18 septembre 2015

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18 septembre 2015
18 SEPTEMBRE 2015
C.15.0019.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.15.0019.F
LE PARC DE LA CENSE, société privée à responsabilité limitée dont le
siège social est établi à Waterloo, boulevard de la Cense, 70,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont
le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait
élection de domicile,
contre
1.
J. P. Q. et
2.
M. G.,
3.
HOBINVEST, société anonyme dont le siège social est établi à Bruxelles,
rue du Midi, 135,
défendeurs en cassation,
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C.15.0019.F/2
représentés par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont
le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de
domicile.
I.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 25 juin
2014 par le tribunal de première instance du Brabant wallon, statuant en degré
d’appel.
Le 10 juillet 2015, l’avocat général Jean-François Leclercq a déposé des
conclusions au greffe.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l’avocat général
Jean-François Leclercq a été entendu en ses conclusions.
II.
Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 1134 du Code civil ;
- article 6 de la loi du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que la demande initialement introduite par les
deux premiers défendeurs « tend à entendre réviser, avec effet au 15 septembre
2009, le loyer d'un bail commercial relatif à un ensemble immobilier sis à …
[...] destiné à usage exclusif de maison de repos et dont le loyer était fixé à
35.200 euros par mois » et avoir rappelé que, conformément à l'article 6 de la
loi du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux, « une demande de
révision n'est fondée qu'à la condition que la valeur locative du bien ait
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augmenté ou diminué en raison de circonstances nouvelles (et que) la variation
de la valeur locative doit être au moins de 15 p.c. », le jugement attaqué « dit
qu'en septembre 2009, la valeur locative du bien litigieux peut être estimée à
45.771,72 euros mensuels et constate en conséquence une hausse de 15 p.c.
par rapport au loyer indexé fixé dans le bail du 1er juillet 2003 », avant
d'ordonner la réouverture des débats afin de permettre aux parties de
s'expliquer sur la « cause des variations de valeurs locatives » et notamment
les « circonstances exceptionnelles » dont question à l'article 6 de la loi du
30 avril 1951 relative aux baux commerciaux.
Cette décision se fonde notamment sur les motifs suivants :
« Concernant la surface, l'expert a estimé ‘logique’ de se référer à la
surface contractuelle, sans autre justification.
L'expert avait pourtant relevé, au cours de ses recherches, que, ‘suite à
une visite de l'administration du cadastre et suivant différents calculs, nous
aurions une superficie de +/- 4659,32 m² bruts sans tenir compte du
mansardage du dernier étage et de la surface des sous-sols’.
Ce chiffre de 4659,32 m² est proche de celui calculé par l'expert D. G.,
choisi unilatéralement par les [deux premiers défendeurs] et qui était arrivé à
une surface de 4616,80 m² (...). Se référant à ce rapport, l'expert judiciaire
avait considéré lors de la phase préliminaire : ‘il me semble que ces surfaces
ne soient pas contestables’.
L'expert M. avait également conclu à des surfaces ‘légèrement
supérieures à celles mentionnées au bail’ (...).
Le tribunal estime que dans la détermination de la valeur locative par
référence au mètre carré, il faut se référer à la surface réelle. Il y a lieu dès
lors de tenir compte d'une surface de 4616,80 m2 ».
Griefs
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1. Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 1134 du Code civil, « les
conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».
Il s'ensuit que le juge ne peut, pour des motifs d'équité et de bonne foi
ou afin d'approcher davantage de la réalité, modifier la teneur de la
convention ou refuser d'appliquer ses dispositions librement consenties et dont
il reconnaît par ailleurs la portée.
L'article 6 de la loi du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux
dispose :
« À l'expiration de chaque triennat, les parties ont le droit de demander
au juge de paix la révision du loyer, à charge d'établir que, par le fait de
circonstances nouvelles, la valeur locative normale de l'immeuble loué est
supérieure ou inférieure d'au moins 15 p.c. au loyer stipulé dans le bail ou fixé
lors de la dernière révision.
Le juge statue en équité et n'a pas égard au rendement favorable ou
défavorable résultant du seul fait du preneur... ».
Il résulte de cette disposition que le juge saisi d'une demande de
révision du loyer apprécie souverainement en fait la valeur locative normale
de l'immeuble loué et l'existence de circonstances nouvelles et détermine, en
équité, s'il y a lieu à révision. En revanche, pour former sa décision sur les
points précités (valeur locative et existence de circonstances nouvelles), le juge
ne peut modifier les clauses contractuelles du bail et, notamment, les clauses
relatives à la superficie convenue du bien loué.
En particulier, après avoir déterminé souverainement une valeur
locative au mètre carré, le juge ne peut appliquer la valeur ainsi retenue à une
superficie différente de la superficie indiquée dans le contrat de bail.
2. En l'espèce, la demanderesse invoquait, dans ses conclusions de
synthèse après expertise :
« La surface déterminée contractuellement est 4557 m2. Il s'agit d'une
clause contractuelle » et « il a déjà été rappelé que la surface de 4557 m² est la
surface conventionnelle fixée par le contrat de bail et sur lequel le prix a été
déterminé. Il n'appartient pas (au bailleur) ou au juge dans le cadre d'une
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demande en révision de modifier les dispositions contractuelles du contrat de
bail, fusse-t-il le résultat d'une erreur d'appréciation des parties ».
En décidant d'écarter la « surface contractuelle » pour fixer la valeur
locative sur la base d'une « surface réelle » de 4616,80 m², le jugement attaqué
refuse illégalement de donner effet à une clause de la convention convenue
entre les parties (violation de toutes les dispositions légales visées en tête du
moyen).
III.
La décision de la Cour
L’article 6, alinéa 1er, de la loi sur les baux commerciaux dispose qu’à
l’expiration de chaque triennat, les parties ont le droit de demander au juge de
paix la révision du loyer, à charge d’établir que, par le fait de circonstances
nouvelles, la valeur locative normale de l’immeuble loué est supérieure ou
inférieure d’au moins 15 p.c. au loyer stipulé dans le bail ou fixé lors de la
dernière révision.
Dès lors que la révision triennale du loyer prévue par l’article 6 précité
est liée non au caractère avantageux ou onéreux du loyer convenu mais à une
augmentation ou à une diminution d’au moins 15 p.c. de la valeur locative
normale du bien loué, le juge, qui détermine la valeur locative normale totale
du bien loué par référence à une valeur au mètre carré, doit avoir égard à la
surface réellement louée et non à celle, inférieure, stipulée dans le bail.
Le moyen, qui repose sur le soutènement contraire, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
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Les dépens taxés à la somme de sept cent septante-deux euros trente centimes
envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président de section Albert Fettweis, les conseillers Didier
Batselé, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononcé
en audience publique du dix-huit septembre deux mille quinze par le président
de section Albert Fettweis, en présence de l’avocat général Jean-François
Leclercq, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont
M.-Cl. Ernotte
M. Lemal
M. Delange
D. Batselé
A. Fettweis