l`étymologie des internationalismes de la terminologie phonétique

Transcription

l`étymologie des internationalismes de la terminologie phonétique
L’ÉTYMOLOGIE DES INTERNATIONALISMES DE LA
TERMINOLOGIE PHONÉTIQUE : UNE REMISE EN CONTEXTE
Bianca Mertens
1. INTRODUCTION
La présente étude traite de l’étymologie de la terminologie phonétique dans diverses
langues européennes : français, anglais, suédois, néerlandais et italien. En nous basant sur
la thèse de Wiltrud Hasenkamp, Deutsche Entlehnungen im Französischen. Beiträge zur
Entstehung der sprachwissenschaftlichen Terminologie im 19. Jahrhundert (1997), le
point de départ de l’étude était l’hypothèse qu’une partie de la terminologie phonétique
française a été empruntée à l’allemand. En effet, les linguistes allemands étaient les initiateurs du mouvement qui a fait de la linguistique une branche indépendante de la science
et ils étaient les pionniers du développement de la phonétique au xixe siècle : ils étaient
animés par une pensée romantique qui leur donnait de l’intérêt pour l’approche historique
et l’étude de la genèse et de l’évolution de la langue allemande, ainsi que de ses sons, ce
qui a amené au développement de la phonétique. À partir de ce mouvement national allemand, il s’est ensuite rapidement développé un mouvement international à la recherche
de l’origine commune des différentes langues et de la façon dont ces dernières ont évolué
pour aboutir aux langues actuelles. Cela nous donc a amené à supposer qu’une partie des
éléments de la terminologie phonétique a probablement été forgée en allemand. L’objectif de la présente étude est de démontrer, à l’aide de quelques exemples, qu’un grand
nombre d’éléments de la terminologie phonétique française provient effectivement d’une
influence allemande, bien que celle-ci n’ait, jusqu’à présent, pas encore été présumée
pour le vocabulaire des diverses langues européennes, et de rendre ainsi la place qui leur
est due aux pionniers de cette discipline scientifique.
Initialement, cette étude était destinée à n’étudier que la terminologie phonétique
française. Cependant, très rapidement, nous nous sommes rendue compte que, comme
dans la terminologie de toute autre discipline scientifique, beaucoup d’éléments sont des
internationalismes. En effet, bien des langues européennes présentent des termes très similaires pour désigner les mêmes concepts phonétiques. Cette similitude est assez flagrante pour que l’on puisse, à juste titre, s’interroger sur les rapports qui doivent nécessairement exister entre eux. Il serait étonnant que plusieurs langues, parlées dans des pays
voisins, aient créé indépendamment au même moment des termes équivalents.
Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 383
07/04/14 13:06
384
BIANCA MERTENS
L’étude de l’étymologie de la terminologie (phonétique ou autre) est rendue difficile
par le fait qu’elle est constituée de néologismes formés, en dernière analyse, sur une base
gréco-latine. Cela confère un caractère international à cette terminologie et présente un
avantage communicatif manifeste pour l’intercompréhension des linguistes. Malheureusement, c’est justement là que réside la difficulté pour les étymologistes : ces néologismes
gréco-latins ne dévoilent pas facilement leur origine immédiate. Cela semble aussi être
une des raisons pour lesquelles la plupart des étymologistes travaillant sur une langue en
particulier affirment que ces termes ont été empruntés dans leur langue même au latin,
en omettant qu’ils ont, en réalité, été diffusés par le biais d’une langue moderne. Il est
évident qu’ils n’ont pas tout à fait tort, dans une perspective d’etimologia remota, mais il
nous semble important de déterminer dans quelle langue chaque terme technique a été
créé (sur la base d’éléments latins et/ou grecs) et par quelle voie le terme est ensuite entré
dans le vocabulaire des différentes langues européennes.
Afin de déterminer la voie par laquelle un terme s’est diffusé et la langue qui a effectivement fait l’emprunt (intégral ou partiel) au latin et/ou au grec, nous nous sommes
basée sur trois indices essentiels :
1. Tout d’abord, nous nous sommes fondée sur la comparaison des premières attestations dans les différentes langues concernées. La comparaison de la date d’apparition
du terme dans différentes langues et de la façon dont les termes sont employés dans ces
premières attestations (présence ou non de gloses explicatives ou de marquages typographiques, notamment) est très importante : ces deux indices peuvent nous indiquer si le
terme est déjà connu à ce moment-là ou si le linguiste qui l’emploie le ressent comme un
néologisme et éprouve le besoin de l’expliquer, ce qui nous indique que nous sommes
proches du moment d’introduction du terme dans la langue donnée.
2. Le second aspect important est d’étudier les références bibliographiques que l’on
trouve dans l’ouvrage où figure la première attestation : sur quels autres travaux et sur
quels autres linguistes s’appuie le linguiste concerné et quel est le contexte d’apparition
du terme dans l’ouvrage ?
3. Ces aspects et indices que l’on trouve dans les sources les plus anciennes doivent
ensuite être mesurés à l’aune de l’évolution historique respective de la linguistique dans
les différents pays en contact à l’époque. Pour ce faire, l’étude de la biographie des linguistes chez qui on trouve les premières attestations est importante : quels ont été leurs
rapports avec d’autres linguistes, où et avec qui ont-ils fait leurs études, quelles autres
langues ont-ils parlées, quelle a été leur renommée au sein de la communauté linguistique, etc.
Aucun de ces indices ne peut décider à lui tout seul si un terme est emprunté, ni, le cas
échéant, à quelle langue il a été emprunté. Seule une documentation exhaustive de l’évolution terminologique peut constituer la base d’une telle décision.
Dans le cadre de la présente étude, nous proposons de défendre l’hypothèse de l’origine allemande d’une grande partie de la terminologie phonétique à l’aide de sept étymologies que nous avons établies dans le cadre du projet de recherche TLF-Étym (ATILFCNRS & Université de Lorraine, cf. Buchi, 2005) : affrication, affriqué, affriquée,
Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 384
07/04/14 13:06
L’ÉTYMOLOGIE DES INTERNATIONALISMES DE LA TERMINOLOGIE PHONÉTIQUE
385
fricatif, fricative, labialisation et palatalisation,1 dont l’étymologie a été révisée
pour le français, l’anglais, le suédois, le néerlandais et l’italien.2, 3 Romaniste de formation, nous ne sommes pas une spécialiste de l’étymologie de l’ensemble de ces langues ;
néanmoins, nous avons pu découvrir certaines choses intéressantes.
Dans le présent travail, nous utilisons la terminologie et la typographie de la théorie
sens-texte. Nous désignerons ainsi par mot-forme un signe linguistique qui possède ne
certaine autonomie de fonctionnement et une certaine cohésion interne (cf. Polguère, 2008 : 48), par lexème « une généralisation du signe linguistique de type motforme : chaque lexème de la langue est structuré autour d’un sens exprimable par un ensemble de mots-formes que seule distingue la flexion » (ibid. : 50), par lexie (ou unité
lexicale) soit un lexème soit une locution qui « est associée à un sens donné que l’on retrouve dans le signifié de chacun des mots-formes ou syntagmes figés par lesquels elle
s’exprime » (ibid. : 58) et par vocable un regroupement de lexies qui sont associées aux
mêmes signifiants et qui présentent un lien sémantique évident (ibid. : 59). Les vocables
et les lexèmes sont présentées en petites capitales et les mots-formes en italiques.
2. TOILE DE FOND HISTORIQUE
Avant d’aborder l’étude de l’étymologie de la terminologie phonétique à proprement
parler, il convient, afin de mieux comprendre le contexte de l’introduction et de la diffusion de ces termes, de donner un bref aperçu de l’histoire de la phonétique, une discipline
scientifique qui est née au xixe siècle.
Au début du xixe siècle s’est développée, en Allemagne, la discipline de la physiologie, qui a pour objet l’étude des fonctions et propriétés des organes et des tissus des organismes vivants. Par la suite, vers le milieu du siècle, les linguistes allemands et anglais ont
commencé à combiner la physiologie et la linguistique, ce qui a, au début, donné lieu à
la création de la physiologie phonétique. Ce n’est qu’au dernier quart du xixe siècle que la
phonétique s’est finalement constituée en tant que branche scientifique indépendante, et
cela surtout en Allemagne. En effet, les pionniers de la phonétique sont le linguiste allemand Eduard Sievers (1850-1932) et le linguiste anglais Henry Sweet (1845-1912), autour de qui s’était créée une véritable école allemande et anglaise, et, à côté d’eux, les
néogrammairiens allemands. La France et plus généralement le monde francophone manifestent un retard assez important par rapport à ces deux pays, ce qui est dénoncé, notam1. Les étymologies déjà révisées sont consultables en ligne : http://www.atilf.fr/tlf-etym/.
2. En nous alignant sur la méthodologie du projet TLF-Étym (et, du moins en théorie, sur celle
préconisée en lexicologie historique française et romane), nous n’avons pas étudié l’étymologie des
termes allemands, puisqu’il s’agit-là de l’etimologia remota.
3. Nous nous sommes décidée pour ces langues pour des raisons historiques et géographiques et
nous les présenterons en commençant par le français et en regroupant ensuite les langues germaniques
— en commençant par l’anglais, qui est la seconde langue la plus importante dans ce cadre —, ce qui
nous fait considérer l’italien en dernier lieu.
Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 385
07/04/14 13:06
386
BIANCA MERTENS
ment, par Gaston Paris qui, après une formation en Allemagne, se plaint du retard scientifique et institutionnel de la France par rapport à l’Allemagne (cf. Swiggers, 2001 : 1281).
Les promoteurs essentiels de la doctrine linguistique et phonétique allemande en France
étaient Frédéric Baudry (1818-1885), Michel Bréal (1832-1915), Arsène Darmesteter
(1846-1888), Raoul de la Grasserie (1839-1914) et Gaston Paris (1839-1903).
En nous basant sur ce contexte historique, nous avons entamé l’étude étymologique
de la terminologie phonétique, prenant comme langue de départ le français, étant donné
que l’étude s’inscrit dans le cadre du projet de recherche TLF-Étym.
3. ÉTYMOLOGIES RÉVISÉES DANS LE CADRE DU PROJET TLF-ÉTYM
3.1. État actuel des connaissances
Avant de réviser l’étymologie d’un vocable, il convient de se faire une idée de l’état
des connaissances disponibles sur son histoire et sa provenance. Pour ce faire, nous avons
consulté les principaux dictionnaires étymologiques du français : (1) le Französisches
Etymologisches Wörterbuch (FEW, 1922—2002) ; (2) le Etymologisches Wörterbuch der
französischen Sprache (Gamillscheg, 19281—19692) ; (3) le Dictionnaire étymologique de
la langue française (Bloch & Wartburg, 19321—19685) ; (4) le Grand dictionnaire étymologique et historique du français (Dauzat et al., 1964-2001) de la maison Larousse et
sa première édition intitulée Dictionnaire étymologique de la langue française (Dauzat, 19381) ; (5) le Dictionnaire étymologique du français de la maison d’édition Le Robert (Picoche,19711—2009) ; (6) le Trésor de la langue française (TLF, 1971—1994) ;
(7) le Robert historique (Rey, 19982 [19921]) ; et (8) le Dictionnaire étymologique et historique de la langue française (Baumgartner & Ménard, 1996).
Pour les autres langues considérées, nous avons fait de même, en consultant les dictionnaires de référence de chaque domaine linguistique : The Oxford English Dictionary
(OED2, 19892) pour l’anglais, le Svenska Akademiens Ordbok (SAOB, 2012) pour le suédois, le Woordenboek Nederlands (Woordenboek, 2012) pour le néerlandais, et pour
l’italien le Lessico Etimologico Italiano (LEI, 1979-), le Grande dizionario della lingua
italiana (GDLI, 1961-2008), le Dizionario etimologico della lingua italiana (DELI2,
19992) et L’Etimologico. Vocabolario della lingua italiana (Nocentini, 2010).
3.2. Nouvelles étymologies
Dans le cadre de cette étude, nous avons donc révisé l’étymologie de sept vocables :
affrication, affriqué, affriquée, fricatif, fricative, labialisation et palatalisation. Comme on peut observer dans les tableaux comparatifs de l’étymologie de ces
termes (cf. l’annexe ci-dessous), pour tous ces termes, les sources lexicographiques proposent soit une étymologie latine soit une création interne par dérivation (et, dans le cas
Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 386
07/04/14 13:06
L’ÉTYMOLOGIE DES INTERNATIONALISMES DE LA TERMINOLOGIE PHONÉTIQUE
387
du néerlandais, souvent un emprunt au français). Cependant, au cours de nos recherches,
nous avons pu établir que la plupart des termes phonétiques français, anglais, suédois,
néerlandais et italiens ne sont pas directement empruntés au latin ni ne constituent des
créations internes. Il est évident que la lexicalisation de ces termes de la phonétique a été
favorisée par le fait qu’il s’agit de termes créés sur la base d’éléments latins déjà empruntés (par des voies à établir) par toutes les langues en question et par le fait que des adjectifs
comme labial et palatal et des éléments formateurs comme -isation existaient déjà
depuis longtemps dans ces langues. Cependant, les résultats de nos recherches ont montré
que l’origine immédiate de ces termes dans toutes ces langues est soit allemande soit anglaise, ce qui cadre d’ailleurs mieux avec le contexte historique de leur introduction dans
le vocabulaire scientifique.
En effet, dans la plupart des cas, les linguistes chez qui l’on trouve les premières attestations s’appuient explicitement sur des travaux fondateurs de linguistes allemands,
comme l’ouvrage Das allgemeine linguistische Alphabet de Karl Richard Lepsius (1854),
le Grundriss der vergleichenden Grammatik der indogermanischen Sprachen de Karl
Friedrich Christian Brugmann et de Berthold Delbrück (1886-1900) et la Deutsche
Grammatik de Hermann Berthold Rumpelt (1860) ou ils font référence essentiellement
aux linguistes allemands comme Jacob Grimm (1785-1863), Friedrich Müller (18341898), Hermann Paul (1846-1921), Wilhelm Scherer (1841-1886), Hugo Schuchardt
(184-1927) ou encore Eduard Sievers (1850-1932). À côté de cela, les linguistes chez qui
l’on trouve les premières attestations dans les différentes langues considérées font souvent référence aux versions traduites en anglais de travaux de linguistes allemands,
comme ceux de Wilhem Heinrich Immanuel Bleek (1827-1875) ou de Karl Richard Lepsius (1810-1884), ou encore aux travaux des grands linguistes anglais de cette époque :
Alexander Melville Bell (1819-1905), Alexander John Ellis (1814-1890) et Henry Sweet
(1845-1912).
Dans presque tous les cas, on peut clairement observer que les termes ont été forgés
en allemand et qu’ils se sont diffusés à partir de là dans les autres langues européennes, et
que cette diffusion a souvent été appuyée par l’anglais.
Pour des raisons d’espace, nous aborderons ici uniquement le cas de fricatif en détail : son étymologie est à tout point de vue représentative de l’ensemble des termes considérés dans cette étude. L’adjectif fricatif est attesté depuis 1868, dans la Grammaire
comparée des langues classiques de Fréderic Baudry (1818-1885) : « Les autres
consonnes, au contraire, sont dites continues ou fricatives » (Baudry, 1868 : 74, § 61).
Baudry indique dans la préface de son ouvrage qu’il se base sur les transcriptions du sanscrit du grand linguiste et égyptologue allemand Karl Richard Lepsius (1810-1884). C’est
justement chez ce dernier, dans son ouvrage Das allgemeine linguistische Alphabet, qui a
connu un grand succès, que l’on trouve la première attestation du terme allemand frikativ : « ch im Deutschen (lachen) ist bekanntlich der frikative Laut, welcher entsteht, wenn
die Kehle am Gutturalpunkte nicht geschlossen (denn dann entsteht k), sondern nur verengert wird » (Lepsius, 1854 : 29). Il semble donc extrêmement probable que Baudry a
connu le terme allemand et l’a introduit en français.
Pour ce qui est de l’anglais fricative, la première attestation que nous avons pu
trouver figure dans un article du linguiste allemand Christian Bunsen : « A further consiEstudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 387
07/04/14 13:06
388
BIANCA MERTENS
deration will, however, soon make it evident, that the peculiar poverty of the Latin language in fricative sounds and letters [...], have rendered the disproportion between the
two great divisions of sound [...] already so great that an essential and lasting remedy is
absolutely required » (Bunsen, 1854 : 409), où ce dernier présente le travail de Lepsius.
La première attestation de suédois fricativa se trouve chez Carl Jakob Sundevall : « De
perspirerade (‘fricativa’) ljuden [...] » (Sundevall, 1856 : 48), qui fait explicitement référence à Lepsius. Il en est de même pour le néerlandais fricatief : sa première attestation
figure dans un compte rendu de Conradus Leemans du grand ouvrage de Karl Richard
Lepsius Das allgemeine linguistische Alphabet : « De harde th (Engelsch) is een fricative
klinker » (Leemans, 1855 : 301/302). En effet, les linguistes chez qui apparaît la première
attestation du terme dans ces différentes langues font tous explicitement référence aux
travaux de Karl Richard Lepsius : c’est grâce à lui qu’il s’est diffusé dans les autres langues européennes pour devenir un internationalisme.
L’italien est la seule langue où la situation est un peu moins claire : le terme est attesté pour la première fois chez Graziado Isaia Ascoli (1829-1907), qui ne fait pas explicitement référence à Lepsius. Cependant, nous savons qu’Ascoli était très bien au fait des
avancées de la linguistique allemande et il semble vraisemblable qu’il a connu les travaux
de Lepsius et le terme allemand fricativ/frikativ.
Il est incontestable que l’introduction du terme et sa diffusion ont été favorisées par
le fait qu’il s’agit d’un terme forgé sur base latine, mais il nous semble important de
mettre en évidence que l’emprunt au latin ne s’est pas fait dans chaque langue indépendamment, mais uniquement en allemand, et que c’est grâce aux linguistes allemands,
notamment à Karl Richard Lepsius, qu’il s’est, par la suite, diffusé dans les autres langues
européennes.
4. CONCLUSION
En guise de conclusion, on peut dire qu’il nous a été possible à la fois d’améliorer
considérablement les premières attestations des termes de phonétique traités ici dans les
différentes langues considérées et — ce qui est sans doute plus important encore — de
proposer de nouvelles étymologies qui s’inscrivent dans un cadre international, ce qui
semble mieux s’intégrer dans le contexte historique du xixe siècle que les étymologies
idiolinguistiques4 proposées jusqu’à présent. Nous avons pu établir qu’au xixe siècle, les
linguistes de toute l’Europe étaient en contact, recevaient leurs travaux respectifs et fondaient leurs travaux sur un ensemble relativement restreint de travaux fondateurs. À travers les ouvrages dans lesquels nous avons relevé les premières attestations des termes
étudiés, il est bien visible que les linguistes français, anglais, suédois, néerlandais et italiens étaient parfaitement au courant des avancées de la linguistique allemande, qu’ils li4. Nous proposons ce terme par analogie avec le terme idioroman (cf. Buchi & Schweickard 2009 : 101).
Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 388
07/04/14 13:06
L’ÉTYMOLOGIE DES INTERNATIONALISMES DE LA TERMINOLOGIE PHONÉTIQUE
389
saient les travaux originaux en allemand et qu’ils s’appuyaient largement dans leurs travaux sur les concepts dégagés par ces linguistes et phonéticiens allemands. En outre, nous
avons pu démontrer que l’anglais a joué un rôle déterminant dans la diffusion de la terminologie phonétique et cela grâce aux grands linguistes anglais comme Henry Sweet et aux
travaux rédigés en anglais par les pères fondateurs allemands. L’étude approfondie de
quelques éléments de la terminologie phonétique nous a permis de confirmer que les linguistes allemands étaient les pionniers de la linguistique du xixe siècle et que la collaboration des linguistes allemands et anglais a permis le développement de la science
phonétique.
Néanmoins, il sera impossible d’obtenir de vraiment bons résultats tant que nous
resterons confinés à un cadre strictement français à nous occuper seuls de l’étymologie
des termes phonétiques dans toutes ces langues. Pour cette raison, nous aimerions, en
nous inspirant de Christian Schmitt, qui a proposé en 1996 de lancer une « euromorphologie » (cf. Schmitt, 1996), proposer la mise en place d’une « euroétymologie ». Un tel
projet permettrait à la fois d’élargir le cadre de l’étude pour inclure plus de langues et de
faire un travail plus précis et probablement plus rapide. Il semble, d’ailleurs, qu’un tel
projet s’aligne parfaitement sur les exigences de notre société actuelle, qui est guidée par
le désir d’être de plus en plus internationale. Pourquoi ce mouvement d’internationalisation n’affecterait-il pas aussi l’étymologie ?
5. BIBLIOGRAPHIE
Baumgartner, Emmanuèle / Ménard, Philippe (1996) : Dictionnaire étymologique et
historique de la langue française. Paris : Librairie Générale Française.
Baudry, Frédéric (1868) : Grammaire comparée des langues classiques. Paris : Hachette.
Bloch, Oscar / von Wartburg, Walther (19685 [19321]) : Dictionnaire étymologique de
la langue française. Paris : Presses Universitaires de France.
Brugmann, Karl / Delbrück, Berthold (1886-1900): Grundriß der vergleichenden
Grammatik der indogermanischen Sprachen, 5 volumes. Strasbourg : Trübner.
Buchi, Éva (2005) : « Le projet TLF-Étym (projet de révision sélective des notices étymologiques du Trésor de la langue française informatisé) ». Estudis Romànics 27,
p. 569-571.
Buchi, Éva / Schweickard, Wolfgang (2009) : « Romanistique et étymologie du fonds
lexical héréditaire : du REW au DÉRom (Dictionnaire Étymologique Roman) ».
Alén Garabato, Carmen, Arnavielle, Teddy & Camps, Christian (ed.) : La Romanistique dans tous ses états. Paris : L’Harmattan, p. 97-110.
Dauzat, Albert (1938) : Dictionnaire étymologique de la langue française. Paris : Larousse.
Dauzat, Albert / Dubois, Jean / Mitterand, Henri (2001 [19381]) : Nouveau dictionnaire étymologique et historique du français. Paris : Larousse.
Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 389
07/04/14 13:06
390
BIANCA MERTENS
DELI2 = Cortelazzo, Manlio / Zolli, Paolo (19992 [1979-19881]). Dizionario Etimologico della Lingua Italiana. Bologne : Zanichelli.
FEW = von Wartburg, Walther et al. (1922-2002) : Französisches Etymologisches
Wörterbuch. Eine darstellung des galloromanischen sprachschatzes. 25 volumes.
Bonn, Heidelberg, Leipzig- Berlin, Bâle : Klopp, Winter, Teubner, Zbinden.
Gamillscheg, Ernst (19692 [19281]) : Etymologisches Wörterbuch der französischen
Sprache. Heidelberg : Winter.
GDLI = Battaglia, Salvatore (1961-2008) : Grande dizionario della lingua italiana. 21 volumes. Turin : UTET.
Hasenkamp, Wiltrud (1997) : Deutsche Entlehnungen im Französischen. Beiträge zur
Entstehung der sprachwissenschaftlichen Terminologie im 19. Jahrhundert. thèse,
Philipps-Universität Marburg, Marbourg/Lahn.
Leemans, Conradus (1855) : Compte rendu de “ Het algemeen Alphabet ”. De Gids 19,
p. 281-318.
LEI = Pfister, Max / Schweickard, Wolfgang (ed.) (1979-) : Lessico Etimologico Italiano. Wiesbaden : Reichert.
Lepsius, Karl Richard (1854) : Das allgemeine linguistische Alphabet. Grundsätze der
Übertragung fremder Sprachsysteme und bisher noch ungeschriebener Sprachen in
europäische Buchstaben. Berlin : Hertz.
Nocentini, Alberto (2010) : L’Etimologico. Vocabolario della lingua italiana. Milan :
Mondadori Education.
OED2 = Simpson, John Andrew / Weiner, Edmund S. C. (ed.) (19892 [19331]) : The Oxford English Dictionary. 20 volumes. Oxford : Clarendon.
Picoche, Jacqueline (2009 [19711]) : Dictionnaire étymologique du français. Paris : Le
Robert.
Polguère, Alain (20082 [20031]). Lexicologie et sémantique lexicale. Notions fondamentales. Montréal : PU Montréal.
Rey, Alain (ed.) (20103 [19921]) : Dictionnaire historique de la langue française. 3 volumes. Paris : Le Robert.
Rumpelt, Hermann Berthold (1860). Deutsche Grammatik. Mit Rücksicht auf die vergleichende Sprachforschung. 1. Theil : Lautlehre. Berlin : Dümmler.
SAOB = Svenska Akademiens (2012). Svenska Akademiens Ordbok.
http ://g3.spraakdata.gu.se/saob/.
Schmitt, Christian (1996) : « Euromorphologie : Perspektiven einer neuen romanistischen Teildisziplin ». dahmen, Wolfgang et al. (ed.) : Die Bedeutung der romanischen
Sprachen im Europa der Zukunft. Romanistisches Kolloquium IX, Tübingen, Narr,
p. 119-146.
Sundevall, Carl Jacob (1856) : « Om Phonetiska Bokstäfver ». Kongliga Svenska Vetenskaps-Academiens Handligar 1, p. 25-92.
Swiggers, Pierre (2001) : « 159. Les débuts et l’évolution de la philologie romane au
xixe siècle, surtout en Allemagne ». Auroux, Sylvain / Koerner, E. F. K. / Niederehe, Hans-Josef / Versteegh, Kees (ed.) (2001) : History of the Language Sciences, Geschichte der Sprachwissenschaften, Histoire des sciences du langage. Berlin/
New York : De Gruyter, p. 1272-1285.
Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
021-113894-ESTUDIS ROMANICS-Vol 36-11.indd 390
23/04/14 9:30
L’ÉTYMOLOGIE DES INTERNATIONALISMES DE LA TERMINOLOGIE PHONÉTIQUE
391
TLF = Imbs, Paul / Quemada, Bernard (ed.) (1971-1994) : Trésor de la langue française.
Dictionnaire de la langue du xixe et du xxe siècle (1789-1960). 16 volumes. Paris :
Éditions du CNRS/Gallimard.
TLF-Étym = Steinfeld, Nadine / Möhren, Frankwalt (ed.) (2005-) : Programme de recherche TLF-Étym, révision sélective des notices étymologiques du Trésor de la langue française informatisé. Nancy : ATILF. http : //www.atilf.fr/tlf-etym.
Von Bunsen, Christian Charles Josias (1854) : Outlines of the philosophy of universal
history, applied to language and religion, vol. 1. 2 volumes. Londres : Longman/
Brown/Green/Longmans
Woordenboek = Woorden Nederlandse Taal (2012) : Woordenboek Nederlands.
http ://www.woorden.org/ 43.
6. ANNEXE : TABLEAUX COMPARATIFS
Sources lexicographiques5
affrication
Langue et vocable
Mertens in TLF-Étym
Datation
Étymologie
Datation
Étymologie
ø
ø
1888 : La
Grasserie,
Divisions
all. Affrikation
angl. affrication
1934
lat. affricationem
suéd. affrikation
ø
ø
fr. affrication
1888 : Sweet, all. Affrikation
History
1879 :
Noreen,
Svenska
Landsmå-len
all. Affrikation
5. Dans les tableaux comparatifs nous avons résumé les informations de tous les dictionnaires cités
ci-dessus sous 3.2 sous Sources lexicographiques.
Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
021-113894-ESTUDIS ROMANICS-Vol 36-11.indd 391
23/04/14 9:30
392
BIANCA MERTENS
affriqué
Langue et vocable
Sources lexicographiques
Datation
Étymologie
1890 : Passy,
Étude
angl. affricate
lat. affricare
1888 : La
Grasserie,
Divisions
all. affricativ
1891
lat. affricatus
1886 :
Brandt,
History
all. affricativ
angl. affricative
ø
lat. affricatus
1879 :
Hewett,
Frisianlanguage
all. affricativ
it. affricato
ø
lat. affricatus
1905 :
Trombetti,
L’unità
angl. affricate
fr. affriqué
fr. affricatif
angl. affricate
affriquée
Langue et vocable
Datation
Étymologie
ø
ø
fin 19e s.
Mertens in TLF-Étym
Sources lexicographiques
Mertens in TLF-Étym
Datation
Étymologie
e
19 s.
lat. affricare
fr. affricative
ø
ø
angl. affricate
1895
lat. affricatus
1880 :
all. affrikate/-a
Brandt,
Grimm’s Law
ø
lat. affricatus
1880 : Sayce, all. affrikativ
Introduction
suéd. affrikata
1876
lat. affricata
1879 :
Noreen,
Dalbymålets
néerl. affricaat
ø
lat. affricare
1891 :
all. affrikate/-a
Vercouille,
Geschiedenis
it. affricato
ø
lat. affricatus
1888 : Pezzi, all. affikate/-a
Lingua greca
fr. affriquée
angl. affricative
Datation
Étymologie
1886 : Loth,
Annales
all. affrikate/-a
1890 : La
Grasserie,
Essai
all. affricativ
all. affrikate/-a
Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 392
07/04/14 13:06
L’ÉTYMOLOGIE DES INTERNATIONALISMES DE LA TERMINOLOGIE PHONÉTIQUE
fricatif
Langue et vocable
Sources lexicographiques
Datation
Étymologie
1873/1877
suéd. frikativa
néerl. fricatief
fr. fricatif
it. fricativo
fricative
Langue et vocable
Mertens in TLF-Étym
Datation
Étymologie
lat. fricare/-atum
1868 :
Baudry,
Grammaire
all. frikativ
1856
lat. fricativus
1856:
Sundevall,
Bokstäfver
all. frikativ
ø
ø
1855:
Leemans,
Alphabet
all. frikativ
1887
angl. fricative
1870:
Ascoli,
Glottologia
all. frikativ
Sources lexicographiques
Datation
Étymologie
1873/1877
lat. fricare/-atum
angl. fricative
1863
suéd. frikativa
Mertens in TLF-Étym
Datation
Étymologie
1873 :
Schuchardt,
Romania
all. frikativ
lat. fricativus
1863 :
Lepsius,
Standard
Alphabet
all. frikativ
1856
lat. fricativae
1879 : Kock, all. frikativ
NågraAtona
néerl. fricatief
ø
fr. fricative
it. fricativa
ø
ø
fr. fricative
393
1855:
Leemans,
Alphabet
all. frikativ
1870:
Ascoli,
Glottologia
all. frikativ
Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 393
07/04/14 13:06
394
BIANCA MERTENS
labialisation
Sources lexicographiques
Mertens in TLF-Étym
Langue et vocable
Datation
Étymologie
Datation
Étymologie
fr. labialisation
1889/
1923
fr. labial/
labialiser
1868 :
Hovelaque,
Grammaire
all. Labialisierung
angl. labialization
1867
angl. labialize
1869: Ellis,
English
Pronunciation
all. Labialisierung
suéd. labialisering
ø
suéd. labialisera
1885:
Lundell,
Nordisk
Familjebok
all. Labialisierung/
néerl. labialiseering
ø
ø
1890:
Vercoullie,
Taalkunde
all. Labialisierung
néerl. labialisatie
ø
ø
1892:
Vercouille,
Schets
all. Labialisierung/
angl. labialization
it. labializzazione
1886/
1888
it. labializzare/
fr. labialiser
1886/ 1888 :
Ascoli,
Archivio
all. Labialisierung/
all. Labialisation
palatalisation
Langue et vocable
Sources lexicographiques
Mertens in TLF-Étym
Datation
Étymologie
Datation
fr. palatalisation
1890
fr. palatal/
palataliser
1874 :
all. Palatalisation
Darmesteter,
Romania
angl.
palatalization
1863
angl. palatal
1858
all. Palatalisierung
suéd.
palatalisering
1888
suéd.
palatalisera
1883
all. Palatalisierung
suéd.
palatalisation
1928
suéd.
palatalisera
1887
all. Palatalisation/
angl. palatalization
néerl.
palataliseering
ø
ø
1884
all. Palatalisierung
néerl. palatalisatie
ø
français
1891
angl. palatalization
it.
palatalizzazione
1886/
1888/ 1890
it. palatale/
1878
palatalizzare
Étymologie
all. Palatalisation
Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394
DOI: 10.2436/20.2500.01.157
Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 394
07/04/14 13:06

Documents pareils