à Culture et Liberté Garonne - Bienvenue sur le site CRIAR Récits
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Les ateliers « récits de vies » à Culture et Liberté Garonne 1 - Le courant des « histoires de vie en formation » « Se raconter n’est pas neutre et cela peut devenir un réel contre-pouvoir à ce qui est écrit dans les livres d’histoire, notamment lorsqu’il s’agit de récits collectifs. Plus encore, les histoires de vie collectives peuvent être vécues en tant qu’actes de résistance face à des dominations culturelles et idéologiques. Aussi l’éducation populaire a toute sa place sur ces questions car elle se caractérise, notamment, par l’action collective et par la transformation des représentations de l’environnement si elle se définit en tant que travail de la culture en résistance à la culture dominante ».1 La démarche des « histoires de vie en formation » est de plus en plus utilisée en France mais aussi au Canada, en Suisse, au Japon, en Allemagne… comme pratique de formation et comme approche de recherche « anthropologique ». Mais quels sont les objectifs et les enjeux de cette démarche ? Peut-être, d’abord, de déterminer la manière dont nous nous sommes construit : les processus de constitution individuelle ; comment les individus deviennent des individus. Et tenter de répondre aux questions : Qui suis-je ? Pourquoi et comment suis-je arrivé, aujourd’hui, à me poser la question de mon identité. Quelles sont mes filiations ? En qui me reconnais-je (influences, représentations, héros…) ? Quels sont mes liens socio-historiques, géographiques et culturels ? Par quels apprentissages suis-je passé et qu’en ai-je retiré ? La recherche biographique en formation peut aider à formuler des réponses aux questions identitaires que je me pose et la démarche peut m’aider à évoluer. Ce sera notre capacité biographique et heuristique, à rentrer dans ce processus de formation par l’observation de notre parcours de vie et le récit que nous allons en faire qui va, se faisant, fabriquer le sujet de notre histoire. 1 Layle Tatem et Nicolas Fasseur (avant propos), Mémoire, territoire et perspectives d’éducation populaire. Edition Le Manuscrit, Paris, 2008 Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 1 Ce sera notre capacité à établir des liens entre les expériences vécues, les souvenirs du passé, la forme présente de la vie et nos projections dans l’avenir qui vont participer à notre formation et à construire notre propre compétence biographique, notre propension à la recherche biographique. Ce sera cet effort et cette démarche pour regarder et analyser notre propre parcours de vie qui va augmenter notre propre niveau de conscience et nous apporter les éléments de connaissance sur notre histoire de vie et la manière dont nous nous sommes construit. 2- Quelques auteurs qui interrogent « les histoires de vie en formation », qui en cernent les contours: Christine Delory-Momberger cite Paul Ricoeur : « Nous ne faisons pas le récit de notre histoire parce que nous avons une histoire. Nous avons une histoire parce que nous faisons l’histoire de notre vie ». La démarche nous oblige à une mise en intrigue (qui) est l’opération qui tire d’une simple succession une configuration2 et qui organise les éléments dans un ordre, une totalité intelligible… qui donne forme au vécu, aux expériences. C’est une opération discursive, herméneutique en acte… et le narratif est le lieu où l’individu humain prend forme, où il expérimente l’histoire de sa vie. Henri Desroche, dans Entreprendre d’apprendre : d’une autobiographie raisonnée aux projets d’une recherche-action3 montre comment l’individu est imprégné et prégnant d’un potentiel culturel et praxéologique et peut construire un projet à partir des matérialités d’une expérience vécue par une lecture de la bioscopie. Ce que Jean Vassileff corrobore dans La pédagogie du projet en formation4 grâce à une recherche sur soi-même, la chronologie de son histoire, l’histoire de ses parents, les déterminants conjoncturels (éducationnels) et structurels (affectifs) et le rapport au savoir. 2 Ricoeur Paul, Temps et récit, Gallimard 1983 Les éditions ouvrières, Paris 1990 4 Edition Chronique sociale, Lyon 1997 3 Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 2 Gaston Pineau et Jean-Louis Le Grand dans Les histoires de vie5 montrent comment celles-ci construisent du sens et produisent la vie. Alex Lainé écrit Faire de sa vie une histoire : théories et pratiques de l’histoire de vie en formation6 et montre les rapports avec la psychothérapie, les sciences humaines et la modernité en tant que fait culturel et genre littéraire. Christine Josso, dans Cheminer vers soi7, écrit que le récit de vie sert d’enracinement à toute démarche de pensée, de formation et de projet d’insertion sociale en participant ainsi à l’instauration d’un nouveau paradigme dans la construction des connaissances et une conception de l’éducation centrée sur la reconnaissance de nos ressources intérieures et de nos potentialités. Pierre Dominicé propose une méthode de recherche et démarche de formation des adultes intitulée biographie éducative dans son ouvrage L’histoire de vie comme processus de formation8. Dans Les récits de vie9, Daniel Bertaux aide à distinguer entre l’histoire vécue par une personne et le récit qu’elle peut en faire et situe les récits de vie dans une perspective ethnosociologique. Christine DeloryMomberger qui a écrit Histoire de vie et recherche biographique en formation10 après son ouvrage De l’invention de soi au projet de formation, montre, par l’exemple, une biographie du chercheur et de la recherche biographique en formation. Autant d’auteurs, de chercheurs, de pédagogues qui nous font entrer, d’une façon ou d’une autre, dans le monde des « histoires de vie en formation ». Mon histoire explique ce que je suis. Le projet de soi permet de faire advenir la fable d’une histoire qui dessine un avenir. On est donc bien dans une linéarité improbable et mouvante qui part d’un passé reconstitué avec les faillites de la mémoire et les ombres du subconscient pour arriver à une réalité/fiction du moi d’aujourd’hui qui écrit et raconte, jusqu’à ses projections (projets) dans l’avenir. 5 Que sais-je, PUF, Paris 1993 Chez Desclée de Brouwer en sociologie clinique, Paris 1998 7 L’âge d’homme, Lausanne, 1991 8 Editions l’Harmattan (défi-formation) Paris 1992 9 Nathan Université, Paris 1997 10 Editions Economica/Anthropos, Paris 2005 6 Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 3 3 – Les ateliers d’écriture « récits de vies » Les ateliers « récits de vies » que l’association d’éducation populaire « Culture et Liberté Garonne » proposent ne peuvent se réclamer, en totalité, de la démarche des « histoires de vie en formation » qui exigerait plus de temps et une autre façon d’y entrer. Nous avons décidé de la mettre en œuvre sous la forme d’un atelier d’écriture où nous nous attachons surtout à initier l’écriture de « récits de vies » de formes variées, de type autobiographique. Les ateliers « récits de vie » se définissent comme des ateliers d’écriture spécialisés dans le but d’y « écrire sa vie », tout au moins de commencer à s’y mettre. Ce n’est ni en 3 jours, ni même en 5 jours que l’on pourra épuiser ce sujet. Mais, au moins, aurons-nous tenté d’en dessiner le cadre. Les participants ont donc à puiser dans leurs réservoirs de souvenirs et de représentations afin de choisir les matériaux qui vont constituer les briques du récit. Parce que « quand la mémoire va chercher du bois mort, elle ramène le fagot qui lui plaît ». Ce qui laisse un champ illimité à la liberté de chacun de se montrer sous le jour choisi, de se cacher ou de se déguiser. Chacun choisit sa façon de dire. Et la forme du récit caractérisera aussi l’identité de son auteur. Différentes entrées pour aborder le récit seront proposées qui pourront, soit venir en illustrer le déroulé chronologique ou thématique, soit en constituer une sorte de trame fragmentaire. La démarche choisie tente donc de concilier cette double entrée : la pédagogie des « ateliers d’écriture » et celle des « histoires de vie en formation ». La progression est relativement facile à suivre, surtout pour les personnes ayant déjà goûté aux « ateliers d’écriture » et se fait dans le plaisir. Même si nous abordons forcément des périodes ou des personnages de la vie que nous n’avons pas le moins du monde envie de revoir ou de revisiter parce que c’est encore trop prégnant de tristesse, de peurs, d’échecs ou de misère, notre principe d’action sera, avant tout, la recherche du plaisir dans l’acte d’écrire, la construction de textes s’inscrivant dans la recherche littéraire. Nous tentons d’inciter les participants à organiser leur(s) récit(s) dans un but ultime de communication et, donc, de rechercher en eux-mêmes une forme suffisamment distanciée et agréable à lire pour un lecteur extérieur. Si l’écriture, comme toute écriture, s’avère moyen thérapeutique pour les participants, tant mieux. Mais l’objectif de l’atelier n’est pas là. Il tente, plutôt, de répondre à des désirs de reconnaissance identitaire, de développement personnel, de transmission et de communication. Il souhaite, lorsque c’est souhaitable et possible, permettre d’enrichir une collection de récits de vies construite à partir de vies singulières de quelques femmes rencontrées et volontaires pour suivre ce chemin. Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 4 4 – C’est quoi, faire son histoire de vie ? Faire son histoire de vie, c’est chercher à construire narrativement le sens de cette vie en identifiant et conjuguant ses connecteurs déterminants dans l’environnement mais aussi dans le vécu de l’organisme. C’est rechercher en soi et dans son parcours de vie son propre itinéraire de formation : Qu’est-ce que la vie m’a appris, quand, comment ? Quelles sont les expériences, les rencontres qui m’ont le plus appris et pourquoi ? Comment me suisje construit ? « Il s’agit, non de dérouler un récit, mais de construire une histoire au sens méthodologique du terme. Le récit fournit des évènements, passés et présents, qui, peu à peu, par des liens de cause à effet, des similitudes ou des oppositions, des regroupements, des hiérarchisations, se structurent en un ensemble cohérent. Les évènements, en se réorganisant, se relativisent : Ce n’est plus l’évènement en tant que tel qui est important mais la chaîne logique dans laquelle il s’inscrit. La logique, la cohérence des histoires apparaît lorsque le jeu des déterminants structurels et conjoncturels est repéré dans la signification et l’interaction des évènements du récit »11. Argumentaire : « Si tu ne sais pas où tu vas, sache, au moins, d’où tu viens ». 5 - Comment l’écrire ? La dérouler, la réécrire par petites touches, sous forme de fragments. Inventer dans l’écriture son propre style autobiographique. Ou bien récit de vie classique et chronologique. Des récits où l’on raconte, par écrit, son histoire. Essai rationnel de coller aux faits et au réel (mais que sait-on de ses sentiments et émotions passées lorsqu’on était enfant12 ?) ou, au contraire, écriture d’une fiction autobiographique, ramassis d’affabulation, détournements et récit inclassable ? Ni autobiographie, ni roman, ni autofiction mais un genre nouveau13 ? 11 Vassileff Jean « Histoire de vie en formation par enquête de groupe » in « Méthodologie des histoires de vie en formation de formateurs », Peuple et Culture, éducation permanente, Paris, mai 1992. 12 Autobiographie d’un enfant, Jacques Brosse, Ed. José Corti, Paris, 1993 13 Rapport sur moi, Grégoire Bouillier, Ed. Allia j’ai lu, 2003 Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 5 Recherche simultanée de soi dans son histoire et d’une forme littéraire renouvelée et personnelle14 ? Emploi du tu, du je (jeu) ou du il (elle) ? Conversation avec soi, lettre à ses parents15, à ses frères ou enfants, saga familiale, conte ou chronique, roman de famille ou inventaire généalogique, récit d’expériences, carnet de voyage ou journal intime16 ? Sous le mode lyrique et dithyrambique, sous forme humoristique ou anecdotique ? Caricatural, exagéré ou seulement narratif ? De la prose ou de la poésie ? Des dialogues, des métaphores, des images ? S’habiller, « habiller » un récit, c’est aussi une façon de se présenter, de dire qui je suis. Alors, la façon de dire et de se dire, de se montrer, de se cacher, de donner forme au récit par le choix d’un angle d’approche, des couleurs, du ton, des sonorités..., c’est aussi important que ce que l’on a à dire. Ici encore, recherche et choix. 6 – Mots-clefs de la méthode - Autoformation : Le narrateur est toujours l’auteur. Les évènements de ma vie n’existent que par le récit que j’en fais : Choix du degré d’implication, de créativité, de recherche... dans les contenus et dans la forme. - Recherches et enquêtes sur des fragments de réalités et expériences vécues (l’existence précède la conscience) : Travail d’anamnèse (accumulation de matériaux pour écrire) et d’autoanalyse (Repérage de la trajectoire, de sens, de valeurs, des qualités) - Processus auto-réflexif. Ce travail introspectif, pour être producteur de distanciation, ne peut se dérouler que dans la confrontation au regard d’autrui en jouant sur les effets de contraste que cette confrontation engendre. D’où écriture individuelle mais dans la dynamique de groupe d’un atelier d’écriture. « Etre à la fenêtre et se regarder passer dans la rue » (Auguste Comte). 14 Je suis né (et « w et le souvenir d’enfance », » je me souviens »...) Georges Pérec, Seuil, 1990 Lettre au père, Kafka, Folio Gallimard, 1957 16 Journal, Eugénie de Guérin, Barthès, Les amis des Guérin, 1934 15 Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 6 - Ecriture : « Mes cahiers racontent l’intrusion de mon esprit dans un monde qu’il découvre et qu’il fait découvrir, les aventures de la réflexion et de la rumination, les hauts et les bas de l’identité individuelle à situer dans tout ce qui est collectif. Je le fais au fil de la plume, sans l’effort de me fabriquer un style littéraire comparable à ceux que j’admire, par exemple chez Gide, Jouhandeau ou Judrin. J’aime écrire sans rature ni reprise, et je préfère l’imperfection de l’improvisation, plus proche de la parole, en tout cas de ma parole »17 7 - Pour dire quoi ? Vouloir tout dire et raconter au risque de lasser soi-même et les autres. N’écrire que l’essentiel, l’existentiel ou bien les petits détails ? Les émotions fortes, les évènements importants, les moments cruciaux ou les petits bonheurs quotidiens ? Une suite d’instantanés ou un patchwork de portraits, d’évènements, de périodes ? Cela dépend du projet mais aussi de la manière dont on veut raconter. Cela dépend du destinataire : Pour qui écrit-on ? Et comment le lecteur visé risque-t-il d’apprécier ou non cet écrit ? Est-ce un écrit à vocation pédagogique et des réflexions sur l’âme, l’infini, la vieillesse et la mort18 ? Est-ce la découverte de l’adolescence et l’émergence de ce que l’on est19 ? Est-ce l’histoire d’un parcours singulier20 ou d’un vécu particulièrement pénible21 ? Dire ce qui me fait exister ! Quête de soi, inséparable d’une relation à autrui : Places éphémères dans des regroupements humains de plus ou moins longues durées, avec une présence plus ou moins active en regard de fonctions à remplir, de tâches à effectuer, de rôles à jouer... On se construit toujours par rapport au regard de l’autre (en particulier dans la relation amoureuse). 17 Hardivilliers Axel « Journal d’une graphomanie » Ed. Les impressions nouvelles. In « Lire », février 2004 18 L’âge d’homme, Michel Leiris, Gallimard, 1939 19 L’enfance d’un chef, Jean-Paul Sartre, Folio-Gallimard, 1939 20 L’analphabète (récit autobiographique), Agota Kristof , Ed. Zoë, Genêve, 2004 21 Les mots pour le dire, Marie Cardinal, Grasset Livre de poche, 1975 Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 7 Recherche de sens (direction, signification, sensation) : « Imagine un capitaine qui, à chaque instant, relèverait mathématiquement sa position et suivrait sa route vers son objectif avec une rigueur implacable. Mais qui ne sait pas pourquoi il va vers cet objectif... » 22 Quels sont mes déterminants, les valeurs, les finalités qui me font agir, qui me font vivre ? Répertoire de mes valeurs héritées et revendiquées. Qu’est-ce que je veux transmettre (et à qui ? Enfants, petits-enfants, élèves, collègues, collectivité locale, l’Histoire… Détermination d’objectifs personnels Introspection, développement personnel et recherche identitaire, démarche thérapeutique, transmission… ? Quel est l’objectif ? « Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne connaît pas son port » (Sénèque) - Pourquoi suis-je en formation ou en atelier d’écriture ? Qu’est-ce que je cherche ? (sur les plans personnels, professionnels, institutionnels) Recherche du questionnement : Quel est l’objet de ma quête ? - Qu’est-ce que je veux ? (dans un an, dans cinq ans...). Lorsque..., je serai... Options, présupposés vers réalisation d’un devenir Connaissance de soi, vers émergence d’un Soi plus conscient et perspicace - Pourquoi écrire mon récit de vie ? Quelle est ma quête ? Qui je veux contenter, à qui je veux transmettre quelque chose et quoi transmettre ? 8 – Faire son histoire de vie ? * Une fonction anamnésique et cognitive Le récit et le travail de son histoire de vie permet à chacun d’approfondir la connaissance de soi-même : Inventaire quantitatif, repérage qualitatif des logiques inhérentes à l’histoire. Par exemple, selon l’approche de Henri Desroches, « l’autobiographie raisonnée », remplir un tableau avec les âges, années, lieux, études formelles, études non formelles, activités sociales, activités professionnelles et tenter d’y déceler les apprentissages (comment et pourquoi), les qualités mises en oeuvre, les valeurs qui sous-tendent les activités, les liens entre les colonnes, entre les faits. 22 Ernesto Sabato, « Le tunnel », Points Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 8 2 – Puis, se poser quelques questions qui resteront en filigrane comme un fil invisible qui guidera le récit : Ai-je une histoire ? « Nous ne faisons pas le récit de notre vie parce que nous avons une histoire. Nous avons une histoire parce que nous faisons le récit de notre vie23 » Vaut-elle la peine d’être racontée ? Qu’est-ce qui a été significatif dans ma vie ? Comment rendre compte du cheminement intérieur qui accompagne les « faits » de ma vie ? Dire ses origines, sa famille, son ethnie, son éducation, son environnement culturel, son rapport au monde, aux gens, aux objets familiers, ses hobbies, les étapes importantes de son parcours et comment on imagine son futur. 3 – Tenter de faire de son parcours une auto-interprétation critique parce que : « Ecrire son histoire de vie, c’est transformer une vie socioculturellement programmée en oeuvre inédite à construire ». * Une fonction expressive et narrative, de socialisation et de communication : Ecriture, expression, transcription, oralisation, communication Construire son récit : « Me voici loin de ce que je me proposais de raconter en abordant l’avant dernière partie d’un chapitre consacré à ce qui, parmi les évènements de ma vie, se rattache pour moi au thème de « l’homme blessé ». A mesure que j’écris le plan que je m’étais tracé, m’échappe et l’on dirait que plus je regarde en moi-même plus tout ce que je vois devient confus, les thèmes que j’avais cru primitivement distinguer se révélant inconsistants et arbitraires, comme si ce classement n’était en fin de compte qu’une sorte de guide-âne abstrait, voire un simple procédé de composition esthétique »24. Ecrire et lire son histoire devant un petit groupe de personnes qui écoutent ce qui les touche, se représentent les liens entre les évènements ; le rapport au monde du narrateur, les valeurs portées, les interprétations du monde, de soi, des autres. Et qui s’interrogent comment les évènements racontés ont participés à la construction de la personne. Surtout si le récit est centré sur les parcours d’apprentissage, sur les rapports au savoir, sur la recherche de ses compétences. 23 24 Delory-Monberges Christine « Les histoires de vie : De l’invention de soi au projet de formation », Paris. Leiris Michel « L’âge d’homme », folio, Gallimard, 1939 Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 9 * Une fonction interprétative et structurante, de décentration et d’objectivation Repérage des logiques qui lient entre eux les éléments de son histoire. Renforcement par l’écriture qui, en soi, est structurant et organisateur : - Structuration du récit en même temps que renforcement du sujet qui conduit et oriente cette structuration. Repérage de l’itinéraire dans l ‘histoire sociale (historicité) Ecriture de fragments autobiographiques. Selon le dictionnaire, fragment, « morceau d’une chose qui a été cassée, ou la partie d’une oeuvre dont l’essentiel a été perdue ou n’a pas été composé ». C’est aussi « une esthétique et une éthique », c’est « la technique des petits pas ». « Pareil à une petite oeuvre d’art, un fragment doit être totalement détaché du monde environnant et clos sur lui-même comme un hérisson »... « Parole errante, contrainte à ne jamais trouver son gîte, le fragment existe sans feu ni lieu : le souvenir du poème le dévore » « Il ne développe ni n’aboutit. Inachevé, c’est une écriture en suspens entre prose et vers »25. Le fragment relève d’une technique : un art subtil de captation du réel. Le fragment est à la fois un tout et un élément (théorie des ensembles) A construire par petites touches comme un tableau pointilliste ou par accumulation de morceaux de tissus comme un patchwork. Chacun, avec l’aide de son tableau et du regard des autres (tout au long du module) va écrire un (ou plusieurs) récit(s) sous une (ou des) forme(s) choisie(s) (nouvelle, conte, récit d’aventure, poème épique, lettres, fragments, abécédaire, notice biographique, livre de bord, portrait, compte-rendu, etc.) en essayant de construire le récit autour de la construction du personnage (qu’est-ce qui l’a fait grandir et comment) dans toutes les étapes, actions, rencontres et périodes. « Le récit a la particularité de créer un personnage qui n’est pas exactement soi (identité narrative d’un être de langage) » « Dès qu’on écrit sur soi, le choix des mots, c’est déjà de la fiction » (Annie Ernaux) Ecrire son histoire de vie en se centrant sur les courants formateurs, les moments ou l’on a eu l’impression d’avoir appris quelque chose (quoi et comment) et sur sa propre généalogie. Itinéraire de formation et son ancrage dans la société globale et l’histoire. 25 Maulpoix Jean-Michel « poétique du fragment », cité dans « Les petits papiers ». Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 10 C’est donc aussi une fonction explicative : Dans son « panorama de vie », dans le réservoir inépuisable de sa mémoire, choisir, construire ou reconstruire les expériences de vie significatives caractérisant la formation du « je » (le comment et le pourquoi), les expériences « fondatrices » (comme dit Claire Lecoeur, de Aleph), expériences concrètes et bien localisées dans le temps et l’espace, dans des champs différents (personnels, professionnels, militant, social ou culturel) bien datées et localisées en temps, lieu et durée, et qui ont participé à la construction de sa personnalité. 9 – Essai d’explication sur la pédagogie suivie Une fois posée l’inscription de l’atelier dans le champ des ateliers d’écriture, naturellement, mais aussi, des « histoires de vie en formation » ; une fois données les étapes nécessaires pour l’écriture de son histoire ; une fois décrite la progression et les outils utilisés pour commencer l’écriture des récits, nous pouvons tenter d’en décrire les mécanismes avec ses avantages et les problèmes soulevés dans cette démarche. Les attentes des participants ne sont pas toutes les mêmes et, par exemple, dans l’atelier du 12/14 mai 08, sur cinq participantes il a fallu adapter la pédagogie, au moins, à trois types d’attente : 1° - Comment construire une méthodologie, quels enjeux dans la construction d’histoires collectives (écrites ou racontées) ? En quoi mon interrogation et l’écriture de ma propre histoire m’aideront à comprendre ce que je compte demander aux personnes qui seront impliquées dans mon projet de construction d’histoires collectives ? 2° - Comment trouver en moi les propres ressources en terme d’écriture, de contenus et de forme (style), en terme d’organisation de mes écrits pour faire un ou des récits de vie qui me satisferont (en terme littéraire) tant pour moi-même que pour les personnes à qui je voudrais le (les) faire lire ? 3° - Comment progresser en terme de recherche, d’écriture et de communication dans le groupe afin d’atteindre moi-même une satisfaction en terme de réponses à mes interrogations existentielles, psychologiques ou identitaires ? Comment l’écriture de mon récit de vie me fera-t-il grandir et me sentir mieux dans ma tête et dans mon comportement habituel ? Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 11 C’est donc tout l’enjeu de la progression pédagogique et des outils choisis… que de satisfaire l’ensemble des attentes par une succession de propositions qui feront appel, tantôt à la mémoire, au souvenir, à l’anamnèse, à l’accumulation de matériaux par les participants, tantôt à la manière de les écrire, de les organiser, de créer du sens (direction, signification, sensations) pour répondre aux attentes, souvent peu visibles, des participants. 10 – Insertion de la démarche dans un projet européen « Grundtvig » Notre partenaire italien, le Centre Culturel d’Amalfi, qui coordonne des enquêtes faites par de jeunes ethnologues, sans emploi, de la région auprès de personnes âgées qui se racontent et racontent la côte amalfitaine, permet la mise en scène du pays par ses habitants. Ce travail va permettre de montrer aux touristes que ce pays est aussi une terre habitée ayant une culture propre et des us et coutumes caractéristiques. Notre partenaire espagnol, l’association Ben Basso, organise des ateliers d’écriture auprès de femmes de la région de Séville et les récits de vie collectés feront la trame d’une histoire collective montrant le travail de l’olive, la guerre civile, la vie des femmes au foyer, etc. Nos ateliers en région toulousaine permettent l’expression de femmes sur les difficultés, les joies, parfois, le contexte social et culturel de parcours de vies singuliers. Nous souhaitons réaliser une collection de ces récits douloureux souvent (violences familiales ou conjugales, déprimes de jeunesse, drogues…) parfois exaltants ou joyeux, afin de montrer à d’autres personnes la recherche, parfois douloureuse du prince charmant, la quête insatiable de la vie et du bonheur, les pièges d’un monde souvent peu tendre. Les diverses entrées, les méthodologies différentes de ces trois partenaires, que des rencontres dans ces trois pays ont permis d’enrichir, convergent finalement vers un même objectif : construire à travers des « récits de vies » singuliers des paysages sociologiques convergents, une histoire de vies collective centrée sur un pays et/ou une thématique. Et ces histoires de vies collectives viennent finaliser les parcours de recherche sur soi et de reconnaissance identitaire mené par les participants dans le cadre des ateliers d’écriture en Andalousie et en Midi-Pyrénées ou sur l’histoire des habitants grâce aux enquêtes à Amalfi. Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 12 Annexe méthodologique : les étapes indispensables 1 – Se mettre au clair sur le projet d’écrire son « récit de vie » : Pour quelle raison, pour quelle destination, bref, pourquoi se mettre à écrire son « autobiographie » ou récit de vie ? : a) Démarche de recherche identitaire : mieux se connaître, se reconnaître des compétences, valider ses acquis, se trouver dans l’écriture, faire son autoportrait, b) Démarche de témoignage : laisser une trace, témoigner d’un parcours singulier pour les autres, pour ses enfants et petits enfants, faire connaître une existence à une certaine époque (la vôtre), un pays ou un endroit, une situation particulière (professionnelle, nomade ou humaine, de femme ou d’enfant, ethnique...) ou des moments historiques (guerres, mai 68, génocide du Rwanda...). c) Démarche existentialiste : Le sens de la vie, de sa vie ; militances associatives, syndicales ou politiques, sociales ou environnementalistes, professionnelles ou familiales ; positionnement religieux ou philosophique ; valeurs portées et vécues. 2 – Construire une logique (plan), une stratégie d’écriture (quoi dire et comment dire) ; se donner des incipit et propositions d’écriture (emploi du je, du jeu, du tu, du il ou elle ; j’écris comme si j’étais petit (Alice, autobiographie d’un enfant) ; dialogues ; journal ; carnet de route ; suite de nouvelles (fictionnelles) ou fragments ; autobiographie classique et chronologique ; pour parler de soi, de ses expériences, de ses valeurs, de sa famille (généalogie), de ses enfants... 3 – Amasser des matériaux (dès maintenant et tout le temps) ; les souvenirs qui arrivent en appellent d’autres lorsqu’on les écrit ; des photos, des lettres, des textes écrits jadis de soi ou des membres de sa famille, le livret de famille, un CV, des pièces à conviction (diplômes, certificats, conventions, contrats de travail, etc.) Poser des jalons, étalonner sa trajectoire en différentes périodes, mettre des dates et des durées, s’observer, analyser, expliquer. 4 – Commencer à écrire. C’est à dire prendre un stylo (avec lequel on aime bien écrire) et un papier (ou mieux un cahier qui puisse se garder) ou un ordinateur et une police qui plaît... et jeter un mot, puis deux, en vrac, comme ça vient. On rangera après (couper/coller). Le plus difficile ça n’est pas d’écrire, c’est de décider de s’y mettre (quand, où, avec quels horaires et périodicités : tous les jours de 5h à 9h ?) et... de s’y mettre. Et de se tenir à ce que nous avons décidé en dépit des aléas ! Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 13 Outils et méthodes utilisés dans l’atelier (annexe) Chaque participant amènera un ou deux ouvrages autobiographiques afin de les faire partager au groupe et de se constituer un début de bibliographie sur le sujet. « Tu seras un homme, mon fils » Femme au foyer (rôle traditionnel) Refus du carriérisme Tâches répétitives Insertion dans un environnement traditionnel Métier centré sur relations humaines Recherche d’autonomie Besoin de reconnaissance sociale Progression dans l’échelle sociale... Répertoire de valeurs revendiquées : Adhésion, choix, militantisme Finalités socio-politiques Révolte – rupture Complexe par rapport à son milieu d’origine Itinéraire (ou panorama) de vie : Explicitation de sa formation par la construction de son histoire de vie, sa mise en sens pour soi et le travail d’intercompréhension du processus de formation. Ambition d’élévation dans l’échelle sociale... Que vont penser les autres à travers ce que je raconte ? Que raconter de moi parmi tout ce qu’il m’est possible de raconter ? Qu’est-ce que je souhaite partager ou garder pour moi ? Que vais-je faire des questions et du regard des autres ? Comment parler de soi de manière à ce que ce soit intéressant pour tout le monde ? Ma vie est comme celle de tout le monde, qu’y a-t-il de particulier à raconter ? Mes origines : Mes parents, mon pays de naissance, ma région de résidence, mes frères et soeurs, ma famille, oncles et tantes, cousins, cousines. Ce qu’ils m’ont appris. Quels rapports ai-je établi avec ma famille ? De quelles classes sociales viennent mes parents ? Quelle culture ? Quelle langue parle-t-on chez moi ? Cela pose-t-il problème ? Valeurs héritées de ma famille. Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 14 Groupes ethniques ou castes, groupes socioprofessionnels, groupes d’affinités, groupes d’appartenance... Quelles identités ? Regard rétrospectif sur mes référentiels sociaux, historiques, culturels intériorisés Mon éducation, moi et l’école, mes professeurs. Ce que j’y ai appris. En classe, en récréation, en dehors de l’école. Les livres lus et auteurs rencontrés. Quel a été mon engagement (la part de moi-même) dans ma formation ? Où se situe mon autonomie ? Valeurs revendiquées. Mon environnement. Mes rencontres. Quels étaient, quels sont mes amis ? Que m’ont-ils appris ? Quel type de rapports ai-je avec eux ? Comment ai-je traversé l’histoire de mon temps ? Quelles sont les différentes facettes de mes identités multiples (consommateur, producteur, citoyen, parent, salarié, bénévole) ? Ma relation à moi-même, aux autres, à mon environnement naturel, humain, économique, social, culturel, à ma formation. Ma capacité à changer, à accompagner le changement, le développement, à être dans un environnement, à le transformer, à entrer en relation. Mes hobbys, ce que j’aime et n’aime pas, ce que j’aime faire, ce que j’aimerais faire. Mes valeurs, mes croyances Mes qualités, qualifications, compétences et capacités Quelles sont les étapes importantes de ma vie ? Quels changements ont-ils apportés ? Conscience de mes ressources et fragilités. Comment j’imagine mon futur ? Mise en projet de soi. Valorisations et représentations, attentes, désirs, projets. Etat des lieux (passé, présent, futur) : 7 – Expériences et expérimentations Ou comment apprendre à apprendre : - par des apprentissages existentiels (comment je me connais) - par des apprentissages relationnels ou interactifs (capacités à entrer en relation) - par des apprentissages explicatifs ou compréhensifs (capacité de réflexion et d’analyse) Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 15 Avoir des expériences (existence, action) Faire de nouvelles Expériences (expérimentation) Regarder mes expériences (observation) Penser mes expériences (Conscientisation par analyse et conceptualisation) Se préparer individuellement en choisissant 3 expériences 2- Prendre une expérience et la raconter devant un petit groupe de 2, 3 personnes. Choisir des expériences dans lesquelles on est acteur, actif et non passif, des rencontres, des évènements qui nous ont marqués et formés. La raconter en la localisant bien dans le temps et l’espace, en décrivant l’environnement, le contexte, les protagonistes. Les autres prennent des notes sur ce qui les touchent, les mots significatifs, les valeurs, les façons de voir et d’agir, les compétences mises en oeuvre, les apprentissages, les connaissances que cela suppose, etc. Le groupe va tenter de déterminer quelles compétences ou capacités, savoirs, savoir-faire, savoirs-être ont été mis en oeuvre, utilisés ou acquis, dans l’expérience décrite. Le narrateur pourra ensuite noter sur un tableau l’expérience et les compétences mises en oeuvre à cette occasion. Cette analyse répétée 3 fois (3 expériences décrites) pourra servir au narrateur à déterminer ses « piliers de compétence générique » (4 ou 5 compétences de base retrouvée dans les 3 expériences ou ailleurs dans le panorama de vie). Elle doit servir à enrichir le récit autobiographique et le portrait, soit sous forme de fragments rapportés, soit dans le corps même de la narration. Sous une forme choisie (pas forcément la même que pour le panorama) le narrateur va écrire un récit de l’expérience (puis les deux autres) qui viendront illustrer le panorama sous forme de brèves ou de « flash ». Ecrire, par exemple, une expérience mettant en lumière son propre rapport à l’écriture, à la lecture ou à la communication en général. Ecrire des récits de pratiques (en affinité profonde avec une action en situation), des pratiques d’écriture (Journal d’itinérance), des pratiques professionnelles et militantes à Culture et Liberté, pratiques d’atelier, pratiques d’animation, d’organisation... Culture et Liberté Garonne - Tugdual de Cacqueray – Ateliers « récits de vies » - 2008 16