TEXTE BAC Guillaume APOLLINAIRE, Poèmes à Lou

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TEXTE BAC Guillaume APOLLINAIRE, Poèmes à Lou
TEXTE BAC
Guillaume APOLLINAIRE, Poèmes à Lou – 1947 (posthume)
Jean-Michel Maulpoix, critique littéraire français, soulignait la proximité d’Apollinaire
avec la figure mythique d’Orphée qui savait réunir dans ses chants Apollon et Dionysos : sa
tristesse et son désespoir liés à la perte d’Eurydice étaient soudain calmés par la mesure de son
poème. Et comme Orphée, Apollinaire va tout au long de son œuvre poétique, imposer l’ordre et
la mesure apollinienne au chaos personnel qu’il traverse ainsi qu’au chaos qui dévaste le monde.
En effet, en 1915, il est mobilisé dans l'artillerie et est contraint de se séparer de sa passion toute
récente et fulgurante rencontrée à Nice en septembre 1914, Louise de Coligny-Chatillon.
OU
Apollinaire déclare à propos de son recueil Alcools que « chacun de [ses] poèmes est une
commémoration d’un événement de [sa] vie ». Et sa vie en 1915 est dominée par deux événements
importants : sa mobilisation dans l’artillerie tout d’abord et ensuite l’obligation de se séparer de sa
passion toute récente et fulgurante rencontrée à Nice en septembre 1914, Louise de ColignyChatillon.
En effet, en 1915, il est mobilisé dans l’artillerie, premier choc, et, deuxième choc, il est
contraint de se séparer de sa passion toute récente et fulgurante rencontrée à Nice en septembre
1914, Louise de Coligny-Chatillon. Cette séparation va provoquer une correspondance amoureuse
sous deux formes : une forme épistolaire tout d’abord. Apollinaire enverra 220 lettres à Lou. Une
forme poétique ensuite puisque dans certaines de ces lettres se trouvaient des poèmes qui seront
publiés en 1947 sous le titre Poèmes à Lou.
En février 1915, alors qu’il est encore en garnison à Nîmes, dans le sud de la France, Lou
le rejoint pour une brève rencontre. Après son départ, il lui adresse le poème «  Adieu  », acrostiche
épistolaire et original dans lequel il l’assure de l’intensité de son amour, renforcée par les menaces
que fait peser sur eux la guerre.
LECTURE
Problématiques :
En quoi ce poème d’amour est-il original ?
Qu’est-ce qui fait le lyrisme de ce poème ?
I.  La lettre d’un poète/un poème en forme de lettre
1.  Une lettre…
- Le poème d’Apollinaire prend la forme d’une lettre et emprunte plusieurs des
caractéristiques formelles du genre épistolaire  : l’expéditeur – Apollinaire – indique en bas à
droite le lieu d’où il écrit et la date à laquelle il écrit («  Nîmes, 4  février 1915  »), complété par le
moment de l’écriture : « la nuit noire est tombée à présent », v. 7. Dans le cours du poème est
aussi signalé l’endroit où se trouvera la destinataire («  ton voyage dans le Nord  »). Il conclut sa
«  lettre  » par un «  Adieu  » et une formule de prise de congé très sobre, en style presque
télégraphique, qui précise de nouveau le moment et le lieu de l’énonciation (v.  14  : «  Il est neuf
heures moins le quart  » et v.  15  : «  Adieu de Nîmes dans le Gard  »)
- Cette lettre est une lettre intime. Il désigne la destinataire par une apostrophe répétée
deux fois («  Ô Lou  », v.  2, v.  11 > diminutif à valeur hypocoristique + « ma chérie » (v. 4) :
affection de l’expéditeur), qu’il tutoie («  À toi…  », v.  9 > complicité). Mais on note qu’au pronom
«  nous  », il préfère l’indéfini «  on  » (v.  5), moins soutenu. D’ailleurs, Apollinaire est très discret
dans ce poème : il apparaît essentiellement sous la forme de pronoms ou d’adjectifs possessifs :
« le mien » (v. 3), « ma » (v. 4) « ma vie, mon sang » (v. 9), « le mien » (v. 12) : comme s’il
s’effaçait devant Lou pour la rendre plus présente alors que c’est elle qui s’en va.
- Une présence plus nette de l’expéditeur dans l’impératif : « Envoie » : demande ou
injonction à Lou de nourrir cette correspondance. Ordre réduit à son strict minimum en début de
vers : « Lettres » : le nom commun devient une injonction. Il est mis en évidence par sa place dans
le vers et répété ensuite en complément de l’impératif (presque une épanadiplose : répétition en
fin de phrase d’un mot présent à son début) : renforce la demande de l’expéditeur. Ordre atténué
par une une formule d’insistance rejetée à la fin de la phrase («  je t’en prie  », v.  6) : seule vraie
présence du pronom « je ».
- Sa lettre suit le canevas habituel des lettres et cartes postales. Le poète donne des nouvelles
de sa vie quotidienne, confie des détails prosaïques, comme ce passage à la confiserie pour
adoucir sa peine par une sucrerie  : «  On va rentrer après avoir acquis du zan  » (v.  8).
2.  …poétique…
- Cette lettre originale est aussi l’œuvre d’un poète. Elle offre les caractéristiques formelles
habituelles en poésie  : des alexandrins organisés en 5 tercets aux rimes suivies (aaa, bbb,
ccc…). Poème isométrique : que des alexandrins.
- Apollinaire reprend également un héritage ancien en construisant son poème sur le principe
de l’acrostiche (du grec akros : haut, et stichos : le vers : lecture de haut de bas de la strophe, pas
seulement de gauche à droite), une des formes poétiques que l’on retrouve dans la Bible et dans la
tradition médiévale (culture : présence dans la Bible d’acrostiches (Psaumes 33 et 118).
D’ailleurs, le poisson, symbole du Christ, tire son origine de la formule Iêsus Christos Theou Uos
Sôtêr (Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur). Les lettres initiales de cette phrase forment le mot
ICHTHUS, qui signifie poisson en grec). Il y a également un acrostiche dans l’inscription I.N.R.I.
placée sur la croix et signifiant Iesus Nazarenus Rex Iudeorum. Chez de nombreux auteurs latins,
on retrouve cette forme poétique (les comédies de Plaute commencent souvent par un petit résumé
de la pièce composé en acrostiche : on trouve verticalement le titre de la pièce). Dante utilisera
aussi cette forme pour mettre en évidence le mot « Uomo, « homme » dans le chant XII du
Purgatoire). Chez Apollinaire, en associant la première lettre de chaque vers, on trouve le nom de
Lou.
- Mais il y introduit la fantaisie et l’originalité de l’esprit nouveau en supprimant la
ponctuation et par le jeu d’un nom-calligramme qui formerait à cinq reprises, un portrait cubiste –
ou du moins stylisé – de Lou, dont le L représenterait le front, le O les yeux et le U couché la
bouche (si vous n’êtes pas d’accord avec cette remarque, vous pouvez vous en passer ☺ !!).
3. … et joyeuse en apparence
- plaisir du bonbon : vers 8
- jeu avec les « Une deux trois » répété 2 fois : sorte de rythme
- le poème devient chanson : reprise de vers : le vers 3 est repris au vers 12, le vers 8 au vers
14.
> Poème mais aussi lettre : poème protéiforme
II.  Une lettre d’amour
Cette lettre est d’abord une déclaration d’amour  : c’est sur ce mot que s’ouvre le poème.
1.  Un amour en général
- déclaration liminaire du poème qui transforme l’amour en véritable valeur  : «  L’amour est
libre il n’est jamais soumis au sort  », en forme de maxime ou de vérité générale grâce au présent
et à l’adverbe intensif «  jamais  ».
- Deux antithèses participent à cette définition de l’amour : « amour » s’oppose à « sort » et
« libre » s’oppose à « soumis » : petit chiasme ??? les 2 noms communs opposés encadrent les deux adjectifs opposés et mis au
centre.
- L’absence de ponctuation renforce l’aspect « maxime » de cette phrase. Comme si elle se
lisait d’une traite, dans un souffle.
2. Un amour en particulier
- Apollinaire rétrécit ensuite son discours à son amour à lui : reprise pronominale du nom
« amour » : « le mien » : pronom possessif qui indique qu’il va parler de lui.
- Son amour a un nom qu’il dissémine tout au long du poème, de deux manières différentes : le
procédé de l’acrostiche lui permet d’assurer l’omniprésence de la femme aimée par la reprise du
prénom qui sans être dit est pourtant lu. Apollinaire répète ensuite avec ferveur le nom de Lou,
comme une invocation (v.  2 et 11) pleine de vénération : « O » lyrique en début de vers.
- Il multiplie les mots de tendresse, termes hypocoristiques  : «  ma chérie  » (v.  4), «  mon
cœur  » (v.  10) et évoque son amour par la synecdoque habituelle aux amants  : «  un cœur, le
mien  » (v.  12). Mais il renouvelle ce tour qui pourrait être banal, en donnant à son cœur la vie
propre d’un fidèle compagnon de Lou dans ses voyages, alors que lui poursuivra sa vie
solitaire : « le mien te suit » : personnification du cœur : intensité de l’amour.
- Son exaltation lyrique se marque dans la répétition de ce vers, auquel s’ajoute les
tournures hyperboliques  : « le mien est plus fort que la mort » et «  Un cœur, le mien, te suit
jusques au bout du monde  » (v.  12). Il fait à Lou les serments les plus solennels («  À toi ma vie  ! À
toi mon sang  !  », v.  9)  : le rapprochement de la première et de la deuxième personne («  toi  »,
« ma »/«  mon  ») dans cette double exclamation fiévreuse placée en anaphore proclame l’union
indéfectible des amants. Absence de verbe : transforme la phrase en cri d’amour.
3.  Le portrait poétique de la femme aimée
- Le pouvoir, quasi magique, de la jeune femme irradie la nature, qu’elle métamorphose,
imprègne de sa grâce  : lorsque Apollinaire pense à Lou, «  la nuit noire  » (v.  7) devient «  très douce
et très blonde  » et «  le ciel est pur […] comme une onde  » (v.  10).
- La fusion des éléments (le ciel est comparé à l’eau, principe féminin : « comme une
onde ») et la personnification de la nuit en créature féminine (« blonde »), tout ramène le poète à
Lou, et la strophe s’adoucit avec des rimes féminines et les sonorités assourdies de «  blonde  »,
«  onde  » et «  monde  ».
> poème lyrique qui reprend la tradition amoureuse : le poème est une véritable déclaration.
Mais…
III.  Un amour menacé par la guerre
Mais cet amour est menacé, et l’intensité du lyrisme laisse la place à l’angoisse de la séparation,
qui affleure sous les remarques détachées du poète.
1. Un adieu…
- Le titre du poème «  Adieu  » résonne comme un cri désespéré dans le contexte de la guerre.
- Répété 2 fois dans la dernière strophe : poème encadré par cet adieu.
- « l’heure est venue » : le passé composé signale le caractère irréversible de cette sorte de
glas qui sonne pour leur amour.
2.  …d’un soldat
- Sans poser en héros, le poète accepte son devoir militaire et c’est très discrètement qu’il
évoque sa situation de simple soldat  : s’il mentionne l’arme à laquelle il appartient (l’«  artillerie  »,
avec une légère touche patriotique apportée par le possessif «  notre  », v.  5).
- Apollinaire se fond dans la foule de ses camarades (recours au pronom personnel indéfini
«  on  ») qui, eux aussi, attendent des nouvelles de leurs proches.
3.  …en pleine guerre
- date d’écriture : « février 1915 » : janvier : bombardement de civils par un zeppelin au
Royaume-Uni et à Paris. La guerre qui ne devait pas durer se prolonge et devient une guerre
d’usure.
- Cette menace de la guerre est présente dès le vers 1 : « sort » : fatalité, destin annoncé en
début de poème. Rime avec « mort ». Les deux mots sont placés en fin de vers, à la rime : mis en
évidence. Les moments de bonheur des brèves retrouvailles entre le poète et la femme aimée n’ont
fait que reléguer à l’arrière-plan la menace qui pèse sur le poète et sur son amour.
- Quand le poète fait allusion à «  la mort  » (v.  2), quand il offre à Lou sa «  vie  », son «  sang  »
(v.  9), ces mots prennent un relief prémonitoire  : quelques mois plus tard, grièvement blessé, il
échappe de peu à la mort mais, affaibli par sa blessure, il succombe lors de l’épidémie de grippe
espagnole en novembre  1918.
- Le dernier vers, avec le «  Une deux trois  » pourrait évoquer le retour à la caserne du poète
lourd de tristesse, afin de ne pas être en retard à l’appel du soir («  Il est neuf heures moins le
quart  »), avant un dernier «  adieu  ».
Conclusion
Entre poème savamment composé et intimité amoureuse, entre effusion lyrique et
angoisse à peine voilée, Apollinaire évoque avec délicatesse et sensibilité quelques-uns des
thèmes humains universels, l’amour, la guerre, l’angoisse de la séparation.
Ouverture : Cet adieu se confirmera puisqu’Apollinaire et Lou ne se verront plus que
deux fois lors de permissions du poète à Nice. Lou cessera dans les poèmes-lettres d’être la
femme aimée pour devenir la femme muse. Voir le poème « La Ceinture ».

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