Mode vintage - Marché aux puces de Saint-Ouen

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Mode vintage - Marché aux puces de Saint-Ouen
Spécial Saint-Ouen
Mode vintage
La boutique « Chez Sarah » est une galerie vitrée de 70 mètres où sont présentés des
dizaines de mannequins, parés de vêtements anciens des années 1900 aux années 1970.
A l’intérieur, plusieurs centaines de robes, manteaux, tuniques, chapeaux et accessoires
sont prêts à être essayés par les amatrices… et les amateurs, car vous trouverez aussi
quelques pièces de vêtement masculin !
Crédit photos : Deambrosis-Lebée
Comment êtes-vous arrivée aux puces ?
Sarah Rozenbaum : Je baigne dans cet univers et ce
métier depuis ma plus tendre enfance, car ma grandmère, mes tantes et ma mère l’ont pratiqué avant moi.
C’est donc tout naturellement que je me suis tournée
vers ce métier, devenu une passion, une fois mes études
terminées.
Qu’est ce que le vintage ?
Ce qu’on appelle aujourd’hui le « vintage » correspond à un
retour, à partir des années 1970, vers les modes anciennes,
plus ou moins adaptées. La dénomination s’est étendue
jusqu’à des objets ou vêtements à peine vieux de dix ans,
mais qui sont griffés et vendus à des prix bien inférieurs
à ceux pratiqués en boutique. Ce que les Anglo-Saxons
appellent aussi « second hand ».
Quelles sont les pièces dont vous êtes la plus fière ?
Au sein de la galerie, les pièces les plus intéressantes
au point de vue couture restent, à mes yeux, celles des
années 1930. En raison de leur coupe, de l’originalité
et de la beauté des imprimés, et de la grande créativité
des couturiers de cette époque. Une de mes plus belles
trouvailles récemment : un fonds de fabrique de rubans
en activité du XIXe siècle jusqu’aux années 1930. Une
merveille ! Mon rêve : l’adresse mythique d’un château ou
d’une mercerie ouverte au XIXe siècle et qui aurait fermé
dans les années 1950, sans jamais avoir été découverte
depuis.
La qualité des vêtements a baissé aujourd’hui. Comment
l’expliquez-vous ?
Le prêt à porter, lancé par Yves Saint Laurent, a sans
doute contribué à faire baisser la qualité des tissus, mais a
largement contribué à une démocratisation de la mode. En
revanche, une baisse de qualité est très sensible depuis la
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fabrication en masse en Asie. L’intérêt des grands industriels
de la mode aujourd’hui est de gagner de l’argent avec un
rendement le plus intéressant possible. Plus personne ne se
préoccupe désormais de la qualité de fabrication des tissus
employés ou du travail sur le vêtement ; ce qui compte,
c’est trouver une idée qui coûte le moins cher possible pour
que la pièce soit vendue en très grande série. Lorsque l’on
regarde attentivement un vêtement ancien, en plus de la
qualité de la coupe et du travail fait main, on est frappé, si
on le retourne, de voir que du tissu a été laissé pour pouvoir
le modifier si la femme prend un peu de poids. Les ourlets
aussi étaient cousus en laissant de la longueur. Tout était fait
pour que le vêtement dure. Aujourd’hui, c’est exactement
l’inverse : il est fabriqué pour une durée de vie très limitée,
et on ne connaît jamais vraiment la composition d’un tissu
ni comment l’entretenir. D’ailleurs, à quoi bon puisque la
saison suivante vous aurez de nouvelles collections avec de
nouveaux vêtements qui seront fabriqués pour qu’ils soient
jetés la saison suivante.
Le prêt à porter a-t-il sonné le glas de la mode ?
Seuls les vêtements de la haute couture respectent
encore la qualité, le savoir-faire et emploie toujours les
techniques de fabrication de coupe et de broderies que
seule l’Europe, et la France en particulier, maîtrise. Mais
pour combien de temps encore ? On délocalise à tour
de bras, la plupart des machines qui fabriquaient de la
dentelle et les autres techniques concernant la fabrication
des tissus, les métiers à tisser la soie et tout le savoir-faire
ont été vendu à l’Asie, il y a quelques dizaines d’années.
Aujourd’hui comment faire marche arrière et refaire
fabriquer en France puisque l’on nous dit que la main
d’œuvre y est trop chère ? Dans une logique du prêt à
jeter, effectivement, il est peu intéressant de fabriquer des
produits de bonne qualité destinés à durer un peu plus
longtemps qu’une saison. Je ne suis pas amère, mais
l’absence de qualité et de vraie création me manque, ainsi
que le manque de « féminité » du vêtement. Même si, dès
lors que les femmes ont complètement investi le monde
du travail, il est plus difficile de s’habiller selon les codes
d’une mode ultra-féminine, il me semble souhaitable que
l’uniforme unisexe qui nous a été imposé laisse la place
à davantage d’imagination. Qui se fait faire sa robe ou
son tailleur par sa couturière, du reste elles sont en voie
d’extinction, tout comme la couture en général. Plus
personnes ne sait coudre, même pas un bouton, car la
couture n’est plus enseignée à l’école. Qui sait tricoter ?
Qui sait crocheter ? La transmission familiale ne se fait
plus non plus, et ce n’est pas d’éphémères retours vers
des loisirs comme le tricot ou la broderie qui inverseront
la tendance générale. Nous avons tous pris l’habitude
d’acheter ce qui nous est proposé pour aller plus vite, car
le temps manque et les loisirs ont changé.
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Combien de tenues les femmes possédaient-elles en
moyenne ?
Evidemment, cela dépendait bien de la classe sociale
à laquelle elles appartenaient et de leur budget. Mais
la coquetterie a toujours été solidement implantée. En
France, traditionnellement, on aime s’habiller. Autrefois, la
« maîtresse de maison » privilégiait également l’intérieur
de sa maison et, entre le linge de maison, les voilages
et les rideaux, il y avait de quoi remplir les armoires, ce
que l’étroitesse des appartements aujourd’hui ont rendu
impossible. Les vêtements étaient gardés tout au long
de la vie. Et heureusement pour nous, car c’est la raison
pour laquelle nous pouvons encore trouver aujourd’hui
des gardes de robes anciennes complètes.
Quelles matières ?
Les matières que l’on trouve le plus souvent dans la
fabrication des vêtements anciens sont le coton, la soie,
le fil, le lin, le chanvre, le coton et la soie mélangés, la
laine, et ensuite des matières synthétiques et néanmoins
naturelles tel que le crêpe à base de bois. Puis viennent
les fibres synthétiques dérivées du pétrole et autres. Les
matières naturelles sont les plus faciles à nettoyer, car on
peut faire bouillir le coton, le lin, et même la soie quand
elle est ancienne et de bonne qualité, surtout quand elle
n’est pas imprimée. En revanche, n’essayez surtout pas
de laver un foulard Hermès, par exemple : même si la
soie est d’excellente qualité, les couleurs ne sont pas
suffisamment fixées et déteignent.
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Avez-vous des trucs et astuces pour sauver notre linge ?
Les taches de rouille pouvaient s’enlever auparavant
avec du sel d’oseille ou de la rubigine, mais la formule
du produit a changé pour s’adapter aux nouvelles
normes européennes et le produit est beaucoup moins
efficace, voire plus du tout. Quant aux trous de mites sur
un vêtement, le plus sage est de le jeter. Si vous y tenez
vraiment, passez-le à la bombe, enfermez-le dans un
linge. Attendez quelques jours. Ensuite, il faudra repriser
les trous. En revanche, si cela arrive avec une fourrure,
n’hésitez pas : jetez-la immédiatement à la poubelle ! Il
est parfois impossible de sauver une pièce quand le
tissu est brûlé, non par le feu, mais par le temps ou la
mauvaise conservation, car il part en charpie. Les caves
trop humides ou la décoloration du soleil ou de la lune
sont particulièrement à craindre.
La mode féminine a évolué avec la condition des femmes,
mais aussi avec celle de la société tout entière. Peut-on
dire pour autant qu’elle est synonyme d’émancipation ?
Les femmes ont toujours travaillé, aux champs, dans des
commerces, puis dans des fabriques, et ensuite des usines.
Pourtant, jusqu’aux années 1920, leurs vêtements restent
lourds, trainant souvent sur le sol, essentiellement des
robes ou des jupes, portées sur plusieurs jupons… avec
des corsets plus ou moins serrés. La véritable libération
du corps des femmes, dans le cadre du vêtement, vient
de l’abandon du corset, puis du raccourci des robes et de
l’introduction du jersey et des matières fluides. Le corps est
davantage libre, libre de bouger, de respirer, de pratiquer
un sport (ne serait-ce que la bicyclette), et les femmes
parallèlement conquièrent de haute lutte quelques droits
civils. On notera que la mode, qui a bien entendu d’abord
concerné les classes aisées, s’est rapidement démocratisée.
Quant au pantalon, que certaines femmes révolutionnaires
auraient bien aimé s’approprier, son port en est interdit aux
femmes depuis 1800… et cette interdiction n’a toujours
pas été abolie aujourd’hui en France ! C’est en cela qu’il
est, en Occident, peut-être l’élément du costume féminin
le plus émancipateur. Chaque femme en pantalon est une
insurgée… sans même le savoir ! Et la démocratisation
totale du pantalon s’est accompagnée d’une véritable
avancée de l’émancipation des femmes.
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Autrefois, les femmes n’osaient pas sortir sans leur
chapeau et sans leur gants ?
Mais cela concernait tout autant les hommes des classes
aisées et de la petite bourgeoisie (la canne étant un
élément tout aussi indispensable). Certes la créativité
en matière de chapeau féminin a fait les délices du
public et le bonheur des modistes. De nombreuses
professions, comme les fleuristes-plumassières, vivaient
du renouvellement incessant de ces éléments de décors.
A la fin du XIXe siècle, des arrêtés furent pris à Paris pour
interdire les chapeaux démesurés dans les théâtres : ils
bouchaient la vue des spectateurs. Personnellement,
j’aime les chapeaux (ma grand-mère paternelle était
chapelière à Paris). Mais peut-on vraiment regretter cette
période où « sortir en cheveux », c’est-à-dire sans chapeau,
rangeait automatiquement les femmes du côté des filles
de mauvaise vie ? Une contrainte sociale forte… qui ne
s’est délitée que dans la deuxième moitié du XXe siècle,
notamment quand les pratiques de l’Eglise catholique se
sont transformées. Car la mode a été souvent synonyme
de contrainte ou d’aliénation, le vêtement féminin a
souvent bridé le corps (et pas seulement le fameux corset,
extrêmement nocif). La mode ne devrait-elle pas, au
contraire, être porteuse de créativité personnelle, de joie,
de bien-être ? Etre la rencontre heureuse entre un styliste,
des créateurs de matière et des femmes et hommes qui
habitent et personnalisent le vêtement pour le rendre
unique ? Pour se rendre unique… Les vêtements que je
vends offrent, je l’espère, cette possibilité à chacune, à
chacun, qui le souhaite.
Contact :
Chez Sarah
Marché « Le passage »
18, rue Jules-Vallès et 27, rue Lecuyer
93400 Saint-Ouen
Tel. : 06 08 01 80 89
[email protected]
www.chezsarah.fr
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