait qu’ils
ont un des sous-sols les plus riches de la planète, vu qu’ils sont incapables d’en tirer profit, le spatioport
récupéré du démantèlement de l’URSS est leur première ressource économique nationale. Du coup, ils sont
intransigeants vis-à-vis de la sécurité. La moindre personne trouvée à moins d’un kilomètre d’un lanceur
sans autorisation est automatiquement condamnée à plusieurs années de prison. Quant à ceux qui sont pris
sur le pas de tir, c’est la condamnation à mort. Selon les cas, ils peuvent même faire feu à vue.
C’est pire que ce que je pensais!, fait Natacha.
Mais tu es sûr de trouver quelqu’un qui veuille nous y amener? je demande à Juarez.
Oui, il n’y a pas de problème. Les euros sont très bien acceptés là-bas. On peut facilement trouver
quelqu’un qui ne pose pas trop de question et qui ne soit pas trop regardant sur nos affaires.
Donc, poursuit-il, on arrive sur place. Là, il faudra repérer les lieux. Je vous ai dit que les peines étaient très
lourdes pour les gens pris dans l’enceinte du spatioport. Et bien pour certains, défier ce danger est leur mode
de vie.
Est-ce que ça veut dire que ce qu’on veut faire est répandu? je demande à Juarez. Parce que dans ce cas, ça
augmente considérablement les dangers.
Non, répond-il. Les gens vont sur le site uniquement pour voler du combustible. Ils mettent un point
d’honneur à s’en servir chez eux. C’est très dangereux. Il arrive parfois que des cuisinières explosent à
cause son instabilité.
D’accord, dis-je. On se met en contact avec une de ces têtes brûlées pour qu’il nous aide à s’installer dans le
poste de pilotage. Mais il y a plusieurs problèmes, et de taille. Il nous faut des scaphandres, des réserves
d’oxygène et de nourriture en suffisance, et enfin, il y a certainement des caméras placées à l’intérieur du
poste de pilotage.
Un problème à la fois, répond Juarez. Pour les scaphandres, on peut en trouver sur place de très bonne
qualité, au marché noir.
Oh, là! remarque Natacha. Si on prend n’importe quoi, on se transformera en sapin de Noël à cause des
courts-circuits ou on mourra asphyxié ou encore les fuites dans le scaphandre nous tueront en quelques
secondes!
Je sais. C’est pour ça qu’on les fera tester en pression nulle dans une des nombreuses échoppes de la ville. Il
y a beaucoup de chercheurs qui se reconvertissent à la création de scaphandres là-bas. C’est un marché très
florissant.
Pour le problème des provisions d’énergie, d’air et de nourriture, pas besoin d’en prendre avec nous. Une
fois dans l’espace, la station au sol coupe tous les circuits du container. On pourra se servir directement sur
place. Tous les capteurs seront désactivés. Là, on aura des réserves importantes d’énergie, d’oxygène et de
nourriture, et comme il y a toujours aussi au moins un compartiment pressurisé, on voyagera tranquillement.
Au fait, est-on sûrs que le poste de pilotage est envoyé lui aussi sur la Lune ou bien seulement le container y
est envoyé?
Ca dépend du type de lanceur Soyouz. Celui qu’on prendra devra impérativement le faire. Sinon, il sera
impossible d’aller dans le container pressurisé pour rejoindre la Lune. On restera bloqué dans le poste de
pilotage et dans quelques années en rentrera à nouveau dans l’atmosphère pour s’y désintégrer. A moins
qu’on n’entre en collision avec d’autres déchets en orbite dans la banlieue terrestre proche.
J’ai quelques autres questions, continue Natacha. Peut-on choisir sa destination sur la Lune? Les voyageurs
ne sont-ils pas tous enregistrés quand ils mettent le pied sur la Lune? Et au fait, on alunira comment?
Attends, je termine de répondre aux questions de Yann. J’ai répondu à propos du problème des scaphandres
et des provisions diverses. Il reste le problème des caméras dans le poste de pilotage. A priori, ils n’en
mettent plus sur les nouveaux modèles justement parce qu’il n’y a plus de pilote.
A priori, ça veut dire que tu n’en es pas sûr? rétorque Natacha.
Non, en effet. S’il y en a toujours, il faudra le savoir avant d’embarquer. Il est clair qu’on ne pourra pas
prendre le risque de se voir débarqués et fusillés s’il y a effectivement des caméras à bord.
Je suis d’accord, dis-je. S’il y a des caméras, il faudra trouver un moyen de les saboter.
A propos de tes questions Natacha, et bien la réception est assez violente sur la Lune. On subit une
accélération de près de dix G pendant quelques fractions de secondes. Sachant qu’on n’est pas entraîné, on
peut être blessé violemment. Si nos scaphandres cassent, on peut y rester. En fait, le système d’arrêt des
containers sur la Lune est un frein magnétique. Une fois qu’on a ralenti à la vitesse de soixante mètres par
seconde, c’est-à-dire quand on a décéléré jusqu’à une vitesse de deux cent seize kilomètres heure, on
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s’écrase sur le sol. La trajectoire est habituellement calculée pour qu’on arrive selon un angle de 23 degrés
horizontaux.
Hum, fait Natacha maintenant un peu inquiète, et pas convaincue du tout de la réussite de cette folle
aventure.
Ensuite, pour la destination, et bien en ce moment c’est toujours la même au départ de Baïkonour. C’est
justement celle de la Mare Moscoviense. La construction de cette ville nouvelle accapare dix sept pour cent
des investissements globaux réalisés sur la Lune. C’est aussi parce que les constructions sont à un endroit
où la plupart des communications avec la Terre ne sont pas encore complètement au point : c’est de l’autre
côté de la Lune et les normes de sécurité sont incroyablement augmentées.
Enfin, il reste un dernier problème, et pas le moindre: tous les voyageurs sont enregistrés avant d’arriver sur
la Lune. Là, il nous faudra l’aide d’un pirate informatique local. On peut en trouver mais à prix d’or. Il
devra forcer les systèmes Sélènes pour nous enregistrer discrètement. Une fois ce travail accompli, alors
seulement on pourra mener nos recherches de vie extraterrestre en toute impunité avec le radiotélescope.
Enfin, quand je dis en toute impunité, il faudra quand même rester discret.
Oui, dit Natacha. Je pense qu’au moindre faux pas, le BDC sera au courant que quelque chose de bizarre s’y
passe.
Je suis quand même surpris qu’il n’ai rien tenté pour détruire le radiotélescope, dis-je.
D’après les stratèges d’AVALON, les chefs du BDC attendent que les fonds engagés soient encore plus
importants avant de le saboter. Comme ça, non seulement ça bloquera ce projet, mais de nombreuses années
s’écouleront avant qu’une nouvelle tentative soit faite.
Ca veut aussi dire qu’on risque y croiser des agents du BDC, dis-je.
C’est pas qu’on risque en croiser, répond Juarez. C’est qu’on va en croiser.
Et bien finalement, dit Natacha, le décollage est très risqué, mais c’est de la gnognote à côté de
l’alunissage… On va croiser des gens qui veulent nous tuer,… mais finalement, ça me branche beaucoup
d’y aller! Je ne rêve que d’une chose: leur botter les fesses et dire bonjour à nos petits amis Sélènes!
Quand est-ce qu’on part? je demande à Juarez.
Et bien notre avion décolle demain matin pour Karaganda. Le mieux est qu’on soit ce soir à Santiago.
Notre avion est un Antonov 1592. C’est un avion cargo, mais il vole vite. En moins de vingt heures on sera
arrivé à destination.
Tu nous avais pas dit, hé! s’exclame Natacha, furieuse d’avoir l’impression de s’être fait dupée. T’avais
déjà tout préparé, hein?
Je savais que vous seriez d’accord, répond-il en réussissant mal à cacher un sourire. On payera le pilote, le
copilote et le radio-mécanicien. On atterrira à Saint Petersbourg comme des fleurs. A la douane là-bas, on
passera sans problème. Avec leur politique d’ouvrir les frontières pour forcer leurs liens avec l’Union
Européenne, les Russes ont décidé depuis plusieurs années de ne plus faire un seul contrôle à la douane.
Même si on arrive du Chili.
Okay, dit Natacha. Bouclons les valises!
Dans le garage de la bicoque, nous laissons la voiture de Brand qui aurait été trop reconnaissable et nous
montons dans une vieille Renault fatiguée, juste capable de faire les kilomètres nous séparant de Santiago. Pas
question de prendre l’avion à l’aérodrome d’Antofagasta. Quelqu’un pourrait reconnaître notre signalement et
alerter le BDC.
Au bout d’une bonne cinquantaine de kilomètres, nous rejoignons la Panamerican Highway, la seule autoroute
sinueuse qui longe la Cordillère des Andes sur toute la longueur du Chili.
La nuit est déjà tombée depuis un moment quand nous arrivons aux portes de la ville.
Nous prenons le chemin de l’aéroport de fret et Juarez y gare la voiture. Dans le petit hall de l’aéroport,
beaucoup moins majestueux que celui de l’aéroport principal de la capitale, nous voyons l’écran annonçant les
départs. Le nôtre est sur le bout de la piste C, dans son hangar de chargement.
-
Il faut être sûr qu’ils aient fini de le remplir pour monter dedans sinon les employés de l’aéroport pourraient
nous découvrir et donner l’alerte.
On va attendre au café restaurant, nous dit Juarez. On doit y rencontrer mon contact d’AVALON. Il doit
nous donner de l’argent liquide. On en aura besoin au Kazakhstan et sur la Lune. Vous n’avez pas idée du
prix d’une chambre dans la Mare Moscoviense! Et pourtant, comme on n’y voit pas la Terre, c’est beaucoup
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moins touristique que sur l’autre hémisphère, à Copernic Bay ou à côté du parc de loisir en construction
« Disney Moon »!
Un peu plus tard arrive une femme assez jeune, fraîchement vêtue.
- Ola Juarez! Como estas con tu compañeros!
- Ca va… Ca va… répond-il.
- Je vous amène moins de liquide que prévu, mais j’ai aussi deux cartes bancaires. Les codes sont 9452 et
6738. Il y a cinquante mille euros dans l’enveloppe. Bon, je me sauve. Bonne chance et bon courage.
- Merci pour tout!
La jeune femme chilienne disparaît moins de vingt secondes après être apparue. C’était si rapide qu’on aurait
pu croire qu’elle n’était qu’un coup de vent.
Il est cinq heures du matin quand nous montons finalement dans la soute de l’Antonov. Le pilote nous y attend.
Juarez le paye huit mille euros. Le tarif était déjà négocié mais c’était à nous de payer. Nous nous installons
aussi confortablement que possible entre les caisses en bois et les caissons métalliques. Nous attendons encore
près de trois heures puis nous décollons.
Avec le décalage horaire, nous arrivons à Saint Petersbourg vers 09h00 le lendemain matin, après avoir fait
escale pendant deux heures à Recife au Brésil puis une heure à Madrid.
Quand l’avion se pose enfin, nous sommes moins fatigués que ce que j’appréhendais. Nous passons la douane
sans problème.
A l’aéroport, nous réservons des places sur le premier vol en partance pour le Kazakhstan. Nous prenons un
aller-retour pour passer la frontière avec moins de difficultés. Notre retour est prévu pour la fin de la semaine
suivante, le samedi premier août.
Par chance, nous avons seulement trois heures d’attente.
Nous montons enfin dans l’Airbus A340-520, vieux d’une quinzaine d’années.
Après avoir volé sans problème pendant deux heures, nous atterrissons à la capitale du Kazakhstan, Karaganda.
Là, le passage de douane est complètement différent.
Nous mettons autant de temps pour arriver jusqu’au douanier que ce qu’il nous a fallu pour faire Saint
Petersbourg - Karaganda, tellement la foule est dense et importante. En ce samedi 24 juillet 2027, il est dix huit
heures quinze, heure locale, quand notre tour arrive enfin. Nous arrivons devant le douanier.
C’est un homme sec au regard perçant. Moustachu, il est le prototype parfait du tonton macoute. Très poliment
il me dit:
- Vos papiers s’il vous plaît.
- Tenez, dis-je.
Il prend mon faux passeport et me demande:
- Vous voyagez seul?
- Non, ma femme et un ami voyagent avec moi.
- Veuillez me donner les papiers de votre femme, s’il vous plaît.
Je fais signe à Natacha de se rapprocher.
- Non, non. Qu’elle reste en arrière.
Il la dévisage.
- Vous ne savez pas que les femmes doivent être voilées ici?
- Ah non, je ne savais pas.
- Qu’elle mette un voile ou bien vous ne rentrez pas au Kazakhstan, dit-il d’un ton péremptoire.
Heureusement, Juarez avait une écharpe. Il la lui donne. Elle la met maladroitement sur sa tête.
- Bon, ça ira. Mais je lui conseille de s'acheter un voile digne de ce nom avant même de sortir de l’aéroport.
- Oui, d’accord, dis-je.
- Vous vous appelez donc Heaukt Serz et votre femme s’appelle Kiloe Serz?
- Oui, c’est nous.
En disant ça, je me rends compte que je n’avais même pas ouvert mon passeport. Je ne savais même pas quel
nom était inscrit dessus. Natacha ne l’a pas ouvert non plus! S’il l’appelle, elle ne reconnaîtra pas son nom et on
risque de se faire avoir! Je risque le coup et mise sur le fait qu’il ne l’appellera pas quoi qu’il arrive.
- Vous restez seulement une semaine?
- Oui, nous repartons le premier août.
- Que venez-vous faire ici?
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Du tourisme. Nous venons visiter la ville et ses environs. Nous voulons aussi acheter des scaphandres
spatiaux.
- Faites attention. N’achetez que ceux qui sont homologués. Vous êtes passés par les services de quel
opérateur touristique?
- Aucun. Nous avons acheté nos billets directement à Saint Petersbourg.
Je vois que Juarez reste d’un calme impressionnant. Il bavarde de temps à autres avec Natacha et fait comme si
de rien n’était.
Le douanier continue à m’interroger:
- Vous allez résider à quel hôtel?
- Et bien, nous ne savons pas encore. Peut-être au Hilton ou au Concorde. Nous n’avons pas encore décidé.
Quand je lui réponds, je fais attention à ce que Juarez puisse m’entendre. Il faut que nos réponses soient
exactement identiques, sinon nous ne serons pas crédibles.
- Transportez-vous de la drogue, des armes, des matières fissibles, des résultats de manipulations génétiques
ou d’autres produits interdits?
- Non.
- Bien, merci. Vous pouvez passer. Votre femme aussi. A votre tour, Monsieur, dit-il à Juarez.
Au bout de deux minutes, Juarez passe aussi. Tout s’est passé sans problème.
Natacha s’achète immédiatement un voile pour ne pas avoir de problème avec les locaux et pour ne pas avoir
trop chaud. Elle commençait à étouffer sous l’écharpe de Juarez.
Arrivés à la porte de l’aéroport, nous louons une voiture. C’est une Lada équipée du minimum: un vieux poste
radio, une clime poussive, une conduite automatique quasiment inexistante, et le guidage de trajectoire par
satellite hors service.
Nous roulons toute la nuit puis toute la journée du dimanche. Nous nous relayons l’un après l’autre. Nous ne
faisons presque pas de pauses. Seulement pour acheter de la nourriture locale et nous désaltérer. Nous devons
faire attention quand Natacha conduit car les femmes n’en ont pas le droit.
Quand nous arrivons aux portes de Baïkonour, c’est la fin de l’après-midi.
Le soleil n’est pas encore couché sur l’horizon, mais ça ne va pas tarder. Nous sommes à peu près à la latitude
de Blois, en France, c’est-à-dire que nous sommes à environ 47 degrés de latitude nord.
Le paysage est complètement désertique. L’avancée des déserts depuis près de cent cinquante ans n’arrange en
rien les choses. Le prix de l’eau est trois fois plus important qu’à Karaganda où il est pourtant déjà exorbitant. Il
faut dire que l’assèchement total de la mer d’Aral n’a rien apporté de bon à la région. La ville s’étale devant
nous dans toute sa laideur massive et fait montre d’une arrogance agressive et obscène. Les maisons sont pour
ainsi dire inexistantes. Les petits immeubles d’au plus six étages donnent l’impression de se chevaucher,
comme si une orgie de titans avait lieu. Sans y prêter la moindre attention, ils écrasent dans leurs ébats
gargantuesques les pauvres âmes venues s’y échouer, attirées par un mirage de richesse apporté par les lanceurs
spatiaux.
Le sable jaune sable pale vient s’immiscer partout. Tel un Dieu, il voit tout, sait tout et entend tout. Cruel, il
juge, condamne, pardonne rarement. Il vient accompagné de sa diabolique concubine, la chaleur. Pire qu’une
chape de plomb, elle est insoutenable. Il fait plus de quarante degrés à l’ombre.
Il n’y a pas d’ombre.
La rigueur du climat termine d’achever la clime de la voiture qui rend l’âme. Une lourde odeur d’essence, de
kérosène et d’autres poudres chlorées plane au-dessus de la ville. Tous les immeubles sont blanchis par la
fumée de la poudre des fusées envoyées quotidiennement pour aller construire des palaces majestueux en orbite
ou bien sur la Lune. La malveillance des gaz qui enveloppent la ville provoque continuellement des morts par
asphyxie et seuls les plus résistants n’ont pas de crise d’asthme au moins une fois par semaine.
Quand pourtant il y a du vent, c’est par rafales. Des morceaux de toits sont emportés par à-coups pour venir
s’écraser lourdement dans les rues. Le sable menaçant se soulève et vient rappeler aux habitants qu’il est le
maître de la ville. Il faut qu’ils s’en souviennent. S’ils le défient, ils le regretteront.
La journée, la lumière est éblouissante, insoutenable. Elle provoque des séquelles que seuls les nanorobots
peuvent réparer. Mais une telle technologie ici n’est que pure science fiction.
Les gens sont blanchis par la poudre brûlée des décollages. Acide, elle ronge leur peau. Sournoise, elle est
adorée des parasites qui viennent se nourrir des lambeaux de peau qui tombent.
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Nous voyons au loin une fusée Soyouz qui décolle. Le grondement résonne dans la vaste plaine. Poursuivie par
son nuage de fumées brûlantes, déjà elle est à plus d’un kilomètre d’altitude.
Bientôt il ne reste plus de la fusée qu’un point à peine visible.
Massive, il ne reste plus que la colonne de fumée qui, tel un escalier menant à l’Olympe, domine tout le
paysage ruiné.
Impressionnante, la fumée refroidie commence à se disloquer par paquets et à retomber sur le sol.
Magnifique dans l’obscurité de la nuit qui arrive, elle est rouge à son sommet visible, alors que son corps
désagrégé reste d’une blancheur mortelle et que sa base est d’un profond gris sombre.
Elle n’est maintenant plus qu’un brouillard menaçant et oppressant qui tombe sournoisement sur la ville blottie
sur elle-même.
Les vieux lampadaires à sodium déjà allumés alors que le soleil est encore à peine visible, ont bien du mal à
fournir leur précieuse lumière, réconfortante et sécurisante, à travers l’opacité de ce fumigène tant attendu par
les résidus de l’humanité qui hantent les ruelles de la ville basse. Il ne fait pas bon de rester dehors. Le nuage
artificiel tombe maintenant sur sa proie. La ville est violée une nouvelle fois par cet intrus trop puissant.
L’ouate nauséabonde qui envahit le cloaque couve la haine, la frustration, la rancœur et les tas d’immondices
éparpillés dans la ville.
Tout ne devient qu’impression. Le son perd de sa substance. Les formes perdent de leur netteté. Les odeurs sont
noyées. Le toucher devient visqueux. Tout chose est happée. Tous les reliefs fondent. Tout sentiment disparaît.
Toute vie se cache. Hagards, éternels errants, des oubliés parcourent les ruelles glauques effacées, gommées.
O toi passager, ne vient pas perdre ton âme dans les tentacules du doute de ce nuage qui a tué tant d’espérances
et d’attentes, qui a brisé tant de volontés et de déterminations, qui a semé tant de violence et de désespoir.
C’est le moment tant attendu par les hordes de motards pour venir casser, voler, piller, tuer.
Nous arrivons en ville.
La partie la plus imposante du nuage est maintenant passée. Elle est restée une bonne demi-heure dans la cité
basse pour jouir de sa puissance et de sa malfaisance.
La nuit est complètement tombée maintenant. La lune éclaire cet enfer où des sirènes de police tentent d’aider
quelques victimes. Parfois un coup de feu se fait entendre. D’autres fois, ce sont des hurlements. Entre deux
alertes, c’est le silence qui résonne. C’est le calme entre deux tempêtes. C'est le calme entre deux grondements
de décollages de fusées. La ville rongée par ce qui devait être son eldorado s’enfonce dans son lourd sommeil
angoissé pendant que le spatioport se prépare à une nouvelle relation inceste programmée pour le lendemain
après-midi.
Le sable sali suinte des sommets des bâtisses, transpire du sol et enlise les poumons.
Nous cherchons un petit hôtel. Cela nous prend un bon moment. Les noms des rues sont souvent inexistants ou
effacés, et quand ce n’est pas le cas, ils sont écrits en arabe ou en cyrillique.
Nous aurions presque besoin d’un guide pour trouver un endroit où dormir. Mais il nous enverrait pour sûr dans
un coupe gorge et nous ne reverrions jamais le lever du soleil. A cette heure-ci, il est aussi très risqué de tourner
en rond trop longtemps. Pourtant nous mettons une bonne heure pour trouver un petit hôtel pas trop crasseux.
Nous avons tellement peiné pour le dénicher qu’il nous semble génial.
L’Hôtel de Celinograd est son nom.
Une dizaine de véhicules est stationnée au-dehors. Ils ont leur capot ouvert ou carrément enlevé. Leur moteur
n’est pas protégé du tout. En effet, quand il fait trop chaud, si on veut rouler sans problème, le meilleur moyen
pour le ventiler est de laisser le vent s’engouffrer dedans. D’accord, du sable peut aller dedans… Et alors!? Il
faut mieux avoir du sable dans le moteur qu’avoir un moteur fondu!
Nous trouvons rapidement une place. Nous sortons finalement de la voiture. Marcher un peu nous fait beaucoup
de bien malgré la chaleur du climat, notre moiteur et notre torpeur. Nous avons passé tellement d’heures assis!
Quand nous entrons dans l’hôtel, il n’y a personne. Il n’est pourtant pas très tard. A peine dix heures. Nous
appelons le concierge.
Le regard vide, il arrive enfin en traînant la patte gauche. Visiblement, il est très atteint par les retombées
nocives des décollages. Crasseux, il n’arrête pas de se gratter les bras. A tel point qu’il saigne un peu à
plusieurs endroits. Des croûtes couvrent aussi sa joue droite. Natacha a un mouvement de révulsion en le
voyant.
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Il baragouine quelques mots en russe. Nous ne comprenons rien. Juarez met en place son traducteur universel et
nous en tend un à Natacha et moi.
Le vieux bonhomme pose à nouveau sa question.
- Que voulez-vous?
- Et bien, fait Juarez, nous aimerions beaucoup dormir une nuit ou deux ici.
- Hum…
Le type nous dévisage l’un après l’autre. Après avoir déshabillé Natacha du regard, il dit enfin:
- Si c’est pour faire des saletés ici, vous n’êtes pas les bienvenus.
Et sans attendre un mot, il commence à s’éloigner.
Juarez a jaugé le bonhomme et sait qu’il est inutile de dire que Natacha est ma femme. Il lance au bonhomme:
- Nous sommes des touristes. Nous vous payons en euros!
Le bonhomme s’arrête. Il ne fait toujours pas demi-tour. Il attend la suite.
- Nous vous payons la nuit cinquante euros d’avance!
Lourdement, le sale type se retourne enfin et dit:
- Cinquante euros par personne et c’est d’accord.
- Non, fait Juarez. Soixante euros au total et c’est tout pour deux chambres contiguës. Sinon on va voir
ailleurs.
- Bon, d’accord. Mais vous payez tout de suite.
Juarez paye le type qui enfoui aussitôt et avec avidité l’argent dans ce qui lui reste de poche de pantalon.
Telle une antenne massive de radiotélescope, il s’oriente enfin vers son tableau où plusieurs clés sont
accrochées.
Il réfléchit longuement pour savoir laquelle nous donner.
- Bon, on va pas y passer la nuit, non plus, dit Juarez pour le presser un peu.
Sans même se retourner, le type lui lance furieusement:
- Si vous êtes aussi pressé, fallait arriver plus tôt.
Finalement, il nous jette deux clés sur le comptoir.
- Chambres 14 et 16.
Juarez les prend et nous nous dirigeons vers la porte au fond de l’entrée. Dans un couloir pauvrement éclairé,
nous trouvons finalement notre chambre.
Elle n’est pas trop mal. Natacha appréhendait beaucoup après avoir vu le concierge, mais en fait la chambre est
habitable. Les draps semblent propres. Juarez entre dans sa chambre à côté. Elle est comme la nôtre. Nous
essayons la porte entre nos deux chambres. Elle s’ouvre sans problème. Si quelque chose arrivait dans l’une des
deux chambres, ça pourrait servir.
Après avoir fermé la porte donnant sur le couloir à clé et après l’avoir bloquée avec une chaise, nous vérifions
les fenêtres de chacune des deux chambres. Nous les bloquons avec les barres de douche, mais de telle façon
que les barres ne soient pas visibles de l’extérieur.
Enfin, nous sommes prêts à passer la nuit.
- Il vaut mieux faire des tours de garde, propose Juarez.
- Hum, dis-je.
Natacha ne dit rien mais hoche la tête.
- Je serai le premier cette fois-ci, dit-il.
- D’accord. Je serai la deuxième, dit Natacha.
- Bon, et bien je serai le troisième, conclus-je.
Nous commençons donc la nuit à Baïkonour dans le petit Hôtel de Celinograd.
Après une longue nuit reposante et réparatrice passée sans problème, les clameurs des marchands ambulants
nous réveillent. Je regarde à travers les persiennes de la fenêtre. La rue blanchie par les fumées des fusées est
parcourue de plusieurs marchands qui hèlent les passants et tentent d'attirer les habitants hors de leurs
appartements dans la rue. Leurs appels sont accompagnés du bruit des roues des charrettes qu’ils tirent avec
énergie et bonne humeur.
Ils avancent lentement et vantent les mérites de leurs boissons énergétiques, de leurs décoctions secrètes contre
les parasites qui minent la peau de la plupart des habitants, de leurs technologies de mise au point des
scaphandres spatiaux, de souvenirs crasseux ou encore de pierres lunaires que les nigauds sont censés s’arracher
à prix d’or. Aucune fusée n'a jamais atterri ici…
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Les persiennes en bois recouvertes d’une peinture blanche défraîchie laissent filtrer un peu de lumière dans la
chambre. Les rideaux diffusent les quelques rayons de soleil sur le tapis persan rouge, bleu et blanc au centre de
la pièce. La chaleur déjà importante termine de nous réveiller.
Après avoir pris une douche d'eau un peu jaunâtre, nous rejoignons Juarez dans le hall de l’hôtel. Là, c’est un
autre concierge qui nous accueille. Bien plus jeune que son collègue à qui nous avions eu à faire au milieu de la
nuit, il n’a pas plus de quinze ans. Il est en pleine discussion avec Juarez.
Il nous voit arriver. Natacha termine de mettre son voile sur sa tête.
- Bonjour Messieurs Dames, nous dit-il en anglais. Je suis Hiut. Pour vous servir.
- Merci, répondons-nous.
- Vous savez, Madame, dit-il à Natacha, vous n’êtes pas obligée de porter le voile ici. C’est seulement à
Karaganda ou dans quelques villages très pratiquants qu’il est obligatoire de le porter. Mais pas ici. Nous
nous voulons très libres. C’est d’ailleurs la devise de notre ville: « Tremplin Céleste des Voyageurs, Terre
d’accueil de la Liberté », nous dit-il fièrement avec un large sourire.
- C’est une très bonne nouvelle, fait Natacha qui s’empresse de l’enlever.
La perspective de garder ce voile sur la tête avec cette chaleur ne l’enthousiasmait guère.
- Je vous conseille quand même de le garder dans la poche. Ca peut servir si vous rencontrez des fous
d’Allah.
- Merci, dit Natacha avec un large sourire.
- Hiut est en train de m’indiquer la place du grand marché, nous dit Juarez. C’est le meilleur endroit pour
acheter des scaphandres spatiaux. Il peut nous y emmener. C’est pas très loin. En voiture, il n’y en a même
pas pour une demi-heure. Mais le meilleur moyen est de prendre un taxi. On ne peut pas se garer là-bas à
cause de la foule.
- Il peut nous y emmener maintenant? je lui demande.
- Oui. Mais il doit se faire remplacer à l’accueil de l’hôtel pour pouvoir nous accompagner. Il appelle son
cousin et nous y allons. Il n’en a que pour quelques instants.
- Okay, tentons le coup, dis-je.
- Vous voulez des scaphandres pas chers ou bien des scaphandres de très bonne qualité? nous demande Hiut
après avoir téléphoné.
- Nous en voulons trois d’excellente qualité, répond Juarez.
- Alors il ne faut pas y aller maintenant, dit Hiut. A cette heure-ci, on ne peut trouver que des scaphandres
pour les touristes. Il ne fait pas très chaud et c’est l’heure à laquelle les touristes se baladent dans les rues.
Par contre, pour acheter du bon matériel, il faut y aller à partir de dix heures. A ce moment-là, il fait
beaucoup plus chaud et il y a beaucoup moins de touristes. On ne trouve plus les mêmes marchands non
plus. C’est le moment le plus intéressant. Mais il ne faut pas y aller trop tard non plus, parce qu’après il n’y
a plus beaucoup de choix.
- Bon, il est neuf heures, dit Juarez. Il nous faut une demi-heure pour y aller, ça veut dire qu’on part dans une
demi-heure.
- Oui, c’est ça, répond Hiut. En plus, mon cousin aura le temps de venir me remplacer ici. Il faudra aussi le
payer. Faire l’accueil à l’hôtel, ce n’est pas son travail habituel. Et s’il ne vient pas pour me remplacer, je ne
peux pas vous accompagner et vous indiquer les meilleurs marchands.
- Hum, fait Juarez. Ca ne faisait pas partie du contrat initial.
- Ah si! se défend Hiut. Comment voulez-vous que je vienne vous aider sinon?
- On peut y aller tout seul dans ce cas, dit Natacha à Juarez.
- Oui, je crois que c’est ce qu’on va faire, répond Juarez.
- Il n’est pas cher du tout! s’inquiète Hiut qui craint de voir ses clients partir sans lui. Tenez, pour cinquante
euros et pas plus, il acceptera de me remplacer ici.
- Et puis quoi encore! s’exclame Juarez. Non, je ne suis pas d’accord. Non seulement c’est beaucoup trop
cher mais je ne suis pas d’accord sur le principe de le payer.
- Considérez alors que c’est une partie de ce que vous me donnerez pour me remercier de la qualité de mes
services, dit alors Hiut. Je suis d’accord de descendre à trente euros, mais je ne peux pas descendre en
dessous. Après ça, il repartira chez lui et je ne pourrai rien faire pour vous aider.
- Trente euros pour quelqu’un qui te remplacera pendant à peine deux heures, c’est très bien comme salaire,
ça! lui dit Juarez. Bon, je pense qu’on pourra trouver quelqu’un qui sera beaucoup moins cher que vous
deux. Parce que tu comptes nous demander combien pour nous aider comme ça?
77
-
Quasiment rien, se défend Hiut. Je ne vous demanderai que cinquante euros pour vous aider à choisir et à
marchander vos scaphandres.
- Hum,… Bon écoute ce que je te propose, dit Juarez à Hiut.
Le jeune kazakh boit littéralement les mots de Juarez.
- Je te donne tout de suite cinquante euros au total pour toi et ton ami. Et si on trouve trois scaphandres
comme on veut, alors je te donnerai une prime de cinquante euros supplémentaires. D’accord?
- Okay, that’s a deal, accepte immédiatement Hiut.
- Mais attention, pondère Juarez. Je ne te donnerai la prime des cinquante euros que si les trois scaphandres
passent les tests qualités du laboratoire qu’on choisira nous-mêmes.
- Hé, c’est pas ma faute si vous choisissez les mauvais scaphandres!
- Tu m’as dit qu’il n’y avait pas meilleur que toi pour nous aider à les choisir. C’est à prendre ou à laisser, dit
Juarez fermement.
- Okay, c’est d’accord, dit finalement Hiut.
Et il ajoute avec un large sourire qui dévoile toutes ses grandes dents blanches:
- Vous verrez que vous avez eu raison de me faire confiance.
Ils viennent à peine de terminer leur marchandage que le cousin de Hiut arrive.
Les deux kazakhs parlent rapidement pendant quelques secondes. Le cousin est assez content du marché que
vient de passer Hiut, mais il essaye de ne pas nous le montrer.
- On peut y aller, mais il faut que tu nous payes d’abord, dit Hiut à Juarez.
- Je te donne cinquante euros maintenant. Je te donnerai j’espère les cinquante euros de prime à la fin, si ce
qu’on trouve est à la hauteur de mes espérances.
Hiut s’empare de l’argent et donne vingt euros à son cousin.
Quand nous sortons de l’hôtel, nous voyons que notre voiture est toujours là. Il est vrai que notre long périple
l’a bien fatiguée. Même les vandales du coin n’ont pas cherché à perdre du temps avec. Ce n’est plus qu’un
reste de carcasse poussiéreuse déjà en grande partie à l’abandon.
Hiut hèle un taxi et nous nous engouffrons tous les quatre dedans. Nous marchandons deux secondes pour
déterminer le prix de la course puis nous démarrons. Le chauffeur conduit comme un pilote de rallye. Virages
en aveugle en dérapages contrôlés. A chaque angle de rue, nous laissons un immense nuage de poussière qui
part s’abattre lourdement sur les passants. Déjà cependant, le goudron des rues est suffisamment chauffé par le
soleil et une bonne partie du sable y reste collé. La circulation est incroyable. Hyperdense, elle est composée
d’un mélange hallucinant de voitures allant toutes plus vites les unes que les autres. A chaque coin de rue, les
véhicules klaxonnent pour signaler leur arrivée. Les camions ne sont pas en reste non plus. Nous progressons
ainsi dans une circulation poussiéreuse dans une cacophonie qui aurait pu être orchestrée par Jean-Michel Jarre.
Par endroits, nous voyons des feux tricolores. Mais ils ne servent que pour le décor. Pas un conducteur ne prête
attention à la couleur du feu de signalisation. A un moment donné, nous arrivons à un grand carrefour pour
emprunter une autoroute intérieure de la ville. Des voitures, des camions et des mobilettes viennent de partout,
vont partout, lentement ou rapidement, se croisent et s’évitent, comme s’il s’agissait d’une chorégraphie
mécanique bien huilée.
Un détail nous surprend néanmoins. A chaque carrefour se trouve un soldat Kazakh. Parfois, c’est une voiture
militaire qui est en faction, une autre fois il y a une guérite de l’armée dans un coin, d’autres fois enfin, c’est un
soldat qui regarde le flot continu des voitures.
- Pourquoi y a-t-il autant de militaires dans les rues, je demande à Hiut.
- Ils se méfient des islamistes. De temps en temps, une bombe explose dans les rues. Ne vous inquiétez pas:
la dernière a sauté l’an dernier. Depuis, c’est redevenu calme.
- Le spatioport doit être particulièrement protégé! fait Juarez innocemment.
- Oui, les systèmes de sécurité électroniques sont complétés par une surveillance satellite continuelle et par
des patrouilles humaines et robotiques aléatoires.
- Pfiouh!… Je suis rassuré pour eux! Ils ne risquent rien alors.
- Ouais, se vante Hiut. En fait, c’est ce qu’ils croient. Pourtant, si vous regardez bien, une bonne partie de la
population utilise les propergols des fusées pour les cuisinières. Et on ne peut s’en procurer nulle part
ailleurs que dans le spatioport! Alors vous savez, question sécurité!…
Juarez ne continue pas la discussion sur ce sujet pour ne pas éveiller de soupçons ni de la part de Hiut ni de la
part du chauffeur du taxi.
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Mais intérieurement nous sommes tous les trois très contents de voir que la réputation du sport local est bien
fondée.
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8- Mes beaux scaphandres!
Nous arrivons finalement au marché principal de Baïkonour.
C’est tout simplement dantesque. L’animation de la circulation dans les rues n’était qu’un apéritif au bordel
régnant. Les gens sont agglutinés les uns aux autres dans un brouhaha inimaginable. Au milieu d’un immense
nuage de poussière qui s’élève dans le ciel puis retombe lentement vers le sol, qui pulse comme les battements
d’un cœur fatigué au gré des allées et venues de la foule, planent de nombreux parfums et senteurs d’orient.
Les marchands de tapis, de bijoux, de souvenirs ornés de mille et une manière, en bronze, en toc ou en or
côtoient les disquaires ambulants vantant les mérites des derniers logiciels à la mode. Les marchands de
matériel électronique exposent çà et là leurs ordinateurs sur les mêmes étalages que les jardiniers qui vendent
leurs fruits et légumes de toutes les couleurs. Il est visible que la mode est au kiwi bleu aux feuilles rouge
orangé. Plus loin on voit des troupeaux de chèvres, de moutons et d’agneaux parqués. L’odeur y est nettement
plus forte. Des musiciens jouent du dernier tube avec leurs synthés à commande vocale.
Et partout les gens qui se déplacent dans une cohue incroyable. Les couleurs des étoffes se mélangent, des
marchands ambulants de pâtisseries suivent la foule, d’autres avec des narguilés proposent aux passants
quelques bouffées apaisantes de tabac senteur pomme, kiwi ou caramel. On passe devant un vendeur de boisson
au kharkadé qui vante l’origine naturelle des feuilles de son breuvage, directement importées d’Egypte.
Et toujours ce nuage de poussière, de sable et de poudre brûlée mélangés.
Au milieu des bousculades, à travers les attroupements de badauds autour de stands, au milieu de la cohue du
bazar, nos poches sont régulièrement visitées par les pickpockets. Heureusement que nous disposons de
portefeuille en peau artificielle. D’une texture qui copie celle de la peau de son porteur, d’une couleur
identique, ils sont tellement bien collés à nous et sont tellement bien camouflés que nous ne risquons pas grand
chose. Il arrive parfois que certains touristes étourdis croient avoir été volés alors qu’en fait ils n’arrivent plus à
les retrouver!
Natacha est aux anges. Elle qui adore flâner passe devant de multiples échoppes où l’on peut boire le jus de
fruit qui est pressé devant le consommateur.
On pensait avoir affaire à une chaleur écrasante sur l’immense place du marché, mais il n’en est rien.
Grâce à de multiples panneaux solaires disséminés sur les pourtours de la ville, il y a suffisamment d’énergie
pour activer les nombreux climatiseurs extérieurs. La place est ainsi baignée dans une fraîcheur constante, et la
température avoisine ainsi les trente degrés, ce qui est tout à fait supportable. Certains climatiseurs sont en
panne et d’autres très bruyants arrivent en bout de course, mais le résultat est globalement efficace.
J’ai du mal à entendre Natacha lorsqu’elle m’appelle pour me montrer des bijoux ou des objets exotiques.
Partout, les marchands haranguent la foule et expliquent comment utiliser le tout dernier modèle de robot
ménager ou bien ils détaillent aux femmes curieuses comment préparer la dernière recette locale du poulet rôti
pétillant, au Coca-Cola, au coriandre, accompagné de confiture d’airelles.
Hiut continue à nous guider à travers ce dédale d’échoppes, à travers ce dédale de couleurs, de senteurs, de
bruits et de mouvements.
Finalement, nous arrivons dans une partie du marché plus calme. Là, les ménagères y sont absentes. On y
trouve plutôt les bricoleurs qui cherchent le modèle de laser qui leur convient le mieux pour réparer leur
plomberie, la colle génétique qui soude les planches en bois et on y trouve aussi les aventuriers qui cherchent
un scaphandre au cas où leurs aventures les amèneraient à aller dans l’espace. Mais ils les achètent le plus
souvent pour la frime, tout simplement.
Néanmoins, nous ne nous arrêtons pas devant les quelques stands qui proposent de tels appareils. Heureusement
d’ailleurs. Au moment où on passe devant l’un d’eux, en démonstration, son respirateur se met à chauffer si vite
et si fort qu’il commence à fondre. Une épaisse fumée envahit aussitôt l’intérieur du scaphandre. Heureusement
qu’il n’y avait personne dedans!
Nous nous engageons maintenant dans une série de ruelles étroites. Elles sont de moins en moins bruyantes et
de moins en moins peuplées.
- Hé, Hiut, où nous emmènes-tu? demande Juarez. Je croyais que tu nous avais dit que c’était sur la place du
marché!
- Oui, mais c’était avant que tu me dises que tu en voulais de bonne qualité. C’est un peu plus loin là où nous
allons.
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Sa remarque nous fait sourire et nous continuons à nous éloigner de la place du marché. Au bout de deux
minutes, nous débouchons sur une artère importante de la ville de Baïkonour. La circulation y est dense,
bruyante et poussiéreuse.
- Voilà, c’est ici, nous dit-il en nous montrant du doigt un magasin récemment retapé.
- Hum, ça n’a pas l’air trop mal à première vue, dit Natacha.
- Moui, dis-je avec une pointe de scepticisme. Attendons de voir à l’intérieur ce qu’on nous propose et à quel
prix.
Un employé très courtois vient nous accueillir.
- Bienvenu Messieurs Dames.
- Je vous amène des clients, dit Hiut.
L’employé lance un regard discret à notre guide. Je comprends immédiatement que si l’affaire se conclut ici,
alors il aura droit à une prime supplémentaire de la part du magasin. Notre guide ne se débrouille pas si mal,
tout compte fait…
- Que voulez-vous acheter? Nous disposons du dernier cri de la technologie américaine. Nous avons des
scaphandres signés Armstrong et d’autres de très bonne facture locale ou japonaise.
- Nous en voulons de très robustes, dit Natacha. La solidité est notre priorité dans ce que nous recherchons.
- Oh, ils le sont tous, mais ceux qui le sont le plus sont très certainement ceux fabriqués à Calcutta en Inde, de
la marque Nabatwada. Ils sont entre autre utilisés pour les travaux lunaires de perçage des tunnels.
- Hum, c’est possible, mais nous ne voulons pas acheter de matériel fabriqué par des enfants. Donc pas ceux
de Calcutta, s’il vous plaît.
- Vous avez tort, ils sont très solides, vous savez! Mais c’est comme vous voulez, répond le vendeur avec
déférence. Je peux alors vous proposer le dernier modèle local que nous venons juste de terminer. Il est déjà
homologué virtuellement. Il doit l’être réellement dans les semaines qui viennent. Dès qu’il le sera, son prix
sera bien entendu multiplié par dix environ.
- Je ne suis pas d’accord de m’aventurer ainsi, répond Natacha.
- Pourtant, si je peux me permettre d’insister, je vous le recommande personnellement. Les tests ont montré
qu'il était presque aussi résistant que le Nabatwada. Bien entendu, vous pourrez le faire tester par des
laboratoires indépendants, nous rassure le vendeur.
- Oui, c’est ce que nous ferons de toute façon, lui dit Juarez.
- Voici le modèle en question, continue le commercial.
Un vaste panneau lumineux détaille avec force de couleurs et de mouvements la combinaison proposée.
- Comme vous pouvez le constater, cette combinaison comporte un système de propulsion de secours. Vous
disposez de vingt secondes, ce qui est largement suffisant pour revenir vers le vaisseau spatial en cas
d’éloignement accidentel. Ce système de propulsion fait double emploi, puisque qu’il utilise de l’oxygène
sous pression. Vous pouvez soit l’utiliser en tant que ressource ultime pour respirer et gagner trente minutes
pour rentrer, soit en tant que propulseur pour vous ramener à la maison. De toute façon, vous possédez une
réserve d’oxygène pur de dix heures.
- C’est pas mal, dit Juarez.
- Tout son tissu externe est recouvert de cellules photoélectriques qui aide à recharger les batteries en cas
d’utilisation prolongée de la combinaison. Son tissu interne est enduit d’un produit qui évite à la peau de
consommer trop d’énergie en perte de chaleur. Ce n’est pas cancérigène, et c'est comme ça que vous gagnez
trois heures d’autonomie grâce à l’oxygène que vous économisez.
- Hum hum, fait Natacha en approbation.
- Chaque combinaison est accompagnée d’un petit robot magnétique autonome qui se balade sur votre
combinaison et qui permet de réparer des défaillances éventuelles qui sont dues soit à une mauvaise
programmation de la combinaison par son utilisateur soit à des accidents. Comme vous pouvez le constatez,
il n’est pas bien gros. C’est une espèce de petit cube de vingt centimètres de côté sur dix de hauteur qui se
déplace grâce à ses aimants électromagnétiques. Vous êtes aussi munis d’une balise spatiale Argos, d’un
harpon magnétique attaché à une cordelette en papier ultrarésistant de trois cent mètres de long.
- Tout cela est très bien, mais quelle est l’autonomie du système de climatisation? je demande au vendeur.
- Son autonomie est illimitée. Enfin, tant que vos cellules photoélectriques peuvent recharger vos batteries, se
reprend-il.
- Quel est le mode de programmation du drone de réparation?
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Il est programmé avec le tout nouveau langage Doovea, c’est-à-dire le Dynamic Object Oriented Virtual
Evolutive Ada, porté sur le système d’exploitation Linux 9. Il est déjà homologué. Son mode de
programmation respecte les lois fondamentales de la robotique d’Isaac Asimov. Ainsi, il ne peut pas
s’attaquer à vous et fera tout pour vous protéger.
- Est-il possible de désactiver ce mode?
- Pourquoi feriez-vous ça? Ce serait du suicide!
- Est-ce qu’on peut le faire pour une raison X ou Y?
- Si vous voulez vraiment faire ça, le seul moyen en fait est de le déconnecter. Vous pouvez toujours le
reconnecter après.
- La perte de chaleur de la combinaison est importante?
- Non, comme je le disais un peu plus tôt, tout est fait pour éviter ça. Accessoirement, on ne peut absolument
pas vous repérer avec un détecteur infrarouge. Seuls un détecteur de mouvement et un détecteur de forme
peuvent vous voir.
- Quel poids fait-il?
Le regard du vendeur s’illumine. Avec un sourire, il répond:
- Ca n’a pas d’importance dans l’espace! Mais il est vrai que par habitude on pose toujours la question! Et
bien il pèse moins de trente kilos. C’est un des plus légers de tous nos modèles.
- Pas mal, et quelles tailles avez-vous?
- Hé bien, voyons voir,… dit le vendeur en nous regardant. Le scaphandre est pour lequel de vous trois?
- Ca dépend de combien ça coûte, dit Juarez.
- Et bien voyons voir ça dans mon bureau, fait le commerçant soupçonneux, mais l'œil encore plus brillant.
Après nous avoir fait s’installer confortablement dans les sièges visiteurs de son bureau, il dit:
- Et bien, c’est notre tout dernier modèle. Il est tout neuf. Il est à cinquante mille euros. Si votre taille dépasse
les deux mètres, alors vous ajoutez deux mille euros tous les centimètres. Mais je vois que ce n’est pas votre
cas.
- Hum, et si on vous en prend deux, ça coûte combien?
Le vendeur est stupéfait. Il est vrai qu’il en vent rarement plusieurs d’un seul coup. En fait, d’habitude,
l’acheteur, qui est souvent un touriste, se fait accompagner par ses amis surtout pour frimer. Mais là! En vendre
deux d’un coup! Et ce modèle!
Il se reprend en quelques fractions de secondes. Très professionnel, il réfléchit à toute allure et dit alors:
- Et bien,… je peux descendre à quatre vingt dix mille euros, dit-il.
- Hum, je m’attendais à une offre plus attractive de votre part, fait Juarez.
- Je veux bien vous offrir le test qualité, mais je ne peux pas baisser le prix.
- Ce que vous nous dites comme prix, c’est deux fois plus cher que ce qu’on peut trouver sur le marché à
New-York ou à Miami.
- Oui, mais vous ne trouverez pas ces modèles là-bas.
- Les modèles qu’on pourra trouver là-bas sont homologués en plus.
- Je veux bien descendre à quatre vingt mille euros, mais il faudra me payer en espèces.
- Hum, mais si on paye en espèces, ça veut dire que vous ne déclarerez pas la vente. Si on a un problème, on
ne pourra pas revenir vous voir. Avec une somme pareille, on prend un risque. Je suis d’accord de vous en
prendre deux comme ça mais à soixante-dix mille euros, avec une garantie d’une semaine pour avoir le
temps de les faire tester par un laboratoire indépendant.
- Vous me mettez le couteau sous la gorge, se défend le commerçant.
Il réfléchit deux secondes, puis dit:
- D’accord.
- En fait, continue Juarez, je souhaite vous en prendre trois. Je vous prends le tout pour quatre-vingt dix mille
euros.
- Vous en voulez trois?!
- Oui.
Le marchand manque de s’étrangler.
- Cent mille est c’est d’accord, dit-il presque en un réflexe.
- Allons, croyez-vous que vous pourrez vendre tous les jours pour quatre-vingt dix mille euros? Et cash?…
Réfléchissez vite et bien, lui conseille Juarez. C’est pas tous les jours que vous pourrez faire une telle
affaire.
Le marchand est littéralement débordé par la commande qui s’offre à lui.
-
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D’accord pour quatre-vingt dix mille euros. Mais vous me donnez trente mille euros de réservation. Vous
me paierez le reste à la livraison.
- C’est correct, dit Juarez. Pour la livraison, nous viendrons les chercher ici.
- Je les aurai demain matin. Vous pouvez passer vers dix heures pour les prendre.
- Et bien c’est parfait, dit Juarez en donnant les trente mille euros d’avance au marchand.
Le commerçant lui donne une reconnaissance d’avance.
Nous partons nous faire ausculter pour que son équipe nous ait précisément pesés, pris toutes nos mensurations,
noté jusqu’au pigment de nos pupilles, testé nos pouls, taux d'oxygénation du sang, vitesse de respiration,
résistance à l'effort, taille musculaire de tous nos membres, densité de nos os, ouïe, élasticité de la peau, …
Les examens infiniment précis sont aussi ultra rapide, et au bout d'une heure à peine nous pouvons partir.
-
Hiut nous attendait dehors.
- Comment ça c’est passé, demande-t-il avec une vive curiosité en pensant à son argent.
- Très bien. Ca a très bien marché. Tiens, je te donne cent euros pour ta peine.
- Cool! Je vous avais bien dit que je connaissais le meilleur fabricant de scaphandres de la ville!
- T’es le meilleur, le flatte Juarez.
Très fier de lui, Hiut nous raccompagne vers le capharnaüm du marché.
Sur le chemin du retour pendant que Natacha flâne quelque peu devant les échoppes et les stands des
marchands incroyablement nombreux sur la place du marché, Hiut bavarde avec Juarez.
L’air comploteur, il s’approche plus près de lui:
- Tu sais, vous qui vous intéressez tant à l’espace, vous devriez être très intéressés par une visite du
spatioport.
- Oui, dit-il. Nous comptons visiter la base de lancement cet après-midi.
C’est la réponse qu’attendait Hiut.
- Vous allez perdre votre temps. Je sais par cœur ce qu’ils montrent aux touristes. Ca vaut vraiment pas la
peine. Vous verrez mal le décollage, vous serez pile sous les retombées directe de la colonne de fumée, et la
moitié des explications est fausse. C’est très drôle d’ailleurs de voir tous ces cons de touristes ressortir
blancs comme des linges se gratter furieusement la peau. Des fois, on y va avec des copains pour leur
vendre de l’acide en leur faisant croire que c’est un savon spécial. On s’éclate bien!
- D’accord, fait innocemment Juarez. Si tu dis ça, c’est que tu vas nous dire que tu connais un autre moyen
pour le visiter… Mais je suis pas certain d'être intéressé.
Natacha et moi somme très attentifs quant à la tournure que prend leur bavardage.
- Hé, je suis le meilleur, c’est toi-même qui l’a dit!
- C’est hyperprotégé ! Je crois que sur ce coup là c'est trop fort pour toi.
- Pas du tout!, fait Hiut, défié. Je connais des trucs très intéressants. Ca t’intéresse?
- Je serai déçu de repartir de Baïkonour sans avoir pu visiter l’astroport, dit simplement Juarez en guise
d’affirmation.
- Ouais, j’te comprends. Même si ce sale truc bousille complètement la ville, il est fascinant. Et puis, vu
comment il nous déglingue la santé, si on peut même pas s’faire un peu de bénefs sur son dos, c’est plus la
peine! Autant s’en débarrasser!
- J’ai cru comprendre aussi que les réserves de propergols attiraient beaucoup de monde…
- J’en n’ai jamais entendu parlé, nie faussement Hiut.
Juarez se rend compte que ce sujet est tabou par ici. Autant ne pas continuer dans cette direction. Il revient alors
sur la visite du site.
- En tout cas, d'accord. Ca m'intéresse de voir ce que tu peux nous proposer pour remplacer la visite classique
du spatioport.
- Okay. Mais ça vous coûtera un peu plus cher.
- Combien? demande Juarez.
- Et bien, puisque c’est moi qui vous mettrai en contact avec mes amis et qui vous cautionnera auprès d’eux,
vous me donnerez deux cent euros. Et pour mes amis, ça vous coûtera mille euros.
- Ca fait beaucoup. Pourquoi autant?
- Parce que c’est risqué et qu’on vous assure la sécurité de la visite.
- J’espère que ça vaut le coup… J’espère aussi que c’est pas une arnaque! lui dit Juarez pour le provoquer.
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-
Attends! répond Hiut du tac au tac. Tu crois que je te proposerai un truc pareil et aussi cher si ça valait pas
le coup?!
Juarez le fixe un court moment.
- Je sais pas. Qu’en pensez-vous Natacha et Yann?
- Hum, je pense qu’on peut risquer le coup, fait Natacha. Mais mille deux cent euros au total, ça fait cher.
- Je le pense aussi, dis-je. Cinquante euros et c'est OK.
Hiut réagit:
- Va pour cent euros pour moi. Mais ils n'accepteront pas de le faire en dessous de mille euros.
- OK, dit simplement Juarez.
- Ca serait dommage de rater ce genre de visite, non? lui dis-je.
- Okay, conclut Hiut. Rendez-vous ce soir au Café des Allumés. C’est pas très loin d’ici. Tous les chauffeurs
de taxi savent s’y rendre. Par contre, il faudra que tu passes assez inaperçue, dit-il à Natacha. C’est pas un
endroit recommandable pour une femme comme toi. Si trop de gens te voient entrer, mes amis risquent
refuser de faire affaire avec vous. Ca deviendrait trop risqué.
- Entendu, je serai très discrète, dit Natacha.
- Donc à ce soir à vingt deux heures, c’est-à-dire après le décollage.
- A ce soir, dit Juarez.
Nous regardons Hiut s’éloigner pour aller préparer le rendez-vous.
En attendant, nous décidons de faire quelques provisions pour notre départ que nous espérons le plus rapide
possible. On ne peut pas se permettre de perdre du temps. Chaque jour compte. Il est possible que le BDC
décide à tout moment de faire sauter le tout nouveau radiotélescope sur la face cachée de la Lune. Il faut à tout
prix les en empêcher.
Ou au moins pour avoir le temps d'utiliser le radiotélescope avant qu'il ne saute.
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9- Le Café des Allumés
Lundi 26 juillet 2066, 21h52 heure locale
Le taxi nous dépose à la porte du Café des Allumés. C’est un endroit sordide. Nous avons roulé pendant que le
nuage de fumée toxique tombait sur la ville. La plus grande partie est maintenant passée mais les odeurs
d’acides chaudes et sèches sont encore suffocantes.
Il n’y a absolument personne dehors. C’est normal, il faudrait être fou pour y rester à un moment pareil. En
sortant du taxi, nous nous dépêchons d’entrer pour éviter d’être longtemps au contact de ce nuage toxique. A
l’intérieur, l’établissement est très bien éclairé. Il y a énormément de monde. Un spectacle a lieu sur la scène:
des danseuses présentes sur la scène répondent par danses interposées à d’autres danseuses qui sont visibles sur
un écran vidéo géant.
Nous trouvons avec difficulté une table vide dans une alcôve dans un coin et nous nous y installons. Nous
sommes un peu à l’écart. C’est tout à fait ce que nous voulions.
Un serveur arrive.
- Vous arrivez pile au moment où c’est la finale entre nos danseuses et celles du bar des Balkans, de l’autre
côté de la ville. Si nous gagnons, ça sera la fête toute la soirée! Pour arroser ça, je vous conseille notre
vodka avec une rondelle de patate douce senteur pomme. La vodka est infusée depuis trois semaines. C’est
la spécialité de la maison. On y met aussi quelques épices. La recette est secrète, mais le résultat fait notre
publicité!
- Okay, va pour ça, dis-je. Ca s’appelle comment?
- C’est le cocktail de la Lune Maléfique. Pour vous aussi? demande le serveur à Juarez et à Natacha.
- Pour moi aussi, dit Juarez.
- Ca me paraît un peu fort, répond Natacha. Vous n’avez rien d’un peu moins fort et d’un peu plus sucré?
- Je vous propose la Colonne Ensorcelée. C’est une colonne de lait de coco au milieu d’un verre de Malibu au
caramel. Il y a aussi quelques épices bien sûr.
- Je vais prendre ça alors. Merci.
Le serveur disparaît au milieu de la foule aussi soudainement qu’il en avait surgit.
Il ne s’est pas écoulé deux minutes qu’il revient avec nos boissons.
La Colonne Ensorcelée représente à s’y méprendre la colonne de fumée des lanceurs spatiaux. La rondelle de
patate douce est aussi une excellente représentation de la Lune. En faisant attention, on peut voir que le soucis
du détail va jusqu’à y représenter un morceau de carte de la Lune.
Le spectacle atteint maintenant son paroxysme. Quelques danseuses en ont complètement perdu leurs
costumes… Plusieurs clients saouls ont été jetés dehors. Ils sont montés dans des taxis qui, pour un prix d’or,
vont les ramener à leurs hôtels. Nous ne le savons pas encore, mais l’un d’entre eux s’est fait ramasser par un
faux chauffeur de taxi. Il va se faire dévaliser en moins de cinq minutes, sera éjecté du véhicule dans un lieu
abandonné de la ville et aura de la chance s’il parvient à rejoindre son hôtel en vie.
Nous goûtons tous les trois à nos breuvages, quand je remarque Hiut qui nous cherche dans le café. Il nous
aperçoit au loin et vient vers nous:
- Salut Hiut, lui dit Juarez.
- Salut, dit-il. Mes amis ne sont pas encore là mais ils m’ont dit de vous faire patienter. Ils veulent vous
rencontrer.
Il hèle un serveur et lui lance de loin:
- Une Maléfique!
Celui-ci hoche simplement de la tête et revient au bout d’une minute avec la boisson demandée.
- La compétition de danse attire toujours autant de monde. C’est pas mal, mais ils devraient se renouveler.
Enfin,… je vous conseille de ne pas parier sur les danseuses du bar des Balkans. Cette semaine, c’est nous
qui devons gagner. On dit aux abrutis de touristes que c’est la finale annuelle, mais elle a lieu toutes les
semaines! Ca rapporte pas mal de fric!
Un client ivre mort se fait traîner lamentablement dehors. Aussitôt, quelques chauffeurs de taxi se précipitent
pour lui faire les poches puis le laissent inconscient dans la poussière acide. De toute façon, il est dans un coma
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éthylique bien avancé. Il en a pour la nuit complète. Demain quand il se réveillera, il n’aura plus que ses jambes
pour le ramener à son hôtel. A moins que le pote avec qui il est venu ne l’aide à rentrer…
Je me tourne vers Hiut:
- Tes amis doivent arriver dans combien de temps?
- Faut pas te tracasser, fait-il. Ils vont pas tarder. Et puis on s’amuse bien ici!
Deux minutes plus tard, les juges, très dignes, un verre de bière à la main, montent sur la scène. L'un d'eux
néanmoins trébuche sur une marche et lâche son verre qui explose par terre.
La foule de spectateurs éclate de rire. Le bonhomme se reprend, salut la foule et termine d'arriver sur la scène.
Ils annoncent les résultats. Comme prévu, c’est le Café des Allumés qui gagne. Les juges du bar des Balkans
protestent vivement. C’est tout à fait comme si on revivait un remake des « Jeux sans Frontières », cette vieille
émission télévisée française de la fin du siècle dernier.
Finalement, après avoir encore excité leurs clients, ils confirment le résultat.
Hiut est aux anges. Terminant son verre, il nous dit:
- Il arrive parfois que quelques clients soient si bourrés qu’ils décident de rejoindre le bar adverse pour tout y
casser. Mais dans ce cas, les videurs du bar concerné sont prévenus et ils les attendent de pied ferme. Quand
ça arrive, c’est très drôle! Mais il vaut mieux ne pas montrer le bout de son nez dehors. Les balles fusent! Et
une balle perdue est si vite attrapée!…
Aucun de nous trois ne lui répond. Enfin, il nous avait prévenu que ce bar n’était pas tellement
recommandable…
Quelques minutes plus tard, alors qu’un spectacle plus calme a repris, Hiut voit un groupe louche entrer. Il se
dégage une aura malsaine de ce groupe.
- Attendez-moi là. Je reviens, nous dit-il.
On le voit discuter quelques secondes avec le type le plus frêle du groupe. Apparemment, c’est le chef.
Il nous observe, fait signe à ses hommes d’aller s’amuser, et s’approche de nous.
Sale, avec un fort accent, un vieux traducteur sur la glotte, il s’assoie sur la chaise vide laissée par Hiut.
- Alors, c’est vous les touristes qui sont à la recherche d’émotions fortes et de visites surprises du site
spatial!?
- C’est ça, dis-je.
- Hum…
Fixement, froidement, il me dévisage, se penche vers moi et me dit:
- Qu’est-ce que vous voulez exactement?
- D’abord voir ce dont vous êtes capables. Après on verra.
- Comment ça on verra?!… Je ne suis pas une petite pute qu’on essaye un coup pour voir! J’ai la possibilité
de vous faire visiter les lieux les plus secrets, les plus sensibles et les plus dangereux de la base de
lancement. Là où je peux vous emmener, c’est même plus la prison que vous risquez. Ils tirent à vue là-bas.
Et ils sont chatouilleux de la gâchette. Mon père a été fusillé pour crime contre l’humanité au moment de la
guerre du Kosovo. Il est hors de question que je finisse comme lui. C’était un enfoiré de première de toute
façon. Il n’a eu que ce qu’il méritait. Alors je te repose une dernière fois ma question: qu’est-ce que tu veux
exactement en allant visiter la base avec moi et mes hommes?
Je tente le tout pour le tout.
- Je veux monter à bord d’un lanceur Soyouz.
Il est éberlué. Etonné, il réfléchit deux secondes et explose de rire.
- C’est ridicule! Et tu comptes faire comment? Personne n’acceptera de prendre le risque de t’amener aussi
près d’un engin en instance de décollage. C’est justement le moment le plus surveillé par tous les
ingénieurs. Les satellites de surveillance te suivront tranquillement. Ils te verront passer devant leurs
caméras et l’instant d’après tu seras fusillé!
Il se tourne vers Hiut et lui lance:
- Je pensais que c’était une affaire sérieuse que tu m’avais amenée! Ne t’avises plus de me refaire déplacer
pour une connerie comme ça!
- Hé! Là! lui dis-je. Je croyais que tu pouvais aller aux endroits les plus sensibles, inaccessibles et les plus
dangereux? C’était par vantardise ou quoi?!
Méchamment il me regarde et dit:
86
Ecoute mon pote, c’est pas la peine d’insister. Ce que tu veux faire, c’est te suicider. Alors si tu continues à
me parler comme ça, je vais t’aider.
- Ecoute ce que j’ai à dire. J’ai un plan et tu peux m’aider.
- T’es têtu! T’as pas entendu ce que je t’ai dis?
Je vais pour répondre, mais Juarez intervient et tente de calmer un peu la discussion:
- Sérieusement, on a un plan. Si tu nous laisse te l’expliquer, alors tu nous diras si tu acceptes de nous aider
ou pas. Qu’en penses-tu?
Le type ne cesse de me dévisager, et sans tourner la tête, il répond:
- Okay. Vas-y. Mais j’espère que tu ne le regretteras pas.
Juarez se lance alors dans l’explication de notre plan:
- Tu sais aller où bon te semble dans la base. Ce qu’il nous faut, c’est accéder au sommet d’un des Soyouz en
partance. Quelques minutes avant le décollage, on peut provoquer une panne électrique. Toutes les caméras
vidéos seront HS pendant quelques minutes. Il reste le satellite qui surveille la base H 24. Ce n’est pas
gênant si on arrive suffisamment près du lanceur. Les tuyaux au-dessus de nous nous protègent de ses
caméras. En plus, on aura la possibilité d’avoir des combinaisons de camouflage. De là, on monte dans le
poste de pilotage et le tour est joué. On attend environ une ou deux heures le temps qu’ils retestent toutes
les caméras, et on part.
- Hum… Et tu fais comment pour monter dans le poste de pilotage?
- Avec des ventouses magnétiques motorisées qui nous hisseront au sommet de la fusée.
- Ouais, et les mouchards qui hurleront dès que vous ouvrirez le sas du poste de pilotage?
- Non, puisqu’on aura provoqué une panne électrique.
- Je ne sais pas si t’es au courant, mais avec une panne aussi importante, qui coupe jusqu’aux circuits internes
de la fusée, vous risquez rester dans la fusée sans décoller au moins cinq à six heures. Le pire serait qu’ils
repoussent le lancement d’une journée complète. Vous serez alors complètement bloqués dedans. Et pas
possible de recouper le courant pour vous faire sortir. Ce que t’auras, ça sera un aller simple pour l’enfer.
Ne compte pas sur moi pour te sortir du pétrin!
- On prend le risque de rester bloqués plusieurs heures dans la cabine de pilotage. Dès qu’on sera rentrés,
vous ne vous occuperez plus de nous.
- Ca, t’as pas besoin de le dire! répond le frêle bonhomme, narquois.
Il réfléchit un court instant et dit:
- Ca te coûtera un max.
- Tu veux combien?
- Vingt mille dollars.
- Je te donne trente mille euros. Dix mille maintenant et vingt mille de reste juste avant de monter dans le
Soyouz.
- Et ben, pour payer autant, ‘faut qu’tu sois vachement cinglé mon pote! Je suis pas responsable si t’as une
case en moins. Pour moi, c’est d’accord.
- Il y a quelques détails à régler.
- Attention, le prix va encore grimper! fait le bonhomme.
- Non, ça n’ajoute aucun danger. On veut être sûrs que le poste de pilotage va suivre le container jusqu’à la
Lune.
- Pas de problème. Ils y vont presque tous. C’est facile à vérifier en piratant les ordinateurs de la base de
lancement.
- On veut monter sur un lanceur qui doit rejoindre la Mare Moscoviense.
- Pas de problème mon pote. Presque tous les lanceurs qui partent d’ici y vont en ce moment. On vérifiera sur
le planning des lancements. Vous partez tous les trois?
- Oui.
- Quand?
- Dès qu’un lanceur adéquat correspondra à ce qu’on veut. Si c’est demain soir, a priori, y’a pas de problème.
- Bon, et bien on va voir tout de suite quand vous pouvez partir.
-
Il appelle un de ses hommes qui arrive aussitôt.
- Amène-moi un portable.
L’homme s’éloigne et revient au bout de trente secondes avec un ordinateur.
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Bon, je me connecte sur le site internet du spatioport. Le planning est là… Il y a un décollage prévu demain
soir à vingt et une heures. Il doit rejoindre la Mare Moscoviense avec son poste de pilotage.
Le bonhomme me regarde et dit:
- T’as du bol mon petit père. Ta fusée décolle demain soir. Rendez-vous ici demain à quinze heures. Soyez à
l’heure.
- Pas de problème. A demain donc.
- Et n’oubliez pas le fric, ça serait dommage pour vous.
- Ne t’en fais pas, répond Juarez. On l’aura. A demain.
-
Nous partons finalement du café des allumés. Nous montons dans un taxi et une heure plus tard nous sommes
de retour à notre hôtel.
Aussitôt arrivés, nous nous connectons sur le site internet de la base de lancement de Baïkonour. Nous vérifions
les infos que le type du bar nous a refilées. Il est très important de bien prendre la bonne fusée, sinon on ne s’en
sortira pas vivants.
Le lanceur fait partie du programme de construction des habitations lunaires à proximité du radiotélescope
Sélène. Premier point OK. Maintenant, le cockpit de la fusée est-il envoyé avec le container sur la Lune…
Aucun délestage n'est prévu. Ca veut dire que c’est tout bon.
Bien, il ne nous reste plus qu’à se préparer pour demain.
Nous passons une nuit assez agitée. Nous continuons à dormir à tour de rôle. Maintenant que le type du bar sait
que nous avons pas mal de fric, il peut essayer de venir nous l’arracher pendant notre sommeil. Mais rien ne se
passe. Il est huit heures quand nous nous réveillons difficilement le lendemain matin.
Nous avons un peu de temps pour nous préparer et aller chercher les combinaisons. Hors de question d’y aller
avec un taxi. Ce serait beaucoup trop voyant. Nous décidons d’y aller avec notre Lada de location. Elle nous
attend bien sagement devant l’hôtel.
Hiut est à la réception de l’hôtel.
- Bonjour les amis. Pour aller chercher vos commandes, je peux vous aider à les ramener en taxi.
- Non merci. C’est sympa mais on se débrouille.
Hiut est visiblement déçu.
- Vous aurez assez d’une seule voiture?
- Oui, oui. Mais est-ce que tu en as une?
Le visage de Hiut s’éclaire.
- Oui, bien sûr.
- On en aura très certainement besoin ce soir.
- D’accord. Tu peux compter sur moi. A propos, vous avez oublié de payer vos chambres pour cette nuit.
- Ah. Voilà les soixante euros. Nous reviendrons tout à l’heure.
Nous sortons enfin de l’Hôtel de Celinograd.
N’ayant plus suffisamment de liquide sur nous, Juarez utilise une des deux cartes pour retirer quatre vingt mille
euros d’un seul coup pour payer le commerçant et le type louche qui doit nous aider à atteindre notre fusée.
Nous arrivons enfin devant la boutique.
Le marchand est très agité quand il nous voit arriver.
- Ah! Je suis très content de vous voir!
- Il y a un problème? s’inquiète Natacha
- Non, non pas du tout. Au contraire. Je les ai reçues dès hier soir. Venez, je vais vous les montrer.
Tout excité, il nous emmène dans l’arrière boutique. Là, nous découvrons les trois combinaisons. L’une est
bleue marine, la deuxième vert foncé et la troisième jaune vif. Elles sont vraiment superbes.
Le marchand nous demande alors de les essayer.
Après d’innombrables conseils et recommandations, nous terminons l’essayage. Il n’y a aucun problème
particulier.
- Bien, dit Juarez. Nous les emmenons dans un laboratoire pour les tester complètement. S’il y a un
problème, nous reviendrons en début de cet après midi.
- Bien sûr, mais vous verrez qu’elles sont parfaites.
Après lui avoir donné les soixante milles euros restant à payer, nous quittons le marchand qui est visiblement
très heureux d’avoir conclu une si bonne affaire si rapidement.
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Après avoir tourné en voiture un bon moment dans les avenues, rues et ruelles de Baïkonour, nous trouvons
finalement un quartier où de nombreux laboratoires de tests sont installés.
Nous en visitons deux ou trois pour vérifier le matériel et les méthodes de tests qu’ils utilisent. Finalement,
nous en trouvons un qui nous paraît correct.
Trois heures plus tard, les combinaisons ont toutes été testées. Tout est impeccable.
Nous repartons satisfaits. Nous terminons quelques préparatifs pendant que Juarez part acheter des armes.
Il revient au moment où nous avons fini de tout préparer.
Il est temps. Nous devons retourner au Café des Allumés.
Juarez part chercher Hiut.
Sa voiture est dans le garage privé de l’hôtel. Nous installons nos sacs et combinaisons dans le coffre.
Quelques minutes plus tard, nous partons.
Il est quatorze heures cinquante en ce mardi 27 juillet quand nous arrivons devant l’entrée du café. Il est
toujours aussi plein qu’hier soir. Mais les clients ne sont plus du tout les mêmes. Les touristes sont
complètement absents. Là, il n’y a que la lie de la ville.
Les individus qui sont là viennent pour mener des affaires toutes plus louches les unes que les autres.
Natacha nous attend dans la voiture. Si hier soir sa présence est passée relativement inaperçue, aujourd’hui à
cette heure de la journée, ce n’est plus du tout la même paire de manche. Il est clair que les portiers ne la
laisseront pas entrer. Sa seule présence suffirait à créer une bagarre: les femmes qui entrent ici viennent pour
autre chose que pour boire un verre.
La scène est tout aussi animée qu’hier soir. Hiut repère tout de suite un comparse du chef de bande avec qui on
a passé notre marché.
Le type lui indique la partie du café la plus grouillante de gens. Au centre, l’activité est générée par le frêle
bonhomme, le chef de la bande.
On ne peut pas l’approcher. La foule autour de lui est si compacte qu’on est obligé d’attendre qu’il ait terminé.
Il pianote à toute allure sur le clavier d’un ordinateur. Parallèlement, il envoi commandes mentales sur
commandes mentales grâce aux électrodes posées sur sa tête. L’énorme écran sur la scène est une copie de son
écran. Les données s’y bousculent, se chevauchent et filent à toute allure.
En observant les chiffres et les résultats qui défilent, je comprends immédiatement qu’il est en train de pirater le
service informatique de la dernière centrale au gaz naturel construite en chine, près du fleuve jaune.
- C’est un pari entre Gutrinkyt et Abdel Babel, le chef de la bande rivale, me cri Hiut pour couvrir le
brouhaha environnant. L’autre chef a parié la moitié de son territoire qu’il raterai son coup. En fait, si
Gutrinkyt rate, il saute avec tout son public.
- Quoi?! Il est en train de tenter de saboter la centrale qu’on voit là?!
- Oui! C’est génial! Regarde, il vient de faire sauter le dernier bot d’attaque. Maintenant que la centrale a
perdu toutes ses défenses, il ne risque plus rien. Ca y est, il enclenche un blocage de la sortie du gaz. Il
accélère l’entrée des gaz qui doivent brûler! Putain! Plus que trois secondes et la centrale explose!
Une immense clameur retentit dans le café. Juarez, Hiut et moi sommes bousculés dans tous les sens. Les fans
du frêle terroriste sont en transe. Ils le vénèrent comme s’il représentait la puissance incarnée.
Sur l’écran, on voit les images satellites qui montrent le carnage en direct. Une immense boule de feu dévaste la
région. Des milliers de foyers viennent d’être privés d’électricité en moins de quelques instants. Ils en resteront
privés pendant pas mal de temps. Les employés de la centrale avaient été évacués quand Gutrinkyt a commencé
son attaque, aussi personne n’a été tué, mais je pense que c'était le dernier des soucis de ce type.
Les fans dansent sur la scène autour des images de la destruction.
Au bout de quelques minutes d’euphorie, Gutrinkyt va voir son adversaire.
C'est un homme tout aussi maigre que Gutrinkyt, mais complètement chauve.
- Alors, qu’en penses-tu Abdel Babel?
- Je suis un homme de parole. Tu as la moitié de mon territoire. Je te donne toute la partie qui va de l’étang
asséché d’Ilouï jusqu’à la route de Karaganda.
- Tu rigoles, j’espère. Il n’y a là que de la poussière. Tu ne possède même pas ces terrains. Non, je prends le
quartier du marché.
Abdel Babel rigole grassement.
- Pour ça il faudrait que tu me passes sur le corps.
- Pas de problème.
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Gutrinkyt fait un signe à peine perceptible à un de ses hommes. La tête de Abdel Babel explose. Des morceaux
de cervelle vont s’éparpiller sur les danseuses à plusieurs mètres derrière lui.
- Y a-t-il quelqu’un qui conteste mon autorité ici? Qu’il le dise maintenant ou qu’il se taise à tout jamais.
Un silence de mort envahit la pièce. Un homme tente de fuir. Il n’a pas le temps d’échapper à son sort. Il est
déjà mort quand il traverse le pas de la porte avec ce qui lui restait d’élan.
Les hommes de Abdel Babel ne réagissent pas. La parole donnée est importante pour eux. C'est un des seuls
fondements de leur organisation. Aussi, comme ils savent que leur chef n'avait pas tenu parole, aucun ne bouge.
Le bain de sang annoncé n'aura pas lieu.
Après avoir jaugé tout le monde d'un large coup d'œil, Gutrinkyt lance le signal de départ de la fête:
- Et bien je vois que tout le monde est d’accord! Fêtons ma victoire les amis!
La musique repart à un rythme infernal alors que les deux corps sans vie sont traînés dans une fosse derrière le
café.
Du propergol y est versé, et le feu y est mis. Il ne restera plus rien des deux hommes d'ici deux heures.
Hiut arrive enfin à s’approcher de Gutrinkyt.
Nous le rejoignons alors.
- Partons maintenant, nous dit-il. Il faut se dépêcher. Ca serait dommage que vous ratiez le décollage, non?
Dans la foulée, il demande:
- Vous avez l’argent?
- Oui.
- Donnez-le-moi.
Juarez lui tend les vingt mille euros.
Gutrinkyt ne les compte pas.
- Suivez-moi, nous dit-il.
Nous approchons d’un type tout aussi louche que Gutrinkyt.
- Je te dois vingt mille euros pour te remercier de m’avoir aidé à poser ce piège à Abdel Babel. Tiens, les
voilà.
Et il les donne au type.
L’indic de Gutrinkyt compte l’argent.
- Il y a le compte. Merci Gutrinkyt.
- Pas de quoi. Fais moi signe si tu as d’autres affaires comme celle-là.
Nous nous éloignons.
Vous voyez les amis, nous dit-il, grâce à votre argent arrivé à point nommé, je suis devenu le maître de la ville.
Et puis je n’aime pas me promener avec une telle somme. J’espère que mon indic va s’en débarrasser vite fait.
Sans ça, vu que tout le monde m’a vu lui remettre la liasse de billets, il ne va pas faire long feu. Bah, s’il se met
sous ma protection, je ne la lui ferai payer que dix mille euros!
Et il éclate de rire.
Il s’arrête brutalement et dit:
- Partons. Où est la femme? me demande-t-il.
- Dehors. Elle nous attend.
- Parfait.
Nous sortons . Dehors, dans une petite impasse dont l’entrée est surveillée par des acolytes, nous transvasons
nos sacs et combinaisons dans une camionnette. Nous partons immédiatement après avoir laissé un bon
pourboire à Hiut.
La vieille camionnette emprunte un chemin assez tourmenté suivant nombre de petites ruelles. Nous passons
par tous les bas-fonds de Baïkonour. On voit une série de bidonvilles, de décharges à ciel ouvert, de ghettos…
A un moment donné, on traverse une place où une horde d’enfants joue. Le lieu tient plus de la cour des
miracles que d’une cour de récréation.
Natacha est très troublée par le spectacle qui s’offre à elle. Observer ces ruelles encombrées lui fait l’effet
d’être un paparazzi qui vole l’intimité et la vie privée de ces pauvres gens.
Gutrinkyt voit sa réaction.
- Ca ne vous plaît pas, hein? Ca, c’est le travail de l’anarchie acharnée. C’est ce que les américains appelaient
le libéralisme. Je regrette le temps du vrai libéralisme pur et motivant, générateur d’entreprise. Maintenant
que le Monopoly mondial est arrivé à maturité, ce « libéralisme » tant vanté à été détourné. L’heure de
l’obscurantisme a sonné. Heureusement qu’il y a internet. On peut s’attaquer à volonté à tout ça.
90
-
-
Comme à une centrale électrique qui fait vivre des dizaines de milliers de personnes? je demande à
Gutrinkyt.
C’est pas le problème. Regardez le monde. Partout où vous allez, tous les gens se ressemblent! Vous
trouvez pas qu’un kaléidoscope de cultures, d’arts et de natures est bien plus formidable que ce monde
édulcoré qui stérilise l’âme?!
C'est votre justification de vos actes? Je ne vous croyais pas comme ça, lui dit Natacha.
-
Je ne crois pas que le monde soit aussi uniforme que ce que vous dites, continue-t-elle.
C’est parce que vous faites trop attention aux détails matériels. Si vous regardez la manière de vivre des
gens, vous verrez que là où on ne calque pas le mode de vie occidental, alors on ne peut que mourir.
Regardez mes frères et mes sœurs se traîner dans la fange!
- Je pense que pour la plupart, les gouvernements veulent garder leurs spécificités culturelles…
- Bullshit! s’exclame Gutrinkyt. On nous bourre le mou avec ça depuis des générations! De tout temps les
plus forts ont toujours voulu imposer leur exemple ailleurs. Ca continue et ça va pas s’arrêter. Bien au
contraire. Pourquoi y’a les accords du Gatt alors?! Mon père a violé des dizaines de femmes pour qu’elles
aient des enfants de sa nationalité et de son sang. Il a été accusé de crime contre l’humanité et fusillé.
Maintenant, les gouvernements violent les cultures avec le net et toutes leurs technologies. Je suis pour le
« Maintenant », pas pour le « Maintenéant »!
- Je crois que vous simplifiez pas mal les choses. La vie n’est pas rose, mais d’une manière générale,
l’humanité a très bien su se débrouiller et prospérer.
- D’habitude oui. Mais depuis quelque temps, l’équilibre des choses devient de plus en plus instable. Vous
connaissez le jeu du Monopoly? Et bien maintenant, on arrive en fin de partie. Soit on redistribue les cartes,
soit on change les règles du jeu. L’humanité garde son aspect imprévisible et inconstant.
C’est ça qui fait sa vie, sa beauté, sa surprise.
Mais il y a quelque chose d’obscur, de malsain et de puissant qui traîne ses guêtres sur la planète et qui
détruit tous les espoirs au fur et à mesure qu’ils apparaissent. Tout autant sur la planète réelle que sur celle
virtuelle du net.
- Je crois connaître un des principaux responsables, fait Juarez tranquillement, tout en regardant dehors.
- Qui? lui demande brutalement Gutrinkyt.
- Tu connais le BDC?
Je suis stupéfait qu’il lui en parle ainsi. L’incognito de notre mission vers la Lune vient de partir en fumée avec
simplement ces quatre mots. C’est même plus la peine d’y aller! Natacha tourne la tête vers lui, incrédule. Moimême, je suis complètement bouche bée. Nous n’arrivons pas à croire qu’il en ait parlé aussi facilement à un
meurtrier pareil qui se dirige tout droit vers le même destin que celui de son père!
La réaction de Gutrinkyt est encore plus surprenante.
Il stoppe si brutalement la camionnette qu’elle fait un début de tête à queue. Natacha est projetée contre moi. Je
la retiens tant bien que mal. Juarez doit s’agripper fermement à son siège pour ne pas tomber.
Simultanément, Gutrinkyt sort un revolver de sa poche et le pose sur la tempe de Juarez.
- Comment connaissez-vous le BDC?! hurle-t-il. Vous n’avez droit qu’à une seule réponse!
- Hé! dis-je pour essayer de le calmer un peu.
- Si tu bouge le petit doigt, je butte ton pote. Maintenant répondez à ma question! Vous avez trois secondes!
Il n’est plus temps de parlementer. Le mieux est de dire exactement quelle est notre position vis-à-vis de ce
groupe financier qui joue au terrorisme planétaire.
- Le BDC veut notre peau. Nous le combattons. Si nous allons sur la Lune, c’est pour déjouer ses plans.
- Pourquoi veut-il votre peau?! crie encore Gutrinkyt.
- Parce que j’ai mené des recherches scientifiques qui allaient contre ses intérêts.
- Quelles recherches?!
- Je suis le professeur Yann Rassoli. Je participais avec Natacha au programme international de recherche
SETI 2 et nos avancées scientifiques n’étaient pas du goût de cette organisation criminelle.
- Et t’es qui, toi?! lance-t-il à Juarez.
- Je protège le Professeur Rassoli et sa femme depuis que je les ai rencontrés au Chili. Je travaillais au même
centre astronomique au Chili.
- Comment connaissez-vous le BDC? je lui demande.
- Pour l’instant, ce n’est pas vous qui posez les questions mais moi. Quels plans voulez-vous déjouer sur la
Lune?
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- Ca, on peut pas vous répondre pour l’instant, dis-je. Il faut qu’on en sache plus sur vos convictions.
Gutrinkyt pointe son arme vers moi. Il est prêt à tirer.
- Une autre réponse comme ça et tu es mort, me dit-il froidement.
Au vu de sa réaction, je mise sur le fait qu’il est contre le BDC. Posément, doucement, je lui réponds:
- Si tu es contre le BDC, tu ne tireras pas. Si tu es pour eux, alors tu tireras, mais tu ne sauras jamais qui nous
sommes exactement et pourquoi nous voulons aller sur la Lune.
Fixement, froidement, il me tient en joue. Personne ne bouge.
Lentement, tremblant à cause du choc qu’il a eu en entendant le nom du BDC, il baisse lentement le canon de
son arme vers le plancher de la camionnette. La porte arrière s’ouvre violemment. Mitraillettes au poing, les
gardes de Gutrinkyt nous mettent en joue.
- Ca va, dit Gutrinkyt dans un soupir.
- T’es sûr? lui demande un de ses gardes.
Gutrinkyt ne dit rien mais fixe froidement le garde. Celui-ci n’insiste pas et repart en refermant la porte arrière
du véhicule.
Il respire longuement plusieurs fois et il nous dit:
- Quand Baïkonour a vu le spatioport se construire, c’était du temps de la toute puissante Union Soviétique,
en plein cœur de la guerre froide.
Ensuite, il y a eu l’explosion de l’empire bolchevique. Le Kazakhstan a proclamé son indépendance. Les
contrats économiques d’utilisation de la base de lancement ont été revus et corrigés par le nouveau
gouvernement. La mafia rouge a commencé ses pillages et ses malversations.
On a mis près de vingt ans à s’en débarrasser. Mais alors est apparu un nouvel acteur sournois
complètement imprévisible, le BDC. Au début, on ne savait pas pourquoi la ville ne se construisait que vers
le spatioport, ce qui est stupide. Ensuite, il y a eu une série d’explosions de fusées. Ca a détruit
complètement plusieurs quartiers de Baïkonour.
C’est depuis ces années que le comportement des dirigeants de la ville est devenu chaotique. C’est pour ça
que j’en prends le contrôle. A cause des conneries de ces politicards merdeux, mon frère et ma sœur sont
morts de ce qu’on appelle ici la peste asthmatique. C’est quand mon frère est mort que j’ai appris
l’existence du BDC.
Quelqu’un l’avait enrôlé comme homme de main. A un moment donné, il a reçu l’ordre d’abattre l’ancien
maire de la ville.
Il l’a fait.
Mais ce faisant, il est tombé sur des documents qu’il n’aurait jamais dû voir et qu’il n’aurait surtout pas dû
copier. Il a eu le temps de m’en parler avant d’être atteint d’une crise foudroyante de peste asthmatique. Ses
assassins ont cru qu’il en avait parlé à ma sœur. Ils l’ont liquidé de la même manière.
Par sécurité, je me suis fais oublier pendant quelques mois. J’ai changé de visage et d’apparence. Je n’ai pas
eu accès à des technologies chères. Aussi le meilleur moyen pour changer d’aspect était de maigrir très vite
un grand coup.
Je me suis juré de les venger et de découvrir qui était réellement derrière ce groupe. Le BDC, crache-t-il
hargneux dans un souffle qui sent la mort.
Et dès que je peux, je détruis les biens de ce groupe. Comme cette centrale en Chine, un des points d'accès
économique du BDC dans ce pays.
Voilà mon histoire. Vous ne pouvez pas la vérifier. Personne ne la connaît. Et si vous en parlez, ce sera
votre arrêt de mort.
Maintenant, quelle est votre histoire?
Nous ne pouvons absolument pas faire confiance à Gutrinkyt. C’est beaucoup trop dangereux. Son histoire est
peut-être fausse. Pourtant, la vie n’est faite que de choix. Et de questions de confiance.
- Nous pensons que le BDC cherche à éliminer sur toute la surface du globe un maximum de gens dont
l’activité est directement ou indirectement l’exploration spatiale. Si nous voulons aller sur la Lune, c’est
parce que nous avons l’intime conviction que le BDC connaît l’existence d’une civilisation extraterrestre.
C’est aussi parce que nous savons qu’il va frapper très bientôt pour détruire le radiotélescope Sélène. Ce
serait catastrophique. La conquête spatiale serait ralentie de plus de dix ou vingt ans. Ce groupe financier
atteint de folie aurait alors tout le temps de recentrer ses activités, et tout espoir serait annihilé pendant très
longtemps.
La réaction de Gutrinkyt me surprend:
92
-
C’est débile ce que tu me dis.
Comment ça?
Je vois pas pourquoi le BDC chercherai à faire ça. C’est stupide.
Non, pas du tout, dis-je froissé par son dénigrement. C’est le maître d’une bonne partie de la planète. Il est
infiltré partout et connaît tous les secrets d’états. Mais si la conquête de l’espace prend un essor gigantesque
à cause de cette découverte de civilisation extraterrestre, alors son pouvoir perdra toute substance. Ses
troupes l’abandonneront. La liberté et le libéralisme retrouveront un nouveau souffle pour très longtemps.
Le Monopoly, comme tu dis, sera cassé. Les règles seront définitivement changées. Tout sera à refaire. La
civilisation changera complètement de visage et sera marquée à jamais. La plus grande partie de son
pouvoir sera diluée et par-là même, le BDC sera détruit.
Mais pour l’instant, il est partout à grande ou petite échelle. C’est pour ça qu’il peut contrôler énormément
de choses. Mais si une multitude de nouvelles choses apparaissaient, alors il aura le choix entre se diluer
pour disparaître, ou bien perdre de son pouvoir et de son influence, puis disparaître.
Gutrinkyt réfléchi quelques instants et dit:
- Je pari que je peux vous aider à monter dans votre fusée finalement, dit Gutrinkyt.
Il approche un micro ultraléger vers sa bouche et dit:
- Ici Gutrinkyt. Opération surprise annulée. Nous changeons de plan. Rendez-vous à la Colonne Ensorcelée.
- Vous avez soif? lui demande Natacha qui se souvient que c’était le nom du cocktail qu’elle a pris au café
des allumés.
- Non, mais on va au spatioport. Je ne vais pas dévaliser des gens qui combattent mes ennemis, quelles qu’en
soient leurs raisons, non?!
Natacha, Juarez et moi comprenons que nous venons à l’instant d’éviter de nous faire dévalisés et assassinés.
Nous nous dirigions tout droit vers une embuscade.
Malgré la chaleur, un frisson glacial me parcourt le dos.
Au bout de quelques minutes, nous arrivons devant une bouche d’aération souterraine.
- Nous allons pénétrer dans le saint des saints du site de lancement. Le plus drôle, c’est qu’on va passer sous
les baraquements militaires. Ils ont oublié de mettre des systèmes de surveillance ici!
- Pas mal, dis-je.
- Prenez vos combinaisons. Deux de mes hommes vont s’occuper de vos sacs. Allons-y.
Notre expédition s’approche enfin de notre destination. Il est seize heures trente.
- Le Soyouz décolle dans trois heures trente, nous annonce Gutrinkyt. Il faut se dépêcher. Il y a parfois des
imprévus.
Nous avançons sur près d’un kilomètre. Nous faisons le moins de bruit possible. En plus de ma combinaison, je
porte le casque de Natacha. Elle est épuisée. Moi aussi. Nous continuons sans broncher.
Gutrinkyt nous fait signe de ne plus bouger ni de faire un seul bruit.
Ses mouvements sont si fluides qu’on a l’impression qu’il a du sang de reptile dans les veines. Il démonte les
quelques barreaux métalliques rouillés. Il soulève tout doucement la trappe au-dessus de sa tête. Il la fait glisser
avec précautions, sans un bruit. Il passe légèrement la tête à l’extérieur puis nous fait signe de monter à sa suite.
Nous arrivons dans une salle humide qui sert d’entrepôt de temps à autres. Nous voyons nettement le lanceur
spatial d’où nous sommes. Sans un mot, nous nous dirigeons vers un large tuyau de climatisation.
- Je vais envoyer un de mes hommes couper le courant. Dès qu’on entendra les sirènes hurler, vous seuls
sauterez dans ce gros tunnel. C’est par-là que sont évacués les gaz brûlés au moment du décollage. Je n’irai
pas avec vous car je n’aurai pas la possibilité de revenir.
Quand vous serez dans le tunnel, vous foncerez. Il fait quatre vingt mètres de long. Là-dessous, vous serez
masqués par pas mal de tuyaux. Le satellite de surveillance ne pourra pas vous repérer. De là, vous vous
aiderez de vos ventouses magnétiques motorisées pour monter jusqu’au sommet de la fusée. Et bon voyage.
Un des deux hommes de Gutrinkyt achève de dévisser la grille qui bloquait l’accès au tuyau de climatisation.
Gutrinkyt termine de nous préciser ce qu’on risque trouver sur notre chemin sous la fusée.
- Faites attention quand vous serez sous la fusée. Il y a toujours de l’oxygène et de l’hydrogène liquides qui
coulent. Ne vous faites pas avoir par ça, ça serait vraiment trop bête d’exploser comme ça. En plus, sous les
propulseurs d’appoints, il y a ce fameux acide qui pollue tout. Il est extrêmement corrosif. S’il entre en
contact avec vos combinaisons spatiales, vous vous en rendrez vite compte une fois arrivés dans l’espace.
93
-
Un dernier truc. Par terre, juste sous la fusée, il y a d’énormes ventilateurs. Ils se remettront en marche une
minute avant tous les autres systèmes électriques. C’est vital pour la fusée. Sa structure est tellement légère
que sans eux, quand elle est au sol, au bout d’une demi-heure à peine, elle peut commencer à se déformer.
Quand ils se remettront en marche, ne soyez pas au-dessus. Ils sont si puissants qu’ils vous enverraient en
l’air. Vous décolleriez, mais sans fusée!… Gare à l’atterrissage!…
Merci, et à bientôt peut-être, dis-je à Gutrinkyt.
C’est moi qui vous remercie. Vous m’avez montré que je n’étais pas tout seul à combattre le BDC. Ca fait
plaisir.
T’auras de nos nouvelles si tout marche comme prévu! lui dit Juarez.
Bon, tenez-vous prêts, ça ne va pas tarder!…
Nous endossons rapidement nos combinaisons. Ca ne va pas être facile de courir avec. Mais bon, pas le choix!
Après, on n’aura pas le temps de les enfiler.
Je prends un des deux sacs et Juarez prend l’autre.
On est fin prêts depuis moins d’une minute que les sirènes se mettent à hurler.
- Foncez! nous crie Gutrinkyt.
Nous commençons à courir avec nos lourdes combinaisons spatiales. Il fait au moins quarante cinq degrés. J'ai
l'impression de suer un litre par mètre couru.
Nous arrivons devant le gros tunnel en béton d’évacuation des gaz. Il est profond d’au moins trois mètres. Avec
nos combinaisons, c’est pas facile! Juarez et moi y jetons nos sacs. Nous nous lançons dans la fosse. Nous nous
récupérons lourdement, mais sans problème. Natacha a sauté aussi. Tout va bien. Nous commençons à courir.
Nos combinaisons pèsent une tonne. L'effort devient de plus en plus important. Nous ne nous sommes pas
entraînés avant, et je ne sais pas si je tiendrai jusqu'au bout. Je regarde Natacha mais ne peux lui parler au
risque de perdre mon souffle. Elle me lance un bref coup d'œil et je vois qu'elle souffre peut-être plus que moi.
Mais elle tient bon. Nos pas résonnent dans le tunnel. Heureusement, personne n’est là pour nous repérer.
Les sirènes commencent à s’arrêter. La panne électrique est maintenant vraiment générale.
Je n'entends plus que mon souffle et mon sang bourdonne de plus en plus fort dans ma tête.
On arrive enfin sous la fusée. Nous avons parcouru les quatre vingt mètres du tunnel. J'ai l'impression d'avoir
fait un marathon de quarante kilomètres en montagne où le chemin ne faisait que monter… Le débit des gaz
liquéfiés et de l’acide est important. Je suis surpris que rien n'explose d'ailleurs! Une grande flaque d’acide nous
coupe le chemin! Elle doit au moins faire un mètre de diamètre. Dans notre état avec les combinaisons sur le
dos, c'est très important. En prenant de l’élan, Juarez remarque qu’on peut retomber sur la grille de protection
d’un des ventilateurs. Il y va le premier. Mais Natacha ne va pas réussir à sauter si loin avec sa combinaison.
- Enlève-la! lui dis-je. Je te l’envoie dès que tu es de l’autre côté!
Sans réfléchir, elle s’exécute. Elle prend son élan et arrive sans problème sur la grille du ventilateur toujours
arrêté, où la réceptionne Juarez.
Aussitôt, je lui lance les différents éléments de sa combinaison. Elle commence à l’enfiler de nouveau pendant
que Juarez attrape les derniers éléments. C’est mon tour. Je prends mon élan et saute. J’atterris sans problème
sur la grille.
- On perd du temps! crie Juarez.
Natacha termine de remettre sa combinaison.
- On est bloqué! On peut pas monter dans la fusée! Les moteurs sont trop gros! On va jamais pouvoir
atteindre les parties métalliques pour y attacher nos ventouses magnétiques et nous hisser au sommet!
- J’ai une idée, dit Natacha. Attendons que les ventilateurs se remettent en marche! On aura une minute avant
que les caméras ne fonctionnent à nouveau: c’est largement suffisant pour se laisser envoler jusqu’au sas
d’entrée grâce au courant d’air ascendant et de pénétrer dans la fusée!
- Excellent! dis-je. Mais c'est aussi très dangereux…
- Préparons-nous, dit Juarez. Il faut qu’on accroche solidement nos sacs sur nous et qu’on soit prêts à utiliser
nos ventouses magnétiques dès qu’on sera à côté du sas!
- Attention! Tenez-vous prêts, ils se remettent en marche!
Dans un bruit de vent puis dans un vacarme assourdissant allant toujours crescendo, les pales des rotors des
ventilateurs augmentent leur rotation. En moins de dix secondes, ils soufflent si fort que Natacha, la plus légère
de nous trois commence à s’élever en planant.
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Woaoh! Je commence aussi à m’élever. Ma vitesse ascensionnelle augmente de plus en plus. Je vois que
Natacha a déjà atteint le sas. Elle l’ouvre. Génial! J’arrive à son niveau. Je tends le bras et j’active mes deux
ventouses magnétiques. L’une s’accroche aussitôt, l’autre une fraction de seconde plus tard. Dessous, je vois
Juarez. Il est encore à mi-hauteur de la fusée. Il fonce vers moi. Il active ses deux ventouses. Il va trop vite!
Non, c’est bon. Une des deux ventouses s’est accrochée. Parfait. Il accroche aussitôt la deuxième. Il faut nous
dépêcher. Nous n’avons plus qu’une trentaine de seconde pour entrer et refermer hermétiquement le sas. Les
systèmes de sécurité se remettront en marche en même temps que les caméras. Nous n’aurons pas une seconde
de plus.
Je donne mon sac à Natacha. Je ne peux pas entrer sans m’en défaire. Le vent est vraiment violent maintenant.
Ca y est, me voilà à l’intérieur. Je me pousse au fond du cockpit pour laisser un maximum de place à Juarez. Il
donne maintenant son sac à Natacha. Il entre et claque la porte derrière lui. Une grande roue permet de fermer
complètement l’entrée. Juarez le tourne furieusement. Le dernier tour de roue est à peine achevé que quelques
diodes s’allument sur le poste de pilotage.
Le courant est revenu. Il ne faut presque plus bouger. Sinon les capteurs de masse de la fusée vont nous repérer.
Je m’assoie tout doucement dans le siège le plus à gauche, au niveau duquel je me trouve. Natacha prend le
siège central et Juarez le dernier à droite.
Ca y est, nous sommes installés dans la fusée.
Il ne reste plus qu’à attendre les quelques heures de retard que va prendre le lancement à cause de la panne de
courant.
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10- Une question de poids!
Mardi 27 juillet 2066, 22h53 heure locale
Dans le poste de pilotage où nous nous trouvons, seuls deux écrans sont activés. Devenus quasiment inutiles, ils
servent parfois à des tests avant le décollage. Maintenant que les lanceurs spatiaux Soyouz sont construits à la
chaîne, ça reste moins cher de laisser leur conception figée. C’est pourquoi il y a même toujours les sièges dans
le poste de pilotage alors qu’on sait pertinemment que personne ne les utilisera.
Nous suivons l’évolution de la situation avec intérêt. Au bout de deux heures, les tests sur les alimentations
électriques sont terminés. Les systèmes de secours sont en cours de vérification. Les différentes étapes du
décollage reprennent et le compte à rebours repart lui aussi.
Nous sommes à sept minutes du décollage.
Parmi tous les écrans de contrôle dont on dispose, plusieurs sont très importants. L’un nous permet de visualiser
les trajectoires théorique et réelle de la fusée. L’autre est le calculateur central de bord.
D’autres sont coupés. Et entre autres, tous les systèmes de communications extérieures. Du coup, tous les
systèmes vidéos pour savoir ce qui se passe dans la fusée sont HS. C’est donc avec une relative sérénité que
nous attendons l’heure du décollage.
00h58 heure locale
H moins deux minutes avant le décollage.
Je suis aux anges. Aller dans l’espace était un rêve de gosse que je n’aurai jamais cru concrétiser. Natacha par
contre est assez stressée. Je la comprends. Elle a frôlé la mort déjà deux fois, avec le crash de l’avion à
Santiago, et avec l’embuscade devant l’entrée du centre astronomique du Cerro Paranal.
Je prends sa main aussi bien que je peux. Elle sert mon gant fortement. Elle tourne la tête vers moi et me fait un
timide sourire forcé.
Les moteurs chauffent. Les vibrations commencent.
Nous ne sommes plus qu’à trente secondes du décollage.
Juarez est fasciné tout comme moi. Il est à la droite de Natacha. Il tourne la tête vers nous et lève son pouce
gauche pour nous dire que tout est okay pour lui et qu’il trouve ça génial.
Je lui rends son signe.
Les vibrations sont intenses maintenant. Dans moins de vingt secondes, nous allons subir des accélérations de
plus de quatre G. Pour un pilote de chasse, ce n’est rien du tout, mais pour nous qui n’avons eu absolument
aucun entraînement, c’est déjà pas mal.
Le compte à rebours est à cinq secondes…
Trois secondes… Deux…
Top! « Ignition » comme ils disent à la NASA.
Ca y est!
On décolle!
Les vibrations nous secouent dans tous les sens. Latéralement, on a plus d’un G. C’est pire que d’être secoué
dans un prunier. Nous nous accrochons à nos fauteuils. Mais nos ceintures de sécurité nous serrent déjà
tellement que nous n’en bougeons pas d’un poil. Nous y sommes littéralement collés. Heureusement, nous
n’avons quasiment pas mangé aujourd’hui. Sans cela, on aurait revu nos repas. Les conséquences auraient été
très fâcheuses, avec nos scaphandres.
Nous ne savons pas à quelle altitude nous sommes, mais le ciel est déjà d’un bleu très sombre. Encore quelques
minutes et notre vitesse de croisière sera atteinte.
Par curiosité, je regarde les différents écrans de contrôle. J’ai du mal à lire avec toutes ces vibrations. Je passe
près d’une dizaine de secondes à observer le suivi de notre trajectoire. Il n’y a pas de problème. Nous sommes à
peine un peu moins hauts que ce qui avait été calculé mais tout à l’air de bien se passer.
01h03 heure locale de Baïkonour
La séparation du premier étage se passe sans problème. Pendant quelques secondes, les secousses disparaissent
complètement. Puis les détonations provoquées par les boulons explosifs retentissent. Deux secondes plus tard,
les moteurs du deuxième étage se mettent en marche.
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Les vibrations reprennent de plus belle.
L’altimètre électronique est débranché, mais le système mécanique nous annonce une altitude de plus de trente
kilomètres. Je regarde à nouveau notre trajectoire sur l’écran de contrôle. Nous sommes trop bas. Et en plus,
nous dévions un peu de notre trajectoire théorique.
Sur l’écran, il y a deux limites de représentées. Une supérieure et une inférieure. Tant qu’on reste entre ces deux
limites, on est sûrs d’atteindre la Lune. Mais où? En plus, si on dévie trop, tout en restant entre ces deux limites,
on atterrira sur la Lune, mais le canon magnétique, basé sur le sol lunaire, qui doit nous freiner sera trop loin!
On s’écrasera alors sur la Lune non pas à une vitesse de soixante mètres par secondes, mais avec une vitesse de
16,2 kilomètres par secondes! C’est même pas à la petite cuillère qu’on nous ramassera. Nos morceaux seront
renvoyés si vite qu’ils seront renvoyés dans l’espace. Une autre possibilité est que si on dévie de trop, alors ils
décideront de faire sauter la fusée à la base de lancement au sol terrestre!
Je montre l’écran de contrôle à Natacha et à Juarez.
Il est 01h08, les vibrations continuent. Nous ne connaissons pas notre vitesse.
- Il faut trouver pourquoi nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire, dis-je à Natacha et Juarez.
- Regarde, dit Natacha. Si je tourne ce bouton sur le panneau de commande, le couloir de la trajectoire est
beaucoup plus fin. Ca correspond à quoi?
- En plus, si tu regardes bien ce couloir il n’est pas symétrique par rapport à la trajectoire idéale de la fusée,
dit Juarez.
Notre altitude commence à ne plus être fiable avec l’altimètre mécanique dont nous disposons. On doit être à
près d’une centaine de kilomètres d’altitude, mais ce n’est que pure hypothèse de ma part.
- Je crois savoir ce que représente ce couloir, dis-je. Ce n’est pas celui de départ, mais c’est celui qu’on doit
suivre non pas pour arriver sur la Lune mais pour pouvoir être freinés par le canon magnétique.
- Ca veut dire que si on en sort, ils vont faire sauter la fusée! Ils ne peuvent pas se permettre de provoquer un
crash sur des installations lunaires.
01h10. Les vibrations viennent de stopper.
- Nous sommes à la limite du couloir d’arrivée.
- Comment ça se fait? demande Natacha.
- Hé, mais je sais! dis-je. C’est à cause de nous qu’on est trop bas!
- Comment ça? demande Juarez.
- Mais oui! s’exclame Natacha.
- Ils ont calculé la quantité de propergol uniquement nécessaire pour envoyer le container et le poste de
pilotage sur la Lune, dis-je en continuant mon explication. A nous trois avec nos combinaisons spatiales,
nous pesons près de trois cent kilos! Pour qu’on suive la trajectoire idéale, il aurait fallu que les ingénieurs
de la base de lancement mettent plus de propergols, d’hydrogène et d’oxygène liquide!
- Bon, on est à la limite du couloir. Il faut qu’on corrige ce problème et qu’on trouve une solution pour
revenir comme il faut dans le couloir de la trajectoire.
- Je sais comment faire, dit Juarez. On dispose d’un propulseur individuel sur chacun de nos scaphandres. On
n’a qu’à les utiliser pour accélérer un peu la fusée et rétablir au mieux notre trajectoire.
- On ne peut pas faire ça, dis-je. C’est possible, mais à Baïkonour ils découvriront qu’il y a quelqu’un à bord.
Et quand on arrivera sur la Lune, on aura droit à un beau comité d’accueil.
- Hum… Mais si on ne fait rien, soit ils vont faire sauter la fusée et nous avec, soit on s’écrasera sur la Lune!
s’exclame Juarez
- Ce qu’on peut faire, dit Natacha, c’est désamorcer le système d’autodestruction. Je ne pense pas qu’il y ait
un capteur sur le panneau de la fusée à dévisser, et c’est tout bon!
- Ah ouais, fait Juarez, et tu sais où il se trouve ce système d’autodestruction?
- Sur nos ordinateurs de bord en état de marche, on doit pouvoir le trouver…
- On n’a pas le temps, lui dis-je. S’ils détruisent la fusée, ils le feront le plus tôt possible. Il est possible que
nous soyons déjà en sursis.
- Alors dans ce cas, dit Juarez, il ne reste plus qu’une seule solution. On sabote l’antenne de réception de la
fusée. De toute façon on ne peut envoyer aucun message, les systèmes ont été déconnectés. En plus, ils ne
s’en servent que pour le décollage ou pour détruire la fusée. Ca passera inaperçu comme ça!
- Excellent! s’exclame Natacha.
- Bon et bien c’est parti! dis-je en défaisant la pieuvre qui regroupe toutes mes ceintures de sécurité.
97
-
Pour information, me dit Juarez, l'antenne qui nous intéresse n'est pas à l'avant de la fusée, mais à l'arrière.
C'est l'antenne filaire.
Comment sais-tu ça?, je lui demande.
Question réparation d'antennes, c'est mon rayon. Même si les antennes sont sur les fusées, fait-il avec un
sourire un peu narquois.
Excellent, lui dis-je. Allons-y alors.
Lentement, en total état d’apesanteur, nous commençons à nous extraire de nos sièges.
- Utilisons les ventouses magnétiques pour nous déplacer, répond Natacha. On avancera plus vite et on n’aura
pas besoin d’utiliser les réserves de nos scaphandres.
Nous vidangeons le cockpit de l’air qu’il contient.
- C’est la minute de vérité pour tester nos scaphandres, dit Juarez.
- Surveillez tous attentivement les contrôles de vos combinaisons. Au moindre problème, je stoppe la vidange
d’air, dis-je.
Au bout de trente secondes, je dis enfin :
- Bon, et bien si tout va bien, c’est parfait. J’ai l’honneur de vous annoncer que nous sommes dans le vide le
plus complet.
- Allons-y, dit Juarez.
Nous sortons l’un après l’autre du cockpit. La vue qui s’offre à nous est fabuleuse. On avait déjà tous vu des
images de la Terre plongée dans le noir profond de l’espace, mais le voir soi-même, être acteur dans ce
fabuleux décor est fantastique. Epoustouflant. La planète trône au milieu des étoiles. La Voie Lactée est
sublime. Grandiose par la taille et par la multitude d’étoiles qui la compose, elle impose le respect et la
méditation.
La Terre, si colorée contraste incroyablement avec le ciel noir. La planète fait écran contre la lumière du Soleil.
Nous sommes en ce moment dans l’ombre de la Terre. Il fait complètement noir et nous devons nous aider de
torches électriques pour nous diriger.
- Evitez de trop vous en servir. Ils pourraient nous voir depuis la Terre, dis-je.
Nous survolons en ce moment le Japon. Il fait nuit de ce côté de la planète. On y voit une multitude d’îles
éparpillées dans l’immense Océan Pacifique. Les côtes sont découpées par les rivières lumineuses de diamants
que forment les villes. Celles-ci s’ornent de lumières jaune pâles ou blanches, selon les îles et les régions du
globe. Un orage tonne au-dessus de la péninsule du Kamtchatka, que l’on discerne avec difficulté tellement elle
est peu éclairée, tellement elle est restée sauvage. Voir les éclairs depuis l’espace est sublime. Un minuscule
point de lumière vive, jaune orangé, part violemment, soudainement, et s’évase aussitôt pour plonger vers le
sol. L’éclair disparaît aussi vite qu’il est apparu… et est remplacé par un autre. Cet orchestre lumineux et
silencieux nous laisse bouche bée. On a l’impression que ces explosions lumineuses n’ont aucun relief. La
plupart éclairent leurs nuages voisins et un halo reste présent un court instant sur les lieux de l’orage, comme si
les nuages restaient fluorescents un bref instant.
- Allons, nous regarderons ce spectacle quand on aura fini, nous dit Juarez en nous ramenant à la réalité.
Dépêchons-nous. Profitons de l’obscurité tant qu’on peut. Les systèmes d’observation terrestres liés au
lancement de notre Soyouz nous voient mal pour l’instant. Mais dès qu’on sera éclairés par le Soleil, on
aura perdu cet avantage.
- Hum, allons-y, dis-je. L’antenne est sur l'arrière de la fusée.
Nous arrivons à l’arrière. C’est une plaque métallique circulaire d’environ cinq mètres de diamètres sur laquelle
sont attachées deux antennes. L’une ne fait pas plus de cinq mètres de long alors que l’autre est un filin tiré par
la fusée. Ce filin fait plusieurs kilomètres de long.
C’est le meilleur système de sécurité qui puisse exister pour éviter l’interception des fusées par des pirates. En
effet, pour communiquer avec la fusée, il suffit d’envoyer des signaux radio dont la longueur d’onde égale celle
de l’antenne. Si le filin fait dix kilomètres de long, les ingénieurs soviétiques savent que seule une émission
radio avec une longueur d’onde égale à dix kilomètres sera capable d’être perçue par la fusée. Et à chaque
lancement, ils changent cette longueur. Ainsi, ils sont certains de garder le contrôle de leur fusée. C’est
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pourquoi le secret le mieux gardé dans le spatioport est la longueur d’onde choisie de manière unique à chaque
décollage.
Cette antenne est la seule qui puisse recevoir le signal d’autodestruction de la fusée.
Elle est solidement arrimée. Mais pour l’atteindre, il faut faire attention.
Un fort courant électrique la parcourt.
Il n’est pas émis par la fusée mais il est induit par les champs magnétiques terrestres. L’antenne traînée par la
fusée traverse une bonne épaisseur des couches magnétiques qui contiennent des différences de polarité et de
charge. C’est suffisant pour obtenir un courant de plusieurs centaines de volts.
- Bon, il n’y a pas de problème, dit Juarez en constatant la situation. Le courant électrique n’est dangereux
que si je touche à la fois le câble et la fusée. Je vais utiliser mes propulseurs pour atteindre le câble. De là, je
pourrai le couper avec mes tenailles.
- Fait attention à ton élan, dis-je. Si tu en prends trop, en restant agrippé au câble, tu risques être ramené vers
la fusée. Et si tu la touche, on risque avoir de sérieux pépins.
- Hum, merci de t’inquiéter pour moi, répond-il. Mais tu as raison, il faut que j’attrape le filin avec une
vitesse quasi nulle.
- N’oubliez pas qu’il faut quand même se dépêcher, nous rappelle Natacha. Il faut qu’on ait fini avant de
sortir de l’ombre terrestre. Après, ils n’auront aucune difficulté à nous repérer depuis leurs stations
d’observation au sol. En plus, ils peuvent faire sauter la fusée quand ils le veulent.
- Okay, dit Juarez. Tu nous chronomètres et tu nous préviens si on est trop long.
- On a moins de quinze minutes, dit Natacha.
- C’est pas de trop! s’exclame Juarez. Allez, c’est parti!
Alors qu’il est à moins de trois mètres de distance des deux antennes, il se lance dans le vide intersidéral d’une
légère impulsion avec les pieds. On le voit ainsi flotter et s’éloigner quelques instants sans bouger. Après avoir
atteint une distance de sept à huit mètres, il se sert de son propulseur pour ralentir sa vitesse. Un jet d’oxygène
fuse une fraction de seconde du dos de son scaphandre. Un deuxième jet corrige sa trajectoire et le fait
maintenant se diriger doucement vers le câble. Il n’en est plus qu’à deux mètres qu’il utilise à nouveau son
propulseur pour ralentir. Mais le jet de gaz est dirigé droit contre l’antenne filaire!
- Attention! dis-je en m’exclamant. Ton propulseur pousse le câble!
Trop tard, le mal est fait. Lentement mais irrémédiablement, le filin se ramène vers la fusée.
- Tu n’as que très peu de temps avant qu’il ne touche la fusée! dis-je à Juarez. Dans quelques minutes à peine,
il touchera le corps de notre véhicule spatial et avec le courant électrique qui le parcourt, il s’ensuivra des
courts circuits partout dans la fusée. On risque même l’explosion, si les courts circuits atteignent le système
d’autodestruction!
- T’en fais pas, dit Juarez pour me rassurer.
Il utilise une dernière fois son propulseur individuel pour se stabiliser juste à côté du câble.
- Bon, je m’accroche à lui, dit-il.
- Si jamais le filin se rapproche trop vite, on essaiera de le repousser un peu dans l’autre sens, dit Natacha.
- J’espère qu’on n’aura pas besoin de la faire, dis-je. Parce que s’amuser à pousser un câble électrique aussi
long dans tous les sens n’est jamais très bon et ne peut pas durer longtemps.
Juarez a commencé à couper le câble avec ses pinces.
- Ca va aller vite, il est solide mais il est aussi très fin!, dit Juarez.
En effet, moins d’une minute plus tard, le filin est coupé.
- Ca y est, on est à l’abri d'un déclenchement intempestif du système d’autodestruction de la fusée. Comme
on est à la limite du couloir de navigation, ils seront obligés de nous recevoir avec leur frein magnétique sur
la Lune!
- Génial, dit Natacha. Mais dépêchons-nous, il ne nous reste plus que trois minutes avant que nous ne sortions
de l’ombre de la Terre!
- Ramène le câble vers la fusée, dis-je à Juarez. Il nous sera peut-être utile.
- Okay!
Il accroche son petit robot à un crochet plastifié qui sort de la plate-forme du Soyouz et donne le câble au robot.
Il le programme rapidement pour qu’il l’embobine. A nouveau, on voit un jet de gaz jaillir un bref instant du
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dos de son scaphandre. Il s’arrime à nouveau sans problème à la fusée grâce aux ventouses magnétiques qu’il a
activées.
Nous rentrons à l’intérieur du cockpit.
Il était temps. Le Soleil commence à apparaître sur l’horizon alors que nous refermons la porte du sas.
-
-
-
-
Bon, et bien il nous reste trois jours à attendre, dit Natacha. Quel est le programme des réjouissances?
Nous achevons notre révolution autour de la Terre pour nous donner de l’élan, et naturellement, par la
simple loi de la gravitation, nous allons prendre le chemin de la Lune. C’est un jeu qu’affectionnent
beaucoup les ingénieurs. Ils l’assimilent à un jeu de catapulte céleste.
Au bout de trois jours environ, nous arriverons devant la Lune. Quand je dis devant, ce n’est pas anodin. La
Lune avance, ce n’est un secret pour personne. Et bien nous seront pile là où elle se trouvera quelques
minutes plus tard.
Grâce à son attraction, on la contournera, mais en remontant sa trajectoire dans l’espace. Automatiquement,
par la magie de la gravité, notre vitesse dégringolera de 16,2 kilomètres par secondes, ce qui est à peu près
notre vitesse actuelle, à moins de 3 kilomètres par secondes. Le canon magnétique nous accueillera et nous
ralentira jusqu’à une vitesse d’à peine soixante mètres par secondes. A peine deux cent seize kilomètres à
l’heure, une broutille!
Ouais, fait Juarez. Une broutille qui va nous assommer un bon moment. Tu t’es déjà crashé à plus de deux
cent kilomètres à l’heure? me demande-t-il.
Normalement, nos combinaisons doivent nous aider à surmonter le choc, dis-je pour toute réponse.
D’après les données que j’ai obtenues d’AVALON, dit Juarez, la structure du container est prévue pour se
ratatiner sur elle-même pendant le crash. Ca absorbera la plus grande partie du choc. En fait, d’après les
calculs des physiciens de l’association, on ne devrait pas subir une décélération de plus de quinze G pendant
une fraction de secondes. On y survit…
Y’a pas des airbags dans ce truc? demande Natacha inquiète.
Hé !… C’est une bonne idée que tu as, là, lui fait Juarez. Quand nous serons suffisamment éloignés de la
Terre, nous pourrons aller explorer le contenu du container. On pourra peut-être y trouver des trucs qui
pourront nous aider.
Oui, mais il faudra rester discret, dis-je. Sur tout le long du chemin entre la Terre et la Lune, des
observateurs peuvent nous voir avec leurs instruments.
Ce serait jouer de malchance! fait Juarez. Les gens ne suivent jamais un container sur toute la longueur du
trajet!
Trois heures plus tard, ça fait déjà un moment que nous avons fini d’accélérer en tournant autour de la Terre.
Nous sommes bien partis vers la Lune. Et nos réserves d’oxygène sont bien entamées.
- Bon, il faut aller chercher les bouteilles d’oxygène qui sont dans le container, nous dit Juarez.
- J’espère qu’il y en a! dit Natacha.
- Pas de problème, lui répond-il. D’après mes sources d’AVALON, ils en mettent à chaque vol.
- Bon, et bien allons-y, dis-je.
Nous ouvrons à nouveau le sas et nous nous dirigeons vers l’arrière de la fusée. Le robot de la combinaison de
Juarez a terminé de ramener le filin. Celui-ci est vraiment très fin. Il mesure plusieurs kilomètres, et pourtant,
enroulé, il n’est guère plus gros qu’une pelote de cinquante centimètres de diamètre. Juarez récupère son robot
et le remet sur sa combinaison. Pendant ce temps, je fixe le rouleau sur une paroi de la fusée.
Le ciel à nouveau nous interrompt un instant. Il est d’une beauté à couper le souffle. Immense, il est tout autour
de nous. Nous distinguons tellement d’étoiles que nous sommes décontenancés un moment. Les nuages de
Magellan sont éblouissants. La constellation d’Andromède de l’autre côté du ciel est fantastique, accompagnée
de ses immuables amas d’étoiles. Nous prenons conscience que nous faisons partie intégrante de ce paysage.
Etre libres comme l’air dans une telle immensité donne le vertige. La Terre est maintenant beaucoup plus petite.
Une bonne partie des continents est cachée sous les nuages. Les océans bleus font ressortir notre planète de
manière si extraordinaire dans ce décor d’un noir si profond et de points blancs si éclatants que je me prends à
rêver quelques brefs instants.
Juarez me ramène rapidement à la réalité, et nous nous dirigeons vers le panneau principal du container.
100
Nous l’ouvrons sans problème. Comme prévu, une bonne partie est vide à l’avant. C’est le système
d’amortissement du choc de l’alunissage. Enfin,… Si on peut parler d’alunissage pour un crash programmé!…
Il a un diamètre de près de cinq mètres. Nous entrons. Nous découvrons de nombreuses boîtes hermétiquement
scellées. Un panneau protège chacune d’entre elles. Nous en ouvrons tous chacun de notre côté. Finalement,
Juarez pousse un cri de victoire.
- Yeepee! J’ai trouvé nos airbags!
Nous nous dirigeons vers lui et voyons la réserve de roues qu’il vient de trouver. Celles-ci font près d'un mètre
de diamètre et ont leur partie intérieure composée d'un disque métallique
-
Super! s’exclame Natacha.
Avec la mousse qui les composent, ça va amortir le choc encore bien plus! dis-je avec un large sourire.
Avec ça, on aura l’impression d’atterrir en douceur! Fait-il avec un large sourire.
En douceur, hum… fait Natacha sceptique, peut-être pas. Mais moins fort, certainement!
Fier de sa découverte, il se met à les compter.
- Il y en a une trentaine! Et elles sont vraiment grosses!
- Si on en met deux bout à bout correctement, alors, c’est largement suffisant! dit Natacha.
- Si on les fixe bien, on peut en mettre deux paquets de trois sous chacun de nous, dis-je.
- Reste plus qu’à voir comment on peut les mettre, dit Juarez. La fusée n’est pas trop large.
Nous laissons la précieuse découverte en apesanteur dans le container et nous sortons étudier l’aspect extérieur
de la fusée.
- Quand le moment du crash viendra, dit Juarez, le cockpit se détachera et ira s’écraser tout seul.
- Hum. Nous, nous serons sur le container. Pas dedans, mais dessus, à l’extérieur, dis-je.
- Allons voir comment est le cul de la fusée, dit Juarez.
L’arrière du container est complètement plat.
- On peut facilement s’y installer, dit-il.
- Mais comment peut-on les attacher? demande Natacha
- Et bien, dis-je, on dispose du filin: c’est un câble très solide et très long. Ca ira!
- Excellent! s’exclame Juarez.
- Je ne veux pas être rabat-joie, dit Natacha, mais nous n’avons toujours pas trouvé les bouteilles d’oxygène.
- Tu as raison, dis-je. Trouvons d’abord les bouteilles, ensuite nous nous occuperons de nos matelas pour
préparer l’alunissage brutal.
Nous reprenons les recherches. Nous ouvrons toutes les boîtes, tous les caissons, nous lisons les codes barres de
toutes les bouteilles pressurisées. Nous cherchons en vain pendant plus d’une heure.
A la fin, il faut nous rendre à l’évidence, il n’y a pas de bouteilles d’oxygène dans le container.
- Ce n’est pas possible! s’exclame rageusement Juarez. Il y a en toujours! Ils n’ont jamais, au grand jamais!
dérogé à cette règle. C’est trop vital pour les installations lunaires!
- Ils puisent peut-être suffisamment d’oxygène du sol lunaire maintenant et n’ont plus besoin d’en faire
venir? dis-je.
- Non, non, la construction de la centrale à fusion d’hélium 3 ne fait que commencer! C’est avec elle qu’ils
extrairont l’oxygène des roches du sous-sol lunaire. Mais pas avant plusieurs années. En attendant, ils ont
besoin de faire venir de l’oxygène de la Terre.
Juarez fait un rapide tour d’horizon de l’intérieur du container.
- C’est pas possible! On a mal cherché! Il faut recommencer! s’énerve-t-il.
- Bon, y’a pas de quoi s’affoler, fait Natacha. Il nous reste près de six heures d’oxygène alors on a tout notre
temps pour aviser.
Juarez ne dit rien et part reprendre les recherches en grognant, furieux d’avoir reçu des informations erronées de
la part d’AVALON, et qui pourraient nous mener à la mort.
Nous passons une nouvelle heure à chercher les bouteilles d’oxygène.
En vain.
Toujours rien.
101
- Hé! Je sais! s’exclame Juarez. Il doit y avoir une double paroi quelque part! Les bouteilles sont dedans!
Nous dévissons une quinzaine de grands panneaux du container, et au bout d’une longue demi-heure, nous
devons nous avouer une nouvelle fois bredouilles.
- Nous avons un gros problème, dis-je.
- Hum, répond Juarez.
- Partons du fait qu’il y a de l’oxygène à bord, dis-je. De toute façon, s’il n’y en n’a pas, on n’ira pas très
loin… Ca veut dire qu’on est morts et ça ne nous sert absolument à rien de réfléchir plus longtemps à cette
possibilité. Donc, dis-je avec une profonde insistance, nous devons découvrir où se trouve l’oxygène.
Pour poser le problème correctement, rappelons-nous comment on peut conserver de l’oxygène.
- Sous forme liquide et gazeuse seulement, répond Juarez. Et y’a rien de tout ça dans le container, fait-il
désappointé.
- Non, je ne suis pas d’accord, dis-je avec une lueur d’espoir.
- Ah ouais, et comment tu veux le transporter autrement?
- Et bien ils ont pu mélanger l’oxygène à un autre produit pour ne pas avoir de problème à l’arrivée, quand le
container s’écrase sur le sol.
- Comment ça? demande Natacha.
- Et bien, on peut facilement mélanger l’oxygène à plusieurs sortes de mousses. En plus, comme ça, c’est
beaucoup moins cher pour le conditionnement, et la mousse peut servir à d’autres choses sur la Lune.
Rappelez-vous le leitmotiv de nos politiques: « Après la chasse au gaspi, prônons le multi-emploi! »
- D’accord, fait Juarez. Mais une fois qu’on aura trouvé cette mousse, on fera comment pour l’extraire et le
respirer?
- C’est tout simple. Pour extraire l’oxygène, il suffit de chauffer la mousse solide. Normalement, le récipient
dans lequel elle est moulée est muni d’une alvéole grâce à laquelle on pourra récupérer le précieux gaz.
- Oui, mais qu’est-ce qui peut bien être en mousse avec une alvéole ici? demande Natacha.
Simultanément, Juarez et moi avons la même idée.
- Les roues!
- Mais comment les chauffer? demande Juarez.
- On n’a qu’à les mettre au Soleil, ça sera suffisant!
- Testons d’abord si c’est bien de l’oxygène, fait Natacha prudemment.
Juarez commence à dévisser la valve d’une roue.
- Il y a du gaz qui s’en échappe, fait-il. Pour savoir si c’est de l'oxygène, et bien, on va en remplir une
bouteille et on va la respirer une fois qu’on sera dans le sas. Je sais, c’est dangereux comme système de test,
mais on n’a pas d’autre solution.
Après avoir rempli le récipient, nous retournons dans le sas.
- C’est pas la peine qu’on court tous les trois le risque de s’asphyxier, dit Juarez. Gardez vos scaphandres
même après que le poste de pilotage aie été pressurisé.
Au bout de trente secondes, il enlève son casque.
- Bon, je vais humer le gaz de la bouteille, dit-il.
Et après une bonne goulée, il s’exclame:
- C’est de l’oxygène!
- Excellent. Allons fixer les roues à l’arrière de la fusée. Elles seront exposées aux rayonnements intenses du
Soleil et on n’aura plus qu’à ouvrir les vannes et remplir nos réservoirs avec des câbles d’alimentation.
Comme il y en a partout, ce sera facile!
Au bout de trois quarts d’heure, nous terminons d’attacher le dernier pneu nécessaire à la fabrication de nos
matelas improvisés. D’une épaisseur de trois roues et d’une longueur de deux, ils sont prêts à nous recevoir.
- Bon, et bien commençons notre récupération de l’oxygène, dit joyeusement Juarez.
Deux minutes plus tard, il relit le réservoir de Natacha à la valve de la roue. Il l’ouvre en grand, tout en
contrôlant les différents niveaux de pressions. Au bout de quelques minutes, tous les indicateurs indiquent la
charge maximale.
Au bout d’une dizaine de minutes, nos trois réservoirs sont remplis au maximum.
102
-
Bon, et bien, il ne nous reste plus qu’à remettre solidement les panneaux des doubles parois du container
qu’on a dévissés, dit-il.
Pourquoi? demande Natacha.
Ces panneaux sont indispensables à la solidité du container lors de son atterrissage. Si on veut garder nos
chances d’arriver entier, il faut le remettre en état!
Au boulot, dis-je alors.
Une heure plus tard, ils sont tous à nouveau en place.
-
La Lune commence à être bien plus grosse maintenant, fait Natacha.
Oui, mais nous n’y serons que dans deux jours et demi, dis-je.
103
11- Le sol lunaire est aussi dur que le sol terrestre
Vendredi 30 juillet 2066, 15h03 Temps Universel
Natacha, Juarez et moi sommes dans le poste de pilotage du vaisseau Soyouz.
- Nous n’avons pas pensé à quelque chose de très important, dit Natacha.
- Qu’est-ce que c’est? je lui demande.
- Si nous laissons des traces de notre passage dans le container, les Sélènes sauront qu’il y avait au moins un
passager clandestin et ils lanceront des recherches partout. On se fera prendre très rapidement.
- Oui, tu as raison, dit Juarez. Il faudra qu’on remette les roues en place avant de se sauver.
- Il reste aussi quelques points à éclaircir, dit Natacha. D’abord, est-ce que nous sommes toujours sur une
trajectoire correcte, et est-ce que notre poids à bord du container ne va pas nous jouer encore un tour à
l’arrivée avec le frein magnétique qui doit nous accueillir?
- Concernant notre trajectoire, voici le cône dans lequel nous devons impérativement être pour arriver sur la
Lune et alunir là où c'est prévu. Nous sommes à la limite du cône, mais nous sommes dedans. Il n'y a donc
pas de problème. Ensuite, tu as raison, dis-je. On jettera deux trois choses non vitales pour les équipes
lunaires.
- Ensuite, continue alors Natacha, quand on arrivera sur la Lune et qu’on devra s’éloigner au plus vite du
container, il ne faudra laisser aucune marque sur le sol. Si on y pose le pied, l’empreinte y restera et ne sera
balayée par aucun vent.
- Oui, dit Juarez. On avisera sur place. On n’a pas d’autres solutions.
- On fera quoi du filin? je demande.
- Et bien, dit Juarez, on le laissera à côté, comme s’il avait été victime d’un mauvais fonctionnement. De
toute façon, même s’il s’était cassé pour une raison X ou Y dans l’espace, il aurait suivi exactement la
même trajectoire! Alors ça ne pose pas de problème.
Nous passons une bonne heure à rassembler tous les objets qui peuvent être remis en place dès à présent et nous
en jetons certains pour alléger le container. Pour les jeter, nous décidons de les lancer tous légèrement devant
notre fusée. Ainsi, nous allégeons la fusée et les colis ne sont pas détectés par les radars. Nous calculons
exactement le poids à enlever de la fusée. Nous vérifions et re-vérifions que tout est remis en place. C’est
véritablement une question de survie. Le moindre bout de papier laissé derrière nous pourrait nous trahir.
Après avoir fini, nous nous reposons et laissons notre imagination voyager et se promener parmi les étoiles qui
nous entourent. Notre vaisseau spatial scintille et renvoie les rayons du Soleil vers l’infini.
La Lune est beaucoup plus grosse que la Terre à présent.
Natacha se met à commenter l'Univers qui s'offre ainsi à nous:
« Entre gris clair et gris foncé, la Lune approche
Silencieusement de notre vaisseau spatial.
Lancée sur sa voie, sortie de l’ombre des cœurs,
Si leste, elle s’impose dans le ciel profond.
Entre bleu clair et bleu foncé, la Terre est proche
Si curieusement de la voûte spatiale.
Sur la Voie Lactée, portée par les nombreux chœurs
Célestes, elle s’oppose aux silences profonds.
Entre la Terre bleue et la Lune grise,
Entre le Soleil jaune et la comète blanche,
Entre les amas brillants et le vide noir,
De la planète où soufflent vives les brises,
Au satellite que l’on voit du haut des branches,
Nous volons vers notre destin et notre espoir. »
104
Vendredi 30 juillet 2066, 16h38 Temps Universel
-
-
-
Nous approchons très vite de la Lune, dis-je au bout d’un moment.
On va commencer la partie de billard cosmique dans peu de temps, répond Juarez.
Oui, on va contourner la Lune en remontant sa trajectoire. Ca va nous ralentir d’un seul coup.
Il va falloir s’accrocher, dit Natacha.
Non, pas du tout, dis-je. En fait, on ne va ralentir que par rapport à la Lune. Pour nous, il n’y aura
absolument aucune décélération. Par contre, quand le canon magnétique va nous freiner, là, il va falloir
s’accrocher. On va passer de plusieurs kilomètres par secondes à plusieurs dizaines de mètres par seconde.
Vu notre position actuelle, ça va commencer dans une heure ou deux, dit Juarez.
Hum, fait Natacha peu emballée par la perspective des événements. C’est pas très encourageant. Ca va
secouer un bon moment.
Non, désolé de te contredire une nouvelle fois, dis-je, mais ça m’étonnerait beaucoup qu’il y ait les
vibrations et qu’on soit secoués comme dans un prunier. Je pense plutôt que ça va se faire soft. Par contre,
on sera plaqués si forts sur nos matelas de fortune qu’on pourra même pas bouger le petit doigt.
De combien de G sera la décélération? demande Natacha.
Je ne sais pas vraiment, mais ça sera bien plus qu’au décollage. Ca pourra atteindre allègrement les sept G.
Pour nous sur la Lune, j’espère que les accélérations ne dépasseront pas ça.
Il ne faut pas oublier qu’on est sur un vol considéré comme inhabité, fait Juarez. Alors les problèmes de surdécélérations ne concernent pas les ingénieurs qui ont pris en charge.
Vous n’êtes pas très encourageants! dit Natacha.
Oui, mais bon, il vaut mieux être réaliste, dit-il.
Allons nous préparer à l’alunissage, dis-je.
Nous arrivons devant les pneus remplis de mousse dans lesquels l’oxygène est conservé.
- Nos matelas nous attendent! s’exclame Juarez.
- Remplissons une dernière fois nos réservoirs au maximum de leur capacité, dit Natacha.
- Oui, dit Juarez. Non seulement on n’aura pas le temps de les remplir avant un bon moment quand on
arrivera sur le sol lunaire, mais en plus, avec les accélérations qu’on va subir, on en aura besoin.
- Oh, une dernière chose, dis-je. Programmons les petits robots qui sont fixés magnétiquement à nos
combinaisons. Si un problème survenait pendant la décélération de l’approche lunaire, ils seraient les seuls
à pouvoir nous sauver la vie. Nous, on sera complètement paralysés. Rendez-vous compte, avec une
décélération de sept G! On pèsera sept fois notre poids!
- Il faut qu’ils puissent agir de concert, dit Juarez. Ils pourront s’entraider en cas de gros problème. Ils seront
plus rapides et plus efficaces.
- Excellente idée! fait Natacha. Il faut aussi préciser dans leur programmation que les réserves d’oxygène
sont dans les pneus.
- Oui, dit Juarez. Mais le plus important, pour qu’ils soient efficaces dans leur protection, c’est de prévenir
les robots qu’on va subir une décélération importante et qu’on heurtera le sol presque horizontalement à la
vitesse de soixante mètres par seconde.
- A propos, une fois qu’on sera tous attachés, dit Natacha, il faudra qu’on puisse se détacher rapidement.
Comment on va faire?
- C’est simple, dit Juarez. Précisons aussi aux robots qu’il est vital qu’on soit détachés le plus rapidement
possible après le crash.
- Excellent! dis-je avec satisfaction.
Nous les programmons rapidement puis nous nous attachons solidement aux pneus.
Nous commençons par Natacha.
- Tu es solidement tenue? je lui demande.
- Ca va, je ne peux pas bouger, répond-elle.
Je commence à attacher Juarez. Pendant ce temps, le robot de la combinaison spatiale de Natacha vérifie la
tension de la corde qui la maintient.
105
Au bout d’un moment, Juarez est finalement attaché.
- C’est bon, me dit-il. Je ne peux pas bouger. Dépêche-toi de t’arrimer aussi au container.
- Oui, les robots vont m’aider.
Je commence par mes pieds, puis je ligote solidement mon bras gauche.
A ce moment là, le robot de Natacha a terminé de vérifier ses ceintures de sécurité improvisées. Il se dirige vers
moi, alors que mon robot entreprend de nouer le filin autour de mon bras libre. En quelques instants, je suis
aussi bien arrimé au container que mes compagnons.
- Ca va? me demande Natacha.
Je perçois une pointe d’inquiétude dans sa voix. Je m’empresse de la rassurer.
- Ca va, dis-je. Les robots m’ont ficelé comme un véritable rôti!
Malgré tout, je sens mon cœur battre à tout rompre. Chaque robot a rejoint son propriétaire et attend la suite des
événements. Maintenant ils sont immobiles. On a l’impression qu’eux aussi retiennent leur souffle.
-
-
Si jamais une fissure est provoquée dans votre combinaison au moment du crash, dit Juarez, pensez à
respirer dans le tuyau relié au réservoir de propulsion. Il peut servir de bouteille de secours.
Nous contournons la Lune, dis-je. Ca ne va pas tarder, on doit déjà être à la limite gauche visible de la
Terre. au niveau de l’Oceanus Procellarum.
Ce serait pas mal que tu parles comme tout le monde, en français, dit Natacha avec une pointe d’humour.
Ca nous aiderait à savoir exactement où on est.
C’est l’Océan des Tempêtes, dis-je en souriant.
Vous dites que tout le monde parle français, mais je vous rappelle que moi je vous parle en espagnol,
répond Juarez avec humour. Heureusement que vous avez vos traducteurs automatiques! Et moi aussi
d’ailleurs! On en oubli qu'on parle dans des langues différentes.
D’accord, lui répond Natacha. J’aurai dû dire à Yann de parler en utilisant plutôt une langue vivante
compréhensible par tout le monde…
L’ambiance se détend légèrement. Nous percevons néanmoins une force qui nous appuie doucement mais de
plus en plus fermement vers le container.
Quelques minutes plus tard, nous sentons nettement les effets de la décélération. Nous sommes pile dans le
champ du canon magnétique. En fait, quand on parle de canon, on devrait plutôt parler d’accélérateur circulaire
dont l’orifice bouge pour suivre la cible, qui est en l’occurrence le container. Les effets du frein magnétique
sont facilités par le fait que le corps de la fusée s’est magnétisé quelques minutes avant que les appareils au sol
ne se mettent en marche.
Cette technologie qui permet de magnétiser facilement un objet dans l’espace est constamment utilisée pour
nettoyer les orbites terrestres. Grâce à cette technologie, on peut repousser au loin n’importe quel objet
métallique qui tourne autour de la planète. Ca nettoie les banlieues orbitales proches et ça évite par la même
occasion aux habitants sur Terre de recevoir des débris d’engins spatiaux sur la tête.
Je ne sais pas quelle est la décélération, mais je ne peux plus bouger. Je suis complètement collé sur le dos. Je
ne peux plus soulever les bras à l’intérieur du scaphandre. Même bouger les doigts me demande un effort.
Dix secondes plus tard, je ne peux même plus soulever le petit doigt.
Je ne peux que regarder fixement devant moi.
J’ai du mal à respirer. Ma cage thoracique me fait mal. Les robots ne bougent toujours pas. C’est bon signe. Ca
veut dire que pour eux, tout se passe bien. Ce n’est pas la décélération qui les gêne de trop. A moins qu’ils ne
soient bloqués dans leurs mouvements par le fait que le container se soit magnétisé. En effet, ils se déplacent
grâce à un système magnétique. C’est embêtant…
La décélération est terrible maintenant. Je ne vois pas le reflet de mon visage sur le verre de mon scaphandre,
mais je suis sûr que si je le pouvais, je ne me reconnaîtrai pas. Mes traits doivent être tirés à l’extrême, mes
joues sont elles aussi tirées vers ma nuque.
Le temps semble s’être arrêté. Les secondes s’égrainent avec une telle lenteur qu’on a l’impression que ça fait
déjà une éternité que ça a commencé.
Je ne vois que les étoiles. Ma tête appuie douloureusement sur le fond du casque.
La pression commence à diminuer.
106
Je peux à nouveau bouger les doigts. Ca y est, je peux même soulever quelques instants mon bras à l’intérieur
du scaphandre.
- Est-ce que tout le monde va bien? je demande d’une vois rauque.
- Ca va, dit Natacha dans un halètement.
- Ca va, dit Juarez d’une voix essoufflée.
- Tenez-vous bien, le plus dur est à venir.
- J’ai peur, fait Natacha.
- Moi aussi, dis-je. Tout se passera bien. Et en plus, ca ira très vite, on n’aura pas le temps de s’en rendre
compte.
C’est le calme avant la tempête.
L’œil du cyclone. Personne ne dit mot. Les robots attendent.
Ils n’ont pas bronché de toute la décélération.
Le container est maintenant démagnétisé.
Tous les systèmes électriques sont coupés.
Nous sommes à l'arrière de la fusée.
Nous ne voyons que le ciel noir.
Ce noir qui pourrait bien nous ensevelir de vide.
Ce vide qui pourrait bien nous écraser
Ce vide qu
Choc
Soudain
Nous sommes projetés dans tous les sens.
Violence ahurissante. Bruits assourdissants.
C'est la fin du monde.
Apocalypse.
Les sons se propagent à travers la coque du container, par les pneus, par ma combinaison. Toutes les vibrations
se sont frayées un chemin jusqu'à nous. Nous sommes secoués dans tous les sens, tirés de tous les côtés à la
fois. Je ne sais pas sur quelle distance nous glissons et nous raclons le sol, mais c’est beaucoup plus long que ce
que je ne pensais.
Si le container bascule et que nous nous retrouvons à l'avant, nous sommes morts.
Je vois des pierres voler de tous les côtés. L’une me frôle la tête. De nombreux rochers éclatent sous le
container, qui s’écrase sur lui-même. C'est prévu. Sa structure est faire pour s’écraser et amortir le choc.
Soudain, une douleur fulgurante me traverse l’avant-bras gauche! Ca dure une bonne seconde. J’ai l’impression
qu’on me déchire la peau petit bout par petit bout! Ma combinaison a été percée! C’est la catastrophe! Je vois le
robot de ma combinaison se précipiter sur mon bras. Il a repéré le problème et va tenter quelque chose.
Ca brûle! C’est horrible! Je hurle de douleur. Je comprends ce qui se passe: le robot ressoude directement mon
scaphandre. Tant pis si ma peau le touche. C'est ça ou la mort. La douleur me fait tourner la tête. J’ai du mal à
respirer.
Les grincements du métal du container contre les roches lunaires continuent un peu, puis s’arrêtent.
J’entends vaguement Natacha et Juarez me demander ce qui se passe. Je suis groggy par la douleur. Tout
tourne. Je n’arrive pas à leur répondre. J'ai des flash lumineux devant les yeux. J'active l’arrivée d’oxygène. Je
sens des nausées qui montent. Je respire le gaz réparateur goulûment. J’avale un peu d’eau fraîche grâce au
système d’alimentation de ma combinaison. Les envies de nausées et les flash diminuent. La douleur transperce
mon bras. Je laisse passer un grognement.
J’aperçois Juarez au-dessus de moi.
- Qu’est-ce qui t’es arrivé? me demande-t-il.
Je reprends un peu mes esprits et j’arrive à lui dire, au prix d’un gros effort.
- Mon bras gauche…
107
-
Je vois, dit-il. Attend, je dépressurise ton système d’alimentation. J’y mets un calmant. Tu iras beaucoup
mieux avec ça en attendant de recevoir des soins.
Un des robots se dirige vers moi pour couper mes entraves.
Natacha arrive aussi au-dessus de moi.
- Sa combinaison a eu un problème pendant le crash! lui lance Juarez.
- Où ça? demande-t-elle angoissée.
- Au bras gauche, répond Juarez. Le robot de sa combinaison a ressoudé la déchirure provoquée par un éclat
de roche.
Tout en lui disant ça, il pressurise à nouveau le système d’alimentation de mon scaphandre.
- Ca y est Yann, tu peux avaler le calmant. L’effet est quasi immédiat.
J’avale une gorgée d’eau avec le comprimé qu’il vient de me donner. Je suis beaucoup plus à l’aise en moins de
dix secondes.
- Fais attention à ne pas te blesser, me dit-il. Tu ne sentirais pas la douleur mais tu te ferais mal quand même.
Je hoche simplement la tête.
Je commence à me libérer, aidé de Natacha et du robot de ma combinaison.
- Remettons les pneus en place dans le container, dit Juarez. C’est urgent. Il n’y a encore personne à la ronde,
mais ils ne vont pas tarder à arriver. Chaque seconde est précieuse. Je commence, dit-il en s’éloignant.
- Va l’aider, dis-je à Natacha. Il a raison. Le temps joue contre nous.
- D’accord, mais ne force pas, me dit-elle. Repose-toi. Je viens t’aider, lance-t-elle à Juarez.
- Détache les pneus pendant que je dévisse un panneau accessible pour ouvrir le container, lui dit-il. Et ne
marche que sur le container! Ne pose pas le pied sur le sol sinon tes traces de pas y seraient visibles pour
l'éternité!
Natacha fonce vers un tas de pneus. Les robots ont maintenant terminé leur travail pour nous libérer et ils
rejoignent la combinaison à laquelle chacun est associé.
En moins d’une minute, Natacha a complètement terminé de détacher un paquet de pneus. Au moment où elle
arrive avec son chargement, il ouvre le panneau.
Elle les lui laisse et retourne en chercher d’autres en se laissant tirer par ses ventouses magnétiques le long de la
paroi du container.
Je me mets aussi au travail. Quand Natacha arrive, je lui donne les pneus que j’ai détachés.
- Ne force pas, me dit-elle. C’est pas la peine de te blesser encore plus.
- Non, ça va. Le calmant marche à merveille.
Le temps qu’elle lui amène son nouveau chargement, j’ai terminé de détacher les derniers.
En moins de deux minutes, tous les pneus sont remis en place, le panneau du container est revissé, et Juarez a
récupéré nos sacs, dont le sien qui contient les armes.
- Il n’y a toujours personne à l’horizon, dit Natacha.
- Parfait, répond Juarez. Utilisons les propulseurs de nos scaphandres et dirigeons-nous vers les cratères qui
sont là-bas, dit-il en indiquant une protubérance du sol gris foncé de la Lune. En prenant de l’élan, on y
arrivera sans problème en un seul saut.
Moins de dix secondes plus tard, sans avoir encore posé le pied sur le sol lunaire, nous atteignons notre objectif.
C’est un renfoncement qui nous met à l’abri du regard des ouvriers qui vont venir s’occuper du container.
A une cinquantaine de mètres du lieu du crash, ou plutôt devrais-je dire de l’alunissage brutal, nous sommes
cachés dans un petit cratère d’une trentaine de mètres de diamètre. Ses parois ne font pas plus de trois mètres de
haut, mais c’est largement suffisant pour nous masquer. Tout autour de nous, le sol est gris, mais en nuances du
noir au gris terne. Partout le sol est recouvert de la poussière venue de l’espace. Et comme il n’y a pas de vent,
elle reste irrémédiablement sur le sol. La couche de poussière où nous sommes fait près de vingt centimètres
d’épaisseur. Même la plupart des rochers présents dans le cratère sont poussiéreux. Le moindre pas tasse à
jamais cette couche de sable gris presque noir. Au-dessus de nous, le ciel est extraordinaire. Hormis le soleil qui
paraît blanc d'où nous l'observons et qui inonde la surface désertique de sa lumière crue, le point le plus brillant
108
est la planète Mars pas trop loin de l’horizon. Sa couleur orangée est accueillie chaleureusement. Ici où nous
sommes dans la Mare Moscoviense, c’est la seule source de couleur naturelle. La Terre ne s'y montre jamais.
En alunissant, Juarez dit avec un large sourire:
- Un petit pas pour l’homme et un pas de géant pour l’humanité!
- Avec nos propulseurs, c’était quand même un grand pas pour l’homme ce qu’on vient de faire, lui dit
Natacha avec un brin de malice.
- Hum, hum… D’accord, c’était un grand pas pour la femme… commence Juarez pour taquiner Natacha.
- C’est quoi ce machisme primaire?! proteste Natacha.
- C’est pas du machisme primaire, c’est de la misogynie avancée! répond Juarez avec un sourire de plus en
plus large.
- C’est malin, ça! fait Natacha avec une grimace.
- Il y a des trappes qui donnent dans le sous-sol là-bas! dis-je en m’exclamant.
- Oh, là! réagit Juarez. Attention, c’est peut-être par là que les ouvriers vont arriver! Vite, allons voir ce que
c’est exactement!
- On peut marcher comme on veut ici, nous dit Natacha. Le sol a été piétiné partout. On n'y verra pas nos
empreintes de pas.
Nous nous précipitons vers les portes rondes. Elles donnent l’impression d’être couchées sur le sol.
Il y en a deux et chacune porte des inscriptions en japonais.
- Mon traducteur visuel me dit que l’autocollant sur la porte de gauche veut dire: « Interdit à toute personne
étrangère au service ». Sur l’autre, il n’y a aucun autocollant.
- Le mieux pour se fondre dans la foule est de prendre celui qui n’est pas réservé au service, dit Juarez.
- Okay, ne perdons pas de temps, dis-je. Les ouvriers qui doivent réceptionner le container vont arriver.
Dépêchons-nous, ils peuvent arriver d’une seconde à l’autre!
L’indicateur de pressurisation du sas est au vert. Nous l’ouvrons. Nous pouvons entrer tous les trois
simultanément. Nous le refermons derrière nous, puis Juarez active la pressurisation.
Après avoir franchi la deuxième porte, nous la refermons et dépressurisons à nouveau le sas d’entrée, à cause
des consignes de sécurité. Elles sont très strictes dans le vide spatial. L’une d’entre elles est de laisser
constamment les sas d’accès dépressurisés. Ainsi, si un problème survient dehors, la victime potentielle qui doit
entrer d’urgence ne perd pas de temps en manœuvres longues et inutiles pour dépressuriser l’entrée, entrer et
repressuriser. Il ne lui suffit que d’entrer et de repressuriser. Chaque seconde peut être vitale.
Nous retirons enfin le casque de nos scaphandres.
- Hum, ca sent le renfermé! dit Natacha en pinçant le nez.
- T’inquiète pas, lui dis-je. Dans quelques minutes on sera habitué à cette odeur et on n’y pensera plus.
Juarez nous regarde fièrement et nous dit:
- Et bien je crois que ça y est: nous sommes enfin arrivés sur la Lune!
109
12- New Moskova
Nous suivons un long corridor. Nous arrivons à un carrefour. On se croirait dans un Donjon & Dragon du siècle
dernier. Il y a des couloirs partout de toutes les couleurs. Certaines sont criardes, d’autres pastel, plus soft. Il y a
des portes partout avec des signaux de signalisation en anglais, japonais, français, sanscrit ou chinois qui
indiquent les différents quartiers. Les lumières parfois vives, par autres fois blafardes éclairent les couloirs du
plafond, cinq mètres au-dessus de nous.
New Moskova est une grande ville lunaire qui rassemble une dizaine de milliers d’âmes. Les premières
personnes sont arrivées pour commencer à construire le site radioastronomique. Ensuite, leurs familles ont
suivi, accompagnées par des représentants de nombreux fonds de commerces, comme des gérants de
supermarchés, des mécaniciens, des médecins, des enseignants, des chercheurs et des aventuriers. Une base
militaire a ensuite été construite à environ cinq cent kilomètres de là, et de nombreux militaires sont arrivés
avec leurs petites familles. Enfin sont arrivés des policiers, des administrateurs pour gérer l’essor de la petite
ville naissante, des agents d’entretiens de la ville, des hôteliers et restaurateurs, des artistes et de riches
propriétaires, des juristes et des politiciens. Maintenant, la petite ville a tellement de succès que de nombreuses
personnes vont jusqu’à se ruiner pour venir ici où le taux de chômage est nul pour le moment. Etre ici est un
gage de sécurité et de prospérité. Pourtant, l’expansion de cette petite ville n’est rien comparée à celles de la
brillante Sélène Orléans, de la lumineuse Copernic Bay, de la gigantesque San Selenio, ou encore du District of
Tycho. Ces villes sont situées sur la face visible de la Lune, c’est-à-dire sur la face d’où l’on voit la Terre. Le
tourisme et l'économie y sont nettement plus élevés, bien évidemment.
Ainsi New Moskova, grâce à sa situation géographique qui la place sur la face cachée de la Lune, fait figure
d’exception, un peu marginale malgré tout.
Seuls les scientifiques, les passionnés de l'espace qui veulent toujours aller plus en avant, les véritables
pionniers, ou ceux qui veulent oublier un temps la Terre viennent ici.
Nous arrivons dans une petite place un peu défraîchie. Deux peintres redonnent un peu de couleurs au plafond,
mauve à cet endroit, toujours à cinq mètres de hauteur.
Plusieurs directions sont indiquées.
- Prenons par là, dit Juarez. Ce panneau bleu vert en plastique indique le quartier hôtelier. On y trouvera
certainement quelque chose pour se reposer.
Nous suivons un couloir assez long. Il mène jusqu’à une place où se trouvent des taxis, rangés en rangs
d'oignons. Ce sont des cabines de verre sans pilote. Elles sont commandées vocalement. Nous montons dans
l’une d’elles et une voix nous dit, alors que nous n’avons même pas encore précisé l’endroit que nous voulons
rejoindre.
- Veuillez payer la course, s’il vous plaît. C’est quinze euros.
Juarez, qui tient les finances de l’équipe, sort un billet de cinquante et le donne à une main métallique sortie de
la carcasse du taxi. La main métallique est surprenante. C’est un appendice, une protubérance mi-solide miliquide qui s’extrait de la paroi pour prendre la forme d’une main et s’animer d’une nouvelle vie.
Le billet de banque disparaît et fond dans la main au profit de pièces de monnaie qui apparaissent comme
surgies de nulle part. Utiliser de telles formes de paiement est assez rudimentaire, mais celles-ci ont encore de
beaux jours devant elles. Les économistes se sont rendus compte qu’il y a de grands avantages à utiliser les
deux types de paiement. Le traditionnel, avec des pièces et des billets, et l’électronique, sous forme de portemonnaie électroniques virtuels débités grâce à l’empreinte digitale du pouce après validation par un code secret.
- Tenez, voici votre monnaie, nous dit la voix électronique, tranquille. Merci d’utiliser les taxis Thalès.
- Nous voulons aller dans le quartier hôtelier.
- Pas de problème, dit la voix.
Deux minutes plus tard, nous débouchons sur une vaste place souterraine où sont concentrées de nombreux
hôtels.
- Il y a sûrement des places libres, dit Juarez. Leur jeu local consiste à se piquer la clientèle les uns les autres.
On sera accueillis les bras ouverts.
- Allons dans celui-là, dit Natacha en indiquant le Consort Hôtel.
110
Nous descendons quelques marches pour pénétrer dans ce temple du tourisme. L’entrée est minuscule mais tout
à fait luxueuse. Le plafond est à moins de quatre mètres de haut et le comptoir de la réception est à moins de
cinq mètres de l’entrée. Mais tout est or, cuir vert et rouge, cristal et chêne. Un aquarium rectangulaire d’un
mètre de long trône de l’autre côté de l’entrée.
- Ils ont dû payer une fortune pour amener tous ces poissons et objets fragiles. Ils ne les ont certainement pas
fait venir à l’aide d’un container Kazakh!, me dit Natacha avec un sourire.
Le concierge, un robot recouvert d’un alliage cuivré brillant, nous accueille en nous voyant arriver.
- Bonjour Madame, bonjour Messieurs. Que désirez-vous?
- Nous souhaitons deux chambres, dit Juarez. Une double et une simple.
- Pas de problème. Nous en avons quelques-unes unes de libre. Elles sont au cinquième et au douzième soussol. Bien que le sol lunaire de celles du douzième sous-sol soit plus joli et d’une structure surprenante, je me
permets de vous conseiller celles du cinquième. Elles sont moins bruyantes. Vous n’entendrez quasiment
pas les foreuses qui sont au dix-huitième sous-sol.
- C’est parfait, dit Juarez.
- Combien de temps resterez-vous?
- Une semaine, dit Juarez.
- C’est parfait. Je vous demanderai de bien vouloir payer d’avance, s’il vous plaît. C’est vingt quatre mille
euros. Vous avez de la chance, vous êtes hors saison et vous bénéficiez des tarifs promotionnels, nous dit
l’automate.
- Pas mal, dit Juarez en tendant une de ses cartes de crédit.
Merci Monsieur Phuieto, dit l’automate en prenant la carte. Les senseurs de ses doigts lui ont permis de lire
instantanément le nom inscrit dessus.
Au bout de trente secondes, il redonne la carte à Juarez. La transaction est terminée.
- Votre centre de paiement sur Terre accepte votre opération, dit le droïde. Merci. Quel est le numéro de votre
navette de retour sur Terre?
- Ne vous prenez pas la peine de confirmer nos réservations vers la Terre, lui répond Juarez. Nous repartirons
en direction du District of Tycho. Nous réserverons nos places plus tard.
- Merci Monsieur. Un groom va vous accompagner jusqu’à vos chambres. Vous n’avez pas besoin de clés.
Les systèmes d’accès de vos chambres vous reconnaîtront. Je vous rappelle que vous avez droit à un accès à
la piscine située au neuvième sous-sol. Je vous souhaite un bon séjour dans notre tout nouveau Consort
Hôtel Lunaire.
Un petit robot rond, copie conforme du R2D2 de la guerre des étoiles, mais peint en rouge, vient vers nous. Il
émet des petits sifflements comme ceux de la célèbre série des six films de science fiction pour nous demander
de le suivre.
Natacha tombe sous le charme de la petite machine. Il est vrai qu’elle est apaisante et amusante. En plus, voir
ce robot kitsch aussi célèbre nous enchante tous plus les uns que les autres.
L’ascenseur nous amène rapidement à notre étage. La descente est fascinante. Ses parois sont transparentes.
Aussi, au fur et à mesure que nous parcourons les étages, nous voyons les différentes strates du sous-sol lunaire
qui se suivent et ne se ressemblent pas. Certaines sont d’un noir profond et brillant, identique à de l’obsidienne,
d’autres sont des mélanges de roches volcaniques et de poussières. Le mélange de ces composants créé
naturellement des formes abstraites dont le contraste est si léger qu’il s’en dégage un mystère envoûtant. Alors
que notre vitesse ascensionnelle diminue, la porte de l’ascenseur, transparente elle aussi, voit son pourtour
s’illuminer pour nous indiquer que nous sommes arrivés à notre étage. Le robot nous guide vers nos chambres,
nous les fait visiter rapidement puis repart en émettant un sifflement léger et amusant. Les chambres sont assez
petites mais elles restent confortables.
Juarez reste temporairement dans notre chambre. Nous sommes tous très heureux d’extrapoler sur l’avenir
immédiat: prendre une bonne douche et se reposer complètement. Mais avant tout, je dois enlever mon
scaphandre et faire attention à mon bras blessé. Il ne me fait pas trop souffrir depuis que j’ai pris le calmant que
m’a donné Juarez, mas j’appréhende de voir à quoi il ressemble. Car même si je ne ressens pour le moment pas
la douleur, je ne peux de toute façon pas l'utiliser.
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Je pose mon casque sur un des deux fauteuils. Je m’extrais doucement de ma combinaison. Une fois mon bras
blessé retiré, le reste est facile.
Nous sommes tous surpris par l’état de mon bras. La brûlure est importante, mais ce n’est pas le plus grave. En
fait, la brûlure a cautérisé la blessure. Tout mon avant-bras est bleu noir. Les veines sont énormément gonflées
et sont proches de l’explosion sur toute la longueur du bras. Plus près de la blessure proprement dite, quelquesunes ont éclaté. La blessure est juste en dessous du coude. On a l’impression qu’une bonne partie de mon sang a
été aspirée vers le vide de l’espace. Même si mon sang a permis d’atténuer la brûlure, la peau a été étirée puis
brûlée au troisième degré. Sans soins médicaux urgents, il faudra m’amputer le bras. Je risque la gangrène. De
là à ce que j’attrape la gangrène gazeuse, il n’y a qu’un pas!… Ce sale truc en passe de devenir le numéro un au
box office des maladies, est apparu à cause d’une fausse manipulation génétique sur une plante qui devait
fabriquer de l’hémoglobine humaine. Maintenant, il fait des ravages sur Terre et même ici sur la face cachée de
la Lune.
- Bon, dit Juarez. J’ai de quoi parer au plus pressé. Voilà une lotion qui va adoucir la douleur et protéger la
surface brûlée des infections. Ce qui est plus embêtant par contre, ce sont les veines éclatées et l’épiderme
brûlé. J’ai bien des nanochirurgiens sur moi, mais je doute qu’ils soient efficaces pour recoudre les veines.
La blessure est trop importante. Il faut aller à l’hôpital. Le problème, c’est qu’ils vont reconnaître le type de
blessure. Blessure provoquée par une fissure ou un craquage de la combinaison spatiale. Ils voudront des
explications.
- Si on arrive à y entrer sans se faire repérer, y’a pas de problème, dis-je. On pourra y utiliser le matériel
médical.
- Oui, mais il faudra faire attention, dit Natacha. Avec toutes les caméras, tous les robots et toutes les
personnes qu’on va croiser, ça va être coton de rentrer inaperçu là-bas.
Juarez se met à pianoter les touches du clavier de l'ordinateur de la chambre. Un plan apparaît à l'écran.
- Ils sont en train de creuser pas mal de galeries partout, dit-il. Des travaux importants sont en cours à
proximité du centre médical.
- On n’aura même pas besoin d’y entrer, dit Natacha en analysant les infos qui défilent. En fait, les réserves
médicales sont entreposées dans un bâtiment voisin.
- Je change de sujet, dit Juarez, mais je viens de trouver un moyen d’accès discret jusqu’au radiotélescope.
- Lequel? je lui demande.
- Une galerie non pressurisée y va directement. Elle n’est utilisée que rarement parce qu’en fait elle traverse
une partie meuble de terrain composée essentiellement de poussière. Elle est condamnée, mais si on
neutralise le système de surveillance de la porte, on pourra l’emprunter jusqu’au centre d’observation.
- J’espère que le passage va bien jusqu’au bout, dis-je. S’il est bouché, on n’aura plus qu’à faire demi-tour.
S’il ne s’écroule pas sur nous. Mais effectivement, je trouve aussi que c’est une bonne solution pour s’en
approcher de manière inaperçue.
- Je vous propose de prendre le chemin des réserves de l’hôpital, fait Natacha, plus inquiète que moi de ma
blessure.
Je remets difficilement ma combinaison spatiale malgré leur aide. Je remarque que la réparation de fortune qu’a
réalisé le drone est légèrement visible mais efficace. Je peux réutiliser ma combinaison sans crainte.
C’est avec nos casques sous le bras que nous ressortons du luxueux complexe hôtelier.
Nous prenons aussitôt le chemin de l’infirmerie. Sur le passage, nous croisons plusieurs personnes qui ne
portent pas leur combinaison. C’est pourtant formellement interdit à cause des mesures de sécurité. Mais à les
voir, on devine que ce sont des habitants permanents. Ils ont fini par préférer prendre le risque de subir une
décompression accidentelle violente plutôt que de porter quotidiennement leur lourd attirail de survie spatiale.
Certains habitants sont vraiment grands. Ils atteignent allègrement les deux mètres vingt. Un autre détail
amusant est de voir que la mode de la « longévité pileuse » est très prisée ici.
En fait, une croyance populaire nouvelle dit que le système pileux permet un renouvellement important des
cellules, et par-là inhibe un rajeunissement, augmentant alors l’espérance de vie. Une mode a alors eu lieu au
cours des années 2010, puis s’est estompée. A ce moment-là, de nombreux hommes et femmes étaient
recouverts de poils, de la tête au pied. Puis, la mode a cessé et les gens ont retrouvé une apparence plus
traditionnelle. Cette mode a tendance à réapparaître par-ci par-là, et en l’occurrence, ici à New Moskova où
nous nous trouvons.
La femme que nous croisons mesure pas loin de deux mètres dix. Elle a les bras et les jambes complètement
recouverts de poils. Obtenus par manipulations génétiques, ce sont de véritables poils de jaguar. Avec ses
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cheveux châtains à reflets rouges et noirs, le mélange de fourrure or tachetée de noir est très exotique. Surtout
avec sa minijupe bleu vif.
Très sympa…
Nous prenons un taxi qui nous emmène dans le quartier commerçant.
Là-bas, nous rejoignons l’entrepôt du centre médical. Il y a beaucoup de passage. En plus des humains, tout un
éventail de machines déambule dans les rues. Celles-ci vont des chariots autoguidés à des formes plus élaborées
bipèdes ou quadrupèdes. Il y a aussi de nombreux petits drones fabriqués par des botgroupes. Ce sont des
groupes d’adolescents le plus souvent, qui fabriquent des machines juste pour le fun. Chaque année, des
compétitions amicales désignent la meilleure machine pacifique. L’an dernier, le petit drone qui a gagné était
capable de se multiplier, de fabriquer des copies de lui-même, simplement en utilisant des matériaux trouvés un
peu partout, ça et là, et en les assemblant.
Quand nous arrivons devant la porte de l’entrepôt, nous ne repérons aucun système de surveillance ni de
sécurité. A croire qu’ils n’ont pas trouvé utile de les installer. Nous forçons la serrure mécanique et entrons
discrètement.
La lumière se met en marche automatiquement. Nous voyons tout un ensemble hétéroclite de matériel médical,
de réserves de nanorobots ou de médicaments plus traditionnels génétiques ou non.
- Nous cherchons une lotion régénératrice d’épiderme et une pieuvre chirurgien, dis-je.
- C’est parti, dit Natacha. Je fais partir les trois robots de nos scaphandres pour qu’ils fassent rapidement une
photo 3D de la pièce.
Chacun dans son allée de la vaste pièce, ils partent à toute allure. Ils coordonnent leurs enregistrements des
différents éléments de la pièce.
On n’a pas besoin d’attendre qu’ils aient terminé de photographier complètement la pièce pour commencer
l’analyse de leurs observations, dit Juarez en enfilant le casque de son scaphandre.
Il visualise une représentation simplifiée de la pièce sur la visière de son casque.
Natacha et moi enfilons également nos casques.
- Je programme l’image 3D de l’entrepôt pour que tout ce qui pourrait ressembler à une pieuvre chirurgien
ressorte clairement.
- Je m’occupe de l’analyse des codes barres lus par les drones, dit Natacha. Ca y est, j’ai trouvé
l’emplacement des lotions régénératrices d’épiderme. Je pars en chercher. Je vous indique où je vais sur la
photo 3D, dit-elle en activant une zone de l'écran par un mouvement de paupière.
- Parfait, dit Juarez. Les drones ont terminé la photo. Ils reviennent. Je vois qu’il y a pas mal d’objets
ressemblant à des pieuvres chirurgien. J’affine ta recherche, Yann, me dit-il.
- Okay, on a réduit la sélection à trois emplacements. Allons-y. Si les objets proposés ne sont pas ce qu’on
cherche, on agrandira la sélection.
- Ca y est, je suis devant les fioles de lotion, dit Natacha joyeusement. J’en prends deux, ça devrait suffire.
- Choux blanc pour moi, dit Juarez. Ce n’est qu’un amas de câbles. J’agrandis la sélection à dix propositions.
Je continue la recherche.
- Bingo! Dis-je en m’exclamant. J’en ai trouvé une!
-
Rapidement, nous sommes tous les trois devant le robot à quinze bras. Composés d’un polymère recouvert de
peau artificielle, ils sont souples et peuvent aller opérer dans les recoins les plus difficiles du corps humain.
- Je le sors de son emballage stérile, dit Natacha.
Pendant ce temps, Juarez me donne un coup de main pour ôter ma combinaison.
Moins d’une minute plus tard, mon bras est à l’air libre prêt à être opéré et la pieuvre chirurgien est
opérationnelle.
L’opération commence immédiatement. Je n’ai pas besoin d’être anesthésié pour l’opération car la peau
artificielle de la pieuvre synthétise naturellement une substance anesthésiante qui endort localement par simple
toucher.
En quelques minutes, les caillots de sangs ont été explosés par ultra sons et aspirés, de même que les impuretés.
Mes veines et gros vaisseaux sanguins sont recousus et mon bras a retrouvé un aspect humain, même s'il est
encore recouvert de brûlures impressionnantes. La pieuvre a terminé son travail. Tel un chat, elle fait aussitôt sa
toilette, se nettoie impeccablement, éjecte un petit sac qui contient ce qu'elle a aspiré, retourne toute seule dans
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son emballage stérile, se recroqueville sur elle-même, déjà prête pour la prochaine opération chirurgicale, et se
déconnecte.
Juarez prend le petit sac pour le jeter ailleurs et ne pas laisser de traces de notre passage ici.
- Je te passe la lotion régénératrice d’épiderme, me dit Natacha.
Voir le produit agir est assez impressionnant. Dès qu’il entre au contact de ma peau brûlée, il se fait absorber. Il
me procure une sensation de bien être et de repos immense. Déjà je sens que ma peau tire moins. Tout le
produit de la première fiole est complètement absorbé. Natacha commence à verser le contenu de la deuxième,
quand le produit commence à couler le long de mon bras.
- C’est bon, dit-elle. Tu en as suffisamment. Ton épiderme ne boit plus la lotion. Il n’a plus soif. Je pense que
ça te tiraillera pendant une petite journée. Après, tu seras tranquille.
Elle jette la deuxième fiole, devenue inutilisable puisqu’ouverte.
Je remets ma combinaison avec beaucoup de facilité, bien qu’aidé par Juarez, puis nous repartons.
Quand nous sortons de l’entrepôt, les passants ne nous jettent même pas le moindre coup d’œil. Aussi, c’est
inaperçus que nous reprenons le chemin de l’hôtel.
-
Dès qu’on aura récupéré nos armes on partira sur le site du radiotélescope, dit Juarez.
Tu te sens d’attaque? me demande Natacha.
A partir du moment où c’est pour botter les fesses du BDC et dire bonjour à des extraterrestres, il n'y a
aucun problème, dis-je avec fermeté. Au contraire, penser à ça me motive encore plus.
Bon, et bien nous sommes partis, dit Juarez.
Après avoir récupéré à l’hôtel le sac qui contient nos armes, nous gagnons la place à proximité de laquelle se
trouve le tunnel condamné et qui mène au radiotélescope Sélène.
Nous marchons quelques minutes, puis nous empruntons un passage plus sombre et plus discret, pas encore
terminé. A son entrée sont garées des perceuses. Certaines sont portables, et d’autres, énormes, sont montées
sur des chenilles. Les ouvriers ne sont pas là. Il est vrai qu’ils ont fini de travailler depuis quelque temps, en ce
vendredi 30 juillet 2027 à 17h25 temps universel. Au cours de notre progression, nous dérangeons un couple de
gros chats sauvages. Leur pelage est gris terne, de la couleur de la roche environnante. Nous continuons plus en
avant alors que la pénombre augmente. Nous rejoignons un carrefour. Tout droit, c’est le tunnel que sont en
train de creuser les ouvriers. A droite, c’est celui qui est interdit et qui mène jusqu’au radiotélescope.
Juarez vérifie notre position au fur et à mesure de notre avancée grâce à un petit vibrateur attaché à son bras.
Par la modulation de ses vibrations, le petit appareil lui donne les infos de notre progression. Au bout de trois
minutes, nous arrivons au niveau d’un panneau écrit en anglais nous prévient du danger d’éboulement existant
derrière le sas qui ferme le couloir.
Bien décidés, après que chacun de nous ait vérifié l’étanchéité de son scaphandre, et plus particulièrement après
avoir attendu la vérification complète du mien, Juarez dépressurise le sas et nous continuons.
Nous activons les torches à plasma de nos casques. Un boyau sombre peu engageant s’offre à nous.
Nous commençons notre avancée. Au bout de dix minutes nous avons parcouru moins d’un kilomètre et
l’horizon qui s’offre à nous n’a pas changé d’un iota.
Un quart d’heure plus tard, nous arrivons au niveau d’un éboulement. Il y a à peine la place pour qu’une
personne puisse passer en rampant.
Je fais partir le drone de mon scaphandre en éclaireur. Pendant qu’il avance, je vois en transparence sur l’écran
de ma visière à quoi ressemble le terrain accidenté. L’étroit boyau est long d’une dizaine de mètres. Après, le
tunnel redevient normal.
- J’y vais, dis-je.
- Non, pas d’accord, oppose Juarez. Tu es blessé. S’il arrivait le moindre problème, tu ne pourrais pas réagir
correctement. Il faut que j’y aille le premier.
- Hum, dis-je pour acquiescer, peu enthousiaste.
Juarez nous laisse alors son sac et nous le voyons s’éloigner en rampant. Le drone de mon scaphandre est
toujours de l’autre côté. La visière de mon casque montre ce que voit Juarez et ce que voit le drone. Il arrive de
l’autre côté sans encombre. Il se relève et fait un rapide tour d’horizon.
- Tout va bien, nous dit-il.
114
-
J’arrive avec le sac, lui dit Natacha.
D’accord. Fais attention quand tu seras près de la sortie de mon côté, il y a des bords coupants et certaines
pierres tiennent en équilibre.
Okay.
Je modifie les écrans de visualisation de mon casque. En transparence de ce que je vois directement, je visualise
deux images qui se côtoient de ce que regardent Natacha et le drone.
Natacha met le sac dans le boyau et s’allonge derrière en le poussant. Elle a parcouru plus de la moitié du
chemin quand je lui dis:
- Fais attention à ta droite, ça n’a vraiment pas l’air solide.
- Oui, j’ai vu, me répond-elle.
Elle continue lentement sa progression. Finalement, elle arrive au bout du passage.
Juarez récupère le sac et l’aide à s’extirper.
- Bon, j’y vais, dis-je.
- On t’attend, dit Juarez.
Je commence à me glisser dans l’étroit goulot. Mon bras me lance un peu, mais tout va bien. Je suis en plein
milieu quand Juarez dit:
- Tu es sur un passage difficile. Attention à ne pas provoquer d’éboulement.
- Okay.
Mes mouvements sont lents et très mesurés. Après avoir passé les pierres en équilibre, je continue à ramper
prudemment. La torche de mon scaphandre éclaire assez mal le chemin à suivre devant moi. J’arrive à
l’extrémité du boyau d’étranglement. Je vois Juarez qui me tend la main. Je m’approche encore un peu. C’est
tout bon. Je l’attrape et il m’aide à sortir de là.
- Ouf, dis-je en poussant un soupir. On est passé sans problème.
- Oui, répond Juarez. Continuons. Mais restons vigilants.
Le petit robot revient se coller magnétiquement sur ma combinaison. Nous reprenons notre marche. Moins de
dix minutes plus tard, nous apercevons une lueur au bout du tunnel. Nous ne sortons pas immédiatement. Nous
préférons rester prudents. Juarez fait partir le drone de sa combinaison en éclaireur. Celui-ci se positionne sur
une petite colline pour nous donner une vue claire et dégagée du site du radiotélescope. Il n’y a personne. Nous
nous extrayons alors de notre trou.
Le spectacle qui s’offre alors à nous est fantastique.
Une forêt d’antennes paraboliques de radiotélescopes nous fait face. Dans cet environnement lunaire, les teintes
de gris mises à l’honneur apparaissent dans toute leur splendeur. Gigantesque, le centre scientifique lunaire
s’étale sur une surface de plus de dix kilomètres carrés. Trente antennes de cinquante mètres de haut pointent
vers le ciel noir étoilé, prêtes à écouter le ciel. Le spectacle est splendide. Cette masse de technologie
ultramoderne est entourée d’une multitude de petits cratères chaotiques gris clair et gris foncé, de petites
collines et vallées poussiéreuses. On a l’impression d’être dans une gigantesque photo noir et blanc en 3D ou
malgré tout quelques points colorés se discernent ça et là. Les immenses lampadaires brillent à plus de trente
mètres d’altitude portés par des pylônes arqués, vert sombre, qui ressemblent plus à des câbles métalliques
tordus et rigides qu’à des poteaux. Quatre immenses antennes filaires se dressent magistralement au-dessus de
ce fouillis et pointent leur aiguille vers le ciel noir profond pour atteindre les cieux. Elles sont si hautes qu’on
n’en voit pas le bout. D’elles, on ne voit en fait qu’une succession de petites lumières rouges. Comme une vaste
guirlande lumineuse rouge.
Au loin, à une dizaine de kilomètres de distance, on aperçoit deux immenses filins maintenus verticalement en
l’air par des satellites géostationnaires, en orbite autour de la Lune. Ces deux filins sont les sources d’énergie de
la ville souterraine. Le faible champ magnétique lunaire, quasiment nul d'ailleurs, est suffisant pour provoquer
un intense courant électrique qui parcourt ces deux câbles immensément longs. Il est aussi suffisant pour
alimenter la petite ville.
Plus près, sur le site du radio observatoire, une cohorte de petites antennes hémisphériques bizarres munies
chacune d’un grand ressort est disséminée tout autour du radio observatoire Sélène telle une haie de buissons
métalliques blancs. Au centre, surélevée jusqu’à atteindre la canopée, ou plutôt le sommet des grandes antennes
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paraboliques, c’est-à-dire à cinquante mètres d’altitude, est posée une immense plaque plane rectangulaire de
quartz transparent. Elle fait plus de quatre-vingt mètres de long! Je savais qu’ils avaient construit ce miroir,
mais le voir réellement est tellement plus impressionnant que de l’observer sur internet! Il représente le tout
nouveau système d’observation mis au point pour la radioastronomie. La surface plane de quartz synthétique est
en fait recouverte de cristaux liquides. Grâce aux antennes filaires, les signaux électromagnétiques sont envoyés
et concentrés sur la plaque. Les cristaux réagissent et émettent un courant électrique qui est amplifié au fur et à
mesure qu’il parcourt la surface, et qui amplifie les rayonnements capturés. Enfin, le rectangle de quartz est
terminé par un triangle qui concentre le signal écouté. Un puissant ordinateur le recueille pour l’analyser. Les
résultats de l’observation apparaissent alors directement sur l’écran de l’ordinateur. Et pour orienter le miroir,
pas de problème! Ce système d’observation ne requiert aucune mécanique, et aucune vibration donc!
Uniquement en modifiant le courant présent dans les antennes, ont dévie la trajectoire des rayonnements
magnétiques dans un sens ou dans l’autre. On peut ainsi observer la partie du ciel souhaitée et suivre un point
lumineux du ciel pendant plus de la moitié des 27 jours terrestres que dure une journée lunaire.
Quant au réseau des trente antennes paraboliques, qui ne fait que dix kilomètres carrés ratatiné sur lui-même, il
peut se déployer grâce à un système de rails pour former une gigantesque antenne d’écoute radio de plus de
cent kilomètres carrés. Les rails ne sont pas encore achevés et le chantier n’est clairement pas fini, mais le cœur
de quartz du site scientifique est prêt à battre.
Sur le sol, autour des différents pylônes visibles d’où nous sommes, nous voyons que partout entre les rails
traînent des tubes, des containers pour fabriquer du ciment dit « spatial » qui peut sécher, se coller et se
solidifier normalement dans le vide interstellaire sans subir les dégâts des rayonnements solaires. On y trouve
aussi des pièces de moteur pour faire tourner les antennes paraboliques et tout un tas d’autres objets plus
abracadabrants les uns que les autres. Quelques amas de gravats sont éparpillés autour du site scientifique. De
grosses bouteilles de gaz pressurisé sont rassemblées par codes couleur en différents endroits du chantier.
Enfin, d’où nous sommes, nous pouvons voir trois baraquements et une dizaine de sas de secours qui servent de
refuges en cas de dépressurisation accidentelle.
En observant le sol du site, Natacha dit:
- Ce qui est surprenant, c’est qu’on a l’impression qu’ils ont posé le centre sur une immense plaque
métallique d’un kilomètre de côté.
- Tient, c’est vrai, fait Juarez. C’est bizarre…
- Hum,… dis-je pensif en m'agenouillant pour scruter attentivement le sol. Le terrain à l’air assez instable.
D’ailleurs, le tunnel d’accès a été condamné pour cette raison. Même s’il est particulièrement propice aux
observations astronomiques de part sa position, le terrain est trop meuble pour qu’ils construisent
directement dessus. Cette plaque donne une meilleure cohésion au site. En plus, ça doit servir aussi à
préserver le centre scientifique des vibrations de la ville et donc d’assurer une plus grande efficacité des
appareils de mesures.
Vous savez, la résolution de cet appareil est tellement importante que s’il était placé de l’autre côté de la
Lune, sur la face qui est visible depuis la Terre, on pourrait voir les insectes qui se baladent sur le sol
terrestre! La moindre vibration, même minime, peut rendre floue et dégrader les observations du
radiotélescope.
- D’accord, dit Juarez. Mais dans ce cas, on peut tout à fait corriger ces problèmes d’observation par
ordinateur. Ca fait des décennies qu’on le fait.
- On peut corriger les problèmes des observations, mais on perd une part importante d’extrapolation des
observations, dis-je.
- En tout cas, ça doit être indispensable, dit Natacha. Parce que pour construire une telle plate-forme sur la
Lune, c’est autrement plus cher que de la construire sur Terre!
- Oui, le prix est au moins multiplié par cinquante, dit Juarez.
Pendant que nous parlons, le drone change de place. Il continue de faire le tour du chantier. Il arrive au niveau
d’une antenne plus petite et un peu à l’écart des autres.
- C’est une antenne émettrice, dis-je. Les résultats des observations sont envoyés à plusieurs satellites en
rotation autour de la Lune.
Assez près de nous, le sas d’un bâtiment souterrain est visible. C’est sans doute le bâtiment de maintenance
locale des systèmes d’alimentation électrique.
Je réfléchis à une solution pour faire fonctionner discrètement le radio observatoire
116
-
On peut rediriger temporairement les systèmes de commandes des antennes vers un baraquement.
Oui, et on pourra y centraliser nos résultats d’observation, dit Natacha.
Le petit drone continue son petit bonhomme de chemin. Il arrive au niveau de l’immense plaque métallique qui
sert de support au radiotélescope complet et commence à se glisser dessous.
- Vous voyez sous la plaque, dis-je à Juarez et à Natacha. Tout l’ensemble est posé sur un système de vérins
et de ressorts.
- C’est un travail de titans ce qu’ils sont en train d’accomplir, dit Juarez pensif. Même sur la Lune,
l’observatoire au grand complet pèse une quantité effroyable de tonnes! Alors le poser sur un système
antivibration!
- Hé! s’exclame Natacha. Si vous regardez bien, vous pouvez voir que la plaque métallique sert à la fois de
support aux antennes mais sert aussi d’antenne géante! Regardez! Elle est recouverte d’une sorte de grille
qu’on peut orienter dans la direction qu’on veut!
- Ca veut dire qu’on a là devant nous un radiotélescope qui est des milliers de fois plus puissant que celui du
Nouveau-Mexique! dis-je.
Le drone a fini le tour du centre scientifique lunaire. Il revient se fixer sur la combinaison de Juarez.
- Il y a des caméras sur tout le site, dit Natacha, mais elles ne sont pas activées. Elles ne le seront
certainement que plus tard, quand le site sera proche de sa mise en marche.
- Alors allons-y! fait Juarez en sortant du tunnel.
Nous émergeons tous les trois du sous-sol.
Nous nous dirigeons vers le baraquement le plus proche. Quand nous pénétrons dedans, nous voyons qu’il est
pressurisé et qu’il dispose d’importants dispositifs électroniques et informatiques.
- Bon, et bien nous avons le week-end devant nous, fait Juarez. On sera tranquille jusqu’à lundi matin.
- J’ai trouvé comment piloter l’observatoire! s’exclame fièrement Natacha. Je pense que je saurai pointer sur
un point dans le ciel et le suivre pendant un moment.
- On pourra envoyer nos observations au centre informatique d’AVALON sur Terre pour qu’elles y soient
analysées, dit Juarez. Avant toute chose, il faut parasiter les alarmes qui pourraient se déclencher si on met
l’appareil d’observation géant sous tension.
- J’envoie un signal de brouillage dans le système informatique de l’observatoire, dis-je. Ca rendra les
alarmes inefficaces.
- Je sors, dit Juarez. Je vais rapidement vérifier l’état des moteurs et des systèmes antivibration de
l’observatoire. A tout de suite, dit-il en pénétrant dans le sas donnant sur l’extérieur.
Pendant qu’il s’éloigne, Natacha et moi préparons le système pour nos observations.
Soudain, on entend un signal de Juarez.
- Ca alors! Il y a des explosifs partout!
- Quoi?!
Natacha et moi échangeons un regard.
- Le BDC a déjà tout installé. Il faut les arrêter à tout prix! crie rageusement Natacha.
- Sortez du baraquement, nous dit Juarez. J’ai des armes dans mon sac qui vont nous aider à rendre
inoffensifs les explosifs du BDC.
Quelques instants plus tard, nous voilà tous les trois à nouveau dans le vide spatial à marcher dans la poussière
lunaire.
- Envoyons nos drones surveiller les alentours, propose Natacha.
Aussitôt, les trois petites machines s’éloignent chacune dans une direction différente.
- Tiens, dis-je à Juarez en lui tendant le sac.
Il l’ouvre aussitôt et en sort des fioles de nanorobots.
- Ces robots ne sont pas gênés par le vide. Ils sont capables de se placer dans les rouages des mécanismes
explosifs, de couper des fils, ou encore de couper des connexions de circuits imprimés.
- Tu en as combien? je lui demande.
- J’ai dix fioles.
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-
-
-
Tu crois que ça sera suffisant? lui demande Natacha.
Pour les autres, j’ai des Fireball. J’en ai largement suffisamment On pourra se servir de leur champ
magnétique extrêmement intense pour détruire les horloges internes des explosifs.
Y’a quand même plusieurs problèmes, dit Natacha. Si on déconnecte un engin de sabotage, les autres engins
vont le savoir et ils risquent se déclencher. Ils doivent être reliés les uns aux autres. Enfin, si on arrive
malgré tout à neutraliser tous les explosifs, on n’aura gagné en tout et pour tout que quelques jours. Le BDC
reviendra en force. Du coup, non seulement on sera découvert et on n’aura plus aucun effet de surprise sur
eux, mais ils feront quand même sauter l’observatoire. C’est pas la police locale qui va les gêner!
On ne peut quand même pas rester les bras croisés! Proteste Juarez.
J’ai pas dit ça, se défend Natacha. Non, il faut agir. Mais il faut bien analyser la situation pour savoir ce
qu’on peut faire.
Qu’est-ce qu’on a comme matériel ?, je demande à Juarez.
Voyons voir, dit-il en ouvrant le sac. On a dix fioles de nanorobots saboteurs… On a cinq boîtes de vingt
Fireball… On a deux lanceurs de Fireball, trois fusils d’assaut et trois poignards. Il reste de la corde et c’est
tout.
Bon, sur nos combinaisons, on a chacun un drone de réparation autonome très efficace. On a un filin en
papier de trois cent mètres muni d’un harpon magnétique et on a une balise spatiale Argos.
On peut aussi se servir de tout le matériel présent sur le chantier ici, termine Natacha.
Un long silence s’écoule. Chacun est à la recherche d’une idée qui pourrait sauver l’observatoire ultramoderne.
- En fait, c’est tout simple, dis-je au bout d’un moment. Si on découvre la position exacte des extraterrestres,
faire sauter le centre spatial ne sera plus aussi important pour le BDC.
- OK, mais il faut quand même trouver un moyen pour neutraliser tous ces explosifs, dit Juarez.
- Il faut faire sauter les explosifs en orientant leur déflagration.
- Comment? Demande Juarez.
- Avec le champ magnétique des Fireball. C’est ça qui nous permettra d’envoyer l’énergie de l’explosion où
on veut.
- Les Fireball peuvent être suffisamment puissantes. Mais c'est pas sûr.
- On n'a pas le choix. Il nous faut prendre le risque.
- Alors on fonce, fait Natacha tout naturellement.
Nous nous répartissons rapidement les tâches et nous commençons à installer les Fireball au-dessus des
bombes.
A chaque fois, les calculateurs de nos scaphandres spatiaux nous aident à choisir le meilleur endroit où placer la
Fireball pour que l’effet soit le plus protecteur possible.
Au bout de trois heures, nous avons installé tous les systèmes de défense actifs.
- Pour être certains que tous les explosifs sont bien connectés les uns les autres, il nous faut quand même un
type particulier de nanorobot, fait Juarez.
- Lequel? demande Natacha.
- C’est quelque chose qui va s’infiltrer dans le mécanisme et va analyser comment il fonctionne. Là, on saura
exactement comment la situation se présente.
- Où est-ce qu’on peut trouver ce truc là?
- Et bien, c’est du matériel militaire assez sophistiqué. On peut essayer d’en trouver dans les bas quartiers de
la ville.
- OK, dis-je alors. Ne tardons pas. Allons-y.
Vendredi 30 juillet 2066, 21h43 Temps Universel
Le quartier où nous arrivons est rempli de faunes urbaines.
Quand l’exploration de la Lune a commencé intensivement, tout le monde s’est dit: « Génial, enfin un endroit
où on sera tranquille, loin des gangs et des mafias terrestres! ».
En fait, une bonne proportion des colons et des précurseurs Sélènes sont affiliés à des sectes louches, à la mafia
lunaire ou à des groupes financiers peu recommandables. C’est ainsi que chaque ville lunaire a vu apparaître
des endroits comme celui où nous nous trouvons actuellement.
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Nous cherchons tous les trois un bar où on pourrait être susceptibles de trouver ce qu’on cherche sans trop
attirer l’attention. Soudain, je vois Natacha qui blêmit.
Je vais lui demander ce qui ne va pas quand je vois que son regard est figé sur un des clients du bouge
« Fantastiques Sélènes » à proximité.
Je ne vois pourtant rien de bizarre.
Elle arrive finalement à articuler:
- Butch Brand est ici.
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13- Edelweiss
Vendredi 30 juillet 2066, 21h44 Temps Universel
-
Quoi?! dis-je en étouffant une exclamation.
Et assurément, il s’est très bien remis de ses blessures sur Terre, dit-elle, remise de son émotion première.
Où est-il? demande Juarez qui a du mal à retenir son envie d’aller lui casser la figure.
C’est celui au bar qui porte la combinaison bleu vert et qui tripote la pute en peau de chamois, lui répond
Natacha.
- Ouais, je vois, fait-il en sifflant entre ses dents. Il commence à nous montrer son véritable visage.
- Dès qu’il sortira, on reprendra la filature, dis-je. Nous sommes trois et ça sera plus facile de le suivre si nous
nous remplaçons régulièrement. Mais il faut surtout pas qu’il nous voit.
Mon inquiétude fait légèrement vibrer le ton de ma voix. Juarez et Natacha savent que s’il nous repère, la
chasse sera lancée et nous ne tiendrons pas plus d’une heure en vie. La situation est extrêmement risquée. Nous
avons pris des risques insensés pour nous mettre relativement à l’abri, et dès le premier jour, nous rencontrons
quelqu’un qui nous tirera dessus à vue!
« Pas question de le laisser faire. Ni lui, ni le BDC. » Cette pensée me revigore un peu.
- Attention il sort, dit Natacha.
L’air plus grand que sur Terre, à une vingtaine de mètres de nous, Brand se dirige d’un pas rapide vers la
station de taxi.
- Je commence la filature, dit Juarez. Prenez un taxi derrière moi.
Moins de trente secondes plus tard, nous sommes à bord d’un véhicule automatique et nous nous dirigeons vers
le centre d’affaires de la cité. Dans ce quartier, les plafonds sont à plus de cinquante mètres de hauteur, et
parfois, ce ne sont que de vastes vitraux en forme de dômes. Celui sous lequel nous passons représente des
scènes historiques de la conquête de la Lune, via des entrelacements de soutiens métalliques.
Luminescents, verts, rouges, bleus ou jaunes fluo, ils font apparaître les contours colorés de l’Eagle qui a
permis à Neil Armstrong et Edwin Aldrin de poser le pied sur la Lune pour la première fois.
A cinquante mètres de nous, Juarez nous dit soudain par radio:
- Gardez vos distances et restez à couvert.
Il disparaît au coin de la rue. Deux minutes plus tard, il revient et nous entrons dans un café.
- Surveillons le passage. Brand sera obligé de repasser par là pour aller prendre un taxi.
- Que s'est il passé? je lui demande.
- Brand a surveillé les alentours avant d’entrer dans un bâtiment. Je suis ensuite allé voir de plus près. Le
bâtiment est quelconque, sans enseigne, mais avec un système de surveillance vidéo et olfactogénétique
imposant.
- C’est quoi ce truc là? demande Natacha.
- C’est un système qui permet de capter des gènes de la personne qui se trouve à proximité. Ce système est
inviolable. Seules les personnes dont le code génétique est reconnu peuvent entrer dans un petit sas. Là , il
faut composer un code secret personnel pour que le sas laisse la personne passer.
- Hum, ça va pas être coton d’entrer, dis-je.
- A priori, vu comment est construit le bâtiment, ce ne sera possible qu’avec de gros moyens militaires. Il
vaut mieux y renoncer tout de suite.
- Hé, comment font-ils pour se faire livrer de la nourriture? demande Natacha.
- J’imagine que c’est pareil, dit Juarez. Toutes les personnes qui entrent doivent avoir leur signature
génétique d’enregistrée et contrôlée.
- Mais, c’est tout simple, dis-je. Si on repère une de ces personnes, on pourra lui prélever un échantillon
d’ADN sans qu’elle sans aperçoive. A partir de là, on pourra rentrer!
- Non, c’est pas si simple. Non seulement il y a ce test, mais quelqu’un surveille aussi l’entrée. Il faut qu’on
ait le bon code génétique et la bonne apparence. Enfin, il nous manquera encore le code secret.
- Tu as l’adresse précise du bâtiment? je demande à Juarez.
- Oui, c’est au 3 Avenue Neil Armstrong. Mais pourquoi en as tu besoin?
120
- Attends une seconde… Ah, voilà… Le bottin sur le web va m’indiquer qui y demeure…
En quelques seconds, j’obtiens la réponse.
- Ca alors!
- C’est quoi? me demandent en cœur Juarez et Natacha.
- C’est le BDC tout simplement! Il est vrai que non seulement ils ont pignon sur rue, mais en plus le gotha
international se bat pour y être membre! Je ne m’attendais pas à voir surgir ce signe comme ça et aussi
simplement!
- Y a-t-il d’autres adresses du BDC ici? demande Natacha.
- Non, mais sur les pages jaunes, il y a un lien vers le presbytère de l’Eglise de l’Edelweiss!
- Il y en a une ici? s’étonne Juarez.
- C’est quoi cette église? demande Natacha.
- C’est pas une église. En fait, c’est une secte en quête de respectabilité. Vu que sur l’annuaire elle est
associée au BDC, elle y parviendra. Le BDC la reconnaîtra en tant que religion à part entière.
Cette secte nie et refuse toute avancée technologique informatique et mécanique. A contrario, elle prône et
vénère la moindre avancée technologique dans tout ce qui touche à la biochimie et à la génétique. Enfin,
elle est en adoration devant les manipulations génétiques humaines. Plusieurs de ses membres font
actuellement de la prison pour avoir ouvertement outrepassé les limites légales des expériences génétiques
sur l’homme. En l’occurrence, tout le monde en a entendu parlé il y a deux ans: ça a fait l’effet d’une
bombe. Ce sont eux qui ont créé artificiellement de la viande humaine destinée à l’alimentation! C’était un
aller simple en classe affaire vers le cannibalisme!
- Brrrh! Rien qu’à m’en rappeler, j’en ai la chair de poule! dit Natacha parcourue par un frisson glacial.
- Que fait cette secte ici sur la Lune alors, s’il elle est contre l’utilisation des ordinateurs et de toute avancée
due à des machines?
- C’est un mystère!
- Où se trouve ce presbytère? me demande Natacha.
- Et bien, d’après les pages jaunes du web, elle est située à deux quartiers d’ici. C’est juste à côté. J’y vais.
- Je reste ici et je ne quitte pas Brand d’une semelle, déclare Juarez. On garde le contact.
- Je vais avec toi, me dit Natacha.
Nous laissons Juarez dans le café et nous rejoignons cette fois-ci un quartier résidentiel huppé.
Ce quartier se trouve dans une immense grotte naturelle. Des maisons traditionnelles y sont construites avec un
toit en ardoise synthétique. Certaines ont un toit en moquette, et pour d’autres, le toit est remplacé par un
inhibiteur magnétique sonore, un déodorant ionique et un répulseur de poussière. Pourquoi se protéger d’une
pluie inexistante? En fait, la seule obligation pour les habitants de New Moskova est d’avoir une pièce qui
puisse être pressurisée en cas d’urgence.
Nous arrivons dans une superbe avenue piétonne au milieu de laquelle trônent une dizaine de fougères géantes.
La plupart des maisons ont des jardins d’entrée dans lesquels on trouve de multiples variétés de plantes. Il y a
même des abeilles et moineaux.
La voûte est rétro-éclairée par d’innombrables lampes blanches, jaunes et bleues, dont la luminosité varie en
fonction de l’heure qu’il est à Greenwich. On garde ainsi complètement la notion des journées terriennes de
vingt-quatre heures, et on perd celle des journées lunaires, vingt sept fois plus longues. Et toutes les villes sont
calées de la même façon sur l’heure de Greenwich. Ainsi, sur la Lune, l’heure est identique sur tout le globe,
quelle que soit la longitude. Il est donc midi partout en même temps sur la Lune.
Nous arrivons devant le presbytère. Plusieurs grands prunus en fleur sont devant la bâtisse. Collée contre la
paroi de la grotte, elle n’est pas très grande même si elle dispose de trois étages. De la lumière est diffusée par
une fenêtre située au premier. Bien entendu, il n’y a absolument aucun signe visible de technologie. Pas une
caméra, rien.
- Entrons, dis-je à Natacha.
- Ils vont nous reconnaître s’ils nous voient. Brand a dû leur donner notre signalement.
- Pourquoi? C’est tout à fait improbable… Mais bon, d’accord, tu as raison. Il vaut mieux qu’on soit sur nos
gardes. Essayons d’éviter le contact. On va entrer en essayant de ne pas se faire repérer.
Nous poussons la grille du jardin d’entrée. Après avoir franchi les quelques mètres nous séparant de la porte,
nous arrivons sur un petit perron de trois marches. Faites d’un agglomérat de roche et de ciment, les marches
sont noires, brillantes et polies comme de l’obsidienne. Elles sont parsemées de striures marbrées rouge brun et
121
blanches. Deux pots de fleurs sont posés en haut des marches à côté de la lourde porte en chêne. Les pots noirs
contiennent chacun un véritable pied d’Edelweiss, cette superbe fleur qu’on ne peut normalement trouver que
très difficilement sur les parois inaccessibles des Alpes.
La porte est surplombée par une petite sculpture représentant une petite tête de mort protégée par deux
gargouilles menaçantes. Elle est munie d’une lourde poignée en fer forgé. Une deuxième poignée, bien plus
petite, pend à un fil cuivré. C’est la sonnette. Nous ne prenons pas la peine de l’utiliser. Nous poussons
doucement la porte. Il n’y a personne. Le hall d’entrée est sombre. La lumière est seulement diffusée par
quelques rares lampes halogènes, mais surtout par des chandeliers présents un peu partout. Une forte odeur
d’encens vient nous agresser les narines. Un petit escalier discret dans le coin à droite de la pièce permet
d’accéder aux étages supérieurs. Par contre, un escalier monumental nous fait face et plonge dans le sol.
- Par où commence-t-on la visite? me demande Natacha.
- Je te propose de descendre. Qu’en penses-tu?
- Allons-y. Il a l’air de n’y avoir personne. Profitons-en.
Nous commençons à descendre les marches. Au bout d’une vingtaine de mètres de dénivellement, nous
arrivons dans une vaste pièce fraîche où fument fortement plusieurs encensoirs.
A ce moment, accompagnée d’une forte musique techno rétro du début du millénaire, une voix lointaine grésille
dans nos écouteurs.
- Allô, c’est Juarez. J’ai du mal à vous capter. Vous avez des problèmes? Où êtes-vous?
- Nous sommes dans un souterrain du presbytère. Ne t’en fais pas pour nous. Tout va bien. Ca doit être les
parois rocheuses qui gênent. Où est Brand?
- Toujours au même endroit. J’en suis à mon cinquième déca. Tout va bien pour moi aussi. A plus.
Nous avançons au centre de la vaste pièce. De nombreux bancs sont installés. Nous nous approchons de l’autel.
Là, tout autour, de nombreuses icônes en peinture d’or expliquent avec moulte détails comment cette secte
prône l’accès au Nirvana par la manipulation génétique.
Une belle femme habillée d’une grande tunique blanche donne son ADN à un laboratoire. Ce laboratoire enlève
les « mauvais » gènes pour les remplacer par d’autres, les « bons » gènes. Les savants obtiennent un œuf ainsi
créé artificiellement et fécondé tout aussi artificiellement. Après sept jours, ils remettent l’unique œuf dans le
ventre de la femme. Douze mois plus tard, elle meurt en mettant au monde sa progéniture, un petit garçon,
l’« Elu ». Cet enfant fait l’objet de toutes les attentions. On le voit évoluer dans tous les mondes sociaux,
économiques et culturels terrestres qui se côtoient sans se connaître. Du couvent où il a passé ses trois
premières années, il passe son enfance au sein d’une famille adoptive très riche en Australie. Ensuite, après
avoir réussi brillamment ses études qu’il termine haut la main à Princeton, il rejoint le laboratoire qui l’a créé.
Là, il apprend tout de ses origines et rencontre enfin ses vrais géniteurs. Le lendemain, au cours d’une grande
réunion donnée en son honneur, le laboratoire est victime d’un attentat biologique et tous les invités passent de
vie à trépas en moins de dix minutes. Parmi les invités se trouvent toutes les équipes de chercheurs au grand
complet qui ont participé au projet « Biological Bread », renommé « La Ponte Biologique ». Seul l’Elu survit
grâce à son patrimoine génétique. Une explosion clôt l’attentat et les résultats de trente années de recherche
sont réduites à néant, en poussière et en fumée.
L’Elu entreprend alors de gérer le monde qui selon lui part à la dérive. Il crée l’Eglise de l’Edelweiss. Comme
emblème, il choisit cette fleur de la famille des composées qui ne pousse que dans les hauts massifs
montagneux européens. Il ne la choisit pas seulement pour ses surnoms, « Pied de Lion » et « Etoile d’Argent.
Il la choisit surtout parce qu’elle est la preuve que même dans les endroits les plus inhospitaliers se trouve les
choses les plus simples et les plus belles.
L’Eglise prend de l’ampleur quand soudain il disparaît. Pendant plusieurs années, tout le monde le croit mort.
Le mythe, les contes et les légendes sur son compte augmentent et prennent la patine des vieilles histoires pour
n’en acquérir que plus de véracité.
Il y a trois mois, il réapparaît.
Pour tous ses fidèles, c’est un miracle. Une résurrection. C’est l’Apôtre. Le nouvel âge d’or va commencer. Il
faut faire partie des élus. L’Elu choisit alors qui est digne de rester à ses côtés. De nombreux fidèles, les
pardonnés, meurent en série. Parmi les fidèles, quatre seulement sont élevés au rang d’apôtre. Quatre, qui en
japonais, Tchi, veut aussi dire « La Mort ». Quatre encore, pour Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.
Chacun représente un élément fondamental. La terre, l’eau, l’air et le feu. L’élément réunificateur de ces quatre
éléments est la vie, dont l’Elu est le représentant suprême. La vie, qui est le couronnement des savants
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mélanges de ces quatre éléments. La vie biologique, qui nie les machines avec tous leurs systèmes aussi
élaborés les uns que les autres mais qui ne sont que des inventions d’apprentis sorciers.
Une place est réservée à une dernière icône. La place est vide. L’icône est absente pour le moment. Comme s’il
manquait le dernier chapitre. J’ai le sentiment qu’en plus il n’est pas encore écrit. Ce sentiment me met mal à
l’aise. Que pourrait bien représenter ce chapitre manquant? Il faut le découvrir. J’ai peur que ça ne cache
quelque terrible événement en cours d’élaboration. Si c’est le cas, il faut les empêcher de mener à bien leurs
projets.
- C’est bizarre qu’il y ait tout ça dans le presbytère, dit Natacha. Je n’ai pas l’impression que cette partie du
bâtiment soit ouverte au grand public comme l’est le rez-de-chaussée. Je crois plutôt que c’est ici que se
recueillent les vrais fidèles de la secte.
- Je suis d’accord avec toi. L’ambiance qui baigne cette pièce m’a l’air profondément malsaine.
- Il n’y a rien d’autre ici?
- Faisons un petit tour rapide pour en être certains.
Au bout de trente secondes, nous remontons les immenses marches et nous nous retrouvons dans le hall
d’entrée de la maison qui paraît assez petite vue de l’extérieur. Nous n’avons rien découvert de plus qui soit
intéressant et qui puisse nous donner des infos quant aux activités de l’Eglise de l’Edelweiss.
Nous décidons de continuer la visite discrète de la bâtisse en allant directement au premier étage.
Il y a quelqu’un.
Nous devons redoubler de vigilance.
- Attends-moi dehors, dis-je en chuchotant à Natacha. Ca ne sert à rien qu’on soit tous les deux à l’intérieur.
Elle accepte aussitôt.
- Soit prudent, me dit-elle en s’éloignant.
- On garde le contact vidéo, lui dis-je.
Pendant que Natacha sort, j’entame l’ascension du petit escalier qui mène à l’étage supérieur. Comme le
presbytère n’est pas très grand vu de l’extérieur, je suppose qu’il ne doit pas y avoir plus de quatre ou cinq
pièces à l’étage. J’arrive dans un minuscule hall obscure d’où partent trois pièces. Il y a une porte métallique de
chaque côté, et une troisième juste en face de moi. Celle-ci est ouverte.
Surprenant!
Je découvre que la maison plonge au cœur de la falaise! Collée contre la paroi de la grotte, c’est en fait une
maison troglodyte. La salle vide est immense. Il s’agit principalement d’une salle de réunion. Mais celle-ci est
assez étrange. En fait, au bout se dresse fièrement un trône. « Celui de l’Elu, me dis-je ». En dehors de
l’immense table en alu et de la bonne trentaine de chaises, la pièce est vide. Ni tenture, ni tableau, ni
bibliothèque. Seules quatre fenêtres laissent passer la lumière comme à contre cœur. La lumière est froide et
rare à l’intérieure de la pièce. Mais en tout cas, je suis fixé sur un point: il y a beaucoup de représentants de la
secte ici! Et donc aussi du BDC.
Des dossiers sont posés sur la grande table. J’en ouvre un. Ce que je découvre me stupéfait. Le sujet de la
réunion concerne l’expansion de l’église de l’Edelweiss à New Moskova. Deux solutions sont proposées. La
première consiste à s’approprier tous les organes vitaux de la ville en faisant pression sur quelques personnes
bien placées. La seconde prévoit purement et simplement de raser la ville, le centre scientifique à proximité et
de détruire complètement le centre de contrôle du site d’exploitation minière d’hélium 3!
J’en sais suffisamment.
Inutile de tenter le diable.
Je me dirige rapidement vers l’escalier,
quand une des portes du fond de la salle de réunion
s’ouvre!
J’ai à peine le temps
de
dévaler
les premières marches de l’escalier
que la personne est déjà dans la pièce!
123
J’arrive
enfin
à la porte d’entrée.
Je l’entrouvre
à peine suffisamment
pour
passer.
Je la referme
immédiatement
derrière moi
et me sauve en courant dans la rue à l’écart des fenêtres du presbytère.
Natacha vient me rejoindre pendant que je reprends mon souffle.
Nous décidons de rejoindre Juarez.
Dix minutes plus tard, nous sommes à nouveau tous les trois dans le café où nous l’avions laissé. Il surveille
Brand, qui n’a pas bougé de son building.
Je leur explique mes découvertes. La réaction de Juarez ne se fait pas attendre.
- Attends une seconde… T’es en train de nous dire que le BDC veut faire main basse sur la Lune?
- C'est pas impossible. Concernant New Moscova, en tout cas, c'est une certitude. Et c’est pas l’indépendance
pour le bien être des Sélènes. Le BDC veut se donner tous les pouvoirs pour instaurer sa domination par son
mode de pensée, de religion et d’organisation. En fait, je suis certain que le BDC voulait d’abord empêcher
qui que ce soit de découvrir l’existence des extraterrestres qu’ils ont eux-mêmes localisés. Ils ont donc
décidé de faire sauter le radio observatoire d’ici. Comme en cours de sabotage, ils se sont rendus compte
que ça ne présentait aucune difficulté, ils se sont dit qu’ils pouvaient même faire mieux: s’emparer de la
ville, et pourquoi pas de la Lune?…
- Y’en a un qui se prend un peut trop au sérieux, dis-je. Cet Elu, dont parlaient nos deux fanatiques de la secte
dans le presbytère. Il est complètement mégalo.
- En tout cas, s’ils veulent faire ça, dit Juarez, il faut qu’ils se soient assurés du soutient des chefs militaires
des bases Sélènes. Sans eux ils ne peuvent rien tenter. Avec eux, ils augmentent considérablement leurs
pouvoirs.
- Quoi!? Tu crois qu’ils lui ont prêté allégeance?!
- C’est possible. De toute façon, dit-il, on ne peut pas se permettre de leur faire confiance. Trop d’intérêts
sont en jeu.
- Il faut d’urgence contacter des renforts, dis-je.
- Ah ouais… Et tu vas contacter qui? me demande Juarez. Pour faire face à un truc pareil, seule une grande
puissance peut intervenir efficacement!
- Je connais quelqu’un très haut placé qui bosse pour le ministre de l’intérieur Français. On peut lui faire
confiance.
- T’en es sûr?
- Oui, aucun problème. En plus, il a suffisamment de pouvoir pour faire quelque chose rapidement.
L’inconvénient par contre, et qui est de taille, c’est que le temps que les troupes décollent de la Terre, il leur
faudra trois jours pour arriver ici. Et tout est près pour exploser!
- Dans ce cas, il n’y a pas une seconde à perdre, fait Juarez. Rejoignez-moi tout de suite. Je vais te donner les
codes de protection et de codage d’AVALON. Ca te servira pour appeler ton contact sur une ligne
sécurisée.
- D’accord, dis-je. Et pendant qu’ils seront sur le chemin, on se chargera de saboter les plans d’invasion
lunaire du BDC. Faute de mieux, on se chargera de les ralentir.
-
Tiens, me dit-il. Je te donne les codes sur ce bout de papier. Je te demande de le lire, de l'apprendre par
cœur et de l’avaler.
Je les apprends aussi, dit Natacha. Avec les événements qui se préparent, c’est trop important.
124
-
Oui, dis-je. On ne peut pas prendre le risque de perdre contre le BDC ici à New Moskova uniquement parce
qu’on a eu un problème de communication.
Trente secondes plus tard, j’avale le petit morceau de papier.
Je vais appeler mon contact, dis-je. Où y a-t-il un web bar? Je ne veux pas utiliser mon portable. L’appel
sera discret et restera moins localisable.
- J’en ai vu un à deux pas, me dit Natacha. Je vais avec toi.
- A tout de suite, dis-je à Juarez en me levant.
Deux minutes plus tard, nous sommes en communication avec le chef de cabinet Fillaume.
- Ca alors! s’exclame-t-il en voyant mon visage apparaître sur son écran. Je vous croyais mort! Je vois que
votre femme est aussi en vie! dit-il en la devinant sur le côté droit de l’écran.
- Gonzalo est mort, lui dis-je.
- Oui, je sais. Je pensais d’ailleurs qu’il en était de même pour vous.
Il s’interrompt une seconde et il s’exclame une nouvelle fois:
- Mais vous m’appelez de la Lune!
- Je n’ai pas le temps de tout vous expliquer, lui dis-je, mais sachez que le BDC se prépare à envahir New
Moskova, et peut-être même la Lune dans son ensemble. Il est tout à fait possible qu’il ait l’aide des
militaires locaux. Ils ont placé des charges explosives sur le radiotélescope Sélène ainsi que dans le centre
de contrôle du site d’exploitation minière d’hélium 3.
- Ce que vous me dites est extrêmement grave, dit-il en déglutissant avec peine. Vous savez ce que représente
le BDC?
- Oui, tout à fait. Je sais aussi que le BDC couvre une secte extrémiste antitechnologique et pro génétique qui
porte le nom de « L’Eglise de l’Edelweiss ».
- Ca, c’est connu.
- Mais ce que vous ne savez pas, c’est que toute cette opération était à l’origine pour masquer le fait qu’ils
ont découvert l’existence d’une civilisation extraterrestre. Ils ne veulent surtout pas qu’on puisse la trouver.
Le chef de cabinet réfléchit très rapidement et dit:
- Okay, faites-moi un topo très bref. J’en ai absolument besoin pour pouvoir faire quoi que ce soit.
Je lui résume alors rapidement comment on a eu accès aux données de Brand dans son bureau du Cerro Paranal.
- Vous n’avez donc aucune preuve de ce que vous avancez, me dit-il après m’avoir écouté.
- Pas pour l’instant, mais on sait que la civilisation extraterrestre a été repérée sur une des douze premières
planètes découvertes par le satellite cartographe Hyparcos.
- Bon, je contacte immédiatement le ministre de l’intérieur et je lance un ordre de préparation « Scramble »
de nos troupes d’élites spatiales. Comment puis-je vous joindre?
- Vous pouvez nous adresser un message au Consort Hôtel. Mais prenez des précautions très importantes.
Vous connaissez le BDC. Il est très puissant. Il dispose certainement du plus grand réseau d’influence du
système planétaire.
- D’ici ce soir au plus tard nos troupes seront en partance pour New Moskova. Je pense que la plupart des
autres nations vont se joindre à nous.
- Attention! lui dis-je pour l’avertir. Plus il y aura de monde au courant de cette opération de sauvetage, plus
le BDC aura de chance d’être au courant. Et moins il y aura de chance de sauver la Lune.
- Je sais! répond Fillaume avec véhémence. Mais une telle opération peut déclencher une guerre mondiale!
Certaines nations sont plus susceptibles que d’autres. Diplomatiquement, il est impossible d’agir seuls. Par
contre, on peut prendre de l’avance et les envoyer dès maintenant. Nos troupes partiront ce soir. Une fois en
l’air, on ne pourra plus leur faire faire demi-tour. Elles seront obligées d’atteindre la Lune. Sachez que de
toute façon, les Américains, les Russes et les Chinois seront mis au courant, en plus du conseil européen
d’urgence à huit clos qui sera tenu.
- Alors ça veut dire que tout le gotha international sera mis au courant. Et forcément le BDC qui a des
ramifications partout. Bon, ils vont être obligés de précipiter les choses, on aura l’effet de surprise pour
nous. Est-ce que vous pouvez quand même attendre une journée avant d’en parler à tout le monde? Sous le
couvert par exemple de vouloir vérifier ce que vous venez d’apprendre?
- Ce n’est pas moi qui prendrai la décision finale, mais vous pouvez d’ores et déjà être certains de disposer de
cette journée.
- Ca nous permettra de stopper les sabotages du BDC et de préparer une contre attaque.
-
125
-
-
-
En fait, on devait renouveler les troupes présentes dans la base du Nouveau Québec dans une semaine. Cette
base se trouve à moins de cinq mille kilomètres de vous. On ne fera qu’avancer un peu la date. Ca arrive
parfois. Du coup, même si nos stocks marchent en flux tendus, nos troupes disposent déjà presque
complètement du matériel qu’elles auraient dû emmener. On peut les envoyer tout de suite.
Je ne savais pas que la base du Nouveau Québec était française, lui dis-je.
Non, elle est internationale. Mais elle porte ce nom car c’est le Québec qui l’a principalement financée au
départ. Les troupes qui y stationnent sont de nationalités différentes à chaque fois. Cette fois-ci, c’est notre
tour. Bon, je préviens immédiatement mon Ministre de tutelle, mon Commissaire Européen de tutelle et la
Présidente Européenne. Quant à vous, je vais vous mettre en contact avec nos hommes du renseignement
déjà en place sur la Lune.
Oui, merci. Comment les reconnaîtrais-je?
Ce sont eux qui le feront.
Non, c’est trop dangereux. Je ne saurai pas s’il s’agit des hommes du BDC ou des services de
renseignement.
Je vous contacterai à votre hôtel pour vous faire savoir où et quand vous pourrez les rencontrer.
D’accord.
Je coupe la communication. Nous retournons voir Juarez qui surveille toujours Brand.
- C’est tout bon, lui dis-je en voyant son air interrogatif. Des renforts partent dès ce soir. Ils arriveront dans
trois jours, mais d’ici là, on va entrer en contact avec les services de renseignement européens.
- Trop mortel! dit-il. La force de frappe internationale se met sur le pied de guerre alors?
- Pas tout de suite. On a une journée pour arrêter les sabotages du BDC et empêcher la destruction de New
Moskova. Demain soir, le conseil de sécurité sera mis au courant et toutes les nations spatiales enverront
des troupes. La cavalerie, quoi…
- Bon alors ne traînons pas, dit-il. Laissons Brand vaquer à ses occupations et préparons-nous.
- Oui, mais c’est plus facile à dire qu’à faire: si le BDC a le soutien de la mafia locale, ce qui est fort possible,
alors il vaut mieux faire une croix sur ces fameux nanorobots dont tu nous as parlé.
- Dans ce cas, il faudra mettre le feu aux poudres sans savoir exactement si on allume tout d’un coup ou bien
si on ne fait sauter les bombes qu’une par une.
- Et si on les fait sauter une par une, le temps qu’elles sautent toutes, on aura toute la ville, l’armée et le BDC
aux fesses! fait Natacha de moins en moins rassurée.
- Alors, prenons des forces. On en aura besoin. Notre priorité demain matin sera de trouver la bonne planète
parmi les douze premières découvertes par Hyparcos. Puis, on fera sauter les bombes du centre
radioastronomique. Notre temps sera minuté.
Nous retournons à notre hôtel, le Consort Hôtel. Nous passons une nuit agitée. Nous savons que ce week-end va
se jouer la bataille qu’il est vital de gagner.
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14- Premier Contact
Samedi 31 juillet 2066, 07h06 Temps Universel
Nous sommes déjà dans le tunnel qui mène vers le radiotélescope. Notre priorité absolue est de trouver la
position exacte de la civilisation extraterrestre découverte par le BDC. Si le radiotélescope est détruit avant ça,
l’humanité perdra plusieurs dizaines d’années avant d’avoir la chance de la trouver, si elle la trouve.
Nous arrivons à l’observatoire. Là, Juarez envoie le drone de sa combinaison en reconnaissance, au cas où
Butch Brand ou d’autres hommes du BDC seraient aussi sur place.
Il n’y a personne.
- Je vous propose de mettre le cap sur les douze premières planètes découvertes par Hyparcos! s’exclame
joyeusement Natacha.
Nous mettons en marche tous les ordinateurs du centre un par un à partir de notre baraquement pressurisé.
Progressivement, nous obtenons des réponses électroniques des antennes.
- Trois sont inopérationnelles, mais les vingt-sept autres sont OK, dit Natacha.
- C’est pas grave, dis-je. On va faire sans elles. Quels sont les paramètres du plancher magnétique? Il faut
pouvoir l’orienter, Juarez.
- Il faut activer le simulateur CCD et y connecter la réception globale des antennes réceptrices. Le plancher
suivra automatiquement.
- Okay, dis-je. Cap sur Oméga 623 des Pléiades. Pendant que vous essayez de capter les signaux, je vais
essayer de programmer le miroir en quartz central.
- C’est parti! s’exclame Juarez avec une joie puérile.
Lentement, nous voyons les différentes antennes du site évoluer, tel un gigantesque ballet. Vingt sept antennes
bougent en même temps, prennent une orientation identique, tournent sur elles-mêmes, inclinent leur parabole
vers le ciel. Le moniteur de contrôle affiche l'état de chacune des antennes. Celles-ci, les unes après les autres,
envoient à leur chef d'orchestre optronique leur signal de positionnement dès qu'elles sont prêtes. Leur précision
est magique: les vingt sept antennes fixent un point identique dans le ciel, et le suivent au fur et à mesure de la
rotation de la Lune, alors qu'il est situé à des milliers d'années lumières et qu'il est invisible à l'œil nu.
- Il faut caler le signal sur le rayonnement 3K, dis-je à Natacha.
- C’est fait.
- Treize antennes sont déjà alignées, annonce Juarez.
- Il n’y a toujours pas de signal repérable, dit Natacha.
- Peut-on éloigner les antennes les unes des autres? je demande à Juarez. Ca nous permettra d’augmenter
notre capacité d’écoute des signaux.
- On peut en éloigner certaines.
- Combien?
- Dix-huit sur les vingt-sept en état de marche. Mais elles peuvent se bloquer sur leur rail. Si ça arrive, alors
on ne pourra plus les utiliser et on perdra de notre puissance de réception. Elles risquent aussi déstabiliser
l'ensemble.
- Bon, on reste dans cette configuration pour le moment. J’ai réussi à activer les antennes filaires qui servent
à orienter le miroir de quartz.
- Hé au fait, on n’a pas vérifié si mettre le centre en marche allait faire sauter les bombes! dit Juarez
subitement.
Sa remarque m'inquiète immédiatement. Je me reprends cependant:
- On l’a mis en marche il y a quelques minutes et ça tient, dis-je. On continue.
- L’étoile se trouve à mille deux cent années lumières de nous, dis-je. Ca fait donc mille deux cent ans que les
signaux que nous essayons de capter ont été émis.
- Il y a vingt et une antennes de positionnées, dit Juarez.
- Toujours aucun signal sur le rayonnement 3K, dit Natacha.
- Je connecte le logiciel d’extrapolation des éventuels signaux reçus, dis-je.
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-
Toutes les antennes sont positionnées, dit Natacha. Je ne reçois aucun signal. On attend combien de temps
pour être certain que ce n’est pas la bonne étoile?
- On n’a pas besoin d’être là tous les trois, fait Juarez. Je suis assez inquiet. Si quelqu’un arrive, on sera pris
au piège. Je vais faire une ronde pour me rassurer.
- Bonne idée, dis-je. Quant à nous, on passe à la planète suivante. Si ça avait été la bonne, alors on aurait
capté le signal tout de suite.
- On met le cap sur la deuxième étoile, me répond-elle.
- C’est Bêta 98 du Cancer.
- Ca y est. Les coordonnées sont envoyées.
- Les vingt-sept antennes se réorientent.
A nouveau, le ballet recommence, et les géants de métal blanc se remettent à tourner majestueusement.
- Vingt-trois antennes sont positionnées. Je n’ai aucun signal sur le rayonnement 3K, dit Natacha.
- J’augmente la résolution avec l’amplificateur analogique du plancher de l’observatoire, dis-je.
- Toujours pas de résultat.
- Il n’y a absolument personne, dit Juarez. Je rentre.
- Aucun signal, annonce Natacha. On passe à l’étoile suivante.
Au bout d’une heure, nous avons écouté les douze premières étoiles trouvées par Hyparcos au début du siècle.
Ca n’a rien donné.
- Je ne comprends pas, dit Natacha.
- Tu sais, dis-je, l’observatoire n’est pas complètement opérationnel. Les antennes n’ont pas leur système
d’écoute parfaitement installé. C’est un peu comme si elles étaient dur d’oreille. Il faut absolument qu’on
augmente leur pouvoir de résolution.
- La seule chose à faire, dit Juarez, c’est d’écarter les antennes les unes des autres. Mais nous risquons de voir
une antenne se bloquer sur ses rails.
- Tant pis, dis-je. On risque le coup.
- De toute façon, on n’a pas réellement le choix, fait Natacha.
- Bon, et bien c’est parti! dit Juarez.
- Le tableau de commande des moteurs des antennes donne quoi comme diagnostique? je lui demande.
- Et bien, les rails sont installés pour toutes les antennes. Par contre, je n’ai un diagnostique en état de marche
que pour dix antennes.
- Bon, et bien on va faire avec. Si on laisse toutes les antennes allumées et qu’on en éloigne dix, espérons que
ça suffira.
- Les dix antennes commencent leur translation, dit Juarez.
- Aucun signal, répond Natacha.
- Les dix antennes sont arrivées sans problème à l’extrémité de leur rail respectif. La résolution globale
initiale a été multipliée par sept.
Le diagnostique de Natacha résonne froidement:
- Pas de signal.
- Repassons toutes les étoiles qu’on a déjà observées, dis-je.
- Okay. Va pour l’étoile Oméga 623 des Pléiades, dit Natacha.
- Dix-huit antennes sont positionnées, dit Juarez.
- Pas de signal, dit Natacha.
- Ca y est, les vingt-sept antennes sont en place.
- Rien, se désole Natacha. On passe à la suivante à nouveau.
- Les coordonnées de Bêta 98 du Cancer sont insérées, dit Juarez.
- Attendez! s’exclame soudain Natacha. Revient en arrière! Retourne sur Oméga 623 des Pléiades, Juarez!
L’excitation s’empare de nous tous.
- Okay, correction de trajectoire apportée.
- Je n’ai aucun signal! dit Natacha. Il n’y a plus rien!
- J’insère à nouveau les coordonnées de Bêta 98 du Cancer, dit Juarez. Je vais aller pas à pas en suivant le
chemin vers la planète suivante.
- Vas-y tout doucement! lui dit Natacha les yeux rivés sur son moniteur de contrôle.
- Okay, c’est parti tout doucement…
- Vas-y… Vas-y…
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-
Je défocalise légèrement pour augmenter le champ de recherche, dit Juarez
Continue tout doucement… dit Natacha.
J’ai réussi à programmer le miroir de quartz! dis-je en m’exclamant. Je le connecte en parallèle aux autres
antennes!
Les secondes ressemblent à une éternité.
- J’ai un signal très faible, dit Natacha.
- Okay, je branche le pilote de poursuite, dit Juarez. Les antennes vont se caler automatiquement sur lui.
- Génial! J’ai un signal! s’exclame Natacha.
- Yeepee! hurle Juarez. On les a trouvés!
- Le miroir de quartz sera sur le signal dans quelques secondes, dis-je.
- Waouh! Je refocalise à cent pour cent dessus, dis-je.
- Le signal est fort et clair! dit Natacha les larmes aux yeux. Je perçois le signal très clairement!
- Je branche le logiciel de détection des battements pulsars et quasars, dis-je. C’est peut-être ça. Il faut s’en
assurer.
- Réponse négative! hurle presque Natacha. Ce n’est pas une étoile à neutron ni un objet stellaire ordinaire!
Si quelqu’un avait pénétré à cet instant précis dans le baraquement, il nous aurait certainement pris pour des
fous! Si nous avions été plus jeunes, il nous aurait pris pour des étudiants venant de recevoir la meilleure note
de l’examen final!
-
Je nous branche sur le réseau satellite lunaire, dit Juarez. Dans quelques secondes, AVALON recevra aussi
ce signal!
- Quelles sont les coordonnées exactes de l’étoile? je demande à Natacha.
- On est pile à trois secondes d’arcs de distance au sud sud-est d’Oméga 623 des Pléiades, me répond-elle.
L'étoile est une étoile de magnitude vingt-sept située à mille cinq cent sept années lumières
- Envoie ces coordonnées à AVALON, dis-je à Juarez. C’est ce qu’il y a de plus important!
- Les coordonnées sont envoyées! dit Juarez.
- Je détecte un brouillage de nos émissions! s’exclame Natacha.
- Quoi?! dis-je. Avec toutes les antennes qu’on a, on doit être capable de le forcer!
- Non, c’est pas à notre niveau que ça bloque, répond Natacha. D’après mes instruments, le brouillage a lieu
après l’envoi des données sur le réseau de satellites lunaire. C’est entre lui et son homologue terrestre que le
brouillage empêche nos infos de passer.
- On tourne le dos à la Terre, d’où on est. On est obligé de passer par lui pour envoyer nos découvertes!
- Est-ce qu’ils bloquent toute la plage de fréquences entre la Terre et la Lune? demande Juarez.
- Oui, dit Natacha en continuant de pianoter sur les commandes de la console devant elle. En fait, ils ne font
que nous bloquer. Le brouillage ne touche personne d’autre. Le brouilleur s’est activé dès qu’on a voulu
entrer en contact avec AVALON d’ici. Ils bloquent toutes les émissions en provenance du radio
observatoire.
De nouveaux résultats apparaissent sur son écran.
- Ils nous ont repérés et ils bloquent complètement nos communications!
- Il ne nous reste plus qu’une seule solution, dit Juarez. Je fonce vers Sélène Orléans. Cette ville est située sur
la face visible de la Lune. De là-bas, je pourrai envoyer les coordonnées extraterrestres directement vers la
Terre sans passer par le réseau de satellites lunaire.
- Ah oui, et tu vas faire comment? je lui demande.
- Il faut s’emparer d’un mini jet spatial, répond-il.
- Okay, dis-je. Mais le BDC sait qu’on va tenter une sortie. Les probabilités qu’on mène une telle action sont
proches de cent pour cent.
- Hé bien ils n’ont qu’à bien se tenir! dit-il. Allons-y. De toute façon, cette information est maintenant plus
importante que le centre scientifique.
Nous sortons rapidement du centre de contrôle préfabriqué. En courant par bonds, nous rejoignons en quelques
instants l’entrée du tunnel.
Sur le trajet du retour, nous élaborons un plan d’attaque pour que Juarez puisse voler jusqu’à la ville touristique
Sélène Orléans.
129
-
-
Pour y aller, ça te prendra au moins deux bonnes heures, lui dis-je.
Oui, je sais. C’est à peu près à cinq mille kilomètres d’ici.
Tu sauras piloter le mini jet? lui demande Natacha.
Oui, y’a aucun problème. Avant de gérer l’entretien dans la bourgade de Jeff au Cerro Paranal, j’ai bossé
quelque temps dans le centre d’entraînement astronautique de Santiago. J’étais pas pilote, mais j’ai pu
m’entraîner sur les simulateurs presque tous les jours. En fait, sur simulateur, j’ai près de deux cent
cinquante heures de vol. Et j’ai même eu l’occasion de monter à bord d’un vrai deux fois.
Alors, le plus dur sera de s’emparer du jet, dis-je.
Au fait, demande Natacha. Où ils sont ces fameux jets?
J’ai eu le temps d’étudier le plan de la ville pendant que je guettais la sortie de Brand, lui répond Juarez. J'ai
appris pas mal de choses et je sais qu'ils sont dans un hangar qui est situé à deux halls du presbytère.
Peu après, nous arrivons dans la cité. Nous prenons un taxi recouvert du blason de la ville. Sur fond gris
anthracite, il représente une fusée bleue dans le cadre supérieur gauche et une maison jaune dans le cadre
inférieur droit.
Nous arrivons enfin dans le hall où sont situés les jets lunaires.
Un couloir permet de pénétrer dans le hangar. Tout en restant naturels, nous passons devant l’entrée du couloir
l’un après l’autre. Procéder ainsi nous permet de ne pas nous faire repérer par les systèmes de surveillance et de
nous donner trois fois plus de temps pour enregistrer les emplacements des systèmes de détection et de défense
du sas avec les caméras de nos combinaisons.
Les défenses sont très importantes.
Il n’y a personne. Une seule porte permet d’entrer. Les caméras, les détecteurs olfactifs, de mouvements et
génétiques encombrent les murs et le plafond.
Impossible de forcer le passage par là. On n’aura pas fait deux mètres dans le couloir que l’alerte sera donnée et
que les armes de défense du sas seront activées et se tiendront prêtes à faire feu.
Nous nous dirigeons vers la petite boulangerie Cinnabon du coin pour réfléchir et observer. Ce quartier-ci est
relativement industriel. Pour l’instant, il y a assez peu de monde.
- Vous avez une idée pour y entrer? demande Juarez.
- On peut essayer de voir ce que ça donne par la porte extérieure, dit Natacha.
- Allons-y alors, dit-il.
Nous repartons. Des panneaux en cyrillique indique la position des écoutilles donnant sur l’extérieur, à la
surface de la Lune.
Nous sortons.
Comme d’habitude, le paysage gris sombre et désolé s’offre à notre vue. Si nous étions émerveillés par cette
vision en arrivant, maintenant elle commence à devenir banale.
Nos réserves d’oxygène se sont remplies automatiquement au maximum pendant que nous marchions dans les
rues de New Moskova, sous la supervision des petits robots de nos combinaisons. Nous en profitons pour nous
propulser rapidement vers l’entrée extérieure.
Située au cœur d’un cratère lunaire, l’aire d’envol est minuscule. Nous nous cachons derrière un gros rocher.
Juarez envoie le robot de sa combinaison en reconnaissance.
- C’est impeccable, dit-il. Les systèmes de surveillance sont absents et les portes du sas sont grandes
ouvertes. Le garage n’est pas pressurisé!
- Ca paraît un peu trop facile, dis-je. J’ai peur que ça cache un piège.
- D’ici, on ne voit aucun danger en tout cas. Et le drone de ma combinaison ne détecte rien non plus.
- Envoie le plus en avant, lui dit Natacha.
- C’est parti, dit joyeusement Juarez.
Le drone pénètre discrètement dans le sas. Il fait plus de vingt mètres de haut et est long de près de quatre vingt
mètres sur une largeur de cinquante mètres. Trois jets monoplaces sont tranquillement alignés. Personne en vue.
- Est-ce que tu peux faire décoller un jet à partir de ton drone? je lui demande.
- Pourquoi? Y’a absolument personne et il n’y a aucun détecteur non plus! proteste Juarez.
- Justement. Vu tous les systèmes de sécurité présents au niveau de la porte intérieure, c’est franchement
louche. Ca pue le piège à plein nez.
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-
-
-
Bon, okay, dit Juarez avec mauvaise grâce. Je pense que je peux le faire décoller pour l’amener jusqu’ici
sans problème.
Pendant ce temps, lui dis-je, Natacha et moi on va surveiller les environs. Si ce que je pense est vrai, alors
dès que le jet aura décollé, ça va tirer dans tous les sens. Tu n’auras que très peu de temps pour monter dans
le jet.
Dans ce cas, nous dit Juarez, il est inutile et même suicidaire que vous restiez dehors. Rentrez et suivez mon
décollage grâce aux caméras de ma combinaison.
Oui, dit Natacha. On va quand même créer une diversion à l’intérieur pendant que tu t’empares du jet.
Attends notre signal, dis-je à Juarez. On va les affoler un peu à l’intérieur.
Okay. Le temps que vous retourniez à l’intérieur, mon drone aura eu le temps d’investir le cockpit et d’y
dérégler les systèmes de sécurité. Ensuite, il simulera un appel de détresse. L’ordinateur du jet croira que je
suis en danger de mort. Grâce aux lois de la robotique d’Isaac Asimov qui consistent à venir au secours des
humains, il viendra immédiatement me chercher. Et si des tirs fusent de partout au moment où il décollera,
il fera tout ce qui est en son pouvoir pour me tirer du mauvais pas.
On est parti, dis-je.
S’éloignant discrètement d’abord par petits bonds, Natacha et moi utilisons ensuite nos propulseurs pour
atteindre rapidement le sas d’entrée de New Moskova.
- Que comptes-tu faire, me demande-t-elle.
- Je vais mettre le feu à la petite boulangerie Cinnabon qui est située non loin du hangar où sont mis les jets.
- Oh, c’est dommage. Moi qui adore ces petits gâteaux!… Mais bon, on aura le lot de consolation: ça sentira
la cannelle caramélisée dans tout le quartier!
Nous arrivons finalement devant le sas d’entrée de la ville. Nous entrons immédiatement. La pressurisation
s’effectue normalement et quelques instants plus tard nous nous retrouvons près du Cinnabon. L’odeur de
cannelle vient nous caresser les narines.
- Détourne son attention. Mon robot va mettre le feu derrière le four au niveau des connections électriques.
- Hum hum, me dit-elle en hochant la tête.
Nous nous approchons du comptoir.
Le vendeur, un frêle étudiant recouvert d’acné, d’une vingtaine d’années et haut de deux mètres vingt, vient
nous accueillir. Son tee-shirt mauve arbore fièrement le nom de son école, « High Press », écrit en lettres noires
entourées de marron. C’est une école spécialisée dans tous les domaines touchant à la pressurisation et à la
dépressurisation. Il n’y a personne d’autre dans le magasin. Le drone de ma combinaison est déjà positionné à
la hauteur de ma cheville droite.
L’air enjôleur, Natacha s’approche de l’étudiant.
- Je voudrai douze rouleaux Cinnabon, lui dit-elle.
- Oui, bien sûr, répond-il troublé. C’est pour manger sur place ou c’est à emporter?
Le drone commence à se diriger vers sa cible. Il arrive maintenant devant le four.
- Et bien, mon mari et moi avons très faim, mais ça risque de nous faire beaucoup, pour nous deux seulement,
non?
- Oh oui! dit-il maladroitement. Vous avez raison. Excusez-moi. Bien sûr, c’est à emporter.
Le drone est maintenant derrière le four. Aussitôt, il se met à trafiquer les connexions. Dix secondes plus tard,
son opération de sabotage est terminée. Il revient. Il passe à nouveau devant le four. Si l’étudiant se retourne
vers ses étagères, il le verra. Pour éviter ça, Natacha réagit aussitôt:
- Donnez-m’en plutôt quinze, lui dit-elle, mais seulement s’ils sont vraiment bons.
- Oh, ils sont très bons. Nous respectons scrupuleusement la recette du groupe, vous savez.
- Je croyais que c’était une recette locale lunaire?
- Non, non, pas du tout, dit l’étudiant en s’excusant presque.
Le drone est revenu sur ma cheville. L’étudiant n’y a rien vu. Et il ne va bientôt n’y voir que du feu…
- Bon, et bien c’est pas grave du tout. Mais je ne vais en prendre que deux alors.
- D’accord, dit l’étudiant en se mélangeant légèrement les pinceaux.
- Je vous dois combien?
- C’est sept euros plus les taxes lunaires. Ca vous fait huit euros quinze.
Nous nous éloignons tranquillement.
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De la fumée commence à s’échapper discrètement derrière le four. Nous nous dirigeons rapidement vers la
station de taxis et j’entends Juarez dire:
- Je suis prêt à donner le signal à mon drone pour venir me chercher. Dépêchez-vous de prendre de la
distance. Ils fermeront peut-être les accès du hall. Il faut que vous soyez sortis avant que l’alarme se
déclenche. Foncez!
Nous entrons dans un taxi.
- Direction Hall Central, dis-je.
- Oui Monsieur. C’est douze euros, dit-il alors qu’une main sort de la paroi du taxi, comme s’il elle s’en
détachait.
- Gardez la monnaie, lui dis-je en lui donnant un billet de quinze.
- Merci Monsieur, répond-il en prenant le billet. Bienvenu dans un taxi Thalès.
Le taxi commence finalement à se mettre en route.
A ce moment là, nous entendons une sirène qui retenti. Il était temps! Nous entrons dans le couloir de sortie du
hall alors que les portes coupe feu se ferment automatiquement derrière nous.
- C’est parti! s’exclame Juarez.
Le drone de sa combinaison lance le message d’alerte à l’ordinateur de bord. Celui-ci réagit instantanément. Il
allume le réacteur. Il met sept secondes à chauffer et à décoller. Des mitrailleuses laser automatique sortent des
murs et commencent à tirer alors qu’il commence à s’élever doucement dans le vide lunaire. Mais les armes
réagissent trop tard. La flamme du jet parasite leur système de visée. La chaleur intense provoquée par le
réacteur fait exploser deux des trois lasers.
L’appareil décolle dans un silence absolu au milieu des explosions.
Des lumières rouges clignotent partout.
Les portes du garage commencent à se fermer.
Le jet est déjà trop gros pour pouvoir passer!
Mais encore grâce aux lois de la robotique de Isaac Asimov qui sont prévues pour sauver les vies humaines à
tout prix, le jet commande aux portes de s’ouvrir à nouveau. C’est avec un immense soulagement que Juarez
voit les portes s’écarter pour laisser le passage à l’engin volant.
Une dizaine d’homme armés, des commandos, sortent de derrière la falaise de l’autre côté du cratère, à une
centaine de mètres. Ils disposent de propulseurs et ils peuvent parcourir cette distance en moins de cinq
secondes. Ils ne vont faire qu’une bouchée de Juarez!
Le jet est encore au niveau des portes du garage. Il commence à prendre de la vitesse. Les commandos
concentrent leurs tirs non pas sur l’avion mais sur Juarez! Le jet réagit instantanément. Il tire une salve devant
les hommes armés. Un immense nuage de poussière et de petits cailloux leur masque momentanément la
visibilité. Juarez profite de la situation pour enclencher son propulseur. Le jet comprend la manœuvre et passe
sous lui en réduisant sa vitesse. Juarez se laisse tomber maladroitement dans l’habitacle. L’appareil reprend
immédiatement de la vitesse et de l’altitude. Une Fireball est tirée contre lui. Le cockpit se referme alors que
Juarez est assis à l’envers! Il tourne le dos au poste de commande!
Le jet repère la Fireball et pique vers le sol pour l’esquiver. La Fireball n’est pas autoguidée. Elle poursuit son
chemin pendant une dizaine de kilomètres pour aller exploser faiblement dans l’espace alors que la plus grande
partie de son énergie a eu le temps de se dissiper.
Ca y est. Il est hors de portée. L’avion stabilise sa vitesse à mille cinq cent kilomètres heure. Juarez ouvre alors
le cockpit de pilotage pour se repositionner correctement. Comme il n’y a pas d’atmosphère, le cockpit n’est
pas emporté par le vent, inexistant.
A l’endroit, c’est quand même mieux!, s'exclame Juarez avec soulagement.
Le jet reprend son accélération fulgurante et atteint très rapidement sa vitesse de croisière, soit cinq mille
kilomètres heure.
Sur le radar de bord, deux petits points lumineux apparaissent. Deux chasseurs ont entamé la poursuite.
- Deux jets empruntent la même route que nous, annonce l’ordinateur de bord d’une voix féminine.
- Sont-ils armés? demande Juarez
- Oui, mais leur armement n’est pas encore activé.
- Est-ce que je dispose aussi d’un armement?
- Oui. Mais vous ne pourrez pas l’utiliser contre eux à cause des lois de la robotique. De même ils ne
pourront pas l’utiliser contre nous.
132
- Mais s’ils le font quand même, alors est-ce que je pourrai riposter?
- Peut-être. Cela dépendra de la situation, répond la voix du jet.
- Est-ce qu’ils nous rattrapent?
- Oui. Ils nous auront rejoint dans moins de douze minutes.
- Est-il possible d’accélérer et de garder suffisamment de réserves d’énergie pour rejoindre Sélène Orléans?
- Oui.
Instantanément, Juarez sent une accélération.
- Nous passons à la vitesse de cinq mille six cent kilomètres heure. Ils seront sur nous dans dix-huit minutes.
A cette vitesse, ils ne seront à portée de tir que dans dix-sept minutes trente secondes.
La tranquille voix féminine de l’ordinateur de bord reprend et dit à Juarez:
- Trois chasseurs de combat viennent de décoller de la base du Nouveau Québec. Ils entament leur trajectoire
d’interception.
- Ils seront à portée de tir dans combien de temps?
- Ils sont devant nous. Ils seront à portée de tir dans trois minutes et sept secondes.
- Quelles sont les conditions pour que je puisse ouvrir le feu? demande Juarez qui voit son niveau de stress
grimper en flèche.
- Il faut que les trois lois de la robotique de Isaac Asimov soient respectées. Vous ne pourrez tirer que s’il
n’existe pas d’autres alternatives pour vous sauver la vie. Et si vous faites feu, votre tir ne pourra
qu’endommager les chasseurs adverses. Sans nuire à la vie des pilotes.
- Ma mission est capitale, dit Juarez à l’ordinateur. Si je suis tué ou fait prisonnier, des milliers de gens vont
mourir.
- Les chasseurs de la base du Nouveau Québec veulent entrer en contact avec vous, dit la voix du jet qui n’a
rien à faire des justifications de Juarez.
- D’accord, dit-il. Mais il ne faut pas que le BDC puisse reconnaître ma voix. Masque ma voix par la tienne.
Ils doivent entendre ta propre voix quand je leur répondrai.
- D’accord, dit l’ordinateur de bord.
- Ici la patrouille d’interception Delta Echo Alpha Delta Quatre des forces interplanétaires, dit le leader. Vous
vous êtes emparé d’un jet illégalement. Suivez-nous où nous serons contraints d’ouvrir le feu.
- Je suis actuellement poursuivi par deux jets qui veulent me descendre.
- Non, répond le leader de la patrouille. Je ne capte rien sur mes radars.
- Je perçois toujours les deux signaux ennemis, dit l’ordinateur de bord à Juarez.
- Je vous transmets les deux signaux que je capte, dit Juarez au leader de la patrouille.
- Transmettez vos données, nous sommes prêts, répond-il.
- Voyez-vous vous les deux devils à mes trousses? demande Juarez au leader de la patrouille de chasse
lunaire.
- Oui, nous les percevons clairement. Nous effectuons des recoupements pour vérifier vos data.
- Les deux poursuivants viennent d’activer leur armement, dit l’ordinateur de bord à Juarez.
- La situation est critique, dit Juarez au leader.
- Nous avons terminé de recouper vos données, répond-il enfin. Elles sont erronées. il n’y a personne derrière
vous. Vous avez vingt secondes pour commencer à réduire votre vitesse. Faute de quoi nous ouvrirons le
feu.
Juarez voit son stress grimper en flèche.
- Si on se met sur orbite, dit Juarez à son ordinateur de bord, est-ce qu’on aura suffisamment de carburant
pour atteindre Sélène Orléans?
- Oui. Mais on formera une cible idéale. Il est préférable de ne pas choisir cette solution, dit la voix féminine.
- Est-ce qu’il y a beaucoup de circulation vers Sélène Orléans? demande Juarez à son ordinateur de bord.
- Oui. Les vaisseaux de croisière interplanétaires sont nombreux à mouiller sur cette orbite de transfert qui
permet aux petits vaisseaux de faire la navette entre eux et la ville. Ce sont les navettes d’embarquement et
de fret.
- Si on se met sur cette orbite, m’est-il possible d’atteindre un de ces véhicules rapidement?
- Oui, mais vos poursuivants ne perdront pas votre trace.
- Est-il possible de provoquer une explosion du jet sans dommage pour moi de façon à ce que mes
poursuivants perdent toute trace de moi et me croient mort?
- Oui. J’ai repéré un paquebot non loin de nous. Je peux m’autodétruire non loin du paquebot Moon Titanic.
Là, vous pourrez vous y introduire sans problème.
133
- Vous n’avez plus que cinq secondes pour obtempérer, dit le leader de la patrouille de chasseurs à Juarez.
- Exécution du plan, dit Juarez à l’ordinateur de bord.
Celui-ci commence immédiatement à augmenter sa vitesse et à gagner de l’altitude. La soudaine accélération
colle Juarez à son siège. Il lui est même difficile de bouger les bras. La vitesse du jet est maintenant proche de
sept mille kilomètres heure.
- Feu! hurle le leader en voyant que Juarez tente une manœuvre d’échappement.
- Nous sommes pris en chasse par deux missiles à traction magnétique, dit la voix féminine. Si leur faisceau
nous attrape, alors ils n’auront même plus besoin de carburant pour venir nous percuter. Ce sera comme
s’ils étaient collés à nous. Nous ne pourrons pas leur échapper.
- Combien de temps nous faut-il pour s’approcher du Moon Titanic?
- Vingt sept secondes.
La voix reprend avant que Juarez n’ai le temps de dire quoi que ce soit:
- Le faisceau d’un des deux missiles nous a accroché.
- Dans combien de temps sera-t-il sur nous?
- Dans trente trois secondes, répond-elle toujours aussi impassible.
- J’inverse la polarité du jet. Le missile s’est adapté en simultané et ne nous a pas lâché.
- Je ralentis pour vous permettre un accostage possible sur le Moon Titanic. Attention. Tenez-vous prêts pour
l’éjection automatique. Elle aura lieu dans vingt et une secondes. Votre vitesse calculée sera un tout petit
peu plus rapide que celle du paquebot.
Le deuxième missile n’ayant pas pu accrocher son rayon tracteur magnétique sur le jet de Juarez, il perd
rapidement de la vitesse et commence à retomber sur la Lune. Le premier quant à lui se rapproche de plus en
plus.
- Plus que douze secondes, dit la voix féminine. Tenez-vous prêts.
Les muscles de Juarez sont tendus au maximum. Son pouls bat à tout rompre. Il sait que la déflagration va être
très importante. En fait, l’explosion due au missile va être relativement faible, mais celle due aux réservoirs du
jet va être prodigieuse.
- Trois… Deux… Un…
Juarez est propulsé vers le haut alors que le jet part en flamme. L’explosion silencieuse est éblouissante. Juarez
tourne sur lui-même telle une poupée désarticulée en train de tomber d’une étagère. Il est complètement sonné
par la brusque accélération verticale qu’il a subit quand les fusées à poudre de son siège éjectable l’ont extrait
de son habitacle. Il commence à se reprendre alors que les dernières flammes de l’explosion ne sont pas
éteintes. Activant les propulseurs de sa combinaison, il stabilise sa trajectoire. Il va droit sur l’immense carcasse
d’acier du paquebot spatial du Moon Titanic.
Immense, ce vaisseau est un des fleurons des paquebots de croisière entre la Terre et la Lune. Il n’en existe que
trois aussi gros. Le tonnage de ce navire est si important qu’il peut emmener jusqu’à cent soixante quatre
personnes d’un seul coup. Le vaisseau est très gros mais il est aussi très solide.
Juarez utilise le maximum de sa puissance pour freiner sa collision avec le navire de luxe. Quand il touche la
paroi, c’est à plus de quarante kilomètres heure.
Il est assommé sur le coup.
Pendant ce temps, Natacha et moi sommes repartis en direction du site radioastronomique de New Moskova.
Nous n’avons pas de nouvelles de Juarez car il est beaucoup trop loin, mais nous espérons qu’il s’approche sans
problème de Sélène Orléans.
Nous commençons à émerger du tunnel. Je fais partir le drone de ma combinaison pour faire, comme
d’habitude, un petit tour de reconnaissance. Ce serait dommage de tomber nez à nez avec Brand!
- Il n’y a personne, dis-je à Natacha. Je veux vérifier que les systèmes sont bien éteints avant qu’on fasse
sauter les bombes. Tant qu’à faire, autant être certains qu’on préserve aussi le matériel informatique.
- Je t’attends dehors, me dit Natacha assez nerveuse à l’idée de faire exploser le matériel de sabotage du
BDC.
J’entre dans le centre de contrôle préfabriqué, pendant qu’elle va se mettre à l’abri contre un gros rocher, un
peu à l’écart du baraquement.
Je commence immédiatement à couper le contact partout où c’est possible et à débrancher des câbles.
Il ne s’est écoulé que quelques minutes quand Natacha s’exclame soudain:
134
- Je détecte des mouvements à l’extérieur!
- Quoi!? C’est Brand? je demande en croisant les doigts autant que faire se peut avec le scaphandre spatial.
Un frisson parcourt le dos de Natacha. Je sens que sa rencontre avec le directeur génétiquement modifié du
centre de Cerro Paranal l’a profondément secouée. Plus que ce qu’elle ne le laissait deviner auparavant.
- C’est sa combinaison spatiale! dit Natacha. Mets ton casque! hurle-t-elle aussitôt. S’il fait sauter le
baraquement, tu seras tué sur le coup!
- Il faut que je sorte avant d’être complètement pris au piège!
- Attends! dit Natacha. Brand ne sait pas que tu es là.
- Pas pour l’instant, en effet. Mais dès qu’il va voir les installations au-dessus de ses explosifs, il comprendra
aussitôt et jettera un coup d’œil partout. Y compris ici.
Je me tiens prêt à sortir.
Je pressurise le sas. Les secondes s’égrènent rapidement. J’entre finalement et je commence aussitôt la
dépressurisation.
J’entends Natacha dans mes écouteurs.
- Il s’éloigne un peu. Il va passer derrière une antenne dans quelques instants. Ca sera le moment de sortir.
Soudain, elle se reprend.
- Attends! Il a changé de direction! Il s’approche!
Je suis maintenant dans le sas, dépressurisé.
- Peux-tu éteindre la lumière?
- Oui. C’est fait.
- Ne bouge pas! Il se rapproche! Rentre dans le baraquement! Ne reste pas dans le sas!
Je pressurise à nouveau le sas. L’afflux d’air se fait légèrement sentir. La pression augmente. Il me faut compter
une dizaine de secondes avant de pouvoir ouvrir la porte.
Brand se rapproche de plus en plus.
- Tu as le sac des armes avec toi? je lui demande.
- Oui!
- Prends un fusil d’assaut qui s’y trouve. Tu sais t’en servir?
- Non! Répond-elle désespérée.
- Enlève la sécurité d’abord, lui dis-je calmement.
- Je vais y arriver, fait Natacha d’un air convaincu. Où est-elle?
- C’est un petit bouton carré à droite de la crosse.
- Oui, je le vois. Je le pousse.
- Parfait. Maintenant, il faut que tu armes!
La pressurisation du sas s’est terminée. J’ouvre la porte. Je me précipite à l’intérieur et je referme la porte.
- Ca y est, je suis sorti du sas et je suis à nouveau à l’intérieur du baraquement.
- Parfait. Je vois parfaitement Brand d’où je suis. Surtout ne bouge pas. Il n’est plus qu’à une dizaine de
mètres du sas. Comment j’arme le fusil?
- Tu as un levier le long du canon à droite. Il faut que tu le lèves un peu et que tu le ramènes vers toi. Il faut
tirer fort.
J’entends Natacha pousser un juron.
- Ca y est! C’est armé. Je fais quoi maintenant?
- Tu te mets en position et tu vises Brand. Tiens-toi prête à tirer s’il le faut.
Natacha glisse doucement de derrière sa cachette. Elle envoie le petit robot de sa combinaison quelques
dizaines de centimètres en avant pour savoir si elle peut sortir la tête. C’est tout bon. Elle se met en position.
Elle est couchée sur le sol. Sa tête dépasse de vingt bons centimètres, à cause de la taille de son casque. Le
canon du fusil est pointé sur Brand.
Soudain, il tourne la tête dans sa direction. Il a vu un reflet de lumière! C’est le casque de Natacha.
Ils réagissent instantanément.
Il bondit elle tire.
Elle est trop nerveuse
Il allume son propulseur dorsal.
Le projectile part
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à
quatre mille huit cent kilomètres heure
vers sa cible.
Il n’y a pas d’atmosphère
Aucune détonation il sait qu’elle vient de tirer.
Le flash
de l’arme qui fait feu est
éblouissant.
Le recul la pousse violemment en arrière. Elle tient bon.
Le projectile
passe
à deux mètres
de
lui. Elle l’a manqué.
Il s’est mis à l’abri au pied d’une antenne parabolique.
Elle active son propulseur et engage la poursuite.
J’entre dans le sas et le dépressurise.
- Attends-moi! Je lui hurle. Passe-moi une arme!
Seule, elle n’a pas une chance. A priori, moi non plus d’ailleurs.
Au moment où je sors, elle arrive à mon niveau.
- Prends un robot de maintenance et fait lui faire sauter les bombes du BDC! Il faut le faire maintenant!
- OK. Tiens, prends mon fusil.
Elle se précipite vers un robot en attente pas trop loin du baraquement.
Quand j’arrive au niveau de l’antenne où Brand s’est caché, il n’y a plus personne. Seule trace bien visible: il a
laissé un grand trou dans la plaque métallique du support du centre astronomique. Il s’est caché dessous.
Soudain, je me dis que c’est peut-être un piège.
Je lève la tête.
Personne. Je suis à découvert ici.
Je saute me mettre à couvert derrière le pylône de l’antenne.
A ce moment là, le sol sur lequel je marchais une fraction de seconde plus tôt explose dans tous les sens! Brand
est armé et tire en rafales sur moi! Je n’ai pas vu d’où venaient les tirs! Voyons voir. Le sol est défoncé selon un
angle bien déterminé. Je regarde dans l’alignement du sens visible des impacts des balles ET JE VOIS BRAND
JUSTE DEVANT MOI.
Je plonge en avant! Les balles passent au-dessus de ma tête. Il me rate! Une seule éraflure sur ma combinaison
spatiale et ma grande croisade contre le BDC prendra fin brutalement. Je le percute de plein fouet. Natacha
hurle mon nom.
Nous roulons et rebondissons sur le sol de manière complètement chaotique. Malgré nos combinaisons
spatiales, nos poids cumulés ne sont pas suffisants pour nous coller au sol tellement nous nous débattons. A
travers la visière de nos deux hublots, je vois son regard haineux. Immédiatement, j’opacifie ma visière
simplement en y pensant grâce aux électrodes posées sur ma tête. Je ne vois plus devant moi que grâce aux
deux caméras fixées sur les côtés du casque. Je viens à peine de passer en mode vidéo que Brand utilise une
torche magnésium destinée à m’éblouir.
C’est d’ailleurs ce qu’il croit l’espace d’un instant. Il se sent sûr de lui. Il relâche son étreinte. J’en profite. Il a
fait une erreur. Je lui arrache le flambeau des mains. Je le coince aussitôt entre sa combinaison et son réservoir
d’oxygène. Vite, il faut que je me dégage. La chaleur de la torche de magnésium va faire sauter son réservoir
d’oxygène. L’explosion est imminente et elle va être énorme! Brand résiste. Il s’est rendu compte de ce qui
s’est passé. Il me tient solidement et refuse obstinément de me lâcher! Je n’arrive pas à détacher ses mains des
miennes. Il est beaucoup plus fort que moi. Le démultiplicateur de force n’est pas une option disponible sur ce
modèle de scaphandre spatial mais assurément lui doit l’avoir! Grâce à mes caméras, je vois que la paroi de son
réservoir d’oxygène commence à se déformer sous l’effet de la chaleur.
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Nous nous débattons. Nous allons y rester tous les deux! C’est alors que je vois que le robot de ma combinaison
se dirige vers celle de Brand. Mais que fait-il?! C’est vrai! Il est soumis aux lois fondamentales de la robotique
d’Isaac Asimov! Il ne peut pas laisser quelqu’un passer de vie à trépas sans réagir, quelle que soit cette
personne! Il détache le flambeau! Oh non! Tout est à refaire! Et Brand qui n’a toujours pas lâché son arme! Moi
non plus d’ailleurs, mais je ne peux absolument pas l’utiliser pendant la bagarre. Il me donne de si violents
coups de pieds qu’ils me paraissent inhumains par leur force. Je vacille plusieurs fois. J’entends Natacha qui me
hurle des conseils que je ne comprends pas. Je commence à perdre la réalité des choses. Je ne peux toujours pas
me dégager de son étreinte. Elle est de plus en plus forte. L’afflux d’oxygène augmente automatiquement,
régulé par les processeurs de ma combinaison. Les systèmes de survie se rendent compte que je suis en
difficulté et que j’éprouve du mal à respirer.
Sans même me lâcher, les mains de Brand s’approchent lentement, fermement et inéluctablement de l’arrivée
d’oxygène de mon scaphandre. Je suis maintenant complètement bloqué.
Tel un boa constrictor, il m’entoure avec sa force surhumaine comme pour m’étouffer. La rigidité de ma
combinaison continue encore à me protéger. Nous sommes de nouveau debout. Mes jambes ont du mal a nous
soutenir tous les deux, lui appuyant de tout son poids et de toutes ses forces contre moi. Je vacille. Je vois une
explosion au loin. Je ne sais pas si c’est mon imagination ou bien si c’est le robot qui a commencé à détruire le
matériel de sabotage du BDC. J’ai encore mon arme en main. C’est devenu le cadet des soucis de Brand. Je
vois que les explosions se multiplient. Brand sait que je suis à bout de force et que je ne peux pas la diriger vers
lui. Je me rends compte qu’elle est dirigée vers le bas et vers la droite. Le robot de ma combinaison revient vers
moi pour empêcher Brand de couper mon arrivée d’oxygène. Il arrivera trop tard. Mon arme n’est pas dirigée
vers mes pieds. Je décide de tirer! Brand est violemment surpris par le recul de l’arme. Il me lâche si
brutalement que je fais un vol plané de près de trente mètres.
Je perds connaissance une fraction de seconde. Le débit d’oxygène m’aide à reprendre mes esprits.
Brand fonce vers moi. Il me met en joue. Dans une manœuvre désespérée je roule sur moi pour éviter les balles.
C’est inutile.
Natacha lui tire dessus. Brand n’entend pas les coups de feu. Ce n’est que quand il voit un impact se produire
pas trop loin de lui qu’il se rend compte du danger. Il se jette maladroitement à couvert derrière un pylône.
Les explosions continuent de plus belle.
Je profite du répit qui m’est donné. Je fonce derrière une épaisse caisse métallique. J’espère que les balles ne
pourront pas la traverser.
- Ca va? me demande-t-elle angoissée.
- Oui, merci. Tu as quoi comme arme?
- J’ai récupéré un fusil mitrailleur et un lanceur de Fireball mais il n’y a que trois munitions. Et les explosions
sont de plus en plus nombreuses!
- J’ai perdu Brand de vue!
- Les explosions sont en chaîne! Ca s’est accéléré! me crie Natacha.
- Couche-toi!
A ce moment précis, un impact de balle apparaît à quelques centimètres de moi. Je saute sur le côté.
- Brand nous tire dessus! Reste à couvert!
- Il est à cinquante mètres sur la gauche! me dit-elle en commençant à tirer.
Une formidable explosion me projette en l’air.
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L’Xplosion
est
si proche que le son s’est propagé directement du sol métallique à mes oreilles en passant par mon scaphandre.
Je
sens mon cœur vibrer jusqu’à son tréfonds. Je suis complètement assourdi. J’ai les oreilles en feu.
Je crie de douleur.
Je n’entends pas Brand
qui n’a pas le temps de hurler
quand lui aussi est victime d’une explosion
qui le déchiquette.
Le système mécanique d’alimentation en oxygène prend le relais sur l’électronique.
Le robot de maintenance de ma combinaison tombe en panne.
Quelques morceaux métalliques mus par une vitesse prodigieuse me frôlent et me ratent de peu.
Je perds connaissance.
A New Moskova, les vibrations des explosions sont clairement perçues. Le tunnel condamné que nous avons
utilisé pour venir de la ville souterraine jusqu’au radio observatoire s’effondre. Tous les systèmes de
pressurisation de la ville se mettent en alerte. Tous les murs blindés séparant les halls en cas d’urgence se
verrouillent. Chacun doit gagner la pièce pressurisée la plus proche. Les sirènes d’alarme se déclenchent
partout. L’alerte est immédiatement déclenchée dans toutes les bases militaires, cités lunaires et villas isolées de
la petite planète.
Un mouvement de panique se déclenche dans un des quartiers de la ville mais s’arrête presque aussi vite qu’il a
commencé.
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15- Quid?
Où suis-je?… Quelle heure est-il?… Tout tourne autour de moi…
Partout le ciel étoilé vient fondre sur moi…
Non, ce n’est pas ça… Je tombe indéfiniment…
dans une chute perpétuelle pour m’engouffrer…
dans l’immensité… J’ai du mal à respirer…
Mais non… J’y suis déjà perdu… J’ai la nausée…
Où suis-je?… Quelle heure est-il?… Mais quel est ce bruit?!
Les oreilles me vrillent la tête! Je hurle de douleur.
La douleur est insoutenable! Tout tourne!
Oter mon casque. Poser mes mains apaisantes
Sur mes deux blessures. Je ne peux pas bouger!
Que m’arrive-t-il?! La douleur est atroce!…
Où suis-je? Quelle heure est-il?…Qui est cette personne?
La douleur est si forte que je vois des étoiles!
Où suis-je?… Tout est blanc… Exactement comme si je
- Yann?
Qui m’appelle?
- Yann?!
Soudain un flash qui m’aveugle un long moment.
- Yann!
Une douleur m’envahit la poitrine. C’est atroce. J’ai l’impression d’avoir les poumons en feu.
Je tousse à n’en plus finir. La tête me tourne violemment. J’ai un terrible mal de crâne. J’ai du mal à ouvrir les
yeux…
- Yann!
Au prix d’un effort surhumain, j’arrive à écarquiller les yeux. Tout est trouble. Pas flou, non, mais trouble.
Comme si j’étais à la limite de pouvoir focaliser sur les objets qui m’entourent. Comme si au moment où
j’allais focaliser sur eux ils se dérobaient pour redevenir un mélange abstrait de couleurs, de lumières et de
formes changeantes. Comme si au moment où j’écarquillais les yeux devant ce kaléidoscope de lumières vives
tout s’éteignait…
Dimanche 1er août 2066, 07h59 Temps Universel
Quand je me réveille, je vois l’heure sur un cadran à ma gauche au-dessus de ma tête.
Natacha me raconte ce qui s’est passé.
Elle a voulu voir si j’étais conscient mais j’avais opacifié mon casque pendant la lutte à mort contre Brand.
J’étais dans le coma et je faisais un arrêt cardiaque. Mon droïde, qui disposait de toutes les informations vitales
me concernant, a violemment déchargé ses batteries. Complètement. D’un seul coup. Il a passé instantanément
l’arme à gauche. Ses batteries d’hyperplastique ont fondu. Le choc électrique a fait repartir mon cœur
immédiatement. Si ça n’avait pas marché, le droïde de Natacha serait passé à la casserole lui aussi. Et ç’aurait
été alors ma dernière chance de revenir à la vie.
Comme mon cœur a redémarré, le drone de Natacha a pris le relais et est venu gérer l’arrivée de mon oxygène.
Natacha répétait inlassablement les appels de détresse par radio. Elle a enfin eu une réponse au bout de trois
heures. Les secours lui ont dit qu’ils leur faudraient une bonne dizaine de minutes pour venir nous chercher.
Mais un problème inattendu a surgi. Je consommais beaucoup trop rapidement mon oxygène. Elle a alors
connecté son réservoir d’oxygène au mien et on a ainsi tenu jusqu’à l’arrivée des secours.
Je me rendors.
139
Je suis dans une salle de réveil dans un hôpital ou une clinique. Je me sens très puissant, très fort et très léger. Je
dois être sur la Lune. Ou plutôt dans la Lune, puisque la plupart des installations sont enterrées.
Je me perds un peu sur cette expression qu’avaient les gens durant les siècles passés, à propos « d’être dans la
Lune », alors qu’une personne en blanc entre.
- Bonjour Yann. Tu te sens mieux maintenant?
- Natacha! dis-je en m’exclamant. Comment vas-tu?
- Moi, ça va. Mais toi tu m’as fait peur, me dit-elle. Tu vas bien maintenant?
- J’ai les oreilles qui bourdonnent un tout petit peu, mais ça doit être normal.
- Oui, je pense que les nanorobots n’ont pas complètement terminé ton opération.
- Où est-on? je lui demande alors.
- Dans l’hôpital principal de Sélène Orléans. Sous bonne garde, estime-t-elle important de préciser.
- Hum, c’est plutôt normal, avec le grabuge qui s’est passé…
- Oui, dit-elle. Sauf que c’est plutôt pour nous empêcher de nous sauver que les gardes sont là. Plus que pour
nous protéger.
- Bon, et bien il faut trouver un moyen de leur fausser compagnie, dis-je en essayant de me lever.
Samedi 31 juillet 2066, 20h38 Temps Universel
Juarez se réveille. Devant lui s’offre la vue toujours aussi superbe du ciel noir étoilé.
- Mierda! Je suis perdu dans l’espace! s’exclame-t-il. Mon compte est bon. Il me reste encore environ trois
heures d’oxygène, voit-il sur ses jauges. Trois heures à vivre. Voyons voir à quelle distance de la Lune je
me trouve. J’ai un espoir que mon signal de détresse soit entendu si je suis suffisamment proche.
Juarez utilise légèrement son propulseur pour pivoter sur lui-même.
Mais il reste obstinément orienté dans la même direction.
- Que se passe-t-il? Mes capteurs ne détectent aucun problème. Pourquoi ne puis-je pas tourner? Je vois
pourtant bien l’oxygène partir en jets très fins!
Un message apparaît alors sur l’écran de casque de Juarez.
« Du Droïde à Juarez: Voulez-vous que je débloque l’aimant? »
- L’aimant?! Mais quel aimant?
« Celui qui vous colle contre le Moon Titanic » répond le drone imperturbable.
- Quoi?! mais si je suis collé magnétiquement au paquebot spatial, je ne suis pas du tout perdu dans l’espace!
s’exclame joyeusement Juarez.
Le drone répond toujours aussi tranquillement: « Non, vous n’êtes pas perdu dans l’espace. »
- Yeepee! hurle alors Juarez de joie. Décroche-moi! lance-t-il avec euphorie à son droïde.
Aussitôt les étoiles semblent bouger. Juarez commence une très légère rotation sur lui-même.
- Tu es génial mon petit robot!
« Merci. Vous aussi. » répond le drone avec une pointe d’humour qui est créée dans sa voix métallique par le
logiciel d’interprétation de contexte.
Juarez active très légèrement son propulseur et tourne enfin sur lui-même. La Lune toute petite apparaît d’abord
au cœur du ciel étoilé.
- Mierda! s’écrie Juarez. On s’éloigne de la Lune!
Sa rotation continue. L’immense vaisseau spatial apparaît devant lui. Il n’est qu’à moins de trois mètres. Il est si
proche du mastodonte de quatre-vingt six mille tonnes en forme de disque que ce paquebot spatial, le Moon
Titanic, occulte bientôt la totalité de son espace observable. Ce fleuron de la technologie spatiale de ce début du
deuxième quart du vingt et unième siècle, haut de cinquante mètres, avec un diamètre de cent cinquante cinq
mètres, ne dispose d’aucune partie motrice, qu’elle soit mécanique ou magnétique.
En fait, aux moments de son accélération et de sa décélération, il se voit pousser des ailes planes et circulaires
faites de métal supraconducteur pour atteindre un diamètre de près de trois cent mètres et obtenir ainsi une
surface de près de neuf cent cinquante mètres carrés. Deux canons magnétiques, un sur la Lune et un autre sur
Terre permettent alors au bâtiment de freiner ou d’accélérer.
Ces canons énergétiques très lourds qui sont posés sur les sols terrestre et lunaire sont les véritables moteurs des
engins spatiaux qui naviguent entre la Terre et la Lune. Le gain d’énergie est colossal. Les parties motrices sont
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normalement les éléments les plus lourds, les plus encombrants et les plus sensibles d’un engin spatial.
Maintenant, les systèmes les plus encombrants sont seulement ceux qui maintiennent la vie en apesanteur à
l’intérieur de cette vaste et large soucoupe. En plus, au moindre problème sur les canons au sol, toutes les
équipes de maintenance, sur place, peuvent réagir au quart de tour. Envoyés ainsi tels des balles de ping-pong
entre la Terre et la Lune, les vaisseaux réalisent une économie fantastique du transport des moteurs devenus
totalement superflus. Aller sur la Lune est alors devenu possible pour un nombre incroyable de gens. En fait,
seules les petites chaloupes de sauvetage disposent de leurs propres systèmes de propulsion. Mais quand on
parle de chaloupes, il vaut mieux parler de sièges spatiaux non pressurisés sur lesquels il y a suffisamment
d’énergie pour ne pas mourir de froid, suffisamment d’oxygène et de liquide nutritif pour se diriger, respirer et
se nourrir et se maintenir en orbite le temps que les secours arrivent, soit une semaine maxi.
Juarez reste béat de surprise.
- Mais comment est-ce possible? parvient-il enfin à dire.
« Juste avant le choc, répond le drone, je me suis interposé entre le vaisseau de croisière et vous. Au moment
du choc, j’ai activé tous mes aimants magnétiques. Je vous ai ainsi empêché de rebondir comme une balle
pour aller vous perdre dans l’espace. Inanimé, vous êtes resté collé comme ça sur les parois externes du
vaisseau pendant près de six heures. »
- Mais pourquoi suis-je aussi loin de la Lune?
« Le vaisseau avait commencé à s’en éloigner à peine quelques minutes avant votre collision. »
En rejoignant un sas pour entrer dans le fier bâtiment, Juarez se dit qu’il a eu beaucoup de chance. Même si le
Moon Titanic est recouvert à quatre-vingt quinze pour cent de métal, il aurait pu le heurter au niveau d’une baie
vitrée. Dans ce cas, son drone n’aurait jamais pu le coller magnétiquement à la paroi du vaisseau et il serait en
train d’errer éperdument dans l’espace. Une telle mort par asphyxie est assez peu enviable.
A peine Juarez s’est-il approché du sas que celui-ci s’ouvre automatiquement et un système d’alarme se
déclenche. Une entrée non prévue de l’extérieure est forcément un cas d’urgence, d’après les systèmes
informatiques!
- Et bien pour l’arrivée discrète, c’est râpé! se dit-il.
En effet, le sas n’a pas encore achevé sa pressurisation que déjà deux membres d’équipage accompagnés du
commandant de bord l’attendent de pied ferme, si l'on peut dire, planant en état d’apesanteur…
Alors que le sas intérieur s’ouvre, Juarez remarque la surprise des trois hommes pendant qu’il ôte le heaume de
son scaphandre.
- Etes-vous seul?, lui demande le commandant.
- Oui, fait simplement Juarez.
- Emmenez-le à l’infirmerie. Vous me préviendrez quand il sera tout à fait rétabli.
Le commandant s'éloigne.
- Commandant! lance Juarez qui est surpris par la faiblesse de sa propre voix.
En apesanteur, l’homme brun, à peine la trentaine, se retourne à nouveau en planant légèrement vers Juarez.
Son regard est brillant, perçant et interrogatif. Juarez voit clairement que l’homme qui lui fait face veut
comprendre le comment et le pourquoi de la situation. Néanmoins il lui dit:
- Allez vous soigner. Vous m’expliquerez tout ce qui vous est arrivé après.
- Il faut que je vous parle tout de suite. En privé.
- Je ne sais pas si vous vous rendez compte de votre état, mais vous avez la tête en sang.
- Ca fait six heures que je suis dehors. Je peux bien attendre deux minutes de plus. C’est extrêmement
important.
Sous mon insistance, il dit alors à ses hommes de disposer.
- Bon. Nous voilà seuls. Que voulez-vous me dire?
- Je vous demande de ne pas signaler ma présence à bord tout de suite. Je vous demande d’attendre deux
jours au moins.
- Vous vous rendez compte de ce que vous me demandez? Non, je suis désolé mais ce n’est pas possible.
- C’est d’une importance capitale. Il est primordial que ma présence à bord de votre navire ne soit signalée
que le plus tard possible.
- Je ne peux pas prendre une telle décision sans explication. C’est contraire aux protocoles de navigation
spatiale.
- C’est une question de vie ou de mort.
141
Ce n’est pas une explication. En plus, si vous êtes resté inconscient pendant six heures, vous devez aller
vous faire soigner au plus vite. Vous avez dû perdre beaucoup de sang.
- C’est une très longue histoire.
Juarez a de plus en plus de mal à réfléchir.
- En fait, il faudrait que je contacte quelqu’un au plus vite.
- Vous voyez, dit le commandant à Juarez. Vos propos sont incohérents. Je vous emmène à l’infirmerie. Vous
me raconterez votre histoire quand vous serez en état de le faire.
- Ne signalez pas ma présence tout de suite.
- Je vais attendre d’avoir entendu votre histoire pour savoir qui appeler. Mais dans tous les cas, il faudra que
je contacte les services spatioportuaires terrestres.
Juarez essaye de réagir, aussi le commandant lui dit:
- Je ne les appellerai aussi qu’après avoir entendu votre histoire.
-
Tiré par le commandant, momentanément rassuré, Juarez se laisse flotter dans le petit couloir. Il a du mal a
rester éveillé.
Le commandant rappelle un de ses deux hommes pour emmener Juarez à l’infirmerie.
- T’es bien amoché mon pote, lui dit l’homme en allemand.
Une demi-heure plus tard Juarez est remis de sa commotion cérébrale. Sa fracture du crâne se cicatrise à vue
d’œil, et la grande quantité de sang synthétique qui lui a été injectée lui redonne force, vitalité, et couleur. Le
sac de poudre rouge n’est pas encore rangé quand il revient complètement à lui.
Maintenant tout à fait réveillé et parfaitement lucide, il suit un homme d’équipage qui le guide jusqu’à la table
du commandant. Celui-ci dîne en compagnie de trois autres personnes.
- Vous me ferez l’honneur de partager ma table, lui propose le commandant.
- Volontiers, répond Juarez, affamé.
Le restaurant du vaisseau est assez vaste. Il est éclairé par toutes les parois. Son décor principal est une large
baie vitrée qui offre à ce moment là une vue splendide des deux nuages de Magellan.
Près de trente personnes peuvent manger ici simultanément. Quelques tables sont fondues dans les murs, le sol
et le plafond. La plupart attendent d’être nettoyées après le passage des convives, qui sont maintenant assez peu
nombreux. Quelques retardataires terminent leur repas. Les autres sont maintenant soit dans leur chambre, soit
dans la salle de cinéma ou dans le théâtre virtuel de ce palace spatial, un des tous premiers de la conquête de
l’espace.
Ce qui paraît étrange au premier abord pour quelqu’un qui n’y est pas habitué, c’est l’absence de chaise. Seules
quelques tiges plastiques rigides colorées sont attachées aux tables. C’est grâce à ce système que les gens
s’attachent et peuvent rester déjeuner à la même table pendant toute la durée du repas en apesanteur, sans planer
de manière incontrôlée.
- Appréciez la vue! fait le commandant à Juarez. Je ne m’en lasse pas.
- Effectivement, je vous comprends. Avez-vous remarqué que parfois le petit nuage de Magellan passe de sa
teinte habituelle verdâtre à un blanc parfaitement pur?
- Ah, je vois que nous avons affaire à un observateur attentif, mes amis, dit le commandant avec satisfaction.
Asseyez-vous, je vous en prie.
L’expression est couramment utilisée dans l’espace, même si les chaises y sont absentes.
Juarez commence par caler ses pieds dans les encoches prévues à cet effet sous la table puis cherche à
s’attacher avec une des tiges en plastique.
- Vous ne savez pas vous en servir? lui demande le commandant d’un air surpris.
- Ca doit être le choc que j’ai reçu sur la tête qui me perturbe encore un peu, dit Juarez.
- Hum, ça doit être ça, fait le commandant qui n’en croit pas un mot. Accrochez la ceinture à votre taille puis
calez vos pieds dans les encoches.
- Merci.
- Je suis très intéressé de vous entendre raconter votre histoire, lui demande-t-il de plus en plus curieux. Je
pense que vous êtes le pilote du jet qui a été abattu par les chasseurs au moment de notre départ, lance-t-il
en guettant toute réaction de sa part qui pourrait le trahir.
- Oui, dit Juarez qui sait que ça ne sert à rien de nier l’évidence.
142
Vous comprendrez alors qu’avec les événements actuels, je ne peux que vous mettre aux arrêts, lui dit le
commandant en faisant signe à deux de ses membres d’équipage de se tenir aux côtés de Juarez.
- Quels événements?
- Humpff, fait le commandant de bord. Comme si vous ne saviez pas que le radiotélescope Sélène a sauté!
- Quoi?! fait Juarez.
- Et la moitié de New Moskova a été déclarée zone sinistrée!
Le visage de Juarez devient aussi pâle que s’il était mort.
- Je dois contacter quelqu’un au plus vite. Je ne peux absolument pas attendre, dit Juarez.
- Je suis désolé, mais je suis obligé de vous mettre au secret. Assurément, vu votre réaction, vous n’êtes pas
étranger à ces événements. Je ne peux pas vous laisser donner votre appel. Je vais contacter la police
spatioportuaire qui vous cueillera à notre arrivée à la station orbitale Reagan. J’appellerai la base militaire
du Nouveau Québec pour leur annoncer que vous êtes mon prisonnier.
- Non, vous ne pouvez pas faire ça! s’exclame Juarez en voulant maladroitement se dégager de sa ceinture
qui le maintient près de la table.
Les deux hommes d’équipage le forcent à rester sur place.
- Quel est votre nom? lui demande sèchement le commandant.
- Mon nom est Juarez Setupp, Chilien. Quel est le vôtre?
- Je suis le Commandant Valéry, Français. Je commande le Moon Titanic depuis qu’il a été baptisé, ou
mouillé, dans notre jargon, ça fait maintenant trois ans. Comment êtes-vous arrivé sur la Lune?
- Si vous voulez me poser ce genre de questions, il faudra que nous soyons seuls, dit Juarez.
- Amenez Monsieur Setupp à ses quartiers, dit seulement le commandant Valéry en guise de réponse.
Assurez-vous qu’il n’a accès à aucun système de communication. Gardez l’entrée de sa chambre.
-
Les deux hommes d’équipage laissent Juarez se défaire du lien qui le rattache à la table.
Ils le raccompagnent ensuite à sa chambre.
Sur le chemin, ils croisent plusieurs passagers du paquebot spatial. Ceux-ci les regardent passer avec une vive
curiosité. Juarez est laissé dans sa chambre après que les systèmes de communication aient été débranchés et
enlevés.
Samedi 31 juillet 2066, 22h21 Temps Universel
Le commandant Valéry entre dans la chambre de Juarez.
- Vous êtes quelqu’un de très important, lui dit-il. Quand j’ai averti la base lunaire du Nouveau Québec, ils
ont décidé d’envoyer un jet de chasse pour vous ramener d’urgence sur la Lune.
- Quoi?!
- Nous ne pouvons pas faire demi-tour, on n’a pas de moteur… Mais ils arriveront d’ici demain soir, tard
dans la soirée.
- Commandant. Il faut à tout prix que je contacte mon gouvernement.
- Et pourquoi voulez-vous embêter le gouvernement chilien avec tout ça?
- Si vous me laissez passer mon coup de vidéophone, je vous dirai non pas ce qui s’est passé mais ce qui va
se passer quand le chasseur sera là, parce que je ne crois pas que vous soyez de leur côté. Sans ça, vous
m’auriez déjà abattu.
- Racontez-moi tout, dit le commandant Valéry.
Arès un bref instant de réflexion, Juarez se décide:
- Je peux vous dire une chose.
Il attend une petite seconde, jauge le commandant une fois de plus et lui dit:
- Un obscure groupe financier international s’apprête à faire main basse sur la Lune. A prendre en otage toute
la population Sélène. D’ici lundi matin, il sera trop tard. Les troupes terrestres ne pourront plus rien y
changer, à moins d’y perdre un grand nombre de soldats et de risquer la vie de toute la population lunaire.
- Rien que ça! Vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère!
- Je n’ai pas le temps de tourner autour du pot. Vous non plus d’ailleurs. Quand le chasseur arrivera, en fait,
ça ne sera pas un seul engin qui sera là, mais une patrouille entière.
- Hum hum!…
143
Et pour qu’ils soient sûrs que je n’ai ni parlé à quiconque ni laissé un message contenant quoi que ce soit
comme information dangereuse pour eux, ils attaqueront et détruiront le Moon Titanic. Je suppose que vous
ne disposez d’aucun armement à bord?
- En effet, dit le commandant. On ne dispose absolument d’aucun armement. Pour un paquebot de croisière
spatiale, ça servirait à quoi d’ailleurs?!
- Oui, je vous le demande, répond Juarez avec amertume. Vous savez, ils ne se contenteront pas de détruire
votre beau navire. Ils annihileront toutes les capsules de sauvetage. Rien de plus facile. Vous envoyez un
nuage de billes d’acier réparties sur plusieurs kilomètres carrés. Comme les billes vont à près d’un
kilomètre par seconde plus vite que nous, elles nous traverseront comme du beurre. Il leur suffira ensuite de
constater le passage de vie à trépas de tous les membres d’équipages et de tous les passagers. Puis ils
repartiront.
- Allons, allons. Comment voudriez-vous qu’ils justifient un tel acte?
- Tout simplement comme un acte de guerre, puisqu’ils déclareront s’être emparé de la Lune, dit Juarez.
Le commandant perd légèrement de sa superbe.
Juarez continue:
- Vos radars peuvent scanner jusqu’à quelle distance?
- On peut scanner sur toute la longueur entre la Terre et la Lune.
- Quelle en est sa précision?
- On peut détecter sans problème le déclenchement d’une balise de détresse où que ce soit entre la Terre et la
Lune.
- Oui, mais quel est le pouvoir de résolution de vos radars?
- Où voulez-vous en venir?
- Je veux savoir à partir de quand vous saurez qu’il y a plusieurs chasseurs et que ce que je vous ai dit est
vrai, déclare froidement Juarez. Je veux savoir si on aura le temps de mettre en place un plan d’urgence
pour éviter la mort à tous les passagers et aux hommes d’équipage.
- On peut savoir si deux jets volent en patrouille rapprochée à partir d’une dizaine de milliers de kilomètres.
- Ah oui, et si jamais ils sont collés magnétiquement les uns contre les autres, vous allez faire comment pour
les dénombrer?
- Et bien, à partir d’environ deux mille kilomètres de distance, on est capable d’en connaître la taille assez
précisément.
- Deux mille kilomètres? Ca fait pas beaucoup!… Voyons voir… S’ils vont à un kilomètre par seconde plus
vite que nous, ça fait deux mille secondes, soit un peu plus d’une demi heure. C’est vraiment rien du tout!
ca veut dire qu’une fois qu’on aura vu qu’ils sont prêts à nous anéantir, il ne nous restera plus qu’une demiheure pour trouver quelque chose!
- Et que voulez-vous faire de toute façon?!
- Pour gagner du temps, on peut larguer une bonne partie des chaloupes de sauvetage pour leur faire croire
qu’on a évacué le paquebot.
- Ca va pas non? Je crois que vous ne vous êtes toujours pas remis de votre choc sur le crâne!
- J’ai trouvé! s’exclame alors Juarez. Quelle est notre position exacte?
- On est à un peu plus de cinquante mille kilomètres de la Lune, réfléchi le commandant. Il nous en reste à
parcourir près de sept fois plus.
« Les troupes européennes ont dû décoller vers dix heures, heure GMT, pense Juarez pour lui-même. Elles
sont un peu plus rapides que nous… Ca veut dire qu’elles ont déjà parcouru entre un cinquième et un quart
du trajet. Elles arriveront à notre hauteur dans approximativement un peu plus d’une journée. »
- A quoi pensez-vous? lui demande le commandant.
- Ils vous ont dit que le chasseur sera là dans combien de temps?
- Demain, tard dans la soirée.
- J’ai une requête.
- Si c’est encore de communiquer avec l’extérieur, il n’en est absolument pas question, répond fermement le
commandant.
- Non, rassurez-vous, ce n’est pas ça. En ce moment, c’est la période de la nouvelle lune sur Terre, non?
- Oui, répond le commandant qui ne voit pas du tout où veut en venir Juarez.
- Excellent. Voici ce que je voudrai que vous fassiez. Comme c’est la nouvelle lune, ça veut dire que la Terre,
la Lune et le Soleil sont à peu près alignés. En utilisant les vents solaires, on peut augmenter notre vitesse
pour rejoindre la Terre.
-
144
-
Et comment voulez-vous capter les vents solaires?
Et bien, il ne vous suffit que d’ouvrir les ailes du Moon Titanic. La surface est suffisamment grande pour
qu’on puisse avoir une accélération de quelques centimètres par secondes toutes les minutes.
- Oui, je vois où vous voulez en venir, dit le commandant rayonnant. En accélérant ainsi le vaisseau, on
empêchera le vaisseau envoyé par la base du Nouveau Québec de venir vous chercher. C’est très malin de
votre part, vous savez.
- Non, répond Juarez. Ca n’empêchera pas du tout les chasseurs de venir nous anéantir. Ca les retardera tout
au plus. Mais surtout, comme notre vitesse ne sera plus si différente de la leur, ils ne pourront pas venir
détruire les chaloupes de sauvetage en nous envoyant des chapelets de billes d’acier.
- Vous croyez dur comme fer à votre histoire, hein?
- Aussi dur que les billes qui traverseront votre vaisseau. Oui. Vous verrez quand ce sera trop tard. Mais en
tout cas, vous pouvez retirer un immense prestige de cette accélération, lui dit Juarez malicieusement.
- C’est nouveau ça, dit le commandant surpris. Et comment donc?
- Et bien en utilisant la force des vents solaires dans des conditions aussi favorables, vous pourrez battre le
record de la traversée entre la Terre et la Lune pour un bâtiment commercial de cette taille. Et en plus, vous
savez, vous irez plus vite en allant de la Lune à la Terre que le contraire. L’attraction terrestre est bien plus
importante que celle de la Lune. Ce sont les conditions idéales pour réaliser un exploit sportif spatial.
- Ecoutez mon ami. Pour l’instant il n’est pas question pour moi de battre un quelconque record. Il s’agit de
vous livrer aux autorités Sélènes, de maintenir l’ordre dans mon navire et d’arriver à bon port en toute
sécurité. Il est tout à fait hors de question de se lancer dans une telle course contre la montre lors de cette
traversée.
- Vous vous refusez à admettre l’éventualité d’une attaque des chasseurs qui viennent vers nous, dit Juarez. Je
vous donne le choix: me livrer quelques heures plus tard que prévu, si tout se passe comme vous le pensez,
ou bien sauver tous les passagers et membres d’équipage, si tout se passe comme ce que je crois.
- N’insistez pas, dit le commandant obstinément.
- Vous savez, les événements qui viennent d’arriver sur la Lune sont d’une importance considérable. Dans le
contexte actuel, je ne crois pas qu’il soit stupide de prendre des précautions. Si ça se passe comme ce que
vous croyez, vous pourrez toujours expliquer à ce pilote que je vous ai raconté des histoires et que vous
avez voulu les vérifier dans la mesure de votre possible.
- C’est ça. Et j’aurai l’air d’un imbécile, je perdrai ma crédibilité et un autre commandant me remplacera à
bord de Moon Titanic.
- Vous avez raison d’avoir plus peur de perdre votre place que de perdre la vie! s’exclame furieusement
Juarez. Je ne pensais pas qu’ils choisissaient des personnels frileux pour commander de tels vaisseaux
spatiaux!
- Bon, j’en ai assez entendu, dit le commandant en se retournant vers la porte.
- Et si vous ne voulez pas perdre votre place et quand même sauver la vie de tout le monde à bord du Moon
Titanic, vous pourrez toujours dire que vous avez dû laisser les ailes du vaisseau ouvertes pour aller vérifier
certains aspects techniques de visu!
- Je vous conseille de dormir. Je crois que vous en aurez besoin quand vous serez aux mains des soldats
Sélènes.
Et il sort sans écouter Juarez davantage.
- Surveillez-le bien, dit-il aux deux gardes. Je veux qu’un tour de garde soit mis en place. Cet individu est
dangereux et doit rester dans sa chambre tout le temps qu’il sera à bord du Moon Titanic.
Samedi 31 juillet 2066, 22h46 Temps Universel
Juarez démonte le système de climatisation de la chambre dans laquelle il se trouve.
N’est pas responsable de l’entretien d’une ville souterraine de la Cordillère des Andes qui veut!
Là, il y trouve la fibre optique à laquelle sont aussi rattachés habituellement les ordinateurs, vidéophones et
autres appareils électroniques. Une seule fibre d’à peine un demi millimètre de diamètre sert à toutes les
communications de la chambre: Communication pour les passagers, communications pour les différents
appareils de la cabine.
Juarez se dirige maintenant vers l’interrupteur. Il le démonte. L’interrupteur émet un signal qui permet de régler
l’intensité lumineuse. Juarez décide de le détourner. A l’aide de la fibre optique des communications, à chaque
145
fois qu’il allume ou qu’il éteint la lumière, maintenant il provoque un bref parasitage dans tout le réseau
électrique du vaisseau. Y compris aux antennes émettrices, qui l’envoient par radio, là où elles pointent. Et dans
un vaisseau comme celui-ci, il y en a toujours de dirigées vers la Lune et vers la Terre.
« Pour communiquer par morse, c’est idéal. » pense-t-il joyeusement.
Il termine son bricolage et commence à lancer ses signaux.
« Pourvu que les troupes envoyées par la Terre sachent les décoder avant les troupes lunaires du BDC! »
« SOS. Ici Moon Titanic. Message d’un ami Professeur Rassoli. Suis retenu captif. Prévoyons être attaqués par
chasseurs provenance Lune dans moins d’une journée. Coordonnées planète extraterrestre trois secondes
d’arcs de distance au sud sud-est d’Oméga 623 des Pléiades. »
Pendant plus d’un quart d’heure, Juarez répète les mêmes phrases.
Il est brutalement interrompu. Deux gardes suivis du commandant Valéry surgissent dans sa chambre.
- Saisissez-le, ordonne sèchement l’officier à ses deux hommes d’équipage. Vous êtes incroyable! lance-t-il à
Juarez. Il a fallu que vous cherchiez à communiquer avec vos amis!
Il se retourne vers les deux gardes et leur dit:
- Emmenez-le dans la petite cale du pont B. Je vous y rejoins. Restez avec lui dans la pièce en m’attendant et
ne le lâchez pas des yeux.
Cinq minutes plus tard, le commandant arrive dans la petite cale. Il commence immédiatement à interroger
Juarez.
- A qui avez vous envoyé vos messages?
- A quiconque pourra venir nous aider face aux chasseurs qui arrivent.
- Quel était exactement le contenu du message?
- Vous n’avez pas reconnu qu’il s’agissait de morse?
- Du morse?! s’exclame le commandant ahuri. Bon sang mais c’est bien sûr! Pourquoi n’y avais-je pas pensé
plus tôt? Quel était alors le contenu de votre message?
- C’était un appel de détresse.
- C’est pas malin. Il va falloir qu’on émette un démenti maintenant! Vous ne pouvez vraiment pas rester
tranquille?! fait le commandant Valéry dépité. Voyez où ça vous a mené! Vous inaugurez la cale du Moon
Titanic!
- Ca a l’air solide comme endroit, répond seulement Juarez.
- Oui. C’est l’endroit le plus solide du vaisseau.
- Ah! Et bien si ça peut être pressurisé indépendamment des autres parties du navire, vous m’en voyez
comblé!
- Tant mieux, répond le commandant, parce que c’est ici que vous allez attendre vos geôliers.
- J’ai quand même une requête.
- Refusé, dit simplement le commandant.
- Je voudrai avoir mon scaphandre.
- Non. En plus il n’est même pas homologué. Vous êtes complètement malade!
- Alors munissez-moi d’une combinaison de secours.
- Non. Vous n’en aurez pas besoin, dit le commandant en planant pour sortir de la petite pièce. Si vous avez
soif, vous n’aurez qu’à frapper à la porte.
- Merci, c’est trop aimable, a le temps de répondre Juarez avant de voir son gardien fermer la lourde porte de
pressurisation.
Dimanche 1er août 2066, 11h21 Temps Universel
Natacha est assise sur mon lit d’hôpital.
- Il faut trouver un moyen de sortir d’ici, lui dis-je alors que je tourne en rond comme un fauve en cage.
- Arrête deux secondes, tu m’énerves à t’agiter comme ça, me lance-t-elle. Résumons la situation. Ca fait
presque une journée qu’on est enfermés là. Déjà, on a de la chance d’avoir été mis ensemble. Mis à part le
fait qu’on puisse voir la pleine Terre d’ici, on est complètement sous le sol. Il y a deux gardes à la porte et
des caméras partout. Ils nous servent la nourriture de temps en temps. On devrait sortir d’ici peu de temps
146
-
-
vu que maintenant on est complètement guéris. Le temps nous est compté si on veut se sauver. Et il nous en
reste de moins en moins. Si on est emmenés dans le commissariat de la ville, c’en sera fini de nous.
On ne peut pas rester là plus longtemps.
Je sais. La grille de ventilation est bien soudée. On ne peut pas passer par là. La seule autre issue est la
porte.
En clair, notre seule chance est que Juarez ait réussi sa mission et soit en train de préparer un plan
d’évasion, fait Natacha.
Oui, mais comme on ne peut avoir aucune nouvelle de sa part, on ne peut pas rester les bras croisés en
l’attendant. Le BDC est sur notre piste. Ils savent que nous sommes ici. Il n’y a absolument aucun doute làdessus. La seule chose qui nous a certainement sauvé la vie, c’est la mort de Brand, s’il n’a pas diffusé notre
signalement avant.
Alors là, je crois que tu rêves! répond Natacha. Les connaissant, je suis même surprise qu’on n’ait pas déjà
eu de leurs nouvelles! Ca fait presqu’une journée qu’on est là.
Hum… T’as raison. Et je crois pas que les deux gardes qui sont devant notre porte nous seront d’un
quelconque secours.
A ce moment-là, on entend du bruit dehors, dans le couloir.
- C’est l’instant de vérité, Natacha! lui dis-je.
La porte s’ouvre. Un homme dont le visage est masqué par une plaque en plastique, recouvert d’un long
manteau bleu vif fluo de la tête aux pieds, fait irruption dans la pièce. Pas une seule partie de son corps n’est
d’une autre couleur.
- Suivez-moi, dit-il d’un ton péremptoire.
Nous ne bougeons pas mais le regardons d’un air interdit.
- Si vous voulez vivre, venez avec moi, nous dit-il en nous donnant une arme à chacun de nous deux.
- Qu’est-ce que ça signifie? je lui demande.
- Vous le saurez plus tard. C’est une question de secondes, dit-il en se dirigeant vers la porte.
Nous décidons de le suivre. Il est fort peu probable que ce soit un guet-apens. Les méthodes du BDC sont
beaucoup plus radicales et directes. Si ç’avait été cette organisation, on serait déjà morts.
Au moment où nous passons la porte de la chambre, nous voyons nos deux gardes étendus par terre.
- Dépêchez-vous, dit l’homme. Nous n’avons que très peu de temps.
Nous courons vers le bout du couloir.
Une explosion retentit soudain.
- C’est bloqué par là! nous dit l’homme. Vite! Demi-tour! Vers l’ascenseur des urgences!
A peine a-t-on atteint une bifurcation du couloir que la porte au bout vole en éclats. Le souffle est si fort que
Natacha manque de tomber.
On reprend la course de plus belle.
- Vous êtes combien? je lui demande en hurlant.
- On était trois, mais il faut croire qu’ils sont morts et que nous sommes seuls maintenant!
- J’espère que vous avez un plan de replis! s’exclame Natacha.
- Oui. L’un d’eux est l’ascenseur des urgences!
Une nouvelle déflagration détruit un bout de plafond au-dessus de nos têtes.
- Ils tirent! hurle-t-elle!
- L’ascenseur est au bout! Allez-y! Ouvrez la porte pendant que je les retiens ici!
- Baisse-toi Natacha! je lui hurle.
- Dépêchez-vous! Ils sont trop nombreux! Je ne pourrai pas les retenir très longtemps!
J’arrive enfin au niveau de l’ascenseur. Au moment où je vais appuyer sur le bouton d’appel, celui-ci explose
sous l’impact d’un tir ennemi.
- La porte est bloquée! dis-je en hurlant.
- Entrez dans la première chambre que vous trouvez et mitraillez la grille de ventilation! C’est notre dernière
chance! me crie l’homme en tirant sur un homme qui faisait irruption non loin de lui.
Natacha et moi nous précipitons dans la chambre. Heureusement pour ses éventuels occupants, elle est vide.
- Occupe-toi de la grille de ventilation, dis-je à Natacha. Je couvre ses arrières!
A moitié caché derrière le montant de la porte, je hurle à l’homme en bleu:
- Reculez! Je vous couvre!
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Les projectiles emplissent l’espace. Je tire au jugé au-dessus de l’homme qui court vers moi. Pendant ce temps,
Natacha a détruit la grille qui bloquait l’accès aux conduits de ventilations. Elle est déjà presque complètement
entrée dans la canalisation que l’homme en bleu lui dit:
- Attention à vous! Ils ont peut-être placé des sentinelles dedans! Ils vont vous tendre une embuscade!
- On est bloqué alors! répond-elle.
- Je n’ai plus de munitions! dis-je.
- Non, il faut passer! insiste-t-il en me lançant une boîte de munitions.
Deux secondes se sont à peine écoulées depuis qu’il est entré dans la chambre. Il se précipite vers la porte et tire
au jugé un peu comme je le faisais, mais plus efficacement. J’entends le hurlement d’un assaillant blessé.
- Montez! Me crie notre samaritain. Ils vont utiliser des explosifs!
Je me précipite à la suite de Natacha. J’ai à peine parcouru un mètre dans la canalisation et Natacha commence
déjà à tirer devant.
L’homme commence à monter dans le tuyau.
- Attrapez mes pieds! je lui hurle.
Aussitôt, je sens deux mains fermes me saisir les chevilles. Je me tracte de toutes mes forces vers l’avant et le
tire dans le conduit. En moins de deux secondes il est complètement monté. Je continue à ramper de toutes mes
forces alors qu’il m’a lâché et me talonne.
Ca y est, j’arrive au niveau d’un coude. Une formidable explosion retentit derrière nous. J’accélère. Les tirs
reprennent de plus belles. Des cris retentissent derrière nous.
- Oh non! s’exclame l’homme en bleu. Ils nous lancent des nanorobots tueurs! Il faut foncer ou bien nous
sommes morts! Le seul moyen de les stopper est le lance flamme!
- Je l’ai eu! hurle de joie Natacha qui voit le drone de combat exploser dans une gerbe d’étincelles.
- Fonce! Des nanorobots nous poursuivent!
En entendant mon avertissement, Natacha reprend sa course et rampe de toutes ses forces sur les coudes et les
genoux.
- Ca monte! On est bloqué!
- Non, recule un tout petit peu et tire dans le tuyau! lui lance l’homme en bleu.
- Attention! crie-t-elle en tirant.
Le conduit métallique part en miettes en moins de temps qu’il ne faut que pour le dire. En quelques coups de
crosse, Natacha a raison de la paroi du tube. Ca donne directement au couloir de communication des véhicules
qui transitent d’un hall à l’autre de la ville.
- Tu peux voir le hall le plus proche! On en est à cinquante mètres! dit l’homme en bleu. Fonce!
Elle se laisse tomber dans le passage. Elle se relève et prend son élan. Un système d’alarme la repère
immédiatement et stoppe tous les véhicules qui transitent par là. Je saute immédiatement après.
Trois secondes plus tard l’homme me suit dans le couloir. Nous arrivons dans le hall.
A ce moment-là, nous monopolisons l’attention de toutes les caméras de surveillance du quartier. Nous nous
précipitons vers le garage des véhicules spatiaux. Nous ouvrons la porte et nous nous trouvons nez à nez avec le
dernier cri des mitrailleuses laser lourdes.
Une brigade nous attendait. Plus d’une quinzaine, armes au poing, nous tient en joue.
- Les mains en l’air! nous dit le sergent commandant la brigade.
C’est le souffle coupé que nous lâchons nos armes et levons doucement les mains au-dessus de nos têtes. Quand
je me retourne pour poser les mains contre le mur, je ne vois que Natacha. L’homme en bleu a disparu.
Nous n’avons pas le temps de comprendre ce qui arrive. Tout va trop vite. Des tirs fusent parmi les douze
gardes protégeant l’accès au garage. Natacha et moi avons le réflexe de plonger à terre. Les explosions des tirs
se suivent et se ressemblent. Des cris. Des hurlements. Nous profitons de la confusion. Nos armes sont toujours
à terre. Plus personne ne fait attention à nous. Je m’en empare pendant que les gardes tombent comme des
mouches. Au moment où je vise l’un d’eux, il n’en reste plus que trois. La fusillade n’a duré que trois secondes
et demi. Une demi seconde plus tard, ils sont tous allongés sur le sol, morts.
En face de moi, l’air semble prendre de la consistance. Un effet de diffraction rend flou les objets au loin. Ca
devient translucide puis opaque. L’homme en bleu réapparaît devant nous.
- Dépêchons-nous, nous n’avons pas beaucoup de temps, dit-il.
En voyant l’air que nous faisons, Natacha et moi, il dit simplement:
- Les hommes du BDC les avaient payés. Ils ne méritaient pas de vivre.
- Qui êtes-vous?! je lui demande.
148
- Ce n’est ni le lieu ni le moment. Je verrouille la porte.
Nous sommes dans le hangar où les jets sont parqués. A une trentaine de mètres de nous pose d’ailleurs
fièrement un de ces engins.
- Enfilez vite une combinaison, nous dit-il. Ne traînez pas: je lance la dépressurisation du hangar! La porte ne
restera pas verrouillée longtemps.
Moins de trente secondes plus tard, nous grimpons dans le véhicule.
Nous arrivons au niveau du jet. La porte tient toujours.
- Montez à l’arrière, nous dit-il.
Natacha y monte la première. Je la suis de très près. L'homme ne prend pas le temps de s’harnacher au poste de
pilotage. Le signal d’ouverture du hangar commence à retentir. Des hommes armés en scaphandre spatial
apparaissent à la porte extérieure du garage que nous venons d’ouvrir.
- Cramponnez-vous! Nous crie-t-il.
Collés contre nos sièges par la subite accélération, nous décollons sous un tir nourrit de lasers et de Fireball.
149
16- Confrontations
Dimanche 1er août 2066, 21h49 Temps Universel
Juarez entend des bruits de voix venant directement de l’autre côté de la porte de sa prison.
Le mécanisme d’ouverture est activé dans une série de bruits métalliques. La porte s’ouvre enfin. Juarez voit le
commandant en second s’approcher et dire:
- Suivez-moi. Nous allons au poste de commandement.
- Que se passe-t-il?
Mais Juarez n’obtient pour toute réponse qu’un grognement:
- Le commandant Valéry veut vous parler.
Après deux minutes de vol plané à travers les différents ponts du vaisseau spatial, Juarez et le commandant en
second arrivent à destination.
Le poste de commandement est superbe. Située au centre du pont supérieur du vaisseau, la pièce est dominée
par une grande baie vitrée où les étoiles scintillent de leur plus bel éclat. Elle est entourée d’écrans qui
permettent de voir dans n’importe quelle direction. Généralement, ceux-ci montrent la destination vers laquelle
le vaisseau se dirige, à moins qu’un objet ne s’approche dangereusement. Dans ce cas, ils le suivent et ne le
lâchent plus tant que tout danger de collision n'est pas écarté. D’un mélange de bois précieux, d’alliages
métalliques hyperlégers et de plastique, quatre pupitres sont placés de manière à ne pas être heurtés quand on se
déplace en planant à côté. Des diodes de toutes les couleurs scintillent partout, des plans de contrôle du
bâtiment permettent de surveiller constamment son étanchéité et son bon fonctionnement.
Enfin, une carte holographique du ciel, de deux mètres de diamètre, trône au centre, cylindrique, du sol au
plafond. Elle est traversée de traits de couleurs et de longueurs variables qui précisent les position, direction,
vitesse et distance nous séparant des différents vaisseaux ou objets situés à moins de deux jours de distance.
C’est un étalage de ce que la technologie du vingt et unième siècle fait de mieux dans le domaine du pilotage
spatial.
Quand Juarez arrive sur le pont de commandement, il repère immédiatement le nombre de personnes au cas où
les choses iraient mal. Un homme s’occupe du pupitre à droite, un autre, chauve est sur celui au fond à gauche.
Le commandant est installé devant le pupitre central. Enfin, le dernier pupitre, légèrement sur la gauche de
l’entrée, est vide.
Le commandant Valéry est en communication avec la Terre. Le commandant en second laisse aussitôt Juarez et
va s’installer au pupitre vide.
Le voyant entrer, le commandant Valéry dit à son interlocuteur à l'écran:
- Voici l’homme dont je vous ai parlé.
Il se tourne vers Juarez et lui dit:
- Je vous passe rapidement l’enregistrement de ma communication avec le pilote du chasseur lunaire pour
que vous compreniez ce qui s’est passé.
Sur un des écrans situé à côté de la baie vitrée, l’image du commandant en second apparaît:
- Le signal radar du chasseur qui doit ramener notre prisonnier est très important, commandant.
- Faites voir, dit le commandant. Oui, vous avez raison. Il est au moins dix fois trop gros. Croyez-vous que
notre prisonnier ne soit pas fou?
- Je ne sais pas, répond le commandant en second, mais quelque chose ne va pas avec l’écho radar du
chasseur qui s’approche de nous.
- Est-ce que vous avez une idée? demande le commandant Valéry à l’ingénieur des transmissions.
- Non. Je ne détecte aucune émission radio en provenance de l’écho. Je ne peux pas confirmer ou infirmer le
fait qu’il y ait plus d’un vaisseau.
- J’ai une idée, fait le second. En extrapolant la trajectoire du chasseur, on peut savoir quelles sont les étoiles
devant lesquelles il va passer. Ainsi, en fixant le télescope principal du Moon Titanic sur une de ces étoiles,
on pourra vérifier les mesures du radar et savoir s’il y a une ou plusieurs occultations.
- Allez-y, dit le commandant. Ca vous prendra combien de temps?
150
- Trois minutes tout au plus.
L’enregistrement s’accélère pour se stabiliser à nouveau à un moment important:
- Ca y est, le télescope est programmé. Top! Le vaisseau est passé devant. La courbe de luminosité de l’étoile
qui a été occultée par le vaisseau n’est pas régulière du tout. Vous voyez, il y a sept creux importants.
- Okay. Passez-moi le pilote du chasseur.
- Il est en ligne, répond en grec l’ingénieur Rassias, responsable des transmissions et de l’informatique
embarquée.
- Que se passe-t-il? demande le pilote qui apparaît à l’écran. Vous avez des problèmes avec votre prisonnier?
- Non, ça va. Il est à fond de cale et va bien. Je veux savoir pourquoi vous venez avec sept vaisseaux, dit le
commandant de but en blanc.
Le pilote a un instant d’hésitation.
- D’après nos fiches techniques concernant votre vaisseau, vous n’auriez pas dû être capable de nous détecter
aussi rapidement… Tant pis, vous avez gagné. De toute façon, vous ne pouvez plus nous échapper. Vous
allez mourir. Fin de la transmission.
- Quoi?! demande la voix ahurie du commandant Valéry. Qui êtes vous?!
- Il a coupé la communication et ne vous entend plus, mon commandant, lui dit l’ingénieur des transmissions.
- Lancez un signal de détresse international sur toutes les fréquences avec une annonce de piraterie spatiale.
Activez les balises de secours. Ouvrez un canal top prioritaire pour contacter le CEO de la station Reagan
en communication cryptée. Cette information est classée top secrète. Elle ne doit pas sortir de cette pièce
sans mon ordre direct.
- Je vous passe Monsieur Lovell, commandant, dit l’ingénieur des transmissions.
- Allô commandant Valéry, que se passe-t-il?, fait un homme grand, les cheveux châtains, et le regard
perçant. Vous me contactez avec un code rouge. Nous venons donc de déclencher l'alerte au spatioport.
Deux vaisseaux vont appareiller d’ici trois heures. Quelles sont vos avaries?
- Aucune pour l’instant, Monsieur, répond le commandant Valéry.
- Vous savez pourtant qu’un code rouge ne peut être déclenché que si les avaries de votre navire mettent
directement en danger la vie de vos hommes et de vos passagers! Que se passe-t-il?
- Je viens de recevoir un avis d’attaque. Je vous résume de la situation.
L’enregistrement s’arrête.
-
Voilà, Monsieur Setupp, dit le commandant à Juarez. Je vous présente Monsieur Lovell, le Chief Executive
Officer de la station spatiale Reagan. Vous venez de prendre connaissance de l’intégralité des événements
récents que nous venons de vivre. Nous voulons savoir quelles sont les informations que vous détenez.
Pourquoi ces gens-là vous en veulent autant?
Au lieu de répondre à la question, Juarez demande:
- Dans combien de temps seront-ils sur nous?
- D’après nos estimations, dans cinquante deux minutes.
- Déployez immédiatement les ailes du vaisseau, dit Juarez. Ca nous fera peut-être gagner seulement cinq
minutes, mais celles-ci seront peut-être vitales.
- Comment ça? demande le commandant interloqué.
- Je vous expliquerai après. Déployez les ailes du Moon Titanic. Chaque seconde compte.
- Lieutenant Olassaï, déployez les ailes, ordonne le commandant au pilote.
- Ailes en cours de déploiement, répond le chauve en italien.
- Nous avons un appel du chasseur qui nous poursuit, fait le lieutenant Rassias.
- Je le prends, dit le commandant.
Le visage du pilote apparaît sur l’écran.
- Ce que vous faites ne sert à rien, vous savez. Vous ne faites que retarder l’inéluctable. Ah, tient,… Mais je
vois que votre prisonnier est votre invité sur le pont de commandement! Vous avez vite changé d’idée,
commandant Valéry! raille le pilote.
- Détruire le Moon Titanic ne servira à rien du tout, dit Juarez. J’ai transmis toutes mes infos à la Terre. Vous
ne pouvez plus m’empêcher de parler.
- Ca, c’est ce que vous croyez! Regardez ce que deviennent vos communications avec le monde extérieur!
Le pilote s’adresse à une tierce personne sur une autre fenêtre de son écran de communication.
- Allez-y. Vous avez carte blanche.
Toutes les communications du Moon Titanic se figent brutalement.
151
-
Un saboteur est dans le vaisseau, fait Juarez au commandant.
Nous ne recevons plus aucun signal de l'extérieur! fait le pilote. Nous ne pouvons plus rien envoyer non
plus. Toutes nos communications avec l'extérieures sont coupées.
- J’ai obtenu une photo de la personne à qui il vient de parler grâce aux reflets présents sur la visière de son
casque, s’exclame le lieutenant Rassias.
- A l’écran! ordonne le commandant.
Une photo floue et déformée apparaît sur un des écrans principaux du poste de commandement. Les logiciels de
retouche d’image sont au travail et on voit la photo changer de nuances. Les contours se font plus distincts, les
traits plus forts, et le visage devient tout à fait reconnaissable.
- C’est le médecin de bord Kakuilo, s’exclament aussitôt le commandant et le pilote.
Le commandant Valéry dit alors au second:
- Prenez une équipe de quatre hommes armés. Arrêtez-le coûte que coûte. S’il résiste, abattez-le. Connectezmoi sur les haut-parleurs du bâtiment.
- C’est fait.
- Ici le commandant Valéry qui s’adresse à tous les hommes d’équipage et à tous les passagers. Nous
recherchons le médecin de bord. Attention il est armé et extrêmement dangereux. Toute personne l’ayant
croisé doit appeler immédiatement le poste de commandement. Je répète il est armé et extrêmement
dangereux.
L’ingénieur des transmissions reçoit aussitôt plusieurs appels.
- Il semblerait qu’il essaye d’activer une capsule de sauvetage au pont trois.
- On fonce, dit le second.
- En dehors des systèmes de communication standards, en avez-vous un directionnel?
- Oui.
- Est-ce que vous avez annulé l’appel de détresse que j’ai lancé hier soir?
- Oui. Mais personne ne l’a reçu.
- Bon, dirigez l’émetteur directionnel vers la Terre.
- Positionnez l’émetteur TH7654 vers la Terre, dit le commandant à l’ingénieur des transmissions.
- Passez-moi le micro, demande Juarez. Je vais lancer une confirmation de mon appel de détresse en signalant
le temps dont on dispose.
- A qui? demande le commandant.
Juarez regarde le commandant droit dans les yeux et lui dit calmement:
- Aux forces internationales en route pour sauver la Lune.
Le commandant Valéry est impressionné. Il réagit aussitôt:
- L’antenne est positionnée. Elle est sous tension. Vous pouvez parler.
Juarez annonce alors, pour les troupes envoyées de la Terre:
- SOS. Ici Moon Titanic. Message d’un ami Professeur Rassoli. Confirmation de l’appel de détresse. Les
devils seront sur nous dans approximativement cinquante minutes au plus tard. Ils sont sept. Ceci est un
appel lancé via un émetteur directionnel. Ne répondez pas pour ne pas dévoiler votre position. Message
terminé.
- C’est tout? demande le commandant.
- Oui pour l’instant. Continuez à envoyer ce message, dit Juarez à l’ingénieur des transmissions. Est-ce que
votre radar fonctionne encore?
- Oui, répond-il. On a un appel du second. Le médecin Kakuilo a réussi à fuir.
- Laissez-le. Revenez, répond le commandant. Surveillez attentivement sa course, dit-il au pilote. S’il fait
mine de revenir pour nous heurter, il faudra improviser. Notre bâtiment n’a aucun système de propulsion.
Où en est-on? demande-t-il à Juarez.
- Des troupes internationales sont sur le chemin. J’ai calculé qu’on devrait s’en approcher d’ici une heure.
- Quoi? C’est pas possible! On ne les a pas repérés!
- Tout simplement parce qu'ils ont brouillé leur position. Si vous regardez bien, vous verrez par contre une
masse brumeuse devant.
- Je les capte, dit le pilote.
- Combien sont-ils? demande le commandant à Juarez.
- Je ne sais pas. Je sais simplement qu’ils arrivent.
152
Mon commandant, appelle le second. J’ai identifié le modèle des chasseurs Sélènes qui nous ont pris en
chasse. Ce sont des modèles S621-IS. Ce sont les derniers modèles équipés de laser à induction sonique.
- Waoh, laisse échapper Juarez. J’espère qu’on s’en tirera.
Se tournant vers le second, le commandant lui demande:
- C’est quoi ce truc?
- C’est le tout nouveau système d’arme développé par les américains. Je croyais qu’ils en étaient encore au
stade du prototypage. Mais il faut croire qu’ils en ont commencé la production en série. Le laser d’attaque à
induction sonique est aussi puissant qu’un laser standard. La différence réside dans le fait que le rayon
lumineux blanc polychromatique sert de porteuse à des ondes sonores. Tant que la porteuse est
suffisamment solide, plus la distance est importante, plus l’intensité de ces ondes augmente. Elles sont si
puissantes qu’elles disloquent en moins de deux minutes n’importe quel type de blindage. Inutile de dire
qu’on ne fera pas le poids tous seuls. Le seul moyen de se protéger contre un tel truc est de déployer un filet
métallique entre le rayon et le vaisseau. Mais il est absolument impératif que les mailles du filet soient
exactement de la même taille que la longueur des ondes sonores utilisées. Le filet fera ainsi office de miroir,
selon grosso modo le même principe que celui des radiotélescopes. Sinon soit elles passeront au travers, soit
le filet sera détruit. Et c’en sera fini pour nous.
- Il faut absolument renseigner les troupes terrestres de ce qu’elles vont trouver en face d’eux, dit le pilote.
- Passez-moi le micro de l’antenne directionnelle, dit le commandant.
Prenant son souffle, les informations qu’il envoie traversent l’immensité du vide pour aller renseigner les
troupes européennes.
- Ici le commandant Valéry du Moon Titanic. Ne répondez pas. Les sept chasseurs lunaires que vous allez
trouver sur votre chemin sont des modèles S621-IS équipés de laser à induction sonique. Leur vitesse
avoisine les sept mille deux cent kilomètres heure.
Fin de la communication.
- Il faut contacter la Terre et leur demander quelle est la longueur de ces ondes sonores utilisées, dit Juarez.
- Ca nous servira à quoi? lui demande le commandant. De toute façon, on n’a pas la possibilité de fabriquer
un filet métallique à bord!
- C’est vrai, lui répond Juarez, mais on peut reprogrammer l’antenne directionnelle pour fabriquer un filet
holographique dont la taille des mailles sera exactement celle qui nous protégera.
- Excellent! s’exclame le second. Les propriétés des hologrammes font que les ondes sonores trouveront
virtuellement un filet en face d’elles. L’effet sera le même que s’il était métallique!
- Combien de temps vous faut-il pour mettre ce plan au point? demande le commandant Valéry au lieutenant
Rassias.
- Et bien, pour fabriquer un hologramme aussi important, ça me demandera une dizaine de minutes. Enfin,
dix minutes à partir du moment où j’aurai les dimensions des trames. Par contre, il me faudra une bonne
demi-heure pour paramétrer l’antenne directionnelle de telle façon qu’elle soit capable de créer un tel
machin. Mais il y a quand même un problème, continue-t-il.
- Lequel?
- Une fois l’antenne détournée, on sera dans l’impossibilité d’envoyer ou de recevoir un quelconque signal
radio. Toutes nos autres antennes ont été sabotées par le médecin Kakuilo.
- Je me charge de réparer au moins une des antennes de communication, dit Juarez. Je sais comment faire. Il
me faudra l’aide d’un homme d’équipage pour les réglages, c’est tout.
- Vous l’avez, dit le commandant. Allez-y. Bon, une demi-heure plus une dizaine de minutes, c’est à peine
suffisant si on s’y met tout de suite. Mais de toute façon, on ne peut rien commencer sans avoir la longueur
d’onde utilisée par cette arme.
A l’adresse du lieutenant Olassaï, il demande:
- Combien de ressortissants américains avons-nous à bord?
Après un instant, le lieutenant répond:
- Dix sept.
A l’adresse du lieutenant Rassias, le commandant dit alors:
- Contactez le président des Etats-Unis. Passez-le-moi dès que vous aurez la communication. Si on veut les
caractéristiques secrètes de cette arme, lui seul aura la vitesse de réaction suffisante pour nous les faire
parvenir. Il faut qu’on les obtienne. Dites-lui qu’il s’agit d’un message extrêmement prioritaire.
- La maison blanche est en ligne, Commandant.
-
153
-
Allô, ici, le Commandant Valéry qui appelle du vaisseau de croisière interplanétaire Moon Titanic. Il s’agit
d’un appel de détresse.
- Ici le conseiller personnel du Président. Que se passe-t-il Commandant? Pourquoi nous appelez-vous au lieu
d’appeler la station Reagan?
- Nous sommes actuellement pris en chasse par sept chasseurs Sélènes du type S621-IS…
- C’est impossible. Il n’en existe pour l’instant que trois à l’état de prototype.
- Je répète. Nous sommes pris en chasse par sept jets de classe Sélène du modèle 621 évolution Induction
Sonique. Ils ont décollé de la base du Nouveau Québec sur la face cachée de la Lune et viennent nous
détruire. Nous avons besoin de connaître la longueur de l’onde sonore utilisée par ces chasseurs pour
pouvoir nous protéger. Nous avons cent trente personnes à bord dont dix sept ressortissants américains.
Nous faisons route vers la station orbitale terrestre Reagan.
- Vos codes d’authentification sont corrects. Par ailleurs, votre appel émane effectivement de deux cent
milles kilomètres de la Terre et se rapproche. J’entre en contact avec le commandant de la base du Nouveau
Québec pour vérifier vos dires. Attendez une seconde.
Quelques instants plus tard, l’homme réapparaît à l’écran.
- Je ne peux pas vous donner ce que vous me demandez. Il s’agit d’un problème vital concernant la défense
nationale américaine. Néanmoins, j’ai compris votre situation. Il faut que vous accélériez le plus possible
pour atteindre les forces internationales envoyées à votre rencontre. Dès lors, vous ne craindrez plus rien.
- Monsieur, excusez-moi d’insister, mais connaître cette longueur d’onde est notre seule chance de survie.
Nous augmentons notre vitesse au maximum de nos possibilités, mais c’est reculer pour mieux sauter.
- Okay, nos meilleurs commandos internet vont percer les défenses logicielles des chasseurs qui vous
attaquent. Ne vous en faites pas, nous allons vous sortir de là. Quand les chasseurs arriveront à votre
hauteur, ils seront aussi inoffensifs que votre propre vaisseau.
- Humpff… Merci Monsieur, dit le Commandant qui voit qu’il est inutile d’insister. Fin de la communication.
Le second dit alors au commandant Valéry qui bouillonne intérieurement:
- Si on dessine une trame suffisamment fine, alors, quelle que soit la longueur d’onde émise, elle rebondira
dessus.
- Fine comment? demande le commandant.
- En fait, il faudrait que ce soit une surface parfaitement plane, au millième de micron près.
- Combien de temps vous faut-il pour l’élaborer?
- Moins de vingt minutes avec mes calculateurs, répond le second.
- Monopolisez tous les calculateurs de bord dont vous avez besoin. Vous avez dix minutes.
Le commandant n’a pas fini sa phrase que le second commence déjà son travail de calibrage.
-
Où en êtes-vous, demande le commandant Valéry par radio à Juarez.
Nous avons commencé à brasser des câbles. Il va falloir qu’on fasse une sortie extravéhiculaire. On devrait
avoir terminé d’ici une petite dizaine de minutes.
Avez-vous besoin d’hommes supplémentaires?
Non, à moins que Kakuilo ne vienne nous gêner.
Je vous envoie une équipe de deux hommes qui seront chargés de veiller à votre sécurité.
Merci commandant.
Quelques minutes plus tard, Juarez annonce en espagnol par la radio de son scaphandre:
- Ici Juarez. Nous commençons les réparations extérieures. Vous allez pouvoir brancher l’antenne dès qu’on
vous donnera le feu vert.
- L’algorithme d’élaboration de l’hologramme est terminé, fait le second. Notre système de protection passif
sera achevé d’ici douze minutes.
- Mettez l’antenne sous tension, dit Juarez.
- Allez-y, dit le commandant.
- Antenne sous tension, répond le second.
- Tout est normal, annonce Juarez. Ca se présente comment au niveau des connexions à l’intérieur?
- Toutes les mesures sont correctes.
- Augmentez la tension jusqu’à la puissance nominale, ordonne le commandant.
- Puissance nominale envoyée. Mesures correctes.
154
-
Ca marche! dit Juarez Où en est l’élaboration de l’hologramme?
Il sera terminé dans neuf minutes trente.
Orientation de l’antenne vers les commandos terrestre terminée. Lancez les tests de communication.
Tests de communication okay.
Orientez maintenant l’antenne émettrice directionnelle vers l’arrière du navire, dit le commandant à
l’ingénieur des communications.
Antenne orientée vers les jets Sélènes, répond-il.
Nous rentrons, dit Juarez.
Bloquez les ailes du Moon Titanic en mode déployé, dit le commandant Valéry. Quoi qu’il arrive, elles
nous permettront de freiner quand on approchera de la banlieue terrestre.
Ailes bloquées, répond machinalement le pilote.
Lancez le signal d’alerte. Que tout le monde mette sa combinaison spatiale et que tous les passagers
attendent dans les cabines de sauvetage.
A ce moment-là, un gyrophare rouge se met en marche. Les chemins d’accès vers les chaloupes de secours
s’illuminent. Tous les systèmes de repérage s’actionnent pour avertir tous les passagers et tous les membres
d’équipage. Une sirène retentit de manière intermittente. Les passagers s’empressent d'enfiler leur combinaison.
Certains se font aider des membres d’équipage. D’autres sont déjà dans les chaloupes, prêts à être éjectés.
Commandant, annonce l’ingénieur des communications Rassias. Nous avons un message des forces
internationales terrestres.
- Sur écran.
Le visage buriné d’un soldat, l’œil vif et les traits cassants, apparaît sur un des écrans périphériques de la baie
vitrée.
- Commandant. Ici le Major Grilley. Je vais vous demander de casser un peu votre vaisseau de plaisance.
- Je vous écoute.
- Dirigez trois antennes réceptrices dans notre direction et sept antennes émettrices dans la direction des
devils.
- Ce n’est pas possible. Tout notre système de communication a été saboté par Kakuilo.
- Non seulement il faut que ce soit possible, mais en plus il faut que vous mettiez en place une grosse
canalisation électromagnétique pour rejoindre les trois antennes réceptrices des autres émettrices. En tirant
sur vous, ça nous permettra de tirer sur vos ennemis. Votre vaisseau sera transformé en relais de
transmission de nos tirs.
- Je regrette, Major, mais en plus, nous de disposons pas d’autant d’antennes. Nous en avons cinq en tout et
pour tout. En plus, même si nos antennes fonctionnaient encore, nous n’aurions pas le temps matériel de
faire ce que vous nous demandez.
- Fin de la communication, dit tout de go le Major Grilley.
-
Se tournant vers le second, le commandant Valéry dit simplement dans un soupir:
- On n’a pas gagné la guerre…
-
-
L’hologramme est terminé, annonce l’ingénieur des communications.
Parfait. De combien de temps disposons-nous avant que les jets lunaires soient en position d’attaque?
demande le commandant.
Nous avons trois minutes devant nous.
Préparez son activation, continue-t-il. Mais attendez mon ordre. Ils n’auront droit qu’à un seul essai. Les
jets vont trop vite. S’ils nous ratent, il leur faudra trop de temps pour se remettre en position. Ils auront
seulement assez d’énergie pour faire demi-tour sans avoir à contourner la Terre. Ils ne pourront plus se
permettre de nous attaquer une deuxième fois. Ce serait du suicide.
Alors on sera attaqués deux fois, répond machinalement Juarez.
A quelle distance sont les troupes internationales?
Elles sont à peine à trois minutes aussi! dit le pilote. Ils ont dû accélérer comme des malades!
Envoyez ces mesures au Major Grilley. Eux aussi n’auront droit qu’à un seul essai. Ils vont se croiser à plus
de seize mille kilomètres à l’heure!
155
-
Combat dans deux minutes trente, décompte le second. Durée totale estimée du rapprochement visuel entre
les deux groupes de vaisseaux: 0.263 seconde. Durée totale du combat entre les deux groupes estimé à
46.23 secondes par anticipation du rapprochement.
- Est-ce que tous les passagers et les hommes d’équipage sont à l’abri dans les chaloupes? demande le
commandant.
- Oui, lui répond Rassias.
- Quarante cinq secondes avant contact, annonce le second. Détection de douze vaisseaux composant la
formation d'attaque terrestre.
- Fermez toutes les portes étanches, ordonne le commandant au pilote.
- Un appel prioritaire des commandos terrestres vers les jets lunaires! dit Rassias.
- Sur écran!
- Ici le Major Grilley. Rendez-vous. Vous n'avez pas une chance.
- Ici le Capitaine Smookey. Nous avons jugé. Vous allez mourir.
- Fin de la communication, dit le Major.
- Quinze secondes avant contact, dit le second. Les chasseurs lunaires seront à porté de tir 4.86 secondes
avant qu’on ne puisse être protégés par les forces terrestres. Il faut qu’on tienne.
- Les boucliers de protection thermiques des vaisseaux terrestres sont mis sous tension, dit l’ingénieur. Leurs
trappes à missiles s’ouvrent! Les lasers des jets lunaires sont armés! Leurs boucliers thermiques sont eux
aussi sous tension!
- Les vaisseaux terrestres viennent de lancer trois missiles! dit l’ingénieur.
- Les lasers sont à portée de tir! s’exclame le second.
- Quand ils nous toucheront avec les rayons, nous disposerons de 3.16 secondes avant d’atteindre le seuil
critique. Attendez! N’activez pas encore l’hologramme.
- Il lui faut 2.98 secondes pour être totalement opérationnel! s’exclame soudain l’ingénieur des
communications.
- Mettez-le en marche! crie le commandant. Pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt!
- Ils ouvrent le feu! crie le second.
A ce moment là, un intense rayon lumineux blanc parcourt instantanément le vide entre les quelques centaines
de kilomètres qui séparent encore les jets sélènes du vaisseau de croisière interplanétaire. Les structures du
Moon Titanic se mettent à trembler et à vaciller. Autant les structures internes que les externes. Une espèce de
bourdonnement intense se fait entendre. Il est de plus en plus fort.
- Nous approchons du seuil critique!
Soudain, le bourdonnement est stoppé net.
- Bouclier levé! hurle de joie l’ingénieur.
- Tirs de lasers en provenance des vaisseaux terrestres, dit le second.
Un intense rayon vert traverse le ciel étoilé de part en part en une fraction de seconde.
- Un jet lunaire abattu! s’exclame-t-il.
- Les trois missiles viennent d’exploser juste derrière nous, dit l’ingénieur. D’après le radar, un champ de six
cent vingt sept mille trois cent douze billes d’acier vient d’être créé. Le tir de laser sonique contre nous
vient de s’arrêter.
- Maintenez l’activation de l’hologramme, ordonne le commandant.
- Missile lancé contre nous! annonce le second. Impact dans 7.34 secondes.
- Les billes d’acier viennent de perforer deux jets lunaires et d’en faire exploser un troisième! dit Rassias en
grec. Il n’en reste plus que trois en lice.
- Impact dans 4.21 secondes. Accrochez-vous!
Le ciel se zèbre de traits rouges et verts mortellement éblouissants, venant de la Lune et de la Terre. Plusieurs
dizaines de rayons frôlent le Moon Titanic. Le diamètre des rayons de lumière cohérente est impressionnant de
finesse et de concentration.
- Tirs lasers groupés de la part des vaisseaux terrestres! dit le pilote.
- Tirs de riposte des jets lunaires.
D’autres tirs lasers, polychromatiques cette fois-ci, partent vers l’avant du Moon Titanic.
- Nous sommes touchés!
Pourtant absolument aucune secousse ne s’est fait sentir. Soudain, une explosion retentit et fait profondément
vibrer le vaisseau spatial. La cloison perforée par le laser n’a pas résisté à la pression.
156
-
Impact du missile annulé! Il vient d’être déprogrammé! s’exclame le second. Sans doute les américains via
internet!
Rapport des avaries, demande le commandant.
Le restaurant n’est plus pressurisé. Les portes tiennent bon. Les drones de réparation sont envoyés.
Dépressurisez de moitié les pièces autour du restaurant pour amoindrir les différences de pression, ordonne
le commandant Valéry.
Deux jets détruits, dit l’ingénieur. Le troisième vient d’être déstabilisé par l’explosion de son voisin! Ca y
est! Nous sommes hors de danger! Yeepee!
-
Traversée des débris du combat par les vaisseaux des forces internationales terrestres, dit le second.
Ils ont trente six mille huit cent quatre-vingt onze débris en face d’eux. Leur position couvre une surface de
trois cent mètres de diamètres, dit l’ingénieur.
- Oui mais leur vitesse proportionnelle n'est pas très importante, fait Juarez.
- Trois collisions! s’exclame le second.
- Vérifiez l’état complet du navire, demande le commandant.
- De légères avaries dans le système électronique des cuisines. C’est tout. Structures et étanchéité du Moon
Titanic parfaites, rapporte le second. Restaurant totalement dépressurisé en réparation.
- Vous pouvez rouvrir les portes étanches sauf celles menant au restaurant. Stoppez l’alerte, annonce le
commandant avec un large soupir. Que tous les passagers restent dans les chaloupes tant que le restaurant
n’aura pas été réparé et repressurisé. Je préfère qu’ils soient à l’étroit pendant un moment plutôt qu’avoir
affaire à une catastrophe à cause d’un passager maladroit.
- Appel des troupes terrestres, fait l'ingénieur.
- Sur écran.
- Ici le Major Grilley. Comment est l'état de votre navire?
- Un tir de laser nous a endommagé le restaurant que nous réparons. Aucune victime. Et vous?
- Information top secrète. Je ne peux pas vous répondre. Tous les devils sont rendus inoffensifs. Heureux de
vous savoir en vie. Fin de la communication
La commandant se tourne vers son équipage:
- Maintenant que la bagarre est terminée, envoyez une équipe chercher notre saboteur.
- Inutile, répond l’ingénieur des transmissions. Il a été traversé par un laser puis par des débris des jets
lunaires.
Le commandant prend une longue respiration:
- Quel gâchis, dit-il finalement.
Dimanche 1er août 2066, 21h57 Temps Universel
Natacha, notre pilote et moi arrivons au-dessus de l’immense cratère Copernic. Nous venons de survoler les
Monts Apennins il y a à peine quelques secondes et nous continuons toujours plus en avant vers l’ouest. Le
cratère semble illuminé de toutes parts. La petite ville de Copernic Bay y est installée de plein pied. Le site est
fabuleux. Je n’ai pas le temps de voir en détail à quoi ressemble la ville souterraine d’où surgissent partout des
lumières vertes, bleues, blanches et rouges. Nous continuons notre chemin à cinq mille kilomètres heure.
Le soleil est rasant sur l’horizon. Tous les cratères s’élancent vers l’immense ciel obscur. Les ombres jetées sur
le sol sont impressionnantes. Telles les nuages sur Terre, leur contemplation mène à la rêverie. Leurs
apparences prennent toutes les formes, que l’imagination s’empresse d’associer à tel animal, tel objet ou telle
plante… Au lieu de voir les nuages avancer tranquillement au-dessus de nos têtes, nous voyons ces immenses
projections noires reculer sous nos pieds.
Notre pilote décide finalement de se tourner vers nous. Il relève la visière de son scaphandre, enlève son
masque et allume une cigarette.
C’est avec une incroyable surprise que nous le reconnaissons. Nous en restons bouche bée.
- Gutrinkyt! Nous exclamons-nous simultanément Natacha et moi.
- Nous allons bientôt arriver à destination, du côté de la face visible de la Lune. On est poursuivi, mais par
chance, ils ne nous ont pas encore rattrapés. Dès que nous aurons atterri, nous n’aurons que quelques
minutes. Mes hommes nous attendent.
- Mais comment… dis-je enfin.
157
Et bien, je dois avouer que quand j’t’ai vu t’envoler avec tes copains dans l’espace aussi facilement que ça,
ça m’a vraiment foutu un coup de blues. Alors j’ai décidé de céder les parties de la ville que je possédais à
Taremenchky, un de mes plus féroces adversaires. J’ai troqué mes parts contre l’envoi de dix Soyouz pour
emmener toute mon armée ici. Pour lui, c’était tous bénefs. Il récupérait mes quartiers sans combat et se
débarrassait de moi et de tous mes hommes sans que lui en perde un seul. En échange, il fallait qu’il me
fournisse les fusées demandées.
- Dix fois trois, ça fait trente. Vous avez laissé beaucoup de vos hommes à Baïkonour, non?
Gutrinkyt éclate de rire.
- Ah! Ah! Ah! Tu sais bien compter! T’es un marrant, mec!
Quand je dis que Taremenchky devait me fournir dix Soyouz, c’étaient dix vides. C’est-à-dire que la
cargaison devait être remplacée par mes hommes, des armes, des vivres et de l’oxygène.
- En si peu de temps! dis-je surpris. Vous devez être un sacré groupe alors!
- Nous sommes deux cent cinquante trois. Taremenchky a saboté les ordinateurs de la base de lancement de
Baïkonour. Il y a même perdu l’équipe de sabotage. Ils se sont fait descendre sur le chemin de retour. Ils
n'étaient pas malins…
Grâce à la reprogrammation, les abrutis de Baïkonour ont lancé un Soyouz toutes les quatre heures. Mais
sur la Lune, on a foutu le bordel dans les ordinateurs. L’atterrissage a été un peu musclé du coup, puisque le
canon magnétique nous a moins freiné que prévu. Mais le top, c’est qu’ils savent que des cargos sont
arrivés, mais pas où! On n’est pas arrivés sur les sites d’alunissage prévus. C’est pour ça qu’ils nous ont
laissé tranquilles. Même Taremenchky ne sait pas où on est. En plus, il n’a rien tenté contre moi car il sait
que mes hommes restés sur place lui feraient un max de dégâts. Quand je serai prêt, je les ferai venir ici.
Enfin, si Taremenchky ne les a pas dégommés ou récupérés avant.
Mais dit donc, continue-t-il en changeant de sujet, être ici, ça vaut vraiment le coup! Tu te rends compte!
Aucun gang de grande envergure! Aucun ne m’arrive à la cheville, à moi et mes hommes! Pas de
concurrence! C’est le Nirvana!
- Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi t’as risqué ta vie pour nous?
- Parce que vous avez vraiment niqué le BDC! Ce que vous avez fait tous les trois, ça m’a vraiment éclaté!
Gutrinkyt explose de rire.
- Alors j’ai voulu mettre mon grain de sel là dedans. Ca me branchait à max de faire chier le BDC. Je me suis
vraiment bien marré! Tip Top! C'est vraiment kiffant!
- Et comment tu nous as trouvés?
- Tu sais, le renseignement n’a plus de secret pour moi, où que je me trouve. Alors c’était facile. Surtout
après vos exploits avec le radio observatoire! C’était vraiment bandant! Qu’est-ce que j’ai rigolé! Quand
vous faites un truc les mectons, c’est pas à moitié! Je vous aime!
Et il repart de plus belle à rigoler et à nous montrer ses dents jaunies.
-
Je ne sais pas si Gutrinkyt retournera sa veste si je lui dis ce qui se trame, mais ce dont je suis certain, c’est que
si je ne le préviens pas dans quoi il a mis les pieds, alors quoi qu’il advienne, on passera tous à la casserole.
- Hum… Je préfère t’avertir tout de suite. Le BDC veut s’emparer de la Lune. Avec l’aide de l’armée et de sa
secte, l’église de l’Edelweiss.
Gutrinkyt redevient sérieux instantanément. Si vite que je me demande si le rire que je viens d'entendre venait
de lui.
- Quoi?! Tu déconnes!
- A l’origine, c’était pour empêcher la découverte d’une civilisation extraterrestre près d’Oméga 623 des
Pléiades.
- Hein?! Waoh! Hé ben mec, pour en jeter, t’en jettes! Bordel à queue!
Il s’interrompt aussi à la vue de quelques informations qui viennent de défiler sur son moniteur de commande.
- Oh, ça y est! On va avoir de la visite! D’après le calculateur de bord, nos poursuivants seront sur nous dans
moins de cinq minutes. Et tu dis que c’est l’armée!?
- Sur le radar, je compte trois jets lunaires d’attaques, lui dit Natacha. Leurs systèmes d’armes sont
enclenchés et leurs bouliers ne sont pas encore levés.
- Ca y est, on arrive à destination.
- Tes hommes ne sont pas cachés de manière extraordinaire. Les satellites d’observation ont déjà dû les
repérer, les dénombrer et détailler tout votre armement. Il ne faudra pas compter sur l’effet de surprise.
- Putain! s’énerve Gutrinkyt.
158
-
-
Les chasseurs vont rester hors de portée des armes de tes hommes. Le seul moyen pour qu’ils ne se fassent
pas descendre, c’est de dégommer les satellites espion. Les jets d’attaque seront obligés de faire un passage
de reconnaissance proche après que tous leurs drones éclaireurs soient abattus.
C’est parti! s’exclame Gutrinkyt.
Nous sommes soudain collés à nos sièges. L’accélération est fulgurante. Natacha perd connaissance pendant
quelques dixièmes de secondes. Elle se réveille en quelques instants et reprends ses esprits quasi
immédiatement.
- On a deux satellites à abattre, dit-elle. Ca nous laissera une fenêtre de manœuvre de trente minutes. Le BDC
et l’armée seront aveugles pendant tout ce temps-là.
- Où est le premier? demande simplement Gutrinkyt.
- A midi trente. Orbite basse à périgée située à cent douze kilomètres d’altitude. Altitude actuelle cent trente
sept kilomètres. Vitesse de 7.5 kilomètres par seconde au périgée. Vitesse actuelle 7.3 kilomètres par
seconde. Vitesse décroissante. On va arriver à son niveau dans douze secondes en conservant cette
trajectoire d’interception.
- Je le vois, dit Gutrinkyt en fixant un petit point brillant mouvant dans le ciel étoilé.
- Je transfère trente pour cent de l’énergie du réacteur vers les systèmes d’armes, dis-je. Il vaut mieux garder
nos réserves au maximum pour nos poursuivants.
- Portée de tir dans trois secondes, continue Natacha.
Soudain, un petit bip sonore retenti et une diode verte s’allume sur le poste de pilotage de Gutrinkyt. D’un
réflexe, il ouvre le feu sur le petit satellite.
Le petit cube métallique est littéralement vaporisé par le rayon lumineux monochromatique rouge d’une
puissance de vingt-huit mégajoules. Il n'y a pas d'explosion, mais nous voyons des débris s'éloigner du satellite.
Et d’un, dit Gutrinkyt qui commence à être grisé par la bataille.
L’autre suit une trajectoire tout à fait différente. Il vient à notre rencontre. Il est à cinq heures. Le
différentiel de vitesse entre lui et nous est de 10.9 kilomètres par seconde. On sera sur lui dans vingt trois
secondes. Il suit une orbite basse dont le périgée est situé à cent trois kilomètres d’altitude. Altitude actuelle
cent quatre vingt deux kilomètres. Vitesse de 8.1 kilomètres par seconde au périgée. Vitesse actuelle
décroissante de 6.8 kilomètres pas seconde. Tu n’auras pas le temps de le voir avant de tirer.
- J’augmente les réflexes de tir du jet, dis-je.
- Attention, on sera à portée de tir sur lui dans quatre secondes.
Le petit bip sonore et la petite lumière verte n’ont pas le temps de s’activer que le rayon laser rouge fuse une
deuxième fois à travers l’éther. Le deuxième petit cube métallique est instantanément vaporisé.
- Yeah! Cool! Maintenant, averti mes hommes à terre de l’attaque qui se prépare, Yann. Il faudra qu’on les
aide à dégommer les drones envoyés en éclaireurs.
- C’est quoi leur fréquence de communication?
- Ils sont sur le 26.4 en harmonie Hydrogène.
Je lance l’appel radio vers ses hommes. Normalement une telle fréquence n’est pas utilisée pour les
communications. Les jets ne devraient pas l’intercepter. Les satellites auraient pu le faire mais ils ne sont plus
gênants…
- Ici le jet de Gutrinkyt, dis-je. Message urgent. Des drones éclaireurs envoyés par l’armée locale vont vous
survoler dans quelques minutes. Il faut les détruire immédiatement. Vous n’aurez pas droit à un deuxième
essai. Trois jets d’attaque suivront. Nous sommes dans un jet et nous avons détruit deux satellites espion qui
vous survolaient.
- Qui est à l’appareil? demande une voix en yougoslave.
Gutrinkyt réagit aussitôt:
- Ici Gutrinkyt. Vous allez vous faire attaquer. On a le BDC et l’armée lunaire aux fesses. Ils veulent
s’emparer de la Lune. Si vous réagissez pas, dans trois minutes serez vaporisés.
- On se prépare! Over!
- Ils sont longs à comprendre, nous dit-il en souriant. Mais une fois qu’ils ont compris ce qui se passe, alors
ils réagissent comme des rhinocéros! Plus rien ne leur résiste!
Je n’ose pas dire à Gutrinkyt que les rhinocéros ont disparu de la surface de la Terre depuis plus d’une dizaine
d’année et qu’ils ont rejoint les dinosaures dans les musées. Je crois qu’il le prendrait mal…
-
159
On va faire un tout petit peu de rase motte, dit-il. Maintenant qu’ils ont perdu leurs satellites d’observation,
ils ne nous repéreront qu’au dernier moment. Mais ils ont des logiciels de poursuite en intelligence floue.
On sera quand même obligé de slalomer un peu pour qu’ils perdent complètement notre trace.
- J’ai compris, dit Natacha. On s’accroche!
- Ouais, y’a intérêt! Yaooh! hurle de joie Gutrinkyt en faisant piquer le jet droit sur les cratères lunaires à cent
kilomètres de nous.
Ce n’est pas l’accélération qui est impressionnante cette fois-ci, mais le changement de direction qui nous
soulève le cœur.
En moins de quinze secondes, nous arrivons à moins de cinquante mètres du sol. Il nous a fallu près de deux
kilomètres pour tourner. Mais à cette vitesse, nous sommes collés à nos sièges si fortement que même nos
doigts sont difficiles à bouger.
- Attention! crie Gutrinkyt. Rétrofusées enclenchées!
Les ceintures de sécurité gonflables à élasticité intelligente nous bloquent en moins d’un centième de seconde
avant que les rétrofusées ne se mettent en marche. Des airbags à l’intérieurs de nos scaphandres se gonflent de
manière préventive. Nous sommes tellement bien maintenus que nous ne bougeons pas d’un centimètre. Mais la
décélération est terrible. Nous sommes tellement bas, que pendant la décélération, le jet est obligé de
contourner les cratères qui sont devant nous. En moins de dix secondes, notre vitesse a été divisée par deux.
Nous allons maintenant à une vitesse de deux mille deux cent kilomètres heure.
Gutrinkyt reprend les commandes en main.
- Wohf! C’était cool! s’exclame-t-il aux anges.
Natacha et moi avalons l’oxygène à grandes goulées. Au bout de quelques bonnes respirations, nous nous
sentons beaucoup mieux.
Natacha annonce alors:
- Les jets de la base du Nouveau Québec sont au-dessus des Monts Apennins. Un seul drone de
reconnaissance vient d’être envoyé. Son altitude est inférieure à cinquante mètres. Sa vitesse moyenne est
de trois mille kilomètres heure. Son bouclier magnétique est activé. Sa puissance est de six terajoules. Les
armes au sol ne viendront pas à bout de lui. C’est à nous de nous en charger. Il nous faut dix-huit secondes
pour être à portée de tir. Il nous repérera une seconde et demie avant qu’on ne soit à distance de tir.
- Allons-y! fait Gutrinkyt. Mais après ça, nos secondes seront comptées. On sera seuls contre trois chasseurs
militaires.
- Si on passe au-dessus du site où sont planqués tes hommes, on pourra les avoir, dis-je.
- Comment ça? demande Gutrinkyt.
- Il faut faire passer les chasseurs Sélènes au-dessus du camp. Avec un peu de chance, ils n’auront pas activés
leurs boucliers magnétiques. Ils savent que si on est sur une trajectoire de retraite, la puissance de nos armes
sera envoyée à cent pour cent vers nos moteurs. On sera dans l’incapacité la plus complète pour tirer. Sûrs
d’eux, les pilotes des chasseurs ennemis n’activeront pas leurs boucliers de protection pour pouvoir
conserver leur vitesse. Tes hommes n’auront droit qu’à un seul essai pour les abattre. Tous les trois en
même temps. Sinon on sera foutus. Et tes hommes aussi par la même occasion.
- On fonce!
- Portée de tir dans trois secondes, dit Natacha.
La tension augmente à bord de l’appareil.
- Nous sommes repérés par le drone. Impossible de brouiller ses communications. Les chasseurs Sélènes
savent où nous sommes. ca y est. Ils nous ont lockés.
Natacha n’a pas le temps de terminer sa phrase que le bip sonore se fait entendre. la lumière verte n’est toujours
pas allumée.
- Nos systèmes de poursuite sont brouillés, dit-elle. J’augmente leur puissance. Rapproche-toi!
La lumière verte s’allume enfin. Par réflexe, Gutrinkyt qui garde ses commandes manuelles appuie sur le
bouton de tir. L’explosion du drone, silencieuse, est assez importante. Ses armes et carburants l'ont rendu assez
vive, et c’est un nuage de morceaux de métal fondus qui va s’écraser sur le sol pour créer plusieurs nouveaux
cratères.
- Les trois chasseurs sont à sept heures quinze, dit Natacha. Le site du campement de tes hommes est à midi.
- J’avertis tes hommes, dis-je.
- Ils seront à portée de tir dans soixante douze secondes, continue Natacha. Le campement est à quatre vingt
dix-huit secondes! Il faut accélérer!
-
160
-
Ici le jet de Gutrinkyt, dis-je. Nous allons vous survoler. Le drone de reconnaissance a été détruit. Nous
sommes poursuivis par trois devils sans boucliers magnétiques. Vitesse extrapolée neuf mille huit cent
kilomètres heure. Contact extrapolé dans quatorze secondes. Dégommez-les. Over.
Pendant mon appel, notre vitesse vient de passer à trois mille cinq cent kilomètres heure, alors que celle des
chasseurs est passée à 4.6.
- Accélération nominale! prévient Gutrinkyt.
Nous sommes à nouveau collés contre nos sièges. En moins de cinquante secondes, notre vitesse a atteint les
sept mille deux cent kilomètres heure.
- Les chasseurs seront à distance de tir dans quatre secondes, dit Natacha.
- Je reroute toute la puissance de feu vers les moteurs! dis-je les lèvres et les joues déformées par
l’accélération.
Notre jet bondi en avant. Nous dépassons neuf mille cinq cent kilomètres heure.
- Missile droit devant nous! s’exclame Natacha.
- On fonce dessus! crie Gutrinkyt.
- Contact! hurle Natacha.
Nous survolons le cratère où se trouvent les hommes de Gutrinkyt en moins d’un dixième de seconde.
Simultanément, des lasers bazooka, zèbrent le ciel de part en part et le missile envoyé il y a quelques secondes
explose dans une lueur silencieuse. Les éclats qui vont dans notre direction ne vont pas assez vite pour nous
rattraper. Mais ils vont suffisamment vite pour former un nuage mortel inévitable pour les chasseurs militaires
qui nous talonnent. Les jets passent au-dessus du cratère. Leurs ordinateurs de bord tentent vainement de lever
les boucliers magnétiques. Mais c’est trop tard. Des éclairs parcourent les trois jets d’attaque. L’un d’eux
traverse de plein fouet deux tirs lasers venant du sol. L’un des tirs détruit les systèmes de navigation. L’autre
dérègle le goniomètre. Trois éclats du missile le traversent une fraction de seconde plus tard. L’engin n’explose
pas en plein ciel comme ses deux voisins. Sa trajectoire est devenue tellement chaotique qu’il s’écrase sur le sol
à une vitesse telle que plusieurs petits rochers sont projetés en orbite par le choc presqu’horizontal L’explosion
est impressionnante. Un des deux autres pilotes reçoit un éclat en plein thorax. Le troisième pilote a le temps de
s’éjecter. Mais l’explosion de son jet le transforme en bouillie avant même que les fusées de son siège éjectable
ne lui permettent de prendre de la distance.
Tout ceci n’a pris que zéro point sept seconde.
- Yeepee! hurle de joie Gutrinkyt.
- On les a eus!
- Ici le sol. Zéro devil! Je répète Zéro devil!
- Ouais! Génial! Merci les gars! hurle Gutrinkyt.
Nous alunissons enfin.
Quand nous descendons de l'appareil, tout le monde se congratule et s’embrasse. Toute la colonie a frôlé la
mort de si près! L'émotion est vraiment très vive.
Nous sommes accueillis comme des héros. Nous sommes portés en triomphe jusqu’au cœur du campement
lunaire.
- Hé les mecs, c’est grâce à vous qu’on s’en est sortis! crie un homme.
- T’as vu comment on les a lattés! lance un autre à Gutrinkyt.
- Géronimo, dit Gutrinkyt a un de ses hommes. Je te fais capitaine de mes hommes. Tu seras appelé Capitaine
Képler en l’honneur du superbe cratère qui se trouve près d’ici.
- Yeepee pour Capitaine Képler! crie victorieusement les hommes.
C’est sous un magnifique clair de Terre, au milieu des hourras et des cris de victoire que le capitaine est lancé
en l'air par ses hommes.
161
17- L’ultime bataille
Le camp de Gutrinkyt est impressionnant de simplicité.
Quelques baraquements pressurisés construits des débris des fusées Soyouz qui les ont amenées ici permettent
aux hommes et aux femmes de survivre. Rester dans une combinaison plus d’une semaine relève de l’exploit,
mais ici il est possible qu’ils soient partis pour y rester bien plus longtemps.
Plusieurs tunnels sont déjà bien entamés. Leur longueur avoisine déjà les vingt mètres. L’organisation de ses
colons clandestins est simple et efficace.
- Dans moins de trois jours, nous aurons notre première pièce pressurisée enterrée, me dit Gutrinkyt. A partir
de là, tout deviendra plus simple.
- Il faut absolument que tout le monde s’enterre ou se cache pour le passage du prochain satellite, lui dit
Natacha. J’ai noté qu'il passera au-dessus de nos positions dans moins de dix minutes. Le temps presse.
- Capitaine Képler, dit Gutrinkyt. Lance l’ordre de camouflage. Que chacun attende le signal avant de
ressortir.
- Combien de temps faudra-t-il rester cacher? demande Gutrinkyt à Natacha.
- D’après mes relevés, dix minutes suffiront. Après ça, nous aurons droit à une heure et demi de tranquillité si
aucun jet ou drone de reconnaissance ne vient patrouiller par ici.
- Hum… Bien sûr, ils viendront ici. Ca doit être l’effervescence à la base du Nouveau Québec ainsi qu’aux
deux autres bases lunaires. Bon, le plus urgent est de camoufler le jet, sans que la topographie du terrain soit
modifiée. Sinon, ils nous découvriront et on sera morts. Bon, on a dix minutes pour enlever les tentes
pressurisées de dessous le rocher alpha et y planquer le jet. Allez tout le monde au boulot!
Se tournant vers un de ses hommes, il dit encore:
- Toi, Calculette, tu t’occupes de régénérer l’hologramme de camouflage du camp pour qu’il prenne en
compte le jet. Comme ça, la prochaine fois, on n’aura pas besoin de le cacher sous le rocher. T’en es où
d’ailleurs pour générer l’hologramme du campement?
- Heu, dit l’autre stressé, j’aurai fini bientôt.
- Pour moi, bientôt, c’est dans moins de dix minutes. Pour toi, c’est dans combien de temps?
- Heu, c’est heu…
- Bon, vas-y, accouche!
- Demain ça sera prêt, dit-il en ramenant ses bras comme pour se protéger.
- Demain?! Tu te fous de moi?!
- Demain matin! lance l’autre.
- Je peux pas compter sur toi! Fait Gutrinkyt, qui sait pertinemment que son homme lui avait promis le
modèle holographique pour la fin de la semaine suivante.
L’homme surnommé calculette se sauve en courant.
Une cinquantaine d’hommes et de femmes s’empressent de démonter les tentes et de pousser le jet. En moins
de quatre minutes, l’opération de camouflage est achevée et toutes les traces de pas ont été effacées. Il ne reste
plus que quelques minutes avant que le satellite ne passe au-dessus du camp.
Dans la tente pressurisée où nous sommes, Natacha, Gutrinkyt et moi, il n’y a pas un seul hublot donnant sur
l’extérieur. En fait, tout ce qui pourrait trahir une présence ici est banni. Nous restons là en attente parmi
quelques hommes de Gutrinkyt. Nous ne pouvons rien faire, aussi nous soufflons un peu.
A ce moment-là, on entend Capitaine Képler avertir les colons clandestins:
- Le satellite est passé. Restez en alerte. Des patrouilleurs peuvent passer n’importe quand.
Nous ressortons.
Tout le campement est en effervescence.
Chaque seconde compte.
L’armée aux ordres du BDC peut nous découvrir à tout instant.
Chaque seconde
nous permet de nous organiser,
de nous préparer,
de nous renforcer.
162
Chaque seconde
permet au BDC
de cibler un peu plus ses recherches,
d’éliminer un bon nombre de cratères
où nous aurions pu nous cacher,
d’approcher un peu plus de nos positions.
Un message d’alerte retenti alors:
- Un drone de reconnaissance approche! Que chacun rejoigne l’abri le plus proche!
Nous nous précipitons sous un gros rocher. Il était temps! Par l’intermédiaire de la visière de notre scaphandre,
nous disposons d’une représentation 3D de l’ensemble du cratère où Gutrinkyt et ses hommes ont décidé de
s’installer. Nous sommes à peine cachés qu’une petite lumière rouge apparaît à la périphérie du cratère. Le
drone est pile au-dessus de nous! Si un seul détail sort de l’ordinaire, alors il donnera l’alerte.
Un détail tel que des empreintes non effacées sur le sol.
- Il nous a repérés! crie Gutrinkyt. Buttez-le!
Il n’a pas fini sa phrase qu’un puissant rayon laser rouge fuse vers le drone. Instantanément, il explose en l’air.
- L’heure est grave mes amis, dit Gutrinkyt. Les soldats du BDC nous ont découverts. Là où nous sommes,
nous ne pouvons pas évacuer. Il nous faut vaincre ou mourir. Il n’y a pas d’autre alternative. Toute leur
puissance de feu sera sur nous dans quelques minutes.
Il reprend son souffle et dit:
- Il faut se préparer à une attaque de leur part. Ce sera une bataille sans prisonnier. Ils ne vont pas nous faire
de cadeau. Que tout le monde se prépare. Nous allons les latter!
Soudain, il explose de rire:
- Ah! Ah! Ah! Voici un challenge comme je les aime! Yeah!
Immédiatement, il enchaîne vers les chefs des différents groupes de son gang:
- Capitaine Képler, prends G.I. avec toi. Tu t’occupes du positionnement des hommes autour du cratère. Ne
gaspillez pas les balles caméra, on n’en a pas beaucoup. Tu as les réserves de balles holographiques à
simulation de troupes?
- Ouais, répond l’autre en roumain. On va les exploser!
- Baroudeur, tu prends les vingt hommes les plus forts du camp. Tu as quinze minutes pour me creuser un
tunnel de cinquante mètres de long à plus de trente mètres de profondeur!
- Mais c’est pas possible! proteste-t-il.
- Mauvaise réponse, lui dit Gutrinkyt d’un air de tueur.
L’autre est effrayé. Il s’éloigne en courant vers le tunnel le plus avancé en appelant des hommes pour l’aider.
- Hole, tu t’occupes des transmissions et du brouillage radio.
Sonik, tu protèges le camp avec les armes semi-lourdes et les balles de brouillage magnétique.
Oggy, tu créées un max d’oppositions de vibrations sur le boucan que va faire Baroudeur et ses hommes. Il
ne faut pas qu’on puisse nous trouver à cause du trou qu’on creuse!
Calculette, t’arrêtes de faire ton cache holographique. On n’en a plus besoin. Tu fais gaffe à ce que tous les
systèmes de brouillage ne soient pas centrés sur le même point. Tu les défocalises et tu leur prépares des
leurres. Faudrait pas non plus qu’ils nous ciblent par recoupements goniométriques sur nos systèmes de
brouillages! Ca serait le comble!
Par la radio, on entend Capitaine Képler donner des ordres aux hommes répartis à travers le camp.
Gutrinkyt continue:
- Que chacun prenne position autour du cratère. Ceci est notre base. On la défend. On se battra jusqu’au
dernier! On va les latter! Je serai dans le jet pour démolir les satellites et être la cavalerie de la bataille.
- Quant à nous, lui dis-je, on va essayer de déprogrammer les systèmes de navigation des jets qui arrivent en
les attaquants via le web.
- Ca serait vachement plus cool si vous pouviez plutôt vous occuper de leurs systèmes d’armes! rétorque-t-il.
- Non, ces systèmes sont trop protégés et ça prendra trop de temps. Les systèmes de navigation sont plus
faciles à percer. Via internet.
- Vous avez autant de connections internet que vous voulez dans ma tente. Allez-y. Tu verras, me dit-il, que
j’ai des adresses IP aléatoires générées par l’anti-algorithme des nombres premiers.
163
- Excellent! je lui réponds.
Nous nous précipitons dans sa tente pressurisée. Nous conservons quand même nos combinaisons sur nous,
mais pour disposer d’une plus grande ergonomie nous reprogrammons la vue de la visière et nous nous
connectons directement aux ordinateurs de Gutrinkyt. Ainsi, grâce aux petits lasers de nos casques qui pointent
sur nos rétines, nous sommes plongés directement dans le réseau informatique interplanétaire.
Nous sommes ainsi à peine plongés dans cet univers graphique artificiel que nous nous connectons au centre de
recherche de programmation des jets lunaires de dernière génération.
Je m’adresse alors à Natacha:
- Séparons nos efforts. Ca va multiplier nos chances de victoire. Je vais percer les défenses du site. Pendant
ce temps, prends contact avec le chef de cabinet Fillaume et demande lui les codes d’accès des systèmes
d’arme et de navigation des jets Sélènes.
- D’accord, me répond-elle immédiatement.
J’ai à peine terminé ma phrase que des messages d’avertissements m’assaillent.
- Ce site est la propriété industrielle de F16-Logix. Vous pénétrez une zone militaire internet sensible. Vous
avez trois secondes pour vous déconnecter. Après ça, vous tomberez sous le coup d’un mandat d’arrêt
international. Votre matériel informatique sera détruit en vous pourrez être blessé.
Je lance plusieurs bots de camouflage et je passe la première barrière de bots de sécurité. Les bots, ces petits
programmes autonomes, sont d’un grand secours sur le web. Comme la plupart du temps où je vais surfer ces
temps-ci, d’ailleurs… Deux de mes bots sont immédiatement détruits au moment où je passe la première
barrière de sécurité. Dans la foulée, mon attitude est traduite comme une agression.
L’alerte est donnée.
Les systèmes de protection actifs sont très dangereux. Au lieu de n’avoir, comme à la fin du siècle dernier,
qu’un Firewall passif, les systèmes de protection poursuivent maintenant les assaillants pour le détruire de fond
en comble, définitivement.
Grâce aux lois de la robotique d’Isaac Asimov, seules les machines pâtissent de ces représailles. Les hommes
n’en font les frais que très rarement. Mais des accidents arrivent parfois. Plus particulièrement quand les sites
internet attaqués sont militaires, d’ailleurs… Comme celui que je pénètre maintenant.
Ca y est. Je suis dans la place. C’était trop facile. Ca cache quelque chose.
Parallèlement, je me connecte à mon adresse personnelle. J’y dispose de nombreux logiciels de mon cru basés
sur mes propres théorèmes et postulats.
Je lance mon logiciel de navigation internet qui retrouve les adresses web dont j’ai besoin grâce aux flots
d’informations qui transitent aléatoirement dans le réseau mondial. Ce chaos, cette mouvance effrénée
d’informations, finit par donner une sorte de base stable, de support qui me permet de connaître ma position
exacte dans le net. Je me rends compte que je suis en train de me diriger tout droit vers une impasse internet. Je
me détourne du chemin invisible contre lequel j’allais me heurter et me faire prendre au piège. Je laisse à ma
place un zombie, c’est-à-dire un process indépendant, détaché de toute connexion extérieure. Discrètement, je
retourne à l’adresse de F16-Logix vers laquelle j’espère trouver les infos qui m’intéressent.
Pendant ce temps, Natacha appelle Fillaume sur son vidéophone.
- Allô, demande-t-il d’une voix fatiguée.
- Bonjour Monsieur, lui dit Natacha.
- Bonjour Madame, lui répond-il soudain tout à fait réveillé. Que se passe-t-il? Vous foutez un vrai bordel làhaut! Les choses…
- Excusez-moi de vous interrompre, mais nous sommes actuellement attaqués par les troupes militaires
Sélènes du BDC.
- Que me racontez-vous là comme affabulation?!
- Ecoutez, nous sommes attaqués par les jets Sélènes de dernière génération. Il faut absolument que vous
nous donniez les codes d’accès aux systèmes d’armes et de navigation de ces jets! C’est le seul moyen
qu’on a de s’en sortir vivants!
- Mais je n’ai pas ces codes!
- Le Ministre ou le Président doit les avoir! insiste Natacha.
- Mais non! Ces jets sont de fabrication américaine! On n’a pas ces infos! Il faut contacter le Pentagone! Là,
vous aurez la possibilité de rentrer en contact avec quelqu’un qui connaît ces codes. Mais honnêtement, ça
m’étonnerait qu’il vous les donne!
164
C’est pour ça que je vous appelle! Pour que vous les appeliez maintenant et que vous intercédiez en ma
faveur! Rendez-vous compte qu’après cette bataille plus rien ne s’opposera face à eux pour qu’ils fassent
main basse sur la Lune! Même les troupes que vous envoyez n’y pourront plus rien!
- De quels modèles sont les jets?
- S621-IS.
- Je les appelle, dit simplement le chef de cabinet en raccrochant.
Dans la foulée, Natacha contacte le site web d’AVALON.
-
Dehors, les préparatifs avancent avec une frénésie croissante. Gutrinkyt est en l’air avec son jet. Il vole à sept
mille quatre cent kilomètres heure. Son altitude augmente incroyablement et il atteint celle du satellite
d’observation très rapidement. Dans quelques secondes il sera à porté de tir. Le satellite ne doit passer audessus du camp que dans une heure trente, mais si la première bataille est gagnée, alors les informations qu’il
enverrait pourraient être fatales à ses hommes. Son ordinateur de bord lui précise les coordonnées de tir.
- L’angle d’attaque du satellite est de 7.3 degrés. L’altitude décroît de soixante douze mètres par seconde. La
vitesse augmente de 0.4 pour cent par seconde. A porté de tir, le satellite sera à deux cent neuf kilomètres.
Sa vitesse sera de 6.9 kilomètres par secondes. Porté de tir dans trois secondes… Deux secondes…
Un bip sonore retenti au moment même où la petite diode verte d’accrochage et de validation radar s’allume.
Gutrinkyt tire aussitôt. Le petit satellite se vaporise dans l’immensité du ciel.
- Prenez ça mes petits pères! Ce n’est que l’apéro! Habituez-vous! Vous en aurez besoin!
Majestueusement, il fait faire un grand demi-tour à son jet et retourne au campement. Il pique tout d’abord droit
vers le sol en constante accélération, profitant seulement de l’attraction de l’astre des nuits. Arrivé à moins d’un
kilomètre d’altitude, il amorce son virage en allumant ses rétrofusées. Terminant par un slalom en rase-mottes
au milieu des dunes et des falaises des cratères, il arrive au camp en moins d’une minute. Les jets Sélènes ne
sont toujours pas en approche. Ca ne saurait tarder. Gutrinkyt ne les a repérés ni au radar ni aux amplificateurs
de lumières.
« Mais ça ne veut rien dire », pense-t-il en descendant de l'appareil.
De mon côté, sur le web, je trouve à nouveau l’entrée du site de F16-Logix. Mes bots n’ont pas fait long feu.
Mon adresse change aléatoirement. Les défenses du site n’arrivent pas à la cheville de celles du BDC. Mais
néanmoins, elles m’ont fait perdre beaucoup de temps. C’est d’ailleurs leur seul objectif. Gagner du temps pour
trouver mes véritables coordonnées. Et puis ne plus me lâcher. Détruire tous mes systèmes de connexion.
Je lance un nouveau modèle de zombie pour simuler une deuxième tentative de connexion à travers les sas de
sécurité informatiques. Ca y est. Les systèmes de défense sont sur lui. Je tente de percer l’entrée. Le code
d’accès est basé sur le très vieux principe des clés publiques et clés privées. Je lance mes logiciels de recherche
de codes d’accès. Ca ne donne rien. Au bout de trois tentatives de connexion avortées, la clé publique devient
complètement inopérante. Bon, je vais cacher un programme de copie au niveau de la connexion. Je disposerais
ainsi d’un code d’accès dès qu’un utilisateur autorisé voudra entrer par là. Il n’y a plus qu’à attendre. Je n’ai
malheureusement pas beaucoup de temps! Je n’entends toujours aucun bruit en provenance des émissions radio
des défenseurs du camp. Je vais mettre un signal de connexion automatique. Comme ça, dès que quelqu’un
entrera par ici, je serai automatiquement averti et j’entrerai en même temps que lui.
Pendant ce temps, Natacha est arrivée sur le site d’AVALON.
- Ceci est un site privé, annonce un avatar.
En forme de chevalier du temps des croisades, il est revêtu d’une armure où est représentée une croix rouge sur
un fond blanc. Sa tête est protégée par un heaume.
- Que voulez-vous?
- Je suis Madame Rassoli. Je veux parler à un responsable de l’association.
- Comment êtes-vous entrée en contact avec nous?
- Je ne peux pas vous le dire comme ça. Il faut que vous sécurisiez la communication. Alors je pourrai vous
répondre.
- La communication est sécurisée.
- Bien, je stoppe les changements aléatoires de mon adresse. Vous pouvez ainsi me trouver sans problème.
- Comment avez-vous eu connaissance de notre existence?
- Normalement, mon nom doit répondre à vos questions, réagit Natacha.
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Ceci n’est pas une réponse acceptable. Nous vous prions de nous excuser pour les désagréments, mais nous
devons vous bloquer dans ce sas virtuel tant que vous n’aurez pas répondu aux questions. Ne tentez surtout
pas de désactiver la connexion. Sans quoi, les lasers qui pointent sur vos rétines pour vous donner l’illusion
d’être dans un monde numérique feront fondre vos yeux et votre cerveau en moins de trois millièmes de
secondes. La puissance dégagée sera telle que votre casque explosera. Avec votre tête.
- Vous n’avez pas le droit! s’affole Natacha en tentant de brouiller la communication.
- Vous nous avez laissé prendre le contrôle total de votre connexion. Vous ne pouvez pas la brouiller, lui dit
la voix.
D’un geste de désespoir, elle relance le logiciel de modification aléatoire d’adresse d’émission. Le logiciel
marche impeccablement. Mais l’avatar de l’autre côté n’est gêné en aucune manière.
- Bonjour ma belle! s’exclame une voix guillerette.
- Qui êtes-vous? demande-t-elle d’une voix complètement affolée.
- M’auriez-vous déjà oublié?
- Hein? dit-elle soudain prise d’un doute qui lui vrille l’esprit et lui glace le sang.
- Je vois que vous commencez à deviner!
- Brand… dit-elle enfin dans un souffle qui semble ranimer l’homme qu’elle a vu exploser sur le radio
observatoire. C’est impossible…
Il part d’un rire fou qui glace Natacha jusqu’aux os.
« Il faut que je lance un appel de détresse à Yann! » pense-t-elle. « Je n’ai pas tous ses logiciels, mais j’ai de
quoi créer quelques zombies et bots de protection. »
Elle décide alors de connecter le zombie pour prendre sa propre place et se déconnecter instantanément.
- Allons, allons, lui dit Brand. Vous n’allez pas déjà nous quitter alors que nous avons tant de choses à nous
dire! s’amuse Brand en annihilant le zombie d’une seule pensée.
Les logiciels de Natacha n’ont même pas eu le temps d’activer les bots de protection.
- Bien, alors, ma chère amie, vous n’avez pas répondu à mon garde. J’espère que vous allez me répondre, ditil avec une voix de plus en plus grave, résonante, glaciale et désincarnée.
A ce moment-là, de la réalité des événements lunaires, elle entend les cris d’alarme des gardiens du camp.
-
Dehors, les jets Sélènes sont arrivés au-dessus du camp.
C’est le carnage.
En un seul passage, ils viennent de détruire le quart du système de défense. Les hommes au sol ne détectent
rien.
Les ordres de Gutrinkyt fusent dans toutes les directions. Les tirs de missile sont lancés tout autour du camp.
Un nuage de billes d’acier plane un moment et créé un mur infranchissable par les engins spatiaux. Mais les
chasseurs ont prévu le coup. Leur deuxième passage ne se fait qu’à longue distance. Bien entendu ils disposent
de boucliers magnétiques, mais ils préfèrent préserver leurs systèmes de sécurité pour se préparer aux futurs
combats contre les forces terriennes internationales qui arriveront dans moins de deux jours.
Les tirs lasers partent de toute part. A leur contact, la roche s’illumine et s’embrase partout autour des soldats.
Ceux-ci tirent au hasard devant eux.
Dans le vide.
Les balles caméras ne détectent pas les jets. Les Fireball volent ça et là dans le ciel sans atteindre la moindre
cible. Elles sont beaucoup trop lentes. Les rayons monochromatiques rouges, bleus et verts découpent le ciel en
une multitude de formes géométriques. La plupart des systèmes de brouillage ont été détruits au cours du
premier passage. Les ordinateurs ont pu dénombrer dix-sept chasseurs pilotés et cinq drones automatiques de
combat. Même eux volent au loin sans avoir à activer leurs boucliers magnétiques!
Bientôt, la plupart des billes d’acier sont retombées sur le sol.
- Ne tirez pas d’autres missiles! ordonne Gutrinkyt. Attendez qu’ils soient sur une trajectoire d’approche ou
d’en accrocher au radar. Alors seulement dans ce cas, tirez!
Soudain un missile part vers le ciel. Plusieurs tirs lasers partent de la voûte étoilée en direction d’un drone
automatique. Celui-ci perçoit l’environnement hostile dans lequel il a été envoyé. Aussi, sans perdre de vue sa
cible, il zigzague à droite, à gauche, utilise sa poussée vectorielle de manière à esquiver les tirs. Il ralentit,
accélère, repart de plus belle en avant. Rien n’y fait. Au quatrième coup de laser, il explose violemment dans le
ciel.
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A ce moment-là, les radars de poursuite au sol restants opérationnels donnent l’alerte. Un jet arrive droit sur le
camp. Trois missiles décollent aussitôt et partent exploser dans le ciel pour éparpiller à nouveau un nuage
défensif de billes d’acier.
Mais il s’agissait d’un hologramme de l’ennemi destiné à leur faire gaspiller leurs munitions. Aucun chasseur,
aucun drone automatique ne survole plus le camp. Les tirs ennemis lointains redoublent. Leur efficacité reste
toujours aussi mortelle.
Chaque coup porte.
Via mon casque, j’entends les cris des hommes voir leurs copains se faire évaporer à côté d’eux.
Je n’arrive pas à repérer Natacha. Je ne comprends pas. Quelque chose a dû lui arriver. Je lance plusieurs
moteurs de recherche dynamiques pour prendre contact avec elle. En une fraction de seconde, dès qu’ils
arrivent à une probabilité de connexion supérieure à quatre-vingt huit pour cent, ils sont effacés purement et
simplement. Bon. Je décide de prendre le taureau par les cornes. Je prépare une attaque musclée contre les
systèmes qui m’empêchent d’arriver jusqu’à son adresse IP.
Je me connecte directement à un serveur maître.
Je court-circuite son accès.
Soudain, c’est comme si le monde du net était devenu une feuille de papier que je m’amusais à survoler. Au
lieu de voir les images, actions et informations évoluer dans le monde virtuel du web, je vois les codes de
programme en assembleurs défiler les uns après les autres à des cadences astronomiques. Je supprime
rapidement la visualisation des lignes de codes correspondant aux environnements graphique et sonore.
J’accède alors directement aux registres des bases de données.
La vue d’ensemble de la situation est maintenant très claire. Quelqu’un empêche délibérément Natacha de
bouger. Si elle ne s’est pas déconnectée et n’a même pas essayé d’enlever son casque, c’est que ses ennemis
sont extrêmement puissants et qu’ils peuvent nuire à sa santé.
« Putain! je m’exclame intérieurement. Elle est tombée pile poil sur le BDC! Bon, aux grands maux les grands
remèdes. »
Je sors de ma « hotte » électronique quelques-unes unes de ces décoctions dont mes algorithmes font des
envieux.
Je vais lancer une attaque en générant un afflux massif de données aléatoires et de virus de dernières
générations. Parallèlement, je vais lancer un deuxième programme qui va complètement modifier le logiciel de
défense du site web, au plein cœur de son code exécutable. Ca le rendra inopérant.
Je lance l’opération. Les systèmes de sécurité du site ne sont pas du tout soumis aux trois lois de la robotique
d’Isaac Asimov. Ca crève les yeux! Les défenses on pour but de détruire aussi bien les supports optiques
internet que les programmes et process ennemis. Trois dixièmes de seconde viennent de passer. Le premier
programme vient de tomber. Pendant ce temps, le deuxième programme commence son œuvre de destruction.
Le code du logiciel de défense commence à subir des modifications. Pour l’instant, les dommages sont très
faibles. Les mouchards du site donnent l’alerte. Ils se précipitent sur lui, bien plus dangereux que le précédent
programme.
J’en profite. Immédiatement, je rentre dans le code d’interprétation des données. Je suis complètement intégré
aux routines qui testent les données que je n’arrête pas d’envoyer. Je visualise l’ensemble de l’exécutable du
logiciel. Je lance tout simplement le mode débug. Ce mode attend des ordres de la part d’un programmeur pour
relancer le programme. Tant que les ordres n’arrivent pas au programme, il reste bloqué. Tout le système
ennemi se retrouve instantanément bloqué. Par sécurité, j’envoie un superbe virus de dernière génération dans
les lignes de code.
Elles partent en miettes.
Des lignes et des procédures entières sont effacées et sont remplacées par des gentils « Wouzi! ». Le
programme subit des dommages irréversibles. A moins de disposer d’un backup, le système est bon pour être
mis à la poubelle. Sans recyclage.
Je pénètre enfin dans le site tant protégé. Je me connecte au logiciel de communication interne. Plusieurs
personnes y sont branchées. Je cherche Natacha.
Natacha n’a toujours aucun lien vers l’extérieur. Néanmoins, elle trouve que les temps de réponse de Brand
s’allongent énormément. Maintenant, pour avoir un échange de phrase tout ce qu’il y a de plus banal, un délai
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d’attente apparaît et prend plus d’un dixième de seconde. Elle essaye à nouveau de lancer un zombie à sa place,
mais Brand réagit vivement:
- Bon, ça suffit maintenant! Ma patience a des limites! Tu lances tes jouets devant toi sans savoir que tu
risques ta vie à chaque fois! Je vais te faire prendre réellement conscience des dangers que tu prends!
Et ce disant, il augmente l’intensité du laser droit du casque de connexion internet de Natacha. La douleur
l’envahit brusquement pour disparaître aussitôt.
- Alors, vas-tu me dire qui tu connais et qui fait partie d’AVALON, ce résidu de rassemblement de poussières
de chercheurs qui n’est même pas capable d’émettre une pico once d’idée intelligente?!
L’intensité du rayon lumineux sur son œil droit augmente doucement. L’irritation et la gêne occasionnée
deviennent de plus en plus grandes.
- Si ce ne sont que des résidus de poussières, en quoi vous gênent-ils? demande Natacha alors qu’elle a les
yeux en larme.
Il n’a pas le temps de répondre. Il disparaît instantanément pour réapparaître une demi-seconde plus tard. Il ne
stabilise sa présence qu’un bref instant et il disparaît à nouveau du sas virtuel où Natacha est retenue
prisonnière. Le laser retrouve une puissance normale.
Il se retrouve face à moi.
Dehors, la situation est plus qu’intenable. La tente pressurisée dans laquelle nous sommes Natacha et moi a été
épargnée pour l’instant, mais ce n’est qu’une question de secondes.
Gutrinkyt reste parfaitement lucide et conscient de la situation. Mais il est tout à fait hors de question de se
rendre. Jamais il ne s’est rendu. Une seule fois dans sa vie il s’est retrouvé dans une telle situation. Il n’était
alors qu’un petit chef de gang.
Le parrain du quartier le plus chaud de Baïkonour était venu pour le supprimer et faire main basse sur sa bande.
Mais au moment du coup de grâce, il a risqué le tout pour le tout. Il s’est jeté sur son bourreau. Celui-ci eu
cependant le réflexe de lui tirer dessus. La balle fit exploser les os de son avant bras. Il était tellement concentré
sur son attaque que sur l’instant, il n’a pas réalisé ce qui lui arrivait. De toutes ses forces et de tout son poids,
mû par l’énergie du désespoir, il a balancé un coup de poing sur le visage du tueur. Ses os brisés ressortaient de
la peau au niveau de l’avant bras. Ils étaient aussi effilés que des lames de rasoir. Son poing a rencontré la joue
gauche du tueur. Il s’est retourné sous le choc. Les os de l’avant bras sont allés perforer le nez de son ennemi
jusqu’aux méninges. Il est mort deux heures plus tard dans de terribles souffrances. Etant en légitime défense,
Gutrinkyt est ressorti de l’hôpital libre, le soir même, soigné et remis complètement de sa blessure. Son histoire
avait déjà fait le tour des bas quartiers de la ville. Tout le monde l’a craint du jour au lendemain. Finalement,
c’est lui qui a récupéré le gang de son ennemi.
Cette fois-ci, la situation est aussi désespérée que celle d’alors.
A deux mètres de lui, Calculette est pris pour cible par le laser d’un des drones automatiques. Le pauvre colon
chauffe si fort et si brutalement qu’il n’a même pas le temps de s’enflammer. Pas même le temps de se
transformer en poussière. Il est vaporisé sur place. La roche est liquéfiée tout autour sur plus de deux mètres
carrés. Partout dans le camp, il faut faire attention où marcher. Il suffit de poser le pied sur un endroit où la
roche est encore en fusion pour que la combinaison subisse des fuites. Et alors, sans robot de secours à
proximité pour ressouder la fuite, la mort est beaucoup plus lente que par un tir de laser, mais tout aussi
inéluctable.
L’air fuit la combinaison d’une telle manière qu’on a plutôt l’impression que c’est le vide spatial glacé qui
s’engouffre dans la combinaison. Les veines explosent dans une douleur terrifiante mais ignorée et supplantée
par celle liée au lent déchirement des poumons.
Professeur Rassoli! s’exclame Brand. Quelle bonne et heureuse surprise! Et bien si je ne me trompe pas,
voici la petite famille réunie! Ca tombe bien, ça m’a toujours attristé de voir une famille déchirée. En vous
tuant tous les deux en même temps, je n’aurai pas ce regret.
Je suis stupéfait de le revoir ainsi. Je ne l’écoute pas. Je branche un logiciel de communication en mode agressif
pour l’occuper. C’est lui qui répondra à ma place. Ainsi, je garde toute ma concentration pour l’attaque.
- Quel bon dos ça vous donne! dit stupidement le logiciel.
Si ce programme donne encore une réponse comme ça, Brand saura que ce n’est pas moi qui répond.
J’ai très peu de temps.
-
168
Je lance plusieurs bots d’attaques. Ceux-ci sont de ma toute dernière génération. Sur mon propre site web, je me
suis créé une pépinière de bots. Les programmes déjà existants se reprogramment selon une série d’algorithmes
identique à celle de l’évolution des espèces. A chaque fois qu’une génération vraiment nouvelle de bots
apparaît, elle est testée dans une succession d’environnements plus ou moins hostiles. Une fois que les tests
sont réussis, alors elle est catégorisée pour savoir si elle est plus apte à mener des recherches sur le web, à
mener des attaques ou des défenses, ou bien à faciliter la création de nouvelles générations de programmes.
Enfin, elle vient enrichir la pépinière et servir de base aux futures générations de programmes. Sept générations
de bots sont ainsi apparues depuis la dernière fois que j’ai eu besoin d’en utiliser.
Je les lance en plusieurs vagues de frappe. Pendant ce temps, je concentre toutes mes recherches sur les
moindres signes que pourrait m’envoyer Natacha. Je détecte une faiblesse dans les protections de Brand. Il
s’agit très certainement d’une ruse, mais si ce n’est pas le cas, je ne peux pas laisser passer une telle
opportunité. Je lance à nouveau des attaques en cascade. A ce moment-là, j’ai utilisé tous mes modèles de bots.
Brand est potentiellement capable de se défendre contre toutes mes attaques. Mais il n’a pas l’air de profiter de
cet avantage. Au contraire même, il semble souffrir de ma dernière attaque.
Je perçois une vieille commande FTP qui semble émaner de nulle part. C’est pas vrai! Il utilise un moyen de
communication aussi vieux que ça! Pourquoi ne pas utiliser le morse pendant qu’il y est?! Je sais exactement
comment l’attaquer. Les faiblesses du FTP, ce langage qui a permis pendant des années d’échanger des données
sur le net avant que les transactions ne soient réellement sécurisées, sont extrêmement nombreuses. Mais pour
détecter ce type de faiblesses, il fallait savoir que Brand utilisait un tel langage!
Je m’engouffre dans la brèche. Je lance une succession de commandes qui bloquent le langage en moins de
deux dixièmes de secondes. Il est bloqué et pris au piège dans son propre site. Il n’a plus aucun moyen
d’envoyer ou de recevoir un quelconque signal de son port de connexion. Les accès au porting set dont il se
servait s’amenuisent comme une peau de chagrin.
Ca y est. J’ai trouvé des infos concernant Natacha. Je fonce. J’entre en contact avec elle. Je lui télécharge
immédiatement quelques-unes des mes protections les plus puissantes. Je remplace ses logiciels de connexion
au net.
- Tu peux te débrancher! je lui crie.
Sans attendre, elle éteint la visière du casque de son scaphandre. Elle pousse un profond soupir de soulagement,
heureuse d’être de retour dans le monde réel.
- Ne te reconnecte pas, lui dis-je. Occupe-toi de me prévenir si jamais la situation dans la tente pressurisée
devenait trop critique.
Je retourne voir Brand. Son avatar a perdu de sa superbe. De lui il ne reste plus que quelques lignes de codes
que je m’empresse d’effacer.
Brand n’est plus.
Ni dans le monde réel ni dans le monde virtuel.
Je repars aussitôt vers le site de F16-Logix. Mon programme de signal des connexions au site ne m’a toujours
pas permis de forcer l’entrée. Tant pis, je vais y aller en force. Je me connecte à nouveau directement au
serveur. A nouveau, j’ai une vue aérienne du web, comme si j'étais en avion en train de survoler les lignes de
codes, et en l’occurrence, du système de protection et de défense actives de l’entrée du site. Je vois tout. C’est
complètement impénétrable. Je ne comprends même pas comment ça marche. C’est hallucinant! Je repère
quand même les registres du serveur où sont stockées les principales procédures de protection du site de la
société d’édition de logiciels embarqués F16-Logix.
Mais immédiatement, les registres tombent les uns après les autres.
C’est le dernier niveau de sécurité!
Mon attaque n’est pas stoppée mais elle est retournée contre moi. Tant que je ne serais pas déconnecté, tous les
registres sur lesquels je me base seront irrémédiablement détruits. Je passe de l’un à l’autre vif comme l’éclair.
J’utilise un nombre considérable de registres à travers une multitude de serveurs éparpillés sur tout internet. Il
faut que je trouve les infos dont j’ai besoin et que je me déconnecte aussitôt, sinon tel que c’est parti, le net va
subir de profonds dégâts!
Ca y est! J’arrive au cœur du site. Je lance immédiatement plusieurs bots de recherche.
A l’intérieur, il n’y a plus aucune protection. J’arrive au niveau des codes de sécurité utltraconfidentiels des jets
spatiaux. J’accède aux registres sur lesquels ils ont enregistré les codes des derniers modèles des chasseurs
169
lunaires. Je l’ouvre… Je n’ai pas le temps de le lire. Le registre est détruit. Mes systèmes de sécurités m’ont
déplacé au dernier moment, mais je n’ai plus aucun moyen de connaître ces infos.
Dehors, plus de la moitié des hommes ont été transformés en lumière. Les troupes ennemies n’ont perdu qu’un
seul drone d’attaque tout à l’heure. Les munitions dans le camp commencent à se faire rare pour certains. Il ne
reste plus que très peu de missiles de protection. Après, ce sera l’hallali. Plusieurs hommes s’étaient réfugiés
dans un embryon de tunnel. Les chasseurs s’en donnent à cœur joie et le bombardant.
J'ai une illumination. Si les registres de communications pour la navigation des chasseurs et des drones sont
détruits, alors une grande partie du danger sera immédiatement écarté. En plus, pourquoi s’arrêter là? Les
systèmes complets des jets sont accessibles par internet. Je décide alors de parcourir tous les sites internet
lunaires possibles en me laissant plus ou moins guider par mes systèmes d’intelligence artificielle. Je trouve les
registres qui rendent opérationnels plusieurs satellites d’observation lunaire. Je tombe aussi sur le principal
centre de réception de leurs signaux. Subitement, je n’entends plus les hommes lancer des ordres ou crier via les
écouteurs de mon scaphandre. Oups, j’ai l’impression que je viens de détruire nos systèmes de communication.
C’est pas le moment pourtant! Je continue de parcourir toutes les adresses lunaires avec frénésie. J’en évite
cependant certaines volontairement. Entre autres, celles qui permettent de réguler l’oxygène dans les différentes
villes souterraines. Je n’ai pas la moindre idée de ce qui se passe dehors. Je lance un bot pour aller me chercher
toutes les infos disponibles sur le net par rapport à ce que voient les hommes de Gutrinkyt. J’arrive à avoir des
images par à-coups. D’autres fois, je n’ai que des sons. Rarement j’ai les deux simultanément. Mais
rapidement, le bot se reprogramme tout seul et bientôt je retrouve le son et l’image comme si rien ne s’était
passé. J’envoie le bot à tous les hommes du camp et ainsi chacun peut reprendre contact avec ses voisins au sol.
Dehors, le vol des drones automatiques se fait de plus en plus chaotique. Du coup, les engins sont obligés de
s’approcher à distance de tir des hommes au sol pour continuer le combat. Ca y est! Le premier essuie une série
de tirs lasers. Les boucliers tiennent mais s’affaiblissent à vue d’œil. Les calculateurs prévoient qu’avec une
deuxième salve de tirs aussi dense, il sera détruit. Plusieurs passent à l’attaque. L’un d’eux explose soudain
dans le ciel étoilé. L’explosion silencieuse envoie une éphémère et puissante lueur rouge et jaune sur tout le
cratère lunaire. Un deuxième puis un troisième suivent dans ce feu d’artifice sélène. Le quatrième est achevé
par trois Fireball. Une seule aurait suffi à le détruire, mais il est préférable de prendre des assurances. Bientôt,
le cinquième est vaporisé par un tir combiné de plusieurs lasers monochromatiques différents. Enfin, il ne reste
« plus que » les dix-sept engins pilotés. Mais leurs tirs ne se font plus très précis. Ils commencent à rater leurs
cibles. Vingt secondes plus tôt, pas un seul tir n’avait tapé à côté de son objectif. Les hommes au sol se rendent
compte qu’un retournement de situation a lieu. Leur moral grimpe en flèche. L’espoir renaît.
Les chasseurs sélènes continuent de tourner autour du camp tels des vautours au-dessus de leur proie. Leurs
feux croisés continuent de plus belle.
Cependant, au lieu de tirer coup par coup, ils changent de tactique. Leurs rayons laser arrosent maintenant le
camp en rafales. Du coup, les dégâts matériels deviennent de plus en plus importants. Mais moins d’hommes
sont touchés.
Sur le net, plusieurs de mes bots de recherche m’indiquent avec précision les endroits où sont situés les sites
secret défense de la base du Nouveau Québec. En les supprimant, ça coupera les jets de leur centre névralgique,
de leur centre de décision tactique. Le temps presse. Il est extrêmement urgent de s’en débarrasser. Sinon ce
sera trop tard. Il n’y aura plus personne ni plus rien à défendre.
Pendant que je détruis systématiquement tous les liens web qui se recréent vers les chasseurs, Gutrinkyt monte
dans le jet qui nous a permis d’arriver jusqu’ici. Pas détruit parce que pas vu, il est en parfait état de vol. On
voit Gutrinkyt redescendre de l’appareil et l’engin décolle tout seul. Il a à peine le temps de s’élever dans les
cieux que trois chasseurs se mettent en formation et le prennent en chasse. Ses boucliers sont activés à cent pour
cent. Il part faire un rapide petit tour et essuie plusieurs rafales. Il revient alors à toute vitesse au-dessus du
camp. Les chasseurs se doutent qu’il s’agit d’un piège, mais ils ont ordre de ne pas le laisser filer. Il ne doit y
avoir aucun survivant. Le jet passe au-dessus du cratère en moins de trois dixièmes de secondes. Avec leur
vitesse, les chasseurs ne prennent même pas la peine de le contourner. Leurs boucliers sont activés et sont mis
eux aussi au maximum. Ils survolent le site encore plus rapidement que leur cible. Ils reçoivent de plein fouet
une quantité de tirs lasers. Leurs boucliers magnétiques sont zébrés d’éclairs bleus. Un des trois jets est
légèrement touché. Le chasseur de tête ouvre le feu puissance maximum. Le jet de Gutrinkyt explose et forme
une immense gerbe de feu qui s’éteint en quelques secondes et va s’écraser plus loin sur le sol lunaire.
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Sur internet, la destruction des registres continue de plus belle. Dans cette pagaille, les systèmes de protection
deviennent incohérents. Les registres sont comme les pages sur lesquelles les lignes de code sont écrites.
Enlevez les pages, voyez ce que devient l’encre… Et comme un programme de protection tient sur une quantité
de pages, il est facile de le détruire par ce moyen. Et dans ce bazar de programmes informatiques en cours
d’éradication, plusieurs de mes bots de recherche trouvent des codes d’accès directs aux systèmes de
communication interne des chasseurs.
Les bots de défense du site internet correspondant ne savent plus où donner de la tête. Pour eux, le véritable
ennemi est le programme de la société F16-Logix qui me poursuit. Aussi ils me laissent parfaitement tranquille.
Je profite immédiatement de l’information que viennent de me fournir mes bots.
Je lance immédiatement dix-sept attaques simultanées. Il ne faut pas qu’un seul chasseur puisse être prévenu
par les autres. Il déconnecterait immédiatement tous ses systèmes d’accès avec l’extérieur et je ne pourrai plus
l’avoir par ce moyen. Les dix-sept bots partent à l’assaut des systèmes électroniques et informatiques des
chasseurs.
Pour les hommes de Gutrinkyt, l’effet est saisissant.
Plusieurs chasseurs se mettent à piquer vers le sol. Les pilotes n’ont pas le temps de s’éjecter. On a l’impression
que partout autour du camp des feux de camp se sont allumés pendant un bref instant. D’éblouissantes
explosions éclairent le sol de halos jaunes et rouges. Pour d’autres chasseurs, les boucliers magnétiques sont
tellement renforcés qu’ils provoquent des successions de court circuits dans les systèmes de propulsion et de
climatisation. Des arcs électriques se créent dans les réservoirs pourtant hermétiquement protégés. L’explosion
est instantanée. Quand ce n’est pas le cas, le système de climatisation s’arrête de fonctionner. En moins de trois
secondes, la température dans le poste de pilotage atteint les cent soixante degrés. Deux pilotes ont le temps de
s’éjecter. Les chasseurs vont s’écraser en direction du cratère de Képler. Il ne reste plus qu’un seul chasseur en
l’air. C’est celui qui avait été légèrement touché par les tirs terrestres. Les tirs ont en fait sauvé la vie du pilote
puisqu’ils ont détruit ses systèmes de communication.
Voyant qu’il est l’unique survivant, n’ayant plus aucune possibilité de communiquer avec qui que ce soit, il
décide de retourner à sa base.
La plupart des hommes de Gutrinkyt n’a pas encore eu le temps de réaliser ce qui vient d’arriver. Mais voir au
radar le dernier engin s’éloigner et passer en dehors du champ de détection en moins d’une minute déclenche
une vague de cris de joie extraordinaire. Les survivants, hommes et femmes se congratulent les uns les autres.
Certains sont tellement excités qu’ils font d’immenses sauts de joie. Gutrinkyt est porté en triomphe. Tout le
monde cherche à savoir ce qui s’est réellement passé. Natacha et moi sortons finalement de la tente. Gutrinkyt
se fait reposer à terre et vient vers nous.
- Vous avez une explication, les gars? nous demande-t-il.
- Et bien, dis-je avec un sourire non dissimulé, il faudra se passer d’internet pendant quelques temps sur la
Lune.
Il explose de rire. Il se met à hurler de joie. Ses hommes nous prennent et nous portent, Gutrinkyt, Natacha et
moi. Ils nous lancent en l’air comme des ballots d’un groupe à l’autre.
Après plusieurs minutes d’une joie furieuse qui permet à tout le monde de se vider du stress de la mort qui
frappait sans relâche, Gutrinkyt s’adresse à ses hommes:
- Oggy, tu fais la liste de tous les survivants.
Capitaine Képler, tu prends vingt hommes pour trouver d’éventuels survivants dans le tunnel qui s’est
effondré. Fait gaffe, la roche en fusion a dû ressouder complètement les parois extérieures. Elle est peut-être
encore chaude.
Sonik, tu rassembles le matériel. Tu prends une trentaine d’hommes avec toi. Il faut que vous ayez tout fini
dans dix minutes. Après, tu prêteras main forte à Capitaine Képler.
Haïckick, tu prends cinq hommes et tu vas choper un des deux pilotes qui se sont éjectés. Ne passez pas par
ici pour revenir. Allez directement au point de repli alpha.
Funakoshi, Yuko, Higüit et Zeteam, vous allez chercher l’autre bonhomme. Même chose que pour
Haïckick. Rendez-vous au point de repli alpha. Pas de communication longue distance.
Se tournant vers Natacha et moi, il dit:
- Maintenant qu’ils savent que nous sommes ici, on aura beau se cacher ils nous trouveront. On n’a pas le
choix. C’est eux ou nous. Il faut profiter de notre victoire pour enfoncer le clou et les éliminer pour de bon.
Si on attend, la prochaine fois, ils ne feront pas dans la dentelle. Ils utiliseront leurs armes de destructions
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massives. Je les vois très bien utiliser des bombes d’oxydation. Pas besoin de vous faire un dessin pour vous
dire ce qui se passe si votre scaphandre rouille et reste dans le vide spatial!
- D’accord, dis-je. Mais comment veux-tu faire pour les attaquer? On n’a aucun moyen de transport. Toutes
les communications sont détruites sur la Lune, et ils sont vraiment loin d’ici. C’est pas possible d’y aller à
pied!
- Et si mon pote! me dit Gutrinkyt avec un large sourire sur un ton de défi. On va se faire les trois cent
kilomètres jusqu’à Copernic Bay à pied! Tout est prévu. En attendant, il faut mettre en place un leurre. On
fera tout sauter quand les prochains jets arriveront. On leur fera croire qu’ils nous ont tous descendus
jusqu’au dernier. Pour ça, j’ai ma technique! Venez, vous allez pouvoir m’aider.
Nous avons vu à la fois sur Terre et ici de quoi il est capable, aussi, c’est avec un sentiment mélangé de
curiosité et de volonté de détruire le BDC que nous le suivons.
Ce qui me fait pas mal réfléchir aussi, c’est comment il compte nous faire faire cette traversée du désert
lunaire…
Nous entrons dans la tente où nous étions Natacha et moi pendant la bataille pour combattre les jets via le net.
Là est entreposé un gros caisson métallique.
- Faites gaffe, c’est une bombe à plasma.
- T’as ça ici?! je lui demande complètement ahuri.
- T’es épaté, hein?
- Comment t’as fait pour l’amener ici? Elle a pas explosé pendant l’alunissage?! C’est pourtant fragile!
- Ouais, on a eu du bol, me répond-il avec fierté.
- Tu ne vas pas la faire sauter ici?!
- Ah ouais, et pourquoi pas? C’est notre billet de sortie. Sans ça, on y passe tous.
- La ville la plus proche est à trois cent kilomètres, dit Natacha. Ils ne sentiront presque pas les secousses.
- Tiens, me dit Gutrinkyt. Aide-moi à installer la bombe au sommet du pic central du cratère.
J’hésite un moment, puis, je décide de l’aider. Natacha a raison. Nous sommes trop loin pour nuire aux
habitants des différentes villes Sélènes. Gutrinkyt et moi commençons donc l’ascension du pic aussitôt.
Les cratères lunaires ont la particularité d’avoir un pic très important à leur centre. Ici, il est très évasé et pas
très haut, mais c’est suffisant pour ce que Gutrinkyt veut faire: raser toutes les traces de notre passage.
En moins de cinq minutes, nous arrivons au sommet du pic. Là se trouvent plusieurs gros rochers. J’en soulève
un. Même en étant sur la Lune où les objets pèsent six fois moins que sur Terre, son poids est important.
Gutrinkyt fait rapidement glisser le lourd caisson dessous, et je repose mon fardeau.
- La bombe n’est pas si grosse, fait-il. En fait, c’est surtout le caisson en plomb qui protège des rayonnements
qui est lourd.
Bon, on se casse.
La bombe est programmée pour sauter dès qu’un jet hostile approchera. On a intérêt à être le plus loin
possible le plus vite possible.
Nous redescendons le pic qui culmine à près de cinquante mètres en quelques secondes.
Il faut faire attention. Même sur la Lune, une chute d’une telle hauteur peut être mortelle.
C’est donc en sautant de cinq mètres en cinq mètres que nous rejoignons rapidement le fond plat du cratère
lunaire.
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18- La marche de Copernic Bay
Lundi 2 août 2066, 01h12 Temps Universel
Gutrinkyt lance le signal de départ.
L’équipe de secours n’a retrouvé aucun survivant dans le tunnel. Tous les hommes et femmes qui s’y trouvaient
ont été brûlés ou écrasés par la roche qui s’est effondrée sur eux.
Au moment du départ, l’atmosphère est très lourde. Le nombre de victimes avoisine les quatre vingt dix.
L’armée de Gutrinkyt s’est réduite de plus d’un tiers. Chacun jure de venger les membres disparus de sa famille
ou de ses amis.
Les survivants ont rassemblé une bonne partie du matériel. Chaque homme et chaque femme doit porter un
énorme barda.
- Voici les vôtres, nous lance Gutrinkyt. Chacun doit participer. C’est la rançon de la survie.
Un des deux sacs est un peu moins lourd. Je le donne à Natacha. Je mets l’autre sur mon dos. J’ai l’impression
de peser deux cent bons kilos.
- G.I., laisse ton sac à dos. Tu prends le commandement de l’équipe des balayeurs qui doivent fermer la
marche, dit-il. Tous les quarts d’heure on changera l’équipe. Il faut surtout pas rater la moindre trace de pas.
Vous devez tout effacer derrière notre passage.
Natacha termine de mettre le sien sur son dos. Quand Gutrinkyt revient vers nous, lui aussi chargé comme un
mulet. Dans sa main droite, il tient deux fusils magnétiques de deux mètres de long.
- Ce sont des filins tracteurs, nous dit-il. Le fonctionnement est très simple. Ce sont des flingues à répulsion
magnétique. Vous voyez, les petits cercles métalliques sont parcourus par un intense courant électrique. Ce
sont des électroaimants. La tige de deux mètres qui est glissée à l’intérieur réagit à ce courant. Y’a un filin
qui y est accroché. Elle part jusqu’à deux cent mètres et va se planter verticalement grâce à son petit
gyroscope intégré. Quand elle est bien plantée, vous sautez en l’air et vous appuyez à nouveau sur la détente
pour vous tracter jusqu’à la tige. Arrivés à son niveau, vous la décrochez et vous recommencez. C’est
simple et ça permet d’atteindre une vitesse moyenne de près de quatre-vingt kilomètres à l’heure. Mais
n’oubliez pas de sauter en l’air avant de vous tracter. Sinon, vous allez vous ramasser.
Et mordre la poussière à cette vitesse sur la Lune est plus grave que sur Terre. Un dernier point. En l’air
vous allez très vite. Au démarrage, il faut bien s’accrocher au fusil sinon il part tout seul. Y’a plus qu’à aller
le ramasser. Et à l’atterrissage, il faut bien se recevoir.
- Okay, dis-je emballé par le système. Je vais voir si j’ai compris comment ça marche. On part dans quelle
direction? je lui demande.
- Plein Est, me répond-il.
Je vise le haut du cratère au fond duquel nous sommes installés. Je tire. La barre métallique s’envole sans un
bruit dans le ciel. Tirant son filin, elle parcourt une superbe parabole et elle se fiche à près de soixante-dix
mètres au-dessus de moi. Pour cette fois-ci, je n’ai pas besoin de sauter pour me faire tracter. La tige est déjà
bien au-dessus et la cordelette métallique a un angle de près de cinquante degrés vers le haut. Je ne risque pas
traîner par terre. Je presse la détente une nouvelle fois. Le processeur du fusil magnétique repère l’absence de la
tige. Au lieu de se polariser de manière à repousser le métal, il se met à l’attirer violemment. Il enroule le filin
si vite que je dois m’accrocher de toutes mes forces pour ne pas lâcher le fusil. En quelques secondes, je me
retrouve en haut du cratère. Mon style est loin d’être parfait, mais pour un premier essai, je m’en suis pas trop
mal sorti. Le principal pour moi est de ne pas être tombé pendant mon ascension. Même sur la Lune il y a des
risques.
- Yahoo! hurle de joie Gutrinkyt. T’y vas à donf, mec!
Et il explose de rire. Pour ses hommes, il ajoute avec un large sourire:
- Putain, ces intellos, ils m’épateront tout le temps! Y’a pas à chier ils ont du style!
- Bon, et bien, sur ces encouragements, j’y vais! enchaîne Natacha.
Elle tire dans ma direction. La tige brille quand elle plane dans le ciel noir étoilé. Elle fonce vers moi à une
vitesse surprenante. Elle s’enfonce dans la roche avec une force insoupçonnée à moins de cinq mètres de moi.
Natacha presse la détente une nouvelle fois. Elle se débrouille bien mieux que moi. Elle arrive au niveau de la
tige en quelques secondes.
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Waouh, s’écrie-t-elle. Il faut s’accrocher!
C’est génial comme truc! dis-je, pendant que Gutrinkyt et les premiers de ses hommes nous rejoignent.
Ouais, mec, me répond-il goguenard. C’est planant. Mais fait gaffe de pas arriver trop vite sur ta barre. Ca
serait dommage que tu t’embroche dessus comme un poulet. On n’a pas envie de faire un barbecue
aujourd’hui.
Cette vision me refroidit quelque peu et Natacha est brièvement parcourue par un frisson.
- Bon et bien on repart les gars! dit-il. Qu’est-ce que vous attendez? Et silence radio! ‘Faut pas laisser à nos
ennemis la moindre chance de nous repérer.
-
Notre progression est rapide et se passe sans problème.
Au bout de quinze minutes, les parois du cratère dans lequel nous étions sont visibles au loin sur l’horizon,
toutes petites. Les hommes et femmes qui composent l’armée de Gutrinkyt forment une chaîne humaine qui
s’étale sur plus de trois kilomètres. Heureusement que les canons magnétiques sont programmés pour éviter les
formes mouvantes. Sans quoi il y aurait déjà eu pas mal d’accidents. Voir les hommes et les femmes
lourdement chargés avancer par bonds gigantesques, par vols planés successifs de près de deux cent mètres, est
un spectacle aérien si fascinant que le chorégraphe français Philippe Decouflé du siècle dernier aurait tout
donné pour l’orchestrer. Le ballet magique des longues tiges métalliques brillantes augmenté de celui des
hommes et des femmes qui sautent légèrement verticalement au loin et partent violemment en avant comme si
une force invisible les propulsait donne à la scène un air extraordinaire. C’est comme si les poissons volants
que sont les tiges métalliques planaient en compagnie des dauphins qui avancent par grands sauts au-dessus de
l’eau. En voyant ça de loin, on a l’impression que les gens se passent des flambeaux comme pour un quatre cent
mètres, et que le nombre des participants de cette course, lourdement chargés et vêtues de scaphandres spatiaux
énormes est incroyablement élevé.
- Capitaine Képler, prend cinq hommes et remplace G.I. et ses hommes, dit Gutrinkyt. Ils doivent commencer
à fatiguer à supprimer toutes les traces de pas. Laissez leur vos sacs à dos.
Je me retourne et reprends ma progression. Le temps passe terriblement lentement. Je commence à avoir du mal
à m’accrocher à mon fusil quand celui-ci me tracte. Une fois ou deux, j’ai manqué d’atterrir sur le dos. Natacha
est éreintée, elle aussi. Plusieurs hommes et femmes sont tombés sur le dos ou sur le ventre pendant qu’ils se
faisaient tracter.
Fort heureusement, aucun ne s’est blessé et chacun a pu repartir sans problème. Une fois, un homme a lâché son
fusil. Un de ses compagnons l’a aidé à le récupérer et il est reparti sans problème.
La courbure de la Lune apparaît nettement plus importante que celle de la Terre. L'impression que cela donne
est que nous sommes vraiment minuscules dans l'espace, en train de gambader sur cette petite bille de pierres et
de poussière…
Quand je regarde derrière moi maintenant, je ne vois plus le cratère où nous avons gagné la bataille. Par contre,
les monts Apennins sont nettement visibles devant nous. A cette vitesse, nous arriverons à Copernic Bay en
moins de quatre heures. Mais jamais on ne tiendra une telle cadence. Gutrinkyt s’en rend compte. Lui-même a
du mal à avancer.
- Nous ne pouvons pas faiblir, dit-il. Vus du ciel, nous n’avons quasiment pas avancé. C’est le moment de
prendre les revitalisants si vous ne les avez pas déjà pris.
Alors que nous avançons depuis plus de cinquante minutes, une terrible lueur embrase le ciel. La bombe vient
de remplir son office. Le rayonnement est si intense que même la lumière renvoyée par la roche en face de nous
nous éblouit. Je sens que mon dos chauffe brusquement.
- Sautez en l’air! crie Gutrinkyt. Les vibrations arrivent!
La grande majorité des hommes et des femmes n’avait pas attendu l’avertissement de leur chef. Ils connaissent
les effets du terrible engin qui vient d’exploser. Explosion de plasma doublée d'une explosion
électromagnétique.
Malheureusement, au moment de l’explosion, de nombreux hommes et femmes étaient en train de se faire
tracter par leur filin magnétique. Au moment où ils retombent sur le sol, les vibrations sont si fortes qu’elles
leur cassent immédiatement les jambes. Les chevilles et les genoux ne résistent pas à de telles secousses.
Les vibrations cessent progressivement. Quand nous retombons sur le sol, nous sentons qu’il tremble encore
fortement.
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Plusieurs hommes et femmes valides enfouissent leur sac à dos dans le sol. Porter les blessés ne va pas être
chose facile. Je dénombre sept hommes et deux femmes qui se tordent de douleur allongés sur le sol.
L’infirmier introduit dans leur oxygène un puissant calmant. En moins d’une minute, les neuf victimes ne
sentent plus la douleur. Elles sont portées par plusieurs de leurs compagnons. Nous reprenons notre route. Il
faut nous dépêcher. Il n’est pas certain que tous les chasseurs ennemis aient été détruits. Si on veut qu’ils
croient à notre éradication, il ne faut surtout pas qu’ils nous retrouvent. Le prochain satellite espion passera audessus de nos positions dans plus d’une heure, mais d’ici là, nous serons arrivés à mi-chemin, et il n’est pas
certain qu’on nous cherche si loin. De toute façon, on n’a pas le choix. Il faut arriver le plus vite possible à
Copernic Bay pour avoir une chance de contrer le BDC et l’empêcher de faire main basse sur la ville.
Les minutes se suivent et se ressemblent. Les collines cachent d’autres collines entre deux cratères. Parfois, on
passe en planant directement au-dessus d’un petit cratère. D’autres fois, on passe d’un sommet de colline à un
autre. Mais il arrive qu’on soit obligés de contourner des cratères ou les parois sont impraticables et où tout peu
s’ébouler.
La grisaille constante du sol n’est pas faite pour nous remonter le moral. Les étoiles sont toujours aussi
brillantes, mais la beauté du premier spectacle fait maintenant place à la lassitude. Le seul point où la couleur
est vraiment flagrante est le disque de la Terre qui apparaît, haute dans le ciel.
Ici, on ne peut pas zaper sur les paysages comme on peut le faire sur Terre. Là bas, à trois cent quatre vingt
quatre mille kilomètres de distance, sur cette petite sphère bleutée, les villes grises alternent avec les champs
vert clair, jaune vif ou beige foncé, avec les forêts vert sombre, avec les océans bleu azur ou encore avec les
montagnes qui sont d’un blanc brillant, accompagné constamment du bruit de la ville ou de la campagne.
Ici, enfermés dans nos scaphandres, tout n’est que grisaille et silence. Le gris foncé laisse place au gris clair.
Parfois le noir profond habille le versant complet d’un cratère.
Plusieurs heures viennent encore de passer. Le silence est seulement coupé par les ordres de Gutrinkyt qui
change régulièrement les équipes chargées d’effacer nos traces de pas. Gutrinkyt repère une importante cavité
dans le sol.
- Nous allons nous cacher ici un petit moment, le temps de se rassembler. Nous ne sommes plus très loin du
cratère de Copernic.
Il ne faut pas moins de quinze minutes pour que tout le monde soit regroupé.
Nous sommes tous harassés. Cette course sautillante contre la mort nous a tous épuisés. Deux des plus fatigués
sont Natacha et moi, nous qui ne sommes pas du tout sportifs.
Gutrinkyt impose son image sur les écrans de tous les scaphandres de la colonie.
- Nous serons en vue du cratère de Copernic dans quelques minutes. On ne peut pas prendre la ville d’assaut.
Nous y allons d'abord en deux petits groupes. Dès que les systèmes seront neutralisés, je vous enverrai le
signal pour que vous veniez nous rejoindre en ville. D’après nos informations, la petite ville compte moins
d’un millier d’habitants. Voir débarquer plus de deux cent personnes d’un seul coup va y flanquer le bordel.
Alors faites gaffe et surtout évitez tout contact avec les autochtones. Le premier qui y démarre une bagarre
viendra s'expliquer devant moi. J'espère que c'est clair pour tout le monde.
Deux minutes plus tard, le briefing est terminé et chacun sait quoi faire. Les ordres fusent de toutes parts.
Capitaine Képler et plusieurs autres forment leurs petits groupes d’infiltration.
- Pirate les systèmes vidéo et de comptage de la ville, me dit Gutrinkyt. On va faire partie du groupe de tête.
Il me faut un volontaire pour s’occuper du garage des jets lunaires.
- Je suis volontaire dit Natacha.
- Tu es sûre de vouloir le faire? fais-je avec inquiétude.
- Oui. Il faut que je fasse quelque chose sinon je sens que je vais exploser.
- Excellent, répond Gutrinkyt. Avec Nga Madji et Utamaro, ça devrait suffire. Vous ne pouvez pas être plus,
sinon ça attirera l’attention. Fait gaffe. Il est possible que l’entrée soit protégée par des mitrailleuses
murales.
- On reste en contact, dis-je à Natacha.
- Bien sûr nounours, me répond-elle avec malice pour me rassurer.
Les deux hommes qui s’approchent de Natacha ne paraissent pas humains. On a plutôt l’impression de voir
deux amas de muscles bouger. Ils sont véritablement gigantesques. Même s’ils ne font pas deux mètres soixante
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de haut, Nga Madji et Utamaro ont dû faire faire leur scaphandre sur mesure. Non seulement il a fallu
augmenter considérablement la taille des vêtements spatiaux qui les protègent du vide spatial, mais en plus il a
fallu les renforcer. Quand ils les ont essayé sur Terre, ils les ont complètement déchirés sans même s’en rendre
compte. Dans l’espace un tel problème aurait été dramatique. Le manufacturier de scaphandres de Baïkonour
auquel s’est adressé Gutrinkyt a dû les réparer et les renforcer en moins de trois jours. Il est clair qu’il n’a pas
eu un seul instant de repos pendant ce délai. C’était ça et la richesse ou l’échec et de très gros ennuis…
Gutrinkyt ne lui avait pas laissé le choix. L’un des deux hommes, Nga Madji, est du Tchad. L’autre, Utamaro,
est originaire du Japon. Ils sont tous deux comparables à des sumos. Sur Terre, leur poids avoisine les deux
cents kilos. Pourtant, ils ne paraissent pas obèses. Ce ne sont que des amas de muscles. Génétiquement
modifiés, ils ont chacun la force de trois hommes ordinaires. Avec leur combinaison qui augmente encore leur
taille et leur volume, l’effet est saisissant.
Du coup, même avec son scaphandre, Natacha est littéralement encadrée par deux montagnes. On a
l’impression de voir une petite poupée métallique à côté de deux immenses robots de guerre.
Gutrinkyt et moi partons accompagnés d’un troisième homme, Resistor, en direction de la petite ville. Les
capteurs au sol ont maintenant dû nous repérer. Extrêmement utiles, ce sont des systèmes de sécurité très
subtiles et ultra précis pour retrouver quelqu’un en atmosphère raréfiée qui a des difficultés à rentrer. En
environnement de vide spatial, ce n’est pas du superflu.
Nous arrivons maintenant au niveau du premier sas d’entrée de la ville touristique. Nous entrons sans difficulté.
Un homme nous attend. Rougeaud, il est assez gros et mesure pas loin de deux mètres quarante cinq. Il a le
physique du parfais Sélène. Grand, un peu gros, muscles relativement atrophiés, teint pâle.
- Bien le bonjour messieurs, nous dit-il.
- Bonjour, shérif, lui dis-je en voyant l’étoile scintillante à son torse.
- On m’a averti qu’un groupe très important de pirates risquait arriver en ville. A ma connaissance, c’est la
première fois que j’entends parler d’une telle absurdité. Mais je dois vous demander d’où vous venez.
Dans le petit hall se trouve une unique petite caméra de surveillance. Le moindre geste déplacé et l’alerte sera
donnée. Gutrinkyt et Resistor le savent.
Resistor active un petit système de brouillage. Son système est directement relié à un logiciel piraté à ILM qui
permet, après avoir filmé une scène pendant quelques secondes, d’en inventer la suite et de la représenter.
Grâce au système de brouillage, la scène ainsi inventée est envoyée à la caméra qui n’a perçu qu’un léger et
bref scintillement. Ainsi, au lieu de continuer à filmer la pièce, la caméra filme une scène imaginaire où les
quatre personnes de la pièce continuent de discuter.
Il en va tout autrement dans la réalité. Gutrinkyt pointe son arme directement vers le shérif.
- Rends-toi, dit-il sur un ton glacial.
- Vous êtes fous! Regardez la caméra! Vous avez déjà perdu! L’alerte est déjà donnée!
- Tant pis pour toi, dit-il.
- Non, dis-je. Ca ne sert à rien de le tuer. L’assommer est suffisant.
- C’est ça. Ce genre de bonhomme est génétiquement modifié pour se réveiller en moins de dix secondes
après avoir reçu un traumatisme.
- Et bien, on n’a qu’à le ligoter en plus, dis-je.
Gutrinkyt me regarde froidement.
- En faisant ça, on prend la responsabilité de faire tuer toute la colonie. C’est pas possible.
- Hé, dis-je, même si Resistor a su neutraliser la caméra, ça m’étonnerait qu’il neutralise aussi facilement les
capteurs de molécules aromatiques dégagées par le coup de feu.
- Y’a plus qu’à l’étouffer, dit Gutrinkyt.
- Ecoutez-moi, les gars, dit le shérif visiblement apeuré. Si vous me laissez en vie, je vous laisserai partir sans
problème.
- C’est vraiment le genre de type qui me hérisse, fait Resistor avec une mine de dégoût.
- Bon, je le pique et il dormira pendant une bonne journée, dit Gutrinkyt. Ca te va? me demande-t-il.
- C’est parfait. En plus, comme ça, les capteurs cardiaques qu’il doit avoir sur lui ne détecteront pas
d’anomalie et ne déclencheront aucune alerte.
Le shérif se laisse endormir volontiers, trop heureux de s’en tirer à si bon compte.
Nous entrons enfin dans le couloir donnant accès à la place principale de la petite ville.
Cette ville souterraine a une organisation telle, qu’elle paraît être aérienne. L’effet est saisissant. Des pylônes
illuminés donnent l’impression de soutenir la voûte centrale. Mais aucun d’eux ne touche le sol. La voûte est
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composée d’une mosaïque de prismes multicolores. Certains permettent de suivre la Terre. D’autres permettent
de contempler toutes les parois du cratère de Copernic sous des angles impossibles, teintés d'un kaléidoscope de
couleurs ahurissantes. La beauté du spectacle est à couper le souffle.
Gutrinkyt me ramène brutalement à la réalité.
- Tient, au lieu de bailler aux corneilles, me dit-il. Il y a là un terminal neural de proximité. Connecte tes
capteurs dessus et mets en rade les systèmes de comptage et de surveillance vidéo.
- C’est parti, dis-je.
Le terminal est une sphère translucide. Je pose trois petites ventouses sur mon crâne. Une sur chaque tempe et
la troisième à la hauteur de l’hypothalamus. Des moirages colorés apparaissent immédiatement à la surface du
globe. Rapidement, elle est parcourue de petits éclairs. En fait, les éclairs ne sont que des représentations
visibles des défenses des systèmes que je cherche à détruire. Ca y est. J’accède enfin aux logiciels visés. Je les
détruis immédiatement. Je bloque les mécanismes de réparation automatiques. Voilà, c’est fait.
Les services de maintenance en ont pour une bonne heure pour tout remettre en état de marche. D’ici là, on se
sera emparé sans problème de la ville. Facile, elle n’a aucun système de défense particulier. Qui voudrait
s’emparer d’une ville de millionnaires, alors que les pirates de l’espace sont absolument inexistants?
Gutrinkyt, qui a observé mon sabotage lance alors le signal.
A plusieurs kilomètres de là, toute la colonie se met en mouvements. Elle sera sur place dans quelques minutes.
La devançant, plusieurs groupes prennent la direction du garage pour assurer la sécurité de la porte extérieure.
C’est vital pour notre sécurité. C’est le point d’accès le plus important pour accéder à la ville et pour y faire
entrer des armes lourdes.
Pendant ce temps, Natacha et son équipe sont aussi arrivés en ville. Ils empruntent un taxi pour aller dans le hall
où est situé le garage. Ils doivent s’en emparer seuls, de l’intérieur.
Le taxi les dépose dans le hall voulu. Quand ils s’en approchent, ils voient que les portes du sas sont fermées. Il
n’y a personne.
- C’est pas normal, dit Nga Madji. Il faut faire demi tour et tenter une autre approche.
- Oui, a le temps de dire Natacha.
Ils n’ont pas fait dix pas qu’ils se retrouvent tous les trois avec le canon d’un fusil pointé sur leur tempe. Une
patrouille entière rompue aux techniques de camouflage s’était cachée dans le petit hall. Personne ne prononce
un seul mot. Ils sont à peine faits prisonniers que certains soldats se sont déjà remis en position et se sont à
nouveau complètement dissimulés dans le décor.
Avec le bout de son arme, le chef ennemi fait signe à Natacha et aux deux hommes d’avancer en direction du
garage. La porte s’ouvre.
La vision qui s’offre à eux les stupéfait.
Le bâtiment cache une activité si intense que Nga Madji comprend aussitôt que ce sont là les préparatifs d’une
grande bataille. Partout des hommes se pressent pour préparer des jets au combat, en les armant ou en
remplissant leurs réservoirs de gaz liquides, fumant par-ci par-là, en vérifiant les systèmes électroniques ou en
renforçant les logiciels de blindage internet.
Une vingtaine de jets est présente.
Ils sont prêts à bondir vers le ciel étoilé, hostiles. Au fond du garage trône un immense écran sur lequel s’inscrit
l’avancée des vaisseaux des forces terrestres. Tous leurs paramètres de vols sont indiqués. Le bruit des robots
soudeurs, des pompes pour remplir les réservoirs et les cris des mécanos se détachent de ce brouhaha infernal.
Des néons éclairent simplement le garage. Leur lumière blanche froide donne à la scène un aspect surprenant,
irréel. Dans un coin, un néon peine à s’allumer et continue son incessant clignotement. Ailleurs, des éclairs de
soudure se font intermittents. Les fumerolles qui s'en dégagent s’élèvent rapidement vers le plafond pour y être
aspirées par les puissants ventilateurs et disparaître dans les entrelacements des canalisations.
Brusquement, le moteur d’un des jets se met en marche. Le vacarme est assourdissant. L’essai dure quelques
secondes puis s’arrête aussi subitement qu’il avait commencé.
Natacha, Nga Madji et Utamaro sont emmenés vers le chef de cette armée. Encadrés de leur gardes qui ne les
lâchent pas des yeux une seule seconde, ils passent le long de couloirs prévus pour éviter les différents ateliers
du garage et arrivent au niveau d’un bureau. Là, un frisson glacial parcourt le dos de Natacha.
Un écran indique la position de la colonie de Gutrinkyt. Tous les colons s’attendent à prendre la ville par
surprise, mais ils vont se faire descendre avant même d’arriver en vue des sas d’entrée.
Natacha et ses deux compagnons entrent dans le bureau du commandant. Celui-ci est surpris en la voyant.
177
-
Je ne savais pas que Gutrinkyt recrutait des petites françaises maintenant, dit-il avec un large sourire. Je
vous en prie, Mademoiselle Mercury, veuillez vous asseoir, fait-il en lui montrant un fauteuil.
- Qui êtes-vous? demande Natacha d’un ton agressif, surprise de s’entendre appelée par son véritable nom.
- Je suis le père de celui que vous avez tué. Je suis son père biotechnologique. Je suis son concepteur
psychologique.
- De qui parlez-vous?
- Je parle de l’Être Suprême! Je parle de l’Ipsissimus! Je parle de…
- Brand… dit Natacha dans un souffle, écarquillant ses yeux comme si elle pouvait ainsi percer les folles
pensées de son interlocuteur.
- Oui, dit l’homme froidement. C’était l’être le plus exceptionnel! Le plus parfait. Il était le commencement
de l’Homo Superior. La symbiose parfaite de ces êtres de Oméga 623 des Pléiades et des humains. Le seul
être à disposer d’une triple spirale d’ADN! C’était…
- C’était un fou! s’écrie Natacha en colère. Votre création n’était plus contrôlable!
- Tais-toi, ignorante! impose l’homme d’un ton glacial. Ma création était d'autant plus contrôlable que c'est
moi qui l'ai conçu en déchiffrant les informations reçues de fin fond de l'espace! Que je l'ai modelé pour être
parfait! Tellement parfait qu'il savait qu'il était le premier de son espèce dominante! Tellement parfait qu'il
savait déjà qu'il fallait remplacer les hommes tels qu'ils existent aujourd'hui!
Il reprend son souffle, la toise d’un regard mortel pendant quelques secondes et lance sèchement des ordres à
ses gardes:
- Emmenez-les. Ils nous serviront peut-être pour la bataille qui s’annonce. Ensuite, vous les tuerez. Vous en
prendrez l’initiative quand bon vous semblera. Vous êtes responsables de leur mise à mort. Vous en
répondrez sur vos têtes.
Natacha, Nga Madji et Utamaro sont brutalement poussés vers la porte et sont emmenés vers un cachot à
l’extérieur du hall. Le groupe emprunte plusieurs taxis pour accéder à un autre petit hall de la ville touristique.
Fortement surveillés par le commando composé d’une dizaine de soldats, les trois prisonniers marchent depuis
une bonne minute quand soudain des tirs fusent de tous les côtés. Les deux soldats postés de chaque côté de
Natacha s’écroulent sur le sol.
Un troisième tente de réagir. Il n’a que le temps de lever son arme. Pas celui de l’utiliser.
Natacha, Nga Madji et Utamaro réalisent immédiatement ce qui se passe. Natacha s’empare d’une arme.
Utamaro enlace un de ses gardes et l’étouffe. Nga Madji, Maître en karaté de l’école Shotokan, fils spirituel de
Maître Elias, le plus grand maître karaté français du siècle dernier, a des mouvements si rapides que le garde
contre lequel il se bat n’arrive même plus à les suivre. Il ne voit pas plus le coup partir. Un mae-geri l’envoi le
décalquer contre le mur opposé de la rue. Trois côtes enfoncées, un traumatisme crânien, il ne se relève pas.
Je sors de ma cachette. Un des gardes tire au hasard. A bout portant, Natacha lui explose le thorax. De ma
position, j’abats de justesse un garde qui la visait. Gutrinkyt achève le dernier. Le combat n’a pas duré quatre
secondes.
Tous les trois sont suffoqués de nous voir ainsi venir à leur secours.
- J’avais gardé le contact avec toi, dis-je à Natacha. Grâce à la caméra de ton scaphandre, on a pu déterminer
où vous alliez. Et on vous a précédé. CQFD.
- Ils ont toute une armada de jets lunaires dans le garage! dit Natacha fébrilement. Ils sont très fortement
armés. Mais le pire, c’est qu’ils sont en ce moment même en train de suivre l’approche de la colonie et des
troupes françaises!
- J’alerte mes hommes, dit Gutrinkyt.
- Non! lui dis-je.
- Hein?
- Oui, si tu les préviens, on ne pourra plus rien faire pour les sauver. Nos ennemis le sauront et lanceront
l’attaque immédiatement. Ca ne changera rien pour eux. Il faut qu’on les empêche de se faire massacrer
d’ici! Et maintenant!
- Hé l’intello, ça va pas? On est six contre toute une armée!
- Y’a pas le temps de discuter. Chaque seconde compte! Je m’occupe de couper tous les systèmes électriques
de la ville mais surtout ceux du garage. Toi, Gutrinkyt, tu sabotes leurs missiles.
- J’ai compris. Je les fais exploser dès que possible. Il nous faut des terminaux.
- J’ai repéré le centre informatique de l’université pendant que les gardes nous emmenaient, dit Utamaro.
- Allons-y! s’exclame Gutrinkyt qui part déjà au pas de course.
178
-
Pendant que vous faites ça, nous nous préparons à les attaquer directement dans le hall du garage, dit
Natacha. Utamaro, Nga Madji et Resistor, venez avec moi
- Génial, dit Resistor! On va latter une armée à nous quatre! Vous croyez qu’ils vont faire le poids?!
s’exclame-t-il en rigolant.
Et pour lui, tout bas:
- Hé ben, on n’est pas sortis de l’auberge! Et en plus menés par une nana intello pas plus haute que mon
torse…
En moins de trente secondes, nous arrivons au centre informatique. Quelques étudiants sont là. Plusieurs
ordinateurs sont inutilisés. Gutrinkyt et moi commençons aussitôt à chercher le site du garage de la ville. Nous
le trouvons sans problème. Soudain, l’ordinateur de Gutrinkyt explose. Tout le monde est surpris. Une ou deux
étudiantes hurlent de peur. Un des étudiants proteste contre le vacarme. Un autre vient aider Gutrinkyt à se
relever.
- Les salauds! lui dit-il. C’est illégal de faire sauter un ordinateur comme ça. Les lois de Isaac Asimov
doivent être respectées. Je vais t’aider, mec. Moi, c’est Jell-O. Tu t’appelles comment?
- Gutrinkyt. Merci. Tu vas être surpris, mais c’est le hall du garage qui m’a envoyé en l’air comme ça!
- Quoi! T’inquiètes, mon pote. C’est un terrain connu ici. Ca sera réglé en deux coups de cuillère à pot. Tu
veux leur faire quoi pour leur faire payer ce qu’ils t’ont fait?
- Je veux les couper du net et leur enlever l’électricité!
- Ouais, mec! Géant! Trop spatial! dit Jell-O en se connectant sur le site du garage. C’est une véritable
déclaration de guerre que tu leur fais! Ca y est, j’entre dans le site.
Jell-O est soufflé par ce qu’il voit.
- Putain, mec! Tu fais la guerre ou quoi? T’as vu le matos qu’ils ont?!
- C’est pour ça qu’il faut leur couper les vivres, dit Gutrinkyt.
- C’est quoi ce truc là?
- Ce que tu vois, dis-je à Jell-O, c’est la force d’invasion lunaire d’un groupe de fanatique religieux.
- Hein, tu déconnes? Hé les mecs, faut pas m’en vouloir, mais moi je trempe pas dans vos combines. Je veux
bien m’éclater un peu, mais là c’est une autre paire de manches!
Gutrinkyt lui met le canon de son arme sur la tempe:
- Tu marches avec nous ou tu marches plus du tout.
Jell-O est pris d’un violent tremblement. Il a du mal à déglutir.
- Je marche avec vous, arrive-t-il enfin à articuler.
- Ca tombe bien, dit Gutrinkyt qui éloigne le canon du fusil de la tempe de l’étudiant. Parce que tu as quinze
secondes pour couper toute l’électricité du hall du garage.
Jell-O est pris de panique. Ses commandes partent dans tous les sens. Les ordres internet se chevauchent les uns
les autres. Il utilise un petit bot, son familier sur le web pour lui donner un coup de main. Exactement quinze
secondes plus tard, on entend l’alerte générale.
« Attention! Attention! Panne de secteur dans le hall America! Panne de secteur dans le hall America! Que tout
le monde évacue le hall America!… »
Alors que les appels par haut-parleurs continuent, Jell-O coupe l’accès à internet de tous les terminaux repérés
dans le hall du garage. Grâce aux liens internet de chaque ordinateur, il lui est facile de repérer tous ceux qui
sont dans le hall cible et de les déconnecter définitivement du net.
- Ca y est, dit-il. C’est fait.
- Merci mon pote, lui dit Gutrinkyt. Mais je suis désolé pour toi, je vais être obligé de t’endormir pour un
petit bout de temps. On ne peut pas prendre le risque de te laisser comme ça tout seul derrière nous. Tu te
réveilleras demain sans problème.
- Non! a à peine le temps de réagir Jell-O.
Mais c’est trop tard. Le produit court déjà dans ses veines. Il s’écroule comme une masse sur le sol.
Se retournant vers moi, Gutrinkyt dit en rangeant sa seringue:
- Allons prêter main forte aux autres.
Nous sortons en courant de la bibliothèque et les copains de Jell-O se précipitent vers lui pour lui porter
secours. Nous nous précipitons vers le couloir de communication donnant sur le hall America. Gutrinkyt reçoit
un appel de l’extérieur. C’est un simple bip. Pas plus.
179
-
Capitaine Képler est entré, me dit-il. Votre cible est le hall America, fait-il vers son micro. Prévenez ceux
de la colonie qu’ils sont repérés et que chaque seconde compte.
- Reçu, dit simplement Capitaine Képler.
Nous fonçons rejoindre Natacha et ses hommes. L’effet de surprise s’est maintenant dissipé, mais l’effet de
blocage continue. Sans électricité, ils ne peuvent ni dépressuriser le garage, ni ouvrir les portes extérieures.
Chaque seconde ainsi gagnée est vitale pour toute la colonie.
Quand nous arrivons dans le couloir de communication, nous entendons des tirs d’armes à feu et de lasers. Une
bataille fait rage. Nous accélérons. Nous arrivons finalement au niveau de l’entrée du hall America. Nous avons
l’impression d’être dans une boîte de nuit. Des tirs lasers rouges, verts, bleus ou blancs sont accompagnés par
les éclairs jaune orangés des armes à feu.
Nga Madji nous voit arriver.
- On n’arrive pas à passer!
- Si on reste trop longtemps ici, ils vont nous prendre à revers, dit Gutrinkyt. Il faut passer! Des renforts
arrivent.
Nos tirs redoublent d’intensité. Je vois Natacha noyée au milieu des échanges de tirs. Elle est acharnée. Je
regarde les instruments de repérage de ma combinaison. Nous sommes à moins de deux mètres de la surface.
- Fermez tous vos scaphandres! dis-je en avertissement.
Chacun donne son signal dès qu’il ferme hermétiquement sa combinaison. Le dernier vient à peine de me le
donner que je dis à tout le monde de viser au même endroit pour fragiliser le plafond.
Je tire le premier.
Une dizaine de rayons lasers part de partout éclairer le même endroit. La roche en fusion coule sur le sol. Les
ennemis comprennent immédiatement la manœuvre. Certains n’ont pas de scaphandres. Parmi eux, certains
essayent rageusement de nous atteindre. Avec l’énergie du désespoir. Plusieurs tentent de se sauver pour aller
en chercher. Ils se font tirer dessus par leur chef qui refusent de les voir reculer.
- Accrochez-vous au sol! hurle Nga Madji.
Sa phrase résonne encore dans nos oreilles quand soudain, au lieu de tomber, la roche en fusion est happée vers
le haut. Le vent provoqué par l’air qui s’échappe par la fissure est si violent que nous avons du mal à tenir. J’ai
d’énormes difficultés à me maintenir plaqué au sol. Je ne sens plus mes doigts. Je ne tiendrai plus longtemps.
Aussi brutalement qu’il avait commencé, l’ouragan s’arrête.
Un des gardes ennemis qui n’avait pas de combinaison vient d’être happé au plafond et bouche l’ouverture. Ses
hurlements se sont très vite arrêtés. En plus d’avoir la peau brûlée par la roche en fusion, ses poumons viennent
d’éclater dans le vide. Par le dos.
Les tirs reprennent aussitôt. Mais on a gagné du terrain sur le champ de bataille.
- Attention, dit Gutrinkyt. Je connais très bien cette tactique. Je l’ai pratiqué moi-même. Il ont planqué des
snipers. N’avancez pas. Accrochez-vous, je vais envoyer la sauce contre le cadavre au plafond.
Et sans attendre, son laser vient transpercer de toute sa puissance le corps mutilé du garde collé au plafond par
la roche encore brûlante.
L’ouragan reprend instantanément. Surpris, deux gardes sont happés vers le haut. Les hommes de Gutrinkyt les
dégomment comme au tir au pigeon. L’un d’eux va boucher à nouveau le trou. L’autre retombe, mort, sur le
sol.
- Allons-y! hurle Gutrinkyt.
Les tirs ennemis viennent chauffer les rochers derrière nous. Ils sont nettement plus loin qu’au moment de notre
arrivée. A ce moment-là, j’entends un bruit juste derrière moi. Mes cheveux se hérissent sur ma tête. Pris d’un
violent frisson, je me retourne pour tirer quand Resistor arrête mon mouvement.
- Ce sont nos renforts, me dit-il. Fait gaffe à pas les dégommer!
- Merci, lui dis-je simplement.
A l’adresse des hommes derrière nous, Gutrinkyt lance:
- Alors Capitaine Képler! On t’attendait depuis un moment!
- On arrive!
- Vous êtes combien? demande-t-il sans cesser de tirer.
- On est quatre!
- Bon, on fera avec! Les autres sont encore loin?
- Ils seront au niveau des sas d’entrée dans moins d’une minute.
- C’est trop long! s’exclame furieusement Gutrinkyt. Ils vont avoir le temps de dégommer la colonie au
moins dix fois! Ce sont les troupes de choc du BDC! On avance!
180
On arrive finalement aux portes du hall.
Le noir est complet.
Sans nos lunettes infrarouges, on n’y verrait rien. Elles sont équipées d’un système de saturation d’intensité
lumineuse. Ainsi, la lueur des tirs lasers ennemis ne nous aveugle pas. Nous sommes passés maîtres de la
station de taxi. Mais là, les tirs croisés nous arrêtent à nouveau. Le tir de barrage croît en intensité. La fréquence
des tirs est de plus en plus rapide. Partout autour du champ de bataille, les impacts des lasers provoquent des
plaques de roche en fusion qui coulent lentement vers le sol. L’espace noir du hall est zébré dans tous les sens
par des tirs mortellement lumineux. J’aperçois les cibles tantôt bleues, jaunes, vertes, blanches. Les couleurs
changent brusquement et aléatoirement comme si on se trouvait dans un kaléidoscope qui tournait à toute
allure.
Soudain, Utamaro hurle:
- Ils ont des grosses lanternes!
Son avertissement vient trop tard. Bien que caché derrière un rocher, il disparaît dans une grande lueur et une
grande chaleur. Le rocher transpercé subit une variation thermique si brutale et si colossale qu’il explose dans
un fracas terrifiant. Personne n’est touché par les éclats, dont certains traversent les murs des maisons alentours.
Le rayon lumineux de la grosse lanterne n’est pas plus large que celui de nos fusils d’épaule. Mais sa puissance
est incroyablement plus grande. C’est un laser lourd qui peut facilement détruire un satellite depuis le sol. A
cent mètres, les pertes d’énergie sont tellement négligeables que les dégâts sont autrement plus importants!
Là où nous sommes, il ne nous est plus possible de percer la roche jusqu’à la surface où règne le vide absolu.
Non seulement on est bien plus profond que tout à l’heure, mais en plus, les halls habités sont équipés de
protections bien plus importantes.
Quelques petits robots viennent prêter main forte aux soldats ennemis. Il faut être extrêmement vigilant. Ces
petits droïdes de combats rapprochés sont très rapides, furtifs, et très agressifs.
Le cocktail meurtrier idéal.
Derrière nous, les renforts commencent à arriver de façon quasi ininterrompue.
- Les missiles sont là, dit un homme à Gutrinkyt.
- C’est des quoi? demande Gutrinkyt.
- Ce sont des sacs de billes, répond l’homme fluet.
- Bon, ben on va faire avec ce qu’on a sous la main, dit Gutrinkyt. Allumez les grosses lanternes, fait-il en
indiquant d’un mouvement de tête les lourdes stations lasers. Leurs troupes de choc n'ont qu'à bien se tenir !
Celles-ci continuent à faire feu. La tactique qu’on a utilisée au début risque bien de se retourner contre nous.
Encore quelques tirs sur la même paroi et le sol lunaire sera atteint. Même avec un tir presque horizontal,
tellement elles sont puissantes. Et ce ne sera pas un petit trou comme tout à l’heure. Ce sera avec un trou si
grand que la force du vent nous éjectera à la surface de la Lune comme si nous étions des balles de golf! On
partira si haut que même sur la Lune, l’atterrissage sera mortel. Ou alors, on cognera les parois en fusion et nos
scaphandres seront percés par la chaleur.
Ca y est. Le premier missile est programmé.
- Feu! hurle Gutrinkyt.
Le missile se rue vers les défenses ennemies. Il n’a pas parcouru quatre-vingt mètres qu’il est touché en plein
vol par toute une armée de petits droïdes.
L’explosion est titanesque.
La ville tremble jusqu’à son tréfonds.
Une gerbe de feu s’étend sur moins de cinquante mètres.
De là où je suis, je sens violemment la chaleur même à travers ma combinaison spatiale. Des billes d’acier
partent dans tous les sens. Leur densité est incroyablement importante. Le missile a explosé au ras du sol. A
moins de dix mètres de hauteur. Mais c’est suffisant pour faire des dégâts monstrueux. Les billes d’aciers sont
autant de projectiles meurtriers. En fait, on parle de billes, mais avec leur vitesse et la chaleur dégagée par
l’explosion, elles se transforment tout simplement en pointes de flèches. A plus de quatre mille kilomètres
heure elles partent se ficher dans tout ce qu’elles rencontrent. Derrière nos rochers, nous ne sommes pas tous
suffisamment protégés. Plusieurs hommes sont traversés de part en part. L’un d’eux a son bras gauche
déchiqueté. Heureusement pour lui, nous ne sommes pas en anaérobie. L’air ambiant est à pression
181
atmosphérique. Si l’homme est secouru rapidement, il restera en vie. Ensuite, on pourra lui greffer un nouveau
bras. Il ne s’en tire pas à si mauvais compte finalement, si on oublie la douleur qui le fait hurler.
Pour les ennemis, les dégâts ne sont pas aussi importants que si le missile avait percuté la porte blindée du
garage. Les grosses lanternes sont percées comme du beurre. L’une d’elles est parcourue de terribles éclairs.
En moins de trois secondes, sa chambre de confinement magnétique explose, rayonnant une fraction de seconde
dans tout le hall. Ses intenses rayons mortels augmentent le travail du missile. La plupart des drones de combats
sont anéantis. Tous les murs du hall sont perforés de petits trous. La porte du garage ressemble elle aussi a du
gruyère. Tous les ennemis qui étaient présents dans le hall sont soit morts soit hors de combat, très grièvement
blessés.
Le silence qui suit l’explosion de la batterie laser est glacial.
Mais le repos est de courte durée.
Les drones ne sont pas impressionnés pour autant. Ayant comptabilisé leurs pertes, les machines reprennent le
combat et combinent leurs tirs en fonction de la position de leurs congénères, augmentant ainsi leur puissance
destructrice.
Gutrinkyt jette un coup œil au-dessus du rocher qui le protège. Les drones ne sont plus que quatre. Il en vise un
et tire. Il explose aussitôt. Gutrinkyt se jette aussitôt en arrière. Il était temps. De nombreux tirs font éclater de
gros morceaux du rocher. Plusieurs de ses hommes tirent aussi sur les robots. En moins d’une minute, ils sont
tous hors d’état de nuire.
- Il faut s’emparer du garage, dit Gutrinkyt à ses hommes. En avant!
Les effectifs sont maintenant au quasi complet. La colonie qui compose l’armée de Gutrinkyt est maintenant à
l’abri dans l’enceinte de la ville. Il faut croire que l’attaque a perturbé les soldats du BDC présents dans le
garage et qu’ils n’ont pas pu s’occuper de la colonie de Gutrinkyt.
Ou alors, il y a anguille sous roche…
Voire même cachalot sous gravillon!
Les hommes avancent prudemment vers les lourdes portes blindées. L’obscurité est toujours aussi importante.
Si la lumière était revenue, on aurait pu dire que le hall était noir de monde. Près de la moitié des hommes de
Gutrinkyt y est positionnée.
Soudain, la lumière revient.
Notre surprise est complète. Les portes du garage volent en éclat!
Les débris ne sont pas tous tombés, le nuage de poussière est encore en expansion que de très puissants tirs
proviennent de l’intérieur du garage. Les hommes tombent comme des mouches. Les survivants courent dans
tous les sens. Quand tous ont réussi à se mettre à l’abri, on peut compter plus de trente corps joncher le sol.
L’un des hommes est encore en vie. C’est Capitaine Képler! Gutrinkyt l’a vu lui aussi. Nous n’avons pas le
temps de mettre au point un plan de sauvetage. Alors qu’il reprenait ses esprits, il est sublimé par le laser lourd
en des milliards de milliards de particules.
Transformé en nanograins de picopoussière.
Les tirs ennemis redoublent d’intensité. Plusieurs hommes ennemis commencent à sortir. Vêtus de camouflages
optiques, ils ne sont visibles que via les caméras de combinaisons qui sont contraintes d’analyser les variations
de transparence de l’atmosphère dans le hall. Ils subissent immédiatement le feu nourri des hommes de
Gutrinkyt. Pas un seul ne tombe à terre. Leurs réflexes sont extraordinaires. D’après ma caméra, je vois que
l’un d’eux a fait un bond en hauteur de plus de quinze mètres pour éviter les tirs qui lui étaient destinés. En
l’air, il profite de l’instant qui lui est donné pour toucher deux hommes, mortellement. Je suis perturbé par ses
deux tirs. Quand je regarde à nouveau dans sa direction, j’ai perdu sa trace. Nous subissons à présent une
terrible attaque. Les hommes disséminés autour de la place donnant sur l’entrée du garage poussent parfois des
cris, mais la plupart du temps, ils s’écroulent soudain lourdement, sans vie, sur le sol. En moins d’une minute,
les trois quarts des hommes qui n’étaient pas revenus vers le sas des taxis sont morts.
-
-
J’envoie les coordonnées de la position des troupes du BDC aux forces terrestres, dis-je à Gutrinkyt. Si
jamais on y passe tous, ça leur donnera une chance contre eux. Ils ne seront pas surpris par les jets qui les
attaqueront.
Oui, dit Gutrinkyt qui ne détache pas son regard du hall mortellement dangereux.
182
-
Ici le Docteur Yann Dellowski. A quiconque peut m’entendre, j’avertis les forces terriennes qu’une
mainmise du BDC sur la Lune se déroule actuellement. Nous sommes dans la ville de Copernic Bay. Il
semble que ce soit la tête de pont des forces armées du BDC. Elles se préparent à contrevenir à toute
tentative de libération de la Lune. Leur puissance de feu comprend une vingtaine de chasseurs lunaires et
plusieurs grosses lanternes.
A ce moment-là, j’entends un grésillement dans mes récepteurs. Le moniteur de contrôle de ma combinaison se
défocalise et je me retrouve en train de fixer un des étudiants à qui on a eu à faire il y a quelques minutes.
Celui-ci ne me laisse pas le temps de parler.
- Etes-vous réellement le Docteur Yann Dellowski? fait l’étudiant.
- Qui êtes-vous? je lui demande.
- Sa voix correspond à quatre-vingt pour cent! fait une voix à côté de l’étudiant. Il a dû la modifier mais c’est
sa voix, j’en suis sûr.
- Vous êtes le Docteur Yann Dellowski, dit l’autre avec conviction. Ecoutez, nous avons entendu votre
message. Il a été intercepté par vos ennemis que vous appelez le BDC. Ne vous inquiétez pas, on le
retransmet. On dispose de nos propres réseaux de communications étudiants. La Terre va le recevoir.
- Mais qui êtes-vous à la fin!? je continue à lui demander.
- Je m’appelle Dan Houbolt. Une copine qui fait ici sa thèse sociologique sur l’étude du comportement des
groupes d’individus en rapport avec les cataclysmes climatiques a beaucoup étudié vos théories pour ses
recherches. Elle pensait que vous étiez passé de vie à trépas lors du dernier attentat contre vous le 8 juillet
dernier. Sachez que nous sommes avec vous. Nous avons compris la situation. La plupart des étudiants dans
toutes les villes sélènes se préparent à une résistance massive contre le BDC. Ne vous inquiétez pas, nous
avons notre propre réseau informatique planétaire lunaire. Nous l’avons conçu nous même. Ici, le BDC ne
sera pas capable de venir nous y déloger. Nous arrivons pour vous donner un coup de main. Nous savons
comment venir à bout des soldats ninjas camouflés.
- Je vous attends. Nous sommes à…
- A l’entrée du hall America, je sais.
Il coupe la communication. Le moniteur de contrôle de ma combinaison se refocalise sur le hall. Je me tourne
vers Gutrinkyt:
- Je viens d’avoir un message surprenant. Il semblerait qu’on ait le soutien des étudiants Sélènes, lui dis-je.
- Hé ben comme ça on aura l’honneur de ne pas mourir idiots, répond-il narquois.
Il vient à peine d’achever sa phrase qu’il tire en direction d’un mur. Je n’ai absolument rien repéré là-bas, mais
je sais qu’il visait un ninja.
- Les étudiants commencent à se soulever contre la mainmise du BDC dans toutes les villes sélènes. Ils sont
sur le chemin pour nous rejoindre ici. Il faut dire aux hommes de ne pas leur tirer dessus et de les laisser
passer.
- Et qu’est-ce qu’ils veulent faire ici?!
- Ca va t’étonner, mais l’étudiant qui vient de me parler affirme qu’il sait combattre les ombres qui nous
déciment.
- Hum! dit Gutrinkyt soudain bien plus intéressé, trouvant un intérêt nouveau et certain à la venue des
étudiants.
Un autre de ses hommes vient de se faire abattre dans le hall. Son regard s’emplit d’une lueur glaciale.
- Je suis très curieux de voir ça. Et si c’est vrai, les ombres n’ont qu’à bien se tenir.
- Ils sortent l’artillerie lourde! prévient un homme de Gutrinkyt.
- On est vraiment mal barrés. Si tes étudiants ne se ramènent pas fissa, y’aura plus grand monde à sauver ici!
Moins d’une minute plus tard, Dan Houbolt et quelques-uns de ses camarades sont à côté de nous.
- Dans quelle direction approximative sont les ombres, demande-t-il?
- Partout dans le hall, lui répond Gutrinkyt.
- Bon, préparez-vous. Ce truc va dévoiler toutes les ombres à plus de cent mètres à la ronde.
- C’est quoi? lui demande Gutrinkyt.
- C’est un émetteur infrarouge. Les ombres sont munis d’un annihilateur de chaleur. On peut pas les détecter
aux infrarouges. Cet émetteur va irradier dans toutes les directions. Là où les rayons seront absorbés, c’est
là où se trouvent les ombres.
- Bon, tiens-toi prêt. Je donne le signal de départ. Que chaque homme se prépare!
183
- Il faut se dépêcher, lui dis-je. La batterie lourde va tirer dans quelques secondes.
- Feu! hurle Gutrinkyt.
L’émetteur est envoyé en l’air tel une grenade à main. Aussitôt, une trentaine de taches noires mouvantes
apparaissent dans le hall. Jamais je n’ai vu des tirs aussi nourris. En moins de trois secondes, une quinzaine de
soldats de l’ombre sont abattus. Nous continuons à tirer. Mais l’émetteur est pris pour cible par les ennemis.
Quatre tirs lasers le font fondre.
Dan avait prévu le coup. Il en dispose d’une dizaine d’autres. Il en envoie à nouveau deux autres dans le hall.
Les tirs redoublent. Les soldats de l’ombre sont impressionnants par leur agilité. C’est incroyable de les voir se
mouvoir avec de si grandes facilités à des vitesses aussi importantes. Les deux autres émetteurs ne tiennent pas
plus d’une seconde. Mais c’est suffisant pour les hommes de Gutrinkyt pour en descendre sept de plus. Dan en
lance encore deux d’un seul coup. Le temps qu’il les envoie, plusieurs hommes de Gutrinkyt sont évaporés par
les batteries lourdes ennemies qui sont maintenant en position. Les explosions sont très importantes, et trois
autres hommes sont blessés par les éclats.
Dan en relance. Cette fois-ci, les soldats de l’ombre n’ont pas le temps de détruire les deux émetteurs
infrarouges. Les huit derniers soldats sont abattus en un temps record. Le dernier tente de s’échapper, mais un
des hommes de Gutrinkyt, blessé mais encore en vie dans le hall, le voit venir droit sur lui. Il lui tire dessus
alors qu’il s’en trouvait à moins de cinq mètres.
Pendant ce temps, plusieurs hommes de Gutrinkyt ont commencé à tirer sur la batterie lourde. En vain. Son
blindage est trop épais.
- Envoyez un autre missile! crie Gutrinkyt.
Un de ses hommes s’approche. Il met en joue la batterie au centre du champ de bataille. Il tire.
Cette fois-ci, il n’y a plus les drones de guerre pour détruire le missile avant qu’il n’atteigne sa cible. La grosse
lanterne reçoit l’engin de plein fouet. On a l’impression de voir le ciel s’écrouler sur nos têtes. Les billes d’acier
convoyées par le missile balayent un instant l’ensemble du hall. Les portes du garage ne sont plus là pour servir
de protection. La plupart des mécaniciens et des pilotes qui se trouvaient à ce moment-là près des portes sont
tués sur le coup.
Tous les chasseurs lunaires qui se trouvaient dans l’axe des portes sont définitivement détruits. La batterie
ennemie vole en éclats mais son rayonnement magnétique mortellement lumineux ne parcourt pas tout le
volume du hall comme ça avait été le cas précédemment: en fait, les billes d’acier envoyées dans toutes les
directions servent à guider les rayonnements mortels de la batterie qui explose. De nombreux éclairs relient les
billes d’acier les unes entre elles. L’effet est saisissant. Le hall est parcouru pendant une fraction de secondes
d’une multitude d’éclairs bleuâtres formant l’espace d’un instant une gigantesque étoilée électrique composée
de multiples branches. Non seulement les éclairs passent d’une bille à l’autre, mais en plus les billes sont
éjectées à plus de quatre mille kilomètres heure. En une fraction de seconde, l’espace du hall est découpé dans
tous les sens par une infinité de zébrures mortelles. En plus, le rayonnement a perdu beaucoup moins d’énergie
ainsi transporté par les billes. Le bruit de tonnerre qui accompagne la formation de cette étoile sonne aussi fort
que pourraient le faire les trompettes de l’Apocalypse.
Au moment où les billes s’enfoncent dans les murs, le sol et le plafond, les rayonnements ricochent. Plusieurs
hommes de Gutrinkyt sont gravement brûlés. On entend aussi un des chasseurs lunaires qui explose dans le
garage.
C’est l’occasion qu’attendait Gutrinkyt.
- A l’attaque! se met-il à hurler.
C’est le rush.
Tous les hommes se précipitent en avant.
Etudiants et colons se ruent dans le garage.
Les tirs de lasers reprennent dans tous les sens.
Mais la garde rapprochée du BDC n’est plus.
Ce ne sont que les mécanos et les pilotes qui se défendent. Ils reculent. Plusieurs ont déjà tenté de se rendre. Ils
ont été immédiatement abattus par d’autres soldats du BDC derrière eux, complètement fanatisés par les idées
de l’église de l’Edelweiss . On ne se rend pas et on ne fait pas de prisonniers. Tel est leur credo.
Tel un rouleau compresseur, nous continuons à avancer en masse dans le garage.
Plusieurs hommes partent bloquer les portes qui donnent sur l’extérieur: si elles s’ouvrent, ce sera le carnage.
Les colons de Gutrinkyt et les étudiants avancent inéluctablement. Les défenses ennemies perdent de leur
cohérence. Elles sont mises en déroute.
184
Gutrinkyt est pris d’une folie meurtrière. Il abat coup sur coup trois soldats près des commandes
d’autodestruction des systèmes de communication ennemis. Natacha m’impressionne aussi. Partie avec
plusieurs étudiants, elle réussit à faire sept prisonniers qui n'ont pas eu le temps d'être abattus par les fanatiques.
Elle me voit au loin alors que je tire sur un soldat qui mettait Gutrinkyt en joue. Elle court vers moi.
- Vient avec moi. Le père de Brand est ici! Il faut le neutraliser.
Elle fait signe à Nga Madji de venir avec nous. L’homme est toujours aussi impressionnant. D’un atemi, il vient
d’envoyer un soldat ad patres. Nous partons tous les trois en direction des bureaux au fond du garage. Nga
Madji reconnaît les lieux et connaît aussi le personnage. Quand il court à côté de moi, je sens le sol qui tremble.
De loin, Natacha voit le chef des ennemis. Il nous voit au même moment.
Nos regards se croisent.
Un frisson glacial me parcourt le dos. Je reconnais dans son regard la même cruauté que celle qui animait
Brand.
Il nous tire dessus instinctivement. On plonge tous les trois à terre. A couvert derrière un chasseur, j’ai juste le
temps d’abattre un soldat qui nous prenait pour cible. Natacha tente de tirer vers l’homme au regard bestial. Elle
le touche à la jambe. Il bronche à peine. Elle en est si impressionnée qu’elle ne voit pas qu’il lui tire dessus.
Elle manque de justesse de perdre sa main droite.
Si on ne peut pas lui tirer dessus directement avec nos armes de poing, alors autant le faire avec du gros
matériel. Nga Madji commence à faire pivoter le jet derrière lequel nous avons pris position. Arc-bouté contre
l’engin volant qui a une masse de plus de trois tonnes, il pousse de toutes ses forces. L’appareil commence à
bouger légèrement. Je me lève et lui donne un coup de main. Le chasseur est bientôt dans l’axe pour désintégrer
le chef des ennemis. Il ne peut pas sortir de sa cachette à cause des tirs qui se font de plus en plus denses autour
de lui.
- Rendez-vous! je lui hurle.
- Le BDC a jugé! aboie-t-il en nous tirant dessus.
Je monte rapidement dans le chasseur pendant que Natacha et Nga Madji me couvrent. J’évite plusieurs tirs qui
viennent de l’arrière de nos positions. Les deux soldats qui m’ont pris pour cible n’ont pas le temps de tirer plus
longtemps. Ils sont faits prisonniers sur-le-champ par plusieurs étudiants.
Je mets le chasseur sous tension. Je repère le chef du BDC devant moi. Il est en train d’arroser copieusement le
jet de ses tirs lasers. Je vois que les détecteurs d’avaries de l’appareil sont de plus en plus nombreux à
s’allumer. Si j’attends plus longtemps, je ne pourrai même plus tirer. Je presse sur la détente. Un rayon
monochrome rouge d’une intensité impressionnante part vers le chef du BDC.
Il est vaporisé instantanément.
Moins de dix secondes plus tard, nous sommes devenus les maîtres des lieux.
- Halte au feu! crie Gutrinkyt.
Le calme revient soudainement. De nombreuses volutes de fumées montent vers les systèmes d’aération de la
ville. Soudain, des éclats de joie parviennent de toutes parts.
- Yeepee! On a gagné! On les a eut!
Les colons de Gutrinkyt et les étudiants se congratulent, s’embrassent et sautent dans tous les sens.
Tout le monde danse et chante un peu partout.
Les gens partent défiler dans toutes les rues de la ville. Les habitants commencent à venir dans le hall America.
Je me dirige vers les systèmes de communication du BDC.
Partout, je vois venir des rapports qui disent que la situation devient de plus en plus critique.
Critique pour le BDC.
A certains endroits, les systèmes sont déjà détruits. Je lance l’ordre de reddition immédiate et sans condition
aux troupes du BDC. Voyant l’ordre venir du centre névralgique de commande lunaire, ils stoppent tous les
combats et se rendent aux étudiants face auxquels ils n’avaient pas prévu de combattre. Certains se suicident.
Seuls deux irréductibles tentent de tirer dans la foule. Ils se font lyncher immédiatement. Voir débouler partout
plusieurs centaines de personnes pour les attaquer aussi subitement et aussi massivement les a complètement
surpris et déstabilisés.
Ils se préparaient à une attaque du ciel, de la Terre.
L’attaque est bien venue, mais du sol, de la Lune elle-même.
Je me mets enfin en contact avec les troupes terrestres qui arrivent nous prêter main forte.
- Allô. Ici le Docteur Dellowsky. Je veux parler au chef des troupes internationales de libération de la Lune.
185
-
Allô, ici le Major Grilley. Que se passe-t-il?
Je suis le Docteur Dellowsky. Les forces d’occupation du BDC ont été anéanties. Leur QG se trouvait à
Copernic Bay. Les étudiants Sélènes se sont joints à nous et nous avons gagné. La reddition des forces du
BDC est complète et sans condition.
- Vous avez gagné?!…
Je n’entends plus rien pendant quelques secondes. Le Major Grilley réapparaît à l’écran et dit, menaçant:
- Je suis le commandant des forces internationales. Je vois que vous vous êtes emparés du Docteur
Dellowsky. Vous ne m’aurez pas avec vos subterfuges. Attention. Vous ne faites que reculer pour mieux
sauter. Rendez-vous avant de subir l’assaut de nos forces.
Je suis complètement interloqué et j’ai du mal à comprendre. Je lui réponds néanmoins:
- Mais puisque je vous dis que tout est rentré dans l’ordre sur la Lune et que les forces du BDC qui ne se sont
pas rendues ont été anéanties!
- C’est ça, c’est ça! On ne la fait pas à un vieux baroudeur comme moi. Sachez que…
Je coupe la communication. Inutile de perdre mon temps avec cet homme obtus. Je me mets en contact
directement avec le chef de cabinet Fillaume.
- Vous?! s’exclame-t-il en me voyant. Je vous envoie une protection rapprochée. Le BDC est trop présent sur
la Lune.
- Je vous appelle de Copernic Bay pour vous dire que nous avons la situation bien en main.
- Comment ca?! Vous savez que le BDC a toute une armée sur la Lune?!
- Avait une armée… je lui corrige.
- Comment avez-vous fait? Vous êtes sûrs de ce que vous dites?!
- Un ami est venu sur la Lune en cachette avec d’autres amis…
- Hein?!
- … Et les étudiants sélènes se sont ralliés à nous. Le BDC est maintenant neutralisé dans toutes les villes
Sélènes.
- Et les bases militaires?
- Il y a eu des mutineries qui les ont ramenées dans le droit chemin, dis-je.
Le chef de cabinet a du mal à cacher son émotion.
- Génial! Super! Spatial! Géant! Mortel! Je kiffe à donf.
Il ne tient plus en place, engoncé comme il est dans son fauteuil.
- Avant toutes choses, pouvez-vous dire au Major Grilley des forces internationales qui arrivent en ce
moment que c’est pas grave si la cavalerie arrive en retard, mais il ne faut surtout pas qu’ils tirent sur tout ce
qui bouge!
- Oui, bien sûr! Je raccroche. Félicitations encore! ai-je le temps d’entendre avant que la communication ne
s’interrompe.
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19- Révélations
Mardi 3 août 2066, 10h00 Temps Universel
Les troupes internationales sont arrivées il y a quelques heures.
Toute la petite planète est en liesse.
La nouvelle des événements qui viennent de se dérouler ici fait sur Terre l’effet d’une bombe.
Partout les locaux et les biens du BDC sont détruits par des foules en colère ou bien sont saisis par les
gouvernements locaux. Plusieurs hauts responsables de ce groupe financier aux ramifications incroyables sont
pris à parti par des foules déchaînées et sont lynchés ou lapidés. D’autres sont assassinés via le web. Faire
sauter les circuits électroniques était une spécialité obscure de ce groupe. Maintenant, ce sont eux qui en sont
les victimes. Tous les soutiens de ce groupe financier spécialisé dans les diamants dont il était de bon ton de
faire partie se désolidarisent en quelques minutes.
En moins d’une heure, le BDC est rayé des cartes économiques et politiques des deux planètes. Cette puissante
pieuvre génératrice de pouvoirs et d’ambitions est littéralement désintégrée.
Anéantie.
Evaporée.
Toutes les actions boursières de l’immense groupe international chutent de manière si vertigineuse qu’un effet
de boule de neige commence à se faire sentir sur toutes les places boursières. Immédiatement, plusieurs
décident de stopper momentanément les cotations pour éviter un crack économique mondial.
Pour ce qu’il en est de la secte religieuse que Brand et son père avaient voulu mettre en place, l’Eglise de
l’Edelweiss, le résultat est encore plus radical. Partout sur la Terre et sur la Lune, ses membres se font sauter.
Les presbytères, églises et autres lieux de cultes explosent et flambent un peu partout. La secte était en fait
beaucoup plus grande que ce qu’il n’en paraissait. Elle disposait même d’une armée secrète, l’armée des soldats
de l’ombre. Tous disparaissent pour de bon.
La victoire est totale. A bord du paquebot interplanétaire Moon Titanic, Juarez arrive finalement,
tranquillement, sur la station orbitale Reagan. Une délégation officielle le reçoit. Hors de question de le laisser
être interviewé par les journalistes avant de savoir exactement ce qui s’est passé. Et ensuite, on lui dira ce qu’il
a le droit de dire et ce qu’il doit garder absolument secret. On l’invite à monter dans un véhicule discret et il est
emmené à toute vitesse rencontrer le groupe de contact représentant les plus hautes autorités et instances
internationales.
Sur la Lune, plusieurs hauts responsables sont sur le chemin pour venir à notre rencontre. Ils ne sont pas encore
arrivés.
Je profite de ces derniers quelques instants pour aller voir Dan Houbolt, accompagné de Natacha.
Il est entouré par de nombreux autres étudiants, en visioconférence avec de nombreux étudiants terriens. Quand
il nous voit arriver, il nous accueille chaleureusement.
- J’ai une révélation de la plus haute importance à faire, lui dis-je.
Le silence se fait presque immédiatement.
- Pour cela, je dois prendre contact avec un de mes amis sur Terre. Nous voulons faire une déclaration
commune.
- Tiens, me dit Dan. Prends mon ordinateur.
- Merci.
Je me connecte rapidement sur celui de Juarez qui attend mon signal sur Terre. Là, c’est quelqu’un d’autre qui
me répond:
- Monsieur Setupp ne peut pas vous répondre pour l’instant, Docteur Dellowski. Quel message dois-je lui
transmettre?
Je comprends qu’il ne m’est pas possible de l’attendre. Sinon, je cours le risque de voir cette nouvelle étouffée
par les autorités internationales. Je réponds alors au bonhomme sur l’écran:
- Dites-lui seulement les deux mots suivants: Oméga 623.
- Oméga 623? répond l’autre interloqué.
187
- C’est ça. Merci.
Je coupe la communication et je me connecte au site d’AVALON.
- Bonjour, dis-je au Docteur Doris Warflemann. Je vais annoncer la découverte. Pouvez-vous rester
connectée?
- Pas de problème, me répond-elle. J’ai pas mal de résultats aussi.
- Parfait, dis-je en me connectant aux deux sites de CNN international et du Moon Herald Tribune.
Je m’adresse alors à Dan et lui dis en me laissant enregistrer par les deux sites web:
- Le BDC voulait masquer la plus grande découverte de tous les temps.
De nombreuses personnes curieuses se rapprochent.
Le silence est impressionnant.
Une civilisation extraterrestre a été découverte à trois secondes d’arcs de distance au sud sud-est d’Oméga
623 des Pléiades.
Chacun retient son souffle. Ils ont du mal à réaliser ce que je viens de dire.
-
-
Nous l’avons découverte grâce au radiotélescope Sélène. Celui-là même qui a échappé partiellement à la
destruction totale orchestrée par le BDC. Nous ne savons pas encore à quoi ressemblent ces êtres, mais une
association de scientifiques qui était poursuivie par le BDC peut certainement en dire plus long sur eux
maintenant. Je vous passe le Docteur Doris Warflemann de l’association AVALON.
Nous n’avons pas encore découvert à quoi ils ressemblent, mais vous pouvez essayer de décrypter leurs
émissions. Pour cela, branchez-vous sur le rayonnement 3K. Vous capterez d’un seul coup toutes leurs
émissions. C’est un véritable capharnaüm d’émissions. Imaginez: C’est comme si vous receviez toutes les
émissions radios, télé, transmissions internet, téléphone et autres communications et signaux terrestres d’un
seul coup. A cela, il faut ajouter le fait que ces émissions peuvent s’interrompre, peuvent interférer les unes
entre elles et peuvent s’atténuer et disparaître à cause du mouvement de rotation de la planète sur ellemême.
Nous avons déjà passé au crible tous les systèmes de codage qui sont utilisés ou qui ont été utilisé sur Terre.
Pour l’instant, nous avançons dans le filtrage des émissions entremêlées les unes aux autres mais nous
n’avons obtenu aucun résultat probant de décryptage de leurs signaux. Ce que nous savons cependant, c’est
que nous aurons les premiers résultats en nous focalisant sur des plages de longueurs d’ondes très réduites
et en ne conservant pour l’instant que les plus puissants signaux. En essayant de garder une cohérence des
réceptions, on va pouvoir séparer très rapidement les signaux un à un. Ensuite, le décodage ne sera plus
qu’une affaire de patience en laissant faire les logiciels de traduction et de décryptage.
Le Docteur s’interrompt soudain.
- Attendez une seconde…
Son image disparaît quelques instants. Quand elle réapparaît, on voit qu’elle a du mal à contenir son émotion.
Une larme perle au coin de son œil droit. Elle roule sur sa joue. Ses gestes sont fébriles. Elle a du mal à parler.
Elle ne prend pas le temps de respirer profondément et cherche à parler. Elle s’assoit lourdement sur sa chaise.
Son visage défiguré disparaît de l’écran et une animation apparaît à sa place.
Il n’y a pas de son.
L’image est d’assez mauvaise qualité.
On y perçoit des mélanges de couleurs.
-
Ce n’est pas un remake de la conclusion de « 2001: L’Odyssée de l’Espace », mais nous contemplons un
kaléidoscope de couleurs et de lumières remarquable. Les formes bougent dans tous les sens. J’ai l’impression
qu’il s’agit d’un manque de netteté. Sur mon ordinateur, je lance un programme d’extrapolation et
d’interprétation des images. La netteté semble se parfaire. Les images prennent plus de contraste, plus d’éclat.
On commence à voir un plan d’ensemble. Le ciel prend des teintes plutôt verdâtres. Le plan est relativement
bizarre. Le ciel occupe les trois-quarts de l’image. Ca y est. L’image est nette. Ce qu’on voit est effectivement
le ciel. Une forme impressionnante passe devant et reste visible quelques instants. On y voit une sorte de
gigantesque amibe. Sa couleur est opaque et changeante. Son éclat aussi. Elle est pourvue d’un système pileux
par endroits. La scène qui se passe devant notre écran est extraordinaire. L’amibe se transforme en un être gris
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brun qui dispose d’un long bras duquel apparaît une série de cavités. Elle semble émettre des sons. On ne reçoit
pour le moment que l’image, mais on peut voir qu’elle ondule sous les modulations qu’elle émet.
Ici, tout le monde retient son souffle en regardant les images. Natacha pleure de joie en serrant ma main de
toutes ses forces. Tout le monde est bouleversé par cette découverte de vie extraterrestre, la première dans
l’histoire de l’humanité.
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Epilogue
Jeudi 7 avril 2067, Temps Universel 13h12.
Je me balade tranquillement dans le hall du tout nouveau Ministère des Connaissances Extraterrestres à Paris.
L’architecture est assez moche, mais elle se veut être une copie conforme du premier bâtiment dont on a reçu
les images en provenance de Oméga 623. Heureusement que la Bibliothèque de France masque un peu cette
construction un peu hideuse.
La société a radicalement changé depuis que nous avons enfin eu la preuve que nous ne sommes plus seuls dans
l’Univers. Bon, d’accord, ils sont trop loin pour qu’on puisse leur envoyer un quelconque message et en avoir la
réponse de notre vivant. Et même si de nombreuses personnes s’y sont essayées, il est même possible que la
civilisation dont on reçoit des images aie disparu à l’heure actuelle.
Cette planète est située à trois cent soixante dix-huit années lumières. Ce qui veut dire que les images qu’on
reçoit en ce moment ont été envoyées il y a trois cent soixante dix-huit ans. Ce qui veut dire aussi que les
signaux qu’on envoie en ce moment seront reçus dans trois cent soixante dix-huit ans.
C’est vraiment impressionnant de voir comment la société a évolué depuis le mois de juillet dernier.
L’expansion vers les étoiles était bien avancée, mais même si ce n’est plus du tout comparable à tous ces projets
qui sont en cours d’élaboration, il y avait de très nombreux problèmes. Ne serait-ce qu’au niveau des
orientations philosophiques majeures de notre temps. Avant, c’était Le Tout Technologique. Maintenant, la
fusion de la technologie et des connaissances spirituelles, des langues, de l’analyse des points majeurs de nos
cultures en mettant en lumière les personnalités des différentes civilisations permet de comprendre les
évolutions générales de l’humanité aussi loin dans l’histoire qu’il nous est possible de remonter.
Maintenant, tous les gouvernements, tous les grands groupes économiques se ruent sur les philosophes, sur les
psychologues et sur les linguistes. C’est à celui qui aura découvert le premier telle invention technologique et
aura su l’interpréter, l’appliquer et la reproduire. C’est à celui qui aura découvert le premier comment traduire
telle ou telle langue pour accéder et comprendre la spiritualité de tel ou tel groupe sur Oméga 623. C’est à celui
qui aura découvert le dernier tube musical en vogue à l’autre bout de l’espace.
La concurrence est effrénée. Tous les gouvernements laissent faire. La préoccupation est si importante vis-à-vis
de l’analyse des données de Oméga 623 que quelqu’un profite allègrement de la situation sur la Lune. Un
nouveau Gouverneur, appelé Gutrinkyt, appuyé par la plupart des étudiants Sélènes, vient de créer le premier
parti politique indépendantiste lunaire.
Les hommes politiques sur Terre lui laissent presque totalement les coudées franches. Ce n’est pas leur
préoccupation première et le dossier Lune reste au fin fond de la pile des sujets sensibles à traiter.
Sur Terre, la course est tellement importante que la main d’œuvre manque terriblement et c’est la guerre
ouverte pour faire venir telle ou telle personne.
Le continent Africain est particulièrement courtisé.
Les croyances, cultures, traditions, religions, superstitions et manières de vivre africaines lui donnent un atout
incomparable pour éclairer d’une nouvelle lumière les émissions, informations et autres messages reçus du ciel.
L’Afrique est déjà appelée le « Continent Philosophe ».
On sait déjà que sur Oméga 623 on ne nomme pas les choses. Mais c’est une philosophie que l’on pourrait
qualifier d’événementielle. On ne s’attache pas aux objets mais aux événements. Du coup, tout ce qui est
qualificatifs, représentations temporelles ou tout simplement manière de voir les choses devient
compréhensible. Même les algorithmes scientifiques prennent un sens nouveau. De nouvelles directions et de
nouveaux concepts apparaissent. La compréhension de ce monde nouveau accapare toute la planète.
Juarez s’est maintenant acheté un ranch de chevaux en Alaska, près du Yukon. Quant à Natacha et moi nous
sommes réellement mariés depuis. Nous n’avons pas eu l’occasion de retourner sur la Lune. Tous les jours,
nous avons des conférences scientifiques, des conférences de presse, des forums à animer sur le web et des
interviews à donner, des avis à donner sur telle ou telle découverte…
J’ai retrouvé ma vie de scientifique telle que je l’avais laissée, avec quelques évolutions.
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Je suis maintenant chef de cabinet au Ministère Français des Connaissances Extraterrestres, chargé de la
compréhension de la philosophie des concepts dits mathématiques, même si cette qualification n’a aucun sens
pour Oméga 623.
J’arrive à la porte du bâtiment.
Natacha m’y attend en voiture.
Je n’ai pas terminé de fermer la portière qu’elle fait démarrer la voiture électrique.
- Oh là! lui dis-je.
- Oups! fait-elle avec un sourire. Mais tu sais, je suis tellement impatiente d’y arriver!
- Pour ça, il faut au moins arriver en vie! lui dis-je pour la taquiner. On a combien de route à faire?
- Dans moins de trente cinq minutes on sera arrivés à l’aérodrome.
La voiture émet le même bruit que le ferait un cheval avec ses sabots sur la route. C’est une voiture électrique
silencieuse. Le problème d’ailleurs, c’est qu’elle est complètement silencieuse.
Ainsi, pour qu’on l’entende, elle émet un bruit de sabots.
La voiture accélère et c’est dans une succession de zigzags digne d’une course poursuite que nous arrivons près
de la piste où nous attend un petit avion.
Nous descendons rapidement de la voiture, et pendant que nous courrons vers l’avion qui nous attend, la voiture
va se garer automatiquement dans le parking à proximité.
Là, le Docteur Doris Warflemann nous attend.
- Vous avez un peu de retard! Il faut vous dépêcher!
- Merci pour tout Docteur, lui dis-je.
- C’est moi qui vous remercie. Je vous devais bien ça. Allez! Dépêchez-vous!
Nous montons dans le petit Cesna automatique qui décolle immédiatement.
- Combien de temps leur faudra-t-il pour se rendre compte que tu as disparu? me demande Natacha.
- C’est la pause du déjeuner. Normalement, on dispose encore de quelques minutes.
- C’est court! On sera sur la côte Atlantique dans une bonne heure. Reste caché.
- J’espère que tout est prêt, dis-je.
- Tu verras, ça sera génial!
Nous arrivons finalement au-dessus du petit port de La Flotte de l’île de Ré. Le petit Cesna atterri sauvagement
dans un champ alors que la radio tente d’obtenir une réponse de notre part.
- Allô! Allô! M’entendez-vous? Avez-vous des problèmes avec votre appareil? Nous vous envoyons des
secours!
Nous ne répondons pas aux appels. Nous sortons de l’appareil alors que Juarez surgit de derrière un buisson.
- Allons-y! Tout est prêt pour le décollage! Il ne manque plus que vous!
- Où est le jet? je lui demande.
- Il est devant toi. Mais on l’a recouvert d’un plastique de camouflage. Attention à ne pas vous cogner la tête!
Et bonne chance! Ne vous en faites pas, je vais les occuper un bon petit moment dans le ciel! nous crie-t-il
alors qu’il prend notre place dans le Cesna et décolle aussitôt.
Nous nous glissons rapidement mais précautionneusement sous la grande bâche de camouflage.
Le jet spatial est splendide.
- On peut rejoindre Mars avec un truc pareil! dis-je avec fierté à Natacha.
- Oui, répond-elle. C’est le tout dernier modèle. On sera sur la Lune en moins de deux jours!
- Tu le mets sous tension et j’enlève la bâche à ton signal!
Alors que j’attends son signal, je me baisse et prends une poignée de terre sablonneuse. Souvenir de la Terre.
On ne reviendra que dans quelques temps.
- Vas-y! me dit Natacha en me sortant de ma rêverie.
Je tire la bâche.
Elle glisse rapidement le long de la coque du superbe appareil.
L'engin blanc renvoie fièrement les rayons du soleil. Sa pointe effilée qui devance le cockpit… Le cockpit
profilé qui s'arrondira dans l'espace pour augmenter considérablement la vue au pilote…
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Les moteurs… Quels moteurs!… Sous des ailes étroites mais de moins de sept mètres d'envergure…
L'engin est aussi gros que la fusée Soyouz que nous avions empruntée.
Je roule la bâche de camouflage et la range rapidement dans le jet.
Je m’installe au poste du copilote. Je termine de m’harnacher à mon siège. Nous sommes fin prêts.
- Vas-y! lui dis-je.
- C’est parti! s'exclame Natacha
L’engin se met légèrement en lévitation juste au-dessus de la canopée. La cime des arbres n’est pas à plus de
trois mètres sous l’appareil. Celui-ci commence à prendre une vitesse quasi-horizontale impressionnante. Nous
sommes à moins de deux cent mètres d’altitude quand l’appareil se met à pointer directement vers le ciel. Nous
sommes collés à nos sièges pendant quelques secondes, le temps qu’il faut à l’appareil pour achever son virage.
Dans le petit Cesna automatique, Juarez est ramené automatiquement à distance par le contrôle aérien. Il nous
voit passer au loin et quelques instants plus tard il perçoit le roulement de tonnerre des moteurs fusées de notre
jet. Tels une étoile filante, nous disparaissons de sa vue puis quelques instants plus tard de son radar.
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