l`armée au centre du pouvoir
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l`armée au centre du pouvoir
DIPLOMATIE N° 15 - mai 2014 1 ER MENSUEL INTERNATIONAL DIGITAL EN AFRIQUE lesafriques.com NIGÉRIA DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : ABDERRAZZAK SITAIL L’ARMÉE AU CENTRE DU POUVOIR AMBASSADEUR DOSSIER DOSSIER DOSSIER Ghislain Ondias Okouma Un regard africain sur la crise en Ukraine Nigéria : l’armée au centre du pouvoir Interview : Interview : L’équipe de Gilles Yabi l’Institut Thomas More Une influence limitée, Nigéria, malgré des atouts le défi sécuritaire géopolitiques POINT DE VUE L’Union africaine toujours en quête de légitimité DIPLOMATIE Groupe Les Afriques Edition & Communication SA Au capital de 2’657’600.- CHF Siège Social : Rue du Cendrier 24 - 1201 Genève Suisse Président administrateur délégué Abderrazzak Sitaïl Les Afriques Edition & Communication Europe SARL au capital de 160.000 € 149, rue Saint Honoré 75001 Paris France Les Afriques Communication & Edition Maghreb SARL au capital de 1.000.000 DH 219 bis, bd Zerktouni, Casablanca 20330 - Maroc Tél : +212 522 233 477 - Fax : +212 522 233 501 Directeur de la Publication Abderrazzak Sitaïl Rédacteur en chef Les Afriques DIPLOMATIE Ibrahim Souleymane [email protected] Secrétaire de Rédaction : Daouda Mbaye Rédaction : Olivier Tovor, Lomé, Sanae Taleb, Casablanca, Walid Kefi, Tunis, François Bambou, Yaoundé, Bénédicte Chatel, Paris, Anne Guillaume-Gentil, Paris, Mohamed Baba Fall, Casablanca, Khalid Berrada, Casablanca, Willy Kamdem, Yaoundé, Mohamedou Ndiaye, Dakar, Daouda Mbaye, Casablanca. Responsable Artistique : Mouhcine El Gareh Maquettiste : El Mahfoud Ait Boukroum Directeur Développement et Marketing : Libasse Ka [email protected] Responsable e-Marketing : Khalid Essajidi Responsable Abonnement et Distribution : SOMMAIRE 3 N°15 MAI 2014 3 UN REGARD AFRICAIN SUR LA CRISE EN UKRAINE Ghislain Ondias Okouma est docteur en droit public et consultant international. Il nous livre son analyse d’un point de vue africain, sur la crise ukrainienne. GHISLAIN ONDIAS OKOUMA Un regard africain sur la crise en Ukraine 4 NIGÉRIA : L’ARMÉE AU CENTRE DU POUVOIR 5 Le Nigéria est désormais la première puissance économique du continent. Mais le pays fait face à des problèmes sécuritaires très graves qui affectent sa puissance économique et son influence géopolitique. Analyse. 5 UNE INFLUENCE LIMITÉE, MALGRÉ DES ATOUTS GÉOPOLITIQUES Dans cette interview, Gilles Yabi, directeur du bureau Afrique de l’Ouest de l’ONG International Crisis Group, décrypte les enjeux du nouveau leadership du Nigéria en Afrique. GILLES YABI Une influence limitée, malgré des atouts géopolitiques 7 9 NIGÉRIA, LE DÉFI SÉCURITAIRE Michel Luntumbue et Pauline Guibbaud de l’Institut Thomas More répondent à nos questions concernant la menace sécurité qui fragilise le Nigéria depuis ces dernières années. Les experts de l’Institut Thomas More évoquent le risque terroriste et les réponses des autorités locales pour tenter d’enrayer le problème. 9 NOUVEAU REPRÉSENTANT DU MAROC À L’ONU OMAR HILALE Nouveau représentant du Maroc à l’ONU L’ambassadeur Omar Hilale est le nouveau représentant permanent du Royaume du Maroc auprès de l’Organisation des Nations unies à New York. 9 Nada Benayad Commercial : [email protected] Abonnements : Abonnement : Tél. : +221 33 889 90 85 E-mail : [email protected] Crédit photos : AFP, DR 9 S.E. YO TIEMOKO REPRÉSENTANT DE LA FAO AU BÉNIN S.E. Yo Tiemoko est désormais le représentant résident de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) au Bénin. Edition internationale 10 © Reproduction interdite sans l’accord écrit de l’éditeur L’UNION AFRICAINE TOUJOURS EN QUÊTE DE LÉGITIMITÉ 2 • MAI 2014 S.E. YO TIEMOKO Représentant de la FAO au Bénin AMBASSADEUR Un regard africain sur la crise en Ukraine Ghislain Ondias Okouma est docteur en droit public et consultant international. Il nous livre son analyse d’un point de vue africain, sur la crise ukrainienne. es milliers d’individus, pour des raisons qui sont les leurs, et non partagées par tout le peuple, ont occupé la rue des semaines durant, rejeté l’autorité de l’État et écarté violemment l’institution présidentielle en place. En réaction, l’Europe occidentale et l’Oncle Sam ont indirectement qualifié cette situation de «changement de régime légitime», tout en incitant les «autorités de fait et non de droit» à poursuivre judiciairement l’ancien chef d’État ! Mais en quel nom et au nom de quoi ? «Le peuple a le droit de changer (tout gouvernement oppressif) ou de l’abolir et d’instituer un nouveau», ont tous hurlé les faiseurs de ces nouveaux rois d’Ukraine ! Soit ! Quelques jours plus tard, de milliers d’autres personnes, moins nombreuses toutefois, en «Crimée», République autonome (les mots ont un sens !), jouent la même partition, en se fondant sur des motifs tout autant compréhensifs. Et là, qu’entend-on de la part de la même Europe occidentale ? Inacceptable violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Et pourtant la Crimée, faisant écho à Thomas Jefferson, n’a fait que défendre des principes et une forme de gouvernance qui lui paraissaient correspondre le mieux aux exigences de sa sécurité et de son bonheur. Ne vous y trompez pas, ce classique deux-poids deux mesures des Occidentaux ne m’émeut guère ! C’est bien normal, ils défendent leurs intérêts et, trivialement, protègent leur pain ! Essoufflée, vieillissante, peu compétitive, l’Europe occidentale pour se régénérer doit inéluctablement se tourner vers l’Est… et donc s’opposer frontalement, un jour ou l’autre, à la Russie. Bonne chance à elle ! Je suis par contre fasciné par la férocité de la propagande médiatique menée par les amis des «bons Ukrainiens», ceux de Kiev, particulièrement ceux de la place Maïden! Parce que ce groupe-là veut se rapprocher de l’Union européenne, le voilà drapé des atours de grands défenseurs de la liberté, de démocrates patentés et d’humanistes inégalés... dont les effigies mériteraient d’être placardées aux grilles en fer du Siège New Yorkais des Nations unies (sic). Chaque jour qui passe, comme vous à travers l’Afrique, je n’y échappe point. Esclave de D l’Infotainement que je suis, je subis le matraquage manichéen des éternels CNN, BBC, I24, France 24, The Guardian, et autres hebdomadaires dits de renom. Le processus est simple et classique, la «méchante» Russie occupe la Crimée et viole le droit international, tandis que la «gentille» Ukraine, avec à sa tête des hommes légitimes, est sortie de la dictature avec dignité et défend toutes ses composantes ethniques et linguistiques (sic). Présenter avec autant de simplifications une situation historiquement complexe est dangereux. Qu’importe, les grands médias européens ont choisi de façonner les opinions publiques sur la question ukrainienne, comme sur bien d’autres, dans l’unique objectif de nous illégale et anticonstitutionnelle comme l’avait souvent rappelé l’Union européenne à l’ancien président de la transition de Madagascar Andry Rajoelina. En mars 2009, la prise de pouvoir par ce dernier «avec le peuple» avait été considérée comme un coup d’État par une grande partie de l’opinion internationale, dont l’Union européenne. • La communauté internationale, l’Europe en premier, aurait donc dû automatiquement condamner cette prise illégale de pouvoir en Ukr aine, comme l’exigent les multiples conventions internationales qui cimentent les rapports internationaux. • Comme partout ailleurs, le retour à l’ordre constitutionnel antérieur aurait dû être la première exigence de l’Europe occidentale et des États-Unis. Cette idée leur semble aujourd’hui inimaginable ! En cette seconde décennie du XXIème siècle, et singulièrement depuis l’irruption du «Printemps arabe», les grandes puissances de notre communauté internationale semblent consacrer le principe selon lequel dorénavant tout changement de régime politique pourrait s’opérer non plus uniquement par la voie électorale, mais aussi par l’entremise de la rue. Tout cela, au détriment du respect des règles constitutionnelles établies de façon consensuelle et acceptées par tout le peuple. Cette approche qui s’ancre de plus en plus est non seulement douteuse, mais porteuse de dangers et d’instabilité, particulièrement pour les États fragiles encore trop nombreux en Afrique. Ghislain Ondias Okouma conduire tous à accepter les grandes directions et les politiques que propose l’élite politico-médiatique de ce continent. L’argumentaire est prenant, mais peu convaincant ! Je doute d’ailleurs fort que cette constante stratégie d’influer inconsciemment sur les opinions, à travers ce clivage prenne indéfiniment racine. N’en déplaise à certains, et sans sous-estimer la profondeur des aspirations de milliers d’Ukrainiens à un mieux vivre, allant bien audelà du cirque politique actuel, le vrai débat sur la situation post-Viktor Ianoukovitch en Ukraine se pose en des termes clairs : • La destitution du président ukrainien est BIO-EXPRESS Ghislain Ondias Okouma est docteur en droit public, diplômé de l'Université Montpellier I en France. Il a été auditeur à l'académie de droit international de la Haye. De 2007 à 2012, il a été fonctionnaire des Nations unies au département de l'information à New York. Ondias Okouma dirige le cabinet juridique et médias «ONOK Consulting & Strategy» basé à Libreville, et intervient comme conseiller à la présidence du Gabon. MAI 2014 • 3 DOSSIER Nigéria : l’armée au centre du pouvoir Le Nigéria est désormais la première puissance économique du continent. Mais le pays fait face à des problèmes sécuritaires très graves qui affectent sa puissance économique et son influence géopolitique. Analyse. epuis que la base de calcul de son PIB a été mise à jour en avril dernier, le Nigéria est devenu la première économie africaine surclassant ainsi l’Afrique du Sud. En effet, le PIB du pays a atteint 510 milliards de dollars en 2013 et 453,9 milliards de dollars en 2012, contre seulement 384 milliards de dollars pour l’Afrique du Sud en 2012. Le Nigéria qui est aussi le premier producteur de pétrole du continent détrône ainsi l’Afrique du Sud. Mais ce nouveau leadership implique aussi de nouveaux enjeux, aussi bien économiques, géopolitiques que sécuritaires. Le Nigéria est déstabilisé depuis quelques années par les multiples violences attribuées au groupe djihadiste Boko Haram et aux activistes dans le delta du Niger. Mais malgré tout, le Nigéria parvient à développer son influence progressivement au-delà de ses frontières, notamment en Afrique de l’Ouest, et pourrait à terme étendre son leadership sur toute l’Afrique. D Puissance économique Le PIB du Nigéria qui se chiffre à quelque 510 milliards de dollars en 2013 est dominé par les services qui représentent 52% (services financiers et assurances, logement, commerce), l’industrie 25,7%, l’agriculture 22% et les télécommunications 8,69%. La structure de l’économie nigériane dominée historiquement par le secteur des hydrocarbures (avec une production d’environ 2,5 millions de barils de pétrole par jour) a évolué ses dernières années. Puisque le poids des services devance désormais celui de l’industrie notamment. La croissance économique du pays a atteint 6,4% en 2013. Pour l’année 2014, le Fonds monétaire international (FMI) table sur un taux de croissance de 7,4%. Et l’inflation, galopante estimée à 8% commence à baisser. En fin de 2013, les réserves de change ont atteint 45 Mrds de dollars, soit environ 6 mois d’importation. Donc sur le plan économique, le pays a d’énormes atouts. Mais à ce niveau, le principal défi reste la question de l’impact de cette croissance sur la réduction de la pauvreté et la modernisation des infrastructures. À titre d’exemple, 70% de la population du pays (170 millions d’habitants) dépendent encore du bois pour leur énergie. La capacité de production électrique du pays ne dépasse pas 4 000 MW (alors que l’Afrique du Sud avec une population de 48 millions d’habitants dispose d’une capacité de production supérieure à 36 000 MW). 4 • MAI 2014 Problème sécuritaire Le problème sécuritaire est le défi majeur que doit relever le Nigéria. Les autorités font face à une grave crise sécuritaire dans le nord du pays, depuis janvier 2010. En effet, cette zone est le théâtre d’un cycle de violences perpétrées par la secte islamiste Boko Haram, qui cherche à instaurer la charia sur l’ensemble du territoire nigérian. La secte ensanglante le pays à coup d’attentats, d’enlèvements et d’assassinats. L’un des derniers épisodes porte sur l’enlèvement de 129 lycéennes par des islamistes de Boko Haram en avril 2014. Et presque dans cette même période, le pays connaît une vague d’attentats, y compris à Lagos et Abuja (la capitale), ayant fait des dizaines de morts en quelques semaines. L’état d’urgence déclaré en mai 2013 dans trois États du nord-est du pays (Yobé, Borno, Adamawa) n’a pas empêché Boko Haram de continuer à ensanglanter le pays. Par ailleurs, dans la région du delta du Niger, les autorités sont également confrontées à l’insécurité maritime, à des enlèvements et des prises d’otages, mais aussi à des actes de sabotage contre les installations pétrolières. Un climat de violence instauré dans cette zone par les communautés locales qui demandent une meilleure redistribution des richesses issues de leur sous-sol. Donc, malgré une armée bien équipée (par rapport aux autres pays de la région) et qui compte plus de 130 000 soldats, le Nigéria a du mal à maintenir la sécurité sur son sol. Même si parallèlement l’armée nigériane participe à de multiples missions de maintien de la paix de l’ONU au Liban (FINUL), au Liberia, à la Sierra Leone, au Congo (Monuc), au Soudan, etc. Plus récemment, le Nigéria a envoyé des troupes au Mali (1 200 hommes) dans le cadre de l’Union africaine (Misma) pour mettre fin à l’insurrection touareg et islamiste qui a frappé ce pays. Influence géopolitique Sur le plan international, le Nigéria s’est imposé progressivement comme un acteur diplomatique de premier plan en Afrique de l’Ouest et au sein de l’Union africaine. Ainsi, il contribue à promouvoir la Cedeao, dont le siège est à Abuja. Cette organisation sous-régionale constitue d’ailleurs l’un des principaux instruments de l’influence du Nigéria en Afrique et dans le monde. À titre d’exemple, en 2007, le Nigéria a pesé de tout son poids au sein de la Cedeao pour que celle-ci refuse de signer dans des délais courts un Accord de partenariat économique (APE) avec l’Union européenne. Le Nigéria exerce son influence aussi sur le continent à travers les initiatives en matière de résolution des conflits depuis les années 1990 d’ailleurs. Dans ce sens, le pays s’est particulièrement investi dans la sortie de crise du Libéria en participant à l’Ecomog. Il a joué un rôle important dans la médiation au Soudan, en RDC ou encore au Zimbabwe. Le Nigéria a aussi joué un rôle clé dans les crises ivoirienne et malienne. Par ailleurs, le Nigéria exerce une influence importante au niveau régional grâce à son poids démographique et l’importance de sa diaspora, à la puissance économique de ses banques et les exportations massives de ses entreprises (vers les pays voisins notamment), mais aussi grâce au soft Power générée par le rayonnement de sa production audiovisuelle (troisième producteur de films au monde après les États-Unis et l’Inde). Un autre point, non négligeable, porte sur le pouvoir économique et énergétique, puisque le pays participe à l’Association des pays africains producteurs de pétrole (APPA en anglais) et au bloc des non-alignés. Il a assumé la présidence de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Le Nigéria a même réussi à réunir autour de lui, en 1987, un groupe de treize pays influents, américains, africains, européens et asiatiques, qualifié forum de Lagos. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir jusqu’à quel niveau le nouveau statut de dans le monde. Wait and see. Ibrahim Souleymane LE NIGÉRIA EN CHIFFRES Population : 170 millions d’habitants PIB : 510 Mrds de $ (estimation FMI 2013) (PIB recalculé le 6 avril 2014) PIB par habitant : 2 688 dollars (FMI 2014)- 121ème position dans le classement mondial Taux de croissance : 6,4% (FMI 2013) Classement Doing Business 2014 : 147ème sur 189 Transparency International : 144ème sur 177 Indice de développement humain : 153ème sur 186 (PNUD 2013) Effectif militaire : 130 000 hommes environ DOSSIER Une influence limitée, malgré des atouts géopolitiques Dans cette interview, Gilles Yabi, directeur du bureau Afrique de l’Ouest de l’ONG International Crisis Group, décrypte les enjeux du nouveau leadership du Nigéria en Afrique. L es Afriques Diplomatie : Le Nigéria est désormais la première économie du continent africain. Sur quoi repose la puissance économique de ce pays ? Gilles Yabi : Le Nigéria est devenu la première économie du continent à la suite d’un travail de révision statistique qui a permis de prendre en compte à la fois les changements dans la structure économique du pays et le retour à une croissance forte dans la plupart des secteurs depuis plusieurs années. Cela veut dire que le Nigéria était déjà la première économie africaine depuis un certain temps, mais son produit intérieur brut était largement sousestimé. Cette puissance économique actuelle repose fondamentalement sur deux éléments : ses ressources pétrolières toujours aussi importantes après des décennies d’exploitation intense et la taille de sa population estimée à 177 millions d’habitants en 2014. La taille de la population implique que le pays dispose d’un marché intérieur immense qui permet de réaliser des économies d’échelle importantes dans les processus de production et d’augmenter la rentabilité des investissements. Le retour à une certaine stabilité politique, en dépit de niveaux de violence élevés, l’amélioration du cadre macroéconomique, le renouvellement générationnel au niveau des entrepreneurs petits, grands et très grands, permettent enfin au pays de sortir progressivement du piège de l’économie de la rente pétrolière, de profiter des avantages économiques de la taille du marché et d’attirer des investissements étrangers bien plus diversifiés qu’auparavant. Mais les défis restent immenses, parce que le niveau de revenu par habitant et le niveau de l’indice de développement humain ne sont pas du tout à la hauteur d’une puissance économique continentale. LAD : Ce nouveau statut de première puissance économique africaine, aurait-il des conséquences ? G.Y. : A nouveau, réaliser du jour au lendemain que le pays est la première puissance économique du continent ne change pas grand-chose à la vie quotidienne des populations et à la vitalité économique du pays. Il y a sans doute essentiellement un impact posi- tif sur l’image internationale du Nigéria, en particulier sur les marchés financiers et au niveau des investisseurs de l’économie mondialisée qui n’auraient pas encore perçu l’importance du Nigéria comme marché en croissance plus prometteur par exemple que l’économie sud-africaine où les besoins d’infrastructures et de biens de consommation de toutes sortes seront moins importants parce qu’il s’agit d’une économie plus développée. Sur le plan purement financier, la révision à la hausse du PIB implique une baisse significative des indicateurs d’endettement du pays par exemple et cela peut permettre au Nigéria de bénéficier de conditions plus avantageuses sur les marchés internationaux. LAD : Quelle analyse faites-vous de l’influence du Nigéria en Afrique et sur la scène internationale ? Quels sont les leviers de cette influence ? G.Y. : L’influence du Nigéria sur le continent me semble limitée, ou pas en tout cas à la hauteur du poids démographique et économique du pays. Cette influence est naturellement plus forte en Afrique de l’Ouest que dans les autres régions du continent, mais même en Afrique de l’Ouest, le Nigéria ne prend pas vraiment en charge les problèmes majeurs régionaux comme pourrait le faire une vraie puissance régionale et continentale. On l’a vu dans la gestion des crises les plus graves au cours des dernières années, au Mali et en Côte d’Ivoire notamment. Le Nigéria avait été beaucoup plus actif et décisif au sein et en dehors de la Cedeao dans les années 1990 au moment des conflits au Liberia et en Sierra Leone. Il y a d’une part un certain manque d’intérêt et peut-être un déficit de compétences depuis quelques années pour définir et animer une diplomatie d’influence au niveau continental et une vraie difficulté pour le pays de prétendre revêtir le costume de puissance régionale alors qu’il est confronté lui-même à d’immenses problèmes sécuritaires internes. Le Nigéria peut jouer un rôle beaucoup plus important sur la scène continentale, en s’appuyant bien sûr sur ses ressources financières, nécessaires à l’action diplomatique, mais aussi sur une légitimité à défendre les intérêts de l’Afrique conférée par sa taille démographique et maintenant sur sa puissance économique. LAD : Peut-on parler de leadership du Nigéria en Afrique ? G.Y. : Le Nigéria a le potentiel pour prétendre à jouer ce rôle, mais ce n’est pas une réalité en ce moment. Il y a quelques années, une personnalité comme l’ancien président Olusegun Obasanjo avait une forte présence dans les affaires africaines et comme porte-voix du continent sur la scène mondiale, mais le leadership d’un pays ne peut reposer seulement sur quelques personnalités fortes qui, à un moment de l’histoire, sont au pouvoir et réussissent à consacrer du temps et de l’énergie à des dossiers régionaux et continentaux malgré l’ampleur des défis de politique intérieure. Le Nigéria n’a pas encore le système politicoadministratif qu’il faut pour jouer un rôle de leader au niveau continental. De plus, son image reste associée à des niveaux de violence et de corruption très élevés, ce qui ne peut faire du pays un modèle pour le reste du continent et ne peut pas convaincre les autres pays de se soumettre à son leadership. LAD : Peut-on qualifier le Nigéria de puissance émergente ? Quels sont les principaux défis du pays ? G.Y. : Le Nigéria, avec sa combinaison d’immense population et ses dotations en hydrocarbures, devrait naturellement peser de plus en plus significativement dans l’économie mondiale, à l’instar des puissances démographiques et économiques d’Asie et d’Amérique. De ce point de vue, le Nigéria est certainement une puissance émergente, mais une puissance qui a perdu beaucoup de temps à vivre de la rente pétrolière et à utiliser l’énergie, la créativité et la masse de ses ressources humaines dans un jeu à somme nulle au lieu de les mobiliser pour diversifier l’économie, renforcer la cohésion sociale et réduire la violence dans toutes ses formes. Si la diversification et le dynamisme économique sont prometteurs, tout est encore à faire dans le domaine des politiques publiques, dans la réduction de l’insécurité et de la corruption pour les ramener à MAI 2014 • 5 DOSSIER des niveaux décents. Il ne faut pas oublier qu’une immense population signifie une importante capacité de production de richesses, mais également des besoins massifs en termes d’emplois, d’infrastructures, de logements, de structures sanitaires et éducatives… Le Nigéria est une puissance émergente particulièrement fragile et friable. LAD : Le problème sécuritaire met régulièrement le pays sous le feu des projecteurs. Le Nigéria a-t-il les moyens pour faire face à la menace des groupes terroristes qui le déstabilisent, tels que Boko Haram ? G.Y. : Le Nigéria ne s’est pas donné les moyens de répondre à la menace de Boko Haram au moment où elle était encore relativement facile à contenir. Aujourd’hui, le terrorisme de Boko Haram s’est enraciné dans une partie importante du territoire et dans des zones frontalières particulièrement difficiles à maîtriser par des forces nigérianes dont les capacités opérationnelles ne sont pas à la hauteur de la complexité de la menace et des attentes des populations civiles les plus affectées. Malheureusement, l’absence de transparence dans l’usage des ressources publiques touche autant le secteur de la sécurité nationale que les autres secteurs, ce qui semble se traduire par un certain décalage entre les moyens financiers alloués officiellement aux forces de sécurité et les moyens qui sont effectivement mis en œuvre sur le terrain. Mais le Nigéria peut faire beaucoup mieux dans la lutte contre Boko Haram et d’autres sources d’insécurité s’il donne autant d’importance à 6 • MAI 2014 l’objectif de stabilisation sécuritaire, mais aussi sociale et économique des régions les plus pauvres et isolées qu’à celui de devenir une puissance incontestable. LAD : Quelle solution préconisez-vous pour résoudre le problème sécuritaire au Nigéria ? G.Y. : Le problème est que le Nigéria est confronté depuis de longues années à une grande variété de sources et de types de violences. Boko Haram est venu ajouter la forme terroriste aux nombreux types de violences préexistantes, qu’il s’agisse de conflits intercommunautaires sur fond de compétition foncière, particulièrement sérieux dans l’État du Plateau, de rébellions récurrentes dans les États du delta du Niger où se concentre la production pétrolière ou de violences politiques graves au moment des élections. Il n’y a d’autant plus de solution miracle à ces problèmes que les fonctionnements politique, économique, social et culturel qui sont à la base de ces problèmes ont eu le temps de s’enraciner. Il faudra non seulement du temps pour stabiliser les zones les plus exposées à l’insécurité, mais il faudra surtout une prise de conscience par les élites dirigeantes, politiques et économiques, de l’extraordinaire vulnérabilité des progrès économiques aux chocs provenant des évolutions sécuritaires. LAD : Comment voyez-vous l’évolution du Nigéria sur la scène africaine et internationale dans les années à venir ? G.Y. : Le Nigéria devrait rester pendant longtemps la première puissance économique du continent, à nouveau essentiellement du fait de sa population et de ses ressources naturelles. Mais la poursuite de la diversification de son économie dépendra largement de sa stabilité politique et de sa capacité à contenir l’insécurité. Le renforcement de son poids sur la scène africaine et de son influence internationale dépendra des mêmes facteurs. Il est très difficile de projeter le Nigéria sur plusieurs années, à cause de la récurrence des incertitudes et des peurs à chaque grande échéance électorale. Les élections générales de 2015 s’annoncent tendues, et les conséquences incertaines sur les perspectives économiques et sécuritaires. Ceci dit, il ne faut pas oublier d’où vient le Nigéria, les épreuves traversées par le passé, aussi bien la guerre civile du Biafra que la succession de régimes militaires corrompus. La période actuelle est de ce point de vue plus prometteuse que de nature à désespérer de cette puissance africaine. Propos recueillis par Ibrahim Souleymane BIO-EXPRESS Gilles Yabi est consultant et chercheur dans les domaines de la paix, de la sécurité et de la gouvernance politique en Afrique de l’Ouest. Il dirige le bureau Afrique de l’Ouest de l'International Crisis Group, une ONG qui œuvre pour la prévention et la résolution des conflits armés. Gilles Yabi a également été journaliste à Paris en 2003 et 2004. DOSSIER Nigéria, le défi sécuritaire Michel Luntumbue et Pauline Guibbaud de l’Institut Thomas More répondent à nos questions concernant la menace sécurité qui fragilise le Nigéria depuis ces dernières années. Les experts de l’Institut Thomas More évoquent le risque terroriste et les réponses des autorités locales pour tenter d’enrayer le problème. L es Afriques Diplomatie : Quel but le groupe Boko Haram poursuit-il ? L’équipe de l’Institut Thomas More : Le nom du groupe (ndlr. «L’éducation occidentale est un pécher») exprime l’hostilité envers toute influence occidentale au Nigéria. Il s’agit ici sans doute de l’identité première de Boko Haram. Le groupe islamiste remet également en question le système politique nigérian jugé corrompu et l’instauration de la charia au Nigéria, ou du moins dans le nord du pays, est souvent brandie par la secte comme une réponse aux problèmes de corruption morale et de pauvreté qui gangrènent la société. LAD : Quelle évaluation faites-vous de la menace liée à ce groupe terroriste ? L.I.T.M. : Le groupe nigérian Boko Haram semble pour l’instant circonscrire ses actions et ses revendications au territoire national, même si de temps en temps des activistes sont parfois contraints à des replis tactiques sur les zones frontalières (comme récemment au Cameroun). Il n’existe pas véritablement d’élément démontrant un projet d’exportation d’un combat djihadiste à l’extérieur des frontières du Nigéria. Les liens supposés avec d’autres mouvements djihadistes, y compris dans l’espace sahélien, sont sans doute le fait de quelques individus isolés ou de branches dissidentes de Boko Haram. Il n’existe cependant pas de positionnement clair démontrant une volonté ni même une capacité de régionalisation de l’action de Boko Haram. Si au niveau du leadership central incarné par Abubakar Shekau il n’y a pas cette affirmation de régionalisation, il y a sans doute des groupes dissidents qui pourraient passer des alliances d’opportunité avec d’autres forces. En effet, la structure de Boko Haram est très éclatée et les différentes branches jouissent d’une grande autonomie, ce qui rend le groupe perméable à une grande diversité de postures. Des combattants de Boko Haram semblent par exemple s’être rendus au Mali pour participer au conflit aux côtés des islamistes locaux et d’AQMI. Ces éléments ont sans doute pu s’engager de façon individuelle dans le conflit malien. LAD : Comment Boko Haram parvient-il à recruter ? Existe-t-il des chiffres disponibles sur ses effectifs et ses moyens ? L.I.T.M. : Il est impossible d’obtenir des données et des chiffres précis en ce qui concerne les effectifs de Boko Haram du fait du caractère très secret du noyau de la secte. Cet anonymat suppose que c’est dans des liens de proximité que recrute Boko Haram, puisque cela induit un degré très élevé de confiance entre les individus et une connaissance des réseaux et des membres. Il faut ajouter à cela que la structure très distendue du groupe ne permet pas une connaissance approfondie de la secte ni de ses membres, qui restent dans la clandestinité depuis la grande répression de 2009 lors de laquelle le fondateur Mohammed Yusuf a été exécuté de façon arbitraire par la police nigériane lors de sa garde à vue. Les militants de Boko Haram sont sans doute pour la plupart issus de la jeunesse du Nord qui souffre du chômage et vit dans une extrême pauvreté. Les Almajirai, jeunes enfants issus de milieux ruraux défavorisés venant étudier les préceptes coraniques, sont des cibles faciles pour les leaders de Boko Haram qui usent quotidiennement de l’endoctrinement. Certaines données récentes font également mention d’une nouvelle source de recrutement au NordCameroun, et notamment chez les milliers de civils nigérians réfugiés dans le pays voisin. Il semblerait que les villageois et les réfugiés dénoncent même des enlèvements et des recrutements forcés chez les populations. En ce qui concerne les moyens, Boko Haram s’arme et se finance tout d’abord en interne, notamment avec les attaques récurrentes de banques et de poste de sécurité au Nigéria. La secte bénéficie également des filières de trafic international d’armes. Par exemple, la zone NordEst avoisinant le Lac Tchad est une plaque tournante du trafic d’armes légères et de petits calibres (ALPC). Maiduguri, la ville dont est originaire Boko Haram est frontalière du Lac Tchad et est au centre d’une circulation d’armes, issues des conflits soudanais et tchadien. Des armes destinées aux différentes filières de trafic ont également été saisies dans la région du Delta et à Lagos. Un rapport de l’ONU datant de 2011 fait également état d’une importante circulation des armes libyennes dans la région d’Afrique de l’Ouest et notamment auprès des groupes terroristes islamistes. Boko Haram aurait bien pu bénéficier de certaines livraisons d’armes libyennes. Il y a donc une grande circulation des armes dans la région, dont Boko Haram profite sans aucun doute, comme en témoigne l’amélioration rapide de l’arsenal de la secte. LAD : Boko Haram peut-il étendre son champ d’action à tout le Nigéria ? Aux pays voisins ? L.I.T.M. : Le contexte socio-économique du sud du Nigéria est très peu propice à l’extension de l’idéologie et du combat de Boko Haram. En effet, les zones du sud sont très urbanisées, cosmopolites et jouissent d’un certain brassage socioculturel qui rend très difficile le travail d’embrigadement idéologique de Boko Haram. Les villes du Sud, comme Lagos, sont par définition ouvertes sur le monde et il serait très compliqué pour Boko Haram d’étendre son idéologie reposant sur une culture du repli, niant la modernité. Les obstacles sont donc tout à la fois politiques, religieux, socio-économiques et culturels. Notons tout de même un certain étalement des attentats perpétrés par Boko Haram sur le territoire national. La capitale Abuja, située à peu près au centre du Nigéria, a été victime pour la première fois d’un attentat terroriste en août 2011, perpétré contre le bureau des Nations unies. Récemment, au mois d’avril 2014, un nouvel attentat à la bombe a ensanglanté Abuja faisant un bilan de 75 morts. Il y a donc une capacité logistique certaine à étendre la zone géographique visée par les attentats. L’absence d’une implantation durable dans certaines régions n’exclut pas des actions de terreur ailleurs dans le pays, et même assez loin des bases de la secte. En ce qui concerne l’étalement de l’action de Boko Haram vers les pays voisins, il s’agit certainement plus aujourd’hui d’un repli des militants islamistes face à la répression menée par le NordEst par le gouvernement plutôt que l’établissement véritable d’une base arrière avec un ciblage politique des populations des pays voisins. LAD : En dehors de Boko Haram, on évoque aussi la naissance d’un autre groupe islamiste au Nigéria dénommé «Ansaru». Quelle est la différence entre ces deux mouvements ? L.I.T.M. : Ansaru est officiellement créé le 26 janvier 2012 par Abu Usamatul Ansari’, mais c’est le 2 juin 2012 qu’Ansaru se fait réellement connaître au travers d’une vidéo de son leader qui annonce la création du groupe et définit ses objectifs. Il s’agit d’une branche dissidente de MAI 2014 • 7 DOSSIER Boko Haram qui s’est officiellement séparée de la cellule centrale en revendiquant des objectifs différents. Tout d’abord comme le prouve son nom arabe Jama'atu Ansarul Musilimina Fi Biladis Sudan qui signifie «l’avant-garde pour la protection des musulmans en Afrique noire», Ansaru est porteuse d’un projet de régionalisation de l’islamisme. Le but affirmé du groupe est de défendre la communauté musulmane en Afrique noire et s’inscrit ainsi dans une certaine volonté de régionalisation de l’idéologie. Ansaru reproche d’ailleurs souvent à Boko Haram de s’en prendre à des musulmans innocents qui, selon eux, ne doivent pas être la cible des attaques. Leur but est réellement la défense des musulmans contrairement à Boko Haram qui s’en prend aux musulmans considérés comme trop modérés. Ansaru se fait véritablement connaître aux yeux des Occidentaux en décembre 2012 lorsque le groupe revendique l’enlèvement du Français Francis Collomp à Rimi. Puis le 18 février 2013, le groupe revendique l’enlèvement de sept ingénieurs de la société Setraco dans l’Etat de Bauchi. Il s’agit ici de la prise d’otage la plus importante jamais réalisée au Nord-Nigéria par les groupes islamistes. Le 9 mars 2013, les sept otages sont exécutés. Il semblerait enfin que l’enlèvement du prêtre français Georges Vandenbeusch en novembre 2013 ait été coordonné par les groupes Boko Haram et Ansaru. Il y aurait donc ici pour la première fois une revendication commune avec Boko Haram et, semblerait-il, le maintien d’une certaine collaboration et d’une alliance tactique de circonstance entre les deux groupes. LAD : État fédéral, le Nigéria semble impuissant pour éradiquer la menace terroriste sur son sol. Le fédéralisme du Nigéria est-il un handicap pour la lutte antiterroriste ? L.I.T.M. : Il n’y a pas vraiment de lien entre l’efficacité de la lutte antiterroriste et la structure fédérale de l’État nigérian. Il faut d’abord rappeler que l’on a ici affaire à un conflit asymétrique caractérisé par une inégalité des forces et des équipements entre une armée nigériane très équipée et un ennemi invisible qui a recours à la terreur de masse pour rétablir le rapport de force à son avantage. Dans ce contexte, les exactions des forces de sécurité nigérianes à l’encontre des populations civiles du Nord-Nigéria sont régulièrement dénoncées par les organisations de défense des droits de l’homme. Amnesty International et Human Rights Wtach ont d’ailleurs appelé à la saisine de la CPI face aux violations des droits de l’homme tant par les forces de sécurité que par les activistes de Boko Haram. La Joint Task force (armée et forces de sécurité interne) est régulièrement accusée de brutalité tandis que l’enlisement de l’offensive lancée en mai 2013 contre Boko Haram a motivé la constitution et l’appui 8 • MAI 2014 à des milices civiles locales. L’offensive de mai 2013 s’est aussi accompagnée par l’interruption des réseaux de communication dans les Êtas du Nord, les forces de sécurité voulant régler le conflit à huis clos. Depuis la fin des régimes militaires et le retour formel à la démocratie, les actions des autorités sont davantage soumises au regard critique d’une société civile en émergence ainsi que de la communauté internationale. Le gouvernement nigérian est donc aussi sous la pression d’un regard extérieur. L’impuissance apparente du Nigéria face aux groupes islamistes ne réside cependant pas dans le système fédéral, mais dans le fait qu’il s’agit d’un conflit asymétrique qui impacte directement les populations civiles. L’attitude du gouvernement oscille ainsi entre l’offre d’une amnistie sur le modèle de la démarche suivie dans le Delta du Niger et la poursuite de l’usage de la force. LAD : Comment éradiquer les groupes djihadistes au Nigéria ? L.I.T.M. : L’éradication de ces groupes djihadistes réside sans doute dans la diversité et la flexibilité des réponses apportées. Il est certes important d’apporter une réponse militaire et sécuritaire, mais elle ne doit pas être la seule et surtout elle doit être proportionnée. La solution réside également dans une réponse aux griefs socio-économiques de la population du Nord. Il faut que le gouvernement lutte contre la déscolarisation des jeunes, il faut instaurer une revitalisation des structures d’encadrement en commençant par l’école. Il faudrait sans doute utiliser le poids moral des sages, des savants et des aînés pour tenter d’apaiser et de reconnecter la jeunesse à une approche pratique quiétiste de la religion musulmane. Il y a vraiment un besoin de reconquête culturelle en termes de valeurs et d’imaginaire pour ces jeunes exclus de la croissance. Il est nécessaire de pratiquer un recentrage éthique de la vie publique et de répondre à cette crise des institutions d’encadrement. Il n’y a certainement pas de recette miracle, il faut reconstruire le vivre ensemble et désamorcer le délitement des structures de cohésion sociale dans le Nord. LAD : L’autre problème sécuritaire de taille concerne les séparatistes du Delta du Niger. Quelles sont leurs principales revendications ? Et que fait le Nigéria pour résoudre le problème ? L.I.T.M. : Le Delta du Niger connaît un calme précaire, un apaisement relatif depuis le processus d’amnistie et de réinsertion débuté en 2009. Les militants qui ont déposé les armes ont pu bénéficier d’un programme de réinsertion visant notamment la création d’emploi dans le secteur pétrolier. La pérennité de cette accalmie dépend de l’amélioration concrète de la situation socioéconomique adossée à la redistribution plus équitable de la rente pétrolière. Le développement des infrastructures et des opportunités économiques doivent permettre d’absorber un nombre croissant de jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi chaque année. Au lendemain du processus d’amnistie, une nouvelle génération de militants, qui se surnomme les militants de la troisième vague et s’estime laissée pour compte a de nouveau menacé la paix précaire en exigeant un élargissement du programme d’insertion. Bien qu’il s’agisse d’une paix fragile, elle a été obtenue grâce à un processus de négociation. À l’inverse, le processus de dialogue envisagé avec Boko Haram s’avère beaucoup plus complexe, en raison de la nature clandestine du mouvement et de la radicalité et l’imprécision de ses demandes. Qui plus est, il est difficile pour le gouvernement de faire une offre puisque Boko Haram ne dispose pas d’une représentation, d’un ou de plusieurs leaders qui incarneraient les objectifs et les demandes de la secte. Ce manque de lisibilité et de représentativité rend très difficile le dialogue. Bien que le MEND repose aussi au départ sur une structure clandestine, le mouvement disposait aussi d’un leadership identifiable qui a pu prendre part au processus de négociation avec le gouvernement. Ces revendications reposaient sur un cahier des charges très précis: une meilleure répartition des ressources pétrolières et l’amélioration des conditions de vie dans le Delta. LAD : À court ou à moyen terme, le Nigéria peut-il retrouver une stabilité durable face à tous ces défis sécuritaires ? L.I.T.M. : À très court terme, il semble que le Nigéria connaîtra une nouvelle montée des tensions en raison des prochaines élections présidentielles qui risquent d’agiter encore la scène politique du pays. Le leadership de Goodluck Jonathan reste en partie contesté au sein même de sa formation, certains leaders du Nord lui reprochant de ne pas avoir respecté la règle de l’alternance entre le Nord et le Sud. En effet, le président actuel aurait dû, à la mort de son prédécesseur Umaru Yar'Adua, céder la place à un président venu du Nord, selon la règle implicite de l’alternance définie au sein du parti dominant… Propos recueillis par Ibrahim Souleymane A PROPOS DE L’INSTITUT THOMAS MORE Fondé en 2004, l’Institut Thomas More est un think-tank d’opinion et un centre de recherches indépendant basé à Bruxelles et Paris. Il diffuse des notes, des rapports, des recommandations et des études réalisées par des spécialistes et organise des conférences, des rencontres et des séminaires sur ses thèmes d’études. MOUVEMENTS ET NOMINATIONS Nouveau représentant du Maroc à l’ONU L’ambassadeur Omar Hilale est le nouveau représentant permanent du Royaume du Maroc auprès de l’Organisation des Nations unies à New York. Depuis novembre 2008, S.E. Omar Hilale était ambassadeur, représentant per- manent du Maroc auprès de l’office des Nations unies à Genève. Omar Hilale est un diplomate chevronné. Il a été notamment secrétaire du ministère des Affaires étrangères (2005-2008). De 1976 à 2005, il a servi dans les ambassades du Maroc à Alger, Monrovia, Addis-Abeba et a été ambassadeur en Australie, à Singapour et en Nouvelle-Zélande. S.E. Yo Tiemoko représentant de la FAO au Bénin S.E. Yo Tiemoko est désormais le représentant résident de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) au Bénin. Dr Yo Tiemoko a été directeur général du Centre de recherche agronomique (Cnra) de Côte d’Ivoire. Yo Tiemoko compte plus de 25 années d’expérience dans le domaine du développement agricole. Il a été notamment président du Forum pour la recherche agricole en Afrique (Fara), de 2010 à 2013. Titulaire d’un doctorat de l’université de Rennes (France) et d’un master en agriculture tropicale de l’université de Witzenhausen (Allemagne), Yo Tiemoko parle couramment français, anglais et allemand. Nomination de l’ambassadeur du Burkina au Koweït Nouvel ambassadeur du Bénin aux ÉtatsUnis Nouvel ambassadeur du Mali à Paris S.E. Boubacar Koté a été nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Burkina Faso au Koweït. L’ambassadeur Koté, diplomate de formation, est un bon connaisseur du pays. En effet, il a été précédemment chargé d’affaires du Burkina au Koweït. Il aura la lourde mission de redynamiser la coopération entre les deux pays, marquée depuis quelques années. S.E. Omar Arouna a été nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Bénin aux États-Unis. Cette nomination est vue par certains comme une offensive diplomatique qui vient donner un nouveau souffle à la diplomatie béninoise au pays de l’Oncle Sam. Le nouvel ambassadeur est bien introduit à la MaisonBlanche, au Congrès américain et dans les lobbys américains. Il a une bonne connaissance de l’environnement américain. La diplomatie malienne change de tête en France. Les autorités maliennes ont nommé au poste d’ambassadeur Cheick Mouctary Diarra pour défendre les intérêts du pays en France. Rompu aux rouages de la communication, Cheick Mouctary Diarra avait déjà été ambassadeur au Sénégal. Il s’est fait un nom dans son pays comme rédacteur en chef de l’Essor et en tant que défenseur de la démocratie et de la presse. que nous voulons». Du 22 au 24 mai 4ème Conférence annuelle de l’Union africaine pour la renaissance, à Pretoria Thème : «Cinquantenaire de l’Organisation de l'Unité africaine / Union africaine (OUA/UA) et son avenir : A la recherche de solutions africaines aux problèmes africains». Du 23 au 25 mai 2014 3ème édition New York Forum Africa à Libreville, Gabon La 3ème édition du New York Forum Africa se tiendra du 23 au 25 mai 2014 à Libreville, au Gabon. Le thème de cette année sera la Transformation du continent. Du 5 au 7 juin 2014 Sommet mondial des femmes, Paris La France accueille le Sommet mondial des femmes, à Paris du 5 au 7 juin 2014. Du 17 au 18 juin Réunion de haut niveau sur les droits de l’homme et l’État de droit à New York Nouvelle représentante de l’UA à Madagascar La Djiboutienne Hawa Ahmed Youssouf vient d’être nommée par la Commission de l’Union africaine en janvier dernier, comme nouvelle chef du bureau de l’UA pour la Communauté de développement d’Afrique australe (Sadc), à Madagascar. Hawa Ahmed Youssouf a été ministre de la Promotion de la femme et des affaires sociales à Djibouti, puis ministre de la Coopération internationale. Elle a occupé le poste de représentante spéciale de l’UA en République centrafricaine, de 2010 à 2013. Titulaire d’une maîtrise en relations internationales obtenue à l’université de Reims en France, l’ex-ministre a été en 1999 la première femme à occuper des fonctions ministérielles en Djibouti. AGENDA DIPLOMATIQUE Du 6 au 9 mai ONU/Commission économique pour l’Afrique, Addis-Abeba La réunion de groupe spécial d’experts sur les statistiques du commerce extérieur de l’Afrique se tiendra à Addis-Abeba, Éthiopie du 6 au 9 mai. Du 19 au 23 mai 2014 Sommet mondial sur la société de l’information, Genève, Suisse Le Sommet mondial sur la société de l’information (ou SMSI) est un forum mondial organisé par l’Union internationale des télécommunications (UIT), une agence de l’ONU. Il vise à réduire l’inégalité vis-à-vis de l’accès à l’information à travers les NTIC et l’Internet. Du 19 au 23 mai 2014 Assemblée annuelle du Groupe de la BAD, Kigali, Rwanda La prochaine assemblée annuelle du Groupe de la BAD se tiendra à Kigali au Rwanda. Le thème de la rencontre est «Les 50 années à venir : l’Afrique Du 19 au 22 juin 2014 Forum Crans Montana, en juin à Rabat La 25ème session annuelle du Forum Crans Montana aura lieu à Rabat du 19 au 22 juin. Près de 1 000 décideurs du monde entier sont attendus à ce grand rendez-vous. Du 5 au 6 août 2014 Sommet Etats-UnisAfrique, à Washington Washington abritera les 5 et 6 août prochain le premier «Sommet USALeaders africains». MAI 2014 • 9 POINT DE VUE L’Union africaine toujours en quête de légitimité rès d’une décennie après sa création (sur les cendres de l’OUA), l’Union africaine peine à faire entendre sa voix sur la scène internationale. Entre multiplication des conflits politiques et forte dépendance financière extérieure, l’organisation continentale est toujours en quête de légitimité. Tout porte à croire que l’évolution du continent n’est pas en phase avec celle de ses institutions. Les nouvelles perspectives notamment économiques de l’Afrique engendreront sans doute de nouveaux défis pour l’UA. Avec ses 53 membres (excepté le Maroc qui s’est retiré de l’ex-OUA depuis 1984), l’Union africaine est l’une des plus grandes organisations internationales du monde par le nombre de pays qu’elle rassemble. Pourtant, son influence sur la scène internationale n’est pas à la hauteur de sa taille. La parfaite illustration de cette faiblesse en matière d’influence internationale est le faible poids du continent au sein de l’ONU et des autres organismes internationaux. Pourtant, c’était l’une des ambitions affichées par les auteurs de l’initiative ayant mis fin à l’OUA pour créer l’UA. Un changement de cap opéré au début des années 2000 à travers de nouveaux mécanismes et une nouvelle organisation institutionnelle, lesquels devraient permettre au continent de parler d’une seule voix et de prendre la place qui lui sied au sein de la communauté internationale. Plus d’une décennie après, l’UA n’a pas encore apporté le changement attendu. La voix de l’Afrique peine à s’imposer sur la scène internationale et, le comble, même sur des questions internes au continent. P Échec Il faut dire que l’UA dont le but prioritaire est de promouvoir l’intégration africaine sous tous ses aspects n’était pas partie sur de bonnes bases. Les luttes de leadership au niveau continental, la multiplication des conflits nationaux et parfois régionaux ainsi que la faiblesse des moyens financiers propres constituent autant de facteurs qui limitent l’action de l’UA aussi bien sur le continent que sur la scène internationale. Le symbole de cette dépendance aux bailleurs de fonds extérieurs s’illustre par la création même du siège de la Commission de l’UA à Addis-Abeba en Éthiopie, puisque le complexe a été financé par la Chine. En 2012, l’organisation a peiné à boucler son budget 10 • MAI 2014 interne qui dépend pour plus de 60% des partenaires étrangers (Union européenne, États-Unis, Japon...). On comprend pourquoi, l’UA n’a pas encore réellement les moyens de ses ambitions. Selon certains observateurs, c’est l’absence de réelle volonté politique à l’échelle des leaders du continent qui explique cette situation. Autant dire que, dès le départ, l’UA a été prise en otage par le scepticisme de certains dirigeants de l’époque, qui redoutaient que la création d’une puissante organisation panafricaine vienne mettre en péril leur pouvoir ou réduire leur influence. Sur le continent, son efficacité reste encore à prouver. Jusque-là, en effet, les actions de Certains relient cette influence grandissante de l’UA au poids grandissant du continent dans l’économie mondiale. C’est un fait, et toutes les statistiques le confirment, l’Afrique constitue l’un des principaux moteurs de croissance de l’économie mondiale. l’organisation ont plus été concentrées sur la résolution de conflits politiques ou sécuritaires qui affectent le continent. Sur le terrain de l’éducation ou de la santé par exemple, le bilan de l’UA se résume pour l’essentiel à de nombreuses résolutions parfois sans effet. Même sur la résolution des crises, le bilan de l’UA est peu reluisant. Les échecs des tentatives de médiation menées par l’organisation dans plusieurs pays et les lenteurs dans la prise de décisions ont mis à nu cette faiblesse de l’influence de l’UA. La répétition des changements anticonstitutionnels ces dernières années, la récurrence des crises électorales ou le retard pris dans la résolution des conflits malien et centrafricain constituent autant d’exemples qui étayent ce constat. Le blocage que connaît par exemple le début des opérations de la Force africaine en attente pour pallier dans Ibrahim Souleymane Rédacteur en chef Les Afriques DIPLOMATIE l’urgence les conflits et protéger les populations civiles est un autre exemple de l’échec de l’UA en la matière. Résultat, c’est les autres organisations basées sur le même mod è l e co m m e l ’ Un i o n e u ro p é e n n e o u certaines puissances extérieures (USA, Chine…) qui volent au secours des pays africains en cas de crise politique, sécuritaire ou même humanitaire. Nouvelles ambitions Ces dernières années pourtant, l’Union africaine commence à sortir un peu «sa tête de l’eau» et à s’affirmer sur la scène internationale. La voix de l’organisation semble porter de plus en plus notamment dans la gouvernance mondiale même si le poids n’est pas à la hauteur de la taille ou de l’économie du continent. Même si elle n’a pas les moyens de ses actions, l’UA est de mieux en mieux prise en compte dans les organisations internationales comme un interlocuteur qui représente l’ensemble de ses membres. Les missions de médiation ainsi que les interventions militaires sont menées de plus en plus sous l’égide ou avec l’accord de l’organisation (Misca, Misma,...). Mais certains relient cette influence grandissante de l’UA au poids grandissant du continent dans l’économie mondiale. C’est un fait, et toutes les statistiques le confirment, l’Afrique constitue l’un des principaux moteurs de croissance de l’économie mondiale. Cette tendance est appelée à se poursuivre dans les prochaines années au vu de l’immense potentiel du continent et de la montée en puissance de la classe moyenne. Mais ces perspectives qui s’offrent à l’Afrique ne seront qu’un mirage si le continent ne relève pas certains défis prioritaires, comme la paix et la sécurité, préalables de tout développement socioéconomique. Consciente de cette urgente nécessité, l’UA fait désormais de ces aspects ses défis prioritaires. Elle étend désormais ses actions aussi vers la promotion de l’intégration économique qui semble donner plus de résultats tangibles que l’approche purement politique. Dans le contexte mondial actuel où le poids économique constitue un atout stratégique, les pays africains n’ont d’autres choix que de s’inscrire dans la voie de l’intégration. L’économie constitue donc une seconde chance offerte à l’UA pour étendre son influence pour exister pleinement.