SCRE95 F1 M1 - Revue des sciences sociales
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SCRE95 F1 M1 - Revue des sciences sociales
ALAIN ERCKER La fidélité dans l’acculturation: les Amérindiens ”Vous pensiez que John Wayne nous avait tous tués; eh bien vous vous trompiez !” Russel Means, Sioux Oglala, 1981*. Grande Montagne deviendra petit(e)... D ialogue entre Randle McMurphy et Grand Chef. «Je suis trop petit. Avant, j’étais grand. Mais plus maintenant. Toi, tu es deux fois comme moi. [...]». «Papa était un chef reconnu. Il s’appelait Tee Ah Millatoona. Cela veut dire: LePin-Le-Plus-Haut-Qui-Se-Dresse-Sur-LaMontagne, et il n’y avait pas de montagne là où on habitait. Il était vraiment grand quand j’étais gosse. Mais mère était deux fois grande comme lui. - Eh bien, ce devait être un drôle de morceau, ta vieille. Elle était grande comment? - Oh !... elle était grande... grande. - Je veux dire... en centimètres? - En centimètres? A la foire, il y a eu un type qui a dit qu’elle mesurait un mètre soixante-douze et qu’elle pesait cinquanteneuf kilos. Mais elle grandissait tout le temps». [...] «Le Système. Il s’est acharné après lui pendant des années. Papa était assez fort pour résister un moment. Le Système voulait que nous habitions dans des maisons réglementaires. Il voulait s’approprier la cataracte. Même dans la tribu, il était présent». [...] «Le Système avait gagné: il bat tout le monde. Toi aussi, il te battra. Il n’était pas question pour lui de laisser quelqu’un d’aussi grand que papa se balader en liberté. C’est évident». [...] «A la fin, c’était plus rien qu’un vieil ivrogne, papa» [...]. «La dernière fois que je l’ai vu, c’était dans les cèdres, il était tellement soûl qu’il ne voyait plus clair. Quand il portait le goulot à la bouche, ce n’était pas lui qui buvait à la bouteille: c’était la bouteille qui le buvait. Il s’était ratatiné, il était devenu jaune. Même les chiens ne le reconnaissaient plus. On a dû le transporter à Portland pour y mourir. Je ne dis pas que ce sont des assassins. Ils ne l’ont pas tué. Non. Ils lui ont fait autre chose» (Kesey, 1986, pp. 278-281). Voyage au centre de l’être Alain ERCKER Laboratoire de Sociologie de la Culture Européenne Institut d’Ethnologie Le «Cowboy» et «l’Indien» : Jack Nicholson et Will Sampson dans “Vol au dessus d’un nid de coucou”, Milos Forman, 1975 © les Indiens et le cinéma Ed. les trois cailloux, 1989 Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22 100 Ce dialogue à la limite du surréalisme, davantage monologue, extrait du roman de Ken Kesey, Vol au-dessus d’un nid de coucou, pose sur le ton romanesque et métaphorique, la question des rapports entre deux systèmes de valeurs: les valeurs américaines confrontées à la philosophie amérindienne. L’oeuvre littéraire emprunte son style aux relations de voyage, écrit “à la manière de...”, pastiche des récits qui fleurirent à partir du XVIe siècle, avec la nuance, qu’il s’agit ici d’un voyage de découverte à l’intérieur du monde occidental, dans un asile psychiatrique. Ce monde prétendument autre, absolument opposé, se révèle étrangement proche du monde réel. Il est son pendant exact, sa réplique parfaite, l’autre côté du miroir. Le récit, à l’image du lieu où se déroule l’histoire, est constamment en décalage, en marge. Le roman est tout à la fois récit et monologue de l’Amérindien; monologue intérieur où le héros ne s’adresse qu’à luimême, figure de style qui fait du lecteur le personnage principal, qui s’identifie au personnage et vit cette expérience en même temps que le héros(1). Ce voyage doublement intérieur nous projette dans une géographie simultanément corporelle et imaginaire(2). A la suite de Grand Chef, nous plongeons au coeur de la société occidentale comme à l’intérieur de nous-mêmes. Par le truchement du voyage intérieur, nous explorons notre propre société. L’auteur, blanc, relate notamment, à travers la relation de son héros amérindien, - à l’inverse du film homonyme dont le personnage central est McMurphy, le Blanc la politique d’assimilation à l’oeuvre aux États-Unis. L’image de ce père qui rapetisse peu à peu, se ratatine pour finalement s’abîmer et sans doute s’évader dans l’alcool, celle de son fils qui se referme sur luimême, s’entoure d’un mur de silence, autiste volontaire, pour se protéger de l’intrusion externe, dessinent avec pudeur les méfaits de ce système dont l’Amérindien reconnaît la froide efficacité. “Eux”, - ce “Système” avec majuscule, réification qui insiste sur l’aspect institutionnel, officiel et craint -, désigne le monde extérieur aux Amérindiens, celui des Blancs et évoque au second plan le processus d’acculturation subi par les Amérindiens. La rencontre entre le Blanc et l’Amérindien dont serait issu l’Américain, se trouve ainsi transposée de façon exemplaire des vastes plaines de l’Ouest, - chères à James Fenimore Cooper, père fondateur de la mythologie américaine(3) -, aux murs d’un asile. Cette rencontre, à travers le processus d’acculturation, traduit enfin la question de Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22 101 l’ambiguïté de la relation de fidélité/infidélité. Question de définitions Michel Perrin et Michel Panoff relèvent dans le terme d’acculturation «les phénomènes qui résultent de contacts directs et prolongés entre deux cultures différentes et qui sont caractérisés par la modification ou la transformation de l’un ou des deux types culturels en présence» (1973, pp. 11-12); J.F. Baré (1991, pp 1-3) y discerne «les processus complexes de contact culturel au travers desquels des sociétés ou des groupes sociaux assimilent ou se voient imposer des traits ou des ensembles de traits provenant d’autres sociétés» (1991, p. 1). En confondant l’aspect culturel à son explication technologique, la cause avec la conséquence, la définition de Panoff et Perrin inscrit de fait cette notion dans l’idéologie qui condamnait au XIXe siècle déjà les Amérindiens au nom de leur “Destinée Manifeste” à disparaître sous les “avancées” de la civilisation. Plaçant d’office l’acculturation dans une optique occidentale, opérant un glissement de terme à terme, la dimension culturelle de la rencontre, limitée à sa seule expression techniciste, est ainsi occultée, légitimant la pratique coloniale occidentale, la justifiant aux yeux de l’histoire. Partant d’une base antinomique, J. F. Baré tombe pourtant dans les travers de l’analyse précédente. En réduisant les contacts culturels à un simple changement (p. 2), l’auteur banalise en même temps les situations coloniales qui sont autant de contacts - forcés - entre deux cultures, l’acculturation devenant sous sa plume un changement logique, inhérent au développement culturel, répondant à une définition mécanique. Au demeurant, la volonté commune des auteurs semble d’évacuer de leur définition, toute référence au processus colonial. La Au lieu de rendre compte de cette diversité, de l’ingéniosité et de la créativité humaines, l’acculturation rapporte au contraire les traits culturels exogènes à un usage unique, ne souffre pas d’alternative. Dans une définition qui apparaît comme le produit d’une idéologie, deux processus aux conséquences opposées s’amalgament, l’emprunt volontaire se pose au même plan que l’apport imposé, assimilant une situation volontariste à un contexte de rapport de force inégalitaire, dédouanant l’impact du procès colonial, confondant dialogue avec monologue. Génocide - ethnocide suicide Jeune danseur se reposant entre deux danses, pow wow de l’île Manitoulin, Ontario (Canada) © Photo Alain Ercker, juillet 1993 question d’une situation parfois conflictuelle est certes abordée, pour être confondue dans les termes, évoquant un «contact culturel particulier» (Perrin, Panoff), ou préférant des «influences “extérieures”» (J.-F. Baré). Là où les deux premiers péchent par optimisme, le second faute par omission. Sachant «qu’aucun élément d’un système culturel “source” - emprunté ou imposé - n’est reproduit à l’identique une fois transplanté dans une autre culture» (Baré, p. 2), la technologie ne saurait être un outil de comparaison fiable qu’à hauteur de sa diversité d’utilisation. Car emprunter signifie aussi “marquer de son empreinte” un trait culturel étranger qui cesse dès lors de l’être. On le marque pour signifier son acquisition, comme on marque le bétail dont on est propriétaire. Cette marque est signe de changement de propriétaire comme de nature. Même si elle peut être infime, parfois difficilement discernable. Loin de sa définition de contact culturel à emprunts réciproques, la pratique d’acculturation(4) sous-entend au contraire la diffusion, l’apprentissage d’un mode de vie au détriment d’un autre, signifie non pas accumulation mais perte, victoire de l’uniformisation sur la diversité culturelle, prend dès lors la dimension d’une déculturation; où l’échec du génocide appelle la destruction de la culture par l’ethnocide. Le terme est exogène, l’altérité admise dans la ressemblance, non dans sa spécificité culturelle. L’acculturation est à sens unique parce qu’elle masque une politique ethnocidaire. Elle ignore les résistances, méconnaît la réciprocité et les facultés d’adaptation des sociétés traditionnelles(5), contemple la réalité en borgne, en cyclope culturel. Les Occidentaux n’ont pas l’exclusivité de l’ethnocentrisme. La découverte est toujours réciproque, l’interrogation, l’étonnement, l’inquiétude partagées(6). Au discours acculturateur de la civilisation occidentale répond celui d’adoption - incorporationadoption (Albert, 1988, p. 104) -, d’apprivoisement des sociétés traditionnelles. A charge d’assimiler les nouveaux arrivants dans les imaginaires réciproques. Ainsi, Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22 102 foin de sauveurs, de prétendus dieux descendus des cieux, la réalité est plus cruelle, parfois plus terre-à-terre, pour les valeureux “découvreurs”(7). Son allégeance à la «pensée régnante» (Mohia, 1993, p. 94) confine l’acculturation au concret, l’écarte de l’abstraction, de l’immatériel, la limitant au palpable, au discernable, aux traits culturels apparents. Comme s’interroge le père de Grand Chef: «combien acheter la façon de vivre d’un homme? Combien payer pour ce qu’est un homme?», l’interrogation reste sans écho, la question en suspens. L’acculturation n’est pas concernée par les questions philosophiques, spirituelles, incontournables dans la pensée amérindienne. On s’est étonné, parfois amusé, souvent attaché, plus souvent encore interrogé, sur le contenu des discours des Chefs et représentants des Amérindiens(8) (Chef Joseph des Nez-Percés, le discours du Chef Sealth(9)...). En décalage, à l’étroit dans une réalité concrète, apparemment éloigné des préoccupations matérielles, le verbe amérindien évacue les divergences des valeurs blanches et amérindiennes à des annéeslumières l’une de l’autre. Le discours des Amérindiens, par essence spirituel, ne se mesure ni se soupèse. L’appétence d’une qualité de vie dans l’harmonie et l’équilibre s’accommode difficilement du discours quantitatif de la civilisation occidentale. Les Amérindiens privilégient la richesse humaine à la richesse matérielle, la relation à l’absence de contact, l’homme à l’objet. Ainsi la rencontre entre McMurphy et Grand Chef se place au niveau des sentiments. Ils ne peuvent se comprendre parce qu’ils ne parlent pas le même langage. Dans le monde de McMurphy tout est quantifié, mesuré, à un poids, un prix. Lui-même apparaît comme calculateur, il soupèse, évalue. Il ne peut comprendre le rapport des tailles, expression d’un sentiment, non d’une mesure. On rapetisse parce qu’on redevient enfant, insignifiant, irresponsable, innocent, sans contrôle sur sa vie, comme les enfants... et les fous. Grand Chef/Bromden se sent dominé, voit son existence prédéterminée, se sait contrôlé, observé, scruté. De l’ethnologie à l’asile, le chemin est tracé. De ”l’objet” de recherche à ”l’objet” d’étude clinique, la dépossession de l’individu de sa vie, de son corps suit son cours. N’ayant pas encore pris conscience de la force du Système qui cherche à le broyer, McMurphy est plus “grand” que Grand Chef. Au total, l’Amérindien se distingue du Blanc pour avoir pris la mesure de son aliénation, et à travers lui, de renvoyer le Blanc à la sienne. Comment peut-on, dans un asile, rester fidèle à sa culture quand on ne contrôle plus sa vie, son existence, quand l’identité même est déterminée de l’extérieur? Fidélité/infidélité, entre philosophie et culture Le terme de fidélité renvoie en premier lieu à une valeur éthique, morale. On est fidèle à quelqu’un, à son conjoint, à l’autre, ou à quelque chose, à un serment, une promesse, à une habitude, à ses convictions. Il s’agit en l’occurrence d’un choix déterminé, d’un contrat avec soi-même qui comprend l’engagement de s’y tenir, au risque de le rompre, de trahir, de se trahir. La fidélité est mise à l’épreuve du temps, des circonstances. Ne dit-on pas que l’on reconnaît les vrais amis dans les moments difficiles? La fidélité est liée à la durée, elle épouse le temps long. A l’inverse du temps qui passe, elle demeure. Elle est d’abord affaire de temps(10). Dès lors trahir c’est rompre avec ce temps, rompre avec une habitude, provoquer une rupture pour installer un temps nouveau. La fidélité est une manière pour l’individu de s’affirmer non seulement face au groupe, mais par cette projection dans le futur, de renier le temps qui passe, du moins d’en évacuer l’idée et son corollaire le plus angoissant, la mort. Aussi toute rupture de fidélité est-elle déchirement, brèche dans le temps où l’individu s’affirmait, affirmait son existence. Elle revendique alors la réinscription dans une nouvelle dimension temporelle. On ne rompt une fidélité que par une autre. Ce que nous prenons pour de l’infidélité, en dehors de toute considération morale et éthique -, n’est souvent que l’affirmation d’une nouvelle fidélité. Par son caractère volontariste, elle apparaît comme un acte individuel, personnel, existentiel qui participe du processus d’individuation, témoignant de l’existence de l’individu par rapport au groupe, de sa pérennité dans la société. La promesse de fidélité qui lie l’individu aux autres comme au groupe est plus difficilement discernable. Nous l’avons vu, qu’il s’agisse de soi ou de l’autre, il y a échange et reconnaissance réciproque. Une culture ne se choisit pas, on tombe dans la marmite culturelle lorsqu’on est petit. Elle précède l’individu et, normalement, lui survit. Le choix, dans ce cas, s’est fait, en quelque sorte, à son insu. Il est prédéterminé par sa naissance. On est Amérindien parce qu’on naît Amérindien. Dès lors, comment être fidèle à quelque chose que l’on n’a pas choisit, à moins d’accepter un état de fait? Bien plus, comment même trahir sans avoir juré fidélité? On n’est sans doute jamais plus fidèle à sa culture que lorsqu’on la pense menacée. Sans doute le Termination Act de 1953 aux États-Unis visant la suppression des réserves, derniers lieux de l’expression culturelle amérindienne, a-t-il eu l’effet inverse à celui escompté. On a assisté à un retour des Amérindiens vers leurs traditions, au fameux ”réveil indien” des années 60. La fidélité à une culture ne concerne pas l’individu en particulier mais l’ensemble du groupe, dont elle détermine la survie, au-delà celle de l’individu. Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22 103 La question de la fidélité à la culture apparaît dès lors comme incongrue, ne devrait pas se poser. A moins que... A moins que... la question de la fidélité/infidélité à la culture, entendons la société, ne soit à l’ordre du jour. Etre infidèle signifie faire un choix, opter pour une autre culture. On ne rejoint pourtant pas une culture comme on s’inscrit à un club, comme on fait serment de fidélité à une cause, à un ami... Rompre avec une culture ne peut se faire qu’au nom d’un autre mode d’être et de penser. Ainsi, en préambule à la question de l’infidélité doit se poser celle du choix, exiger la coexistence d’au moins deux modes de vivre et de penser: celui où vit l’individu et qu’il rejette ne l’acceptant plus pour sien, et l’autre, qu’il revendique. En-dehors de ce choix originel, fondateur, la notion de fidélité/infidélité à la culture perd son sens. Elle ne prend réellement signification qu’avec une situation de rupture, de mise en abîme de la culture, de menace, réelle ou vécue comme telle, de confrontation, de rapport de force. Comme nous l’évoquions précédemment, l’infidélité ne peut être considérée qu’à l’aune d’une nouvelle fidélité. On ne se quitte que pour mieux se retrouver. La fidélité à un modèle Dans la pratique, l’acculturation manifeste sa duplicité. Il ne suffit pas de dénoncer la volonté uniformisatrice de la civilisation occidentale. Le Système évoqué par Bromden est plus pervers, il opère de l’intérieur. L’acculturé fonctionne en acculturé. Nadia Mohia, ayant pris conscience de sa propre acculturation, comme elle nous l’a confié, considère que la cause première du processus acculturant est une «autorité intériorisée [qui] oblige le sujet à refouler progressivement sa culture d’origine pour se conformer aux exigences adaptatives du modèle culturel cible, [...]», l’individu deve- nant ainsi «inconsciemment l’instigateur de sa propre acculturation» (1993, p. 81). L’acculturation apparaît à un double niveau d’appréciation extérieure et intérieure, où l’individu rejette sa culture d’origine au profit de la culture ”cible”, qui est aussi la culture ”régnante”. Aux discours et pressions de la ”pensée régnante” s’ajoute celui de l’acculturé lui-même qui marquera une distance plus ou moins grande avec sa culture. Le premier travail d’acculturation est de dissoudre - ne dit-on pas de l’Amérindien qu’il doit se “fondre” dans la société ”dominante”? -, les codes de reconnaissances en amont comme en aval, en s’attaquant à ce qui participe de l’identité amérindienne: son mode de vie, puis son mode d’être. Les répercussions se partagent pourtant également entre Blancs et Amérindiens; les victimes se confondent avec les coupables. Si les Amérindiens sont les victimes désignées de l’assimilation, la pensée régnante ne sort pourtant pas totalement indemne de la confrontation. Les voies empruntées se révèlent proches, se réfléchissent mutuellement. Le discours des Blancs aura le ton nostalgique du regret d’un mode de vie passé, ou considérera l’assimilation comme (presque) réussie, faisant des Amérindiens des Américains à part (presque) entière; les Amérindiens verront une rupture entre les générations, les détenteurs refusant de transmettre le savoir en leur possession aux plus jeunes qui ne se reconnaissent plus dans le discours des Anciens, les Sages “Elders”. Si ceux qui savent ne veulent plus enseigner à ceux susceptibles d’apprendre et se désintéressant apparemment de ce savoir(11), le processus paraît en partie achevé, c’està-dire que la culture est amenée à se détruire de l’intérieur. C’est là sans doute que se joue l’avenir d’une société. Cette frontière scindant la communauté entre ”anciens” et ”nouveaux”, ”traditiona- listes” et ”progressistes”, selon une distinction parfaitement arbitraire et importée, manifeste d’abord la difficulté de communiquer entre générations, comme si le principe même de l’acculturation était précisément d’introduire un défaut de communication dans les sociétés concernées(12). L’acculturation n’aurait dès lors comme fonction première non de détruire la culture ”cible” que d’introduire le principe déstructurant qui va l’annihiler de l’intérieur, en saper son mécanisme existentiel: la relation à autrui. Si le divorce entre les générations consume progressivement la philosophie amérindienne, on assiste au contraire à une rencontre inopportune aux deux extrêmes de la société coloniale. Entre Blancs et Amérindiens semble naître une sorte de passion commune, une représentation partagée de l’identité amérindienne. Commencées sur des bases antinomiques, les deux discours se rejoignent dans une vision conjointe, pour ne pas dire conventionnelle. Ils sont également le produit d’un travail de l’imaginaire. L’identité Tambour et chant, pow wow de l’île Manitoulin, Ontario (Canada). © Photo Alain Ercker, juillet 1993. Ainsi doit-on considérer l’action, militante, des Amérindiens qui reviennent sur les réserves - à l’exclusion desquelles «il ne peut plus y avoir d’Indiens, rien que le souvenir d’un peuple jadis fier qui s’évanouira progressivement, jusqu’à l’oubli total», (Shirley Keith, Indienne Winnebago(13)) -, comme la reconnaissance de la nécessité de renouer le dialogue avec les Anciens et notamment les chamans(14), remontant tels les saumons, le courant destructeur et déstructurant de l’acculturation, pour donner vie à la génération suivante. Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22 104 amérindienne, “l’Amérindianité”, est prédéterminée, fixée de l’extérieur. C’est-àdire que, paradoxalement, les Amérindiens, les mieux à même de juger de la réalité amérindienne, le font sur des bases qui paraissent importées, ayant incorporé, à leur corps défendant, une représentation identitaire élaborée, construite de l’extérieur. Comme si en définitive ils prenaient pour argent comptant le miroir déformant qu’on leur tend. Dans ce sens la fidélité prend les traits d’une infidélité, étant fidèle à une image, à du folklore; on reproduit de l’artificiel pour du réel, construisant sur une illusion. Une réalité se forge à partir d’images issues de l’imaginaire. Blancs et Amérindiens paraissent victimes d’une même illusion provenant en majeure partie du cinéma, sujets aux mêmes hallucinations nées de la ”machine à brouillard”(15). Chaque groupe intègre une représentation de la réalité indienne qu’il ne retrouve pas dans l’image qu’on lui renvoie. Le Blanc n’identifie plus les Amérindiens par défaut des attributs qu’il s’est ingénié à supprimer: plumes, cheval, quasi-nudité, tipi...; l’Amérindien ne se reconnaît plus, à la fois par excès d’attributs d’identification à la culture américaine: bottes, chapeau “stetson”, jeans, musique..., et par excès de codes de reconnaissance du stéréotype amérindien: alcoolisme notamment. Il a perdu ses repères moraux, n’arrive pas à conjuguer sa philosophie, son héritage spirituel avec les valeurs ”dominantes”. Les critères, certes antagonistes à l’origine, sont proches dans leur conclusion. Le discours nostalgique de l’homme blanc cache aussi sans doute son angoisse de ne plus se reconnaître dans l’Amérindien. Cette image véhiculée détermine littéralement la vie des Amérindiens. Ainsi, leur prison n’a ni hauts murs ni grilles de fer, ni barreaux. Il s’agit des pellicules de cinéma et de l’Histoire. Se jouant des stéréotypes, les contournant, s’en amusant, ou ressentant le besoin, constant, de préciser qu’ils ne vivent plus dans des tipis (surtout si de tradition ils n’y ont jamais vécu), ne chassent plus à l’arc et aux flèches, les Amérindiens vivent les clichés comme contaminant et fixant leur vie, l’Histoire comme le geôlier de leur existence actuelle(16). réserves ou dans les villes soient définitivement déchus de leur droit à se revendiquer comme Amérindiens? Ne sommes-nous pas à nouveau dans un discours évolutionniste, comme celui de la “Destinée Manifeste” de ces populations appelées à disparaître, corps et âmes, - âme surtout -, dans leur confrontation avec l’Occident? Transformer son mode de vie ne signifie pas changer d’être, il n’y a pas de condition sine qua non de cause à effet. Nous ferions ainsi peu de cas de la vitalité d’une culture. Estce à l’Occident de juger qui est Amérindien qui ne l’est pas? Ne serait-ce pas plutôt à nouveau une tentative pour rester le maître du jeu, pour tirer les ficelles? Il y a, de fait, une grande part d’hypocrisie dans le discours assimilationiste, ”civilisateur”(17). Loin de vouloir intégrer les Amérindiens, il faut considérer que ceux-ci ont d’abord un rôle à interpréter dans l’histoire américaine, celui d’ancêtres enracinant les colons dans le sol américain. D’où leur rapport intime au folklore et le processus de folklorisation à l’oeuvre dans le western. Maintenus dans le passé, selon une vision historique linéaire et évolutionniste, une approche passéiste, les Amérindiens permettent de contempler le chemin parcouru, de se donner l’illusion d’avancer, d’aller de l’avant. Que dire alors de l’introduction de l’histoire (Baré, 1991, p. 2), lorsqu’il s’agit d’une histoire figée, d’un temps pétrifié, où folklorisation et histoire sont les outils du déni d’existence propre à ces cultures. Enfin, dénoncer le degré d’acculturation n’est-ce pas sous-entendre l’existence d’une différence, reconnaître l’Autre comme porteur d’une autre culture? N’estce pas, à la fois marquer les différences pour se forger une identité de soi par rapport à l’autre et tenter une communication - non aboutie, non avouée certes - en se projetant dans l’autre? Le barbare c’est l’Autre... c’est moi... L’acculturation atteste d’un échange de traits culturels, traduit l’idée d’une relation, d’une reconnaissance réciproque, les emprunts ne se faisant jamais à sens unique - toute «situation d’acculturation est aussi une situation de projection réciproque» (Baré, p. 2). Etre sans paraître... Pourtant sommes-nous bien certains que ceux que nous voyons, côtoyons sur les Danseurs au pow wow de l’île Manitoulin, Ontario (Canada) © Photo Alain Ercker, juillet 1993. Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22 105 Les zones de contacts culturels sont des espaces de rencontre et d’échange, échange de biens, rencontre d’individus porteurs d’un univers, d’un imaginaire(18). La définition de l’acculturation occulte pourtant le dialogue nécessaire, le refoule dans l’échange de biens, d’objets; s’y révèle ainsi la préférence pour la technologie. Reconnaître la rencontre c’est admettre l’Autre, son existence donc sa parole. Or, ce qui apparaît dans la définition de l’acculturation telle que nous l’avons entendue jusqu’à présent, c’est précisément l’absence de l’Autre. Il ne parle pas. La rencontre produit un dialogue que l’acculturation veut réduire au monologue avec une opiniâtreté identique à celle qui guide le western dans l’occultation de la part amérindienne de la relation. Il est pour le moins paradoxal d’analyser une notion qui suppose la rencontre, l’altérité, sans évoquer l’avis des premiers intéressés, les acculturés eux-mêmes, puisque, nous l’avons dit, l’acculturation est encore sous-entendue à sens unique. Mais dès lors que nous leur laissons la parole, le terme perd son sens premier, d’occulter précisément, la différence; «l’humanité réduite au monologue» (Césaire, 1989, p. 55). La notion d’acculturation, telle qu’elle est utilisée, voit ainsi deux niveaux différents et antagonistes se chevaucher, où de la reconnaissance - nécessaire pour échanger - nous passons à la dévalorisation incontournable en situation coloniale. L’égalité a été remplacée par le mépris, l’emprunt volontaire confondu dans «des processus complexes de contact culturel». Le contexte colonial ignore la communication, la rend impossible. La colonisation apparaît toujours davantage comme l’expression, l’exacerbation de la difficulté à communiquer de la civilisation occidentale. Il ne s’agit que d’ordres donnés et reçus, d’obligations et de devoirs à remplir, de rapports hiérarchiques de dominants à dominés, de maîtres à élèves, de parents à enfants(19). Les seuls emprunts acceptés, reconnus sont ceux de l’autre, la pensée coloniale n’admet d’échanges qu’à sens unique. L’acculturé c’est toujours l’autre. Ainsi, les «études d’acculturation tendent implicitement à déchiffrer le changement culturel du point de vue d’un seul des deux univers en présence, culture “source” ou culture “cible”. On s’interdit alors de porter attention à l’objet qu’en toute logique la notion désigne: les modalités mêmes de la communication entre deux ou plusieurs cultures» (Baré, p. 2). Résistance à discerner la dualité, à croiser les regards dans les contacts culturels qui trouve sa source dans la difficulté de l’Occident au dialogue, s’exprime dans la difficulté à reconnaître l’Autre. La notion n’est pas pensée pour l’altérité, parce que l’Occident ne pense pas l’altérité. Elle évacue la communication inhérente à une zone de contact parce que l’Occident ne communique pas. L’acculturation concerne d’abord la civilisation occidentale, comme le processus qu’elle ne veut décrire: la colonisation. Lorsque nous prenons pourtant la peine d’écouter l’Autre, l’acculturation prend une coloration différente qui déplace son problème de la conséquence à la cause, de la conclusion vers l’origine. Si nous traversons cette rive désirée, fantasmée, nous verrons alors que pour les populations colonisées, être acculturé c’est faire l’expérience de l’autorité que colporte le Blanc, parfois à son insu et qui se révèle précisément au contact de l’altérité, l’amenant «à refouler sa propre culture d’origine et la subjectivité qui la fonde, en vue de son adaptation conformiste au modèle acculturateur» (Mohia, 1993, p. 91). N’est-ce pas ce que fait Grand Chef/Bromden devenu muet? Dans le même mouvement, l’apparente infidélité à la culture contient une part de fidélité. En devançant les désirs des Blancs pour qui le seul bon Indien est celui qui ne parle pas, Bromden rappelle «à l’ordre pri- Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22 106 mordial de la relation» (Mohia, p. 93). A l’inverse du processus occidental qui n’y admet aucune forme de communication, d’échange, l’utilisant au contraire pour faire taire la différence, le geste de l’Amérindien, comme celui des enfants de Camopi en Guyane abondant dans l’attente supposée des ethnologues (Mohia, 1993), affirment que «l’acculturation est déjà une modalité de communication inter-culturelle, par le biais des inconscients» (Mohia, p. 94). En devenant muet, Grand Chef reproduit non seulement les attentes des Blancs, mais en s’excluant volontairement des modalités relationnelles par sa surdité, il renvoie l’image de la propre difficulté à communiquer de l’Occident. Le défaut de communication dont l’acculturation rend compte ne tient plus désormais au champ de l’altérité, l’Amérindien en l’occurrence, qu’à la difficulté de l’Occident à établir des relations. C’est ici que se marque aussi la limite de l’oeuvre de Ken Kesey, transformant un acte premier de communication - l’Indien muet - en acte politique (contestataire), par la surdité de son héros. Ainsi ce qu’on a tenu pour une manifestation d’acculturation, ou de déculturation, se dessine au contraire sous les traits d’une «indianisation - [...] par assignation de valeurs indiennes à des éléments importés, d’origine euro-américaine» (Powers, 1994, p. 174); qui pensait découvrir les indices d’un changement culturel rencontre de la continuité. Il n’y a rupture et transformation sociales qu’en surface, là ou précisément se focalise le discours d’acculturation. Qui franchit le seuil pour entrer sur une réserve amérindienne ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire, de laisser échapper une exclamation de joie en constatant l’envers du décor, qui est aussi la vraie face de la culture. Le travail de l’acculturation est aussi de confondre l’envers avec l’endroit, le virtuel avec le vrai, l’image avec la réalité, l’Indien de celluloïd avec l’authentique. Or il apparaît à l’usage que la vie des amérindiens semble une constante infirmation de la théorie, un coup de pied ironique, sardonique, salvateur même dans la fourmilière scientifique, comme s’ils s’ingéniaient à contredire, par leur existence même, le discours d’assimilation. Sans doute leur fera-t-on interpréter des rôles d’Indiens de westerns, sans doute mariages chrétiens périclitent tandis que les Amérindiens se retrouvent autour de la famille élargie. Au-delà des difficultés économiques engendrées par le système du Welfare qui transforme les Amérindiens en assistés, s’affichent l’importance des relations sociales qui marquent la persistance de l’identité amérindienne. Différentes expressions de l’«amérindianité». Pow wow de l’île Manitoulin, Ontario (Canada). © Photo Alain Ercker, juillet 1993. s’abreuvent-ils de coca-cola et de télévision américaine, routent-ils en voiture, adoptentils la technologie occidentale, ils n’en resteront pas moins amérindiens. En poussant la porte d’une réserve, on se remémore la remarque de l’ethnologue William K. Powers: «loin d’adopter un nouveau système de valeurs en même temps que les éléments occidentaux, les Oglala ont adapté ces nouveaux éléments à leur propre système de valeurs» (Powers, p. 174). Dès que l’on approche un niveau moins apparent, “l’indianisation” l’emporte sur les indices de changements culturels, la continuité sur la discontinuité, la vie sur la mort. Il semblerait que ce qui est en surface, ne résiste pas ou difficilement, que le factice s’élimine devant la vitalité culturelle. Ainsi les L’impression première qui reste d’un séjour sur une réserve amérindienne, est celle de la vitalité, de la vie, de la richesse des relations sociales, tant persiste une activité de groupe intense, de cris, de rires, de jeux, de blagues (joke), d’un après-midi vivant où l’on se sent vivre, revivre. Les enfants entrent et sortent, se servent à boire, à manger, à volonté, dans la mesure des provisions disponibles, sans remarques désobligeantes ou gestes de refus. L’hôte vous invite à partager sa nourriture, comme luimême trouvera toujours table ouverte ailleurs lorsque les temps seront plus difficiles. La vie des Amérindiens s’affirme, s’organise dans ces interstices, ces espaces de liberté qui échappent au contrôle de la pensée régnante parce qu’ils ont su se Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22 107 cacher là où on ne les chercherait pas, au coeur de la société blanche, dans son discours même, acculturateur comme aliénant. Ils ont résisté précisément parce qu’ils ont su préserver et maintenir les relations sociales au-delà des aléas coloniaux. Au discours de mort culturelle, de la déculturation, répondent les cris et les rires des enfants, qui témoignent de la vitalité et de la réalité de la culture amérindienne. Est Amérindien, celui qui se sent tel. La fidélité ou l’infidélité à une culture ne se dispose pas de l’extérieur. Sans doute estce là le point d’achoppement, car cette détermination propre échappe à tout contrôle. L’amérindianité se vit, s’exprime dans son propre corps. L’acculturation navigue ainsi entre fidélité et infidélité. Elle traverse la frontière ténue de la fidélité/infidélité parce que, comme elles, se vit de l’intérieur. Elle échappe à sa définition première, trahit la pensée régnante au double sens du terme: d’abandonner et de dévoiler, pour embrasser et revendiquer la nécessité de la relation, de la communication, pour signifier la place de l’altérité et de l’imaginaire. *** Les Amérindiens rappellent souvent que l’Occident a fait le premier pas. L’élan qui a poussé la civilisation occidentale dans leurs bras, s’est brisé au moment décisif de la rencontre. L’attirance supposée du Blanc vers l’Autre, désirée et repoussée, finit par aboutir - ironie de l’Histoire, rire jaune pourtant, pied de nez au mythe -, sur un lit d’hôpital, dans un asile... et au détriment de l’homme blanc. Dès lors s’éclaire la crainte de cette rencontre, tandis que l’Amérindien s’échappe. Grand Chef/ Bromden revit en retrouvant de la voix, la voie de son amérindianité, c’est-à-dire de la relation, de sa propre subjectivité culturelle. Parlant sans pouvoir s’arrêter, il retrouve par la parole le goût à la vie, également indissociables, également difficile à étancher. En parlant, il se raconte, se remémore, renaît, il retrouve ses sensations, son humanité, renoue avec la faim, la soif, avec son corps. Au contact de l’Amérindien, altérité exemplaire, l’homme blanc a retrouvé sa propre subjectivité, la dimension de l’imaginaire refoulé. Par cette relation définitive, dans cette ultime étreinte, McMurphy accède également à l’altérité et à l’imaginaire, l’un n’allant pas sans l’autre, retrouvant ”sa propre subjectivité culturelle” (Mohia, 1993, p. 91). En réalisant cette part de lui-même, il se réalise enfin. «Le tourbillon de ténèbres avait commencé son voyage avec sa sorcellerie et sa sorcellerie s’est retournée contre lui. Sa sorcellerie est retournée en son ventre. Sa propre sorcellerie s’est retournée et l’a enveloppé. Le tourbillon de ténèbres s’est refermé sur lui-même»(20). Leslie Marmon Silko (Pueblo Laguna). Bibliographie ALBERT (Bruce), «La Fumée du métal. Histoire et représentations du contact chez les Yanomami (Brésil)», in L’Homme, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, avril-septembre 1988, n° 106-107, XXVIII (2-3), pp. 87-119. ALBERT (Bruce), «L’Or cannibale et la chute du ciel. Une critique chamanique de l’économie politique de la nature (Yanomami, Brésil)», in L’Homme, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, avril-décembre 1993, n° 126-128, XXXIII (2-4), pp. 249-378. BARÉ (J.-F.), «Acculturation», in Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Bonte Pierre et Izard Michel (sous la direction de), Paris, PUF, 1991, 755 p., pp. 1-3. CÉSAIRE (Aimé), Discours sur le colonialisme, Paris/Dakar, Présence Africaine, 1989, 59 p. ERCKER (Alain), «1492: Lorsque l’Europe se découvre en Amérique», in Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, Strasbourg, Université des Sciences Humaines de Strasbourg, 1993, n° 20, pp. 132-139. KESEY (Ken), Vol au-dessus d’un nid de coucou, Paris, Stock, (1962), 1976, 408 p. MOHIA (Nadia), «L’acculturation en question. Approche analytique à travers les dessins d’enfants amérindiens (Guyane Française)», in Cahiers de Sociologie Economique et Culturelle, Revue de l’Institut Havrais de Sociologie économique et culturelle, n° 20, Déc. 1993, pp. 80-96. PANOFF (Michel), PERRIN (Michel), Dictionnaire de l’Ethnologie, Paris, Payot, 1973, 293 p., article ”Acculturation”, pp. 11-12. POWERS (William K.), La religion des Sioux Oglala, Paris, Ed. du Rocher, (1975), 1994, coll. Nuage Rouge, 300 p. Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22 108 VAZEILLES (Danièle), Le Cercle et le Calumet. Ma vie avec les sioux d’aujourd’hui, Toulouse, Privat, 1977, 197 p. Notes *. 1. 2. 3. 4. 5. 6. The Observer, 8 novembre 1981, citée par Joëlle Rostkowski, Le Renouveau Indien aux EtatsUnis, Paris, L’Harmattan, 1986, 349 p., p. 21. Ce qui démarque la production littéraire de l’oeuvre cinématographique et lui donne toute sa force. Nous retrouvons ici Sami-Ali, qui dans L’espace imaginaire, Paris, Gallimard/Tel (1974), 1986, 265 p., développe la notion de ”corps imaginaire” qui permet de comprendre par exemple comment chaque image du rêve est créée, hallucinée, à partir d’une image du corps. Voir Ercker, 1993, p. 139, note 7. Dans son récit des aventures de Bas-de-Cuir, (La Prairie, Le Dernier des Mohicans, ...). Voir notamment ce qu’écrit Leslie Fiedler, Le retour du Peau-Rouge, Paris, Seuil, 1971, 172 p., p. 25: «[...] nous savons par ailleurs, que dès l’instant où l’Européen regarde pour la première fois un Indien en face, il devient autre chose encore: il devient un Américain». Le dictionnaire, après avoir défini le terme «processus par lequel un groupe humain assimile tout ou partie des valeurs culturelles d’un autre groupe humain» - cite en exemple «L’acculturation des Amérindiens». L’ethnologue William K. Powers rapporte la façon dont les Sioux de Pine-Ridge, SudDakota, ont interprété la refonte du christianisme par les Pères Jésuites pour le rapprocher de la mentalité oglala. «Steinmetz [révérend père Paul Steinmetz] continua à employer et à publier des prières associées à l’usage de la pipe [instrument central dans la spiritualité oglala]. Mais il était loin de se douter que l’hommemédecine oglala venant s’asseoir le dimanche au premier rang de son église était surtout profondément impressionné de voir que lui, un prêtre jésuite, avait enfin reçu la lumière ! Ainsi, tandis que les jésuites tentaient de créer de nouvelles relations entre le Christ et son troupeau, les Oglala de leur côté affirmaient que les prêtres avaient fini par reconnaître la puissance de Wakantanka et l’efficacité des rites sacrés transmis au peuple par la Femme-BisonneBlanche» (Powers, 1994, p. 164). Ainsi cette représentation des Blancs chez les Yanomam, sous-groupe Yanomami du Brésil. «L’inquiétude ou la crainte des Yanomam devant cette irruption des “blancs” sur leur territoire reposait en fait sur une hésitation, dans leur caractérisation ontologique, entre deux catégories d’inhumanité. Inhumanité qu’attestaient par définition leur apparence répugnante et leur origine indéterminable. Leur langage inarticulé, leur remontée des rivières en territoire yanomam, la pâleur et la calvitie de certains laissaient penser, dans les prolongements des rumeurs du contact indirect, qu’il pouvait s’agir de revenants échappés du “dos du ciel”, là où sa courbure le rapproche du disque terrestre. Nos informateurs les plus anciens rapportent que c’est la première interprétation qui se soit imposée à l’esprit de leurs parents. Mais les traits saillants de ces créatures, leur effrayante pilosité, leurs errances dans la forêt “vierge” (komi), leur absence d’orteils (chaussures), leur capacité de s’extraire à volonté de leur peau (vêtements) et leurs possessions extraordinaires suggéraient par ailleurs qu’il pouvait s’agir d’esprits maléfiques (në waribë) provenant des confins du territoire yanomam» (Albert, 1988, pp. 96-97). 7. Bruce Albert rapporte que chez les Yanomam, sous-groupe Yanomami, «[ceux] “de la mission” ont alors progressivement absorbé les missionnaires dans le cadre de leurs espace politique et symbolique. Les expressions dénotant la relation qui sous-tend cette intégration sont éloquentes. Un leader (bata thë) se référa ainsi à “mes ‘blancs’” (ina nabëbë), “ceux que j’ai à charge” (thëbë ya ka thabuwi). Le verbe thabu (“avoir à charge”) s’applique généralement aux orphelins et aux réfugiés» (Albert, pp. 103-104). 8. Voir notamment le recueil de citations de Teri McLuhan, Pieds nus sur la terre sacrée, Paris, Denoël/Gonthier, 1974, 215 p. Voix des grands chefs Indiens, Paris, éd. du Rocher, Nuage Rouge, 1994, 55 p. Tous deux traitent sur un mode quelque peu nostalgique de la disparition des Amérindiens à travers une anthologie de leurs discours. 9. Discours du Chef Sealth, Paris, Ed. du Rocher, Catalogue Nuage Rouge, 1994, 24 p. 10. Cf. Pierre Erny, «Éléments pour une phénoménologie de la fidélité», Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, n° 22. 11. Cf. La conversation entre Danièle Vazeilles et M. Desormeaux, de la réserve Sioux de Cheyenne River dans le Sud-Dakota. «M. Desormeaux me dit ensuite que son grand-père est un guérisseur. Il ne dit pas medecine-man, mais ”mon grand-père sait comment guérir les gens et les animaux”. [...] Je lui demandais s’il ne pensait pas qu’il serait intéressant pour lui et pour ”his people” de continuer à exercer l’art de son grand-père, il répondit: mon grand-père ne veut pas m’enseigner sa connaissance des plantes: il a peur qu’elle soit mal utilisée, car ”les Indiens d’aujourd’hui ne sont plus ce qu’ils étaient autrefois. Ils se moquent de ces choses sacrées, et cela n’est pas bon. Il faut être sincère et sérieux quand on a affaire à ces choses sacrées...”. Cette dernière réflexion est revenue très souvent dans les conversations entre les vieillards sioux et moi-même, les grands parents ne veulent plus parler de ces choses sacrées à leurs enfants et petits-enfants parce que ces derniers ne sont pas assez sérieux et ne 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. croient plus à la réalité des anciennes croyances», Le cercle et le calumet. Ma vie avec les Sioux d’aujourd’hui, Toulouse, Privat, 1977, 197 p., p. 174. Dans un contexte différent, et pourtant très proche, l’étude de M.-N. Denis et C. Veltman sur la pratique actuelle du dialecte alsacien fait ressortir une difficulté progressive de communication entre les jeunes générations et leurs grands-parents par défaut d’une langue commune, les premiers s’exprimant toujours davantage exclusivement en français, les seconds en dialecte. Le déclin du dialecte alsacien, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1989, 135 p. Citée par Danièle Vazeilles, op. cit., p. 179. Pour les Sioux, par exemple, Tahca Ushte ou Frank Fools Crow. En référence au titre de la première traduction en français du livre de Ken Kesey, devenu ensuite Vol au-dessus d’un nid de coucou. Au point que Danièle Vazeilles se croit obligée de préciser dès son titre, qu’il s’agit bien des Sioux d’aujourd’hui. Au passage, rappelons que ce terme de ”civilisé” est porteur d’une idéologie. Opposer ”civilisé” à ”sauvage” ne veut culturellement rien dire. La civilisation n’est pas une exclusivité occidentale, chaque groupe ethnique se considérera comme civilisé par rapport au monde extérieur. Ou, comme l’écrit Nadia Mohia, «le contact ou la confrontation d’une société avec une autre est médiatisée par des rapports relationnels entre des individus porteurs de cultures différentes» (1993, p. 82). Les populations colonisées ne sont-elles pas toujours considérées comme des “peuples enfants”, encore dans l’enfance de l’humanité et qui ont tout à apprendre? Étymologiquement, l’enfant est celui qui ne parle pas In Fans, à l’image du barbare qui ne s’exprime pas dans votre langue. Lire à ce propos le discours-réquisitoire d’Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme. Leslie Marmon Silko, Cérémonie, Paris, Albin Michel, 10/18, 1995 (1977), 282 p., p. 280. Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22 109