Ep. de Paul à Tite, Jean-Loup DUCASSE, Paul, esclave. La
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Ep. de Paul à Tite, Jean-Loup DUCASSE, Paul, esclave. La
Jean-Louis DUCASSE, Paul, esclave, et la soumission. La question de la soumission dans la lettre de Paul à Tite1.2009. Oreilles délicates, attention ! La lettre de Paul à Tite (entre autres) suscite chez bien des lecteurs refus catégorique, agacement, ou même somatisation. En effet elle aborde comme à plaisir une série de questions qui fâchent et mettent mal à l’aise. A première vue il semble que Paul légitime des pratiques • machistes : Les femmes âgées sont engagées à former les jeunes femmes à être « soumises à leur mari » ( 2, 5), • esclavagistes : « Que les esclaves soient soumis en tout à leurs maîtres » (2, 9), • autoritaristes de la part o des anciens envers les jeunes « Les jeunes gens, exhorte les à être raisonnables en tout» (2, 6) o ou des institutions de la cité à l’endroit de tout un chacun: « Rappelle-leur qu’ils doivent être soumis aux autorités et aux pouvoirs » (3, 1) Or les binômes en cause (homme/femme, maître/esclave, anciens/jeunes, autorités/citoyens) représentent structurellement autant de lieux de relations dissymétriques souvent difficiles à vivre au quotidien, car vécues comme autant d’occasions de domination, d’exercice arbitraire du pouvoir, d’exploitation, de manipulation, de mépris… Prises séparément les recommandations de Paul telles que cités au dessus ne peuvent paraître que surannées ou tout simplement inacceptables. Qui envisagerait de revenir avant l’abolition de l’esclavage, l’émancipation des femmes, le dialogue entre générations, l’instauration de la démocratie ? Le soupçon porte ainsi souvent sur la validité de tout ou partie de la lettre dans la vie de foi des chrétiens aujourd’hui, et parfois même sur la crédibilité de Paul. 2 Mais l’un des principes fondamentaux de la lecture consiste à considérer le texte comme un tout de signification3. Que faisons-nous en effet quand nous considérons les versets 1 Pour toute référence au texte paulinien, nous citerons la traduction Osty. Certains auteurs, résolument critiques vis-à-vis de Paul, voient là une dérive de la foi au Christ des Evangiles. Cette dérive, dont certaines lettres attribuées à Paul seraient particulièrement porteuses, aboutirait à la légitimation de pouvoirs oppresseurs en tout genre largement utilisée depuis l’empire romain jusqu’à nos jours. Sans aller jusqu’à disqualifier Paul, d’autres commentateurs estiment ses lettres tout simplement tributaires du contexte social de l’époque. Replacé dans ce temps son propos contiendrait même des avancées remarquables, notamment par rapport à Onésime, l’esclave de Philémon, dont il ne remet pas en cause le statut mais qu’il demande à son maître d’accueillir comme un frère. D’autres encore pensent que l’attente imminente de la parousie n’incitait pas Paul à considérer comme importante les questions de justice dans les rapports sociaux. Chacune à sa manière, ces approches manquent un aspect décisif du texte que sa lecture figurative permet de dégager. 3 Ce sont les conditions internes de la signification que nous cherchons. C’est pourquoi l’analyse doit être immanente. Cela veut dire que la problématique définie par le travail sémiotique porte sur le 2 1/9 comme autant d’assertions indépendantes, sans prendre en compte leur articulation avec l’ensemble ? Tels des électrons libres, déchaînés, ils deviennent disponibles à toute interprétation idéologique. Pour échapper à ces lectures sommaires, il n’est d’autre chemin que l’observation méticuleuse des articulations, telles qu’elles se présentent dans le texte. L’adresse de la lettre tisse toute sorte de liens Paul, esclave de Dieu. Paul, esclave de Dieu… tels sont les tout premiers mots de la lettre. Immédiatement Paul se présente comme esclave, esclave de Dieu, avant même de se dire apôtre de Jésus Christ. Le statut d’esclave et la question de la soumission le concernent au premier chef. Il se place dans une position inédite d’esclave de Dieu, qu’il est le seul à occuper dans le texte. Le lecteur va être amené à lire la lettre en suivant les enchaînements qu’y inscrit cet esclave de Dieu. Paul esclave de Dieu, pour une œuvre. L’esclave de Dieu est ensuite désigné comme Apôtre (envoyé) de Jésus Christ. Il est envoyé au travail pour ce qui est de la foi des élus de Dieu et de la connaissance de la vérité conforme à la piété, en vue de (επ’) l'espérance de la vie éternelle qu’a promise avant des temps éternels le Dieu qui ne ment pas (1, 1-2). L’espace-temps-acteur de cette œuvre dépasse Paul. L’espace destiné aux élus de Dieu est celui de la foi et de la connaissance de la vérité. Le temps renvoie à des temps éternels, laisse espérer la vie elle-même éternelle et s’inscrit dans l’histoire des hommes comme en des temps marqués d’une manifestation (épiphanie). Quant aux acteurs, il s’agit d’abord de Dieu et de ses élus. Autant dire que Paul ne saurait mesurer les tenants et aboutissants de cette œuvre qui dépasse son entendement et sa maîtrise. Et cependant il y est envoyé, tel l’esclave qui ignore ce que fait son maître4. Paul, esclave pour une œuvre de Parole : Aux temps marqués, (Dieu) a manifesté sa parole dans une proclamation qui m’a été confiée, selon un ordre de Dieu notre Sauveur (1, 3). L’événement déjà advenu comme celui qui est à advenir, échappent tous deux à la maîtrise de Paul. Cependant son expérience, aux temps marqués, l’habilite à la proclamation aujourd’hui. C’est à cela qu’il est tenu, comme quelqu’un qui en a reçu l’ordre et ne s’appartient pas. On peut s’attendre à ce que les liens que tisse l’écriture de la lettre de la main de celui qui est esclave de Dieu, soient d’une nature déconcertante, alors même qu’ils délivrent de liens de servitude. C’est ce que nous allons vérifier d’abord en suivant l’usage que fait le texte du terme esclave, puis en explorant les diverses situations en lesquelles l’exhortation à la soumission est recommandée. fonctionnement textuel de la signification et non sur le rapport que le texte peut entretenir avec un référent externe. Le sens sera alors considéré comme un effet, comme un résultat produit par un jeu de rapports entre des éléments signifiants. C’est à l’intérieur du texte que nous aurons à construire le ‘comment’ du sens». Extrait de l’ouvrage ’Analyse sémiotique des Textes’, Presses Universitaires de Lyon, Groupe d’Entrevernes. 4 Jn 15, 15 2/9 Les usages du terme « esclave » au cours de la lettre5 Trois formes d’esclaves. Le terme esclave (doulos) revient à trois reprises : o En 1,1, immédiatement après le nom de Paul, comme premier attribut donné par le texte : Paul, esclave de Jésus Christ. o En 2,9, pour aborder la question de la relation entre maître et esclave : c’est en étant « soumis en tout à leurs maîtres » que les « esclaves » font « honneur en tout à la doctrine de Dieu notre Sauveur. o En 3,3 : « nous étions asservis (douleuontes) » pour désigner la position d’esclavage de «convoitises et plaisirs divers ». L’usage social ordinaire du terme, son sens premier, c’est celui de sa deuxième mention (2, 9) dans le texte. Il s’agit d’une relation sociale dont il semble qu’il y ait selon Paul à tirer un parti positif, à condition toutefois d’en trouver la pleine portée au delà de la relation duelle, dans la relation à Dieu. Le statut d’esclave, obéissant en tout à son maître, semble confirmer la dépendance totale de celui qui doit exécuter sans discussion les ordres de son maître, sans avoir à connaître ce à quoi cela sert. Le maître ayant en outre droit de vie ou de mort sur lui, sans avoir à en répondre devant qui que ce soit. Un écart par rapport au sens premier. La troisième mention (3,3) s’écarte du sens premier pour désigner une condition d’aliénation de l’homme par ce qui le séduit et à quoi il cède. Il ne s’agit plus de statut social, ni de dépendance par rapport à quelqu’un, mais de l’asservissement des besoins, de pulsions, qui dictent leur loi à l’homme. Il est capital d’être libérés d’un tel esclavage dont Paul reconnaît que jadis, lui comme les autres étaient captifs. Le fruit de cet esclavage était la détérioration des relations : « Nous étions jadis … odieux, nous haïssant les uns les autres » (3, 3). Avec cet écart, le texte manifeste qu’en matière d’esclavage, son propos n’est pas une question de statut social. Il va falloir considérer comment le texte construit une figure originale en mettant ce terme d’esclave en relation avec d’autres. Un usage franchement métaphorique. C’est le cas de la toute première mention, dont nous avons parlé plus haut. Quand Paul se dit esclave de Dieu (1, 1), il fait de ce terme un usage franchement métaphorique, que le texte fait jouer avec les deux autres usages du terme. En passant à l’usage métaphorique, Paul quitte tout à fait le contexte social. Il ne s’agit pas d’appliquer à l’esclave de Dieu tous les traits qui caractérisent le statut de l’esclave romain, mais au contraire d’orienter la position sociale d’esclave de telle sorte que tel ou tel de ses traits caractéristiques devienne signifiant d’un lien nouveau avec Dieu. Ce qui nous alerte c’est que la position d’esclave de Dieu pour Paul est liée à l’appel pour l’œuvre de Parole qui le dépasse. On voit bien là l’un des traits de l’esclave. Mais le but dernier de l’œuvre n’est pas de faire des esclaves de Dieu. Il nous faudra aller plus loin en observant le terme de l’œuvre, son aboutissement. Hors de cette 5 Pour l’instant nous ne retenons que les expressions qui renvoient directement au terme grec ‘esclave’ (doulos). 3/9 perspective le lecteur est à proprement parler désorienté. Avant d’y revenir contentonsnous de remarquer que, dès l’adresse « l’espérance de la vie éternelle qu’a promise avant les temps éternels le Dieu qui ne ment pas » (1, 2) élimine le trait du droit arbitraire de mort dont dispose le maître sur son esclave dans le droit romain. La chose est confirmée par ce qu’écrira Paul en citant « la bonté de Dieu notre sauveur et son amour des hommes. (3, 4). Trois emplois articulés Les trois emplois du terme ‘esclave’ observés contribuent à tracer les grands traits d’une figure au cœur de laquelle la soumission est décisive. La ligne discursive qui se trace ici laisse présager qu’il s’agirait : de quitter la position mortifère d’esclave des convoitises de toute sorte. de vivre positivement une attitude de ‘soumission’, particulièrement répercutée dans la relation de l’esclave à son maître dans la vie sociale (il va rester à observer comment). d’accueillir, en tant que lecteur de Paul, le bénéfice que l’on retire de sa position d’esclave de Dieu. Position qu’il tient pour le destinataire, Tite, et pour tout lecteur qui y consent. Voyez quels sont les liens de celui qui (vous) écrit, et de quels liens cette écriture (vous) libère pour en tisser de nouveaux. C’est alors l’enchaînement des signifiants qui nous indiquera l’intérêt de cette relation désignée dans des termes à vrai dire provocateurs. Comme souvent, pour ne pas dire toujours, dans le texte biblique, ce qui étonne, voire ce qui choque, va inviter le lecteur au voyage et le conduire là où il ne s’attendait pas à aller. La charge confiée à Tite et l’appel à la soumission dans différents types de relations. L’esclave appelle l’enfant au service d’une œuvre d’enfantement dans la foi. En vertu de la charge reçue, Paul l’esclave de Dieu invite Tite, « véritable enfant » (1, 4), destinataire de la lettre, à collaborer avec lui. Contrairement à bien des traductions qui disent : « mon véritable enfant » le texte grec ne comporte pas le possessif. Tite, « véritable enfant selon une commune foi », se voit annoncer « grâce et paix de par Dieu le Père et de Jésus Christ notre sauveur ». On voit s’ébaucher la figure de filiation qui va se préciser au long du texte. La foi enfante des fils au Père. Dieu notre sauveur « nous a sauvés par un bain de régénération et de la renouvellement de l’Esprit Saint qu’il l’a répandu sur nous richement, par Jésus-Christ notre sauveur, pour que, justifiés par sa grâce, nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle » (3, 4-6). Enfant, Père, régénération, héritiers, vie éternelle : une filiation nouvelle constitue l’objet de la promesse, le terme du parcours. La position d’esclave de Dieu est ordonnée à l’avènement de fils, dans le service de la Parole et selon la vraie doctrine. Une Eglise signifiante de l’accueil du don de Dieu. Pour collaborer à cette œuvre, Tite est invité par Paul à ce qu’à première vue, on pourrait envisager comme l’achèvement d’une organisation de l’Eglise, pourvue de rôles et de fonctions : «anciens 4/9 (presbytres), épiscopes ». C’est encore une mise au point, car on verra que cela répond au désordre de l’Eglise, comme nous le verrons plus loin. Or il apparaît à l’observation qu’il s’agit moins pour ces personnes d’assumer des tâches, les uns comme responsables les autres comme exécutants, que de se signifier les uns aux autres, dans la diversité des relations générationnelles, familiales, sociales, ecclésiales, la soumission afin que la Parole accomplisse son œuvre. L’insoumission à combattre. Les fidèles Crétois auxquels Tite est envoyé semblent vivre des relations troublées par des « insoumis, vains discoureurs et séducteurs » auxquels « il faut fermer la bouche, car ces gens-là bouleversent des familles entières, enseignant pour un gain honteux ce qu’il ne faut pas» (1, 10). C’est le règne de l’anti-parole qui aboutit au contre-témoignage : « Ils font profession de connaître Dieu, mais par leurs œuvres ils le renient » (1, 16). On retrouvera ce combat contre ce qu’on pourrait appeler l’anti-parole dans ses diverses formes d’expression tout au long de la lettre : (les « vains discoureurs » (1, 10), … la « médisance »(2, 3), … « que l’adversaire soit couvert de honte, n’ayant rien de mal à dire sur nous » (2, 8). A contrario, les qualités requises pour que les anciens exercent la fonction d’épiscope visent à ce « que la parole de Dieu ne soit pas blasphémée » (2, 5). Et il s’agit moins pour le lecteur de lister ces qualités que d’observer le dispositif que le texte met en place pour manifester que le vrai rapport à la Parole est inséparable de justes relations entre personnes et d’un sain usage des choses. Quant aux relations aux autres ils seront « maris d’une seule femme », auront des « enfants croyants », ne seront sous accusation « d’inconduite ou d’insoumission » (1, 6) Vis-à-vis des choses susceptibles d’éveiller en eux la convoitise, chacun fera en sorte de n’être « ni coléreux, ni adonné au vin, ni batailleur, ni avide d’un gain honteux, (1, 7),… ils seront libres. Ainsi se manifestera qu’en vérité chacun est «attaché à la parole sûre ; conforme à l’enseignement» (1, 9). Autant dire que le vrai témoignage de la Parole n’est pas simple communication d’un contenu exact mais qu’il se livre dans la justesse des liens relationnels de ceux qui l’ont entendu, et dans leur liberté par rapport à ce qui pourrait les asservir. C’est d’ailleurs ce fruit de la grâce du Seigneur que Paul reconnaîtra avoir reçu avec les autres croyants : « Nous étions jadis, nous aussi, insensés, indociles, égarés, asservis à des convoitises et des plaisirs divers, vivant dans la méchanceté et l’envie, odieux, nous haïssant les uns les autres » (3, 3) Soumission pourquoi, à qui et à quoi ? Paul demande à Tite d’appeler les frères à la soumission dans la variété des rapports sociaux (homme/femme, maître/esclave, anciens/jeunes, autorités/citoyens). Il le lui demande en indiquant la finalité de tout cela : c’est ce qui les dispose à vivre « attendant la bienheureuse espérance et l’apparition de notre grand Dieu et sauveur Jésus Christ (2, 13). Il le lui demande avec insistance : « Dis cela, exhorte et reprends avec une entière autorité. Que personne ne te méprise » (2, 15). 5/9 Chaque appel adressé en particulier à chaque personne ou catégorie est certes à prendre pour lui-même. Cependant il est inséparable des autres. Ce voisinage n’est pas fortuit. Ces situations sont homologues quant à la soumission. Aucune n’est considérée comme isolée des autres. Elles semblent prendre sens de leur mise en relation. D’autre part aucune de ces situations n’est envisagée dans un rapport simplement duel. En effet en chacune d’elles se trouve désigné un tiers référent qui oriente la relation. Ainsi tout ce qui est requis des femmes l’est « pour que la Parole de Dieu ne soit pas blasphémée » (2, 5). La soumission des esclaves vis-à-vis de leur maîtres a pour finalité de « faire honneur en tout à la doctrine de Dieu notre sauveur » (2, 10). Ce n’est pas l’appel à Dieu qui légitime les rapports de soumission. C’est en tant qu’elle apprend la soumission à l’initiative du Dieu qui sauve, que la soumission entre humains trouve sa justesse. Enfin la variété des situations évoquées fait que personne ne saurait se trouver en position où il ne serait concerné par la soumission. Supposons que quelqu’un soit homme, âgé, maître, il reste toujours un pouvoir ou une autorité à laquelle il demeure appelé à se soumettre. L’épiscope lui-même est tout sauf un insoumis. Il est d’ailleurs le premier à être appelé à cela. Quant à Paul, il est l’esclave de Dieu. Ainsi se soumettre ne va pas se vivre dans l’aveuglement face à diverses dominations arbitraires. Mais il s’agit que la parole qui porte la promesse aille son chemin. La soumission à l’initiative de tout autre humain qui porte la vie quotidienne, notamment sous la forme de parole, a quelque chose à voir avec la soumission à la Parole qui fait vivre, qui délivre des liens de servitude. Unicité de position de Paul et multiplicité des situations de soumission se conjuguent. Celui qui appelle les hommes à la soumission les uns par rapport aux autres dans une diversité de relations sociales est lui-même en position de soumission par rapport à Dieu. Il s’agit d’entendre en sa Parole d’envoyé le lien de dépendance au Père qui constitue ceux qui l’entendent comme fils. Et comment être en position d’écoute de Dieu que l’on ne voit pas, si l’on n’est pas soumis à ce qui se dit entre hommes et engage sur le chemin de soumission du véritable enfant ? Le dispositif pourrait être représenté ainsi. Sur la circonférence d’une roue se trouvent disposées les différentes situations sociales où est requise la soumission. Au centre se trouvent les anciens et épiscopes, eux-mêmes impliqués dans ce système de relations sociales. Sur l’axe de la roue au dessus des anciens et épiscopes, Tite, Paul, le Christ-Jésus et le Père. L’axe représente du côté descendant la Parole suscitant la foi qui enfante, du côté ascendant le travail de rassemblement dans l’amour par attraction vers le Père des héritiers. Le mouvement de la roue, actionné par la soumission requiert la permanence de l’axe de la filiation. Il n’est de juste soumission que celle qui signifie l’accueil du don de soi par le Fils qui attire les hommes au Père, en « attendant la bienheureuse espérance et l’apparition de la gloire de notre grand Dieu et sauveur Christ Jésus, qui s’est donné pour nous, afin de nous racheter de toute illégalité et de purifier un peuple qui lui appartienne en propre, zélé pour les belles œuvres. » (2, 13-14). Les situations de dépendance que les humains entretiennent les uns par rapport aux autres sont signifiantes de la dépendance de l’amour de Dieu. 6/9 L’attitude de soumission n’est pas une œuvre de justice dont l’homme pourrait s’attribuer le mérite et qui serait la condition d’acquisition du salut « ce n’est pas d’après les œuvres que nous avions faites en (notre) justice, mais selon sa miséricorde qu’il nous a sauvés» (3, 5). Elle signifie l’accueil du don fait au croyant. Vivre les rapports de dépendance entre humains - tels que la distribution des générations, des sexes, des responsabilités sociales – en donne l’expérience, non pas dans un esprit d’écrasement de soi, mais de consentement à l’initiative d’un autre en soi, c’est la façon de se signifier les uns aux autres le don du Dieu tout Autre et son accueil. Une chaîne signifiante du consentement à l’œuvre de Dieu La vie familiale, sociale, ecclésiale, et les relations dissymétriques qu’elle offre, ne sont pas d’abord à réparer vaille que vaille comme un déséquilibre préjudiciable. C’est à vivre comme un ensemble de différences formant une chaîne signifiante du consentement à l’initiative d’amour du Dieu qui enfante les humains et qui parle dans les relations dissymétriques des hommes et qui parle de l’initiative d’amour de Dieu à laquelle il nous est bon de consentir, qui parle si bien que ça fait corps. A ceux qui ont reçu l’initiative de Jésus Sauveur, il revient de vivre leurs relations humaines de telle sorte qu’elles soient signifiantes pour tous de cet amour sauveur. Les hommes sont arrachés à la haine pour s’ouvrir au salut de ceux qui s’aiment dans la foi (3, 15). Ainsi le propos du texte n’est pas l’organisation de la vie sociale selon une éthique chrétienne, mais davantage la lecture de ce qui se passe dans nos rapports comme un ensemble de signifiants de l’autorité bienfaisante de celui qui donne la vie éternelle à ceux qui obéissent, à la manière du Christ, c’est-à-dire qui consentent à l’amour dont ils sont aimés et se reçoivent comme fils à chaque instant. « Salue ceux qui nous aiment dans la foi. La grâce soit avec vous tous ! » (3, 15) A bon lecteur, salut ! Jean-Loup Ducasse, Saint-Médard-en-Jalles, 20 août 2009 7/9 Annexe Points d’attention pour aider à lire différents autres textes de Paul touchant des questions de ce type (ex : Eph 5, 1 Co, 14 -15, Ro 6) C’est dans la totalité du texte que les différences homme/femme, anciens/jeunes, parents/enfants, maître/serviteur, responsables de la société/citoyens, … sont à considérer et non en coupant tel ou tel verset de l’ensemble où il prend signification. Chaque lettre organise de façon originale ces relations. L’originalité des textes de Paul est de ne jamais aborder ces couples sans les référer au tiers qui permet d’éviter la diabolisation de la relation. Au contraire la mention de cet Autre qu’est Dieu et du travail qu’il accomplit, met en place la symbolisation de ces relations. Chaque relation tend vers une unité qui à terme abolira jusqu’à la forme initiale de la différence (il n’y a pas de juif ni de grec, il n’y a pas d’esclave ni d’homme libre, il n’y a pas d’homme et de femme, car tous vous êtes un en Christ Jésus. Mais si vous êtes du Christ, alors vous êtes descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse ». (Gal 3, 26-28) En toute chose il faut considérer la fin. Le ‘télos’, l’accomplissement visé, c’est cela, le principe de finalité qui oriente le texte. Les lettres de Paul sont à lire non comme des discours rhétoriques d’un intellectuel qui poserait au départ des principes sur la base desquels il développerait son argumentation selon des relations causales. Il se présente lui-même comme témoin de ce qui lui est arrivé, dépositaire d’un service qui lui a été confié et qui concerne un accomplissement en train d’advenir. Le principe de lecture est moins de causalité qui amène à tout comprendre par déductions successives que de finalité où il s’agit de se laisser emporter dans un parcours dont on ne saisit pas tout, mais dont l’annonce sonne juste au cœur du lecteur. La lettre de Paul à Tite pose un ensemble de balises au long de la route qui permettent d’accueillir Celui qui vient à la rencontre du lecteur. Elle trace là un ensemble de points qui forment comme une chaîne signifiante de l’attitude requise pour être ouverts à l’action salvifique de Dieu. La manière dont Paul se présente au tout début de toute lettre, première marque d’énonciation, permet de ne pas dissocier son propos de ce qu’il vit dans sa chair. Les liens que porte Paul, prisonnier, esclave, envoyé,… deviennent ainsi signifiants de la relation qu’il entretient avec son Dieu en Jésus-Christ et ouvrent la voie du salut à ceux qui se laissent à leur tour délier et lier… en lisant. Les rapports sociaux, inévitablement marqués dans l’expérience par les abus qui sont ceux des hommes, deviennent révélateurs d’un rapport à Dieu où obéissance, disponibilité, confiance, sont à vivre non plus comme aliénation, mais comme consentement à accueillir l’initiative d’un autre et soumission d’amour à cette initiative. Le rapport nouveau révélé par l’Ecriture, devenant parole vive en l’homme, déplace à son tour ses comportements dans la vie quotidienne. Il se déplace de l’arbitraire du pouvoir, 8/9 de la domination, pour mettre ces rapports au service de la Parole et de la Vie qu’elle promeut. Toute relation sociale, avec les rapports de dépendances qu’elle contient, devient ainsi signifiante d’un rapport vital à Dieu. Les lettres de Paul ne visent cependant pas une amélioration des rapports sociaux pour rendre la vie sociale plus juste. Paul ne prend pas parti pour l’abolition de l’esclavage social. Il ne milite pas pour la libération de la femme. Tel n’est pas son propos. Le texte ne légitime pas non plus des rapports de domination en s’appuyant sur l’autorité de Dieu. Certes beaucoup de lectures l’ont tiré de ce côté-là mais il ne les induit pas lui-même. Le texte ne cultive pas l’illusion consistant à prôner une égalité niant les différences spécifiques, par exemple entre homme et femme. Il ne s’oppose pas à une identité de dignité mais ne tend pas à gommer les différences, puisque précisément elles sont signifiantes. Cette conception des relations est choquante pour le monde, aujourd’hui et probablement à toute époque. Elle amène à voir les relations sociales sous un tout autre angle que celui de l’avoir et du faire. Ces relations deviennent signifiantes d’autre choses que d’elles même, ce qui bouleverse nos représentations. Dès lors tout lecteur accueillant favorablement le propos de Paul peut s’attendre à être confronté à de vives polémiques. Attention, méfions-nous des contrefaçons ! Que la réhabilitation de la validité de telle lettre de Paul ne soit retenue indépendamment du travail laborieux de lecture qu’elle requiert. Sinon l’on pourrait s’en servir indûment pour revenir à des justifications de rapports de soumission plus que contestables ! 9/9