Le concept de réseau à l`aune des usages militants de l`Internet
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Le concept de réseau à l`aune des usages militants de l`Internet
© Éric GEORGE 2001 Le concept de réseau à l’aune des usages militants de l’Internet Par Éric GEORGE Pour citation : GEORGE Éric, 2001, Le concept de réseau à l’aune des usages militants de l’Internet, intervention au séminaire du Groupe de recherches sur les médias (GRM), Université du Québec à Montréal (UQAM), le 20 avril. En guise d’introduction Je m’intéresse au terme de « réseau » en tant que notion, voire en tant que concept dans le cadre des études en communication (étant certainement de ce point de vue influencé par le lieu où je travaille, je reprends la traduction française de l’expression anglaise de « communication studies »), les études en communication se situant dans le cadre de mes recherches au cœur des quatre champs de recherche suivants : (1) l’économie politique de la communication, (2) la dimension internationale de la communication à l’ère de la mondialisation, (3) l’évolution de l’espace public médiatique et ses rapports avec la démocratie, (4) les usages des dispositifs techniques communicationnels. Or, on retrouve justement au sein et au carrefour de ces quatre champs des auteurs qui ont récemment écrit un certain nombre d’ouvrages importants dans lesquels il est toujours question de « réseaux », parfois de façon problématique, mais toujours de façon centrale. Je fais notamment référence à Manuel Castells auteur d’une trilogie sur la société de l’information, notamment sur le capitalisme informationnel, -- le titre en français La société en réseaux : l’ère de l’information ? est révélateur du contenu de l’ouvrage même si l’auteur s’en défend -- Jeremy Rifkin auteur d’un ouvrage récent dans lequel il met l’accent sur le passage d’une économie de la propriété à une économie basée sur l’accès, notamment l’accès aux réseaux qui tendent à remplacer les marchés, à Dan Schiller qui vient d’écrire deux tomes sur le Digital Capitalism. Et dans une tradition européenne plus critique, on pourrait aussi signaler les réflexions actuelles d’un Nicholas Garnham ou d’un Bernard Miège. Bref, tout ceci pour dire que j’ai des raisons de m’intéresser de façon centrale à cette notion. C’est d’ailleurs à partir de la lecture de Castells et de sa critique par Garnham que je me suis intéressé à cette notion. Dans sa critique de Manuel Castells, Nicholas Garnham (1998) rappelle que les réseaux et la réflexion sur les réseaux ne sont pas si nouveaux. Ce qui est tout à fait vrai. Pierre Musso estime que c’est à la charnière des XVIIIe et XIXème siècles que naît le : concept moderne de réseau définissant un espace-temps inscrit sur un territoire et dans des dispositifs techniques. Du réseau naturel observé par les physiologistes sur et dans le corps humain, le basculement s’opère alors vers le réseau construit, conçu et fabriqué par les ingénieurs. Entre 1802 et 1820 émerge ce concept opératoire pour indiquer l’inscription du maillage dans les tissus humains (Bichat) et le tissu social (Saint-Simon) (1993, p.1672). © Éric GEORGE 2001 2 Or, il me semble intéressant de revenir quelque peu en arrière parce que derrière la conception des réseaux de Saint-Simon, on retrouve me semble-t-il quelques-unes des évolutions que l’on annonce maintenant dans la formation d’une nouvelle phase du capitalisme. Alors que le système féodal se caractérisait comme un régime à faible communication, et, mieux, comme un régime où la non-communication était, en quelque sorte, fonctionnelle » selon Pierre Ansart (1993, p.1666), les industriels se sont engagés dans des rapports d’échange réciproque, indéfiniment renouvelés, fondés sur des savoirs et des objectifs « positifs ». « Ces communications […] ne tendent pas à maintenir des rapports figés de hiérarchie, elles sont de l’ordre du changement : les savoirs véhiculés participent au travail productif, ils visent à « produire », à « modifier » ou, au mieux, à « organiser la vie commune » note Pierre Ansart qui ajoute que Saint-Simon s’est fait dès les années 1820 le « prophète » de ce « système d’organisation sociale très supérieur » (ibid.). Pour Saint-Simon, alors que l’ancien système guerrier reposait sur la soumission et l’apathie du plus grand nombre, le nouveau système a été fondé sur l’échange généralisé. L’action administrative devait mettre en « concours » trois capacités essentielles, celle des industriels, des artistes et des savants. Toutefois, il a semblé hésiter, d’après Pierre Ansart, entre une société technocratique dans laquelle les messages décisifs seraient émis par une élite savante, ou, au contraire, une société à vocation anarchiste dans laquelle « l’administration des choses, partagée par tous, se substituerait aux fonctions gouvernementales » (ibid., p.1669). Quoi qu’il en soit, Saint-Simon a souligné l’importance des moyens de communication, ceux-ci étant non seulement des instruments susceptibles de faciliter les échanges commerciaux, mais aussi des moyens de multiplier les rencontres et les échanges, ce qui a constitué assurément un symbole du changement de société. On peut noter aussi, toujours d’après Pierre Ansart, que Saint-Simon n’envisageait pas d’oppositions éventuelles entre entrepreneurs, banquiers, agriculteurs, ouvriers, etc. Il notait que les travailleurs n’avaient cessé de progresser dans l’acquisition de cette capacité : « la totalité de la population » se trouve « aujourd’hui composée d’hommes qui… sont en état de bien administrer » (ibid.). Dans tous les cas, il avait pour objectif de favoriser le développement de la société industrielle. Il regrettait d’ailleurs que des industriels aient tendance à vouloir garder de bonnes relations avec les membres de l’ancienne noblesse. Il appelait même à la formation du « parti industriel ». Vous voyez, nous ne sommes pas très loin d’une vision de la société moins hiérarchisée, basée non pas sur une conception atomiste mais sur une approche de l’autonomie et là je renvoie aux travaux de Cornelius Castoriadis. Aujourd’hui, le terme de « réseau » est polysémique. Il peut être utilisé dans un sens sociologique, technologique, économique, voire managérial. Abordons brièvement les deux premiers sens qui nous intéressent. Selon Bernard Paulré, en sociologie, et plus particulièrement en analyse des organisations, un réseau désigne l’ensemble des canaux de communication existant dans un groupe et leur configuration. Il représente aussi bien l’ensemble des possibilités matérielles de communication que le système institutionnel, le système hiérarchique où l’organisation des relations informelles interpersonnelles qui, pratiquement, déterminent les possibilités effectives de communication (1993, p.675). © Éric GEORGE 2001 3 En termes techniques, on peut estimer que le réseau replace les objets techniques dans un ensemble. Un réseau se définit comme un système de transport déployé à travers l’espace selon des itinéraires arborescents : il peut servir à un transport matériel aussi bien qu’immatériel. On peut dès lors retenir trois domaines d’applications : (1) le transport de marchandises ou de personnes, (2) le transport d’énergie, (3) le transport d’information. Un réseau télématique représente un « ensemble de voies de télécommunications permettant de mettre en relation divers équipements. Le réseau peut servir à désigner les voies de télécommunications et les ressources de traitement informatique elles-mêmes ; on parle alors d’un réseau d’ordinateurs » (ibid.). Plus généralement enfin, Bernard Paulré estime que si le terme « réseau » est souvent employé, c’est parce qu’il correspond à une expression « très influente et expressive d’où sa transversalité et son succès » (ibid., p.677). Au-delà du sens commun, le succès de la notion de « réseaux » n’est pas du aux tentatives de formalisation et de réflexion orientées vers la recherche d’un concept général transdisciplinaire1, mais plutôt en tant que « forme pregnante, universelle et totalitaire d’une société dominée par la communication » (ibid.). Bernard Paulré ajoute que le rôle même des acteurs doit être repensé en fonction du réseau. Leurs fonctions doivent dès lors être pensées en termes de « commutation ». Ceci nous amène finalement à penser le terme « réseau » comme « la métaphore dominante » : « toute relation sociale est posée sur le mode de la communication et conçue comme élément d’un réseau » (ibid.). Le réseau selon Luc Boltanski et Eve Chiapello Le concept de réseau abordé par Luc Boltanski et Eve Chiapello l’est dans le cadre d’une analyse du capitalisme qui est compris comme entrant dans une troisième phase que les deux auteurs appellent le « capitalisme connexionniste ». Cela dit, ils notent pour leur part que le terme de « réseau » a pendant longtemps été associé, soit aux réseaux techniques de distribution de l’eau, de l’électricité, ou de l’argent (les réseaux bancaires), soit à des organisations plus ou moins occultes parfois connotées positivement (les réseaux de résistance), plus souvent connotées négativement (les réseaux mafieux par exemple) ou connotées diversement (la franc maçonnerie). C’est ensuite que la récupération s’est opérée « à la faveur d’une conjonction historique particulière, marquée notamment par le développement des réseaux informatiques ouvrant des possibilités de travail et de collaboration à distance, mais en temps réel, et par la recherche, dans les sciences sociales de concepts pour identifier des structures faiblement, voire pas du tout, hiérarchiques, souples et non limitées par des frontières tracées a priori (1999, p. 156). Alors que leur approche accorde une dimension relativement modeste à la technique comme élément explicatif de l’histoire, ils estiment que « dans un monde dans lequel l’opération principale est l’établissement de connexions, il est […] normal de trouver une forte présence des nouvelles technologies de communication qui reposent sur l’informatique (Internet, interfaces, ) » (ibid., p. 177). Ayant étudié un corpus de textes liés au management, ils concluent d’ailleurs que la vision de l’être humain qui est développée dans ces textes est celle d’un être qui communique. Je cite un extrait « il correspond à une tendance primaire, le besoin d’autrui, plus fort que la faim, plus précoce que la sexualité » (cité p. 189). Ils insistent sur le fait que le développement considérable des dispositifs techniques de communication et de transport a stimulé ce qu’ils appellent « l’imagination connexioniste » (p. 211). « Il a eu notamment pour effet de rendre tangible pour 1 À l’image par exemple des travaux de Luc Von Bertalanffy dans sa « Théorie générale des systèmes ». © Éric GEORGE 2001 4 tout un chacun un phénomène qui, en lui-même, n’est pas nouveau » (p. 211). C’est le développement des médias et surtout des réseaux informatiques qui a rendu tangible, concret l’existence même de réseaux pour beaucoup de monde, notamment dans le milieu du travail. Néanmoins, tout en reconnaissant que les analyses de réseau sont surtout adéquates pour comprendre les sociétés contemporaines, ils acceptent dans une certaine la position naturaliste par rapport à la notion de réseau. Luc Boltanski et Eve Chiapello estiment que si la notion de réseau était peu mobilisée jusqu’aux années 70, on la trouve maintenant au cœur de nombreux travaux à la fois théoriques et empiriques, au point que certains de ses promoteurs parlent d’un nouveau paradigme. Et ils citent à ce sujets des chercheurs comme Michel Callon auteur en 1993 d’un ouvrage intitulé « Ces réseaux que la raison ignore » et surtout Ronald Burt mentionné à de nombreuses reprises. Le paradigme du réseau repose sur le déplacement de l’intérêt des propriétés substantiellement attachées à des êtres aux propriétés relationnelles des êtres. On retrouve ici une conception organiciste de la société qui rappelle d’ailleurs mes premiers propos autour de Saint-Simon. C’est ainsi que les sociogrammes vont avoir pour objectif de montrer comment à l’intérieur de petits groupes, les individus sont connectés par des flux de communication. On parlera alors d’analyse de réseau, et ce tant en sociologie qu’en histoire. Cette approche se veut pragmatique et empirique. Boltanski et Chiapello parlent même d’« empirisme radical » (p. 221). Ils expliquent aussi que dans cette approche, les individus ne peuvent pas être définis comme ils le seraient dans une analyse des structures car leurs propriétés même stables sont aussi des signes qui peuvent faire l’objet d’interprétations dans le contexte général de l’interaction. or, pour Boltanski et Chiapello, l’analyse de Raymond Burt et des autrres auteurs de la même école pèche parce qu’ils réfléchissent à partir d’un modèle entièrement orienté sur le réseau et où il n’y a plus d’autre forme sociale. C’est ainsi que l’appartenance d’individus à des structures institutionnelles est complètement niée. Interrogation en termes de réseaux techniques et de réseaux sociaux. Cela étant dit, jen viens maintenant plus précisément à quelques éléments liés plus spécifiquement aux résultats de ma thèse de doctorat qui a pour titre : L’utilisation de l’Internet comme mode de participation à l’espace public dans le cadre de l’AMI et au sein d’ATTAC : Vers un renouveau de la démocratie à l’ère de l’omnimarchandisation du monde ? On peut tout d’abord considérer l’Internet comme un réseau technique. En fait, il serait plus approprié de parler d’emblée de réseau socio-technique. Pourquoi ? Tout simplement nous semble-t-il parce qu’il y a eu pendant longtemps une impossibilité de distinguer entre conception et utilisation. On constate combien les dimensions technique et sociale sont imbriquées. L’exemple d’ATTAC : structure ou réseau ou structure en réseau L’association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens ou ATTAC est souvent considérée en France comme une figure emblématique des nouvelles constituantes de ce que l’on appelle souvent la « société civile ». Or, se demander quelle est la composition, un peu au sens chimique du terme, d’ATTAC, c’est déjà poser une question épineuse. ATTAC, C’est une structure au sens où l’on retrouve à la fois un collège des fondateurs composé de © Éric GEORGE 2001 5 personnes physiques et de personnes morales, un conseil d’admnistration, un bureau, des comités locaux (plus de 200 en France en 2001) et un conseil scientifique. Mais c’est aussi un réseau de par l’existence même de plus de 200 groupes locaux en France et de plus de 20 associations nationales existantes dans le monde, voire plus largement avec la présence simultanée de groupes aux échelle locale, entendue ici comme étant celle des villes et des départements, régionale, entendue ici comme étant celle des régions et des cantons, nationale, internationale avec la création d’un regroupement à l’échelle de l’Europe et mondiale avec l’existence du « mouvement international ATTAC ». On peut estimer que la forme du réseau est liée également aux composantes de l’association. Non seulement, il y a des personnes physiques mais aussi des personnes morales, ce qui signifie en fait que l’association est elle-même née à partir de l’alliance entre plusieurs associations, parmi lesquelles on peut citer AC ! ou Agir ensemble contre le chômage, l’AITEC, l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs, la revue « Alternatives Economiques », les Amis de la Terre, la Confédération paysanne, Droit au logement plus connue sous l’acronyme DAL, Le Monde diplomatique, la revue Politis, ou bien encore l’association de Pierre Bourdieu « Raisons d’agir ». D’une part, la présence de ces associations témoigne de l’existence d’un ensemble de groupes plus ou moins institutionnalisés très diversifié. Comme l’a souligné récemment Pierre Bourdieu, je cite « bon nombre d’adhérents de ces regroupements sont d’ailleurs enclins à opter pour des formes d’organisation d’inspiration autogestionnaire caractérisées par des structures légères et qui leur permettent d’être actifs. Autre trait commun entre ces nouveaux militants, ils s’orientent vers des objectifs sociaux précis, concrets et importants (logement, emploi, santé, etc), auxquels ils s’efforcent d’apporter des solutions directes et pratiques, veillant à ce que leurs refus comme leurs propositions se concrétisent dans des actions exemplaires et directement liées au problème concerné » fin de citation (<http://www.urfig.org/doc-soutenus-glob-fr-BourdieuAutre%20Davos-petit.htm>). D’autre part, le fait même que l’ensemble de ces groupes soient eux-même à l’origine de la création d’une association comme ATTAC témoigne qu’au-delà de la diversité des revendications et des terrains de lutte, ils contribuent à former des réseaux ou plutôt des structures prenant la forme de réseaux qui, tout en ayant elles-mêmes des revendications partielles, et tout en reconnaissant que les systèmes dans lesquels nous vivons sont complexes, commencent progressivement à identifier la cause principale des problèmes actuels, à savoir la domination du capital financier sur l’ensemble des aspects de la vie sociale. Ils opposent d’ailleurs un discours qui met en avant l’être humain ou l’humanité au discours dominant qui accorde la priorité à l’économie qui rappelle largement l’opposition entre le sujet historique et le capital. « Et l’Internet dans tout ça », me direz-vous. Je répondrai en deux temps. Premièrement, je vais mentionner le cas du Web ou de la Toile puisque j’utilise plus volontiers ce terme français. En ce qui nous concerne, parler de réseau à propos de la Toile, c’est tout d’abord étudier quels sont les liens hypertexte et au-delà hypermédia qui pointent vers le site d’ATTAC et quels sont les liens qui sont pointés à partir du site d’ATTAC. Dans le cas de cette présentation, je vais me contenter de traiter de la deuxième question. La page d’accueil internationale (<http://www.attac.org/indexfr.htm>) donne directement accès à un certain nombre d’adresses d’autres sites qui sont catalogués en quatre rubriques : les organisations non gouvernementales (ou ONG) telles que la Fédération internationale des droits de l’homme et les Amis de la Terre, les médias à l’image de l’Independent Media Center, les organisations internationales comme la © Éric GEORGE 2001 6 Banque mondiale, la Commission européenne ou le Fonds monétaire international et les syndicats comme la Fondation agraire de l’Argentine. À côté de cette première liste, on en retrouve une autre qui porte le titre suivant « Réseau ». Elle est elle-même divisée en trois sousgroupes : les fondateurs de l’association, les partenaires des mobilisations menées depuis 1998 et les sites utiles. Idée originale : on retrouve non seulement les personnes morales parmi les membres fondateurs d’ATTAC mais aussi les éventuelles personnes morales parmi les membres fondateurs des autres associations de par le monde (on doit préciser ici que dans certains cas, des personnes morales, en l’occurrence ici des associations, ne peuvent pas contribuer à fonder une nouvelle entreprise. La partie consacrée aux partenaires des mobilisations comprend les sites des partenaires -- à l’image de ceux d’associations nord-américaines telles que la canadienne Initiatives d’Halifax et les états-uniennes, Tobin Tax Initiatives et War on Want. À l’occasion de la création d’associations ATTAC à travers le monde, la direction française a d’ailleurs décidé de ne pas chercher à créer d’association ou de refuser la création d’une association dans les pays où il y aurait déjà un groupe qui travaillerait sur les mêmes questions comme c’est justement le cas au Canada anglais avec Halifax Initiatives. En revanche, il y a eu création d’une association au Québec. On peut donc dire à partir de cette première analyse que la mise en évidence de liens d’un site vers d’autres sites témoignent de l’existence de relations sociales. Toutefois, s’arrêter là relèverait quelque peu de la banalité si on n’ajoutait pas les deux éléments suivants : premièrement, cette conclusion sommaire ne permet pas de voir que parmi ces liens, il s’en trouve de très formalisés et d’autres qui le sont beaucoup moins ; de la même façon, les relations sont plus ou moins permanentes selon les cas ; deuxièmement, il existe des organismes qui ne disposent pas de sites sur la Toile. En conséquence, on ne peut évidemment pas se fier à l’analyse des liens hypertexte et hypermédia pour en déduire l’existence de relations entre organismes. Dans le cas d’ATTAC, l’association russe n’a pas jugé que la construction d’un site sur la Toile constituait une priorité. À l’opposé, le site de l’association québécoise existait avant même la création officielle de l’association ; et il en avait été de même lors de la création de l’association d’origine, la française. À l’inverse, l’établissement de liens hypertexte ou hypermédias n’est pas une garantie de l’existence d’un réseau. C’est ainsi que l’on trouve sur le site d’ATTAC bon nombre d’autres liens qui pointent vers des sites d’organismes qui ne sont pas des alliés de l’association, mais bien souvent des ennemis comme c’est le cas de l’Organisation de la coopération et du développement économiques (OCDE) ou de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Par ailleurs, en ce qui concerne le site, il importe de mentionner une autre pratique intéressante, celle de l’archivage systématique de tout un ensemble de contenus qui sont liés à la plateforme d’ATTAC, mais qui n’ont pas forcément été rédigés au sein de l’association. Dans ce cas, il y a généralement une reprise du format initial mais il s’agit bien d’une copie sur un nouveau site. On peut retrouver là une trahison de l’esprit qui a été à l’origine du développement de l’Internet et notamment de la Toile. Dans ce cas de figure, notre analyse est un peu différente. Les responsables du développement du site affirment, non sans raisons, qu’il est parfois nécessaire d’archiver des contenus et non pas seulement pointer des liens vers des sites dans les cas où les fichiers seraient supprimés. Or, c’est bien ce que nous avons constaté à l’occasion des discussions sur l’accord multilatéral sur l’investissement. Les contenus présents notamment sur le site de l’OCDE qui avait en charge le dossier ont peu à peu été supprimés du site. Or, les suppressions de contenus nous semblent poser problème quant à la compréhension de l’histoire. À l’opposé, la possibilité d’avoir accès à tout un tas de documents sur une longue période permet de voir comment évolue la position de tel ou tel acteur par rapport à l’histoire à laquelle il contribue. Si elles sont effectuées par plusieurs acteurs, ces actions systématiques © Éric GEORGE 2001 7 d’archivage peuvent avoir un rôle stratégique dans la possible reconstitution d’un événement à partir des positions respectives des différents acteurs en présence. L’utilisation systématique de la fonction d’archivage de la part des organismes militant sur la Toile pourrait même tenir un rôle dans l’aide à la prise de conscience de la place historique des citoyennes et des citoyens dans une participation plus active à la démocratie. La grande diversité des sources d’information présentes sur le site d’ATTAC a d’ailleurs été vérifiée depuis à d’autres occasions. Une majorité de liens hypertexte externes et de contenus présents sur le site ont pour but de former une base documentaire la plus exhaustive possible sur les sujets traités. Le cas de l’Observatoire de la mondialisation Toujours au sujet de l’AMI, en France, la mobilisation a tout d’abord été le fait des professions du secteur culturel, notamment du cinéma et de la musique. Ce sont les premiers qui se sont mobilisés, les associations représentant ces professions ayant organisé un colloque à Beaune dès les 27 et 28 octobre 1997. Ensuite, c’est l’Observatoire de la mondialisation qui a été à l’origine de la première mobilisation d’un ensemble plus diversifié de composantes de la dite « société civile » grâce à la tenue d’une réunion publique le 4 décembre 1997 à l’Assemblée nationale. Or, la place de cet organisme sur la Toile est intéressante. Celui-ci a été créé en 1996 suite à l'entrée en vigueur de l'Organisation mondiale du commerce. Il est présidé par Susan George, rassemble un groupe d’une vingtaine de chercheurs, journalistes, responsables syndicaux et associatifs, engagés dans le suivi critique de la mondialisation de l’économie. Or, si l’on s’intéresse au contenu du site < http://www.ecoropa.org/Observ.htm> pour avoir une idée de la place de l’Observatoire de la mondialisation dans le réseau « anti-mondialisation », on ne peut que conclure à l’extrême pauvreté du contenu. En témoigne le fait que si quelques pages, autrement dit quelques fichiers, ont été conçus à l’occasion de la lutte contre l’AMI, il n’y a eu aucun développement depuis. De plus, le site n’a jamais pointé vers aucun autre site. Et pourtant, c’est bien l’Observatoire qui a été au centre de la mobilisation contre l’AMI en France au cours de la première moitié de 1998. Le rôle de pivôt a été beaucoup plus évident à la lecture des courriels envoyés sur la liste de discussion francophone « ATTAC-talk ». Au moment où finalement le projet de l’AMI a été plus ou moins abandonné officiellement, c’est-à-dire en octobre 1998, je me suis rendu compte que c’est le secrétariat de l’Observatoire qui a été le principal fournisseur d’informations sur la liste « ATTAC-talk » à travers l’envoi de textes en provenance d’autres pays, soit d’autres associations (par exemple du syndicat états-unien AFL/CIO ou de l’association du même pays Public Citizen), soit des listes dans d’autres langues (la liste de discussion en langue anglaise MAI galomania, créée aux Pays-Bas). C’est ainsi qu’il fut possible de se rendre compte que malgré les moyens extrêmement modestes déployés sur l’Internet, l’Observatoire de la mondialisation jouait en effet un rôle de pivot tout à fait central dans la transmission de l’information. Conclusion Je serais finalement amené à conclure que le rôle de l’Internet dans la formation de réseaux et de structures est à la fois secondaire et nécessaire. Il est secondaire parce que les mobilisations contre les formes prises actuellement par le capitalisme ont été largement rendues possibles par la capacité d’une coordination, la coordination contre l’AMI (CCAMI) devenue ensuite la coordination contre les clônes de l’AMI (CCCAMI) puis la coordination contre l’OMC © Éric GEORGE 2001 8 (CCOMC) à regrouper des organisations peu habituées à travailler ensemble, comme des syndicats et des groupements écologistes,autour d’ennemis à combattre. À ce niveau d’analyse, je suis tenté de dire que l’élément primordial consiste ici en l’existence d’une culture historique, économique et politique qui permet de comprendre, d’analyser les véritables enjeux et d’envisager la participation à des luttes sociales. Mais le rôle de l’Internet est également important. En témoigne plusieurs observations : la présence sur la liste de discussion « ATTAC talk » d’échanges sur le rôle de l’Internet, le fait que l’Internet a aussi constitué un sujet de discussion au sein des groupes locaux et enfin la décision de proposer des formations à l’Internet en tant qu’outil de militantisme. Au sein d’ATTAC, la réflexion la plus approfondie en la matière a sans doute été celle du webmestre de l’association belge qui a été jusqu’à intégrer dans la réflexion l’importance même de tenir compte des types d’outils utilisés à des fins de militantisme. Post conclusion Un exemple parmi beaucoup d’autres de la récupération de la notion de « réseau » par les entreprises ou quand le réseau devient une arme idéologique au sens attribué par Karl Marx au service d’une entreprise ; tout en gardant une dimension analytique. FranceNet devient... Fluxus Le 14 avril 2000, FranceNet, premier prestataire historique de services et d'hébergement Internet de France, est devenu Fluxus... "En 1994, en France, l'Internet n'existait pas. Nous avons apporté l'Internet en France. Tout naturellement, nous nous sommes appelés FranceNet. Aujourd'hui, France et Net sont réducteurs en regard de notre activité et de notre stratégie : la France n'est plus notre seul horizon et l'Internet, s'il reste au coeur de nos métiers, ne représente plus à lui seul ce que nous apportons à nos clients." raconte Rafi Haladjian, Président de Fluxus. Nés du réseau, nous l'avons vu pénétrer partout, se transformer et tout transformer. Bien plus, l'Internet a fait de la société, de l'économie, du travail, de la vie même un état de changement perpétuel. Tout n'est plus qu'une question de flux. Désormais, nous apportons à nos clients, au-delà d'une accessibilité permanente de leurs applications, un accompagnement continu dans un monde en constanterecomposition. Nous apportons avant tout de la fluidité à tous les niveaux de nos prestations. En tant qu'hébergeur, notre réseau se doit d'être liquide, torrentiel. Nous sommes l'endroit où vos applications se trouvent et auxquelles vos utilisateurs doivent accéder, facilement de manière fluide, à travers différents flux de données : l'Internet, le Wap, la télévision interactive. Mais le flux n'est pas uniquement dans le réseau. Dans un monde commoditisation rapide, penser et offrir de la valeur est une activité permanente, à plein temps, en temps réel. Pour y faire face, il faut éliminer toutes les viscosités : réfléchir vite, agir vite, inventer, découvrir, se remettre en question, avoir le courage de détruire pour mieux se réinventer, rester pertinent dans un écosysteme mouvant. Un prestataire de services se doit aujourd'hui de réinventer en permanence l'ensemble de ses méthodes et de son organisation. Les processus prévus pour un monde lent, avec des projets gérés en mode batch ne sont plus adaptés. Les échanges avec nos clients et nos partenaires deviennent fluides, dynamiques, constants parce que nous supprimons les pesanteurs et les frottements qui pourraient altérer leur compétitivité. Notre monde est celui de la suppression du temps et des changements par saccades discontinues. Il est celui des mutations permanentes, dans un © Éric GEORGE 2001 9 écosystème complexe. Fluxus résume cet état d'esprit-là : offrir la fluidité, avoir une relation dynamique avec nos clients et nos partenaires et construire ensemble dans la continuité. http://www.fluxus.net/HomePage/1,1008,bGFuZ19pZD0xIFI9MTA3IEM9Mjc1,00.html