l`étymologie des internationalismes de la terminologie phonétique
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L’ÉTYMOLOGIE DES INTERNATIONALISMES DE LA TERMINOLOGIE PHONÉTIQUE : UNE REMISE EN CONTEXTE Bianca Mertens 1. INTRODUCTION La présente étude traite de l’étymologie de la terminologie phonétique dans diverses langues européennes : français, anglais, suédois, néerlandais et italien. En nous basant sur la thèse de Wiltrud Hasenkamp, Deutsche Entlehnungen im Französischen. Beiträge zur Entstehung der sprachwissenschaftlichen Terminologie im 19. Jahrhundert (1997), le point de départ de l’étude était l’hypothèse qu’une partie de la terminologie phonétique française a été empruntée à l’allemand. En effet, les linguistes allemands étaient les initiateurs du mouvement qui a fait de la linguistique une branche indépendante de la science et ils étaient les pionniers du développement de la phonétique au xixe siècle : ils étaient animés par une pensée romantique qui leur donnait de l’intérêt pour l’approche historique et l’étude de la genèse et de l’évolution de la langue allemande, ainsi que de ses sons, ce qui a amené au développement de la phonétique. À partir de ce mouvement national allemand, il s’est ensuite rapidement développé un mouvement international à la recherche de l’origine commune des différentes langues et de la façon dont ces dernières ont évolué pour aboutir aux langues actuelles. Cela nous donc a amené à supposer qu’une partie des éléments de la terminologie phonétique a probablement été forgée en allemand. L’objectif de la présente étude est de démontrer, à l’aide de quelques exemples, qu’un grand nombre d’éléments de la terminologie phonétique française provient effectivement d’une influence allemande, bien que celle-ci n’ait, jusqu’à présent, pas encore été présumée pour le vocabulaire des diverses langues européennes, et de rendre ainsi la place qui leur est due aux pionniers de cette discipline scientifique. Initialement, cette étude était destinée à n’étudier que la terminologie phonétique française. Cependant, très rapidement, nous nous sommes rendue compte que, comme dans la terminologie de toute autre discipline scientifique, beaucoup d’éléments sont des internationalismes. En effet, bien des langues européennes présentent des termes très similaires pour désigner les mêmes concepts phonétiques. Cette similitude est assez flagrante pour que l’on puisse, à juste titre, s’interroger sur les rapports qui doivent nécessairement exister entre eux. Il serait étonnant que plusieurs langues, parlées dans des pays voisins, aient créé indépendamment au même moment des termes équivalents. Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394 DOI: 10.2436/20.2500.01.157 Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 383 07/04/14 13:06 384 BIANCA MERTENS L’étude de l’étymologie de la terminologie (phonétique ou autre) est rendue difficile par le fait qu’elle est constituée de néologismes formés, en dernière analyse, sur une base gréco-latine. Cela confère un caractère international à cette terminologie et présente un avantage communicatif manifeste pour l’intercompréhension des linguistes. Malheureusement, c’est justement là que réside la difficulté pour les étymologistes : ces néologismes gréco-latins ne dévoilent pas facilement leur origine immédiate. Cela semble aussi être une des raisons pour lesquelles la plupart des étymologistes travaillant sur une langue en particulier affirment que ces termes ont été empruntés dans leur langue même au latin, en omettant qu’ils ont, en réalité, été diffusés par le biais d’une langue moderne. Il est évident qu’ils n’ont pas tout à fait tort, dans une perspective d’etimologia remota, mais il nous semble important de déterminer dans quelle langue chaque terme technique a été créé (sur la base d’éléments latins et/ou grecs) et par quelle voie le terme est ensuite entré dans le vocabulaire des différentes langues européennes. Afin de déterminer la voie par laquelle un terme s’est diffusé et la langue qui a effectivement fait l’emprunt (intégral ou partiel) au latin et/ou au grec, nous nous sommes basée sur trois indices essentiels : 1. Tout d’abord, nous nous sommes fondée sur la comparaison des premières attestations dans les différentes langues concernées. La comparaison de la date d’apparition du terme dans différentes langues et de la façon dont les termes sont employés dans ces premières attestations (présence ou non de gloses explicatives ou de marquages typographiques, notamment) est très importante : ces deux indices peuvent nous indiquer si le terme est déjà connu à ce moment-là ou si le linguiste qui l’emploie le ressent comme un néologisme et éprouve le besoin de l’expliquer, ce qui nous indique que nous sommes proches du moment d’introduction du terme dans la langue donnée. 2. Le second aspect important est d’étudier les références bibliographiques que l’on trouve dans l’ouvrage où figure la première attestation : sur quels autres travaux et sur quels autres linguistes s’appuie le linguiste concerné et quel est le contexte d’apparition du terme dans l’ouvrage ? 3. Ces aspects et indices que l’on trouve dans les sources les plus anciennes doivent ensuite être mesurés à l’aune de l’évolution historique respective de la linguistique dans les différents pays en contact à l’époque. Pour ce faire, l’étude de la biographie des linguistes chez qui on trouve les premières attestations est importante : quels ont été leurs rapports avec d’autres linguistes, où et avec qui ont-ils fait leurs études, quelles autres langues ont-ils parlées, quelle a été leur renommée au sein de la communauté linguistique, etc. Aucun de ces indices ne peut décider à lui tout seul si un terme est emprunté, ni, le cas échéant, à quelle langue il a été emprunté. Seule une documentation exhaustive de l’évolution terminologique peut constituer la base d’une telle décision. Dans le cadre de la présente étude, nous proposons de défendre l’hypothèse de l’origine allemande d’une grande partie de la terminologie phonétique à l’aide de sept étymologies que nous avons établies dans le cadre du projet de recherche TLF-Étym (ATILFCNRS & Université de Lorraine, cf. Buchi, 2005) : affrication, affriqué, affriquée, Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394 DOI: 10.2436/20.2500.01.157 Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 384 07/04/14 13:06 L’ÉTYMOLOGIE DES INTERNATIONALISMES DE LA TERMINOLOGIE PHONÉTIQUE 385 fricatif, fricative, labialisation et palatalisation,1 dont l’étymologie a été révisée pour le français, l’anglais, le suédois, le néerlandais et l’italien.2, 3 Romaniste de formation, nous ne sommes pas une spécialiste de l’étymologie de l’ensemble de ces langues ; néanmoins, nous avons pu découvrir certaines choses intéressantes. Dans le présent travail, nous utilisons la terminologie et la typographie de la théorie sens-texte. Nous désignerons ainsi par mot-forme un signe linguistique qui possède ne certaine autonomie de fonctionnement et une certaine cohésion interne (cf. Polguère, 2008 : 48), par lexème « une généralisation du signe linguistique de type motforme : chaque lexème de la langue est structuré autour d’un sens exprimable par un ensemble de mots-formes que seule distingue la flexion » (ibid. : 50), par lexie (ou unité lexicale) soit un lexème soit une locution qui « est associée à un sens donné que l’on retrouve dans le signifié de chacun des mots-formes ou syntagmes figés par lesquels elle s’exprime » (ibid. : 58) et par vocable un regroupement de lexies qui sont associées aux mêmes signifiants et qui présentent un lien sémantique évident (ibid. : 59). Les vocables et les lexèmes sont présentées en petites capitales et les mots-formes en italiques. 2. TOILE DE FOND HISTORIQUE Avant d’aborder l’étude de l’étymologie de la terminologie phonétique à proprement parler, il convient, afin de mieux comprendre le contexte de l’introduction et de la diffusion de ces termes, de donner un bref aperçu de l’histoire de la phonétique, une discipline scientifique qui est née au xixe siècle. Au début du xixe siècle s’est développée, en Allemagne, la discipline de la physiologie, qui a pour objet l’étude des fonctions et propriétés des organes et des tissus des organismes vivants. Par la suite, vers le milieu du siècle, les linguistes allemands et anglais ont commencé à combiner la physiologie et la linguistique, ce qui a, au début, donné lieu à la création de la physiologie phonétique. Ce n’est qu’au dernier quart du xixe siècle que la phonétique s’est finalement constituée en tant que branche scientifique indépendante, et cela surtout en Allemagne. En effet, les pionniers de la phonétique sont le linguiste allemand Eduard Sievers (1850-1932) et le linguiste anglais Henry Sweet (1845-1912), autour de qui s’était créée une véritable école allemande et anglaise, et, à côté d’eux, les néogrammairiens allemands. La France et plus généralement le monde francophone manifestent un retard assez important par rapport à ces deux pays, ce qui est dénoncé, notam1. Les étymologies déjà révisées sont consultables en ligne : http://www.atilf.fr/tlf-etym/. 2. En nous alignant sur la méthodologie du projet TLF-Étym (et, du moins en théorie, sur celle préconisée en lexicologie historique française et romane), nous n’avons pas étudié l’étymologie des termes allemands, puisqu’il s’agit-là de l’etimologia remota. 3. Nous nous sommes décidée pour ces langues pour des raisons historiques et géographiques et nous les présenterons en commençant par le français et en regroupant ensuite les langues germaniques — en commençant par l’anglais, qui est la seconde langue la plus importante dans ce cadre —, ce qui nous fait considérer l’italien en dernier lieu. Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394 DOI: 10.2436/20.2500.01.157 Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 385 07/04/14 13:06 386 BIANCA MERTENS ment, par Gaston Paris qui, après une formation en Allemagne, se plaint du retard scientifique et institutionnel de la France par rapport à l’Allemagne (cf. Swiggers, 2001 : 1281). Les promoteurs essentiels de la doctrine linguistique et phonétique allemande en France étaient Frédéric Baudry (1818-1885), Michel Bréal (1832-1915), Arsène Darmesteter (1846-1888), Raoul de la Grasserie (1839-1914) et Gaston Paris (1839-1903). En nous basant sur ce contexte historique, nous avons entamé l’étude étymologique de la terminologie phonétique, prenant comme langue de départ le français, étant donné que l’étude s’inscrit dans le cadre du projet de recherche TLF-Étym. 3. ÉTYMOLOGIES RÉVISÉES DANS LE CADRE DU PROJET TLF-ÉTYM 3.1. État actuel des connaissances Avant de réviser l’étymologie d’un vocable, il convient de se faire une idée de l’état des connaissances disponibles sur son histoire et sa provenance. Pour ce faire, nous avons consulté les principaux dictionnaires étymologiques du français : (1) le Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW, 1922—2002) ; (2) le Etymologisches Wörterbuch der französischen Sprache (Gamillscheg, 19281—19692) ; (3) le Dictionnaire étymologique de la langue française (Bloch & Wartburg, 19321—19685) ; (4) le Grand dictionnaire étymologique et historique du français (Dauzat et al., 1964-2001) de la maison Larousse et sa première édition intitulée Dictionnaire étymologique de la langue française (Dauzat, 19381) ; (5) le Dictionnaire étymologique du français de la maison d’édition Le Robert (Picoche,19711—2009) ; (6) le Trésor de la langue française (TLF, 1971—1994) ; (7) le Robert historique (Rey, 19982 [19921]) ; et (8) le Dictionnaire étymologique et historique de la langue française (Baumgartner & Ménard, 1996). Pour les autres langues considérées, nous avons fait de même, en consultant les dictionnaires de référence de chaque domaine linguistique : The Oxford English Dictionary (OED2, 19892) pour l’anglais, le Svenska Akademiens Ordbok (SAOB, 2012) pour le suédois, le Woordenboek Nederlands (Woordenboek, 2012) pour le néerlandais, et pour l’italien le Lessico Etimologico Italiano (LEI, 1979-), le Grande dizionario della lingua italiana (GDLI, 1961-2008), le Dizionario etimologico della lingua italiana (DELI2, 19992) et L’Etimologico. Vocabolario della lingua italiana (Nocentini, 2010). 3.2. Nouvelles étymologies Dans le cadre de cette étude, nous avons donc révisé l’étymologie de sept vocables : affrication, affriqué, affriquée, fricatif, fricative, labialisation et palatalisation. Comme on peut observer dans les tableaux comparatifs de l’étymologie de ces termes (cf. l’annexe ci-dessous), pour tous ces termes, les sources lexicographiques proposent soit une étymologie latine soit une création interne par dérivation (et, dans le cas Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394 DOI: 10.2436/20.2500.01.157 Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 386 07/04/14 13:06 L’ÉTYMOLOGIE DES INTERNATIONALISMES DE LA TERMINOLOGIE PHONÉTIQUE 387 du néerlandais, souvent un emprunt au français). Cependant, au cours de nos recherches, nous avons pu établir que la plupart des termes phonétiques français, anglais, suédois, néerlandais et italiens ne sont pas directement empruntés au latin ni ne constituent des créations internes. Il est évident que la lexicalisation de ces termes de la phonétique a été favorisée par le fait qu’il s’agit de termes créés sur la base d’éléments latins déjà empruntés (par des voies à établir) par toutes les langues en question et par le fait que des adjectifs comme labial et palatal et des éléments formateurs comme -isation existaient déjà depuis longtemps dans ces langues. Cependant, les résultats de nos recherches ont montré que l’origine immédiate de ces termes dans toutes ces langues est soit allemande soit anglaise, ce qui cadre d’ailleurs mieux avec le contexte historique de leur introduction dans le vocabulaire scientifique. En effet, dans la plupart des cas, les linguistes chez qui l’on trouve les premières attestations s’appuient explicitement sur des travaux fondateurs de linguistes allemands, comme l’ouvrage Das allgemeine linguistische Alphabet de Karl Richard Lepsius (1854), le Grundriss der vergleichenden Grammatik der indogermanischen Sprachen de Karl Friedrich Christian Brugmann et de Berthold Delbrück (1886-1900) et la Deutsche Grammatik de Hermann Berthold Rumpelt (1860) ou ils font référence essentiellement aux linguistes allemands comme Jacob Grimm (1785-1863), Friedrich Müller (18341898), Hermann Paul (1846-1921), Wilhelm Scherer (1841-1886), Hugo Schuchardt (184-1927) ou encore Eduard Sievers (1850-1932). À côté de cela, les linguistes chez qui l’on trouve les premières attestations dans les différentes langues considérées font souvent référence aux versions traduites en anglais de travaux de linguistes allemands, comme ceux de Wilhem Heinrich Immanuel Bleek (1827-1875) ou de Karl Richard Lepsius (1810-1884), ou encore aux travaux des grands linguistes anglais de cette époque : Alexander Melville Bell (1819-1905), Alexander John Ellis (1814-1890) et Henry Sweet (1845-1912). Dans presque tous les cas, on peut clairement observer que les termes ont été forgés en allemand et qu’ils se sont diffusés à partir de là dans les autres langues européennes, et que cette diffusion a souvent été appuyée par l’anglais. Pour des raisons d’espace, nous aborderons ici uniquement le cas de fricatif en détail : son étymologie est à tout point de vue représentative de l’ensemble des termes considérés dans cette étude. L’adjectif fricatif est attesté depuis 1868, dans la Grammaire comparée des langues classiques de Fréderic Baudry (1818-1885) : « Les autres consonnes, au contraire, sont dites continues ou fricatives » (Baudry, 1868 : 74, § 61). Baudry indique dans la préface de son ouvrage qu’il se base sur les transcriptions du sanscrit du grand linguiste et égyptologue allemand Karl Richard Lepsius (1810-1884). C’est justement chez ce dernier, dans son ouvrage Das allgemeine linguistische Alphabet, qui a connu un grand succès, que l’on trouve la première attestation du terme allemand frikativ : « ch im Deutschen (lachen) ist bekanntlich der frikative Laut, welcher entsteht, wenn die Kehle am Gutturalpunkte nicht geschlossen (denn dann entsteht k), sondern nur verengert wird » (Lepsius, 1854 : 29). Il semble donc extrêmement probable que Baudry a connu le terme allemand et l’a introduit en français. Pour ce qui est de l’anglais fricative, la première attestation que nous avons pu trouver figure dans un article du linguiste allemand Christian Bunsen : « A further consiEstudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394 DOI: 10.2436/20.2500.01.157 Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 387 07/04/14 13:06 388 BIANCA MERTENS deration will, however, soon make it evident, that the peculiar poverty of the Latin language in fricative sounds and letters [...], have rendered the disproportion between the two great divisions of sound [...] already so great that an essential and lasting remedy is absolutely required » (Bunsen, 1854 : 409), où ce dernier présente le travail de Lepsius. La première attestation de suédois fricativa se trouve chez Carl Jakob Sundevall : « De perspirerade (‘fricativa’) ljuden [...] » (Sundevall, 1856 : 48), qui fait explicitement référence à Lepsius. Il en est de même pour le néerlandais fricatief : sa première attestation figure dans un compte rendu de Conradus Leemans du grand ouvrage de Karl Richard Lepsius Das allgemeine linguistische Alphabet : « De harde th (Engelsch) is een fricative klinker » (Leemans, 1855 : 301/302). En effet, les linguistes chez qui apparaît la première attestation du terme dans ces différentes langues font tous explicitement référence aux travaux de Karl Richard Lepsius : c’est grâce à lui qu’il s’est diffusé dans les autres langues européennes pour devenir un internationalisme. L’italien est la seule langue où la situation est un peu moins claire : le terme est attesté pour la première fois chez Graziado Isaia Ascoli (1829-1907), qui ne fait pas explicitement référence à Lepsius. Cependant, nous savons qu’Ascoli était très bien au fait des avancées de la linguistique allemande et il semble vraisemblable qu’il a connu les travaux de Lepsius et le terme allemand fricativ/frikativ. Il est incontestable que l’introduction du terme et sa diffusion ont été favorisées par le fait qu’il s’agit d’un terme forgé sur base latine, mais il nous semble important de mettre en évidence que l’emprunt au latin ne s’est pas fait dans chaque langue indépendamment, mais uniquement en allemand, et que c’est grâce aux linguistes allemands, notamment à Karl Richard Lepsius, qu’il s’est, par la suite, diffusé dans les autres langues européennes. 4. CONCLUSION En guise de conclusion, on peut dire qu’il nous a été possible à la fois d’améliorer considérablement les premières attestations des termes de phonétique traités ici dans les différentes langues considérées et — ce qui est sans doute plus important encore — de proposer de nouvelles étymologies qui s’inscrivent dans un cadre international, ce qui semble mieux s’intégrer dans le contexte historique du xixe siècle que les étymologies idiolinguistiques4 proposées jusqu’à présent. Nous avons pu établir qu’au xixe siècle, les linguistes de toute l’Europe étaient en contact, recevaient leurs travaux respectifs et fondaient leurs travaux sur un ensemble relativement restreint de travaux fondateurs. À travers les ouvrages dans lesquels nous avons relevé les premières attestations des termes étudiés, il est bien visible que les linguistes français, anglais, suédois, néerlandais et italiens étaient parfaitement au courant des avancées de la linguistique allemande, qu’ils li4. Nous proposons ce terme par analogie avec le terme idioroman (cf. Buchi & Schweickard 2009 : 101). Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394 DOI: 10.2436/20.2500.01.157 Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 388 07/04/14 13:06 L’ÉTYMOLOGIE DES INTERNATIONALISMES DE LA TERMINOLOGIE PHONÉTIQUE 389 saient les travaux originaux en allemand et qu’ils s’appuyaient largement dans leurs travaux sur les concepts dégagés par ces linguistes et phonéticiens allemands. En outre, nous avons pu démontrer que l’anglais a joué un rôle déterminant dans la diffusion de la terminologie phonétique et cela grâce aux grands linguistes anglais comme Henry Sweet et aux travaux rédigés en anglais par les pères fondateurs allemands. L’étude approfondie de quelques éléments de la terminologie phonétique nous a permis de confirmer que les linguistes allemands étaient les pionniers de la linguistique du xixe siècle et que la collaboration des linguistes allemands et anglais a permis le développement de la science phonétique. Néanmoins, il sera impossible d’obtenir de vraiment bons résultats tant que nous resterons confinés à un cadre strictement français à nous occuper seuls de l’étymologie des termes phonétiques dans toutes ces langues. Pour cette raison, nous aimerions, en nous inspirant de Christian Schmitt, qui a proposé en 1996 de lancer une « euromorphologie » (cf. Schmitt, 1996), proposer la mise en place d’une « euroétymologie ». Un tel projet permettrait à la fois d’élargir le cadre de l’étude pour inclure plus de langues et de faire un travail plus précis et probablement plus rapide. Il semble, d’ailleurs, qu’un tel projet s’aligne parfaitement sur les exigences de notre société actuelle, qui est guidée par le désir d’être de plus en plus internationale. Pourquoi ce mouvement d’internationalisation n’affecterait-il pas aussi l’étymologie ? 5. BIBLIOGRAPHIE Baumgartner, Emmanuèle / Ménard, Philippe (1996) : Dictionnaire étymologique et historique de la langue française. Paris : Librairie Générale Française. Baudry, Frédéric (1868) : Grammaire comparée des langues classiques. Paris : Hachette. Bloch, Oscar / von Wartburg, Walther (19685 [19321]) : Dictionnaire étymologique de la langue française. Paris : Presses Universitaires de France. Brugmann, Karl / Delbrück, Berthold (1886-1900): Grundriß der vergleichenden Grammatik der indogermanischen Sprachen, 5 volumes. Strasbourg : Trübner. 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ANNEXE : TABLEAUX COMPARATIFS Sources lexicographiques5 affrication Langue et vocable Mertens in TLF-Étym Datation Étymologie Datation Étymologie ø ø 1888 : La Grasserie, Divisions all. Affrikation angl. affrication 1934 lat. affricationem suéd. affrikation ø ø fr. affrication 1888 : Sweet, all. Affrikation History 1879 : Noreen, Svenska Landsmå-len all. Affrikation 5. Dans les tableaux comparatifs nous avons résumé les informations de tous les dictionnaires cités ci-dessus sous 3.2 sous Sources lexicographiques. Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394 DOI: 10.2436/20.2500.01.157 021-113894-ESTUDIS ROMANICS-Vol 36-11.indd 391 23/04/14 9:30 392 BIANCA MERTENS affriqué Langue et vocable Sources lexicographiques Datation Étymologie 1890 : Passy, Étude angl. affricate lat. affricare 1888 : La Grasserie, Divisions all. affricativ 1891 lat. affricatus 1886 : Brandt, History all. affricativ angl. affricative ø lat. affricatus 1879 : Hewett, Frisianlanguage all. affricativ it. affricato ø lat. affricatus 1905 : Trombetti, L’unità angl. affricate fr. affriqué fr. affricatif angl. affricate affriquée Langue et vocable Datation Étymologie ø ø fin 19e s. Mertens in TLF-Étym Sources lexicographiques Mertens in TLF-Étym Datation Étymologie e 19 s. lat. affricare fr. affricative ø ø angl. affricate 1895 lat. affricatus 1880 : all. affrikate/-a Brandt, Grimm’s Law ø lat. affricatus 1880 : Sayce, all. affrikativ Introduction suéd. affrikata 1876 lat. affricata 1879 : Noreen, Dalbymålets néerl. affricaat ø lat. affricare 1891 : all. affrikate/-a Vercouille, Geschiedenis it. affricato ø lat. affricatus 1888 : Pezzi, all. affikate/-a Lingua greca fr. affriquée angl. affricative Datation Étymologie 1886 : Loth, Annales all. affrikate/-a 1890 : La Grasserie, Essai all. affricativ all. affrikate/-a Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394 DOI: 10.2436/20.2500.01.157 Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 392 07/04/14 13:06 L’ÉTYMOLOGIE DES INTERNATIONALISMES DE LA TERMINOLOGIE PHONÉTIQUE fricatif Langue et vocable Sources lexicographiques Datation Étymologie 1873/1877 suéd. frikativa néerl. fricatief fr. fricatif it. fricativo fricative Langue et vocable Mertens in TLF-Étym Datation Étymologie lat. fricare/-atum 1868 : Baudry, Grammaire all. frikativ 1856 lat. fricativus 1856: Sundevall, Bokstäfver all. frikativ ø ø 1855: Leemans, Alphabet all. frikativ 1887 angl. fricative 1870: Ascoli, Glottologia all. frikativ Sources lexicographiques Datation Étymologie 1873/1877 lat. fricare/-atum angl. fricative 1863 suéd. frikativa Mertens in TLF-Étym Datation Étymologie 1873 : Schuchardt, Romania all. frikativ lat. fricativus 1863 : Lepsius, Standard Alphabet all. frikativ 1856 lat. fricativae 1879 : Kock, all. frikativ NågraAtona néerl. fricatief ø fr. fricative it. fricativa ø ø fr. fricative 393 1855: Leemans, Alphabet all. frikativ 1870: Ascoli, Glottologia all. frikativ Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394 DOI: 10.2436/20.2500.01.157 Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 393 07/04/14 13:06 394 BIANCA MERTENS labialisation Sources lexicographiques Mertens in TLF-Étym Langue et vocable Datation Étymologie Datation Étymologie fr. labialisation 1889/ 1923 fr. labial/ labialiser 1868 : Hovelaque, Grammaire all. Labialisierung angl. labialization 1867 angl. labialize 1869: Ellis, English Pronunciation all. Labialisierung suéd. labialisering ø suéd. labialisera 1885: Lundell, Nordisk Familjebok all. Labialisierung/ néerl. labialiseering ø ø 1890: Vercoullie, Taalkunde all. Labialisierung néerl. labialisatie ø ø 1892: Vercouille, Schets all. Labialisierung/ angl. labialization it. labializzazione 1886/ 1888 it. labializzare/ fr. labialiser 1886/ 1888 : Ascoli, Archivio all. Labialisierung/ all. Labialisation palatalisation Langue et vocable Sources lexicographiques Mertens in TLF-Étym Datation Étymologie Datation fr. palatalisation 1890 fr. palatal/ palataliser 1874 : all. Palatalisation Darmesteter, Romania angl. palatalization 1863 angl. palatal 1858 all. Palatalisierung suéd. palatalisering 1888 suéd. palatalisera 1883 all. Palatalisierung suéd. palatalisation 1928 suéd. palatalisera 1887 all. Palatalisation/ angl. palatalization néerl. palataliseering ø ø 1884 all. Palatalisierung néerl. palatalisatie ø français 1891 angl. palatalization it. palatalizzazione 1886/ 1888/ 1890 it. palatale/ 1878 palatalizzare Étymologie all. Palatalisation Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 383-394 DOI: 10.2436/20.2500.01.157 Libro ESTUDIS ROMANICS-36.indb 394 07/04/14 13:06