régimes spéciaux : le cas des ieg
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régimes spéciaux : le cas des ieg
Retraite / institutions RÉGIMES SPÉCIAUX : LE CAS DES IEG Une réforme des régimes spéciaux est en préparation. L’un des plus importants, celui des Industries électriques et gazières - les IEG - a déjà fait l’objet d’une réforme de son financement et de son organisation : il a été adossé au régime général ainsi qu’aux régimes complémentaires des salariés du privé ; il a été doté d’une caisse de retraite, la CRIEG, et une taxe dite “Contribution tarifaire d’acheminement” du courant électrique et du gaz, ou CTA, a été instituée pour financer une partie de ses généreuses prestations. En revanche, il n’a pas été touché à ces dernières. Le changement de statut d’EDF et GDF en 2004 n’aurait d’ailleurs probablement pas été réalisé sans graves remous sociaux s’il n’avait pas été entendu que les règles relatives aux pensions ne seraient pas modifiées. Or la réforme projetée paraît remettre en question cette promesse. La réforme de 2004 Le 14 avril 2004, récemment passé de la place Beauvau à Bercy, Nicolas Sarkozy rencontre les syndicats EDF à propos du changement de statut de leur entreprise. D’entrée de jeu, il les rassure : c’est l’entreprise qui va changer de statut, pas eux. Ses promesses sont claires : « Le statut social des agents ne sera pas modifié : la garantie de l’emploi dont ils disposent ne sera pas touchée ; les prestations sociales ne seront pas modifiées ; leur régime de retraite restera un régime spécial même si son mode de financement sera modifié pour en garantir la pérennité ». De fait, la loi IEG du 9 août 2004, dans son titre IV relatif au régime de retraite des IEG, modifie le mode de financement de ce régime. Descendant dans un détail que l’on se serait plutôt attendu à trouver dans un décret, ce titre fait le nécessaire pour éviter à EDF et GDF de devoir passer de gigantesques provisions correspondant à leurs engagements relatifs aux pensions de leurs employés. Selon les règles européennes et internationales, il existe deux catégories de dispositifs en matière de retraites : des retraites de base, fonctionnant par répartition dans le cadre d’une sécurité sociale nationale ; et des retraites d’entreprise, qui peuvent soit constituer un engagement de celle-ci, soigneusement constaté au bilan par des provisions adéquates, soit être externalisées sous forme de droits des salariés et anciens salariés sur un fonds de pension. Il fallait donc scinder juridiquement les pensions du personnel des IEG en deux fractions : l’une égale à ce qui serait versé, en l’absence de régime spécial, par la CNAV, l’ARRCO et l’AGIRC ; l’autre correspondant aux “droits spécifiques” attribués par le régime spécial au-delà des règles applicables aux ressortissants du régime général. C’est ce que fit la loi du 9 août 2004, réglant ainsi le problème pour les droits que l’on pourrait appeler “ordinaires” : ceux-ci rentrent désormais clairement dans la catégorie des retraites de base. Quant aux droits spécifiques, pour éviter à EDF et GDF d’avoir à les provisionner, la loi instaure (art. 18) la CTA, destinée à financer la partie correspondante des pensions. Faisant bonne mesure, elle accorde de plus (art. 22) la garantie de l’Etat pour ces droits relatifs aux “périodes validées antérieures au 31 décembre 2004”. La nouvelle réforme relève-t-elle du décret ? La loi ne garantit pas que les prestations ne seront pas modifiées. Au demeurant cette garantie eût été illusoire : ce qu’une loi a fait, une autre peut le défaire. Il n’en reste pas moins que le personnel des IEG et les organisations syndicales comptent sur la promesse faite par un ministre devenu depuis Président de la République : revenir sur cette promesse sera probablement un casus belli. La bataille ne sera pas livrée seulement dans la rue : elle sera également juridique. Or le Premier ministre semble considérer que la réforme des régimes spéciaux relève du décret plutôt que de la loi. Concernant les IEG, est-ce exact ? Il convient de distinguer entre les droits à pension correspondant à des périodes déjà validées au moment où d’éventuels décrets entreraient en application, et les règles applicables à l’acquisition de droits postérieurement à cette date : toucher aux premiers serait un acte à caractère économiquement et psychologiquement rétroactif. Qu’en est-il juridiquement ? Dans l’état actuel du droit français, il semblerait que seule la liquidation de la pension instaure un droit de propriété précis au bénéfice de l’assuré social, et qu’auparavant un décret ou un additif apporté à une convention collective suffise pour réduire ce qui n’est en quelque sorte qu’un espoir de pension précise (par exemple : tel pourcentage d’un salaire de référence). Cependant, en ce qui concerne les “droits spécifiques” des salariés des IEG, la loi du 9 août 2004 ne changerait-elle pas la donne ? Son article 22 dispose : « pour les périodes validées antérieures au 31 décembre 2004, la CNIEG bénéficie d’une garantie de l’Etat pour le service des prestations d’assurance vieillesse des IEG ne relevant pas du champ des conventions financières avec le régime général de sécurité sociale et les fédérations d’institutions de retraite complémentaire prévues à l’article 19 », autrement dit pour le service des droits spécifiques. Une garantie peut difficilement porter sur des droits mal définis : la loi de 2004 n’impliquerait-elle pas une exception en faveur des IEG à la doctrine qui reporte à la liquidation la définition précise et définitive des droits à pension ? Qui plus est, la personne morale apportant la garantie se trouve ici être la même que celle susceptible de diminuer le contenu des droits ainsi garantis : imaginet-on le loup garantir la vie de l’agneau, tout en se réservant le droit de le croquer ? Le projet de réforme des régimes spéciaux s’inspire, à ce qu’il semblerait, des modifications économiquement et psychologiquement rétroactives apportées aux régimes des fonctionnaires par la loi du 21 août 2003. Un fonctionnaire en milieu de carrière, ayant validé par exemple vingt annuités le 31 décembre 2003, au lieu de conserver à ce titre le bénéfice d’une fraction de pension égale à 40 % de son traitement de fin de carrière (2 % par année validée) a vu la loi ramener cette fraction à 37,5 % du dit traitement. Mais comment l’autorité réglementaire, chargée de mettre en œuvre la garantie apportée par la loi à certaines fractions de droits spécifiques, serait-elle habilitée à réduire de son propre chef le contenu des dits droits ? Pour cette raison il paraît peu probable que les pouvoirs publics puissent effectuer par décret une réforme du régime spécial des IEG semblable à celle qui fut réalisée par voie légale pour le régime des fonctionnaires. ■ Jacques BICHOT Economiste, professeur à l’Université Lyon 3 R.F.C. 403 Octobre 2007 28