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Bibliothèque principale de Verviers
Séance du 31 janvier 2011
Katanga Business de Thierry MICHEL
MICHEL, Thierry. Katanga business, 1 DVD doc, 120 min. Belgique : Cinéart, 2009. Disponible à la
Médiathèque locale de Verviers, sous la cote TL5561
Après Congo River, notamment, le cinéaste belge, Thierry Michel, poursuit son exploration du Congo et plus
particulièrement, ici, de sa province sud-est, le Katanga, très riche en minerais divers : cuivre, cobalt, zinc et uranium
surtout. Il s’intéresse notamment au sort de l’une des sociétés d’extraction, l’ancienne Union minière, très prospère jusque
dans les années 80, au point de devenir la vache à lait de Mobutu, victime ensuite de l’épuration ethnique, et que divers
acteurs souhaitent aujourd’hui relancer en raison des profits potentiels. Paul Fortin, un Canadien, assure son expertise à la
nouvelle société Gécamines, qui peut également compter sur le dynamisme de Moïse Katumbi, le gouverneur influent de la
province. Mais la Gécamines n’occupe pas, seule, le terrain !
Le réalisateur cliche la situation telle qu’elle est connue en 2007 — depuis lors, Paul Fortin, qui paraissait crédible jusqu’à un
certain point (l’échange avec les Chinois sur les pourcentages à partager est tout de même curieux !) et apprécié par les
creuseurs locaux, a démissionné. Par des interviews diverses, il veut permettre à son public de se faire une idée, la plus
critique possible, de la situation. Il montre différents acteurs en présence dans ce qui est, avant tout, un reportage. Le
spectateur prend ainsi pied dans une situation qu’il ne connaît pas nécessairement bien, de sorte qu’il ne lui est alors pas
facile de s’en reconstituer une vue de synthèse — c’est là un petit bémol auquel le réalisateur devrait penser pour ajuster un
prochain travail sur ce plan. Par contre, le spectateur détient les informations nécessaires pour se demander si les
motivations affichées sont aussi honnêtes que ces acteurs veulent bien le prétendre… La population locale ne risque-t-elle
pas, une fois de plus, de faire les frais de la redistribution des cartes ? Curieusement, l’État central que l’on attendrait
pourtant comme l’une des parties intéressées au développement de cette industrie, est peu présent et ne semble pas
proposer un contrepoids réel, tandis que Moïse Katumbi, le gouverneur se démène pour tenter de sortir des difficultés
rencontrées. Thierry Michel le décrit comme particulièrement attentif à son rôle de régulateur et très peu pressé de céder
les concessions aux multinationales. Voilà un Africain qui semble sortir du lot… s’il tient ses promesses. Car tout reste
quasiment à faire pour assurer un vrai « retour » à la région. Thierry Michel laisse-t-il vraiment son public être dupe de
l’évolution de la situation ?
Sur le thème de :
« Construire une relation respectueuse
avec les anciennes colonies »...
Voici sept références commentées pour alimenter votre réflexion :
un DVD & quatre documentaires pour situer le contexte du film, listés du général au spécifique
et deux fictions, l’une française, l’autre africaine, pour illustrer le thème retenu.
N’hésitez pas à vous informer dans votre bibliothèque locale.
FERRARI, Alain. Afrique(s), une autre histoire du XXe siècle, 3 DVD. Paris : INA
éditions, 2010. Ce coffret sera sous peu disponible à la Médiathèque locale de
Verviers.
Épisode
Épisode
Épisode
Épisode
1
2
3
4
(1900-1945)
(1945-1964)
(1964-1989)
(1989-2010)
:
:
:
:
Le crépuscule de l'homme blanc
L'ouragan africain
Le règne des partis uniques
Les aventures chaotiques de la démocratie
Il s’agit ici d’une série de documentaires d’une excellente facture, qui ont été présentés en novembre
dernier, sur la chaîne TV5 et repris récemment sur 3 DVD, présentés en coffret. Ainsi que le montrent les
sous-titres, ils reviennent sur l’histoire de l’Afrique — ou plutôt des AfriqueS, avec un remarquable souci
d’objectivité !
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Séance du 31 janvier 2011
MICHEL, Thierry, et al. Katanga business : album. Bruxelles : L. Pire, 2009, 192 p.
Ce très bel album photographique est tout à la fois la « traduction » en un support écrit de la très large
exploration documentaire, réalisée par Thierry Michel, de la situation actuelle du Katanga, la province
sud-est de notre ancienne colonie, et l’opportunité de développer par un apport de textes dus à la plume
de quatre spécialistes de la question, certains aspects à peine évoqués par le cinéaste belge. Loin de
vouloir reproduire le « Katanga de Papa » ou encore le « Shaba du Maréchal-Président », Thierry Michel,
épaulé par ses complices, nous propose, comme dans son précédent ouvrage, Congo river, au-delà des
ténèbres, de dépasser les clichés pour interroger les situations qu’il débusque et pour nous poser des
questions de nature à provoquer un déclic dans notre manière d’envisager les relations avec l’ancienne
colonie, dont le Katanga est l’un des plus beaux fleurons. Les différents chapitres s’appuient sur des
textes riches et des documents d’archives, qui racontent l’histoire du pays de l’or rouge et des nombreux
appétits qu’il a suscités alors que les creuseurs locaux n’en retiraient qu’un très maigre bénéfice et se
retrouvent aujourd’hui confrontés à des groupes industriels puissants, venus d’horizons divers, aussi
éloignés que ceux de la Chine, par exemple. Cet ouvrage est donc bien plus que la simple réplique du
film éponyme qu’il vient très heureusement compléter. Il apporte des précisions et des réponses à des
questions que la projection laisse parfois ouvertes. Les amateurs à la recherche de véritables
documentaires l’apprécieront à sa juste valeur, c’est sûr. Mais les autres lecteurs, simplement curieux, se
verront sans nul doute interpellés dans les tripes et n’en ressortiront certainement pas indemnes, c’est
tout aussi sûr !
COURADE, Georges. L'Afrique des idées reçues. Paris : Éd. Belin, 2006. (Mappemonde),
399 p.
Cet ouvrage, dirigé par un responsable de recherche à l’Institut de recherche et du développement à
Marseille, est plus ancien que les autres repris dans la sélection, mais il est remarquablement construit et
sa publication chez l’éditeur Belin, réputé très « sérieux », n’a donc aucune raison d’effrayer le grand
public ! L’ouvrage paraît de surcroît idéal pour sensibiliser des élèves, lorsqu’ils souhaitent envisager des
études supérieures, à ce qu’est un ouvrage fondé sur des critères scientifiques: le propos, de bonne
tenue, mais tout à fait abordable, repose sur un inventaire cohérent des idées reçues, traduites en motsclés présentés en tête, avec un regroupement des préjugés en cinq parties ; les petits articles qui suivent
sur ces différents sujets, sont assortis de quelques cartes et tableaux, de notes et de suggestions de
lectures complémentaires qui présentent des ouvrages bien sûr, mais également des références de
revues et de sites électroniques, sous un titre « Pour en savoir plus ». Sa présentation tient compte d’une
dimension didactique, en général peu courante dans le milieu universitaire, d’où la matière émane.
L’auteur principal le reconnaît d’entrée de jeu, lui qui a délibérément voulu mettre des informations à la
portée du plus grand nombre. Or, les spécialistes dont il s’est entouré, ont dû s’écarter des canons
universitaires habituels et… ils y ont réussi, malgré des difficultés importantes, de sorte que Courade a pu
donner corps à son projet. Il s’était en effet rendu compte que le public croyait bien connaître l’Afrique,
en raison des échanges avec des coloniaux, des coopérants, grâce à des émissions de télévision, etc. Mais
il a aussi constaté que ce n’était pas suffisant pour tordre le cou aux préjugés, à l’origine de
condescendance ou de commisération à l’égard du continent africain. Les rédacteurs épinglent ainsi une
série d’idées toutes faites sur l’Afrique, propagées à tout vent par le grand public, qui en arrivent ainsi à
réduire le continent, devenu monolithe, à quelques traits grossiers : l’Afrique reçoit trop d’argent qu’elle
ne peut rembourser, elle a une natalité trop élevée, elle connaît trop de luttes ethniques internes, elle
n’est pas capable de mettre la démocratie en œuvre, etc. Les auteurs les reprennent une à une pour les
démonter de manière très claire et battre en brèche des clichés qui ont la vie dure, même si une part des
observations reste fondée. Ils nous invitent à nuancer et à adapter notre position en fonction d’une
analyse plus objective et nous aident à y parvenir. Ils pointent également l’habitude de plus en plus
fréquente des chercheurs de composer des avis, sans même avoir (re)vérifié systématiquement sur le
terrain. Leur mise en garde est précieuse pour nous aider à voir « juste », ce qui est impératif, tant il est
clair que l’Afrique n’est pas une mais multiple, de la même manière que l’Europe ou l’Asie ! Courade
s’était fixé pour objectif de réaliser une évaluation des situations, au plus près de la réalité, sans
jugement arbitraire. Le pari est tenu !
KODJO, Edem. Lettre ouverte à l'Afrique cinquantenaire. Paris : Gallimard, 2010. (Continents
noirs), 76 p.
La couverture de l’ouvrage est explicite quant à son contenu : l’auteur nous donne ici à lire une lettre qu’il
adresse à l’Afrique, mère-nourricière à laquelle il reste fondamentalement attaché, dans le cadre du
cinquantenaire de l’autonomie politique gagnée par plusieurs pays du continent au tournant des
années 60. Dès son introduction, il met en cause ces indépendances, sources de joies fallacieuses qui
cachent mal la dépendance absolue dans laquelle vivent toujours les populations. Loin de lui pourtant la
tentation de tomber dans un afro-pessimisme de mauvais aloi. Il cherche à épingler les raisons pour
lesquelles l’Afrique se porte si mal mais loin de lui l’idée de rendre les étrangers (seuls) responsables de
ce paradoxe qui amène à constater la richesse potentielle de l’Afrique et la pauvreté de ses habitants. Il
montre en quoi les différents séismes de la fin des années 1980 ont fait trembler l’Afrique sans toutefois
l’amener à prendre son destin en mains. Et d’établir un parallèle avec la Chine dont le réveil n’est pas si
ancien et qui oblige déjà les autres parties du monde à compter avec elle. Et il en arrive ainsi à souhaiter
que l’Occident aide l’Afrique à accoucher de ses propres solutions, plutôt que de lui donner des leçons
passablement inadaptées à ses réalités. L’Afrique pourrait à ce moment s’investir dans de vastes projets
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générateurs d’opportunités. Les cadres expatriés se trouveraient alors fondés à rentrer au pays. Mais
l’auteur estime indispensable de pouvoir compter sur la démocratie : « Y a-t-il des concepts universels qui
s’imposent à tous ? Oui ! On peut dire, sans rouvrir la fameuse querelle des universaux, que la démocratie
est l’un de ces concepts. » (p. 48). En dehors de l’unité africaine, il ne peut y avoir, selon lui, aucun salut
pour le continent. Il laisse sa réflexion suivre les méandres d’une saine indignation, sans adopter de plan
très précis. Cette longue lettre prend rapidement l’allure d’une méditation poétique, au sens grec du terme
« faire », où l’auteur tente de construire de nouvelles perspectives pour son continent, en tirant les leçons
de cette liberté récente, chèrement acquise, mais très mal employée. Car — c’est plus qu’évident — le
soleil des indépendances ne s’est pas levé pour tout le monde. Il n’est pas le seul auteur à le penser : sa
réflexion ne peut que renvoyer à celle de Ahmadou Kourouma, par ex.
MOYO, Dambisa. L'aide fatale : les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour
l'Afrique. Paris : J.C. Lattès, 2009, 250 p.
Le complément de titre de cet ouvrage résume, à lui seul, le contenu de la réflexion que l’auteur souhaite
nous communiquer. La lecture de l’avant-propos rédigé par Niall Ferguson n’est pas moins utile, car il met
le doigt sur une situation devenue courante qui semble en chiffonner bien peu : la colonisation de la
discussion sur l’Afrique, qui amène majoritairement des Occidentaux à s’exprimer à propos de sa situation
et à présenter leurs conclusions sur le sujet. L’ouvrage bénéficie donc d’un double atout : celui d’être écrit
par une Africaine encore jeune, qui réunit de surcroît les compétences requises pour s’exprimer sur le
sujet. L’auteur met ainsi très rapidement le doigt sur un paradoxe étonnant qu’elle s’attelle à démonter :
malgré les richesses de son sous-sol, l’Afrique reste la région la plus pauvre du globe. Qui plus est, le
nombre de pauvres a doublé entre 1981 et 2002, alors que l’espérance de vie y stagne à 50 ans et que le
niveau de l’alphabétisation est en chute libre, inférieur à celui connu en 1980-81. La démonstration est en
effet brillante, soutenue par une argumentation qui semble toujours pertinente. Après une critique
extrêmement incisive de la manière dont l’Occident s’intéresse à l’Afrique— elle n’hésite pas au passage à
pointer du doigt la manière dont les médias relatent les faits et les hiérarchisent (p. 30) — et des
différentes formules d’aide proposées — elle en établit distinctement trois types : l’aide humanitaire ou
d’urgence, l’aide charitable et l’aide systématique, bilatérale ou multilatérale, de pays donateurs, de
banques ou d’organisations internationales à des États. Elle s’intéresse plus particulièrement aux deux
dernières formules et en énumère toutes les conséquences néfastes. Sa brève histoire des mécanismes de
l’aide est, à cet égard, éclairante (chap. 2). Elle y fait un portrait sans complaisance des différentes
responsabilités et montre que l’aide systématique est une formule qui « ne marche pas ». Elle illustre son
propos par l’exemple du Botswana qui a commencé à connaître des succès en matière de développement
économique, à partir du moment où il a cessé de dépendre de l’aide (p. 79). Elle en arrive d’ailleurs à
constater que la voie démocratique n’est pas la seule à conduire au succès économique, à la suite de quoi
elle envisage ce que pourrait donner le développement d’une Afrique sans aide. Elle recourt à une
république imaginaire, celle de Dongo pour mieux faire comprendre ses propositions d’un point de vue
théorique, mais revient rapidement les deux pieds sur terre pour expliquer comment financer avec succès
un programme de développement, en abandonnant le modèle classique de dépendance à l’égard de l’aide,
devenue une vraie drogue (p. 129) : émission d’obligations par l’État ou un groupement d’états — les
marchés de capitaux sont ouverts à l’Afrique —, appel de l’investissement direct de l’étranger (IDE) en
clarifiant les procédures — l’auteur constate que les Chinois investissent déjà de manière massive dans le
continent, sans se préoccuper, soit dit en passant, de la gouvernance ou des droits de l’homme —,
augmentation et élargissement des relations commerciales (p. 189), développement de la micro-finance,
amélioration de la gouvernance. Dès la p. 225, elle définit son plan en trois étapes : réduire la dépendance
à l’aide, élaborer un plan de financement et renforcer les institutions avec obligation de rendre des
comptes. Inutile de préciser que pour réussir, ce plan doit nécessairement bénéficier d’une réelle volonté
politique, souvent absente aujourd’hui… Toutefois, si l’auteur estime que le système démocratique ne
convient pas pour le moment à la majeure partie des états africains et si elle leur préfère une dictature
« éclairée », sans doute oublie-t-elle un peu vite que plusieurs hommes forts, initiateur d’une meilleure
gouvernance, comme Thomas Sankara au Burkina Faso, n’en sont pas moins morts assassinés. Ne
vaudrait-il pas mieux imaginer un modèle démocratique avec des repères plus adaptés au développement
africain ? Car les électeurs se rendent bel et bien aux urnes. Mais n’est-ce pas plus souvent les dirigeants
qui confisquent le résultat proclamé, comme la situation vient encore de se présenter tout récemment en
Côte d’Ivoire ? Ceci dit, l’ouvrage propose un voyage étourdissant au sein de mécanismes souvent obscurs
que l’auteur met à jour avec une maestria confondante. L’ensemble de la démonstration est d’une rare
clarté, même si le sens de quelques données économiques, surtout dans la seconde partie où elle évoque
les solutions techniques à proposer, risque d’échapper à certains lecteurs moins au courant de ces réalitéslà. Mais force est de constater toutefois qu’elle n’évoque pas clairement le rôle à confier aux ONG, par ex.
Un petit regret par ailleurs : celui de voir sa bibliographie éclatée dans des notes polymorphes en fin de
volume. Une carte politique de l’Afrique aurait aussi permis au lecteur de situer plus rapidement les
exemples qu’elle évoque. Il n’empêche, la réflexion vaut son pesant d’or et devrait, en raison de sa qualité
évidente, retenir l’attention de tout citoyen critique et, a fortiori, de ceux (décideurs politiques, financiers,
humanitaires, …) qui s’intéressent de plus près à l’Afrique et à son développement. Ils ont là, en mains, des
propositions de nature à leur donner le courage de vérifier leur positionnement et de réarticuler, le cas
échéant, leur collaboration de manière plus pertinente.
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MANOTTI, Dominique. Nos fantastiques années fric : roman. Paris : Rivages, 2009. (Noir),
241 p.
Partie de chez elle pour survivre, alors qu’elle n’a pas encore atteint la maturité, la jeune Noria Ghozali finit
par trouver un boulot d’enquêtrice dans un commissariat de quartier du 19e arrondissement de Paris.
Animée par la rage de réussir à tout prix, elle tourne autour de l’obstacle et ne lâche pas vite prise. Elle est
ainsi amenée à s’intéresser à une call-girl de luxe et elle va dévider l’écheveau jusqu’à comprendre que
celle-ci était au service d’un réseau de membres triés sur le volet, au sein duquel figurent des personnalités
proches du président François Mitterrand, tandis que l’Afrique et le Moyen-Orient apparaissent en filigrane
dans les dossiers traités. Des dossiers… explosifs ! L’auteur ne choisit certes pas l’Afrique comme cadre de
son roman, le lecteur l’aura compris au détour du résumé. Mais ce roman noir — car c’en est un, puisqu’il
s’agit ici de montrer les dessous d’une réalité sociale douteuse, où les gens de pouvoir se croient au-dessus
des lois — ne perd certainement pas pour autant son intérêt dans une sélection comme celle-ci, puisqu’il
illustre indirectement la place qu’occupe l’Afrique comme plaque tournante dans des échanges
commerciaux illégaux et comment celle-ci sert de « pré carré » au pouvoir politique français, de quelque
bord qu’il soit ! Historienne de formation, chargée pendant plusieurs années de l’enseignement de l’histoire
économique contemporaine en faculté, avant de se lancer dans l’écriture romanesque, l’auteur connaît
manifestement la manière de se servir de la documentation. Et elle le fait à la perfection : elle réalise un
portrait sans concession d’une certaine bourgeoisie française des années 80 qui utilise les plus faibles à des
fins plus que contestables. Tant et si bien que l’intrigue en devient (trop ?) complexe, en raison du grand
nombre de protagonistes. Malgré une écriture rapide — certaines phrases sont elliptiques — qui vaut à
l’intrigue de s’enclencher sans heurts et de fonctionner comme une mécanique bien huilée, elle témoigne
d’un rare pouvoir d’évocation que sert une ironie souvent cinglante : « Vous vous croyez à gauche, vous ?
Regardez-vous. Il n’y a que votre montre-bracelet et votre chevalière en or qui soient à gauche chez vous.
Et moi ? Qu’est-ce que ça veut dire, à gauche pour moi, vous pouvez me le dire ? Moi, je suis au pouvoir,
c’est tout. » (p. 98) Un roman particulièrement incisif, qui a tout pour retenir l’attention de l’amateur du
genre. Il a donné sa matière au film Une affaire d’État, réalisé par Éric Valette, avec André Dussolier, mais
qui — et c’est dommage — ne tient pas la comparaison. Il n’est pas difficile de comprendre que ce roman,
paru en 2001, ait reçu le Prix du roman noir au Festival de Cognac et celui du Mystère de la critique.
ANANISSOH, Théo. Ténèbres à midi : roman. Paris : Gallimard, 2010. (Continents noirs),
138 p.
Nadine, Française de 37 ans, accueille le narrateur, écrivain arrivé d’Europe dans sa patrie d’origine après
vingt ans d’absence, où il a prévu de faire un séjour d’un mois pour recueillir de la matière « vraie »,
destinée à alimenter un prochain ouvrage. Elle le met en contact avec Éric Bamezon, conseiller du
président, pour lui faciliter la tâche. Contrairement à toute attente peut-être, les deux hommes
se découvrent plus d’un point commun : un âge quasi identique, des études en France, des activités
d’écrivain, mais l’un a décidé de rester en Europe, tout comme l’auteur qui vit aujourd’hui en Allemagne,
tandis que l’autre a choisi de rentrer au pays, pour mettre ses compétences au service du pouvoir, sans
succès, et le regrette amèrement aujourd’hui : « Il faut empêcher l’Afrique de casser ceux qui
rentrent » (p. 33). Si amèrement, du reste, qu’il se confie à son invité et brosse un tableau
particulièrement sombre de la situation. Et le « rite présidentiel » (p. 133) du potentat à la tête du pays,
n’explique sans doute pas à lui seul cette profonde déception dont les accents font écho à certaines
observations de Dambisa Moyo, dans la première partie de son ouvrage présenté ci-dessus. Il est
évidemment difficile au lecteur un peu curieux d’éviter la question qui consiste à s’interroger sur la nature
des rapports entre le « je » utilisé par le narrateur, le conseiller désabusé et l’auteur, tant les
« connexions » paraissent évidentes entre eux : le « je » et le conseiller ne seraient-ils pas les deux faces
d’une médaille que l’auteur utiliserait pour se mettre lui-même en scène, bien qu’il s’en défende dans les
interviews qu’il donne à propos de ce roman ? Subterfuge qu’utiliserait le « je », auteur actuel domicilié en
Allemagne, pour faire justifier par son double, le conseiller qu’il aurait pu ou dû être, d’avoir choisi
l’Europe, ce qu’il essaie de ne pas devoir regretter aujourd’hui, parce qu’il avait en réalité peur de l’Afrique,
comme il nous donne à le croire (p. 79) ? Cette douleur que le conseiller exhale lorsqu’il souligne la
comparaison inévitable entre l’Africain revenu d’Europe et ce même Africain, jeune (p. 42), n’est-elle pas,
en effet, celle que l’auteur craignait de ressentir ? Celle-là même qu’il va chercher à expier en la dévoilant
dans un ouvrage où il souhaite rendre hommage à la personne du conseiller (p. 98), parce qu’il prend
conscience de son amour profond pour son pays ? Il recourt à une écriture directe, qui se concentre sur
les faits. Les quelques détails donnés le sont pour préciser les éléments nécessaires à une perception
correcte des événements. Ce dépouillement accentue le caractère redoutable de l’analyse qui interpellera
sans doute davantage le lecteur relativement coutumier de l’Afrique, mais ne pourra en laisser aucun
indifférent. Un roman à lire de toute urgence. Une fiction ? Rien n’est moins sûr…
Anne-Louise BOUTE
Chef de bureau-Bibliothécaire
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