Président Condé - Histoires d`Universités

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Président Condé - Histoires d`Universités
Président Condé
Claude Condé est président de l’université de Franche-Comté depuis février 2006. Je l’ai
interviewé à Besançon le 16 mars 2010. Né en 1951, il aura 59 ans en juin prochain. Sa
carrière professionnelle et ses responsabilités dans l’UFC sont montées en puissance en
parallèle. Il est nommé maître de conférences en linguistique et informatique en 1984 au
sein de l’UFR de Sciences du langage, de l’homme et de la société (photos du site de SHLS),
et est élu au conseil de gestion dès 1986. En 1989, il devient codirecteur d’un des
départements de l’UFR. En 1991, il est nommé à la 7ème section du CNU. Son champ de
recherche : l’analyse des textes par le biais de logiciels de plus en plus élaborés, en
coopération avec des informaticiens et des statisticiens ; pour Claude Condé, la recherche
appliquée découlant de la recherche fondamentale va de soi ; il est fier de l’existence du
Centre de linguistique appliquée de l’UFC (CLA) : 5.000 stagiaires par an.
1992. A 41 ans, Claude Condé est nommé professeur en Sémiotique et informatique des
textes. Après s’être interrogé sur une mobilité vers une autre université, il décide de rester à
Besançon car il s’y plaît, mais il n’est pas franc-comtois (il est né à Kehl en Allemagne). Les
responsabilités dans l’université continuent de progresser : directeur d’un centre de
recherche en 1996 (il a au départ la mission de le restructurer et y parvient), directeur-adjoint
de l’UFR en 1998, puis directeur en 2001, président de la commission de spécialistes en
1999, élu au conseil d’administration de l’UFC en 2001 également. En 2003, il est élu au
CNU, dans la 7ème section. Dans les années 2000, il développe des relations internationales
avec le Québec, l’Algérie, le Liban, la Guinée, le Pérou. Il devient administrateur de
l’association des universités francophones.
5 janvier 2006. Claude Condé est élu
président de l’UFC à l’issue du second
tour de scrutin. Il remplace Françoise
Bévalot et s’inscrit dans la continuité. Il a
affronté trois autres candidats au premier
tour. Une règle non écrite guide l’élection à
la présidence : le tour de rôle ; un littéraire
succède à un médecin ou pharmacien qui
lui-même succède à un scientifique ; les
juristes et économistes n’ont jamais
participé à ce tour de rôle. Littéraire, Claude
Condé doit cependant se confronter à un
sociologue au 1er tour, Francis Farrugia,
professeur de sociologie. Il se dit l’élu des
composantes, en faveur du renforcement de leur rôle ; une conférence des directeurs de
composantes est créée. Par ailleurs, “il faut ouvrir l’université ; j’ai pris des contacts avec le
MEDEF, la chambre de commerce et d’industrie, la ville de Besançon ; j’ai été plutôt déçu de
leur absence de projets”. Dès la publication de la loi Goulard sur la recherche en août
2006, Claude Condé, en accord avec l’université de Bourgogne, prône un PRES (chronique
du blog : “PRES Dijon-Besançon“).
Eté 2007, la loi LRU : ”ça a beaucoup secoué ici”. Claude Condé est syndiqué au SNESUP
depuis toujours, même si aujourd’hui il observe que ce sont les professeurs détachés du
secondaire qui orientent la ligne du syndicat ; “le SNESUP me sert de référence en “pour” ou
en “contre”. SNESUP, mais cela ne l’a pas empêché d’avoir un comportement très
pragmatique vis-à-vis de la loi (vote des nouveaux statuts). Il gère à l’automne 2007, sans
problème grave, l’opposition à la LRU des étudiants de l’UFR dont il a été le doyen. ”On ne
peut faire de procès d’intention à la loi LRU et dire qu’elle procède de la pensée libérale. Pour
comprendre, je me suis plongé dans l’histoire de l’Université. “Faire revenir les Grandes
écoles dans les universités, on ne peut dire que Valérie Pécresse a tort”.
Avril 2008, la liste “Ensemble pour
l’université de Franche-Comté”, qui
soutient le président en fonction,
obtient 12 des 14 sièges enseignants au
Conseil d’administration (30 membres
en tout selon les nouveaux statuts
LRU). Conclusion logique : Claude
Condé est confirmé, en mai, dans ses
fonctions par le CA nouvellement élu
et en dépit de la présence d’un autre
candidat. “Le CA de type LRU n’est
guère intéressant sur le fond des
discussions car le scrutin avec prime
majoritaire limite le nombre d’opposants. Il a donc fallu créer des structures
intermédiaires, des commissions pour recueillir les avis ; mais on court ainsi le risque de la
“réunionnite”.
2011, février. Le mandat de Claude Condé viendra à échéance, plus d’un an avant le
renouvellement du CA. Que faire à cette date ? Se représenter pour une année en attendant les
élections au CA ? La loi LRU n’a pas résolu ce problème de calendriers inadéquats. Même
problème pour les contrats quadriennaux : ils ne sont pas en phase avec les mandats des
présidents : “nous préparons actuellement le contrat quadriennal 2012-2015 (il faut faire
parvenir les dossiers à l’AERES avant le 15 octobre 2010) ; ce contrat sera signé dans les
premiers mois de 2012 et mon successeur héritera d’un contrat à la conception duquel il
n’aura pas forcément été associé“.
2006-2010. Une présidence sans cesse
confrontée à des dossiers à élaborer
pour la Cour des comptes, pour
l’AERES, pour l’IGAENR, pour le
plan Campus, pour le PRES. 2010, le
passage
aux responsabilités
et
compétences élargies (RCE). “Nous
avons été pro-actifs et avons fait
l’assaut du ministère pour être évalués
par l’IGAENR afin de pouvoir passer
aux RCE le 1er janvier 2010. Nous y sommes parvenus. Les RCE, c’est un projet important
mais compliqué. Elles changent les relations avec l’Etat : ne plus lui demander de créer des
postes mais en prendre la responsabilité. Elles vont donner en principe des marges de
manoeuvre financières : “nous y faisons attention en permanence”.
Recruter des enseignants en contrat à durée indéterminée ou déterminée ? Les RCE le
permettent et la question se pose pour les vacataires historiques du Centre de linguistique
appliquée (CLA). En dépit des réticences de l’agent comptable, je leur ai fait signer des
contrats honnêtes en tant qu’assistants pédagogiques”… Les marges de manoeuvre : “en
fait, c’est la recherche qui conditionne toutes les ressources. Des collègues font trop
d’heures complémentaires, même si on a limité le nombre d’heures à 100 heures par an
(ce qui n’a pas de fondement légal). Il faut pouvoir les emmener vers la recherche, mais c’est
compliqué. J’imagine parfois une modulation des services d’enseignement qui interdirait les
heures complémentaires pour ceux qui ne font pas de recherche” ! L’idée est géniale ! Mais,
avoue le Président Condé, “je ne sais pas qui ne fait pas de recherche ; l’AERES, dans ses
évaluations, ne publie pas la liste des “non-publiants” ; seuls les centres de recherche les
connaissent.
L’offre de formation. “Elle est trop
importante. Il en découle la nécessité
de faire tourner certaines formations
avec des vacataires ou avec des
enseignants titulaires payés en heures
complémentaires. Le combat pour la
recherche est fort difficile dans ce
contexte d’heures complémentaires
faciles à trouver. “Nous avons en ce
moment un conflit avec l’IUT de
Belfort-Montbéliard
;
trop
de
formations professionnelles tournent
avec des pourcentages de vacataires
trop élevés. L’IUT a multiplié les licences professionnelles, mais quand il y a un déficit
important à “éponger” au bout de l’année, “on se dit qu’il faut arrêter ; mais c’est plus facile
d’ouvrir une nouvelle licence professionnelle que d’en fermer une qui existe depuis plusieurs
années”.
On est là au coeur des “responsabilités et compétences élargies”, au coeur d’un cercle
vicieux bien idendifié par Claude Condé. Une offre de formation pléthorique, non maîtrisée,
engendre la nécessité de recourir aux heures complémentaires ; celles-ci sont les bienvenues
pour une partie des enseignants et elles les éloignent de la recherche ; la conquête de
ressources plus importantes pour la recherche est ainsi handicapée : ce ne sont pas les
enseignants qui ne font pas de recherche qui vont aller les chercher. Au final, dans le
contexte actuel et si rien ne change, les RCE ne vont pas dégager des marges de
manoeuvre financières significatives.
Le pire, c’est que l’absence de marges de manoeuvre pénalise les enseignants qui font de
la recherche et de la bonne recherche, pénalise les enseignants qui prennent des
responsabilités. Un premier exemple est fourni par l’attribution des primes d’excellence
scientifique (PES). L’université a pris en compte les avis des experts nationaux (elle fera de
même en é010) : la prime a été accordée aux enseignants-chercheurs classés “A” par les
experts ; un seul cas, classé C par les experts, a été “repêché” par l’université. L’université a
versé un volume de primes équivalent à la dotation affectée par le ministère ; elle ne l’a pas
abondé parce qu’elle ne le pouvait pas. Des enseignants classés en B ont dû être frustrés
: ils ont perdu un minimum de 3.000 euros ; peut-être se sont-ils dits qu’il vaudrait mieux
pour eux d’acquérir cette somme en faisant 50 heures complémentaires dans l’année.
Deuxième exemple : celui des primes de participation à la recherche, accordées sur les
fonds des contrats de recherche ; elles n’existent pas à l’UFC et pourtant elle sont un moyen
fort d’incitation à la recherche. Troisième exemple : celui des primes (ou décharges de
services) prévues par le Référentiel national des activités. L’UFC n’a pas actuellement les
moyens financiers d’y faire face : une commission a donc été mise en place car il est “urgent
de ne rien faire”, tant pis pour celles et ceux qui ont des responsabilités dans le champ de la
recherche, de l’innovation, de la valorisation.
Claude Condé sent très bien que l’UFC est à la croisée des chemins. Il a entrepris, avec la
cellule d’aide au pilotage et le secrétariat général, de mettre en place un contrôle de gestion
(savoir ce que coûte en heures complémentaires chaque diplôme) ; il sait que c’est nécessaire
mais, au final, que c’est fort bureaucratique ou managérial. Beaucoup plus important est
d’inciter les enseignants-chercheurs à faire de la recherche et de la bonne recherche et cela
passe en définitive par la réduction et non pas seulement la stabilisation de l’offre de
formation ; la réduction, source d’une diminution du volume d’heures complémentaires,
donnera à l’université des marges de manoeuvre financières pour la recherche.
Et il y a une grande opportunité pour avancer dans cette direction. Avant le 15 octobre
2010, l’UFC doit avoir bouclé ses dossiers pour le contrat quadriennal 2012-2015, dont le
dossier “Offre de formation”. Cette offre devrait être commune pour les deux universités du
PRES (lire la note). Le pire serait que des nouveaux diplômes soient créés à cette occasion !
Le PRES doit rationaliser et réduire son nombre de diplômes tout en proposant une
offre de formation complète dans tous les domaines disciplinaires. C’est compliqué mais
possible. Il en va du développement de la recherche et de sa visibilité nationale et
internationale. Claude Condé pourrait se donner cette mission difficile car elle engagerait
des conflits avec les enseignants dont l’ambition est de ”s’offrir un 4 x 4″ à coup d’heures
complémentaires toujours plus nombreuses. Mais la mission vaut d’être menée.
Si par malheur ma mission échouait, Claude Condé garderait la fierté d’avoir mené un
combat porteur d’avenir pour son université et celle de Bourgogne. A quelques mois de la fin
de son mandat (février 2011), il pourrait même démissionner de sa fonction et mettre en
oeuvre, durant les quelques années avant la retraite, sa passion : le développement de la
francophonie. Il serait près à partir à l’étranger pour cela. Je souhaite pour ma part qu’il
gagne ce combat pour la recherche, un combat qui passe par la réduction de l’offre de
formation.
Note. Une chronique prochaine portera de nouveau sur le PRES Bourgogne / FrancheComté. L’entretien avec Claude Condé a bien sûr porté sur cette question. J’attends pour
rédiger cette chronique d’avoir rencontré (dans deux semaines), Sophie Béjean, présidente de
l’université de Bourgogne.

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