Colette-journal2-verso-4

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Colette-journal2-verso-4
« Réveillons », Le Matin, 28 décembre 1911
Colette évoque les Noëls d’autrefois à Saint-Sauveur, la maison, le jardin sous la neige, la jolie voix de sa mère l’appelant
« Mon soleil d’or ».
C’est ainsi, le front aux vitres, que je cherchais autrefois à
surprendre, pendant la nuit de Noël, un jardin endormi sous
sa neige bleuâtre, ou sous la pluie, ou tout blanc de gel sous
les étoiles…
Je ne bouge pas, de peur de dissoudre, derrière moi, le mirage provincial qui monte de mon passé : un salon fané, où la
pendule de marbre blanc marque minuit, entre deux bouquets
de houx. Sur la grande table, on a simplement poussé un peu
de côté les livres à tranche d’or, le jeu de jacquet et la boîte
de dominos, pour faire place au gâteau arrosé de rhum et au
vieux frontignan décoloré… […]
Il y a, partout, le chaud désordre d’une maison heureuse,
livrée aux enfants et aux bêtes tendres…
Si je me retourne, reverrai-je – le temps d’un regard, le
temps d’un battement de mes cils humides – reverrai-je tout
cela ?… Une main touche mon épaule, mais je ne veux pas me
retourner… Et cela ne fait rien que quelqu’un me crie dans
l’oreille, avec des rires… Cela ne fait rien du tout, puisque
j’entends tout de même, comme autrefois, la jeune voix
maternelle :
« Beauté !… mon soleil rayonnant !… Mon bijou tout en or !
Il est tard, va vite dormir… »
Dans une lettre datée du 30 décembre 1911, Sido répond point
par point à ces évocations du passé.
Minet chéri,
Reçu tout ! Reçu trop ! Et aussi ta lettre, et l’article. Jane me
l’avait apporté hier. Il m’a beaucoup plu. Je vois, chère, que la
vieille maison et son jardin te hantent. Cela me plaît et aussi
m’attriste.
Je vois toujours ta gracieuse petite forme s’y promener, rêvant à mille choses. Que de souvenirs surgissent ! Je te vois,
quand je t’évoque dans ce temps-là, plus souvent dans une
toilette bleu pâle qui te faisait si jolie et qui ravissait Mme
P. Bert quand nous nous promenions ensemble. Que tout
ça est loin. Oui, tu étais mon soleil d’or. Je te disais aussi
que lorsque tu entrais dans la chambre où je me tenais, elle
devenait plus claire. Et tes beaux cheveux d’or qui tombaient
jusqu’à terre ?
Je voudrais tant que vous gardiez la vieille maison où on
est si bien, si tranquille. J’y ai été très malheureuse et ensuite
très heureuse avec ton père. Ah ! s’il avait été plus prudent que
nous serions encore tous heureux !
Ta mère
La découverte d’une petite boite
déposée là il y a 188 ans…
Ce 13 novembre 2014, un courriel de Frédéric Maget m’informe
d’une trouvaille : « À l’occasion des travaux de piquage de la façade, les
ouvriers viennent de déposer la plaque “Ici Colette est née”. Derrière, on
a trouvé une petite boite métallique avec un document à l’intérieur »…
Sur ce message, d’une écriture élégante « pleine et déliée », suivant des lignes tracées au crayon, la plume du signataire, Achille
Chocat, secrétaire de mairie, indique :
« Dans cette maison Colette, écrivain français (Gabrielle Colette),
est née le 28 janvier 1873. Cette maison a été rachetée par M. Francis
Ducharne, industriel lyonnais, pour en laisser la jouissance, sa vie durant,
à Colette. Cette plaque a été offerte et apposée par Claude Chauvière en
témoignage d’admiration. Saint Sauveur, le 18 juillet 1926 ».
Après la découverte d’ouvertures de fenêtres murées à l’étage
côté jardins, quelle belle surprise viennent de nous réserver ces premiers travaux de maçonnerie.
Cette découverte nous ramène 188 ans en arrière, en 1926. À cette
date, les époux Ducharne, qui ont acquis la maison début 1925, en
ont donné la jouissance à Colette. C’est au mois de juin 1925 que la
plaque a été apposée.
Samia Bordji, responsable du Centre d’études Colette, que nous
avons sollicitée, nous a transmis quelques précisions quant aux circonstances assez particulières liées à la pose de cette plaque.
C’est à Claude Chauvière, romancière, grande admiratrice de
Colette dont elle fut la secrétaire de 1928 à 1931 et à qui elle consacra un ouvrage que l’on doit l’initiative de la pose de cette plaque.
Comme le souligne Samia Bordji : « C’est Claude Chauvière qui informe
les Ducharne que la maison est à vendre. C’est elle également qui, après un
pèlerinage à Saint-Sauveur, œuvre pour la pose d’une plaque sur la façade.
Elle saisit Anatole de Monzie, alors ministre de l’Instruction publique, de
son intention. Celui-ci écrit au maire de Saint-Sauveur, le docteur Bossu,
pour lui demander ce qu’il compte faire. Réponse sans appel : rien, en raison
de ce que Colette a écrit sur le village et ses habitants. Claude Chauvière,
aidée de son comité de soutien et de Monzie, fera aboutir le projet ».
Les archives du Centre d’études Colette conservent également
deux précieuses lettres sur le sujet. Elles émanent d’Olympe Terrain,
l’ancienne institutrice de Colette (Olympe Sergent de Claudine
à l’école), adressées à Jean Larnac, le tout premier biographe de
Colette. La première lettre est datée du 31 mai 1925.
Saint-Sauveur, 31 mai 1925
Monsieur,
J’ai lu sur « Les Nouvelles Littéraires » qu’une ancienne élève m’a
passées, votre article touchant Colette. Savez-vous qu’un comité d’amis
prépare son apothéose à Saint-Sauveur ?
Comme j’en avais l’intuition, la maison natale de Claudine a été
achetée par un ami industriel, M. Decharne [sic] je crois, mais « Colette
en jouira sa vie durant » me dit-on. Donc, des amis soignant la gloire
de leur idole, sont venus chez le Notaire, locataire de l’immeuble, et ont
parlé d’une plaque commémorative, avec accompagnement d’une petite
fête à laquelle doit assister M. de Monzie !! J’ai cru d’abord que des gens
de lettres en villégiature avaient abusé de la crédulité du brave Fabellion.
Pas du tout : un autre écho m’est venu : M. le Maire a été prévenu, par la
Présidente du Cénacle Colette – on n’a pu me répéter son nom – qu’une
plaque commémorative va arriver incessamment et qu’une cérémonie
d’inauguration amènera à Saint-Sauveur Colette et sa cour et M. de
Monzie – rien d’officiel cependant. J’ajoute moi : à moins qu’au dernier
moment, M. le Ministre soit remplacé par un ami… Nous avons eu, il y a
quelques années, à la Préfecture d’Auxerre un M. Olivier fervent admirateur de Colette qui chanta ses louanges de façon hyperbolique dans « Le
Bourguignon », journal local.
Si je me souviens bien ce M. Olivier a quitté l’Yonne pour le Ministère
de l’Instruction Publique. Je ne m’étonnerais pas qu’il fût du Comité. La
dame organisatrice demande au Maire d’inviter quelques personnalités
de Saint-Sauveur au déjeuner qui suivra La Cérémonie. Bien que docteur
en médecine et élu des communistes le Maire n’a aucune disposition
pour les fêtes. […]
J’avoue que la petite fête en perspective ne manque pas de piquant.
[…]. Quel succès va avoir la manifestation projetée ? Un avenir prochain
nous le dira. On parle du mois de juin, comme date.
Croyez, mon cher Collègue, à mes bons compliments.
Olympe Terrain
Si le Maire fait quelque zèle ce sera en souvenir de la haine contre M.
Merlou. Cette diable de politique s’insinue partout. Peut-être M. Olivier
est-il la cheville ouvrière des projets en question. Je sais que durant son
séjour dans l’Yonne, il vint en pèlerin à la Maison historique.
Dans sa seconde missive, datée du 24 juin 1925, Olympe Terrain
confirme la pose de la plaque comme elle annonce son inauguration toute proche par Anatole de Monzie. Ce grand ami d’Henry de
Jouvenel est alors ministre de l’Instruction Publique et des Beaux
Arts, poste qu’il occupe brièvement du 17 avril au 11 octobre 1925.
Saint-Sauveur, 24 juin 1925
Monsieur et cher Collègue,
Ma dernière lettre que vous deviez recevoir en mai, vous est-elle parvenue ? Je vous disais qu’une plaque commémorative allait être posée sur
la Maison de Claudine. C’est maintenant chose faite. Un voile recouvre
cette plaque, en attendant son inauguration à laquelle dit-on assistera
M. de Monzie !
Le dimanche 8 juin, Colette a passé la journée au pays, accompagnée
de quatre de ses amis. Espérait-elle qu’on l’ovationnerait ? Si oui, elle a
eu une déception. Bien qu’ici on ne soit pas collet monté, ses allures ont
été jugées peu édifiantes. « C’est le triomphe de la pornographie », disent
nos compatriotes qui, en littérature, sont plus sensibles au fond qu’à la
forme. […]
Tous compliments
Olympe Terrain
à l’école. Les autres savaient que depuis longtemps Claudine avait
rejoint Colette pour célébrer Saint-Sauveur, dans maintes pages de
Claudine en ménage, de La Retraite sentimentale, des Vrilles de la vigne,
de La Maison de Claudine…
Achille Chocat, lui, avait bien connu Colette enfant et confiait
volontiers ses souvenirs aux pèlerins de passage. Ainsi apprit-il à
Claude Chauvière qu’Achille, le frère aîné, était « un homme sage et
dévoué », que Léo, le cadet, revenait fréquemment en visite.
L’histoire a oublié Achille Chocat, tout autant que l’intervention
de Claude Chauvière. Colette elle-même avait retenu d’autres noms.
Dans une interview accordée à Frédéric Lefèvre pour Les Nouvelles
littéraires du 27 mars 1926, elle déclare que c’est Ducharne qui a fait
poser la plaque. Et dans Ces dames anciennes, en 1954, elle affirme
que c’est Anatole de Monzie. La maison vient de nous livrer l’un de
ses premiers secrets.
Le document de 1926 est signé du secrétaire de mairie et non du
Maire, le docteur Bossu. Sans doute faut-il y voir un signe de l’hostilité d’une partie des habitants de Saint-Sauveur froissés par Claudine
Gilles Freyssinet
Avec la collaboration de Samia Bordji
Tous mécènes ! Participez aux travaux de réhabilitation de la maison et des jardins de Colette
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