La Chaux-de-Fonds et Le Locle vus par un graveur sans

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La Chaux-de-Fonds et Le Locle vus par un graveur sans
La Chaux-de-Fonds et Le Locle vus par un graveur sans-culotte
Henri Courvoisier-Voisin (1757-1830)
Biographie
Né à La Chaux-de-Fonds, Henri Courvoisier-Voisin est baptisé le 11 décembre
1757. Son père, Abram, est maître-charpentier et constructeur d’immeubles ; il
possède ou possédera une maison au Creux-des-Olives. Sa mère se nomme JudithMarie, fille du greffier David Sandoz. En plus d’Henri, le couple a encore deux
enfants : Abraham et Florian (1764-1794). Les dons précoces d’Henri pour le
dessin et la peinture sont encouragés par sa mère. Pour lui permettre d’étudier, on
le place une année à Mulhouse en 1770 ; il a alors treize ans.
De retour à La Chaux-de-Fonds, il entre chez Charles-Louis Leschot, un des
meilleurs graveurs en horlogerie du lieu. Il a été également – ainsi que ses frères élève du graveur loclois Jean-Jacques-Henri Calame, par ailleurs père de la
bienfaitrice, Marie-Anne Calame.
Passionné de peinture, Courvoisier-Voisin décide d’étudier à Paris. Pour y parvenir,
il économise assidûment. En juillet 1778, il peut enfin partir pour la capitale
française. Courvoisier-Voisin étudie à l’Académie des beaux-arts. Au prix de
nombreuses privations, il reste à Paris quatre années. Il revient ensuite à La Chauxde-Fonds et s’installe dans la maison de son père au Creux-des-Olives. Il enseigne
le dessin, réalise quelques portraits mais se consacre essentiellement à la gravure
industrielle et artistique.
Il accomplit quelques voyages en Suisse centrale, où il prend des esquisses. Au
cours d’un de ses voyages, il rencontre à Bienne, Rosa-Elisabeth Perrot, née le 1er
décembre 1759, fille d’Abraham (1717-1792), notaire, conseiller municipal.
Rosa-Elisabeth devient son épouse en 1784, deux garçons naissent qui mourront en
bas âge. En 1788, Courvoisier-Voisin reçoit la charge de juge-suppléant ; il est
également président de la Chambre de Charité.
Exposition du 17 février au 16 juin 2013
Moulins souterrains du Col-des-Roches – Musée d’histoire de La Chaux-de-Fonds
La Révolution française éveille en lui un fort écho. On sait que les événements
révolutionnaires rencontrent beaucoup de sympathie dans les Montagnes
neuchâteloises. Les Montagnons coiffent des bonnets phrygiens, chantent la
Carmagnole et plantent des arbres de la liberté tant au Locle qu’à La Chaux-deFonds.
Une des plus intéressantes formes de la sympathie des Montagnons aux idées
démocratiques est certainement la création de Sociétés patriotiques, en décembre
1792 à La Chaux-de-Fonds et en janvier 1793 au Locle. Celle du Locle comptera
165 adhérents ; celle de La Chaux-de-Fonds, 180.
Les membres des sociétés patriotiques se recrutent parmi la bourgeoisie instruite et
respectée des cités. La majorité reste respectueuse de l’état et de la religion. Elle
aspire surtout à l’instruction, au perfectionnement social et à la responsabilisation
du citoyen.
Henri Courvoisier-Voisin est membre de la première heure de la Société patriotique
de La Chaux-de-Fonds. En janvier 1793, il propose de graver gratuitement une
planche qui permettra d’imprimer des cartes propres à faire reconnaître les
sociétaires. Le 17 février, il dépose sur le bureau un texte définissant le mot
« Patriote ». Il est signé « le sans culotte H. Courvoisier Voisin ».
En juin 1793, les Sociétés patriotiques du Locle et de La Chaux-de-Fonds sont
interdites par le Conseil d’Etat qui craint d’éventuelles dérives révolutionnaires. La
Société chaux-de-fonnière devient alors une Société de lecture.
C’est vers cette époque que Courvoisier-Voisin quitte La Chaux-de-Fonds. A quelle
date, nous l’ignorons. A en croire ses biographes, il est alors en butte aux insultes et
aux attaques de ses opposants politiques, à tel point qu’il en vient à circuler armé et
à se cacher. Il aurait alors cédé aux supplications de son épouse et accepté de se
réfugier à Bienne, ville où elle est née. De toute manière, il sait qu’il n’a pas bonne
presse auprès des autorités. Une liste officielle, non datée des « bons sujets » et des
autres le décrit ainsi : « Sans principe religieux bouillant et emporté dans loccasion attaché au
Club, et que na pas dedaigné de signer après son nom sans culotte, au reste il a debarassé le
Pais. »
Bienne est alors sous la domination du prince-évêque de Porrentruy. La famille
Courvoisier-Voisin habite d’abord la maison nommée Le Jardin (Der Garten),
Rosiusstrasse 9, puis au numéro 14 de la Burggasse. En 1794, les CourvoisierVoisin ont un troisième enfant, Cornélie, née le 5 septembre.
Entre 1795 et 1797, la Ville de Bienne rétribue Henri Courvoisier-Voisin pour la
réalisation de trois cartes de l’Evêché de Bâle. En 1798, pendant l’occupation
française, il est nommé juge de paix.
Vers 1807, Courvoisier-Voisin se trouve un nouveau sujet d’études : des moyens
d’empêcher toutes les catastrophes, telles incendies, inondations, avalanches et
naufrages. Il mène également des expériences autour d’un sous-marin, expériences,
qui semble-t-il ont failli causer sa mort, ainsi que celle de Cornélie. Ces divers
travaux laissent craindre qu’il ne dispose plus de toute sa raison. Quoi qu’il en soit,
Exposition du 17 février au 16 juin 2013
Moulins souterrains du Col-des-Roches – Musée d’histoire de La Chaux-de-Fonds
ils absorbent ses ressources financières et le conduisent à une vieillesse misérable et
solitaire, entouré de la seule Cornélie. Il meurt dans la gêne le 12 mai 1830.
Artiste à l’exemple de son père, Cornélie fait preuve d’un réel talent. Elle peint des
portraits et dessine des paysages. Elle s’éteint à Bienne, le 29 juin 1868.
Œuvre
Auteur de plusieurs dizaines de gravures, Henri Courvoisier-Voisin est
particulièrement apprécié des amateurs pour ses paysages, notamment ceux
représentant La Chaux-de-Fonds, Le Locle et Neuchâtel. Pour la plupart coloriées
avec intelligence, ces vues donnent une impression d’harmonie et d’équilibre qui
explique leur succès. A l’artiste, Boy de la Tour reconnaît un trait « fin et net sans
sécheresse », une mise en page « généralement heureuse » et « très personnelle ».
Comme il le souligne très justement, les œuvres de Courvoisier-Voisin ne peuvent
être confondues avec celles d’autres graveurs.
Vue du Locle depuis le Crêt, Musée d’histoire du Locle
En les regardant attentivement, on s’aperçoit que leur construction est plus
complexe qu’il n’y paraît au premier regard. L’artiste a en effet multiplié les avantplans et les arrière-plans, créant ainsi une remarquable profondeur. L’ultime arrièreplan, le ciel, occupe une grande place. Somme toute, le dessin s’intéresse moins à la
ville elle-même qu’à son intégration dans la nature environnante. Il n’en est pas
moins fidèle à la réalité historique des cités ; sur la vue du Locle depuis le Sud, on
reconnaît l’Hôtel de Ville et le Château des Monts qui vient d’être construit ; sur les
vues de La Chaux-de-Fonds, le Grand Temple ; sur celle de Neuchâtel, l’Hôtel Du
Peyrou et la Grande Rochette. Œuvre d’art, la gravure de Courvoisier-Voisin
constitue aussi un précieux document historique.
Exposition du 17 février au 16 juin 2013
Moulins souterrains du Col-des-Roches – Musée d’histoire de La Chaux-de-Fonds
Vue de La Chaux-de-Fonds depuis le midi, Musée d’histoire de La Chaux-de-Fonds
En revanche, l’œuvre historique proprement dite de Courvoisier-Voisin – la geste
de Guillaume Tell et de la Suisse primitive, notamment - ne remporte pas les
mêmes suffrages. Boy de la Tour et Bachelin sont sévères à son égard, lui trouvant
de nombreux défauts : dessin médiocre, composition défectueuse, lumière mal
distribuée.
Habitué par l’évolution de l’histoire de l’art à bien d’autres audaces, le spectateur
d’aujourd’hui ne partage pas tout à fait cette sévérité. En feuilletant les planches de
L’Histoire de Guillaume Tell en six planches et de la Suite de quatorze planches se rapportant à
l’histoire de la Suisse primitive, il sera certainement sensible à la qualité des arrière-plans
– au point peut-être de trouver artificielle la distinction entre « paysages » et
« œuvre historique » effectuée par Boy de la Tour. Dans ces suites, les scènes
représentées se détachent sur des perspectives complexes, des architectures
soignées et une végétation riche et détaillée.
S’il se souvient que ces œuvres datent du tournant du XVIIIe siècle, le spectateur
sera surpris par l’atmosphère profondément romantique qui émane de ces arrièreplans. Beaucoup plus qu’un Abraham Girardet – quoique de la même génération –
Courvoisier-Voisin a perçu et traduit le mouvement romantique qui s’amorce.
Les « quatorze planches », pour ne citer qu’elles, abondent de chapelles, châteaux,
rochers, chutes d’eau, souvent dans un clair-obscur inquiétant. Les châteaux, certes,
appartiennent aux mythes de la Suisse primitive, mais l’image qu’en donne
Courvoisier-Voisin évoque davantage les romans gothiques anglais que la
géographie helvétique.
Entre château et chapelle gothique, « L’exhumation d’un paysan » paraît sortir
directement d’un roman d’Ann Radcliffe. Cette atmosphère très noire, dans ses
thèmes comme dans sa technique, soutient évidemment le propos de l’artiste qui
est de souligner la cruauté des Autrichiens envers les Confédérés. On retrouve
Exposition du 17 février au 16 juin 2013
Moulins souterrains du Col-des-Roches – Musée d’histoire de La Chaux-de-Fonds
cependant une atmosphère semblable dans la « Vue de la villette d’Uznach » (ciel
menaçant, église, château et crucifix).
L’exhumation d’un paysan, Musée d’histoire du Locle
Séduit par les paysages, l’amateur de gravures se sentira peut-être – d’accord cette
fois avec Bachelin et Boy de La Tour - perplexe devant les personnages. Ils
paraissent en nombre et donnent une impression presque caricaturale.
A en croire Auguste Bachelin, cette « insuffisance » résulte à la fois de l’absence de
modèle vivant et d’études artistiques trop brèves. Il a raison, n’en doutons pas ;
toutefois, on ne peut s’empêcher de déceler également, dans ces visages crispés,
dans ces bras en croix, des marques, certes maladroites, du romantisme naissant. Et
aussi – mais peut-être est-ce s’aventurer beaucoup – quelque chose du caractère
excessif de l’artiste lui-même. Les personnages de Courvoisier-Voisin manquent de
finesse et d’élégance, mais pas de puissance ni d’expressivité. Somme toute, cette
dramatisation, centrale dans l’œuvre historique, paraît d’une certaine façon plus
fidèle au caractère tourmenté de l’artiste que ses clairs paysages.
Technique
Techniquement parlant, on ne peut qu’admirer le travail de Courvoisier-Voisin. On
sait que la gravure sur métal – sur cuivre dans ce cas – est une gravure en creux.
Une fois gravée, la plaque est encrée puis essuyée de manière à ce que l’encre ne
demeure que dans le creux des tailles. Recouverte d’une feuille de papier humide et
d’un feutre, la plaque passe ensuite entre les deux rouleaux de la presse en tailledouce. La pression est telle que l’encre déposée dans les tailles se décharge sur le
papier.
Pour creuser la plaque de cuivre, deux moyens sont possibles : le burin ou l’eauforte. Le burin creuse dans le métal un sillon très net et franc, avec une attaque en
forme de "V ». L’eau-forte s’opère en recouvrant la plaque de métal d’un vernis
Exposition du 17 février au 16 juin 2013
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spécial sur lequel le graveur dessine avec une pointe d’acier dénudant ainsi le métal.
La plaque est ensuite plongée dans un bain d’acide, lequel attaque les parties
découvertes et les creuse. Elle est ensuite débarrassée de son vernis et encrée en
vue du tirage à la presse en taille-douce. La gravure à l’eau-forte pure donne un
rendu plus doux, parfois plus « mou » que le burin. Nombre de graveurs
conjuguent les deux techniques, alliant ainsi la souplesse de l’eau-forte à la netteté
du burin.
Courvoisier-Voisin use volontiers de l’eau-forte seule ; très souvent, il y ajoute une
autre technique : l’aquatinte. Après avoir gravé les contours de son dessin à l’eauforte, le graveur répand sur les parties destinées à être ombrées une poudre de
résine pulvérisée. La plaque est ensuite chauffée de manière que les grains
puissent adhérer au métal. Le graveur attaque ensuite à l'acide, lequel passant entre
les grains, creuse des interstices et produit de minuscules cavités. Remplies
d'encre, celles-ci donnent les parties ombrées en une apparence de lavis.
L'eau-forte donne les lignes du dessin, l'aquatinte permet de rendre les valeurs
par les demi-tons. C’est elle qui donne aux gravures de Courvoisier-Voisin ces
contrastes très marqués.
Ce n'est pas de son adresse seule que Tell espère le succès, Musée d’histoire de La Chaux-de-Fonds
Reste la question de la couleur : les gravures de Courvoisier-Voisin sont parfois
colorées. C’est le cas de la plupart des vues de villes. Pour les séries historiques, les
deux variantes peuvent exister ; ainsi le Musée d’histoire de La Chaux-de-Fonds
possède une version en couleur de L’Histoire de Guillaume Tell ; le Musée d’histoire
du Locle la possède en noir et blanc. La technique montre clairement que la mise
en couleur est intervenue après le travail de gravure. Il est donc impossible de
savoir si la couleur a été appliquée par l’artiste. Remarquons cependant qu’elle est
souvent de belle facture et de bon goût. Sur L’Histoire de Guillaume Tell, la couleur
atténue la relative maladresse des visages des personnages.
On soulignera enfin que Courvoisier-Voisin signe rarement ses estampes.
Exposition du 17 février au 16 juin 2013
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