De la lutte contre ses angoisses à l`expérience de soi

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De la lutte contre ses angoisses à l`expérience de soi
UNIVERSITE D’ANGERS
UFR Lettres, Langues et Sciences Humaines
Département de Psychologie
De la lutte contre ses angoisses à l’expérience de soi : Mamadi
ou le désir d’être
Mémoire présenté pour le MASTER 1 Sciences Humaines et Sociales
Mention Psychologie
par Amandine Morillon
sous la direction de Alix Bernard
Laboratoire de Psychologie des Pays de Loire (LPPL) EA 4638
UNAM (Universités Nantes Angers Le Mans)
ANGERS, MAI 2013
SOMMAIRE
INTRODUCTION ...................................................................................................................... 4
I/ DISPOSITIF DE RECHERCHE ............................................................................................ 5
1)
Présentation du lieu de stage ....................................................................................... 5
2)
Cadre de nos rencontres et premières rencontres ........................................................ 5
3)
Présentation de Mamadi .............................................................................................. 7
4)
Biais de recherche et critique du dispositif .................................................................. 9
Synthèse ................................................................................................................................. 9
II/ PRESENTATION DU MATERIEL CLINIQUE ............................................................... 10
A/ Les séances en groupe (activités et atelier « Chorale »).................................................. 10
a)
Cinquième rencontre : premier contact physique .................................................. 10
b)
Sixième rencontre : je peux l’accompagner mais pas le toucher ........................... 11
c)
Septième rencontre : « Mamadi, c’est ma poupée » .............................................. 12
d)
Onzième séance (atelier «Chorale ») : Mamadi, es-tu là ? .................................... 12
e)
Douzième séance (atelier « Chorale »): regard et imitation................................... 13
f)
Quatorzième séance (salle de jeux) : seul mais aussi avec nous............................. 14
g)
Dix-septième séance (atelier « Chorale ») : « Moi, moi » ..................................... 14
B/ Les séances individuelles en psychomotricité ................................................................. 16
a)
Première séance: agitation et pleurs ....................................................................... 16
b)
Deuxième séance : Mamadi ou Jonathan ? ............................................................ 17
c)
Troisième séance : premier jeu à trois ................................................................... 17
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d)
Quatrième séance : attaque du cadre ...................................................................... 18
e)
Cinquième séance : « J’ai envie » .......................................................................... 19
f)
Sixième séance : Mamadi d’abord .......................................................................... 20
g)
Septième et huitième séances: jeux à trois et contact physique ............................. 20
C/ Dynamique relationnelle ................................................................................................. 22
D/ Problématique.................................................................................................................. 23
Synthèse ............................................................................................................................... 23
III/ ARTICULATION THEORICO-CLINIQUE .................................................................... 24
A/ De la lutte contre ses angoisses… .................................................................................. 24
a)
Relation à l’autre et sentiment d’exister ................................................................ 24
b)
La question de l’absence et de la séparation .......................................................... 25
c)
Son corps, ses limites : à la recherche d’un contenant ........................................... 27
B/ …A l’expérience de soi ................................................................................................... 29
a)
Vers une utilisation de l’objet ................................................................................ 29
b)
Retrouvaille avec l’objet perdu et symbolisation de l’absence ? ........................... 31
c)
Du jeu face au miroir au Je .................................................................................... 31
Synthèse ............................................................................................................................... 32
CONCLUSION ........................................................................................................................ 33
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 34
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INTRODUCTION
Dans le cadre de mon stage, j’ai été amenée à rencontrer des enfants touchés par la
déficience intellectuelle. Malgré cette similitude, tous ces enfants sont différents et chaque
rencontre est singulière. Je travaille habituellement auprès d’enfants et j’ai eu l’occasion de
travailler auprès d’adultes déficients intellectuels, c’est ainsi que j’ai choisi de réaliser mon
stage de Master 1de psychologie en Institut-Médico-Educatif auprès d’un public mêlant ces
deux particularités.
Ce mémoire est le récit d’une rencontre clinique entre Mamadi et moi. Récit à travers
lequel je tente de rendre compte de ce qui pouvait se jouer lors de nos rencontres, sans
prétendre avoir cerné la vérité du sujet.
Dans un premier temps, je présenterai mon lieu de stage qui m’a permis de rencontrer
cet enfant, nos premières approches et le cadre de nos rencontres, puis son histoire de vie.
Ensuite, je présenterai le matériel clinique que j’ai recueilli lors de nos rencontres au
sein d’un atelier éducatif et lors de séances en psychomotricité. J’exposerai ensuite une
analyse du lien qui s’est crée entre le jeune Mamadi et moi, avant de finir par élaborer ce qui
me semble être la problématique de cet enfant.
Enfin, à travers une articulation théorico-clinique, je tenterai d’éclairer le matériel
clinique en choisissant des auteurs qui permettront de mieux comprendre la problématique de
Mamadi.
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I/ DISPOSITIF DE RECHERCHE
1) Présentation du lieu de stage
J’effectue mon stage dans un Institut-Médico-Educatif qui accueille une population
d’enfants et adolescents entre 6 et 16 ans, ayant soit une déficience intellectuelle légère et
moyenne avec ou sans troubles associés, soit présentant des troubles envahissants du
développement.
Les enfants sont répartis en deux services, le Service d’Accueil pour Enfants
présentant des Troubles Envahissant du Développement (SAETED) et la Section d’Education
et d’Enseignement Spécialisé (SEES), regroupant les enfants déficients intellectuels avec
leurs troubles associés. J’ai effectué la majeure partie de mon stage au sein de la SEES de
Septembre 2012 à Juin 2013.
Se trouve également au sein de cet IME et qui en fait sa particularité, une ferme
pédagogique et éducative. Un éducateur spécialisé formé à la médiation animale propose aux
enfants des séances en groupes ou en individuelles en fonction des problématiques de chaque
enfant.
2) Cadre de nos rencontres et premières rencontres
La SEES se compose de trois services (médico-thérapeutique, éducatif et
pédagogique) permettant une prise en charge globale de l’enfant. Ainsi, je souhaitais au début
de mon stage être auprès des professionnels relevant de l’une ou l’autre de ces unités afin de
découvrir le fonctionnement global de l’institution et surtout d’avoir la possibilité de
rencontrer les enfants dans différents cadres (classe, atelier éducatif, activités sportives).
C’est ainsi que j’ai demandé à participer à un atelier éducatif. Parmi tous ceux qui
m’ont été proposés, je choisis d’assister à l’atelier « Chorale ». Cet atelier est principalement
animé par une éducatrice mais une deuxième éducatrice est également présente pour
s’occuper surtout d’un enfant dont le comportement est difficile à gérer. C’est donc lors de cet
atelier que je suis amenée à rencontrer un groupe de huit enfants âgés de 8 à 12 ans. Je rejoins
les enfants au moment de la récréation et les accompagne à l’atelier qui a lieu une fois par
semaine et dure environ une heure et demie. Une fois dans la salle après avoir ôté leurs
chaussures, l’éducatrice propose aux enfants un premier temps d’échauffement debout puis
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leur demande de se mettre assis en rond pour chanter. A la fin, les enfants s’allongent pour un
temps de relaxation accompagné par un CD de musique douce.
J’intègre l’atelier en cours d’année (mois d’octobre), je choisis donc d’y participer au
même titre que les enfants me permettant plus facilement de créer un lien entre eux et moi. La
première fois que je participe à l’atelier, les enfants semblent ravis que je chante avec eux et
me sollicitent beaucoup mais leur attention est difficile à capter, ils sont très agités. Seul un
enfant qui s’est mis un peu en retrait se montre très calme. Il me semble s’ennuyer car il ne
chante pas avec les autres. C’est un enfant que j’ai mis du temps à remarquer tant il est
discret. Il est également le seul à ne pas être venu vers moi depuis le début de l’atelier pour
me demander tout simplement qui je suis comme ont pu le faire les autres enfants du groupe,
chacun à leur manières et comme l’ont fait la plupart des enfants que j’ai été amenée à
rencontrer depuis le début de mon stage. Pendant la séance, je me détache rapidement de cet
enfant qui n’entre en interaction ni avec les autres jeunes, ni avec les adultes présents et je me
focalise surtout sur les enfants qui semblent accorder de l’intérêt à l’atelier malgré l’agitation.
Mais c’est lors de ma deuxième rencontre avec cet enfant que je nommerai Mamadi
que mes premières interrogations émergent. Mamadi est un petit garçon africain, âgé de 8 ans.
Je le trouve de petite taille pour un enfant de cet âge. Je le vois souvent remonter son pantalon
lorsqu’il marche, remarquant que celui-ci est trop grand pour lui.
La deuxième séance de l’atelier « Chorale » sera animée par la deuxième éducatrice
car celle qui l’anime habituellement est absente. Après un temps de chant, elle propose à la fin
de la séance un jeu qui consiste à écouter des sons de la forêt et les enfants doivent dire de
quels sons il s’agit. Je remarque à ce moment là que Mamadi qui était très éteint depuis le
début de la séance, se réveille. Il ne donne pas de bonnes réponses mais répète certaines
réponses de ses camarades : « une chouette », « des fourmis », « le feu»…
L’éducatrice qui anime l’atelier est finalement en arrêt de travail de façon prolongée.
D’autres éducateurs prennent le relai et proposent aux enfants du groupe « chorale »,
différentes activités qui remplacent l’atelier initial. Je décide de continuer de participer aux
activités qui seront proposées car j’apprécie de pouvoir rencontrer les enfants dans ce
contexte là et je souhaite également en découvrir davantage sur cet enfant qui m’interpelle.
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L’atelier « Chorale » finira par reprendre quelques semaines avant les vacances de
Noël. Je suis amenée ensuite à rencontrer Mamadi pendant des séances en psychomotricité à
partir du mois de janvier, la psychomotricienne étant avec lui à la piscine la première partie de
l’année. L’institutrice et les éducateurs ont en effet demandé à ce qu’elle participe à ce temps
à la piscine pour observer plus particulièrement le comportement de certains enfants, dont
celui de Mamadi.
Si la psychomotricienne me propose de l’accompagner plus tard dans ses séances,
c’est parce qu’elle ne souhaite pas renouveler seule la prise en charge avec Mamadi. En effet,
elle m’évoque toutes les difficultés qu’elle a eues pendant les séances de l’année dernière.
Mamadi était très agité, se mettait constamment en danger. Elle pense qu’introduire une
troisième personne serait moins intrusif et donc moins angoissant pour lui. Elle me propose au
départ d’être dans une position d’observatrice dans le but de confronter nos points de vue par
rapport à ce que Mamadi sera amené à nous montrer en séance. Mais au fur et à mesure des
séances, je me crée une réelle place de participante.
Ainsi, je vois Mamadi à raison d’une fois par semaine en séances de psychomotricité
pendant environ 40 minutes et continue de le rencontrer lors de l’atelier « Chorale ».
3) Présentation de Mamadi
Mamadi est un enfant de 8 ans né en France, de parents guinéens. Il est quatrième
d’une fratrie de cinq enfants. Il a trois frères âgés entre 12 et 15 ans et une petite sœur de 4
ans.
A l’âge de 3 ans, Mamadi entre à l’école et suit une classe de petite section mais
l’institutrice attire l’attention des parents sur le comportement de leur enfant, notamment dans
le cadre de sa socialisation.
Il poursuit donc en moyenne section accompagné cette fois-ci d’une AVS, à raison de
6h par semaine et sera suivi en parallèle par un psychiatre au sein d’un CAMPS avant
d’intégrer un jardin d’enfant adapté.
Il fera l’année suivante une deuxième moyenne section en doublant le temps de
présence de l’AVS à ses côtés. Il profitera également en parallèle d’un temps au sein d’un
SESSAD dans lequel il suivra des séances de psychomotricité en individuel et un temps
thérapeutique en « flaque » avec deux psychomotriciennes. Les renseignements fournis par un
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pédopsychiatre du SESSAD révèlent un enfant présentant un « syndrome autistique mais le
travail psychomoteur a permis de l’aider à trouver des limites et à construire la relation à
l’autre. C’est un enfant qui s’isole facilement mais qui ne présente pas d’instabilité. » Selon
lui, un accueil en IME lui permettra de continuer à travailler son rapport au monde et à
l’autre.
Les parents d’abord très réticents au projet que leur enfant aille en milieu spécialisé,
prennent finalement conscience du retard de Mamadi par rapport aux autres enfants et
« souhaitent qu’une école spécialisée lui permette de progresser et de faire des acquisitions en
le stimulant de façon plus adaptée ». Selon le SESSAD, « ses difficultés et son retard sont
trop manifestes pour pouvoir envisager un CP et une structure spécialisée sera mieux prendre
en compte les problématiques de Mamadi. » En effet, Mamadi a beaucoup de difficultés au
niveau du langage, son expression verbale est le plus souvent incompréhensible. Il est
également hyper sélectif sur le plan alimentaire, à tel point qu’il est impossible de l’inscrire à
la cantine de l’école. Mais bien qu’il ne montre pas d’intérêt pour les acquisitions scolaires, il
semble aimer aller à l’école.
Mamadi a donc intégré l’IME en septembre 2011, à l’âge de 6 ans. Bien que ses
troubles s’apparentent à ceux d’un syndrome autistique, c’est au sein de la section des enfants
déficients intellectuels qu’il est accueilli et non au sein de celle des enfants autistes. En effet,
l’équipe de professionnels s’attendait à voir un enfant davantage replié sur lui-même au vu
des descriptions qu’on faisait de lui, mais s’accordent sur le fait que sa place semble être
davantage auprès des enfants déficients intellectuels et non autistes.
A son arrivée, il est surtout décrit par les professionnels comme un enfant ayant des
difficultés relationnelles et peu expressif mais qui a cependant beaucoup progressé au fil des
mois. En effet, il ne disait aucun mot, ne faisait que des bruitages quand il est arrivé, mais au
fur et à mesure, il acquiert du vocabulaire, même s’il verbalise encore très peu. Il se met aussi
à regarder et à sourire. Son institutrice parle d’un enfant très attaché aux rituels qui manifeste
de l’angoisse et de l’agitation dès qu’un changement intervient. Il semble très « collé » à
certains enfants de la classe mais est toujours aussi peu dans la relation à l’autre.
Mamadi qui en classe a un comportement d’élève s’éparpille complètement lorsqu’il se
retrouve en situation duelle avec l’adulte, notamment lors des séances en psychomotricité.
Actuellement, son emploi du temps est partagé entre des temps en classe, en ateliers
éducatifs et des séances en psychomotricité depuis le mois de janvier. Le reste du temps, il vit
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au sein de sa famille. Le papa travaille en tant que matelot à temps plein et la maman est au
foyer. Les professionnels de l’IME n’ont pu rencontrer les parents que deux fois depuis
l’arrivée de Mamadi et ne savent donc que très peu de choses sur ses premières années de vie
au sein de la famille. Cependant, même si Mamadi ne le verbalise pas, les parents ont
l’impression que leur enfant est ravi de se rendre à l’IME.
Je n’ai pas eu connaissance de ces éléments avant mes rencontres avec Mamadi.
4) Biais de recherche et critique du dispositif
L’atelier « Chorale » et les autres activités auxquelles j’ai eu l’occasion de participer
se déroule sur un mode groupal, cela ne me permet donc pas d’être toujours disponible pour
Mamadi, que ce soit pour l’observer ou répondre à ses sollicitations car les autres enfants
m’interpellent. Mais j’ai l’occasion de le rencontrer depuis le mois de janvier sur un mode
individuel en séances de psychomotricité, ce qui apporte une vraie richesse clinique. En effet,
j’ai été d’abord surprise du contraste entre ces deux modes de rencontres. De l’enfant calme et
discret en atelier éducatif à l’enfant très agité en séances de psychomotricité. Ce qui s’y joue
est bien différent.
Enfin, je rencontre toujours Mamadi à ce jour, ce qui m’empêche d’avoir un certain
recul sur le matériel clinique qui va être présenté.
Synthèse
Mamadi est un enfant de 8 ans que je remarque dans un premier temps très
difficilement tant il est discret et passif. Mais c’est lors d’une seconde rencontre que je
découvre un enfant qui peut s’animer mais m’interroge sur cette soudaine activité qui ne
semble pas émaner directement de lui.
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II/ PRESENTATION DU MATERIEL CLINIQUE
Je choisis de présenter dans un premier temps les rencontres sur le mode groupal, lors
de certaines activités et de l’atelier « chorale », en introduisant également ce que j’ai parfois
pu observer lors de la récréation avant de partir en atelier. Je présenterai ensuite les rencontres
dans le cadre des séances en psychomotricité.
Ainsi, il s’agira à chaque fois de choisir les éléments d’observations les plus
significatifs à mon sens, racontés à travers les deux types de séances (en groupe et en
individuelle), en respectant l’ordre chronologique à l’intérieur de chaque mode de rencontre.
Cette façon de présenter le matériel permet selon moi de s’apercevoir de l’évolution de
Mamadi, observable en groupe et en individuelle et ainsi tenter de comprendre la logique
subjective de cet enfant. J’ai décidé également de faire part de certaines de mes pensées et
impressions du moment, insérées en italique, les distinguant ainsi des faits présentés et de
certaines paroles de l’enfant rapportées entre guillemets.
A/ Les séances en groupe (activités et atelier « Chorale »)
a) Cinquième rencontre : premier contact physique
Lors de cette cinquième séance avec le groupe d’enfants de l’atelier « Chorale », les
éducateurs leur proposent de faire un tour de vélo.
Comme j’ai déjà pu le mentionner, Mamadi est un des rares enfants que j’ai rencontré
à l’IME à n’être jamais venu vers moi. Je remarque qu’il va également très rarement vers les
autres enfants et adultes qui l’entourent. En effet, dans la cour, il s’isole facilement et ne joue
pas avec ses camarades. Je le vois souvent en hauteur, monté sur des grosses pierres ou faire
l’équilibre sur une poutre. Je l’aperçois parfois à imiter certains de ses camarades, ou à les
suivre, presque collé à eux. Il peut par exemple faire du toboggan au même moment qu’un
enfant décide d’en faire, ou encore se mettre à courir comme un autre.
Lors des activités précédentes, il se montre toujours aussi discret, à tel point que j’en
oublie encore sa présence. Je tente à plusieurs reprises d’entrer en relation avec lui en lui
disant simplement bonjour mais il ne me répond pas, me tourne le dos et s’en va.
Mais quand nous nous dirigeons vers le local à vélo, je tiens la main à un enfant du
groupe, Jonathan. Mamadi vient vers nous et se saisit de mon autre main.
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D’abord flattée qu’il vienne enfin vers moi et entre en contact physiquement, je suppose
ensuite que s’il s’autorise à me prendre la main, c’est parce que je tiens celle d’un enfant
pour lequel il semble accorder une importance particulière.
En effet, bien que Mamadi ne soit que très peu en interaction avec les autres enfants,
j’ai constaté qu’il demande régulièrement aux adultes autour de lui où est passé Jonathan
quand il ne l’aperçoit plus : « Il est où est Jonathan ? ». Jonathan contrairement à Mamadi est
un enfant qui se fait remarquer très rapidement tant son comportement est imprévisible et
agressif. Il se met parfois à crier très fort et à taper sur ses camarades et sur l’adulte et n’arrive
pas à rester longtemps au sein du groupe d’enfants. Une éducatrice s’occupe particulièrement
de lui pour l’accompagner dans ces moments de fuite.
Pendant la balade à vélo, je me demande si Mamadi comprend bien la langue
française. En effet, lorsque je lui demande de se mettre sur le côté quand une voiture arrive
derrière nous, il reste en plein milieu du chemin.
Ou alors a-t-il conscience du danger ?
Cette cinquième rencontre auprès de cet enfant éveille de nouveau ma curiosité.
b) Sixième rencontre : je peux l’accompagner mais pas le toucher
Lors de cette séance, l’éducatrice présente propose de se regrouper dans la salle de
sport pour faire plusieurs jeux. Avant de commencer, Mamadi vient vers moi et me dit :
« Pipi ». Je l’accompagne donc aux toilettes, surprise qu’il me sollicite. Il baisse son pantalon
et sa culotte avant d’arriver dans les toilettes, puis s’assoit 5 secondes sur le trône tout en
tirant la chasse d’eau. Mamadi a fait semblant de faire pipi. Avant d’aller aux toilettes, il
questionne verbalement à plusieurs reprises sur l’absence de Jonathan qui a de nouveau fuit le
groupe.
Cherchait-il à sortir de la salle pour voir où il pouvait se trouver car l’absence d’un enfant
censé être au sein du groupe est trop angoissante pour lui ?
L’éducatrice propose de faire un dernier jeu qui consiste à ce que chaque enfant
accompagné d’un adulte aille se cacher derrière la porte de la salle pour changer quelque
chose sur lui et les autres enfants doivent deviner ce qui a changé. C’est moi qui accompagne
Mamadi derrière la porte et lui propose de mettre son tee-shirt rentré à l’intérieur du jogging,
par dessus celui-ci, comme élément de changement. Ayant l’impression qu’il ne m’ait pas
comprise, je lui montre en retirant une partie de son tee-shirt caché sous le jogging mais
Mamadi n’accepte pas que je le touche et dit en criant « Non, non », puis remet
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immédiatement le bout de tee-shirt que j’avais retiré et cherche à fuir. J’essaie de lui
réexpliquer les règles du jeu mais rien y fait, Mamadi ne veut pas toucher à ses vêtements.
c) Septième rencontre : « Mamadi, c’est ma poupée »
C’est la reprise de l’atelier « Chorale », les enfants sont ravis et moi aussi. Prise dans
le chant avec eux, je n’observe rien de particulier concernant Mamadi. Mais c’est pendant la
récréation avant d’aller en atelier que quelque chose m’interpelle. A un moment, j’aperçois
Jonathan qui s’amuse à faire tourner Mamadi sur lui-même en le tenant par la capuche.
Mamadi se met à sourire et ne semble pas vouloir résister. Devant tant de passivité, Jonathan
finira même par dire « Mamadi, c’est ma poupée ». C’est la première fois que je le vois
sourire, son visage étant habituellement fermé.
Prendrait-il du plaisir à se faire manipuler ainsi ?
Lors des prochaines séances en groupes que je vais exposer, j’aurais commencé à
rencontrer Mamadi en séances de psychomotricité. Je n’évoquerai donc plus le nombre de
rencontres mais parlerai du nombre de séances.
d) Onzième séance (atelier «Chorale ») : Mamadi, es-tu là ?
Cette séance se déroule après la première séance de psychomotricité.
Après un échauffement debout, les enfants s’assoient par terre en cercle et nous
chantons d’abord tous ensemble le chant qu’ils apprennent depuis le début de l’année, intitulé
« Mon âne ». Nous chantons ensuite un chant que l’éducatrice choisit chaque mois et si
possible selon un thème correspondant au mois en cours. C’est donc pour le mois de janvier,
une chanson sur la galette des rois. Les enfants sont à chaque fois impatients de connaître la
nouvelle chanson du mois et prennent plaisir à l’apprendre tous ensemble. Mamadi, à ce
moment là, ne change pas d’expression et garde un visage fermé.
L’éducatrice propose également aux enfants de chanter seul après un temps de chant en
groupe. Il n’y a bien sûr pas d’obligation, seuls le font les enfants qui en ont envie.
Je remarque à quel point Mamadi peut se montrer discret quand je le retrouve parmi les autres
enfants au sein de l’atelier « Chorale ». Il a parfois l’air d’être « dans sa bulle » tout en restant
physiquement présent dans le groupe. Dans ces moments-là, j’ai l’impression qu’il s’ennuie,
puisqu’il se tient avachi, tenant sa tête dans ses mains.
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Quand nous chantons tous ensemble, il ne chante jamais avec nous et manifeste
rarement l’envie de chanter seul. Cependant, quand l’éducatrice lui propose, il accepte de le
faire mais sa voix est à peine audible. Il n’ouvre pas la bouche et ne desserre pas ses dents,
seules ses lèvres bougent et tentent de faire sortir quelques mots mais ceux-ci sont presque
toujours incompréhensibles.
Pendant le temps de relaxation, chaque enfant s’allonge où il le souhaite dans la pièce
(au sol ou sur un grand canapé) et sont mis à leur disposition des couvertures et des oreillers.
Quand les volets se ferment et la musique commence, les enfants peuvent se reposer. Mamadi
s’installe toujours au même endroit, sur le canapé. Il regarde autour de lui, l’air un peu inquiet
et il n’arrive pas à rester allongé. Je décide donc de m’assoir près de lui et lui demande
d’essayer de se reposer. Mamadi se met à cacher tout son corps sous sa couverture et arrive à
s’apaiser quelques instants mais me demande rapidement où est Jonathan et un autre de ses
camarades qui ne fait pas parti de la chorale. Puis, lorsque je me penche vers lui pour mieux
entendre ce qu’essaie de me dire une autre enfant, il réagit et dit : « Pousse-toi, pousse-toi ».
e) Douzième séance (atelier « Chorale »): regard et imitation
Cette séance se déroule après la deuxième séance en psychomotricité
Lors de cette séance, je remarque que Mamadi regarde souvent un de ses camarades et
se met parfois à imiter ses gestes. Je le vois par exemple mettre ses mains dans ses poches
comme celui-ci. Quand l’éducatrice l’interpelle plusieurs fois pour qu’il se mette à chanter et
à faire les gestes qui accompagnent le chant, Mamadi ne regarde pas ce que fait l’éducatrice
mais se tourne vers cet enfant, observe ses mouvements et tente de les reproduire. Lorsqu’il
lève la main pour chanter seul, c’est juste après que ce camarade ait demandé à chanter.
Quand il chante seul, il regarde le visage de celui-ci avec insistance, comme s’il chantait pour
lui. Son camarade se sentant dévisager, réagit en disant « Pourquoi Mamadi me regarde ?».
Puis, lorsque des enfants chantent seuls, Mamadi se met également à les fixer. Je tente à
plusieurs reprises de le recentrer sur le chant en prenant la feuille avec les paroles de la
chanson écrites et en images et l’invite à la regarder ensemble.
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f) Quatorzième séance (salle de jeux) : seul mais aussi avec nous
Cette séance se déroule après la septième séance en psychomotricité.
L’éducatrice qui anime la chorale est absente. Deux éducatrices prennent le relai et
propose aux enfants d’aller dans une salle de jeux.
Mamadi s’isole rapidement avec un ordinateur en jouet et accepte que je m’installe
près de lui. Jonathan vient rapidement vers lui et lui prend l’ordinateur des mains. Mamadi ne
cherche pas à résister, il se lève et prend un autre jouet et vient se rassoir près de moi.
Jonathan cherche encore à lui prendre le jouet et quand une éducatrice propose à Mamadi de
s’assoir ailleurs pour ne pas se faire embêter, il réagit en disant : « J’ai pas envie ».
Lors de cette séance, il ne jouera à aucun moment avec les autres enfants mais se met
parfois à les regarder en souriant. Cependant, c’est avec moi qu’il décide d’entrer en contact.
En effet, lorsque je joue avec un autre enfant, il vient vers moi avec un personnage de
playmobil et me demande « C’est qui ? ». Puis, il se saisit d’une voiture et me montre le
clown qui est dessiné dessus « Clown, clown ». Je comprends que Mamadi fait référence au
CD sur le cirque que nous écoutons pendant les séances de psychomotricité.
Mamadi passera également beaucoup de temps à sauter d’une petite chaise en bois
vers un oreiller posé au sol et il finit par tomber. L’éducatrice se précipite vers lui pour voir
s’il ne s’est pas fait mal et il répond en se frottant le genou : « J’ai mal ». Mais cela ne
l’empêchera pas de recommencer quelques instants plus tard. Mamadi tente aussi de faire du
toboggan sur un circuit de voiture mais je lui dis qu’il est trop lourd et qu’il va le casser s’il
continue.
Par ailleurs, lors de cette séance, Mamadi questionne sur l’absence d’une des
éducatrices qui a du s’éclipser pour s’occuper de Jonathan : « Elle est où Katie ? ». C’est la
première fois qu’il s’inquiète de l’absence de l’adulte car habituellement c’est celle de
l’enfant qui l’interroge.
g) Dix-septième séance (atelier « Chorale ») : « Moi, moi »
Avant de commencer le chant, nous formons une ronde. Mamadi s’installe pour la
première fois à côté de moi. Comme d’habitude, nous chantons d’abord tous ensemble.
Mamadi se met à chanter avec nous par moment, son visage est plus ouvert.
Il donne l’impression d’être enfin présent au sein du groupe et de s’intéresser à l’activité.
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Puis lorsque l’éducatrice demande aux enfants qui souhaite maintenant chanter seul,
Mamadi lève le doigt en même temps que plusieurs de ses camarades et dit : « Moi, moi » en
parlant fort.
Depuis quelques séances déjà, l’éducatrice propose aux enfants, un nouvel exercice,
celui de se mettre debout quand ils chantent seuls. C’est avec une certaine aisance
qu’aujourd’hui Mamadi se lève pour chanter devant tous ses camarades. Il commence la
chanson en forçant sa voix, puis la diminue au fur et à mesure. Il desserre ses dents, ouvre sa
bouche et nous arrivons à bien comprendre certains mots. Les enfants attentifs,
l’applaudissent et se mettent à chanter chacun leur tour. Mamadi constatant qu’un enfant n’a
pas chanté seul, réagit en disant : « Et Léo ? ».
Lorsqu’il est temps de passer à la nouvelle chanson, l’éducatrice distribue les feuilles
avec les paroles. Pendant la distribution, Mamadi se manifeste en disant : « Moi aussi »,
comme s’il avait peur qu’elle oublie de lui en donner une. Lorsqu’il tient enfin sa feuille entre
ses mains, il me demande en pointant une image : « Amandine, c’est qui ? ». Il me le
demande pour plusieurs images et je finis par lui dire qu’il faut chanter, soucieuse de ne pas
déranger les autres enfants qui chantent.
Quand Jonathan entre dans la salle, il s’assoit sur le canapé et commence à embêter Mamadi
qui lui dit tout de suite « Jonathan arrête, arrête ».
Pendant le temps de relaxation, Mamadi s’allonge comme à son habitude sur le canapé
avec sa couverture « Spider Man », que je l’entends pour la première fois réclamer. Je
m’installe entre lui et un autre enfant et il met ses pieds sur mes jambes. Je m’amuse à les
chatouiller et il se met à rire. Lorsque les volets se ferment et la musique commence, Mamadi
s’agite, regarde autour de lui, comme s’il cherchait à voir si tout le monde était encore là
malgré la pénombre. Il m’appelle plusieurs fois, « Amandine, Amandine », mais je lui
demande d’essayer de se reposer pour ne pas déranger les autres enfants. Mamadi continue de
me solliciter et me demande où est une des éducatrices qu’il ne peut plus voir car elle est
assise par terre à côté du canapé et demande ensuite où sont plusieurs de ses camarades
présents parmi nous « Et Louise, elle est où ? «, « Et David ? ». J’essaie de le rassurer en lui
répondant qu’ils sont à avec nous mais qu’ils se reposent. Mamadi finira par s’assoir près de
moi.
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B/ Les séances individuelles en psychomotricité
a) Première séance: agitation et pleurs
Pour la première séance, Sylvie, la psychomotricienne n’impose pas de cadre, elle
préfère voir ce qui sera amené par Mamadi. Elle met en général à la disposition des enfants
deux espaces différents : une salle de jeux et un bureau séparé par une porte.
Lorsque nous allons chercher Mamadi dans la cour pendant la récréation, il est
immédiatement dans le refus de venir avec nous. Il nous tourne le dos et répète plusieurs fois
le prénom d’une enfant : « Léa ». Cette enfant allait effectivement en psychomotricité sur ce
créneau qui est maintenant réservé à Mamadi mais pour lui ce n’est pas l’heure de sa séance.
Il finira par accepter de venir avec nous à la fin de la récréation en donnant la main à Sylvie.
Juste après avoir franchi la porte du bâtiment du service thérapeutique, Mamadi se met
à crier, monte en courant les escaliers qui se trouvent tout près et grimpe sur la rampe en
étalant tout son corps dessus. La psychomotricienne lui demande de redescendre pour ne pas
qu’il se blesse et il lui tend les bras pour qu’elle le porte, puis se remet à crier.
Une fois arrivé dans le bureau, Mamadi se précipite dans la salle de jeux qui se trouve
juste à côté et se met à faire des cris de bébés. Il s’éparpille très vite, en grimpant sur des gros
ballons et en s’allongeant dessus, il monte sur les radiateurs situés sous des fenêtres et une
fois dessus, il colle son corps contre celles-ci. Il tombe plusieurs fois et finit par se faire mal
en se cognant le pied. Il se met à pleurer mais j’aperçois en même temps un sourire sur son
visage. La psychomotricienne le soulage en lui caressant le pied mais Mamadi regarde autour
de lui et ne semble pas s’intéresser à ce pied blessé. La psychomotricienne lui explique que
c’est dangereux de monter sur les ballons car ils roulent et n’ont pas de pieds comme nous.
Pendant la séance, il touchera également à tous les objets qui l’entourent. Il tape sur un
tam tam africain, enroule une corde autour de lui, prend un jouet qui vibre en forme de
serpent, l’ouvre et enlève la pile qui se trouve à l’intérieur.
Au moment de repartir, il ne prend pas le temps de regarder ses pieds et met ses chaussures à
l’envers.
Lors de cette séance, il a été difficile de me trouver une place car Mamadi allait dans tous les
sens et la psychomotricienne essayait tant bien que mal de le protéger de ses mises en danger.
Je suis troublée par cette différence d’attitude entre les séances en groupe et cette première
séance en psychomotricité, à tel point que j’ai eu l’impression d’avoir à faire à un autre
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enfant. Mamadi ne semble pas avoir conscience du danger ou cherche-t-il simplement à
attirer notre attention ?
b) Deuxième séance : Mamadi ou Jonathan ?
Pendant cette séance, Mamadi est dans le même fonctionnement qu’à la séance
précédente. Il est très éparpillé et bien qu’on ait pris soin d’enlever quelques gros ballons, il
grimpe encore sur les radiateurs pour se coller aux fenêtres ou s’allonge parfois au sol en
agitant son corps.
Mamadi s’oppose à tout ce qu’on lui propose et se montre plusieurs fois agressifs
envers la psychomotricienne. Il lui donne des coups de pieds, coups de mains, cherche à la
mordre et se met également à l’insulter : « Ta gueule ». J’ai vraiment l’impression qu’il
reprend
toute l’attitude de Jonathan, enfant dont il questionne régulièrement l’absence,
comme s’il se mettait à l’incarner.
J’ai également le sentiment que Mamadi n’a pas conscience de ma présence. En effet,
tous ses élans agressifs sont tournés vers Sylvie et non vers moi et il ne me regarde pas.
c) Troisième séance : premier jeu à trois
A partir de cette séance, nous décidons avec la psychomotricienne de lui imposer un
cadre dans le but de l’aider à se rassembler. Nous l’obligeons donc à passer un temps dans le
bureau avant d’accéder à la salle, que nous prenons soin de fermer afin qu’il ne s’y aventure
pas avant que nous l’ayons décidé.
D’abord dans le refus de rester dans le bureau, Mamadi se met ensuite à explorer le
poste audio et accepte que nous soyons autour de lui. Il s’amuse à l’ouvrir, le fermer, à
appuyer sur tous les boutons, à introduire des CDs, les enlever. Il manipule le poste en faisant
des gestes brusques, referme les boîtiers de CD violemment et ne prend pas le temps
d’écouter une seule chanson.
Nous lui proposons ensuite de jouer à faire des bulles avec un tube rempli d’eau et de
savon. Mamadi accepte et se met à faire des bulles qu’il souffle vers le mur. Je lui propose à
ce moment là d’introduire ma main afin de confronter une de ses bulles à celle-ci et lui
montrer qu’elles peuvent se détruire également au contact de notre corps, dur comme le mur.
La psychomotricienne fait de même. Mamadi se met ensuite à renverser toute l’eau du tube
par terre.
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Ce jeu a permis d’installer une certaine triangulation. En effet, il accepte que nous jouions
tous les trois ensembles même si le moment ait été de courte durée.
d) Quatrième séance : attaque du cadre
Mamadi est de nouveau dans une grande agitation. Il manifeste rapidement
verbalement l’envie de sortir : « Sortir, sortir » mais ne se dirige pas pour autant vers la porte.
Sylvie lui propose d’écouter de la musique, il refuse verbalement mais se dirige quand même
vers le poste et choisit d’écouter un CD de musique de cirque, seul temps qui l’apaisera un
peu. Je remarque qu’il manipule le poste avec plus d’attention et de façon moins compulsive
que précédemment et prend même le temps d’écouter de la musique.
Sylvie lui propose ensuite plusieurs choses pour essayer de le canaliser (jeu de bulles,
pâte à modeler…) mais refuse de nouveau: « Non pas pâte à modeler ». Il décide en même
temps d’ouvrir le placard où se trouve la pâte à modeler et choisit de prendre une boîte qu’il
ouvre et des billes se mettent à rouler au sol. Nous nous précipitons à les ramasser pour ne pas
tomber en marchant dessus.
J’ai l’impression à ce moment-là d’être soumise à Mamadi, qu’il est tout puissant. Je suis
agacée que nous ne parvenions pas à le canaliser.
Quand il demande à entrer dans la salle de jeu, nous lui refusons l’accès car ce n’est
pas encore le moment d’y aller. Nous essayons tant bien que mal de respecter le cadre que
nous avons fixé.
Une fois dans la salle, Mamadi se précipite vers la mallette du docteur que nous avons
rajouté parmi les autres jouets. Il s’y désintéresse vite mais nous lui proposons de jouer tous
les trois. Il est de nouveau dans le refus mais se saisit quand même d’une boîte de médicament
vide et l’ouvre pour voir ce qu’il y a à l’’intérieur. Il pénètre ensuite dans un tunnel en tissu et
cherche à se mettre debout et continue même quand nous lui expliquons que son corps est trop
grand pour tenir debout dans le tunnel.
De retour dans le bureau pour clôturer la séance, Mamadi demande régulièrement où
sont plusieurs de ses camarades et pas seulement Jonathan. Il se met même à regarder sous le
rideau en disant : « Jonathan est là ? ». La psychomotricienne lui propose pour le rassurer
d’écrire le prénom des camarades dont il parle et de dessiner leur bonhomme.
Lors de cette séance, Mamadi manifestera de fortes contradictions entre ses paroles et ses
actes. Il ne semble pas savoir ce qu’il veut et a besoin d’être guidé. Ainsi, nous prenons
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conscience qu’il paraît important de lui imposer notre présence pour lui apporter une
sensation de contenance.
e) Cinquième séance : « J’ai envie »
Pendant le trajet pour aller en psychomotricité, Jonathan nous suit mais Mamadi le
repousse avec son bras, comme s’il cherchait à lui signifier que ce moment avec nous, il ne
souhaite pas le partager.
En arrivant devant la porte du bureau, Mamadi s’effondre, s’allonge au sol en appelant
son institutrice : « Eva, Eva », écarte ses bras et met ses jambes en l’air. Nous comprenons
qu’il souhaite refaire le jeu que nous avions fait une fois lorsqu’il ne souhaitait pas aller en
séance avec nous. Nous le prenons donc chacune d’un côté et nous le soulevons pour le faire
sauter et disons : « 1, 2, 3 sauter ». Mamadi se met à rire et à crier en même temps.
Une fois dans le bureau, il se dirige vers le poste, objet qu’il investit depuis plusieurs
séances et qui semble l’apaiser. Il choisit de nouveau d’écouter le CD du cirque.
La psychomotricienne propose ensuite de jouer avec la pâte à modeler. Je commence à
ouvrir le pot pour l’inciter à m’accompagner mais il me le prend des mains et cherche à le
refermer. Il va chercher un tube rangé dans le placard avec lequel il avait pu jouer très
furtivement lors d’une séance précédente et peut enfin se mettre à jouer. Je fais des boudins et
il en fait un par imitation. Il demande où est un enfant alors qu’il manipule tranquillement la
pâte à modeler. Il prend ensuite un gros morceau de pâte qu’il essaie de faire rentrer dans le
tube avec l’aide de ses doigts et tente de le faire ressortir par l’autre côté. Mamadi s’amuse de
manière répétée à remplir et vider le tube de pâte à modeler.
Puis nous allons dans la salle de jeu où nous avons disposé des couvertures au sol afin
de lui donner l’impression d’être davantage contenu et mis un sac de danse contemporaine qui
a seulement une ouverture au niveau de la tête. Il se saisit rapidement du sac de danse, se
glisse à l’intérieur et demande ensuite à fermer la porte de la salle : « Fermer la porte » qui
permet de la séparer la salle du bureau.
Puis il se dirige vers les ballons et cherche à enlever tous les bouchons avec sa bouche
et dégonfle un peu chaque ballon. Je lui dis qu’il peut également le faire avec ses mains mais
continue de le faire avec sa bouche. Il se met à enlever le bouchon du gros ballon mais
Sandrine le stoppe en lui disant qu’il ne faut pas enlever celui-là car c’est dur pour le
regonfler. Il réagit en disant « J’ai envie, j’ai envie ».
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f) Sixième séance : Mamadi d’abord
Il se dirige vers le poste en premier. Il écoute d’abord le CD du cirque mais choisit
aujourd’hui d’en écouter un autre, un CD de rap, puis s’amusera à les alterner. Il aura le
sourire tout le temps où il écoutera la musique mais quand je tente d’entrer en relation avec
lui en lui demandant quel CD il choisit de mettre, il ne me répond pas.
Nous jouons ensuite avec la pâte à modeler. Nous nous asseyons tous les trois autour
du bureau. Mamadi se met à faire un boudin en me regardant et me le donne puis il prend le
boudin que j’ai fait et le met dans le tube. Il me tend ensuite le tube pour que je l’aide à faire
sortir le boudin qu’il a mis à l’intérieur. L’activité ne durera que quelques minutes mais j’ai le
sentiment à ce moment là qu’il découvre enfin ma présence.
Une fois dans la salle, Mamadi se saisit de nouveau du sac de danse et l’enfile très
rapidement en nous demandant cette fois-ci de l’aider : « Peux m’aider ».
Nous jouons ensuite avec la mallette du docteur et quand je demande qui nous allons soigner
aujourd’hui entre nous trois, il répond : « Mamadi ».
De retour dans le bureau pour clôturer la séance, nous lui proposons un temps
d’écriture des prénoms des enfants dont il questionne l’absence, comme nous l’avons déjà fait
précédemment. Aujourd’hui c’est moi qui l’accompagne dans son écriture en lui tenant la
main et lorsque je lui demande qui il souhaite écrire en premier, il me répond « Mamadi »,
alors qu’habituellement, il souhaite écrire son prénom après celui de ses camarades. Nous lui
proposons ensuite d’entourer les prénoms de chaque enfant pour lui signifier que chacun est
différent.
g) Septième et huitième séances: jeux à trois et contact physique
Septième séance :
Une fois dans le bureau, Mamadi se précipite vers le poste sans prendre le temps
d’enlever son manteau. Quand nous lui demandons de le faire avant d’écouter de la musique,
il enlève son manteau à toute vitesse, le jette par terre et retourne près du poste. Il se saisit du
boîtier de CD du cirque, où se trouvent cette fois-ci trois disques différents à l’intérieur. Il
s’amuse à introduire un CD, écoute pendant quelques secondes une chanson, puis l’enlève et
en réintroduit un autre. Puis, il dit : « Clown ». Nous comprenons qu’il souhaite écouter le CD
du cirque qui ne se trouve pas dans le bon boîtier.
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Lorsqu’il choisit d’introduire un CD qu’il n’avait encore jamais vu, il demande à la
psychomotricienne ce qui est écrit dessus en pointant son doigt sur une écriture du CD et en
disant « C’est qui ? ». C’est un CD de hits de la radio NRJ. Il lui posera plusieurs fois cette
question, en pointant différents endroits du CD où se trouvent des écritures, ou en remontrant
les mêmes. Mais quand la psychomotricienne lui retourne la question, il ne répond pas. Puis,
Mamadi fait d’abord défiler plusieurs fois toutes les chansons sans prendre le temps de les
écouter et finit par s’arrêter sur la chanson n°2, une musique de Muse. Pour la première fois,
il prend le temps d’écouter la chanson entièrement. Pendant toute la chanson, il acceptera de
se faire toucher par la psychomotricienne qui s’amuse à taper sur son dos au rythme de la
musique. Mamadi a l’air concentré, il écoute la chanson en mettant ses coudes sur le bureau,
la tête dans ses mains et le regard baissé. Nous nous mettons à chanter avec Sylvie : « T’as
vu, on pourrait faire une chorale avec Amandine ? » Mamadi se met à me regarder en
souriant. Il s’amuse ensuite à faire varier les sons en passant d’un extrême à l’autre : « DJ
Mamadi aux platines ! » Quand il met très fort, je me bouche les oreilles et lui dit en souriant
que c’est trop fort. Il continue de le faire et m’observe en attendant ma réaction qui le fait rire.
La psychomotricienne décide à un moment de le prendre sur ses genoux. Mamadi ne résiste
pas et se laisse porter. Il se met même à bouger le haut de son corps au rythme de la musique.
Une fois dans la salle, il dit « ballon s’il te plaît » et je comprends qu’il souhaite
reprendre un ballon de baudruche avec lequel il avait pu jouer très furtivement à la séance
précédente. Sylvie va en chercher un nouveau dans son bureau et montre à Mamadi comment
le gonfler. Il le met à son tour dans sa bouche mais n’y arrive pas. Il demande à Sylvie de
l’aider « peux m’aider » et essaie de nouveau sans succès. Il me tend ensuite le ballon pour je
le gonfle à mon tour. Je le gonfle un peu et m’amuse à le dégonfler sur son visage, ce qui le
fait rire. Mamadi me le reprend des mains et se regarde cette fois dans le miroir pour tenter de
le gonfler. Il sourit et est attentif à son image reflétée par le miroir. Il s’amuse à mordiller le
ballon en sortant ses dents tout en continuant de se regarder et dit « Mes dents ».
Lorsqu’il est l’heure de repartir, habituellement, Mamadi nous attend mais cette fois-ci
il se précipite dans le couloir après avoir remis son manteau. Nous le retrouvons dehors et
quand il nous aperçoit, il se met de nouveau à courir et se cache derrière une voiture, en
faisant apparaître, puis disparaître sa tête. Il revient rapidement vers nous et tend sa main
d’abord vers moi en disant « Au revoir », puis vers la psychomotricienne, alors que
d’ordinaire, il fait l’inverse.
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C’est la première séance où j’ai vraiment l’impression qu’il cherche à entrer en relation avec
nous avec un certain plaisir.
Huitième séance :
Une fois dans le bureau, il se précipite de nouveau vers le poste sans prendre le temps
d’enlever son manteau et ses chaussures. Il réclame ensuite le CD « NRJ », puis l’insère dans
le poste. Il s’arrête sur la musique n°2 : Muse. Il se met à sourire quand la musique commence
et prend le temps de l’écouter. Lors des séances précédentes, nous avions pris l’habitude que
ce soit la psychomotricienne qui s’assoit près de Mamadi qui est debout face au poste posé sur
le bureau et moi je me situe en face, assise. Mais aujourd’hui, la psychomotricienne me
propose de prendre sa place. Cela ne semble pas perturber Mamadi qui insère un CD dans le
lecteur. Puis lorsqu’il en choisit un autre, il demande à la psychomotricienne de lui lire ce qui
est écrit dessus et me le demande à moi également en pointant une autre écriture sur le CD.
Lorsqu’il insère le CD, je lui demande ce qu’il met et il me répond : « NRJ ». Quand nous
annonçons qu’il est temps d’aller dans l’autre salle, Mamadi prend soin de bien remettre les
CDs dans le boîtier.
Une fois dans la salle, il manifeste rapidement l’envie de jouer avec les ballons de
baudruche en disant : « Mon ballon ». Quand Sylvie lui en donne un, il me le tend pour que je
le gonfle en répétant plusieurs fois mon prénom. J’ai à peine le temps de le gonfler qu’il veut
me le prendre et le met dans sa bouche encore gonflé de mon air. Il va se regarder dans le
miroir et est attentif aux mouvements qu’il s’amuse à faire avec ses joues. Il ne cherche pas à
gonfler le ballon davantage. Il maintient quelques instants l’air que j’ai mis à l’intérieur, puis
finit par l’aspirer jusqu’à le vider complètement. Il demande ensuite à Sandrine de le gonfler à
son tour « A Sandrine, à Sandrine » et refait la même chose qu’avec moi. Il s’amuse plusieurs
fois à nous demander de le gonfler chacune notre tour « A Amandine », « A Sandrine » et à le
mettre dans sa bouche encore gonflé de notre air. Il jouera ensuite à grimper sur des poufs
tout en gardant son ballon à la bouche et je lui propose de redescendre en me sautant dans les
bras. Il le fait et se laisse porter en se regardant dans le miroir juste en face de nous.
C/ Dynamique relationnelle
Depuis le début de mon stage, beaucoup d’enfants sont venus facilement vers moi et
m’interpellent régulièrement quand je les croise. Mais ce n’est pourtant pas l’un d’entre eux
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que je choisis de prendre dans le cadre de mon mémoire mais Mamadi, petit garçon discret
qui se met facilement à l’écart des autres. Je suis d’ailleurs un peu vexée dans un premier
temps qu’il ne vienne pas vers moi ou me fuit quand je vais vers lui. C’est comme s’il ne
semblait pas voir que je suis là, tout comme je le remarque difficilement lors de nos premières
rencontres. Mais son comportement au sein du groupe m’interpelle de plus en plus et son
attitude en séance de psychomotricité ne fait que confirmer mon désir d’en découvrir
davantage sur cet enfant.
Au fur et à mesure de nos rencontres, Mamadi entre de plus en plus en relation avec
moi à la fois physiquement (en me prenant la main par exemple) et verbalement. Je suis ravie
de ce lien qui s’instaure entre nous. C’est un petit garçon que je trouve au fil de nos échanges
de plus en plus attachant et surprenant.
Je rencontre toujours Mamadi à ce jour, ce qui ne me permet pas de faire cette analyse
de la dynamique relationnelle dans l’après-coup.
D/ Problématique
Dans cet exposé de données cliniques, on peut remarquer une évolution dans l’attitude
de Mamadi entre nos premières rencontres et les dernières, que ce soit à l’atelier « chorale »
ou en psychomotricité. Je peux directement constater cette évolution à travers la dynamique
relationnelle qui s’est établie entre Mamadi et moi lors de nos deux modes de rencontres.
Nous sommes face à un enfant qui se construit. En effet, d’abord aux prises avec ses
angoisses, il semble progressivement s’ouvrir à son environnement.
Cette évolution m’amène à poser la problématique de ce mémoire de recherche de la façon
suivante :
Comment un espace contenant, lui permet-il de passer de la lutte contre ses angoisses
archaïques à l’expérience de soi ?
Synthèse
Je rencontre Mamadi à la fois sur un mode groupal, lors de différentes activités ou de
l’atelier « chorale » et sur un mode individuel en séances de psychomotricité. Lors de la première
séance de psychomotricité, je ne reconnais pas l’enfant que je découvre en groupe. Comme envahi
par l’angoisse, il cherche un moyen de lutte contre celle-ci mais nous tentons de l’aider à apaiser
ses angoisses en lui offrant un cadre sécurisant, favorisant ainsi une construction de soi.
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III/ ARTICULATION THEORICO-CLINIQUE
Dans cette partie, j’ai choisi d’aborder différents concepts théoriques abordés par
divers auteurs et qui me semblent être au plus près de ce qui se passe actuellement pour
Mamadi. Je mettrai en parallèle la théorie et le matériel clinique que j’ai présenté
précédemment en rapport avec sa difficulté à être.
A/ De la lutte contre ses angoisses…
a) Relation à l’autre et sentiment d’exister
Lors de nos premières rencontres, je constate que Mamadi s’isole facilement, ne joue
pas avec les autres enfants. Il évite également toute forme de contact avec l’adulte, sauf pour
questionner l’absence d’un tel ou un tel de ses camarades. Ainsi, même si Mamadi ne joue pas
avec ses camarades, il n’ignore pas pour autant leur présence puisqu’il questionne son
absence.
Ce qui me frappe ensuite très rapidement, c’est son attitude d’imitation de l’enfant. Il
peut en effet reproduire de façon troublante les gestes de ses camarades, répéter ses paroles ou
se mettre à faire les mêmes activités.
C’est aussi le regard de Mamadi sur les visages de ses camarades lors de l’atelier
« chorale » qui m’a questionnée. Ce regard, souvent intense, se répètera lors des séances.
C’est comme s’il cherchait quelque chose à l’intérieur de l’autre. J’ai associé cette recherche
du regard au stade du miroir de Lacan auquel Winnicott (1971) associe le visage de la mère. Il
explique que le regard de la mère est précurseur du miroir. Le bébé se sent existé à travers le
regard de sa mère, ainsi il perçoit son Moi. En effet, généralement ce que voit le bébé quand il
tourne son regard vers le visage de sa mère, c’est lui-même (Winnicott, 1971). Ainsi, Mamadi
chercherait le regard de l’autre, de la même façon qu’un bébé recherche le regard de sa mère
pour lui permettre d’élaborer son Moi et ensuite être capable d’exister et enfin pouvoir se
sentir réel, c'est-à-dire « trouver un moyen d’exister soi-même pour se relier aux objets en tant
que soi-même et pour avoir un soi où se réfugier afin de se détendre. » (Winnicott, 1971,
p.161). Winnicott (1971) explique également que lorsque la mère ne reflète pas par son regard
le Moi du bébé, celui-ci regarde mais ne se voit pas, il est confronté à une expérience dans
laquelle il ne reçoit pas ce qu’il est en train de donner. Si cette expérience dure trop longtemps
elle entraîne une atrophie de la capacité créative et le bébé « recherche un autre moyen pour
que l’environnement lui réfléchisse quelque chose de lui-même » (ibid, p.155). Ainsi, la
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recherche du regard de l’autre serait pour Mamadi le moyen de percevoir quelque chose de
lui-même, un moyen d’éprouver son sentiment d’existence. Lorsqu’un enfant a pu réagir à
son regard en disant « Pourquoi Mamadi me regarde ? », cela pourrait lui provoquer cette
impression : « Quand je regarde, on me voit, donc j’existe » (Winnicott, 1971, p.158).
Cependant, le visage de l’enfant ne semble pas assurer pleinement ce rôle de miroir,
puisque c’est dans l’identification massive à celui-ci que Mamadi choisit de se réfugier,
comme prisonnier du miroir, si l’on se réfère cette fois au stade du miroir de Lacan (1949).
L’enfant vient donc directement à la place de Mamadi. En l’invitant à se centrer sur autre
chose, comme regarder la feuille avec les paroles de chanson, je tente d’être un tiers lui
permettant un instant de se désidentifier, tel un père qui permet à l’enfant de se séparer de sa
mère lorsqu’il est dans une relation fusionnelle avec elle. On peut supposer chez Mamadi, un
père plutôt absent de par sa fonction de matelot et cela ne lui aurait pas permis de percevoir le
désir de son père pour la mère qui a pour fonction essentielle de séparer l’enfant et la mère, en
prenant la place de tiers. Ainsi Mamadi est resté fixé à un stade primaire de son
développement psychoaffectif, avec une identification primaire où l’enfant ne se différencie
pas de sa mère, permettant seulement l’illusion d’un Moi (narcissisme primaire) (Freud,
1981).
Lors des premières séances en psychomotricité face à deux adultes, Mamadi n’entrera
en relation qu’avec la psychomotricienne, me sentant inexistante. Cela prouve sa difficulté à
accéder à la triangulation. N’ayant pas d’accès à l’œdipe et à la fonction du tiers, Mamadi est
dans la dynamique des stades prégénitaux et est confronté à la recherche d’un sentiment
continu d’exister qui pourrait lui permettre d’entamer un mouvement de séparationindividuation.
b) La question de l’absence et de la séparation
Mamadi questionne souvent l’absence de ses camarades et plus tard celle de l’adule
que ce soit à l’atelier « Chorale » ou en séances de psychomotricité. En atelier « Chorale »,
c’est surtout au moment de la relaxation, lorsqu’il est allongé sur un canapé ne pouvant ainsi
plus percevoir tous les enfants, comme lorsqu’on est en rond pour chanter et que la lumière
s’éteint C’est lors de la phase de séparation-individuation décrite par Malher (1980) que
l’enfant acquiert la notion de permanence de l’objet. Ce qui est essentiel c’est la question de
la permanence sur le plan psychique de l’objet affectif. On peut supposer qu’il ne l’a acquise
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que partiellement car il remarque l’absence, mais il n’y pas cette inscription de l’objet sur le
plan psychique, puisque lorsque l’autre n’est plus là, où ne le voit plus, l’angoisse apparaît.
Mamadi a semblé expérimenter cette question de l’absence lorsqu’il s’est mis à se
cacher derrière une voiture mais dégage plusieurs fois sa tête de celle-ci comme pour vérifier
si nous étions toujours présentes, même s’il ne nous voyait plus.
Cette non acquisition totale de la permanence de l’objet, ne permet pas à Mamadi
d’être seul au sens de Winnicott car « La capacité d’être seul repose sur l’existence, dans la
réalité psychique de l’individu, d’un bon objet. Le bon sein ou le bon pénis intériorisés, ou les
bonnes relations intériorisées, sont suffisamment bien établis et défendus pour que l‘individu
ait confiance dans le présent et dans l’avenir…il est capable d’être heureux, même en
l’absence d’objets et de stimulations externes. La maturité et la capacité d’être seul impliquent
que l’individu a eu la chance, grâce à des soins maternels suffisamment bons d’édifier sa
confiance en un environnement favorable » (1958, p.328). Le paradoxe de Winnicott est que
la capacité d’être seul est basée sur l’expérience d’être seul en présence de quelqu’un. Si cette
première expérience fondamentale de la vie du bébé n’est pas suffisante, la capacité d’être
seul, donc le pouvoir d’être séparé ne parviendra pas à se développer (Winnicott, 1958).
Par ailleurs, au vue de ce que j’ai pu dire précédemment, on peut postuler que Mamadi
souhaite garder un bon objet présent pour pouvoir s’appuyer dessus et garder un sentiment
continu d’exister. En effet, n’ayant pas acquis un self unitaire et donc non différencié du corps
de sa mère « psychologiquement, l’enfant prend au sein ce qui est partie de lui-même, et la
mère donne du lait à un bébé qui fait parti d’elle » (Winnicott, 1971, p.22). Si l’enfant est
confronté à la perte du sein, au moment où il a encore besoin d’expérimenter sa continuité
avec, l’enfant peut vivre ce sevrage comme un arrachement d’une partie de soi et « a
l’impression de ne plus rien avoir à quoi se raccrocher » (Tustin, 1986, p.129). Cette absence
non symbolisée laisserait alors comme un « trou ». En effet, « les patients qui sont enclin à
des modes de comportements autistiques ont connu une perturbation traumatisante de cet état
primitif de communion. Ce qui veut dire que au lieu d'un noyau psychique qui maintient leur
cohérence, ils ont un sentiment de perte dont ils n'ont pas fait le deuil, un trou noir » (Tustin,
1986, p.30).
Ainsi, Mamadi lors des premières séances en psychomotricité est complètement
éparpillé, comme si l’absence de l’enfant dont il ne semble pas se différencier, le confrontait
de nouveau à une perte de soi contre laquelle il cherche à lutter. Mais par quels moyens ?
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c) Son corps, ses limites : à la recherche d’un contenant
C’est donc un enfant complètement agité que je découvre lors des premières séances
de psychomotricité. A travers cette agitation, c’est comme s’il cherchait à mettre son corps en
contact avec la surface des objets. En effet, il monte sur les radiateurs pour se coller contre les
fenêtres, s’allonge sur les ballons, sur la rampe d’escalier et parfois au sol. Ne chercherait-il
pas à travers le collage à ces objets un moyen de se protéger contre une angoisse
d’anéantissement ? Tustin (1981) emploie le terme d’objet autistique pour évoquer un type
d’objet dont la particularité est d’être utilisé par l’enfant d’une façon qui ne correspond pas à
sa fonction. Essentiel à l’enfant, ils sont subjectivement vécus comme faisant partie de son
corps propre. Ils servent à combler la perte initiale, celle du sein de la mère, qu’il a éprouvé
comme la perte d’une partie de son corps. Mamadi revivrait-il cette perte lorsqu’il se retrouve
séparé de l’enfant ? Ces objets sont appréciés pour les sensations corporelles qu’ils procurent
et principalement pour leur qualité de dureté : « La dureté aide l’enfant mou et vulnérable à se
sentir en sécurité dans un monde qui parce ce qu’il parait gros de dangers indicibles, le plonge
dans un indescriptible état de terreur. En s’appuyant sur ses objets autistiques, il évite de
prendre conscience de la séparation corporelle et forme en lui l’illusion de pouvoir résister
aux empiétements qui proviennent du monde extérieur « non-moi » » (Tustin, 1986, p.201).
Lors des premières séances en psychomotricité, Mamadi me paraissait dans cette quête
permanente de sensations corporelles. Le contact à ces objets lui permettrait d’éprouver les
contours de son corps, se sentant plus solide à leur contact, devenant lui-même dur et fort
(Tustin, 1981). Il se trouve comme en fusion avec eux. Ainsi, l’objet dur aide l’enfant à se
sentir existé. Il recherche à travers le contact aux objets, des limites corporelles vécues
comme floues et à avoir la sensation que lui aussi est dur et qu’il peut tenir solidement et être.
Il prendra également dans ses mains des objets durs qu’il cherche souvent à déposséder de
leur contenu, comme pour s’approprier le contenant. C’est le cas par exemple, lorsqu’il vide
l’eau du tube à bulle, ou enlève les piles d’un jouet.
Ainsi, on peut supposer, que ces objets durs dont il se saisit ou contre lesquels il colle
son corps auraient pour fonction « d’entretenir l’illusion d’une carapace, ils font
complètement obstruction à toute prise de conscience du non-moi. » (Tustin, 1981, p. 148).
Par ailleurs, si Mamadi choisit d’entrer en fusion avec l’objet principalement en
grimpant dessus, on peut supposer qu’il cherche aussi à maîtriser cette peur de perte de soi qui
se présente sous d’angoisse de chute. En effet, « parfois les enfants très habiles sur le plan
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moteur (ce qui est le cas de Mamadi) organisent une sorte de jeu stéréotypé à grimper/glisser
ou bien font les équilibristes sur des petits rebords d’architecture ou de mobilier. Là aussi,
nous avons confirmation, dans de nombreuses observations, que ce type de conduite
stéréotypée sert à maîtriser l’angoisse de chute. » (Haag, 1996, p.210). Winnicott parle d’une
« mère suffisamment bonne » qui assure comme première fonction, le maintien de l’enfant et
par ce soutien à la fois physique et psychique répété, elle lui permet de se sentir tenu et de
lutter contre les angoisses inimaginables. Ainsi, « le suffisamment bon pour l’enfant est qu’il
puisse trouver le bras porteur au sens large qui lui permette de lutter activement contre
l’angoisse fondamentale de départ qui est l’angoisse de tomber. » (Delion, 1997, p.53)
Les angoisses de Mamadi semblent également se situer au niveau du toucher. La
première a été de savoir s’il considérait ses vêtements comme étant une partie intégrante de
lui. En effet, lorsque j’ai touché à ses vêtements lors d’une activité en groupe, il s’est mis à
crier et à fuir comme si je tentais de lui arracher sa peau. Ses vêtements représenteraient alors
sa peau et une possible angoisse de perte de celle-ci expliquerait-elle son intolérance à les
toucher ?
De plus, à plusieurs reprises, Mamadi a pu avoir un mouvement de fuite lorsque je
m’approchais de lui ou a pu dire « Pousse-toi » quand nos deux corps avaient failli se toucher,
craignant encore de voir sa peau se détruire. Lors des séances en psychomotricité, le toucher
est souvent associé à des cris et de l’agitation. Tout cela est le signe qu’un sentiment
d’enveloppe existe, que sa peau physique définit une limite psychique entre lui et le monde
extérieur, mais c’est une limite très fragile qu’il craint de voir détruire et qu’il cherche à
renforcer à l’aide d’objets durs. En effet, Haag précise que « les angoisses de perte de la peau
surviennent au moment de la récupération suffisamment avancée du sentiment d’enveloppe »
(1996, p.213). Mais lorsqu’il se laisse envahir physiquement par un enfant sans aucune
résistance, cette limite entre lui et le monde extérieur parait alors inexistante. A défaut de
pouvoir être, choisit-il d’être l’objet de l’autre ? E. Bick (1968) postule que les parties de la
personnalité sont ressenties comme n’ayant aucune force liante entre elles, tombant en
morceaux, à moins d’être tenues massivement ensemble grâce à la peau qui fait office de
limite, de frontière. C’est l’introjection d’un objet externe contenant qui donne à la peau sa
fonction de frontière. Mamadi n’ayant pas introjecté l’objet au cours des phases précoces de
son développement, il utilise actuellement l’objet externe pour combler sa défaillance
corporelle car celui-ci présente des fonctions contenantes.
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Nous pouvons poser l’hypothèse que le Moi de Mamadi n’est pas intégré car
l’intégration de celui-ci « se fonde sur un moi corporel, mais c’est seulement quand tout se
passe bien que la personne du nourrisson commence à se rattacher au corps et aux fonctions
corporelles, la peau étant la membrane-frontière. » (Winnicott, 1965, p.13) Le corps de
Mamadi ne permet pas les échanges entre le dedans et le dehors, et d’être utilisé comme
fonction contenante. Ainsi, pour créer son Moi, il doit avant tout créer son Moi corporel,
comme figure contenante de son Moi psychique.
Je n’ai pas assez d’éléments anamnestiques me laissant penser que Mamadi a vécu
dans un environnement défaillant où il aurait subi des carences maternelles, je ne peux que le
supposer au vue de ce qu’il manifeste. Or, d’après la théorie de Winnicott (1971), les carences
maternelles ont des conséquences importantes sur le développement de l’enfant et notamment
sur la construction du self. La construction de ce dernier se base sur l’expérience du sentiment
continu d’exister. La carence maternelle « provoquent des phases de réactions aux
empiètements et ces réactions interrompent la « continuité d’être » de l’enfant. Un excès de
cette réaction n’engendre pas la frustration mais représente une menace d’annihilation : c’est,
selon moi, une angoisse primitive très réelle. » (Winnicott, 1956, p. 289)
B/ …A l’expérience de soi
a) Vers une utilisation de l’objet
Lors des premières séances comme j’ai déjà pu le dire précédemment, Mamadi était
surtout dans une recherche de sensations corporelles et ne jouait pas. Face à tant d’éclatement,
nous décidons lors de la troisième séance de lui proposer un cadre plus contenant lui
permettant de se rassembler. Nous lui imposons tout simplement de passer un premier temps
dans le bureau, avant d’aller dans la salle. Winnicott insiste sur l'idée que « le travail du
thérapeute vise à amener le patient d'un état où il n'est pas capable de jouer à un état où il est
capable de le faire. » (1971, p.55). « Si le jeu est essentiel, c'est parce que c'est en jouant que
le patient se montre créatif…C’est seulement en étant créatif que l’individu découvre le soi. »
(Winnicott, 1971, p.76). Ainsi, ce cadre devenu plus contenant a incité Mamadi à utiliser les
objets qui l’entourent et à accepter les jeux que nous lui proposons, le situant ainsi dans une
aire intermédiaire, au sens de Winnicott (1971). « L’aire intermédiaire à laquelle je me réfère
est une aire allouée à l’enfant, qui se situe entre la créativité primaire et la perception
objective basée sur l’épreuve de réalité » (Winnicott, 1971, p.21).
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Le premier objet qu’il choisit d’utiliser est le poste audio. « L’objet est en train d’être
trouvé au lieu d’être placé dans le monde par le sujet » (Winnicott, 1971, p.131). Mamadi
traite au départ cet objet avec agressivité, comme cherchant à le maitriser en tapant fort sur les
différents boutons, en l’ouvrant et fermant violemment. Il répétera la manipulation de celui-ci
lors de toutes les séances suivantes en ne cherchant plus à le maîtriser mais en tenant compte
de sa fonction, celle d’écouter de la musique. « La destructivité, à laquelle s’ajoute la
survivance de l’objet à la destruction, place celui-ci en dehors de l’aire des objets établis par
les mécanismes projectifs mentaux du sujet. Ainsi, se crée un monde de réalité partagée que le
sujet peut utiliser et qui peut envoyer en retour dans le sujet une substance autre-que-moi. »
(Winnicott, 1971, p. 131).
Ainsi, cet objet qu’il sera capable d’utiliser peut-il être considéré comme un objet
transitionnel ? L'objet transitionnel est défini par Winnicott (1971) comme la première
possession « non moi » de l'enfant. Il n'est pas comme l'objet autistique, un substitut de la
mère, mais il peut malgré tout remplacer la mère un temps pour aider l'enfant à supporter son
absence et l'angoisse de séparation. L'objet en lui même n'est pas transitionnel mais il
« représente la transition du petit enfant qui passe de l'état d'union avec la mère à l'état où il
est en relation avec elle, en tant que quelque chose d'extérieur et de séparé » (Winnicott,1971,
p.26). Mamadi se précipite sur celui-ci lors des séances comme s’il l’aimait de façon
passionnelle. L’objet s’inscrit ainsi dans la permanence car il a la possibilité à chaque séance
de le retrouver, ce qui lui assigne une fonction sécurisante et lui permet de maintenir son
sentiment de continuité psychique. Cet objet lui permet aussi de s’ouvrir à son
environnement. En effet, au fur et à mesure de sa manipulation, il entrera en relation avec la
psychomotricienne et moi en nous demandant régulièrement ce qu’il y a d’écrit sur les CDs.
Mamadi se retrouve ainsi dans une sorte de bain sonore, grâce à notre voix qu’il sollicite et la
musique émanant du poste, permettant ainsi une sensation de contenance, telle une enveloppe
sonore (Anzieu, 1985). Mais progressivement, un accordage conversationnel semblait se
mettre en place entre lui et nous. Il écoutait nos voix, ne recherchait plus seulement un
étayage par le bain sonore. En effet, lorsque je lui demande à mon tour ce qu’il y a d’écrit sur
le CD, il me répond « NRJ », il est aussi capable de demander quel CD il veut écouter :
« Clown ». Ainsi, semble apparaître une ébauche d’expression de son soi et une capacité à
symboliser. En effet, la capacité à symboliser dépend de la façon de « se sentir séparé du
monde extérieur et motivé à communiquer sur ce dont on est en train de faire l’expérience »
(Tustin, 1990, p.237). L’objet transitionnel est un symbole (premier usage) de l’union du bébé
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et de la mère en transition entre 2 états : être confondue avec l’enfant et être éprouvée comme
un objet perçu plutôt que conçu. (Winnicott, 1971, p. 134). L’utilisation de l’objet symbolise
l’union de 2 choses désormais séparées.
L’aire de jeu est ainsi à considérer comme une partie de l’organisation de Moi, non
pas fondée sur le modèle de fonctionnement du corps mais basée sur les expériences du corps
(Winnicott, 1975).
b) Retrouvaille avec l’objet perdu et symbolisation de l’absence ?
Cet accès à la symbolisation se constate également à travers le jeu avec les ballons de
baudruche. En effet, Mamadi est capable de le réclamer : « Mon ballon », mais il semble aussi
capable de s’en séparer, puisqu’il ne demande pas à le ramener avec lui après la séance.
Pendant le jeu, Mamadi cherche également à prendre le contrôle. Quand il nous offre chacune
notre tour la possibilité de gonfler le ballon, c’est lui qui décide du moment où il sera présent
ou absent de notre bouche, ou de la sienne. Il se confronte à une expérience de plaisir au
moment où il s’amuse à le garder dans sa bouche et de déplaisir lorsqu’il nous demande de le
gonfler. Ce n’est pas sans rappeler le jeu du fort-da introduit par Freud (1920) où il relate
l’observation de son petit-fils dans le jeu avec la bobine. Alors après avoir jeté la bobine hors
de la vue, il peut la faire revenir avec une ficelle, mettant en scène selon Freud les
disparitions/retours de sa mère, ainsi que le plaisir/déplaisir que l’un et l’autre lui procure
successivement. Il passe ainsi d’un rôle passif où il doit subir les absences de sa mère à un
rôle actif à travers le jeu qui lui donne une sensation de contrôle. Dans le cas de Mamadi, il ne
choisit pas de mettre le ballon hors de sa vue mais hors de sa bouche. Mais alors ne
chercherait-il pas également à revivre la scène où s’est jouée une perte intolérable, celle du
sein, en étant cette fois dans une position active et non passive ?
Pour Klein, le sein est la première relation d’objet de l’enfant, elle considère qu’ « un
développement ne peut se dérouler de façon satisfaisante que si cet objet primordial, qui se
trouve être introjecté réussit à s’enraciner dans le moi avec un certain sentiment de sécurité. »
(1957, p.15).
c) Du jeu face au miroir au Je
Dans ce jeu avec les ballons, Mamadi se regarde souvent dans le miroir, le ballon à la
bouche, attentif aux mouvements de ses joues, reflétés par le miroir. Le stade du miroir est
une identification, c’est-à-dire une transformation produite chez le sujet quand il assume cette
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image comme la sienne. (Lacan, 1949). Mamadi semble s’identifier lorsqu’il est face au
miroir, puisqu’il peut dire « Mes dents » en regardant ses dents mordre le ballon.
F. Dolto (1984) précise aussi que le miroir en tant que surface réfléchissante sert de
« miroir de son être dans l’autre » (Dolto, 1984, p.148) qui se reflète à nos côtés. L’autre
nécessaire pour Dolto, permet de faire le lien entre l’image scopique, qui vient signifier le
schéma corporel et l’image du corps de l’enfant, qu’il n’imaginait pas totale auparavant. Cette
inadaptation entre les deux est une blessure narcissique pour l’enfant. Si cette créativité
réfléchie en miroir par la personne avec qui l’enfant joue, elle s’intègre à la personnalité
individuelle et organisée (Winnicott, 1971). Ainsi, lorsque je porte Mamadi devant le miroir,
il peut observer mon corps, à l’instar du sien
Mais ce jeu face au miroir est-il suffisant pour construire une image stable et une
représentation de lui-même ?
On peut malgré tout constater que progressivement Mamadi tente de vivre les
évènements avec son propre soi et des désirs émergent, ne se soumettant ainsi plus au désir de
l’autre. A l’atelier « Chorale » par exemple, il demande à chanter sans une volonté d’imitation
de ses camarades mais parce qu’il semble en avoir envie. Les séances en psychomotricité
deviennent-elles un tiers lui permettant d’entrer dans une phase de séparation-individuation,
puisqu’il y questionne de moins en moins l’absence de ses camarades ?
Synthèse
Dans cette partie, j’ai cherché à confronter mes observations à la théorie
psychanalytique visant à éclairer les éléments cliniques les plus énigmatiques. Ainsi, je me
suis questionnée sur l’origine des angoisses de Mamadi, à chercher peut-être dans des
carences maternelles lors des premiers moments de la vie du nourrisson, soit d’un holding
défaillant ou manquant. Je tente aussi de mettre en avant les moyens qu’il semble mettre en
œuvre pour se défendre contre ces angoisses. Puis, j’essaie d’exprimer comment Mamadi
s’inscrira dans une aire intermédiaire lors des séances en psychomotricité, favorisant
l’émergence de soi.
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CONCLUSION
Lors de mes premières rencontres avec Mamadi, j’imaginais découvrir un enfant
porteur de déficience intellectuelle. Mais ses attitudes de fuite, d’isolement, d’imitation m’ont
rapidement questionnée et j’ai voulu comprendre ce qui semblait se jouer pour lui au moment
de nos rencontres.
C’est ainsi que ce travail de mémoire reprend tous ces questionnements, mais aussi
mes doutes, mes ressentis qui ont émergé tout au long de cette rencontre si singulière avec
Mamadi. Il m’a amenée à aborder ses angoisses les plus archaïques contre lesquelles il semble
lutter pour ne pas s’effondrer. Mais au fil de nos rencontres, je découvre un enfant peu à peu
capable de se construire une identité soutenue par un cadre rassurant instauré lors de séances
en psychomotricité où deux adultes ne sont présents que pour lui.
Mais le soutien apporté par son environnement actuel est-il suffisant pour que Mamadi
se construise pleinement ?
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BIBLIOGRAPHIE
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Winnicott D.W. (1965), Processus de maturation chez l’enfant : Développement
affectif et environnement, tr. fr. Paris, Payot, 1970.
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Résumé
Ma rencontre avec Mamadi a débuté lors d’un atelier « Chorale ». Il s’agit d’un garçon
de 8 ans qui ne joue pas avec les autres enfants mais il peut parfois s’identifier à eux.
La « mère suffisamment bonne » assurant pleinement une fonction de soutien physique et
psychique de son enfant, lui permet d’éprouver un « sentiment continu d’exister » qui garantit
la construction d’un self de qualité. Des carences à ce stade auront pour conséquence une
mauvaise intégration du Moi et peuvent être à l’origine d’angoisses archaïques. Aux prises
avec ces angoisses, Mamadi trouve des moyens de lutte contre celles-ci. Puis, il parviendra à
travers la mise en place d’un cadre rassurant à se situer dans un espace de jeu, une aire
transitionnelle, lui permettant de faire l’expérience de soi.
Mots clés : angoisses archaïques – identification - objet autistique - objet transitionnel - aire
transitionnelle – Moi - construction identitaire
Summary
My meeting with Mamadi began during an activity “Chorus”. It is about a 8 old boy
who does not play with other children but he can sometimes identify with them.
The “good enough mother” fully performing the function of physical and psychological
support to the child, allows him to experience a "continuous sense of being" that guarantees
the construction of a self quality. Deficiencies at this stage will result in poor integration of
the self and can be causing archaic anxieties. Faced with these anxieties, Mamadi find ways
to fight against them. Then he reaches through the establishment of a secure framework to be
in a play area, a transitional area, allowing him to experience the Self.
Keywords: anxiety archaic - identification - autism object - transitional object - transitional
area - self - identity construction
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