l`etat multiculturel en 2015, enjeux et perspectives.
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l`etat multiculturel en 2015, enjeux et perspectives.
IEP de Toulouse L’ETAT MULTICULTUREL EN 2015, ENJEUX ET PERSPECTIVES. ENTRE REVENDICATIONS POLITIQUES ET LINGUISTIQUES, COMPARAISONS ENTRE LES PROPOSITIONS ET LES SOLUTIONS EUROPEENNES ET LATINO-AMERICAINES. Mémoire préparé sous la direction de M. De La Llosa Alvar Rédigé par Mlle Ruiz Laure Année universitaire 2014-2015 ~1~ Table des matières ABREVIATIONS : ............................................................................................................................ 3 I. Introduction ................................................................................................................................ 4 II. Unité et égalité, l’Etat nation, un idéal type ............................................................................... 8 « L’Etat-nation caractérise les Européens et les constitue. » Sylvain Kahn........................... 8 A. 1. L’Etat-nation comme réponse à l’égalité formelle ............................................................. 9 2. Après 1945, un modèle qui vacille ................................................................................... 11 Amérique latine : tentatives de transposition du modèle européen ...................................... 16 B. 1. Tentative de construction d’Etas-nation : la période assimilationniste ............................ 16 2. Première prise en compte de la différence, la mise en place de politiques indigénistes .. 21 III. Modernité et premiers revers, émergences de nouvelles problématiques identitaires et naissance du multiculturalisme ........................................................................................................ 26 A. Politiques européennes et immigration, quand la diversité ressurgit au sein des Etat-nation. Le nécessaire passage à des politiques multiculturelles ............................................................... 26 1. Revirement théorique et nouveaux enjeux identitaires .................................................... 27 2. La construction européenne comme arène d’expression des revendications identitaires, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et consultations populaires .......... 33 B. Libéralisation et démocratisation, l’indien devient auteur et non plus sujet des politiques à son égard ...................................................................................................................................... 37 1. Le tournant des années 1970 et les premières contestations ............................................ 37 2. Les années 1990, internationalisation de la question indienne......................................... 39 Limites du multiculturalisme et émergence de nouvelles propositions ................................ 46 IV. Le multiculturalisme en question ......................................................................................... 46 A. B. 1. Le Risque d’instrumentalisation....................................................................................... 46 2. Mettre l’accent sur la différence, une attitude contradictoire ........................................... 51 Le multiculturalisme : de la diversité comme menace à la diversité comme base de l’Etat 53 1. L’Etat Plurinational de Bolivie, un modèle alternatif qui ouvre la voie vers de nouvelles constructions étatiques ............................................................................................................. 54 2. L’Union Européenne, Organisation Internationale supra-étatique ou embryon d’Etat plurinational ............................................................................................................................. 59 Conclusions .............................................................................................................................. 61 V. VI. Bibliographie ........................................................................................................................ 64 A. Ouvrages généraux ............................................................................................................... 64 B. Ouvrages spécifiques............................................................................................................ 65 C. Sitographie ........................................................................................................................... 69 ~2~ ABREVIATIONS : ALE : Alliance Libre Européenne CECA : Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier LGBTQ: Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, Queer OIG : Organisation Internationale Gouvernementale OIT : Organisation Internationale du Travail ONG : Organisations Non Gouvernementales UE : Union Européenne UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture USA : United States of America, les Etats Unis d’Amérique ~3~ I. Introduction « Etats en miettes dans l’Europe des régions »1 un titre aussi concis que provocateur mais qui illustre à merveille les questionnements qui secouent l’Union Européenne à la sortie du référendum écossais et de la consultation populaire catalane. En effet, alors qu’il n’est plus partout question que de globalisation et d’uniformisation, l’Union Européenne doit aujourd’hui faire face à des revendications régionales de plus en plus puissantes et organisées, appuyées notamment par l’ALE, Alliance Libre Européenne2 et remettant en cause jusqu’à la sacro-sainte notion d’Etat-nation. De l’autre côté de l’Océan Atlantique, l’Amérique Latine emprunte une toute autre voie. Depuis les années 1990 de nouvelles constitutions voient le jour reconnaissant chaque fois plus en profondeur la diversité des Etats. On pense bien sûr à la Constitution Bolivienne de 2009 qui en est aujourd’hui l’exemple le plus aboutit mais, partout sur le continent, de nouveaux textes sont édictés, cherchant à répondre à la question de la pluriculturalité des pays latino-américains. La situation est donc bien paradoxale avec d’un côté le continent européen qui pensait avoir résolu les questions des minorités ethniques depuis la mise en place de l’Etatnation et de l’autre l’Amérique Latine qui malgré un passé de colonie et de racisme semble ouvrir une nouvelle voie dans le champ de la construction étatique. Avant d’étudier en détail ces situations, leurs divergences et leurs points communs, il convient de revenir sur les notions centrales qui seront abordées tout au long de ce travail. Le premier terme, et pas des moindres, et celui d’Etat-nation car il porte en lui tous les enjeux de la thématique. En effet l’Etat-nation est définit comme un type d’Etat où nation et Etat se confondent ou selon les termes d’Hélène Giroux : « L’État-Nation est fondé sur l’hypothèse qu’à tout État territorial correspond une nation qui se définit essentiellement en tant que communauté politique partageant les mêmes valeurs, la même 1 Paul DIRKX, Etats en miettes dans l’Europe des régions, Le Monde Diplomatique, novembre 2014, p.16. et 17 2 Nous reviendrons plus tard sur l’importance de ce groupe. Il s’agit d’une ONG de droit belge reconnue par le Parlement Européen depuis 2004. Voir leur site internet pour plus de détails (en anglais) : http://www.e-fa.org/about-us/whats-efa-and-history/ ~4~ histoire et la même culture. »3 Modèle phare de l’Europe occidentale, l’Etat-nation s’oppose à l’Etat plurinational ou multinational qui regroupe donc plusieurs nations, « plusieurs communautés nationales unies par la volonté de partager un destin commun »4. L’Etat-nation n’ayant pas réussi à lui seul à répondre à la question de la pluralité, la mise en place de politiques spécifiques a été nécessaire, c’est ainsi que nait le terme de multiculturalisme. Apparu d’abord en Australie et au Canada, il sert à désigner les politiques en faveur des minorités de ces deux pays 5. Il est ensuite exporté dans le monde entier et revêt par là même un nombre considérable d’acceptions. Dans leur ouvrage collectif « Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ? » David Dumoulin Kervran et Christian Gros choisissent de retenir la définition suivante : le multiculturalisme correspond à « l’action publique qui vise à transformer « l’imbrication entre injustice sociale et disqualification culturelle » »6. Cette définition quoique large permet de travailler sur différents aspects de la notion. Nous partirons de cette même définition. Si aujourd’hui la notion de multiculturalisme est en perte de vitesse, le changement est essentiellement sémantique et les termes qui le remplacent comme celui d’interculturalité se placent en réalité dans la continuité, tout comme les politiques mises en place.7 Il faut également souligner que les politiques relatives au multiculturalisme ont étendu leurs champs d’action au-delà de la question ethnique ou culturelle en traitant par exemple de la question du genre ou de la sexualité qui resterons toutefois écartées de notre travail.8 Dans notre étude des courants de pensée latino-américains, nous serons amenés à utiliser un vocabulaire particulier, aussi divers que complexe. Afin de ne pas entrer dans les querelles sémantiques qui opposent les partisans d’ « indien », d’ « indigène », d’ 3 Marie-Hélène GIROUX, Protection des minorités et pluralisme national en Europe : L’influence décisive des institutions européennes sur les régimes de protection des minorités en France et en Hongrie, Université de Montréal, Montréal, 2009, p.17. Nous reviendrons plus bas sur la construction et la mise en place de cet idéal type. 4 S. PIERRÉ-CAPS, La multination. L’avenir des minorités en Europe centrale et orientale, p. 9. in MarieHélène GIROUX, Protection des minorités et pluralisme national en Europe : L’influence décisive des institutions européennes sur les régimes de protection des minorités en France et en Hongrie, op. cit., p.35. 5 Milena Doytcheva, Le Multiculturalisme, Editions la Découverte, Paris 2011, p.7 6 David Dumoulin KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Presse Sorbonne Nouvelle, Paris, 2011, p.14. 7 David Dumoulin KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, op.cit, p.21-22. 8 Voir ici, entre autre, les travaux de Nancy Fraser sur la question du genre et le féminisme. ~5~ « autochtone », de « premier », etc. nous utiliserons ces termes simultanément et de façon indifférenciée. Certaines périodes historiques ont toutefois donné des sens particuliers à quelques un d’entre eux. Ainsi le qualificatif de « paysan » est révélateur de la pensée de Mariategui tout comme celui « d’originaire paysan » l’est de la nouvelle constitution bolivienne. Ces cas particuliers donneront lieu à des clarifications. Les précisions terminologiques que nous venons d’effectuer sont cruciales et permettent de saisir tout l’enjeu des thématiques que nous allons maintenant aborder. Nous allons en effet étudier les trajectoires de l’Europe occidentale et de l’Amérique Latine afin de comprendre comment la construction européenne d’une part et la démocratisation post coloniale de l’autre ont influencé le traitement des minorités (de fait ou présentées comme telles). Nous nous interrogerons également sur l’avenir des politiques mises en place et sur les conséquences que celles-ci pourraient avoir pour le reste du monde. Ainsi au travers des cas particuliers étudiés, la question centrale sera celle du futur de l’Etat-nation, de sa pertinence et de sa viabilité en 2015. Nous supposerons donc que le modèle de l’Etat-nation n’est pas adapté à la situation actuelle à la fois en Europe et en Amérique Latine. Nous supposerons aussi que le contexte régional et international a joué un rôle clé dans la construction des mouvements indigènes et régionaux. Nous supposerons enfin que les configurations actuelles en Europe occidentale et en Amérique Latine ouvrent une nouvelle voie dans la construction étatique et dans la prise en compte des minorités, nouvelle voie qui, tout en questionnant la forme de l’Etat, ne le contournent pas encore. Le choix des continents européen et sud-américains est ici arbitraire mais s’explique à la fois par l’actualité et par l’histoire qui les unit. Le travail effectué ici se base sur un travail de lecture approfondi. La bibliographie regroupe des textes généraux sur les grandes notions abordées ainsi que des textes plus spécifiques sur des cas particuliers à la fois en Europe et en Amérique Latine. Au-delà de ces textes scientifiques, des textes juridiques (constitutions, lois, déclarations, etc.) et d’opinion ont été étudiés afin d’obtenir un panel d’étude aussi large que possible. Le travail d’analyse et de compilation est ici essentiel car les études sont le plus souvent circonscrites à une zone géographique et, ou, à une thématique précise. Nous voyons donc poindre une première limite à ce travail qui ne se base pas sur une enquête de terrain et se propose de mettre en relation des objets jusqu’ici étudiés séparément. Autre ~6~ limite inhérence à ce type de travail, la pluralité des sources qui permet à la fois de saisir plusieurs facettes du thème abordé mais qui risque aussi d’entrainer des digressions. Nous tacherons de limiter celles-ci aux précisions essentielles à l’étude. Les thématiques abordées ici sont nombreuses et pourraient chacune faire l’objet d’une étude spécifiques. Je m’efforcerai donc d’en présenter les enjeux sans toutefois perdre de vue l’objet central de cette étude, l’Etat, sa forme originale, son évolution et son actualité. Autre notion centrale qu’il ne faut pas perdre de vue, celle de l’identité qui soustend nécessairement tout travail sur l’appartenance, nationale, ethnique ou communautaire. Afin de traiter au mieux le sujet, notre réflexion sera divisée en trois étapes. Dans un premier temps nous nous intéresserons à l’Etat-nation, à sa construction et à ses limites. Nous verrons ensuite comment la modernité a apporté de nouveaux enjeux obligeant ainsi les Etats-nation à s’adapter en mettant en place des politiques d’un nouveau genre que nous appellerons de façon générale, multiculturalistes. Enfin, nous étudierons dans une dernière partie l’émergence de nouvelles propositions à la fois en Amérique Latine et en Europe occidentale afin de faire face aux limites du multiculturalisme et de dépasser les clivages toujours présents. ~7~ II. Unité et égalité, l’Etat nation, un idéal type Pour commencer cette analyse nous allons nous intéresser à l’Etat-nation comme idéal type, comme modèle. Mis en place d’abord en Europe occidentale il a ensuite été exporté en Amérique Latine ce qui n’a pas été sans poser de problèmes d’adaptation. Nous verrons à la fois la construction et les limites de ce type de construction étatique afin de bien comprendre l’évolution plus récente vers des Etats-multinationaux. Nous aborderons cela en deux temps, par zone géographique, afin d’étudier en profondeur les traits particuliers des deux continents et les caractéristiques des pays qui les composent. Nous ne pouvons bien entendu pas traiter tous les pays aussi chaque partie sera concentrée sur des cas retenus comme représentatifs. A. « L’Etat-nation caractérise les Européens et les constitue. » Sylvain Kahn9 Il est généralement considéré que c’est en Europe occidentale que s’est développé au XIXème siècle le modèle de l’Etat-nation. Comme nous l’avons vu plus haut, l’idée à la base de cette construction est de faire coïncider un Etat, une forme juridique, avec une nation, un caractère plutôt ethnique. Le Larousse définit ainsi l’Etat-nation : « État dont les citoyens forment un peuple ou un ensemble de populations se reconnaissant comme ressortissant essentiellement d'un pouvoir souverain émanant d'eux et les exprimant. »10 Aujourd’hui les termes d’étatique et de national sont souvent utilisés comme des synonymes tellement le modèle est ancré dans les esprits.11 Nous verrons pourtant qu’audelà du modèle, la réalité de ces Etats est bien plus complexe et apporte de nombreuses 9 Sylvain Kahn, L'État-nation comme mythe territorial de la construction européenne, L’Espace géographique 2014/3 (Tome 43), p.240. Dans cet article l’auteur s’intéresse à l’Etat-nation comme modèle considéré dominant en Europe et montre les limites de cette thèse. 10 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%89tat-nation/10909959, consulté le 1er aout 2015. 11 http://www.unesco.org/new/fr/social-and-human-sciences/themes/international-migration/glossary/nationstate/, consulté le 1er aout 2015. L’UNESCO revient ici brièvement sur les principaux problèmes qui entourent la notion et su son évolution dans le temps. ~8~ nuances. Des nuances qui varient selon les pays et qui font qu’il y a en Europe Occidentale un panel très diversifié d’Etats qualifiés d’Etat-nation.12 Après être revenu brièvement sur la construction de ces Etats, leurs origines et leurs justifications théoriques, nous verrons comment l’Histoire est venu les remettre en question essentiellement à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale. 1. L’Etat-nation comme réponse à l’égalité formelle La définition classique de l’Etat le présente comme « une autorité souveraine qui exerce son pouvoir sur une population habitant un territoire déterminé au moyen d’un gouvernement »13. On y retrouve trois notions centrales : la population, le territoire et le gouvernement. La population et le territoire sont ici les deux éléments qui nous intéressent le plus.14 En effet, la question de la nation (corollaire ici de celle de l’Etat) concerne la qualité des citoyens présents sur le territoire étatique. Notons qu’en langage courant nous utiliserions ici l’adjectif « national » preuve supplémentaire, s’il en faut, de l’ancrage de la notion dans les esprits. En ce qui concerne la nation, nous avons là aussi à faire à un terme complexe dont les définitions, parfois contradictoires, ne manquent pas. Dans un premier temps nous allons nous intéresser aux deux définitions canoniques de la nation, celle issue du discours d’Ernest Renan15 et celle issue de celui de Johann Gottlieb Fichte16. Ces deux discours sont à replacer dans un contexte où l’Alsace et la Lorraine sont encore revendiquées par la France et l’Allemagne. La conception d’Ernest Renan, prolongeant la pensée d’Emmanuel Sieyès, est aussi qualifiée de vision française ou de « nation subjective »17. Ici la nation est vue comme une volonté de vivre ensemble et de partager des projets et des valeurs communes. 12 Sylvain Kahn, L'État-nation comme mythe territorial de la construction européenne, op.cit, p.240 et suivantes. 13 http://www.le-politiste.com/2011/08/letat.html, consulté le 2 aout 2015 14 Les définitions de l’Etat sont nombreuses et regroupe une grande variété de domaines. Pour les besoins de la démonstration nous nous en tiendrons à celle évoquée ci-dessus. 15 Ernest RENAN, Qu’est-ce qu’une nation ?, Conférence à la Sorbonne, Paris, mars 1882 16 Johann Gottlieb FICHTE, Discours à la nation allemande, Berlin, 1812 17 http://www.le-politiste.com/2011/08/la-nation.html, consulté le 2 aout 2015 ~9~ L’expression de « plébiscite de tous les jours »18 illustre bien cette idée d’une communauté volontaire. En poursuivant cette définition à l’extrême on pourrait imaginer que les nations soient en réalité des créations de toutes pièces19. Dans le cas de l’Alsace cela signifiait donc que l’Alsace devait être française car elle en signifiait l’envie. A l’opposé, la conception allemande ou « nation organique » part du principe qu’il y a des caractéristiques communes aux membres d’une nation. Au premier rang de cellesci la langue et l’histoire : "un peuple, c’est l’ensemble des peuples qui vivent en commun à travers les âges et se perpétuent entre eux sans adultération, physiquement et moralement, selon des lois particulières au développement du divin"20. On retrouve ici en filigrane les théories qui font découler les nations des ethnies. Selon cette conception, l’Alsace doit être allemande car elle est composée de germanophones. Ces deux conceptions reflètent la construction des deux Etats, celle de la France où l’Etat a en quelque sorte précédé le sentiment national et celle de l’Allemagne qui s’est construite en agrégeant les provinces germanophones. En France l’Etat s’est en effet construit alors qu’il existait sur le territoire une grande variété de langues régionales. La langue et les valeurs ont été transmises et imposées par le haut par le biais notamment de l’école et de l’armée.21 Ainsi la diversité du pays a été effacée au profit d’une culture commune, celle de la République Française. Ainsi s’explique la centralisation de l’Etat français alors que l’Allemagne est une fédération de länder relativement indépendants.22 Quoique mettant en avant des bases différentes, ces deux conceptions sont moins éloignées qu’il n’y parait car les deux se retrouvent dans l’idée d’une communauté partageant des valeurs, une histoire et une langue commune. En réalité les deux théories se portent mutuellement en germe. Quand la conception subjective met d’abord en avant la volonté de partage d’un projet commun et passe au second plan l’historique commun, la conception organique fait l’inverse. Dans les deux cas, la notion d’unité est centrale même si justifiée différemment. 18 Ernest RENAN, Qu’est-ce qu’une nation ? op.cit. Nous reviendrons sur cette idée plus loin dans le cadre des groupes indigènes. 20 Johann Gottlieb FICHTE, Discours à la nation allemande, Berlin, 1812 in http://www.lepolitiste.com/2011/08/la-nation.html, consulté le 2 aout 2015. 21 Milena Doytcheva, Le Multiculturalisme, op.cit. p.19 22 http://www.le-politiste.com/2011/08/la-nation.html, consulté le 2 aout 2015. 19 ~ 10 ~ Les deux modèles, allemands et français sont considérés comme des idéaux ayant réussi la composition parfaite. La France est devenue une terre d’accueil alors que l’Allemagne s’est attachée au droit du sang. Découlant directement de ces deux visons, l’Etat nation vient se construire comme un Etat monolithique regroupant des citoyens, des nationaux partageant les valeurs communes du pays. En termes juridique, l’unité est au cœur de la construction ; le droit est le même pour tous et partout sur le territoire. On parle d’une conception moniste et monologique.23 Moniste car la seule source du droit est l’Etat. Monologique car celui-ci s’applique uniformément sur tout le territoire. Il n’y a ici que des individus pris en charge de façon égalitaire. Aucune communauté n’est reconnue. Nation et citoyenneté se confondent. Pour revenir à la question de la diversité, on voit ici comment celle-ci a été niée au profit de l’unité, de l’égalité. Produit de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 et des révolutions françaises et américaines, la recherche de l’égalité est au cœur des débats. On parle ici d’égalité formelle puisque tous les citoyens, tous les nationaux sont mis sur un pied d’égalité. C’est sur ce principe que se sont construits la plupart des pays d’Europe occidentale et plus tard d’Amérique Latine. On voit déjà ici poindre les premières limites du modèle. En effet si l’égalité est le maitre mot, elle a été instaurée au détriment de la diversité. Ainsi même si dans un premier temps cela semble faire l’unanimité, il est prévisible que d’anciens attachements ressurgissent au premier désaveu de l’Etat. Selon Marie-Hélène Giroux, l’Etat-nation porte en lui ou l’assimilation ou la sécession24. Ceci expliquerait la rapidité avec laquelle le modèle a été questionné et contesté. 2. Après 1945, un modèle qui vacille La construction de l’Etat-nation paraissait être la solution idéale à la réalisation de l’égalité entre les citoyens au sein d’un pays. Mais cette idéalisation de la nation comme 23 Marie-Hélène GIROUX, Protection des minorités et pluralisme national en Europe : L’influence décisive des institutions européennes sur les régimes de protection des minorités en France et en Hongrie, Op.cit, p.24 et suivantes. 24 Idem ~ 11 ~ fondement étatique a pour corollaire l’idéalisation de la nation en elle-même et dons le nationalisme. La Seconde Guerre Mondiale puis la phase de décolonisation ont mis à mal les grands pays européens qui ont dû en venir à repenser leurs modèles. a) Nationalismes et Seconde Guerre Mondiale, la méfiance s‘installe Le nationalisme a en effet pour base une hiérarchisation des nations plaçant au sommet la sienne ou selon les termes de Sylvain Kahn : « Le nationalisme […] est une idéologie par lequel on établit une hiérarchie entre les nations, au sommet de laquelle on place la sienne, ce qui va de pair avec l’infériorisation des nations voisines. »25 Il existe de nombreuses théories qui cherchent à déterminer l’origine des nationalismes. Elle est souvent associée à l’industrialisation et à la modernité, lorsque les solidarités locales sont dépassées par la solidarité nationale.26 Ce processus apparait dans une certaine mesure nécessaire lors de la construction d’un Etat et d’autant plus pour un Etat-national (la différenciation est en effet une phase cruciale de l’affirmation des frontières). Cependant, par la suite, lorsque le nationalisme reste une composante essentielle, cela peut mener à de graves conflits. En Europe, les deux Guerres Mondiales en sont une conséquence. La Première Guerre Mondiale s’est achevée sur une défaite de l’Allemagne qui a été condamnée à de fortes réparations par le traité de Versailles27. Ces mesures avaient pour but de responsabiliser l’Allemagne et de l’empêcher de partir à nouveau en guerre. Les conséquences furent malheureusement toutes autres puisque le nationalisme s’en est trouvé renforcé. La sévérité du Traité émanait principalement de la France ce qui en a fait une cible directe pour le nationalisme allemand (d’autant plus qu’elle se trouvait parallèlement désavouée par ses alliés comme les Etats Unis). Ainsi l’Allemagne s’est retrouvée renforcée dans sa position de laissée-pour-compte ce qui a permis aux mouvements 25 Sylvain Kahn, L'État-nation comme mythe territorial de la construction européenne, op.cit, p.245. Antoine ROGER, Les grandes théories du nationalisme, Paris, Armand Colin, 2001, voir notamment les théories d’Ernest Gellner et Karl W. Deutsch. 27 Il serait également intéressant de se pencher sur les causes et le déroulement de la Première Guerre Mondiale. Nous nous attacherons cependant ici principalement aux conséquences de la Seconde qui semblent plus emblématiques de la situation exposée. 26 ~ 12 ~ nationalistes, parmi lesquels le nazisme, de surfer sur la tendance pour forger une opinion publique hostile à la France et déterminée à rendre au pays sa grandeur. La Seconde Guerre Mondiale, conséquence directe de ce ressentiment, représente l’apogée du nationalisme avec la surpuissance du régime hitlérien.28 On assiste en effet à la volonté d’expansion d’un pays qui s’estime supérieur aux autres Etats présents sur le continent. Au-delà de l’Etat lui-même il y a bien une composante nationaliste poussée à l’extrême avec la présence d’une racialisation et, découlant de cela, d’une hiérarchisation de l’humanité.29 La fin de la Guerre et la découverte par le monde entier des camps de concentration a provoqué un énorme choc psychologique. Une méfiance voire un rejet des nationalismes s’est installé. On peut d’ailleurs placer le début de la construction européenne dans cette mouvance. En effet, après des siècles de tensions en Europe, la CECA met en pratique la théorie du doux commerce présentée par Montesquieu30 en liant économiquement les ennemis pour qu’ils n’aient plus avantage à se combattre. C’est sur cette base que l’on va ensuite chercher à construire une communauté des pays d’Europe. On voit donc ici les effets pervers que peuvent avoir les Etats-nation qui sacralisent en quelque sorte la place de la nation. Parallèlement à cela, il faut prendre en compte la phase de décolonisation des deux grands empires, britannique et français. b) Décolonisation et droit des peuples à disposer d’eux même, les nationalismes de libération La Seconde Guerre Mondiale a entrainé une certaine réserve vis-à-vis des nationalismes mais elle a aussi provoqué une grande désillusion au sein des pays colonisés. En effet beaucoup sont allés se battre aux côtés des pays européens et n’ont rien reçu en retour. De plus, alors que l’occident se présentait à eux comme un modèle, la découverte 28 Les causes de la Seconde Guerre Mondiale ne sont bien sûr pas à résumer à la dureté du Traité de Versailles mais il s’agit d’un élément essentiel à la compréhension de la montée du nationalisme. 29 Ce nationalisme poussé à l’extrême ne doit pas occulter les nationalismes présents dans les autres pays européens. 30 « L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre à intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur les besoins mutuels. » MONTESQIEU, De l’esprit des lois, 1758, extrait du chapitre 2 « De l’esprit du commerce » du livre XX « Des lois dans le rapport qu’elles ont avec le commerce considéré dans sa nature et ses distinctions ». ~ 13 ~ des horreurs commises pendant le conflit a remis en question cet idéal. Autre élément de taille, la Charte des Nations Unies consacre dans son article premier « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».31 On assiste alors à un véritable raz-de-marée qui secoue les pays colonisés et qui voit la mise en place des nationalismes de libération. L’objectif de ces derniers est de faire valoir l’importance de la nation colonisée face à celle du colonisateur. Il s’agit en somme d’une demande d’égalité après des années de domination. Pour évacuer la question la Grande Bretagne a mis en place le Commonwealth qui continue d’associer, s’ils le souhaitent, les anciens pays de l’Empire Britannique. Du côté de la France une tentative similaire a eu lieu mais n’a pas abouti ce qui a rendu la transition bien plus complexe. Plusieurs guerres d’indépendance ont eu lieu (avec au premier rang la Guerre d’Indochine et la Guerre d’Algérie) et les rapports entre la Métropole et les anciennes colonies restent souvent ambigus. Le problème n’a pourtant pas été réglé avec la chute des empires coloniaux car le brassage de population avait déjà eu lieu, créant des sociétés bien éloignées de l’idéal national initial. On peut penser au cas de l’Algérie qui, considérée pendant un temps comme un département français, n’a pas pour autant vu sa population bénéficier des mêmes droits que dans la métropole (du moins pas en totalité et pas systématiquement). Après la décolonisation, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a rendu possible l’indépendance de nombreux pays, cette fois-ci en Europe, à la suite de la chute des régimes communistes. On alors assisté à une multiplication inédite du nombre d’Etats sur le continent. Plus largement, le nombre d’Etats sur Terre a augmenté de façon exponentielle. On peut prendre pour exemple le nombre d’Etats membre de l’ONU qui passe de 51 en 1945 à 193 aujourd’hui !32 Au-delà de ce constat, il s’agit de comprendre la mouvance générale qui semble en faveur de ce morcellement du monde, réveillant de vieilles aspirations dans certains groupes régionaux. Avant d’aller plus loin, il apparait ici important de bien différencier les minorités ethniques des minorités nationales. On considère comme minorité ethnique un groupe 31 http://www.un.org/fr/documents/charter/chap1.shtml, Charte des Nations Unies, article 1 alinéa 2. Cet article se positionne directement en opposition à la colonisation, une position traditionnellement défendue pas les Etats-Unis. 32 http://www.un.org/fr/members/growth.shtml#2000, consulté le 7 aout 2015. On constate un boom des adhésions dans les années 50 (décolonisations) puis dans les années 90 (chute du communisme) et un très fort ralentissement depuis. ~ 14 ~ ethnique différent du groupe majoritaire sous l’autorité duquel il vit. Les ressortissants de ce groupe n’ont pas d’Etat de référence. Au contraire les minorités nationales ont considérés comme telles lorsqu’il s’agit de ressortissant de pays étrangers présents sur un autre territoire.33 Will Kymlicka, grand théoricien du multiculturalisme fait lui « une distinction entre ce qu'il appelle les États multi nationaux - constitués d'entités nationales linguistiquement et territorialement définies - et les États polyethniques, c'est-à-dire ceux où coexistent plusieurs communautés ethniques nées de l'immigration ».34 Si la différence parait assez claire il n’en est rien dans la réalité. En Europe centrale et orientale par exemple, il a été (et il est toujours) difficile de traiter avec cette questions après une longue période de communisme qui a successivement travaillé à nier les différences ou à les exacerber selon les besoins.35 Pour revenir en Europe occidentale, le cas de l’Espagne est ici très intéressant. Ce n’est pas ici le communisme mais le franquisme qui s’est attaché à nier les particularismes régionaux au profit de la glorification nationale. Il était par exemple interdit de pratiquer une autre langue que le castillan et la répression associée était virulente, de nombreux catalans ont par exemple été emprisonnés pour avoir utilisé leur langue. Cet épisode sombre est aujourd’hui fortement utilisé dans la rhétorique indépendantiste. Ainsi, avec d’un côté la construction européenne et de l’autre la création d’un cadre international favorable aux minorités, l’Etat nation se trouve grandement contesté en Europe. Sur le continent, et surtout à l’est, les minorités ethniques et nationales revendiquent leur indépendance et l’obtiennent en partie. A l’ouest, nous y reviendrons, les régionalismes se renforcent avec la construction européenne. Outre-mer, la décolonisation entérine l’idée d’un nationalisme de libération venant questionner le modèle de l’Etatnation. Si jusqu’alors des pays comme la France étaient considérés comme des modèles d’intégration ils voient surgir en leur sein des revendications, que ce soit de groupes régionaux ou de groupes issus de l’immigration. 33 Comme toujours il est difficile de se baser uniquement sur cette définition car la réalité possède des caractères bien plus complexes et mouvants. 34 Will KIMLICKA, Multicultural Citizenship, Oxford University Press, New York, 1995 in Riva KASTORYANO, Des multiculturalismes en Europe au multiculturalisme européen. In: Politique étrangère N°1 - 2000 - 65e année p.167. 35 Ce travail ne portera pas sur l’Europe de l’est dont la spécificité et la complexité ne se prête pas à la démonstration. Il serait toutefois intéressant d’effectuer une comparaison avec ces pays où les nationalismes ont été instrumentalisés à l’extrême. Nous nous contenterons ici de mentionner quelques aspects de la situation régionale. ~ 15 ~ Dans une seconde partie, nous nous intéresseront aux politiques mises en place pour répondre à ces problématiques. Pour l’instant nous allons nous concentrer sur l’étude de l’Amérique Latine où les Etats mis en place ont été très fortement inspirés par les modèles européens mais où les réalités sont pourtant bien différentes. B. Amérique latine : tentatives de transposition du modèle européen Sous domination européenne jusqu’au XIXème siècle, l’Amérique Latine a vu se mettre en place des régimes politiques directement inspirés des Etats d’Europe Occidentale. Rien d’étonnant alors à ce que les tentatives de création d’Etat-nation y soient également nombreuses. En effet, même si ces Etats sont reconnus indépendants, le pouvoir reste dans la plupart des cas aux mains des élites blanches directement issues des grandes familles occidentales, essentiellement espagnoles ou portugaises. Les indiens, qualifiés de minoritaires sont alors considérés comme des citoyens de seconde zone. Nous verrons dans un premier temps comment les élites blanches ont tenté de créer des Etats homogènes, et ce malgré la diversité de la population. C’est ce que nous appellerons la phase d’assimilation. Ces essais infructueux, nous verrons ensuite comment se sont mis en place des politiques d’intégration des peuples dit minoritaires avec la mise en place des politiques indigénistes. Nous nous arrêterons ici essentiellement sur la colonisation espagnole et les Etats qui en découlèrent.36 1. Tentative de construction d’Etas-nation : la période assimilationniste Dans cette partie nous attacherons à montrer les différentes étapes qui ont précédé à la création d’Etats multiculturels en Amérique Latine. Dans un premier temps nous nous 36 Pour des questions évidentes de temps et de concision, nous ne reviendrons pas en détail sur tout l’historique de la colonisation. Pour plus de détails sur les débuts de la présence espagnole et les premières réflexions sur les indiens (avec un focus sur les travaux de Las Casas) voir par exemple : Robert RICARD. Humanisme et colonisation aux origines de l'Amérique espagnole. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité, n°10, décembre 1951. pp. 132-149. ~ 16 ~ intéresserons à la période de la colonisation et à ses ambiguïtés puis, nous verrons comment l’indépendance a radicalement tranché avec les politiques précédentes. Compte tenu de l’ampleur du sujet, il ne sera ici question qu’un d’un survol des différentes périodes historiques. Il s’agit de saisir l’idée générale attachée à chaque période pour en comprendre l’évolution et donc mieux saisir les questionnements actuels. a) La colonisation espagnole et ses vestiges Les interventions des frères Montesinos et Las Casas qui incitèrent à la mise en place de lois en faveurs des indiens puis la célèbre Controverse de Valladolid ont permis de déterminer que les indiens étaient des bien êtres humains, des créatures de Dieu en attente de la foi (et non des hérétiques ou des animaux). Ainsi des lois sont mises en places pour encadrer la colonisation et interdire l’esclavage des populations originaires. Si aujourd’hui ces lois nous paraissent minimes, elles représentaient beaucoup au XVIème siècle ce qui explique d’ailleurs la difficulté avec laquelle elles sont mises en place (plusieurs missions de contrôle sont envoyées mais sans réel effet). Bien sûr cela n’a pas signifié la fin de l’exploitation car même s’il n’est plus question d’esclavage il est toujours, et plus que jamais, question d’évangélisation forcée. Celle-ci est présentée comme un cadeau fait par les espagnols à des peuples considérés comme jusque-là dans l’ignorance. En échange de cet éveil, les indiens doivent bien entendu travailler pour la couronne. Ainsi se sont mis en place des sociétés que l’on pourrait a posteriori qualifier de ségrégationnistes tant les blancs et les indiens vivent séparés. Souvent les autochtones étaient concentrés dans des « réductions », sortes de réserves de main d’œuvre organisées autour d’une église. Cette concentration a entrainé de nombreux déplacements de populations, mélangeant des individus venant de différents groupes ethniques et détruisant ainsi les solidarités originaires. L’idée était de les regrouper pour pouvoir mieux les contrôler, percevoir les tributs et les évangéliser. Ces types d’organisation en communautés permettent également la mise en commun des terres et consacrent ainsi une existence juridique aux groupes indigènes. ~ 17 ~ Aussi minime et peu adaptée soit elle, cette organisation représente donc un premier pas vers la reconnaissance des groupes indigènes comme tels.37 Henri Favre nous explique que plus tard, en 1680, la colonisation est étatisée au point qu’est mise en place une véritable « République des indiens » consacrant cette dualité mais aussi cette reconnaissance.38 Au-delà du caractère extrême de cette séparation, il faut préciser qu’elle a été très difficile à mettre en place de façon concrète notamment parce qu’elle ne laissait pas de place aux métis qui n’entraient ni dans un cadre ni dans l’autre.39 Cherchant petit à petit à se détacher de la couronne espagnole, les pays d’Amérique Latine entreprennent de se forger une identité afin de créer un sentiment patriotique (on retrouve ici la volonté de création d’une sorte d’unité nationale). C’est dans cette optique que les élites vont réinvestir l’historique indien (en opposition à l’historique hispanique). Les civilisations incas et aztèques vont être idéalisée dans une mystification du bon indien. Le problème ici c’est que l’indianité qui est mis en avant ne correspond pas à la réalité contemporaine mais au contraire à une idéalisation du passé.40 Comme l’écrit Nicole Beaurin dans son analyse du texte de Favre : « les créoles découvrent le passé indigène qu’ils vont valoriser et s‘approprier pour se construire une identité, Aztèques et Incas devenant pour eux, Américains, l’équivalent des Grec et des Romains pour les Européens. »41 En parallèle de ces tentatives de création d’une histoire nationale et d’une identité, les mouvements de libération continuent de lutter contre la présence espagnole sur le territoire. Des guerres d’indépendance ont lieu et finissent par aboutir à l’indépendance de l’Amérique Latine au XIXème siècle. 37 Attention, même si le résultat est quelque peu en faveur des autochtones, la finalité, elle, était bien de contrôler la population pour mieux l’asservir. On retrouve cette légère ambivalence dans l’acte d’évangélisation qui est présentée comme salvateur puisqu’elle va mettre les peuples indiens sur le chemin de la foi mais l’acte n’est pas si désintéressé, l’idée est également qu’une fois convertis, les indiens se soumettrons d’eux-mêmes à la couronne espagnole. 38 Henri FAVRE, L’indigénisme, Paris, Presse Universitaire de France, coll. « Que sais-je ? », 1996 39 La question du métissage est problématique quelle que soit la période historique ou la politique mise en place. La recherche ultime de l’étiquetage a ainsi donné lieu à une multitude de dénominations représentant le niveau de croisement entre blanc et indien. Voir par exemple ici les réflexions de Kathryn BURNS, Desestabilizando la raza, in Marisol DE LA CADENA, coll, Formaciones de indianidad. Articulaciones raciales, mestizaje y nación en América Latina, Envion, 2008, p 35-55 40 Idem. Cette idéalisation est également une thématique actuelle comme nous le verrons plus bas. 41 Nicole BEAURAI. Henri Favre, L'indigénisme, Paris, Presses Universitaires de France, (Que sais-je ?) 1996, L’Homme et la société, 1996, vol. 120, n° 2, p.139. ~ 18 ~ b) Indépendance et triomphe de l’égalité Avec les déclarations d’indépendance de nouveaux pays voient le jour pour former dans les grandes lignes la carte de l’Amérique Latine que l’on connait aujourd’hui. Dans un contexte global de revendication des Droits de l’Homme, le continent Latino-Américain ne fait pas exception. Après la phase de mise en valeur de l’histoire indigène, les déclarations d’indépendance font table rase. Les nouveaux Etats entendent prendre exemple sur les démocraties européennes et faire la part belle à l’égalité. Dans cette optique la citoyenneté pleine et entière est donnée aux indigènes et plus aucun aménagement à leur égard n’est pris en compte. Comme en Europe il s’agit donc de mettre en place une stricte égalité formelle. Les communautés dans lesquelles vivaient les indigènes perdent leur existence légale et les terres, qui jusque-là étaient de possession commune, sont privatisées. Si l’intention est louable, le résultat est dévastateur. En effet, soucieux de mettre en place cette égalité formelle, les gouvernements ont instauré des politiques d’assimilation de grande ampleur de façon à créer des communautés nationales homogènes. Ainsi Guillaume Boccara et Ingrid Seguel-Boccara, citant Alejandro Saavedra Parra, décrivent la relation du Chili avec ses minorités (et plus particulièrement du cas des Mapuches) comme « marquée par la volonté de substituer l’unité territoriale et l’hégémonie raciale à la diversité culturelle existante ». 42 Après la phase ambigüe des guerres d’indépendance, les nouveaux gouvernements chiliens vont accorder la citoyenneté à tous les habitants du territoire (y compris les Mapuches donc) et reprendre des politiques d’évangélisation. On constate également le recours à des politiques d’immigration sélective pour « améliorer la race »43. L’idée est d’importer des européens et de les faire travailler dans les zones indiennes pour pallier aux dites lacunes de ceux-ci.44 42 Alejandro SAAVEDRA PARRA, «Estado chileno y legislación indígena», in Armando MARILEO, et al., ¿Modernización o sabiduría en tierra mapuche? in Politicas indigenas en Chile (siglos XIX y XX) de la asimilacion al pluralismo (en caso Mapuche), Guillaume Boccara et Ingrid Seguel-Boccara, Revista de Indias, 1999, vol. LIX, num. 217, p.742 » en espagnol. 43 «mejorar la raza chilena», Guillaume Boccara et Ingrid Seguel-Boccara, Politicas indigenas en Chile (siglos XIX y XX) de la asimilacion al pluralismo (en caso Mapuche), op.cit, p.748. 44 Il est alors généralement admis que ceux-ci sont fainéants, brutaux ou encore idiots. Voir ici par exemple pour le Pérou les textes de Felipe Pardo y Aliaga. ~ 19 ~ Parallèlement à cela et dans la continuité, les diverses politiques économiques de modernisation du pays vont peu à peu supprimer les propriétés indigènes collectives en les privatisant pour y installer des équipements plus modernes et en rentabiliser l’occupation.45 On retrouve la même dynamique au Pérou comme l’illustrent par exemple les écrits de Kathryn Burns46 et de Cecilia Mendez.47 Cette dernière présente une étude très intéressante de la période de la Confédération Pérou-Bolivie entre 1836 et 1839 et plus particulièrement de la perception du maréchal Santa Cruz instigateur de celle-ci. Elle décrit une période ou l’étranger semblait mieux perçu que l’indien et où l’indien éduqué n’était que sujet de moqueries de la part de l’aristocratie liménienne.48 Elle relève ainsi un « rejet primordial de l’élément indigène »49 combiné à une idéalisation, une « exaltation du passé inca »50, un véritable « incaïsme »51 comme en témoigne le titre de son ouvrage. C’est sur cette contradiction flagrante que l’élite liménienne entend baser la nation péruvienne: « (…) la définition du national pas vraiment en fonction d’un rejet xénophobe de l’étranger mais plutôt, fondamentalement, d’un mépris ou d’une ségrégation vis-à-vis de l’indien. » 52 La fin de l’épisode de la Confédération rime avec le traité de Yanallay qui quoiqu’anecdotique entérine la soumission des indigènes au gouvernement de la capitale. Ainsi, toujours selon Cecilia Mendez : « une république sans indiens paraissait être le synonyme du progrès. »53 On note au Pérou aussi des tentatives d’importation de population blanche. L’idée centrale est donc bien celle d’une négation de l’indien comme citoyen ou membre de la nation. Il s’agit de l’éduquer et de le civiliser au contact des blancs afin que sa différence puisse être moins visible. La tendance n’est donc plus à la séparation mais à l’assimilation et à l’acculturation. On a donc bien ici le désir clairement affiché de la part des élites blanches de recréer en Amérique Latine des Etats-nation à l’européenne, uniformes et égalitaires. Une tentative vouée à l’échec. 45 Guillaume Boccara et Ingrid Seguel-Boccara, Politicas indigenas en Chile (siglos XIX y XX) de la asimilacion al pluralismo (en caso Mapuche), op.cit, p.750-752. 46 Kathryn BURNS, Desestabilizando la raza, op.cit. 47 Cecilia MENDEZ, Inca si, indios no: apuntos para el estudio del nacionalismo en el Peru, 1996. 48 Elle prend ici l’exemple des textes de Felipe Pardo y Aliaga comme illustration de la classe politique et littéraire de la capitale vis-à-vis de Santa Cruz et au-delà, des indiens. 49 Cecilia MENDEZ, Ibid, p.8. 50 Cecilia MENDEZ, Ibid, p.23. 51 Cecilia MENDEZ, Ibid, p.24. 52 Cecilia MENDEZ, Ibid,, p.18, “(…) la definición de lo nacional no tanto en función de un rechazo xenófobo a lo extranjero (Gamarra), sino, fundamentalmente, del desprecio o segregación de lo indio (Pardo).” 53 Cecilia MENDEZ, Ibid, p.20, “Una “Republica sin indios” parecía ser la lama del progreso”. ~ 20 ~ 2. Première prise en compte de la différence, la mise en place de politiques indigénistes L’égalité formelle recherchée dans un premier temps avait déjà commencé à disparaitre avec les premières politiques d’assimilation. En effet, malgré la volonté affichée de traiter égalitairement tous les citoyens, le mépris de l’indien refait vite surface enfermant les peuples autochtones dans un rejet et une dépréciation toujours plus importante. On se doit ici de mentionner que comme toute forme de racisme, celui envers les populations indigènes se base également sur la peur, entretenue depuis des décennies. Pour le Pérou Cecilia Mendez nous dit par exemple que depuis la révolte de Tupac Amaru en 1781, les habitants de la côte craignent un soulèvement de la masse indienne.54 Maintenus dans cette citoyenneté de seconde zone, les indiens ne tardent pas à se révolter, surgit alors le « problème indien », thème récurrent de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. Face à cette situation de nombreux intellectuels vont tenter d’élaborer des solutions. Celles-ci viennent dans un premier temps des élites elles-mêmes qui entendent traiter la question indienne depuis la capitale. Elles seront dans un second temps reprises par les principaux intéressés, les peuples autochtones. Nous traiterons ici de l’indigénisme soit la première étape de ce cheminement. La définition générale de l’indigénisme donnée par le dictionnaire Larousse est la suivante : « Mouvement politico-social qui s'est développé vers les années 1920 en Amérique latine, notamment dans les pays andins, pour plaider la cause des masses indigènes opprimées par le système semi-féodal hérité de la colonie. »55 Il est également ajouté que le penseur principal de ce courant est José Carlos Mariategui. Il a publié entre autre 7 essais d’interprétation de la réalité péruvienne dont un est consacré au « problème indien »56 mentionné plus haut. 54 Cecilia MENDEZ, Inca si, indios no: apuntos para el estudio del nacionalismo en el Peru, op.cit, p.22 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/indig%C3%A9nisme/42604, consulté le 8 aout 2015. 56 José Carlos MARIATEGUI, 7 Ensayos de interpretación de la realidad peruana, Biblioteca Amauta, Lima, 1928, Capitulo II “El problema del indio”. Ici consulté sur http://www.jus.unitn.it/cardozo/Review/2009/Mariategui.pdf. J.C Mariategui est un auteur marxiste dont l’analyse est fortement marquée par la perspective économique ce qui offre une perspective intéressante mais à relativiser. 55 ~ 21 ~ De façon plus précise et plus analytique, Marie-Chantal BARRE, dans sa thèse consacrée à l’ « Indigénisme et l’indianisme en Amérique Latine »57 donne une définition de la politique indigéniste dans les termes suivants : « appareil idéologique d’Etat spécifiquement latino-américain qui cherche à maintenir le rapport colonial et le système dominant par l’intégration, l’acculturation, l’assimilation des indiens à la société dite « nationale ». »58 Nous retrouvons dans cette formulation à la fois l’idée d’une continuité historique entre les différentes périodes historiques et celle d’une séparation entre les indiens et les élites gouvernantes. Elle qualifiera même plus loin cette politique d’ « impérialisme occidental »59 tant la classe dirigeante des pays d’Amérique Latine au début du XXème siècle est encore marquée par l’influence européenne. a) D’indien à paysan, quand l’économique prend le pas sur l’ethnique. Reprenant la démarche d’Henri Favre dans son « Que sais-je ? » sur l’indigénisme60, nous avons tenté de mettre en évidence les grandes lignes de la construction de ce courant. Arrivés maintenant au début du XXème siècle l’heure n’est plus seulement à l’exaltation des Droits de l’Homme et de l’égalité. Avec la seconde révolution industrielle et le début du rayonnement des Etats-Unis sur le monde, l’économie se place au cœur des débats. Le libéralisme économique et le communisme s’affirment sur le territoire latino-américain, modifiant une fois encore les rapports de force. Le problème indien n’est plus seulement un problème de race, il devient celui de la pauvreté. L’indien devient petit à petit paysan.61 En ce qui concerne le libéralisme économique à proprement parler, ses bases sont l’égalité et la privatisation. Les indiens doivent donc être considérés comme n’importe quels autres consommateurs ou producteurs et leurs terres doivent être réparties. Au-delà de cela, ce sont surtout les thèses marxistes comme celles de J.C Mariategui qui vont 57 Marie-Chantal BARRE, L’indigénisme et l’indianisme en Amérique Latine, Université de Paris III, 1980 in Georges BAUDOT. La recherche latino-américaniste en France (1980). In: Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, n°37, 1981. pp. 276-278. 58 Marie-Chantal BARRE, L’indigénisme et l’indianisme en Amérique Latine, op.cit, p.276. 59 Marie-Chantal BARRE, Ibid, p.276. 60 Henri FAVRE, L’Indigénisme, op,cit. 61 La question de l’évolution de la dénomination des populations autochtones est extrêmement intéressante. Elle permet de voir comment elles ont été prises en compte (et prises en charge) au fil des siècles passant d’indien à paysan, à autochtone, à originaire et paysans… Ici on voit comment le caractère économique prend le pas sur le caractère ethnique. ~ 22 ~ s’attarder sur la question. Nous allons brièvement nous intéresser à son chapitre sur « le problème de l’indien » issu des « 7 essais d’interprétation de la réalité péruvienne ». Dès les premières lignes celui-ci donne le ton : « Toutes les thèses à propos du problème indigène qui ne prennent pas en considération, ou éludent, son caractère économico-social sont des exercices théoriques, quelques fois seulement verbaux, condamnés à un absolu discrédit. »62 Il ajoute même plus loin : « La supposition selon laquelle le problème indigène est un problème ethnique se nourrit du répertoire le plus archaïque des idées impérialistes. »63 Selon lui le nœud du problème est la privatisation des terres et la soumission continue des indiens depuis l’invasion européenne. Il estime que la République en maintenant l’indien dans la pauvreté et la soumission est encore plus coupable que la couronne car la responsabilité lui revenait de modifier cette domination. D’autant que « (…) la République est un régime fondamentalement péruvien et libéral ».64 En dépossédant les indiens de leurs terres, les élites impérialistes auraient plongé la population autochtone traditionnellement attachée à la terre dans un désespoir profond. Dans cette situation, l’arrivée des thèses socialistes aurait alors permis aux indiens de réaliser leur situation et de commencer à forger une contestation. En résumé ce n’est pas la culture ou la couleur de peau de l’indigène mais sa pauvreté et son isolement par rapport au marché économique qui en ont fait la cible des impérialistes. Déplacés et privés de leurs terres ils sont devenus un peuple en souffrance qui trouve dans l’émergence du socialisme le moyen de se faire entendre. Quoique fortement idéologique cette thèse apporte un point de vue différent et permet de saisir la complexité de la question qui dépasse, on ne peut le nier, la simple question ethnique. La question économique et plus particulièrement la question de la terre y est étroitement liée. Encore aujourd’hui cette dernière est au cœur des débats.65 Il ne faut toutefois pas penser que ce courant de pensé a complètement occulté les considérations d’ordre national(iste). Ces dernières prennent également un nouveau visage. 62 José Carlos MARIATEGUI, 7 Ensayos de interpretación de la realidad peruana, op.cit, p.1. “Todas las tesis sobre el problema indígena, que ignoran o eluden a éste como problema económico-social, son otros tantos estériles ejercicios teoréticos, y a veces sólo verbales, condenados a un absoluto descrédito.” 63 José Carlos MARIATEGUI, Ibid, p.4. “La suposición de que el problema indígena es un problema étnico, se nutre del más envejecido repertorio de ideas imperialistas.” 64 José Carlos MARIATEGUI, Ibid, p.9. “(…) la República es formalmente un régimen peruano y liberal.” 65 Voir les débats sur la propriété du sous-sol et de ses ressources notamment en Bolivie. Selon la nouvelle constitution l’Etat est propriétaires ressources et en assure la gestion. La question est de savoir comment il en gère et délègue l’exploitation. La thématique a aussi fait couler beaucoup d’encre en Équateur avec la décision du Président Correa d’exploiter le sous-sol du Parc Yasuni malgré les dégâts irrémédiables sur le milieu de vie en Amazonie. ~ 23 ~ b) Apologie du métissage et réveil indien Les années 1900-1930 sont elles aussi le théâtre de réflexions sur la construction nationale. Les pays d’Amérique Latine n’ont en effet cessé de chercher à se construire des nations sur lesquelles baser leurs Etats. Par l’égalité formelle puis par la tentative de dissolution de l’indianité dans l’occidentalisme des capitales, ce qui est resté sans succès. En ce début de siècle le mépris de l’indien semble moins systématique. Il apparait alors imaginable et même essentiel de l’inclure dans la nation. Les indigénistes commencent alors à imaginer une nouvelle solution à leur problème d’identification nationale : le métissage. Toujours porté par l’élite ce nouveau courant entraine un grand nombre de travaux en sciences sociales.66 Ce revirement peut s’expliquer par la multiplication du nombre de métis et conjointement la diminution du nombre de blanc. Audelà de l’aspect mathématique, les populations métissées s’intègrent de plus en plus à la société créant une dynamique nouvelle. Nous avons vu précédemment que le métis, par essence ni indien, ni blanc, était le laissé pour compte des diverses tentatives d’élaboration d’une politique indigène. N’entrant dans aucune case il était tour à tour rattaché à l’une ou à l’autre sans avoir d’existence propre ou de reconnaissance particulière. Isolement révolu, il devient au début du XXème siècle l’icône de la nation. Guillermo de la Peña résume ce constat de la façon suivante : « Si au XIXème siècle le métissage était vu –dans le meilleur des cas- comme un degré, un échelon devant permettre que les Indiens et les Africains puissent atteindre une européanisation nécessaire, au XXème siècle il devait signifier le triomphe d’une nouvelle culture populaire, résultant non de l’assimilation mais d’une fusion créatrice. »67 Le premier Congrès indigéniste interaméricain de 1940 parle lui d’intégrer « la personnalité indigène » à la vie nationale moderne.68 66 . Cherchant à répondre au mieux au problème indien, plusieurs chercheurs vont initier de grandes enquêtes de terrain. En 1994, Carlos Dancourt consacre une thèse à trois d’entre eux : Carlos DANCOURT, Au-delà de l'indigénisme au Pérou : trois discours pionniers sur le métissage (José Uriel Garcia, Hildebrando Castro Pozo, José Antonio Encinas), Tours, 1994. 67 Guillermo DE LA PENA, Racines Latino-Américaines du Multiculturalisme, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Presse Sorbonne Nouvelle, Paris, 2011, p.77. 68 Guillermo DE LA PENA, Ibid, pp.77-78 ~ 24 ~ Le calcul effectué par les chercheurs est ici très simple, s’il y a sur le territoire des blancs et des indiens alors la nation de peut véritablement s’incarner que dans le mélange des deux. Cette théorie a pour avantage de proposer une solution au déficit de construction nationale tout en permettant d’expliquer les échecs précédents. Glorifier le précolonial, l’hispanique ou encore l’aristocrate occidental ne pouvait mener qu’à l’échec ; l’unité ne doit pas provenir d’une imposition d’une partie de la population sur l’autre mais au contraire d’un mélange de celles-ci. La reconnaissance de l’indien comme constituante à part entière de la nation est ici bel et bien présente mais ne se traduit pas par une protection de celui-ci tel qu’il est. Une fois encore il s’agit de le façonner, de le modeler selon les besoins de l’époque. Le changement est pourtant considérable puisqu’il est également question de modifier le référentiel occidental. La Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen ainsi que la première révolution industrielle ont fait entrer le monde dans la modernité. De nouveaux courants de pensée s’imposent notamment en Europe où les Etats cherchent à se forger une nation (cas français) ou au contraire lorsque les nations se meuvent en Etats (cas allemand). Du fait des liens coloniaux avec l’Amérique Latine, le modèle s’exporte et se développe sur le continent. Dans les deux cas la réalité rattrape en peu de temps l’idéal type qui doit rapidement s’adapter. Déjà le contexte international en faveur de la décolonisation et du Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes entraine une multiplication des Etats et surtout des demandes d’indépendance. En Amérique Latine les thèses socialistes et l’augmentation de l’alphabétisation entrainent une prise de consciences des populations autochtones jusqu’ici opprimées. Ces deux continents ne sont pas les seuls à faire face à ce type de problématique et c’est en Australie puis au Canada que vont se développer les théories multiculturalistes. Ce courant de pensé novateur va prôner l’égalité différenciée et la discrimination positive comme moyen d’y accéder. Dans cette seconde partie nous allons voir dans un premier temps comment le courant a été perçu et mis en place en Europe et en Amérique Latine de façon à la fois différenciée et pourtant similaire. Nous verrons ensuite comment ces thèses sont elles aussi remises en question et critiquées aujourd’hui. ~ 25 ~ III. Modernité et premiers revers, émergences de nouvelles problématiques identitaires et naissance du multiculturalisme Comme nous l’avons vu plus haut, la réalité a rapidement mis à mal le modèle unitaire de l’Etat-nation. Des changements à la fois théoriques et concrets ont alors eu lieu afin de répondre à cette nouvelle situation. Dans un premier temps nous verrons comment les chercheurs et théoriciens ont remis en question l’égalité dans son acception formelle pour mettre en avant une égalité différenciée. Cette nouvelle notion basée sur la prise en compte de la différence s’est traduite dans les faits par la mise en place de politiques dites de discrimination positive dans le cadre du multiculturalisme. Ce revirement de situation a eu des répercussions importantes dans le monde entier et notamment en Amérique du nord et en Australie, pays instigateurs. En Europe le modèle a eu des difficultés à s’exporter du fait même de l’importance de l’Etat-nation. La France partisante historique de l’égalité représente ici une des situations les plus complexes. En Amérique Latine au contraire, le courant multiculturel va permettre de donner plus de place aux populations autochtones. Dans un second temps celles-ci vont pourtant se dresser contre des politiques continuant à faire de l’indien un objet et non un auteur de politique publique. A. Politiques européennes et immigration, quand la diversité ressurgit au sein des Etat-nation. Le nécessaire passage à des politiques multiculturelles Accrochés au modèle d’Etat-nation les pays européens n’ont accepté qu’à contrecœur de modifier leurs systèmes ce qui explique l’arrivée tardive des politiques multiculturelles sur le vieux continent. Face aux questions de plus en plus nombreuses soulevées notamment par l’augmentation des populations issues de l’immigration, les Etats européens ont dû se ~ 26 ~ rendre à l’évidence et remettre en questions leurs bases théoriques. C’est ce que nous verrons dans une première partie. Dans un second temps nous verrons comment la construction européenne s’est peu à peu placée en soutien des revendications identitaires, qu’elles soient issues de minorités ethniques ou de minorités nationales. Cette prise de position en réalité à faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a nettement complexifié la tâche des grands Etats européens qui campent sur leurs positions, au premier rang desquels, la France69. 1. Revirement théorique et nouveaux enjeux identitaires Comme nous l’avons vu précédemment, les pays européens, inspirés par l’esprit des Lumières et la Déclaration de Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ont basé leurs sociétés et leurs Etats sur l’égalité formelle. C’est elle qui est au fondement de l’Etatnation entendu comme modèle européen d’intégration. Avec le multiculturalisme il s’agit d’aller au-delà de l’égalité formelle pour mettre en place une égalité différence. L’idée est de différencier le traitement des individus selon leurs différences de façon à ce que tous puissent aboutir à une situation commune. Il ne s’agit plus de considérer une égalité de base, ou de départ mais au contraire de s’intéresser à une égalité de résultat.70 a) Du droit de au droit à, les innovations du multiculturalisme Ainsi que nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, le multiculturalisme s’est développé dans un premier temps en Australie et au Canada dans les années 1970 71. Son principe, alors complètement novateur, est de penser la différence comme base et non plus comme frein à l’égalité. 69 Nous étudierons plus tard le cas de l’Espagne et de la Catalogne qui mettent aujourd’hui l’Europe face à un dilemme. 70 Pour cette partie notre texte de référence sera Milena DOYTCHEVA Le Multiculturalisme, La Découverte, Paris, 2005 71 Cette date avancée par Milena Doytcheva peut être questionnée. Certains auteurs comme Riva Kastoryano font débuter le multiculturalisme dans les années 1960. Riva KASTORYANO, Des multiculturalismes en Europe au multiculturalisme européen. In: Politique étrangère N°1 - 2000 - 65e année p 166. ~ 27 ~ Milena Doytcheva précise dans son livre éponyme, « Le Multiculturalisme » qu’il s’agit d’un terme polysémique qui se réfère en premier lieu à la diversité d’une société. Il se réfère ensuite au pluralisme, à un multiculturalisme « social »72 qualifiant les différentes organisations sociales œuvrant à la promotion de la diversité. Enfin, le terme tel qu’il nous intéresse ici fait référence à un caractère « normatif »73, aux politiques publiques mises en place pour traiter cette question de la diversité. Elle conclut cette présentation en soulignant que même si des politiques du même type préexistaient au multiculturalisme, elles n’avaient jusqu’alors jamais pris place dans des démocraties. C’est ce dernier élément qui caractérise la nouveauté du multiculturalisme. Autre aspect important montrant que le multiculturalisme est un produit de la modernité, son lien avec l’individualisme. Il se réfère en effet à des individus et non à des groupes (du moins en premier lieu) et traduit ainsi une affirmation individuelle. Pour résumer ces deux éléments, on peut ici reprendre les travaux de A.Renaut et S.Mesure tels que présentés par Milena Doytcheva.74 Ils produident une présentation historique de l’égalité en trois étapes qui se conclu par la période actuelle (ils écrivent en 1999) : « 3) enfin, le régime contemporain, où les individus souhaitent être reconnus comme égaux non plus « par-delà », mais dans leurs différences, l’égalité étant désormais comprise en termes d’équivalence entre les cultures ».75 Plus théoriquement, on peut ici s’intéresser à la théorie de la justice de John Rawls qui articule principe d’égalité et principe de différence.76 Le premier regroupe les droit et libertés fondamentales qui ne sauraient être mis en cause, même au profit du second principe. Le principe de différence quant à lui tend à créer la situation la moins défavorable possible pour les plus défavorisés. Cette théorie libérale s’intéresse aux individus car ils sont les instigateurs de ce système.77 En conclusion, John Rawls propose une théorie mettant en lien égalité formelle, avec l’existence de libertés fondamentales communes à tous les individus, et égalité réelle en proposant la mise en œuvre d’aménagement permettant de créer une société, la plus juste possible. Cette conception a soulevé de 72 Milena DOYTCHEVA Le Multiculturalisme, op.cit. p.9 Milena DOYTCHEVA, Ibid, p.10 et 15 pour un résumé des différentes acceptions. 74 Milena DOYTCHEVA, Ibid, p13 75 Milena DOYTCHEVA, Ibid, p13 76 Nous nous appuyons ici sur l’analyse de Philippe ADAIR. La Théorie de la justice de John Rawls. Contrat social versus utilitarisme. In: Revue française de science politique, 41e année, n°1, 1991. pp. 81-96. 77 On retrouve chez Rawls la formulation d’un Contrat Social comme émanation de la volonté des individus. Ici le passage de la « position originale » à la société juste se fait par le passage théorique par un voile d’ignorance. Chaque individu ne sachant pas quelle sera sa position dans la société fera en sorte que celle-ci soit la meilleure pour les plus défavorisés. 73 ~ 28 ~ nombreuses critiques notamment chez les communautariens partisans eux des droits collectifs, des droits accordés donc à des groupes de personnes et non à des individus.78 Cette tension entre le collectif et l’individuel est toujours d’actualité et soulève de nombreuses questions qui sont inhérente à toute politique multiculturelle. Sur cette vision duale de l’égalité on peut également reprendre la division présentée par Hélène Giroux dans sa thèse. Elle y expose la différence entre un « droit à » et un « droit de » la différence.79 Autrement dit entre une acceptation de la différence et une reconnaissance, une mise en valeur de celle-ci qui se traduit notamment par la mise en place de politiques de discrimination positive.80 On peut aussi exprimer cela en termes de reconnaissance et de redistribution, toute la question de l’intégration étant de savoir s’ils doivent ou non aller de pair, ce que défend le multiculturalisme.81 On assiste donc bien avec le multiculturalisme à un changement de paradigme, à la mise en avant d’une nouvelle forme d’égalité. Première illustration en est faite en 1971 au Canada avec les premières déclarations officielles en faveur du multiculturalisme. Le pays va ensuite développer un véritable arsenal multiculturel mettant fin, au moins sur le papier, à la théorie des deux peuples fondateurs. Y subsistent pourtant de nombreux problèmes en ce qui concerne les premières nations ; il est souvent reproché au pays de s’attarder plus sur les minorités nationales que sur les minorités ethniques présentes sur le territoire. En Europe cependant, ce revirement apparait bien plus difficile aux vues de la tradition assimilationniste et de l’ancienneté des institutions qu’il est difficile de modifier, d’adapter aux nouvelles réalités. 78 Cette présentation manichéenne est en réalité bien plus complexe mais nous n’entrerons pas ici dans les détails. Le texte de Philippe Adair cité ci-dessus permet d’entrer plus en détail dans la question. On retrouve aussi quelques pages consacrées au sujet dans l’ouvrage de Milena Doytcheva. 79 Marie-Hélène GIROUX, Protection des minorités et pluralisme national en Europe : L’influence décisive des institutions européennes sur les régimes de protection des minorités en France et en Hongrie, op cit, p.27 et suivantes. 80 Traduction de l’anglais « affirmative action », la discrimination positive désigne selon le Larousse : « action visant à réduire des inégalités subies par certains groupes ou communautés en leur accordant des avantages préférentiels (instauration de quotas, notamment). » On retrouve donc bien cette idée de compensation d’une égalité de départ pour aboutir idéalement à une égalité de résultat. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/discrimination/25877/locution?q=discrimination+positive#1095 3940, consulté le 22 aout 2015. 81 Danielle JUTEAU, Penser le multiculturalisme comme projet égalitaire, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Presse Sorbonne Nouvelle, Paris, 2011. ~ 29 ~ b) Immigration et multiculturalisme, les exemples de la France et de la Grande-Bretagne En Europe occidentale, le multiculturalisme a tardé à faire son entrée, considéré dans un premier temps comme inadapté aux vieilles nations. On comprend en effet que face à des Etats-nation prônant l’unité culturelle, la mise en place de politiques valorisant la différence soit un processus complexe. Riva Kastoryano écrit par exemple que « le multiculturalisme se réfère avant tout à l’État-nation qui, dans ses principes, tend vers l'unification territoriale, linguistique et culturelle. Il a été considéré comme une réponse pragmatique ou idéologique - à la gestion de la diversité propre à toute société industrielle et aux moyens de l'inclure dans la communauté politique. »82 On voit bien ici la tension qui unit ces deux politiques. Ce fut cependant un passage essentiel pour des pays dont le système initial semblait s’essouffler face à la réalité marquée notamment par les migrations, les déplacements de population. Avant de voir plus tard l’influence qu’a eue l’Union Européenne sur les politiques des Etats membres et aspirants, nous allons ici nous intéresser au phénomène d’immigration longue durée, caractéristique lui aussi de la société moderne. Les premières vagues d’immigration eu Europe occidentale sont en provenance de pays voisins et sont absorbées par la demande de main d’œuvre notamment dans l’agriculture ou les travaux manuels, des secteurs délaissés par les nationaux. D’abord victimes de discriminations, ces premiers arrivants sont ensuite assimilés au sein des populations locales. Ainsi en France on parle de la réussite du creuset français dans lequel se sont fondus les nouveaux arrivants. Cette situation n’est pourtant que de courte durée, avec l’arrivée de nouvelles générations d’immigrant venant de destinations plus lointaines, l’équation se complique. Ravi Kastoryano articule multiculturalisme et immigration en Europe de la façon suivante : « En Europe occidentale, l'usage du terme « multiculturalisme » marque le passage d'une immigration économique temporaire à une présence permanente des populations immigrées des années 60, notamment de celles en provenance des pays musulmans, perçues comme les plus « étrangères » à une « culture » définie comme occidentale et surtout perçue comme une menace au sécularisme considéré 82 Riva KASTORYANO, Des multiculturalismes en Europe au multiculturalisme européen, op.cit, p.164. ~ 30 ~ comme valeur universelle contre les formes d'organisations communautaires particularistes fondées sur la religion et, de ce fait, pose la question de la reconnaissance et de la représentation institutionnelle. »83 Elle résume ici la situation d’un pays comme la France qui se voit obligé de revenir sur ses principes fondamentaux. En ce qui concerne la question de la laïcité, elle est bien au cœur des débats actuels que ce soit en ce qui concerne les tenues vestimentaires, les prières de rue ou les menus des cantines scolaires. Pour étudier la situation en profondeur nous allons maintenant nous intéresser à deux cas particuliers, la Grande Bretagne et la France. En Grande-Bretagne la création du Commonwealth84 a permis de maintenir des liens étroits entre les iles britanniques et les anciennes colonies. Ce lien privilégié, porté notamment par le partage d’une langue, a rendu possible une forte immigration vers la Grande-Bretagne. En provenance en majorité d’Inde et du Pakistan mais aussi de certains pays d’Afrique les nouveaux arrivants possèdent des cultures diverses. Loin de chercher à les assimiler, la Grande-Bretagne est le premier pays d’Europe à développer une politique multiculturelle. Souvent comparé au modèle étatsunien, le modèle britannique est en réalité différent car plus individualiste que communautarien. La diversité est reconnue et acceptée au niveau gouvernemental alors que sur le terrain ce sont les associations, et plus globalement la société civile, qui s’occupent de rendre fonctionnelle cette société multiculturelle.85 L’idée est de promouvoir au travers de l’école le modèle d’une société plurielle basée sur la tolérance de la différence et donc de laisser se développer ces différences sur le territoire. Le multiculturalisme n’a donc eu aucun mal à intégrer la société britannique, notamment parce qu’il s’apparentait aux régimes mis en place dans les colonies (acceptation de la différence pour autant qu’elle ne remette pas en question la domination). Même s’il est critiqué, le système développé en Grande-Bretagne semble efficace et aujourd’hui ce ne sont plus tant les minorités issues de l’immigration qui posent problème mais plutôt les minorités ethniques comme l’Ecosse dont nous parlerons ultérieurement. En ce qui concerne la France, les nouveaux immigrants issus essentiellement des anciennes colonies apportent eux aussi de nouvelles cultures, de nouveaux systèmes de 83 Riva KASTORYANO. Des multiculturalismes en Europe au multiculturalisme européen, op cit, pp.167168. 84 Voir ici le site internet du Commonwealth : http://thecommonwealth.org/about-us, consulté le 22 aout 2015. 85 Voir ici le chapitre de Milena Doytcheva consacré au cas de la Grande-Bretagne ; Milena DOYTCHEVA, Le Multiculturalisme, op.cit, pp. 65 et 66. ~ 31 ~ valeur, de nouvelles religions et de nouvelles langues sur le territoire. Ils sont également issus d’une histoire conflictuelle avec la métropole. En effet il y a souvent un décalage entre la fin de la domination européenne et la reconnaissance par le vieux continent de sa responsabilité et de ses torts. On peut ici prendre l’exemple de la guerre d’Algérie qui a pendant longtemps été une oubliée des programmes scolaires français. 86 Ainsi se côtoient sur le même territoire des individus vivant dans des réalités différentes et parfois en opposition.87 A cette problématique culturelle s’ajoute également un aspect économique puisque la croissance ralentissant, les pays européens ont un chômage structurel qui augmentent et ne peuvent plus employer les nouveaux arrivants ou alors au détriment de la population nationale. C’est de cette façon que se construit un sentiment de rejet du nouvel arrivant qui non seulement peine (ou refuse) de s’assimiler mais rend également plus compliquée la situation économique et donc sociale du pays. Face à la mise en place de discriminations de grande ampleur, l’assimilation apparait ici impossible, c’est alors que l’on fait appel aux politiques de la différence. Ces politiques multiculturelles sont pourtant loin d’être définies comme telles car cela entrerait en contradiction avec l’unité et l’égalité républicaine. 88 Ainsi est renforcée la lutte contre la discrimination et est mise en place une politique de décentralisation de grande ampleur. La discrimination positive étant difficilement justifiable, c’est par exemple la politique de la ville qui va permettre de donner plus de place aux populations issues de l’immigration. Qu’il soit ouvertement assumé ou mis en place discrètement, le multiculturalisme est donc bien une réalité en Europe. Il s’adresse aux populations issues de l’immigration dont l’installation permanente est un défi pour les Etats-nations poussés dans leurs limites. Quoique témoignant d’un effort d’adaptation, ces politiques ont également leurs limites comme nous le verrons dans une seconde partie. Nous allons maintenant nous intéresser aux autres destinataires de ces politiques, les minorités ethniques, les régions et peuples européens. 86 Ce cas est d’autant plus complexe que sont également de retour en France les « pieds noirs », français du continent installés (et parfois nés) en Algérie et qui ont été chassés lors de la guerre. 88 Grandement basée sur une politique de quotas, la discrimination positive entre peu à peu en France mais essentiellement pour favoriser l’égalité des genres et lutter contre le plafond de verre. On trouve aussi une politique de quotas par exemple dans le domaine de l’audiovisuel où les productions françaises sont encouragées ; cela ne concerne pas les personnes mais bien les produits, contournant ainsi la question de l’égalité citoyenne : loi « Léotard » consultable sur http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006068930, consulté le 27 aout 2015. ~ 32 ~ 2. La construction européenne comme arène d’expression des revendications identitaires, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et consultations populaires Il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre parler de la fin ou de la disparition des Etatsnation, notamment en Europe. Pour soutenir cette thèse sont mis en avant deux phénomènes, la création d’unité supra étatiques, ici l’Union Européenne et le transfert de compétences de plus en plus important à des unités subétatiques, les régions. Dans le cas présent ces deux tendances sont étroitement liées puisque l’Union Européenne soutient activement les transferts de compétences. Les exemples de ce lien sont nombreux, nous nous intéresserons ici essentiellement à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires mise en place en 1992. a) La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, une illustration de l’influence de l’Europe dans l’affirmation des identités C’est le Conseil de l’Europe qui a encouragé l’élaboration d’une Charte européenne des langues régionales ou minoritaires visant à la promotion de la diversité linguistique à l’intérieur des Etats membres. Elle est le produit d’un consensus entre les différentes collectivités territoriales d’Europe dans le cadre de la « Conférence de pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe » où un groupe d’expert avait été chargé d’élaborer quatre-vingtdix-huit mesures en faveur de l’emploi des langues minoritaires dans la vie publique. Elle a été préparée en 1992 et est entrée en vigueur en 1998 après la ratification de cinq Etats. Dans son préambule la Charte met en évidence sa filiation avec les grands textes internationaux et européens89 afin d’appuyer son action en faveur des langues régionales et 89 « Considérant que le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible, conformément aux principes contenus dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, et conformément à l'esprit de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales du Conseil de l'Europe; Prenant en compte le travail réalisé dans le cadre de la CSCE, et en particulier l'Acte final d'Helsinki de 1975 et le document de la réunion de Copenhague de 1990 » extraits du Préambule de la Charte européenne des ~ 33 ~ minoritaires. D’abord ratifiée par seulement 5 pays, elle l’est aujourd’hui par 25. 90 Cette augmentation impressionnante du nombre d’Etats l’ayant ratifié s’explique par le fait qu’il est aujourd’hui obligatoire pour les Etats candidats à l’Union Européenne de ratifier ce texte. Cela implique que les nouveaux entrants doivent mettre en œuvre des mesures de protection et de valorisation des langues régionales et minoritaires sur leur territoire ce qui illustre parfaitement la volonté de l’Union Européenne d’œuvrer à la valorisation des identités régionales.91 23 ans après la création de ce texte, il est encore au cœur des débats notamment en France où il n’a toujours pas été ratifié (il faut tout de même nuancer la situation car la France a mis en œuvres plusieurs dispositifs de soutien aux langues régionales). 92 Le processus avait en effet été interrompu car le texte avait été jugé inconstitutionnel vis-à-vis du titre 1 de l’article 2 de la Constitution de la Vème République : « La langue de la République est le français.»93 Face à la stigmatisation du pays, le processus a aujourd’hui été relancé. Malgré tout on retrouve bien ici les réticences des grands Etats-nation, au premier rang desquels, la France, face à l’influence croissante des régions et des organisations régionales supranationales. On constate également un manque d’uniformité au niveau européen qui ne peut que créer des tensions. Cependant, si les institutions européennes semblent se positionner en faveur du pluralisme et des droits à la différence, elles restent elles aussi réticentes à accorder des droits aux communautés en tant que telles. Attachées au libéralisme politique et aux droits individuels, elles craignent que l’attribution de droits spécifiques à des groupes soit un facteur de déstabilisation. Pourtant c’est bien cette absence de prise de position qui a créé des tensions notamment à l’occasion des revendications régionales. langues régionales ou minoritaires, consulté le 23 aout 2015 sur : http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/148.htm 90 http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/ChercheSig.asp?NT=148&CM=8&DF=&CL=FRE, consulté le 23 aout 2015 91 Pour une revue détaillée des actions de l’Union Européenne, voir par exemple la thèse de Marie-Hélène Giroux : Marie-Hélène GIROUX, Protection des minorités et pluralisme national en Europe : L’influence décisive des institutions européennes sur les régimes de protection des minorités en France et en Hongrie, op cit, 92 FILIPPETTI, Aurélie, Les langues de France, Italie, Editions Dalloz, mars 2014. 93 « La langue de la République est le français. L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge. L’hymne national est la « Marseillaise ». La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ». Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » Article 2 de la Constitution française de 1958, consultable sur http://www.assembleenationale.fr/connaissance/constitution.asp ~ 34 ~ Revendications régionales, quand la Catalogne et l’Ecosse b) font trembler les institutions européennes Si la construction des Etats-nation avait relégué les régionalismes dans l’archaïsme voire l’antidémocratisme, cela n’a pas empêché certaines régions de poursuivre et de développer leurs revendications. Nous allons ici nous intéresser particulièrement au cas de l’Espagne et de la Catalogne ainsi qu’au cas de la Grande Bretagne et de l’Ecosse car ce sont aujourd’hui les deux exemples les plus aboutis de revendication politique en Europe occidentale.94 La Grande Bretagne regroupe 3 régions historiquement indépendantes, l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Ecosse. Elle est regroupée dans le Royaume Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord qui comme son nom l’indique ajoute à la première formation le territoire de l’Irlande du Nord. Toutes ces provinces sont officiellement régies par la Couronne mais concrètement soumises au Parlement et au Premier Ministre. Il existe ensuite un Parlement en Ecosse ainsi que des Assemblées dans les autres provinces. Le Parlement écossais est en place depuis les élections et le transfert de compétences de 1999 à la suite du référendum de 1997.95 De façon similaire, l’Espagne et composée de 17 Communautés autonomes et de deux villes indépendantes. Chaque communauté dispose d’un Statut d’autonomie qui en défini les compétences et le fonctionnement. De façon générale leurs compétences sont définies par l’article 148 de la Constitution de 1978 et le titre préliminaire de celle-ci.96 L’Assemblée constituante a ainsi repris les bases de décentralisation mises en place avant la dictature et violemment reniée au cours de cette dernière. Malgré ce système quasi fédéral, le pays a dû faire face à de nombreuses revendications parfois violentes comme au Pays Basque et en Catalogne. Dans les deux cas, britannique et espagnol, nous retrouvons donc des pays fortement décentralisés et ayant déjà accordé des pouvoir considérables à leurs régions. 94 Le cas de l’Irlande serait aussi intéressant en ce qui concerne le Royaume Unis, celui du Pays Basque pour l’Espagne ou de la Corse pour la France le seraient également mais ils sont en partie rattachés à des conflits armés ce qui en fait des cas particuliers difficiles à intégrer dans la présente étude. Pour un rapide survol du cas de l’Irlande voir par exemple Fischer KARIN, L'Irlande aux Irlandais - mais lesquels ? , Outre-Terre, 2005/3 no 12, p. 65-78. 95 Rosalie READMAN, Le Parlement écossais, Chaire de Recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, Université de Laval, Novembre 2011 96 Constitution consultable en français sur : https://www.boe.es/legislacion/documentos/ConstitucionFRANCES.pdf, consulté le 23 aout 2015. ~ 35 ~ Toutefois avec la crise économique, les régions semblent de moins en moins décidées à participer au fonctionnement de l’Etat central. C’est ainsi que les revendications d’autonomie dans les deux pays ont ressurgies et se sont renforcées. Pensant profiter d’un appui de l’Union Européenne, l’Ecosse et la Catalogne ont ainsi décidé de mettre en place des référendums de consultation populaire à propos d’une éventuelle autonomie. Cette accélération sans précédent de la part des deux régions a mis les institutions européennes dans une situation complexe, tiraillées entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le soutien à l’intégrité des Etats membres. La position adoptée a finalement été celle de la réserve, ne refusant pas les consultations mais mettant en garde les instigateurs qu’une déclaration d’indépendance se traduirait par l’exclusion de l’Union Européenne. Toute adhésion devrait donc être le résultat d’un nouveau processus de candidature. Il est en effet intéressant de remarque que les indépendantistes souhaitaient ériger leur nouvel Etat dans le cadre Européen. Sans entrer dans les détails, on constate ainsi que l’influence des institutions européennes est essentielle dans le développement des mouvements régionalistes qu’ils soient indépendantistes comme vu ci-dessus ou qu’ils demandent simplement plus de considération de la part de l’Etat central. La présence de l’ALE au Parlement Européen n’est ici pas anodine car elle offre une tribune à ces mouvements. Il reste toutefois difficile pour l’Union Européenne de prendre position sur le sujet. Il faut en effet rappeler l’importance des Etats dans le fonctionnement des institutions dont l’indépendance n’est souvent que de façade. Ainsi, si l’Europe et ses diverses organisations œuvrent pour la mise en place de système de protection et de valorisation des minorités, le cadre de l’Etat-nation semble encore difficile à dépasser ce qui crée des situations aussi ambigües que problématiques. Si les consultations populaires écossaises et catalanes n’ont pas abouti, le répit risque de n’être que de courte durée compte tenu des tensions sur le vieux continent. Les mouvements régionalistes et les populations issues de l’immigration représentent aujourd’hui des enjeux essentiels en Europe. Le multiculturalisme des années 1980 et 1990 semble lui aussi s’essouffler et laisse les Etats perplexes quant à la solution à adopter dans un climat de fortes tensions sociales. Nous verrons dans la dernière partie quelles sont les portes de sorties qui semblent se profiler mais avant d’aller plus loin nous allons revenir à ~ 36 ~ l’Amérique Latine, autre chantier pour l’instauration du multiculturalisme et des politiques de la différence. B. Libéralisation et démocratisation, l’indien devient auteur et non plus sujet des politiques à son égard Les politiques indigénistes qui ont cours en Amérique Latine, quoique se voulant bienveillantes vis-à-vis des indigènes, représentent tout de même une forme d’assimilationnisme car elles n’ont pas pour but de protéger les cultures et traditions autochtones sur le long terme. Elles atteignent leur apogée en 1957 avec la rédaction de la Convention 107 lors du congrès de l’OIT mais semblent commencer à vaciller dès les années 1960-1970 avec la création des premières organisations indigènes et ainsi la naissance de l’indianisme. Il faudra pourtant attendre les années 1990 pour qu’aient lieu les premiers changements en faveur du multiculturalisme. Dans un premier temps nous allons nous intéresser au basculement, au tournant des années 1970, aux raisons de celui-ci, à sa mise en œuvre et à ses conséquences à court terme. Puis, dans une seconde partie, nous verrons quelles sont les conséquences à long terme à savoir la promulgation de nouvelles constitutions et l’imposition sur la scène internationale de la question indigène. 1. Le tournant des années 1970 et les premières contestations C’est dans les années 196097 qu’émergent les premiers mouvements autochtones en Amérique Latine. Selon David Dumoulin Kervan et Christian Gros, cette première prise de conscience a des origines diverses. Elle repose d’abord sur l’effritement du modèle économique lui aussi jusqu’alors pensé à l’échelle nationale. Elle traduit également une frustration de la part de peuples à qui l’on promet depuis des décennies d’accès à la modernité et qui commencent à mettre en doute le bien fondé des politiques en cours. Un 97 Le premier mouvement indigène répertorié est celui des Shuar (Jivaros) d’Amazonie équatorienne. Yvon LE BLOT « Le renversement historique de la question indienne en Amérique Latine », Amérique Latine Histoire et Mémoire. Les Cahiers ALHIM [en ligne], 10 | 2004, http://alhim.revues.org/100 consulté le 24 aout 2015 ~ 37 ~ anthropologue mexicain résume ainsi la situation : « On nous a dit qu’en transformant nos cultures, en renonçant à notre différence, en devenant métis, le “problème indigène” disparaîtrait. Beaucoup de nos frères l’ont cru. Ils ont renoncé à se réclamer de leur peuple, ils se sont niés eux-mêmes, ils se sont coupés de leur passé, de leurs proches, de leur avenir. Malgré cela, ils en sont restés au même point : exploités, opprimés. Le mythe du métissage s’est dégonflé de lui-même. »98 Enfin on peut également souligner le rôle de l’école qui en éduquant les populations autochtones leur donne également les moyens de reconsidérer l’imaginaire national.99 Petit à petit se forment des groupes dont la revendication centrale est celle de la terre qui reste un élément de base des revendications autochtones. L’autre élément mis en avant est celui d’une modernisation. En effet même s’ils demandent la reconnaissance de leurs particularismes culturels et sociaux, les groupes indigènes n’en sont pas moins à la recherche de modernité. Ils cherchent avant tout à sortir des visions archaïques dans lesquelles ils ont été enfermés par des années d’indigénisme. Le poids de ces constructions est tel que le sentiment d’infériorité a été intériorisé par les populations autochtones ellesmêmes. Ceci explique en partie pourquoi les organisations indigènes peinent encore à conquérir un large public. Il est aussi important de noter que plus on s’approche des années 1990 plus les mouvements se pacifient laissant de côté les luttes violentes des années 1970-1980. Ces deux décennies sont en effet marquées par des coups d’Etats militaires et des luttes internes qui par là même se radicalisent. Cette situation s’explique notamment par la forte influence des Etats Unis qui entretiennent, en période de Guerre Froide, la peur des régimes de gauche provoquant ainsi l’arrivée au pouvoir de doctrines dites de sécurité nationale. On peut ici s’intéresser au mouvement katariste en Bolivie qui illustre la radicalisation du mouvement indigène.100 En effet, alors que ces derniers entretenaient de bonnes relations avec le gouvernement, l’arrivée au pouvoir d’Hugo Banzer change la donne. Le dictateur militaire issu des basses terres traite avec mépris les populations autochtones qui de ce fait construisent leurs revendications en directe opposition voire en affrontement vis98 Cité par Martine Dauzier, “ Tous des Indiens ? La ‘réindianisation’, force ou fiction. Débats autour des essais de Guillermo Bonfil Batalla ”, Cahiers des Amérique latines, n° 13, 1992 In Yvon LE BLOT « Le renversement historique de la question indienne en Amérique Latine », Amérique Latine Histoire et Mémoire. Les Cahiers ALHIM [en ligne], 10 | 2004, p.2. 99 David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, op.cit, pp.28-40 100 Cécile CACEN, « Le katarisme bolivien : émergence d'une contestation indienne de l'ordre social. », Critique internationale 4/2012 (N° 57) , p. 23-36 ~ 38 ~ à-vis du reste de la population. Bien sur la construction du mouvement est bien plus complexe et précède l’accession au pouvoir du militaire mais elle en représente la cristallisation et la radicalisation. Malgré une forte influence le mouvement katariste va petit à petit s’effrité, miné par ses propres contradictions. L’imaginaire lui est toujours présent et on le retrouve régulièrement dans les discours d’Evo Morales, l’actuel président d’origine indienne. Ainsi la pacification des années de la fin du XXème siècle passe par la construction d’un discours qui ne soit plus seulement dans le refus, le rejet et la négation mais qui se positionne plutôt dans une attitude de construction, de communion (à l’inverse donc de mouvements comme le katarisme). On ne se positionne alors plus dans une idéalisation du passé indien et une volonté de retour à cet âge d’or. Au contraire la tendance est à une affirmation de la différence mais cette fois ci dans une optique de construction de nouveaux Etats pluriculturels. On a donc une affirmation de l’identité indienne qui ne se place pas comme dominatrice mais qui souhaite au contraire à trouver une sorte d’équilibre avec les autres populations qu’elles soient blanches ou afro-descendantes.101 Il faut en effet souligner qu’en parallèle des mouvements autochtones se construisent des mouvements porteurs des revendications des populations noires en Amérique Latine102 C’est aussi dans les années 1970 que se créent les premières organisations internationales de défense des peuples autochtones qui promeuvent l’idée d’un dialogue interculturel. 2. Les années 1990, internationalisation de la question indienne Après les années 1960-1980, phase marquée par le changement de perspective des intellectuels vis-à-vis de la question indienne et par l’émergence des premiers groupes indigènes organisés, les années 1990 sont celles des premiers succès et des modifications concrètes. Au niveau régional, les pays d’Amérique Latine vont petit à petit se doter de nouvelles constitutions qui donnent une place de plus en plus grande aux groupes autochtones. Nous nous intéresserons ici au cas du Paraguay où les peuples indigènes ont 101 Yvon LE BLOT « Le renversement historique de la question indienne en Amérique Latine » op.cit. Nous n’entrerons pas ici dans les détails de ces revendications qui constituent à elles seules l’objet d’une étude. Nous nous contenterons d’en faire mention lorsque leur situation rejoint celle des peuples autochtones ou au contraire si leur traitement différencié est révélateur d’une tendance globale. 102 ~ 39 ~ connu leur première reconnaissance de façon précoce dès les années 1960 et ce malgré la dictature militaire d’Alfredo Stroessner. Nous verrons ensuite comment la question indigène a été saisie à l’international par différents types d’acteurs créant un véritable engouement en occident et ainsi des répercussions partout sur le continent. a) Nouvelles constitutions et premières réussites des mouvements autochtones. C’est un véritable raz-de marrée qui a lieu en Amérique Latine dans les années 1990 avec la mise en place de nouvelles constitutions dans de nombreux pays de la région. Ces nouveaux textes démocratiques semblent enfin consacrer la pluralité et la diversité des pays de la zone. Comme le notent Jean Pierre Lavaud et Françoise Lestage : « Le caractère pluriethnique et pluriculturel de l’État est aussi reconnu dans les constitutions de Colombie (1991), du Paraguay (1992) du Pérou (1993), de Bolivie (1994) et d’Équateur (1998). Et des dispositions allant dans le même sens avaient été préalablement adoptées au Guatemala, au Nicaragua et au Brésil. C’est bien cette formulation générale qui va ensuite favoriser la reconnaissance de droits spécifiques des Indiens ».103 Le cas du Paraguay est ici particulièrement intéressant. En effet, avant même la Constitution de 1992, celle de 1967 pose les premiers jalons d’une reconnaissance des droits culturels indigènes. Outre l’antériorité du texte il faut souligner que celui-ci a été promulgué en plein cœur de la dictature d’Alfredo Stroessner ce qui en fait un cas absolument unique. Elle s’adresse toutefois uniquement au peuple guarani dont elle reconnait officiellement la langue (art 5), en garanti et en promeut l’usage (art 92).104 Bien entendu la Constitution de 1992 va plus loin avec un Chapitre 5 consacré entièrement aux « peuples indigènes ».105 On constate ici l’élargissement à l’ensemble des peuples autochtones et non plus seulement aux Guaranis. On passe également d’une protection de la langue à une véritable reconnaissance exprimée dans les termes suivants : « Sont reconnus et garantis les droits des peuples indigènes à préserver et développer leur identité 103 Jean-Pierre LAVAUD et Françoise LESTAGE, « Les redéfinitions de l'indianité. Historique, réseaux, discours, effets pervers », Esprit 2006/1 (Janvier), p.51. 104 http://www.cedep.org.py/wp-content/uploads/2012/09/CONSTITUCION-NACIONAL-1967.pdf, consulté le 26 aout 2015. 105 Constitution de 1992, « Capitulo V De los pueblos indigenas », http://jme.gov.py/transito/leyes/1992.html, consulté le 26 aout 2015 ~ 40 ~ ethnique dans leur habitat respectif. Ainsi, ils ont le droit d’appliquer librement leurs systèmes d’organisation politique, social, économique culturel et religieux de la même façon qu’ils peuvent appliquer leurs normes coutumières pour la régulation de la cohabitation interne, dans la mesure où elles ne portent pas atteinte aux droits fondamentaux établis dans cette même Constitution. Dans les conflits juridictionnels il sera tenu compte du droit coutumier indigène. »106 Avec la promulgation de ces nouvelles Constitution, dont celle du Paraguay, nous pouvons constater les effets des mouvements indigènes qui se sont développés et enracinés sur le continent. Toutefois il faut nuancer la réussite car les textes sont souvent bien plus révolutionnaires que ne le sont les actes. Yvon le Blot nous parle par exemple du Guatemala et du Mexique où les avancés annoncées sont restées lettres mortes. Deux textes y avaient respectivement été adoptés : l’Accord relatif à l’identité et aux droits des peuples indigènes (1995) qui est une composante des accords de paix au Guatemala, et les Accords sur les droits et la culture indigènes signés par les zapatistes et le gouvernement mexicain (1996). 107 Dans les deux cas les changements constitutionnels et pragmatiques espérés n’ont jamais eu lieu, illustrant une fois de plus l’ambivalence voir la contradiction qui existe en Amérique Latine entre une volonté d’avancée vers la mise en place de droits indigènes et une réticence certaine à les concrétiser. Pour résumer nous pouvons reprendre cet extrait du texte de Jean-Pierre Lavaud et Françoise Lestage : « En tout cas, là où le pluriculturalisme et le multi ethnisme ont été reconnus, c’est-à-dire dans la quasi-totalité des pays de la région, cette reconnaissance n’a pas seulement abouti à l’octroi symbolique d’une place plus digne pour les populations indiennes. Elle a débouché sur des droits culturels, tels l’usage officiel des langues indiennes et la mise en place de programmes et de réformes éducatifs bilingues – financés dans la très grande majorité des cas par la communauté internationale. […] Enfin, à ces droits sont venues s’ajouter des formes d’autonomie judiciaire et politique, en même temps que des attributions de territoires collectifs au bénéfice de populations rurales des vallées et des hauts plateaux andins ».108 106 Constitution de 1992, « Capitulo V De los pueblos indigenas », art 63 « De la identidad etnica », http://jme.gov.py/transito/leyes/1992.html, consulté le 26 aout 2015 107 Yvon LE BLOT « Le renversement historique de la question indienne en Amérique Latine » op.cit. 108 Jean-Pierre LAVAUD et Françoise LESTAGE, « Les redéfinitions de l'indianité. Historique, réseaux, discours, effets pervers », op.cit, p.51. ~ 41 ~ b) Changement d’échelle, l’autochtone devient une question qui se traite à l’international La mise en place de ces nouvelles constitutions permet aux pays Latino-Américains de revêtir un nouveau visage sur la scène internationale. Au lieu de dictatures militaires archaïques regardées par l’occident avec un œil dédaigneux ce sont de nouvelles démocraties qui intègrent le paysage international. Ce sont des acteurs sur qui il faut compter et avec qui il faut travail (et non plus sur qui il faut travailler). Un mouvement identique se produit avec les groupes indigènes et leurs leaders qui de plus en plus sont des lettrés ayant étudié dans les meilleures universités internationales. Même chose dans le domaine de la recherche comme l’écrit Irène Bellier : « L’émergence de leaders autochtones qui sont le produit de l’éducation, qui voyagent dans le monde entier et deviennent les interlocuteurs privilégiés des agences de l’ONU, induit à son tour une mutation dans les sciences humaines et sociales invitées à réviser leurs méthodologies et à travailler « avec » les autochtones et non plus « sur » eux. »109 Au niveau interétatique, la prise de conscience s’illustre en premier lieu par la création et la ratification de la Convention 169 de l’OIT de 1989. Ce texte qui remplace celui de 1957 illustre le changement de politique radical qui a lieu en cette fin de siècle. On passe ici en 30 ans de l’assimilationnisme affirmé à des déclarations en faveur des « peuples » et de leurs « droits », droits à une culture, une langue, un système normatif propre, etc. On ne peut alors que constater l’écho aux textes onusiens et notamment au Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La formulation est prudente mais le changement est conséquent, la machine internationale est lancée !110 Un changement qui se produit à l’échelle internationale oui mais également à l’échelle régionale puisque de nombreux pays d’Amérique Latine vont signer ce texte. Dès les années 1990 le Pérou, la Bolivie, le Costa Rica, le Mexique, le Honduras, le Guatemala, le Paraguay, l’Equateur et la Colombie ratifient le texte suivis dans les années 2000 par l’Argentine, le Brésil, le Chili, le Nicaragua et le Venezuela.111 On entrevoit ici l’impact que vont avoir les acteurs internationaux et extra régionaux sur le continent ; OIG comme ici mais aussi ONG, 109 Irène Bellier, De l’indien aux peuples autochtones… A propos de l’engagement du sociologue et de l’anthropologue en Amérique Latine, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Presse Sorbonne Nouvelle, Paris, 2011, p 108 110 Guillermo DE LA PENA, Racines Latino-Américaines du Multiculturalisme, Op. cit, pp.79-80 111 http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:11300:0::NO:11300:P11300_INSTRUMENT_ID:312314, consulté le 26 aout 2015 ~ 42 ~ associations ou même acteurs privés qui vont faire pénétrer et diffuser sur le territoire une vision moderne de l’indien.112 Irène Bellier résume ainsi le changement de point de vue des instances internationales : « Il ne s’agit plus aujourd’hui de « sauver les populations indiennes » mais de comprendre comment elles prennent en main leur devenir dans les Etats contemporains.»113 Outre ce texte, on peut également citer les trois textes de l’UNESCO de 2001, 2003 et 2005, respectivement la Déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle114, la Déclaration de l'UNESCO concernant la destruction intentionnelle du patrimoine culturel115 et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.116 Rien que dans les titres de ces textes on peut déceler une évolution dans la prise en compte de la diversité. Il convient tout de même de souligner qu’il est question ici de diversité culturelle et non directement de droits de la personne. On retrouve encore ici la dichotomie entre droits collectifs, droits individuels. Nous pouvons enfin considérer que le paroxysme de cette internationalisation de la question indigène a lieu en 2007 avec la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones. Si la thématique devient petit à petit centrale c’est aussi parce qu’elle répond aux intérêts des populations occidentales qui voient dans les peuples autochtones les défenseurs de la nature. En effet l’écologie est très tendance en Europe et en Amérique du Nord et la redécouverte des populations autochtones d’Amérique Latine traditionnellement proches de la nature crée un nouvel engouement.117 Il faut toutefois se méfier de ces considérations porteuses elles aussi d’une vision stigmatisante et passéiste. Quoiqu’il en soit cet intérêt est réel et permet à la question indigène de tenir le haut du pavé et ainsi de susciter de nombreuses levées de fonds. 112 Ce mouvement touche également les autres continents notamment l’Europe centrale et orientale où la chute progressive des régimes communistes donne lieu à de nouveaux pays et à l’émergence de mouvements populaire de revendication de droits politiques, culturels et sociaux. 113 Irène Bellier, De l’indien aux peuples autochtones… A propos de l’engagement du sociologue et de l’anthropologue en Amérique Latine, op.cit, p.111 114 http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=13179&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html, consulté le 27 aout 2015. 115 http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=17718&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html, consulté le 27 aout 2015 116 http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=31038&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html, consulté le 27 aout 2015 117 Voir sur ce point Geoffroy FILOCHE, Formaliser l’informel, capter l’évanescent ? Juridicisation des normes indigènes et gestion de l’environnement en Amérique du Sud, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Op.cit, pp.199-212 ~ 43 ~ Dans cette seconde partie nous nous sommes donc intéressés à la mise en place des politiques d’inspiration multiculturelle, en Europe et en Amérique Latine. Dans les deux cas les politiques assimilationnistes étaient arrivées à essoufflement et il devenait nécessaire de renouveler l’arsenal politique. En Europe ce sont les nouvelles vagues d’immigration et l’approfondissement de la construction européenne qui ont impulsé les revendications identitaires et donc les changements politiques qui en ont découlé. On constate ici la dualité des populations concernées, d’un côté les minorités nationales et de l’autre les minorités ethniques qui ont chacune des revendications propres. Les premières recherchent une intégration plus importante et plus individualisée alors que les secondes, poussées par la crise économique, demandent une autonomisation de plus en plus grande. Dans cette situation, même les Etats les plus attachés à l’égalité formelle se sont vus obligés de mettre en place des politiques multiculturelles afin non plus seulement d’accepter les différences mais de les mettre en avant et de les traiter de façon différenciée. En Amérique Latine le mouvement est similaire. Après des années de tentatives de gommage de la question indigène, les Etats, toujours désireux de se construire des nations, ont commencé à mettre en place des politiques en faveur de la diversité. Le processus a été long et complexe notamment parce que les populations autochtones ont mis longtemps à se structurer. Aussi parce que les premiers mouvements indigènes n’avaient pas toujours pour but l’intégration mais plutôt la destruction et le remplacement des cadres étatiques établis. On retrouve ici la tension entre intégration et autonomie qui existe sur le vieux continent. A la fin de la période, portée par les organisations internationales, la question indigène devient centrale entraine un afflux de fond vers l’Amérique Latine. Ainsi dans les années 2000 la tendance est à la mise en avant, à la valorisation des différences qui ne sont plus pensées comme des obstacles mais bel et bien comme des socles ou des questions essentielles pour la construction des Etats, en Europe comme en Amérique Latine. Nous avons pourtant déjà aperçu les premières limites des politiques multiculturelles. Dans les grands Etats européens les groupes régionaux tentent de surpasser l’échelon étatique alors que les populations issues de l’immigration peinent à accepter la lenteur et la fragilité des nouvelles politiques. En Amérique Latine, malgré des ~ 44 ~ textes réformateurs, les conséquences concrètes tardent à se mettre en place et les populations autochtones, une fois de plus, perdent patience. Les afro-descendants, eux aussi organisés en groupes minoritaires sont dans la même situation. L’engouement international ne semble pas suffire à impulser de véritables changements et l’argent engagé crée des situations parfois ambigües comme nous allons le voir. Dans cette troisième et dernière partie nous allons aborder en détails les limites des politiques multiculturelles sur les deux continents. Nous verrons comment malgré les différences, les obstacles rencontrés sont similaires. Nous verrons aussi quelles sont aujourd’hui les solutions développées pour répondre aux résultats mitigés du multiculturalisme. Deux cas emblématiques seront ici abordés, celui de la Bolivie du président Morales et celui de la construction européenne. ~ 45 ~ IV. Limites du multiculturalisme et émergence de nouvelles propositions Le multiculturalisme a connu un énorme engouement dans les années 1990 et 2000 d’abord dans les pays anglophones (USA, Canada et Australie en tête) avant de se diffuser dans le monde entier. Comme nous l’avons vu plus haut il a reçu un accueil d’abord mitigé en Europe mais s’est finalement imposé compte tenu de l’évolution du contexte régional. Il s’est également imposé en Amérique Latine grâce notamment à un fort relais des Organisation Internationales et des ONG. Aujourd’hui le terme n’est pourtant presque plus utilisé ; on préfère parler d’interculturel ou de pluriculturel. Que cache ce changement terminologique ? Que représentent ces nouveaux termes ? Et finalement, quels changements concrets traduisentils ? Voici les questions sur lesquelles nous travaillerons dans cette dernière partie revenant dans un premier temps sur les limites des politiques de la fin du siècle avant de s’intéresser aux nouvelles propositions qui se développent aujourd’hui. A. Le multiculturalisme en question L’engouement pour le multiculturalisme et les politiques s’en inspirant semble aujourd’hui diminuer au profit de nouvelles formules. Pour expliquer cette désaffection nous allons nous intéresser aux deux grands types de critiques exprimées. Tout d’abord nous verrons comment de façon concrète les politiques de redistribution ont eu des effets pervers. Puis, dans un second temps nous nous attacherons à l’aspect plus théorique de la question qui remet en cause le bien-fondé de politiques basées sur la différence et surtout, la différenciation. 1. Le Risque d’instrumentalisation Nous parlions plus hauts des conséquences parfois inattendues et contradictoire qui ont découlé de l’afflux de fonds alloués à la protection des minorités ethniques en ~ 46 ~ Amérique Latine. Plus précisément, les détracteurs du multiculturalisme mettent en avant le fait que les groupes autochtones ne préexistent pas aux allocations mais qu’à l’inverse ils se créent pour pouvoir bénéficier de ceux-ci. Il y aurait donc une instrumentalisation de l’ethnicité utilisée finalement comme une source de revenus. On peut ici imaginer une instrumentalisation de la part des groupes eux-mêmes qui se construisent et évoluent selon les politiques en cours. On peut également projeter cela au niveau individuel où les individus peuvent choisir de se revendiquer différemment selon les avantages qu’ils peuvent en tirer. Enfin, pour pousser le raisonnement à terme, on peut imaginer que les gouvernements ou les bailleurs de fonds se servent de l’ethnicité comme façade, comme couverture bien-pensante pour justifier des financements ou, plus simplement, pour inciter à la création de groupes selon leurs propres définitions. a) Critique des « libéraux culturalistes » Pour bien comprendre les effets pervers qui peuvent surgir, il faut revenir à la base conceptuelle du multiculturalisme qui est que la culture et les groupes ethniques existent en soi et donc préexistent à tout traitement politique. Milena Doytcheva parle dans ce cas de dérive « culturaliste », de « culturalisme »118 des multiculturalistes, elle reprend ici un aveu de Kymlicka lui-même. Elle souligne ensuite les 3 écueils de ce culturalisme : il ne prend pas en compte l’hétérogénéité qui peut exister au sein d’une même culture, il surestime la stabilité de ces mêmes cultures et enfin comme nous l’évoquions plus haut, il présente un certain essentialisme en présumant de l’existence de cultures propres. 119 De la même façon Guillaume Boccara déclare que « Loin de ne faire que reconnaitre ou célébrer la différence, il la produit, la transforme, la fige, la standardise, la simplifie, l’arrache à son contexte de production socio-historique. »120 Reprenons en détail ces 3 critiques. La première, énoncée par nos deux auteurs souligne le fait que pour prendre en compte la diversité le multiculturalisme doit définir les cultures et les groupes auxquels il s’adresse. Ainsi s’il reconnait la diversité au niveau macro, au niveau micro il opère une standardisation, ignorant les diversités inhérentes à 118 Milena DOYTCHEVA, Le Multiculturalisme, op.cit, p.102 Milena DOYTCHEVA, Ibid, p.102 120 Guillaume BOCCARA, Multiculturalisme, néolibéralisme, démocratisation, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Presse Sorbonne Nouvelle, Paris, 2011, p.66. « il » fait ici référence au multiculturalisme. 119 ~ 47 ~ toute culture ou groupe social. La seconde critique qui se place dans le prolongement de la première met en doute la stabilité des groupes et donc leur aptitude à se perpétuer et à garder les mêmes caractéristiques en ce faisant. Enfin la dernière, également liée aux deux autres, questionne le caractère essentiel de la culture et l’existence réelle de cultures propres définies. Pour mieux comprendre ce dernier point nous allons nous intéresser brièvement aux travaux de Fredrik Barth.121 Ce chercheur norvégien n’a pas directement travaillé sur l’Amérique Latine ou l’Europe occidentale mais ces travaux, véritablement révolutionnaire à leur publication dans les années 1970, déconstruisent les présupposés culturalistes et apportent d’intéressants éléments de réflexion. Barth construit sa thèse en opposition aux chercheurs dits primordialistes qui pensent les groupes sociaux et culturels comme des entités propres et fondamentalement indépendantes et liées à leur milieu.122 Il s’intéresse à la frontière entre les groupes et montre comment celle-ci, loin d’être hermétique, est un véritable lieu de passage et de modification des groupes en question, plus encore, il en fait l’élément déterminant de ces derniers : « En d’autres mots, les distinctions ethniques ne dépendent pas d’une absence d’interaction et d’acceptation sociales ; au contraire elles sont le fondement même sur lequel sont construits les systèmes sociaux qui la contiennent »123. L’élément central de sa recherche est donc l’aspect social des groupes ethniques qui ne sont pas désincarnés et autonomes mais qui au contraire se nourrissent des interactions, c’est pour cette raison qu’on nomme situationnistes les théories inspirées de Barth. Il n’a a donc selon Barth aucun intérêt à isoler les cultures pour les protéger, au contraire, toute culture isolée est vouée à disparaitre. Au-delà de cet aspect théorique, cela implique qu’il n’y a pas réellement de préexistence de groupes culturellement définis et qu’ainsi avant de vouloir protéger un groupe il s’agit de se questionner sur son existence, son évolution, etc. Ce rapide focus sur les travaux de Barth permet de relativiser le caractère essentiel et homogène des groupes ethniques tel qu’ils sont souvent présentés par les multiculturalistes. Il permet également de s’interroger sur la façon de prendre en charge ces 121 Fredrik BARTH, Los grupos etnicos y sus fronteras consultable sur http://sgpwe.izt.uam.mx/files/users/uami/lauv/Barth_intr_Los_grupos_etnicos_y_sus_fronteras.pdf, consulté le 28 aout 2015. 122 On peut ici penser aux théories indigénistes qui ne pensent l’indien que comme paysan et ne prennent pas en compte les populations indiennes installées en ville. 123 Fredrik BARTH, Los grupos etnicos y sus fronteras, op cit, p.2 : «En otras palabras, las distinciones étnicas no dependen de una ausencia de interacción y aceptación sociales; por el contrario, generalmente son el fundamento mismo sobre el cual están construidos los sistemas sociales que las contienen. » ~ 48 ~ groupes alors qu’ils sont en perpétuelle évolution. On en vient à se demander s’il est finalement judicieux de mettre en place des cadres normatifs pour la gestion des groupes ethniques. Enfin cette réflexion ouvre la porte aux réflexions sur une éventuelle composition artificielle des groupes. Nous pouvons en effet imaginer que des individus se réclament d’un groupe ou d’une pratique culturelle afin de bénéficier des avantages qui y sont accordés. Milena Doytcheva résume ainsi ce risque de dérive : « accorder des privilèges en fonction d’appartenances particulières, c’est courir le risque d’une escalade des revendications. » 124 Attention toutefois à bien garder à l’esprit qu’il s’agit d’une position critique et non d’une réalité systématique. b) Le multiculturalisme, « une nouvelle économie politique de la différence » 125 Les réflexions de Guillaume Boccara permettent de mettre en question non plus les groupes ethniques en eux même mais plutôt la façon dont les politiques multiculturelles les prennent en charge. Il s’intéresse au lien qui unit multiculturalisme et néolibéralisme et met en question l’aspect normatif de ces nouvelles politiques de la différence en Amérique Latine. Il explique que le « multiculturalisme néolibéral » produit un « champ ethno bureaucratique » et de « nouvelles procédures de légitimation » dont la finalité est de savoir qui est indien. Ainsi l’indianité devient une catégorie sociale que l’on attribue ou non à des individus. On en régule donc l’usage et le contenu pour aboutir à une véritable standardisation des cultures et à rejet de toute modification de celles-ci. L’aspect évolutif et mouvant disparait donc au profit de cadres de légitimation.126 Il résume cette situation de la façon suivante : «On observe enfin que les mécanismes de légitimation et de normalisation qui fonctionnent au sein du champ ethno-bureaucratique produisent des effets de standardisation des cultures indiennes, de professionnalisation des individus porteurs de cette culture standardisée et de délégation du pouvoir politique. »127 Virginie Laurent note 124 Milena Doytcheva, ,Le Multiculturalisme, op cit, p.108 Guillaume BOCCARA, Multiculturalisme, néolibéralisme, démocratisation, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Op.cit, p.58 126 Guillaume BOCCARA, Ibid, pp.58-59 127 Guillaume BOCCARA, Ibid, p.59 125 ~ 49 ~ cette intervention omniprésente de l’Etat dans le cas de la Colombie des années 1990. Ce dernier en devient même arbitre des rivalités entre organisations et leaders indigènes.128 On assiste donc bien ici à une instrumentalisation de la culture qui devient un élément identitaire obligatoire pour les populations qualifiées d’indienne. Peu importe que celles-ci s’en revendiquent ou non ou bien qu’elles s’identifient à d’autres éléments, une nouvelle catégorisation de la population est en cours pouvant rappeler, dans une moindre mesure, le système des castes et des réductions mis en place pendant la colonie et à sa sortie. Il convient aussi de souligner le rôle des acteurs internationaux qui eux aussi contribuent à cette nouvelle organisation de l’indianité par la création plus ou moins ad hoc de groupes ethniques mais aussi par la création d’instances de discussions, la formation de leaders… Pour pouvoir bénéficier de l’aide internationale il ne suffit donc pas d’être autochtone, il faut l’être selon des critères déterminés. Guillaume Boccara continue ses remarques en s’intéressant à un autre type d’instrumentalisation de la culture qui consiste à en faire un produit économique. Nous avons déjà parlé de l’influence du libéralisme économique qui a appuyé la mise en place d’une égalité formelle en Amérique Latine. Ici la démarche va plus loin puisqu’il s’agit d’exploiter la culture, de faire de l’indien un produit économique. Il parle d’un véritable « business model »129 mené par le service public et les instances internationales qui enjoignent les populations autochtones à auto-exploiter leur ethnicité pour en tirer un profit. José Bengoa reprend cette idée en donnant l’exemple de « l’ethnotourisme » chez les mapuches au Chili.130 Dans ce nouveau contexte, le problème indien ne vient donc plus de l’identité de l’indien, de son caractère ethnique mais plutôt de son incapacité d’adaptation au marché. Cette vision, quoique radicale, permet de mettre en lumière les limites concrètes du multiculturalisme. Ce qu’elle met en évidence c’est avant tout la difficulté d’articuler un système bureaucratique, politique, normatif, avec une notion comme la culture qui reste floue et par essence mouvante. Même chose en ce qui concerne les groupes dits ethniques qui doivent indéniablement être catégorisés pour pouvoir bénéficier de traitements 128 Virginie LAURENT, Dans, contre, avec l’Etat : mouvement indien et politique(s) en Colombie, 20 ans après, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latinoaméricain « au concret » ?, Op.cit, pp. 152-153 129 Idem, p.61 130 José BENGOA, Commémorations et mémoires subalternes : citoyenneté et émergence indigène au Chili, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Op.cit, p.131 ~ 50 ~ particuliers ce qui en implique nécessairement une simplification et une standardisation et peut éventuellement créer des amalgames. Ainsi, au lieu de permettre aux différences de s’épanouir dans un cadre compréhensif, le multiculturalisme peut avoir l’effet inverse et pervertir le référent ethnique pour en faire un nouvel élément de catégorisation et de division de la société. Dans le paragraphe qui suit nous allons nous intéresser à ce type d’effet pervers afin de voir une autre approche critique du multiculturalisme. 2. Mettre l’accent sur la différence, une attitude contradictoire Une grande partie des critiques aujourd’hui faites au multiculturalisme met en avant un phénomène contradictoire, un véritable effet pervers du système qui, au lieu de mener à l’égalité réelle tant recherchée, exacerberait les différences. Il lui est également reproché par certains groupes d’occulter d’autres types de discriminations en mettant le facteur culturel ou ethnique au centre. Le premier point reprend en partie ce que nous avons vu plus haut. En effet, en mettant en avant des cultures figées, ethnifiées,131 le multiculturalisme est responsable d’une folklorisation de ces cultures. Milena Doytcheva prend l’exemple des Fêtes de la Culture en France : « Teintées d’exotisme, elles véhiculent des images stéréotypées des cultures d’origine qui servent, peut-être, les objectifs d’animation locale, mais évacuent le plus souvent les enjeux de l’altérité ; renvoyant les individus à la seule dimension culturelle de leur identité, elles les ethnicisent. »132 On constate donc une sorte de légèreté voire d’amusement dans le traitement de l’altérité qui peut parfois devenir moqueur en reprenant les stéréotypes à la limite du racisme. Il s’adresse ensuite aux politiques de discrimination positives accusées de stigmatiser les bénéficiaires. Se crée en effet une attitude de dénigrement consistant à accuser les bénéficiaires des quotas de n’avoir été choisis que pour leur caractère ethnique non pour leurs qualifications. Ce problème est inhérent à la politique des quotas quel qu’en soit le 131 Nous reprenons ici la différence faite par Guillaume Boccara entre ethnicisation et ethnification, la seconde représentant l’effet réificateur du multiculturalisme. Guillaume BOCCARA, Multiculturalisme, néolibéralisme, démocratisation, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Op.cit, p.60 132 Milena Doytcheva, Le Multiculturalisme, op cit, p.107 ~ 51 ~ domaine d’application, on assiste au même phénomène dans les politiques du genre. De plus, les résultats de ces méthodes de sélection ne sont pas nécessairement positifs et peuvent tendre à donner raison aux détracteurs de la discrimination positive augmentant alors le mécontentement social.133 Enfin, la dernière critique de taille au multiculturalisme est celle de la facilité ; il est souvent reproché au multiculturalisme de n’être qu’un palliatif, qu’une solution de façade ne résolvant pas les problèmes en profondeur. En effet, si le multiculturalisme et la discrimination positives sont nécessaires, c’est bien parce qu’il y a un problème au départ. Dans le secteur scolaire par exemple, si l’on considère un régime méritocratique, il n’y a aucune raison pour que les populations issues d’origines ethniques différentes n’aient pas les mêmes chances de réussite. S’il y a des différences, elles proviennent, en partie au moins, d’une prise en charge différenciée des enfants, dès le plus jeune âge. Il faut aussi noter que le facteur socio-économique est ici à coupler au facteur identitaire. Ainsi, les quotas d’admission dans les universités ne sont pas à proprement parler une solution au problème. Ils permettent à court terme de rendre la situation moins discriminante mais n’empêchent pas la perpétuation de celle-ci. Autre limite mise en avant par les chercheurs, le caractère exclusif du multiculturalisme. Comme nous l’avons vu précédemment et comme son nom l’indique, le multiculturalisme traite des questions culturelles. On aurait alors tendance à considérer qu’il traite de la question identitaire dans son ensemble mais cela reviendrait à occulter les autres facettes qui la composent et c’est bien ici que le bât blesse. Les critiques émanent ici principalement des groupes féministes qui reprochent au multiculturalisme d’occuper tout le devant de la scène, occultant alors les questions de genre. Mais le problème va au-delà de cela, la lutte en faveur du maintien d’une forme archaïque de culture pose la question de la place réservée aux femmes. Nombreuses sont les cultures où la femme est traditionnellement considérée comme une personne de second rang et vit dans une situation précaire. Ainsi perpétuer la dite culture revient à maintenir les femmes dans une position d’infériorité. Comment alors justifier la mise en place de politiques multiculturelles ? Il est impératif de prendre en compte tous les aspects de l’identité pour pouvoir mettre en place des politiques efficaces et justes. Les critiques émanant des de la communauté LGBTQ 133 Milena Doytcheva, Le Multiculturalisme, op cit, p.107, elle parle dans ce sens de la discrimination positive mise en place dans les universités américaines. ~ 52 ~ sont encore minoritaires mais on peut facilement imaginer qu’elles croissent rapidement dans les prochaines années, allant dans le même sens que les féministes. Les différents points de vue que nous venons d’aborder permettent d’avoir un aperçu des limites du multiculturalisme. A la fois pratiques et conceptuelles elles condamnent durement un ensemble de pratiques pourtant vues comme révolutionnaires il y a à peine 20 ans. Contrairement à ce qui apparait à première vue, si on prend garde à nuancer les discours, ce n’est pas une condamnation pure et simple du multiculturalisme qui ressort de ce tour d’horizon. Globalement, il est salué pour le renouveau qu’il a apporté dans le champ de recherche et le premier pas qu’il a fait dans le sens du dialogue des cultures, formulation aujourd’hui très en vogue. Ainsi ce n’est pas l’intention qui est qui est remise en question mais les moyens mis en œuvre pour y arriver ce qui permet d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexions. Les critiques du multiculturalisme mettent également en évidence des problématiques inhérentes aux questions d’identité et qui rendent extrêmement complexes toute saisie officielle de la question. B. Le multiculturalisme : de la diversité comme menace à la diversité comme base de l’Etat Aujourd’hui, comme l’écrit Guillaume Boccara, « Il ne s’agit plus de choisir entre, d’une part, un modèle républicain qui s’organise autour du principe de la redistribution et de l’égalité citoyenne sans tenir compte des différences socio-culturelles et politiques qu’il contribue lui-même à produire et à perpétuer et, de l’autre, un multiculturalisme qui met l’accent sur les politiques de la reconnaissance et participe de l’essentialisation des cultures, de l’ethnicisation du social et de l’invisibilisation des inégalités socioéconomiques d’ordre structurel. »134 Dans la situation actuelle il s’agit de se détacher de cette opposition traditionnelle pour développer de nouvelles formes d’intégration. En d’autres termes, il s’agit de trouver comment réunir les citoyens par-delà leurs différences. Pour cette fois ci reprendre les termes de Willibald Sonnlitner nous pouvons dire que : « Le problème de fond consiste à construire un consensus pluriel autour de ce qui, par-delà leurs différences, peut unir tous ses citoyens dans une communauté de semblables et 134 Guillaume BOCCARA, Multiculturalisme, néolibéralisme, démocratisation, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Op.cit, p.62 ~ 53 ~ d’égaux. »135 Dans cette dernière partie nous allons donc nous intéresser à deux cas qui nous paraissent illustrer le renouveau des politiques en faveur de l’intégration culturelle : l’Etat plurinational de Bolivie et l’Union Européenne. 1. L’Etat Plurinational de Bolivie, un modèle alternatif qui ouvre la voie vers de nouvelles constructions étatiques L’Etat plurinational de Bolivie est un modèle unique en son genre qui semble ouvrir une nouvelle voie mais qui soulève également bien des questions.136 Il a été bâtit en continuité avec les dispositifs multiculturels mis en place dans les années 1990 et la Constitution de 1994. Il y a toutefois un changement radical de perspective car on passe dans la perspective multiculturelle d’une situation où il existe une majorité et des minorités à la situation actuelle où toutes les cultures sont considérées au même niveau car elles sont toutes essentielles et fondatrices de la société nationale.137 Il apparait ici une solution à la question de l’identité plurielle, de la double nationalité développée par José Bengoa.138 Il explique en effet que les nouvelles générations d’indiens se revendiquent à la fois indien et nationaux (chiliens dans le cas qu’il étudie) selon les circonstances. Il n’y a donc plus de hiérarchisation de l’appartenance mais plutôt une recomposition complexe de celle-ci. Nous verrons pourtant dans un second temps que la situation est loin d’être aussi idyllique et qu’il reste encore bien des questions en suspens. 135 Willibald Sonnlitner, Repenser la politique en terres indiennes : réflexions à partir du Chiapas, in in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Op.cit, p.170 136 La Constitution promulguée par l’Equateur la même année va dans le même sens mais semble moins aboutie. Il serait intéressant d’en faire une étude approfondie. Nous partons ici du postulat selon lequel les conclusions générales seraient les mêmes compte tenu de la forte ressemblance entre les deux cas. 137 Laurent LACROIX, État Plurinational et redéfinition du multiculturalisme en Bolivie, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Op.cit, p.135 138 José BENGOA, Commémorations et mémoires subalternes : citoyenneté et émergence indigène au Chili, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ~ 54 ~ a) Focus sur le la construction du nouvel Etat bolivien Depuis la Constitution de 1994 il existe en Bolivie des dispositions en faveur des peuples autochtones. Les dispositions étaient toutefois peu nombreuses et relevaient essentiellement d’une attitude de reconnaissance et d’une facilitation de la participation politique. Trois lois importantes ont ensuite été votés, en 1994 une sur la décentralisation et une sur l’éducation puis en 1996 une concernant la réforme agraire.139 Par ailleurs, comme dans beaucoup de pays du continent, les déclarations et les textes n’ont pas eu de grandes répercussions dans la réalité. La frustration restait donc très grande parmi les populations indigènes dont les mouvements ont continué à se solidifier. On constate parallèlement une ethnicisation de plus en plus grande des acteurs sociaux jusqu’à l’élection d’Evo Morales en 2005. La constitution de 2007 mise en place dans le prolongement est une constitution ambitieuse. Dans nombreux de ses articles elle fait écho à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (on voit bien ici la continuité dans laquelle se place le texte). Son mot d’ordre est « l’unité dans la diversité »140 et selon Laurent Lacroix : « Le nouveau pacte sociétal établit par la Constitution repose sur les principes de pluralité et de pluralisme politique, économique, juridique, culturel et linguistique, dans le respect de l’unité de l’Etat et de la nation bolivienne ».141 Si nous nous intéressons de plus près au texte, nous pouvons noter la création de la catégorie « nations et peuples originaires paysans » qui entend regrouper les peuples autochtones. Selon l’article 30, le point commun qui permet d’unir toutes les populations indigènes de Bolivie sous une même dénomination est leur existence précoloniale. 142 On retrouve ici sous de nouveaux traits l’idée d’une revanche sur les discriminations subies depuis les politiques coloniales et jusqu’à aujourd’hui, idée jusqu’alors développée par certains mouvements indigènes. Nous pouvons également relever la place importante 139 Laurent LACROIX, État Plurinational et redéfinition du multiculturalisme en Bolivie, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Op.cit, pp.137-138. 140 Laurent LACROIX, Ibid, p.140 141 Laurent LACROIX, Ibid, p.140. Il fait ici référence à l’article 1 de la Constitution. 142 Constitution de Bolivie telle que proposée au référendum constitutionnel du 25 janvier 2009, art 30 : Es nación y pueblo indígena originario campesino toda la colectividad humana que comparta identidad cultural, idioma, tradición histórica, instituciones, territorialidad y cosmovisión, cuya existencia es anterior a la colonia española. » Consultable sur le site http://www.presidencia.gob.bo/documentos/publicaciones/constitucion.pdf , consultée le 29 aout 2015 ~ 55 ~ accordée aux afro descendants ainsi que le lien qui est fait tout au long du texte avec la nature et la « Madre Tierra ».143 Ainsi comme le note Laurent Lacroix, « Avec l’Etat plurinational, il ne s’agit plus de reconnaitre la diversité socio-culturelle mais de la célébrer, de la porter au premier plan de manière permanente pour édifier une nouvelle société démocratique reposant sur la coexistence égalitaire des différences individuelles et collectives. »144 La pluralité est présente à tous les niveaux avec par exemple l’obligation pour tous les fonctionnaires de parler deux langues officielles (dont le castillan) ou encore l’existence d’unités territoriales entièrement régulées par le système indigène local, y compris une juridiction locale considérée au même niveau que les juridictions ordinaires. L’Etat plurinational de Bolivie propose donc bien une structure nouvelle cherchant à assurer une cohésion et un bienêtre commun à la population du pays. 145 Elle se place dans la continuité du multiculturalisme et en reprend des mises en œuvre tout en étant radicalement nouvelle du fait de l’égalité qu’elle instaure entre toutes les cultures et tous les groupes qui composent le pays. La Constitution se présente et est présentée comme un produit novateur émanant du peuple bolivien et ne s’apparentant à aucun autre modèle en vigueur sur le continent ce qui est à mon sens l’élément le plus intéressant de ce texte. En effet la mise en place de la Constitution ne se fait pas sans peine et de nombreuses critiques émergent dans et à l’extérieur du pays. Malgré tout le système se maintient encore 6 ans plus tard, toujours aussi fier de son originalité.146 A tort ou à raison, seul l’avenir nous le dira mais le seul fait que ce soit mis en place en Amérique Latine un régime complètement novateur et non calqué sur une expérience antérieure (notamment européenne) illustre une réelle reprise en main de la question par les acteurs les plus concernés, les nationaux. Bien sur l’influence internationale est encore présente avec par exemple la reprise des grands textes internationaux mais ne s’agit-il pas justement d’une preuve de la modernité et du 143 On peut ici s’intéresser au Préambule de la Constitution qui reprend tous les éléments mentionnés en accordant une place particulièrement importante à la colonisation comme facteur déstabilisateur responsable du racisme en Bolivie. http://www.presidencia.gob.bo/documentos/publicaciones/constitucion.pdf , consultée le 29 aout 2015 144 Laurent LACROIX, État Plurinational et redéfinition du multiculturalisme en Bolivie, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Op.cit, p.145 145 Le « buen vivir » est également une notion centrale dans le texte de la Constitution, nous y reviendrons ultérieurement. 146 Le terme n’est pas ici à prendre dans un sens péjoratif mais bien au sens propre car il s’agit bien d’une situation unique. ~ 56 ~ caractère actuel du régime ? Nous allons maintenant revenir sur les limites plusieurs fois évoquées afin de mieux mettre en perspectives les éléments présentés plus haut. b) Limites et mise en perspective, une évolution sous haute surveillance La mise en place de l’Etat plurinational de Bolivie a été un véritable raz de marée pour les chercheurs et intellectuels du monde entier mais aussi pour tous les individus qui sont attachés à la question des droits culturels. Enfin un régime qui osait déclarer sa pluri nationalité et déclarer égales toutes les cultures présentes sur son territoire ! Pourtant déjà émergeaient les premiers doutes quant à la mise en place effective de la structure présentée dans la constitution. Ici encore nous retrouvons deux grands types d’arguments, les premiers d’ordre théorique et fondés sur les expériences antérieures et les autres qui s’appuient aujourd’hui sur une analyse des premières années de gouvernement. Malgré les avancées considérables que représente le nouvel Etat bolivien, se pose toujours la question de l’appropriation des catégories ethniques par les instances gouvernementales. En d’autres termes, c’est toujours le système étatique qui définit quelles sont les groupes bénéficiant d’une reconnaissance officielle. Ainsi se pose encore la question de la sélection des groupes reconnus et de ceux écartés. Se pose aussi la question de la territorialité de ces groupes quand de nombreux autochtones vivent aujourd’hui dans les villes. Le risque d’instrumentalisation développé plus haut se pose donc toujours ici malgré les avancées. La question du statut des femmes est également toujours d’actualité notamment aux vues du nombre de violences conjugales répertoriées dans le pays. On peut également mentionner les cas de mariages précoces et forcés qui sont parfois culturellement justifiés. Même si la constitution déclare explicitement que la justice indigène ne doit pas aller à l’encontre des droits des personnes dans les faits cela semble bien plus complexe. Sur ce point il y a bien sur l’incontournable thématique des lynchages qui fait couler beaucoup d’encre et pas seulement sur le continent. Pour aborder la question des lynchages nous allons nous appuyer sur les recherches de Valérie Robin Azevedo présentées dans l’ouvrage commun de Christian Gros et David ~ 57 ~ Dumoulin Kervan.147 Elle y explique comment la thématique est devenue centrale pour juger de l’efficacité du double système de justice mis en place. Mis à part quelques extrémistes qui légitiment ces pratiques, la communauté scientifique s’accorde à les condamner et les considère globalement comme des actes de révoltes contre un système policier et judiciaire corrompu et faible. Les défenseurs du régime s’emploient eux à démontrer qu’il n’y a pas ici de fondement culturel mais la tâche n’est pas aisée car les responsables eux-mêmes se réclament de la justice communautaire.148 Reprenant Jean Pierre Lavaud, Valérie Robin Azebedo parle d’une inadéquation entre la justice communautaire telle que vue par ses défenseurs urbains et celle vue par ceux chargés de l’appliquer et onc les membres des communautés. On retrouve ici l’existence d’une vision idéalisée de l’indien portée par les hautes classes urbaines alors que la réalité peut parfois être bien plus crue. Nous n’entrerons pas plus en détail dans la question des lynchages mais il est important d’en voir la répercussion au niveau global. En effet ce qui ressort ici c’est la difficulté de mise en place d’un système possédant une double juridiction notamment parce que l’Etat lui-même ne possède pas l’assise nécessaire pour faire valoir la justice sur son territoire. Cela pose également des questions liées à la division juridique du territoire puisqu’un seul système juridique ne peut être appliqué sur le même territoire. Ainsi les indigènes vivant en ville seront soumis à la justice ordinaire alors que les non indigènes vivant dans les communautés seront soumis à la justice indigène. Une fois de plus la catégorisation pose problème et risque de faire chanceler le système. Le dernier élément que nous allons aborder dans cette partie critique est de nature économique. Dans la Constitution, il est annoncé un modèle économique en phase avec celui des communautés de façon à crée un bienêtre commun. Dans les faits cependant la politique économique mise en place par le Président Morales base le « buen vivir » sur des grands projets d’extraction quitte à expédier les processus de consultation des communautés.149 La fin justifie-t-elle les moyens ? Après les efforts engagés pour le 147 Valérie ROBIN AZEVEDO, Reconnaissance de la justice communautaire et gestion politique des lynchages en Bolivie, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Op.cit, pp.213-225 148 Valérie ROBIN AZEVEDO, Ibid, p.219 149 Laurent LACROIX, État Plurinational et redéfinition du multiculturalisme en Bolivie, in David DUMOULIN KERVAN et Christian GROS, Le Multiculturalisme, Un modèle latino-américain « au concret » ?, Op.cit, p.143 ~ 58 ~ passage à cette nouvelle Constitution fondamentalement en faveur des communautés indigènes on peut douter que la population le voie sous cet angle. 2. L’Union Européenne, Organisation Internationale supra- étatique ou embryon d’Etat plurinational Nous venons de voir, au travers de l’exemple bolivien, l’Amérique Latine semble trouver de nouvelles formes et façons de penser politiquement l’ethnicité. Le cas bolivien a beau être unique il n’en inspire pas moins les autres pays de la région qui se positionnent de plus en plus en faveur des communautés indigènes. Le Président Morales semble avoir créé un véritable laboratoire sur lequel les yeux de tout le continent sont rivés. Mais s’agitil seulement de l’Amérique Latine ? L’intérêt ne va-t-il pas au-delà ? Alors que l’ethnicité déchaine les passions sur le vieux continent n’y a-t-il pas là aussi des idées à glaner ? Nous nous y sommes longuement attardés dans les paragraphes précédents, en Europe la question ethnique est différente. Elle comporte aussi des éléments ethniques mais qu’il est difficile de qualifier d’indigènes puisqu’il n’y a pas à proprement de rupture qui ferait écho à la période de colonisation en Amérique Latine. S’ajoute également le facteur immigration encore de faible importance outre Atlantique. Pourtant, malgré les différences on assiste au même essoufflement des Etats-nations, tiraillés entre des revendications locales, régionales et internationales. S’il n’y a pas encore en Europe d’Etat pilote à l’image de la Bolivie, il y a tout de même des évolutions considérables, il faut seulement les chercher à un autre niveau, celui de l’Europe. Nous avons vu plus haut comment les institutions européennes se sont positionnées en faveur des droits des minorités mais cela va au-delà. En effet, si l’on cherche à définir l’Union Européenne la notion d’Etat fédéral est tentante tout comme à mes yeux l’est celle d’Etat plurinational. Bien entendu il est prématuré d’utiliser ces termes mais l’évolution entreprise depuis maintenant plus de 60 ans ne va-t-elle pas dans ce sens ? Dans les deux cas ce qui pose problème c’est d’identifier l’UE à un Etat pour une raison simple, elle n’en a pas (encore) les prérogatives. Par contre, pour ce qui est de la pluri culturalité ou de la pluri nationalité, on peut difficilement faire mieux ! La question est de savoir s’il existe par-delà les différences évidentes un intérêt commun qui justifierait la création d’une instance unique de pouvoir. ~ 59 ~ La citoyenneté européenne existe officiellement depuis maintenant 23 ans, depuis le Traité de Maastricht de 1992. Elle est assortie des autres éléments qui forment habituellement une nation : le drapeau, l’hymne et même, dans une certaine mesure, la monnaie. Dans les faits pourtant, le sentiment européen est loin d’être acquis. Il suffit de regarder le taux de participation aux élections européennes pour voir que le devenir de L’Union Européenne ne passionne pas les foules et rares sont les européens qui se revendiquent comme tels. Quand il s’agit du sentiment d’appartenance, l’Etat-nation n’a pas encore dit son dernier mot. Dans ce contexte, comment alors comprendre la volonté des mouvements autonomistes écossais et catalans de se placer dans le cadre européen ? Tout d’abord il convient d’adopter une position purement pragmatique puisque l’Union Européenne est un gros bailleur de fonds. Mais on ne peut pas évacuer aussi facilement l’argument culturel et les tentatives de constructions faites dans ce sens. La population ne semble pas acquise et pourtant. Si le contexte de crise fait couler beaucoup d’encre sur le retour des nationalismes il ne faut tout de même pas occulter les mouvements de solidarités qui se construisent et se relaient partout sur le continent. La communauté de situation dans laquelle se retrouvent les peuples européens crée donc une situation contrastée entre replis identitaire et sentiment de communion. N’est-ce pas en temps de crise que se sont fondées les nations les plus fortes ? Il est certes prématuré de voir en l’Union Européenne un Etat plurinational mais aux vues des développements de ces dernières années et de la direction complexe que prennent les événements actuels on ne peut que se poser la question d’une évolution dans ce sens. Le fait que les mouvements indépendantistes les plus aboutis se réclament de la construction européenne et que celle-ci peine à trouver une réponse adéquate illustre bien la situation ambigüe qui se profile. Entre soutenir les Etats-nations qui semblent toujours plus sombrer dans leurs travers et aller de l’avant vers une Europe des régions, la tension est palpable. Une évolution dans ce sens impliquerait des changements radicaux qui aujourd’hui sont inimaginables mais qui aurait dit qu’un accord économique sur le charbon et l’acier déboucherait sur l’intégration régionale la plus aboutie que nous ayons connue ? ~ 60 ~ V. Conclusions Mettre Arthur Mas et Evo Morales au centre d’une même étude pouvait sembler hors de propos pourtant, au travers de ces quelques pages nous avons montré comment les destins de l’Europe occidentale et de l’Amérique Latine sont liés. Les réalités ont beau y être différentes, ce sont aux mêmes types de difficultés que sont exposés les Etats qui composent ces deux zones géographiques. Des trajectoires similaires mais accélérée en ce qui concerne l’Amérique du Sud et qui débouchent sur des tentatives de construction de nouveaux modèles alternatifs. En Europe les Etats déclinent face à la double contestation (suprarégionale et infrarégionale) et peinent à se renouveler malgré la construction européenne. Parallèlement les régions prennent de plus en plus de place laissant apparaitre une véritable Europe des régions (le vrai visage de l’Europe des nations ?). De plus, avec la crise économique le nationalisme semble se renouveler ce qui entraine de profonds questionnements identitaires. A l’inverse, en Amérique Latine nous avons des Etats jeunes qui en sont rapidement arrivés à se poser la question des minorités et qui cherchent des solutions audelà des modèles occidentaux. Le référent étatique reste pourtant au centre : des peuples mais une nation (difficile ici de ne pas faire un parallèle avec l’Espagne). Dans la première partie de notre travail, nous nous sommes attachés à montrer comment l’Etat-nation s’est imposé comme modèle sur le vieux continent avant de s’exporter outre Atlantique dans des régimes postcoloniaux fraichement indépendants. La réalité a pourtant vite rattrapé les gouvernements qui ont dû composer avec la diversité présente sur leurs territoires. C’est ainsi qu’ont ensuite été adoptées les politiques multiculturelles issues des pays anglophones, sujet de notre deuxième parie. Dans les deux cas l’adaptation n’a pas été facile et a soulevé de nombreuses questions cristallisant le débat autour du débat : droits collectifs/droits individuels. Enfin dans une dernière partie nous avons tenté de comprendre pourquoi aujourd’hui plus personne ne se réclame du multiculturalisme avant de s’intéresser aux nouvelles propositions qui émergent sur les deux continents. Des trajectoires similaires donc mais des réalités différentes pour deux zones géographiques qui s’influencent mutuellement. La période actuelle ne déroge pas à cela avec l’émergence de chaque côté de l’Océan Atlantique de deux modèles dont l’évolution ~ 61 ~ est à suivre de près. Sur le vieux continent, les revendications régionales dans une Union Européenne réticente mais protectrice amènent à se poser la question du futur de l’organisation et des Etats qui la composent. Si en Europe les questions se posent mais sont loin d’être résolues, en Bolivie, la nouvelle Constitution a mis en place un régime hybride qui entend répondre aux problématiques du pays (et pourquoi pas servir de modèle dans la région). La stratégie est ici inverse puisqu’on expérimente en temps réel les solutions possibles ce qui n’est pas sans soulever de nombreux problèmes comme nous l’avons vu. L’Etat plurinational de Bolivie est pourtant toujours là 6 ans plus tard et fait office de laboratoire d’expérimentation pour des pays qui cherchent encore à trouver leur porte de sortie. Ce qui est véritablement révolutionnaire ici, ce n’est pas tellement la Constitution bolivienne mais bien l’idée que chaque Etat semble aujourd’hui pouvoir proposer son propre modèle prenant en compte sa réalité nationale et non plus seulement se limiter à calquer des modèles préexistants. L’Amérique Latine semble être aujourd’hui sur la bonne voie pour en finir avec ses démons coloniaux et se construire un avenir en adéquation avec sa réalité. Au-delà de l’Amérique Latine c’est vers l’Afrique que les regards se tournent aujourd’hui alors que le continent se déchire dans le sang. On peut espérer que les propositions Européennes et Sud-Américaines pourront inspirer les peuples africains à travailler sur de nouveaux modèles étatiques ou interétatiques calqués cette fois ci sur la réalité et non sur des cartes coloniales. Il est enfin important de comprendre que ce qui est en jeu ici c’est la question de l’identité et qu’elle se joue à la fois au niveau de l’individu et au niveau du groupe (que ce soit une ethnie, un peuple ou une nation). Le clivage entre ces deux aspects a jusqu’ici été synonyme de tensions, il faut pourtant penser au-delà de celui-ci pour pouvoir prendre en compte toutes les facettes de la question. De la même façon opposer reconnaissance et redistribution ne fait que poser des limites conceptuelles à une réalité bien plus globale. Enfin, s’il y a quelque chose que met en évidence cette étude c’est que l’identité est mouvante et que toute tentative pour la figer ou la catégoriser semble vouée à l’échec. C’est bien ici que ce trouve le nœud du « problème indien » (et de son jumeau européen) car comment prendre en compte quelque chose d’aussi complexe et changeant que l’identité ? Il est difficile pour ne pas dire impossible de prévoir comment une personne ou ~ 62 ~ un groupe de personne vont choisir de se présenter et de se représenter. Tout comme il est difficile de déterminer le rôle que doit jour la structure étatique dans ce processus. Les nouvelles propositions qui ont émergées ces dernières années semblent augurer une nouvelle ère dans la thématique de la diversité et de l’intégration. Cette nouveauté ne réside pas dans l’adéquation parfaite entre les nouveaux modèles et la réalité (comme en témoignent déjà les critiques internes en Bolivie). Elle est plutôt à chercher dans la diversité même des solutions proposées. L’Etat Plurinational de Bolivie est unique et inédit et c’est bien ce qui lui confère son aspect révolutionnaire ; fait par la Bolivie et pour la Bolivie il illustre l’ultime recentrage de la question indigène et plus largement de la question de la pluri culturalité dans le pays. De la même manière voir se profiler une Europe des régions permet de se projeter au-delà du cadre de l’Etat-nation, vers une Europe à l’image de sa population, multiple et diverse. Voir la Catalogne se revendiquer européaniste semble bien être la preuve que l’identité est avant tout une construction complexe qui peine à s’épanouir dans les cadres actuels. ~ 63 ~ VI. Bibliographie A. 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