Parachutisme Les contraintes cardiovaculaires

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Parachutisme Les contraintes cardiovaculaires
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Parachutisme
Les contraintes
cardiovaculaires
L’intensité des réactions psychiques et physiques surprend toujours lors des premiers
sauts de parachustime car, que le pratiquant soit débutant ou confirmé, le système cardiovasculaire est particulièrement sollicité lors de cette activité anxiogène.
Dr Jean-Michel Chevalier (Service de Cardiologie, Hôpital des Armées Robert Picqué,
Bordeaux)
L
es premiers parachutistes ont
d’abord été des militaires fantassins (pendant la seconde
guerre mondiale), mis en place au
plus près de l’ennemi pour un effet
de surprise. Puis, tout en restant
l’apanage de militaires d’élite, le parachutisme est devenu une activité
sportive particulière, pratiquée en
France par environ 14 000 personnes
de façon régulière. On compte également 28 000 sauts occasionnels en
tandem initiatique (Fig. 1).
> Les contraintes
du parachutisme
« Le chuteur en parachute est un
homme normal dans un environnement anormal » (1), avec un
stress à 3 composantes : physique,
environnementale et psychologique
(2).
La composante physique
La composante physique reste
modérée, représentée par les déplacements avec un équipement plus
ou moins lourd, l’effort musculaire
étant rarement intense et tout à fait
acceptable pour un sujet normalement entraîné.
Figure 1 - Saut à ouverture commandée.
Les contraintes
environnementales
Les contraintes environnementales
sont très variables, mais restent généralement modérées. L’altitude
entraîne une hypoxie relative (3) et
augmente le rythme cardiaque (2, 4, 5).
Les variations de pression barométrique n’exerceraient pratiquement
aucune influence jusqu’à 4 000 m.
Le froid d’altitude, ajouté aux conditions météorologiques locales, est une
agression d’autant plus importante que
le vol en parachute dure plus long-
23
temps (saut à très grande altitude avec
ouverture immédiate et dérive sous
voile) (1). Le froid vif, conjugué à l’effet du vent sur le visage, est responsable de brusques accélérations et
décélérations des rythmes respiratoire
et cardiaque (2, 5-6). Ces modifications
participent à l’agression, en modifiant
l’hémodynamique cardiaque et la
pression veineuse centrale. Enfin, si le
silence en vol parachute ouvert est un
plaisir recherché, le parachutiste est
initialement agressé par le bruit et les
vapeurs des moteurs de l’avion (8).
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Le stress psychologique
Figure 2 -
La physiologie du parachutiste est
dominée de façon écrasante par le
stress psychologique (9, 10). Il s’agit
d’un stress intense et brutal, dont l’intensité dépend de l’émotivité du sujet,
les premiers sauts étant souvent l’expérience la plus terrifiante du débutant (11). Il existe une adaptation
émotionnelle, la peur s’estompant
progressivement avec la répétition
des sauts et l’expérience acquise (8, 12).
La peur est multifactorielle :
● peur de ne pas sauter ;
● peur du vide ;
● peur de l’accident mécanique en
l’air ;
● peur à l’atterrissage.
Saut militaire
Cependant, le parachutisme sportif
semble nettement moins agressif que
la pratique militaire. Mais le stress
psychologique subsiste, quelle que
soit l’expérience du sujet (2). La
réaction d’alarme généralisée du
débutant est progressivement remplacée par une réaction d’éveil plus
sélective (anticipation mentale des
gestes à effectuer lors de la chute
libre), un saut réussi étant suivi par
une phase d’euphorie tout aussi
intense. Par ailleurs, la personnalité
et la motivation du parachutiste sont
très différentes. Certains recherchent
des sensations fortes : « le sentiment
d’être tout et l’évidence de n’être rien»
(11). D’autres éprouvent un sentiment
d’invulnérabilité après avoir triomphé de l’épreuve mortelle. Pour certains narcissiquement faibles, le
risque sert de réassurance comme
une revendication implicite de leur
personnalité.
> Réactions
cardiovasculaires
habituelles
L’approche des réactions cardiovasculaires peut se faire par l’étude
de la fréquence cardiaque (FC) et de
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en automatique
à partir
d’un avion
Transall.
la pression artérielle (PA), au mieux
par le recueil de façon continue, selon
la méthode Holter. Des recueils de
catécholamines urinaires ont été réalisés de façon occasionnelle (4, 13).
Comme prévu, ces dosages ont
confirmé l’hypersympathicotonie
(Fig. 2).
La fréquence cardiaque
La prise de mesure
La FC a été d’abord étudiée par
simple prise manuelle du pouls, avant
et après le saut. Elle a pu être suivie
pendant toute la durée du saut, voire
tout le nycthémère par télémétrie (4,
5), puis par cardiofréquencemètre (2)
et, enfin, par la méthode Holter (2, 5, 7,
10). Lors de sauts à ouverture automatique (SOA), 39 Holters rythmiques
ont été posés chez des parachutistes
militaires (8).
Résultats
La FC moyenne est passée de 69 ±
8 bpm au repos à 158 ± 12 bpm au
moment du saut, avec des extrêmes
allant de 142 à 220 bpm. On note une
anticipation du saut, puisqu’une
heure avant, 92 % des sujets avaient
une FC supérieure à 100 bpm. Après
l’arrivée au sol, le retour au calme
s’accompagne d’une baisse rapide
(influence vagale), puis progressive
de la FC, avec une valeur de repos
atteinte en moyenne 1,5 heures après
le saut. La récupération du rythme
cardiaque initial est retardée si plu-
24
sieurs sauts sont effectués dans la
même journée (2) ou si des incidents
surviennent.
Variations individuelles
Bien sûr, il existe des variations individuelles importantes, notamment
selon l’expérience, avec une FC
moyenne au moment du saut à 161 ±
14 bpm chez les débutants et 150 ±
10 bpm chez les sujets expérimentés.
Comme Jung (5), nous avons confirmé
(2, 8) que la variation de FC, entre le
repos et le saut, est pratiquement la
même quelle que soit l’expérience du
parachutiste. Seul le niveau basal de
FC diffère (2, 9).
Variations selon le type de saut
Par ailleurs, les pics de tachycardie
sont plus ou moins élevés selon le
type de saut. En saut en automatique,
la sortie de l’avion est le moment le
plus pénible (Fig. 3). En saut retardé,
ce sont les phases d’ouverture de voile
et d’atterrissage qui sont les instants
FC 220
bmc
200
Pliage
180
Sortie
160
140
"Debout accrochez"
Embarquement
120
100
Attente assis
80
0.00
5
10
15
20
25
Figure 3 - Variations de la FC recueillie
par cardiofréquencemètre
chez un parachutiste effectuant
un saut automatique (2).
30
Temps
minute
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160
Jour
Nuit
150
e
Jour + Nuit
140
f
130
h
i
120
a
g
c
110
Variation de la PA
d
100
b
90
80
70
60
120 mm
96 mm
80 mm
60 mm
45 mm
30 mm
15 mm
T0
0 mm
25 mm
45 mm
60 mm
Figure 4 - Diagramme des FC de 28 sauts à ouverture commandée
à très grande hauteur (1).
a : long équipement au sol ; b : assis dans l’avion avec dénitrogénation en O2 pur ;
c et d : lever et efforts en soute ; e : sortie de l’avion et ouverture immédiate ;
f : vérification de l’azimut ; g : dérive sous voile ; h : atterrissage ; i : déséquipement.
critiques (1, 5). Aigle (1) a posé 36 Holters rythmiques chez 18 parachutistes
expérimentés, effectuant des sauts
à très grande altitude (entre 4 500 et
6 500 m), avec ouverture immédiate du
parachute et longue (15 à 30 minutes),
dérive sous voile (10 à 40 km parcourus
en l’air selon les vents). Il a pu enregistrer 16 sauts de jour et 12 sauts de
nuit (Fig. 4). On peut nettement voir
les variations de FC lors des différents
évènements de ce saut en conditions
extrêmes (en jaune : moyennes des
28 sauts ; en rouge : moyenne des
12 sauts de jour et des 16 sauts de nuit.
Le stress émotionnel grandit avec :
● les fautes de pilotage ;
● les erreurs de largage ;
● les difficultés d’approche de la cible,
comme le vent ;
● le manque de visibilité : pluie, nuit ;
● la compétition ;
● et, surtout, la survenue d’incidents
matériels.
Si un parachutiste effectue plusieurs
sauts dans la même journée, les pics
de FC maximale ont tendance à
blets et/ou triplets supra-ventriculaires ont été observés. Aucun trouble
de conduction n’a été noté. Aigle (1)
fait les mêmes constatations. L’analyse du segment ST montre, parfois,
un sous-décalage, mais il est toujours
ascendant (1, 2).
s’estomper (8, 9), mais la FC moyenne
entre les sauts reste plus élevée,
témoignant d’une certaine fatigue. Le
raisonnable à ne pas dépasser, pour un
parachutiste normalement entraîné,
est de 4 sauts dans une journée. Les
champions de voltige ou de précision
d’atterrissage, par ailleurs athlètes
de bon niveau, peuvent effectuer 8 à
10 sauts par jour, mais ils en ressortent épuisés.
Après que Colomb (2) ait étudié, par
sphygmomanomètre, les variations
de la PA chez 3 parachutistes au cours
de 18 SOA, nous avons réalisé un projet de recherche clinique “innovation”,
avec mesure ambulatoire de la PA
chez 29 parachutistes militaires expérimentés (2, 8). La PA systolique
moyenne de repos était de 127 ±
7 mmHg. Elle est passée à 168 ±
35 mmHg au moment du saut (soit une
augmentation de 41 mmHg de systolique). Six valeurs sont > 200 mmHg.
L’élévation a débuté progressivement
au moins 2 heures avant le saut (Fig. 5).
Trente minutes après le saut, la PA
systolique moyenne était de 132 ±
11 mmHg. Le retour à la PAS initiale ne
se fait, chez certains, qu’en 1,5 heures.
La PA diastolique moyenne est passée
de 73 ± 8 mmHg à 58 ± 7 mmHg à l’atterrissage. Elle est inchangée 30 minutes
avant et 30 minutes après le saut. Cet
élargissement de la différentielle
s’explique par la bonne compliance
artérielle du sujet jeune.
L’ECG
L’ECG de repos du parachutiste,
même très expérimenté, ne présente
aucune anomalie particulière (2). Au
cours du saut, tous les auteurs (5-7,
9, 10) ont enregistré une tachycardie
sinusale avec d’assez fréquents battements cardiaques prématurés,
essentiellement supra-ventriculaires.
Il est difficile de les différencier des
artefacts d’origine musculaire (1, 8).
Dans le travail effectué chez les parachutistes sautant en automatique (8),
seuls 2 sujets sur 28 ont présenté plus
de 700 ES par 24 heures, avec un pic
au moment du saut. Quelques dou-
25
Figure 5 - Enregistrement continu en ambulatoire de la pression artérielle et de la FC
chez un parachutiste confirmé (38 ans)
sautant de jour en automatique (2).
SOA : saut à ouverture automatique ; PA : pression
artérielle ; Fc : fréquence cardiaque ; PAS : pression
artérielle systolique ; PAD : pression artérielle diastolique.
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> Risques
cardiovasculaires
La prévalence des accidents cardiovasculaires est excessivement faible en
milieu militaire, essentiellement du
fait de la rigueur des visites médicales
de dépistage, de la bonne condition
physique des parachutistes et de la
sécurité des matériels permettant une
confiance quasi absolue dans le matériel. De janvier 1990 à décembre 1994,
330 000 sauts en parachute (en automatique et en commandé) ont été réalisés à l’Ecole des Troupes Aéroportées
de Pau. L’étude des registres d’hospitalisation à l’infirmerie (2) ne révèle
que 5 accidents cardiovasculaires :
● 1 poussée tensionnelle, persistant
24 heures et s’estompant sans traitement de fond ;
● 1 angor d’effort, révélant une coronaropathie sévère (chez un champion
du monde tabagique de 40 ans) ;
● 3 tachycardies soutenues chez des
patients porteurs d’une pré-excitation (ultérieurement fulgurée avec
succès).
Dans la littérature, aucun travail n’a
été publié sur les accidents cardiovasculaires en parachutisme. Les
médecins de la fédération française
de parachutisme n’ont eu connaissance que de cas anecdotiques.
Le risque potentiel est cependant
important chez le cardiaque connu ou
latent. L’hyper-sympathicotonie peut
déclencher ou aggraver des troubles
du rythme aux 2 étages et favoriser un
accident coronarien aigu. Une hypertension artérielle, une insuffisance
coronarienne ou cardiaque peuvent
se démasquer. Le risque veineux de
varices (par hyperpression du harnais)
ou de phlébite d’effort est très théorique et n’a jamais été rapporté.
> Conclusion
Sport à contrainte cardiovasculaire
importante, le parachutisme professionnel ou sportif doit être interdit aux
porteurs d’une cardiopathie connue,
même stable sous traitement (14). Il
impose une bonne condition physique
MOTS CLÉS
Parachutisme, stress,
réactions cardiovasculaires
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Vol au-dessus des nuages.
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et une vérification annuelle de l’intégrité cardiovasculaire. Il convient de
dissuader tout sujet non entraîné, a
fortiori porteur de plusieurs facteurs
de risque cardiovasculaire. Un examen clinique complet, un ECG de
repos et du bon sens suffisent, le plus
souvent, à préciser l’aptitude à pratiquer ce sport. Une épreuve d’effort
n’est indiquée qu’après 45 ans et, plus
particulièrement, chez le sédentaire
à risque cardiovasculaire élevé. ❚
26
tisme. Arch Mal Cœur Vais Pratique
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