Conférence de Josiane Sberro à Troyes le 14/04/2013 : L`intégrisme
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Conférence de Josiane Sberro à Troyes le 14/04/2013 : L`intégrisme
Conférence de Josiane Sberro à Troyes le 14/04/2013 : L’intégrisme et ses dangers Le ton fut donné dès le début de la conférence, par la projection d’une vidéo de Georges Brassens chantant « mourir pour des idées », dont les paroles très explicites condamnent le terrorisme. Cette chanson a été composée en 1972, peu après l'attentat des jeux olympiques de Munich, de sinistre mémoire. Jacques Busseuil, Président de l’AFITA remercie le rabbin Mickael Garbaï, Monsieur Couturier, ainsi que Messieurs William Gozlan, Charles Aïdan et René Pitoun de leur présence. Il rappelle que le thème de la conférence est d’actualité. Certes Israël est confronté à l’intégrisme depuis sa création, mais la France le découvre avec l’Affaire Mérah et avec la guerre au Mali. Il ne s’agit pas ici de montrer du doigt une religion plutôt qu’une autre. L’intégrisme est une pathologie des religions, quelles qu’elles soient. Le but est d’essayer d’en comprendre le mécanisme et de réfléchir ensemble aux moyens permettant d’en éviter les dangers. Il précise que «La tolérance, ce n’est pas seulement d’accepter que l’autre existe, avec ses différences, c’est aussi de considérer qu’il puisse avoir raison». C’est très précisément en contradiction avec ce principe que certains religieux ferment la porte derrière eux et s’isolent des autres courants de pensée. Ils basculent dans le fondamentalisme, puis dans l’obscurantisme et l’intégrisme, et enfin dans le prosélytisme forcé, avec son cortège de haine et d’agressivité. Les intégristes ne connaissent pas le moindre sens critique. C’est à la fois leur force et leur faiblesse… Puis il donne la parole à Josiane Sberro, chef d’Etablissement scolaire, Professeur de Philosophie, Vice-présidente de Primo-Infos, Vice-présidente et fondatrice du festival « Al Andalus », Présidente d’un groupe d’Amitié judéo-chrétienne, et infatigable militante des droits de l’homme. Elle s’est illustrée par exemple dans la défense des Touaregs au Mali, qui se battent actuellement au côté des troupes françaises contre les djihadistes. « Notre époque, excessive en tous domaines, est en quête d'absolus. Pour Marx, « la religion est l'opium du peuple » et pour Simone Weil, «Marx est l'opium des intellectuels ». Pour le dictionnaire, l'intégrisme désigne les « membres d'un parti qui cherche à soumettre l'État à l'église ». Cette définition confère au mouvement une dimension politique de lutte pour le pouvoir séculaire. L'intégriste lui, est « l'adepte d'une doctrine qui tend à maintenir un système religieux dans son intégrité originelle ». L'intégrisme est un mouvement qui privilégie le collectif au détriment de tout accomplissement individuel. L'individu n'y est plus le sujet de sa vie ou de son option morale, il est l'agent de la volonté du groupe. Or la morale est une option individuelle. Pour l'intégriste, autrui n’existe pas. Intégrisme et tolérance sont définitivement incompatibles. Intégrisme et christianisme Pendant près de deux millénaires, le Christianisme, religion prépondérante en Occident, s'est voulu universel, confondant volonté d'expansion prosélyte et universalité des valeurs affirmées. Croisades, guerres de religion, Inquisition, prosélytisme forcé et impérialisme d'État confondus, le christianisme fut bel et bien un intégrisme authentique et ravageur. Ayant atteint aujourd'hui l'âge de raison de la spiritualité par le dialogue interne, l'autocritique et la tolérance à l'autre, le christianisme atteint l'universel. Existe-t-il encore un intégrisme chrétien ? La réponse est négative sur le plan du prosélytisme actif et institutionnel. Vatican II et Jean XXIII ont accompli une œuvre définitive. L'intégriste chrétien, espèce en voie de disparition, se débusque de temps à autre avec un courant minoritaire ou un autre, par exemple celui de l’Eglise Saint Nicolas du Chardonnet ou certaines églises évangéliques aux USA. En Occident, la sécularisation définitive des pouvoirs étatiques, la relégation du fait religieux à la sphère familiale et le développement du dialogue inter religieux sont les facteurs essentiels d'une harmonie respectueuse des différences désormais établie. L'intégrisme chrétien fait partie du passé, de l'Histoire. Intégrisme et Islam (Josiane Sberro précise que ses écrits à cet égard sont approuvés par ses nombreux amis musulmans). L'Islam s'est répandu par les armes dès la mort du Prophète, de l'Inde à l'Espagne. «L'Islam n'est pas une religion de pacifistes » affirmait l'ayatollah Khomeiny. Après une longue période de léthargie (chute de l'empire Ottoman et expansionnisme occidental), la revendication identitaire islamique connaît un réveil brutal. La révélation de Mahomet est la dernière en date des trois monothéismes, elle synthétise et annule les précédentes dans l'objectif de s'appliquer à l'ensemble de la création. Cette assertion militante et hégémoniste favorise une adhésion de masse de populations nostalgiques de la grandeur d'antan, ce qui cause du tort à la multitude de musulmans modérés souvent réduits au silence ou à l'impuissance. L'islamisme est un mouvement intégriste violent. Il s'appuie sur la frustration, l'humiliation, l'occupation : thèmes unificateurs d'une guerre ouverte qui ne dit pas son nom. Il progresse parmi les membres les plus démunis de la communauté musulmane. L'islamisme intégriste radical n'a pas pour programme de lutter contre la frustration et la pauvreté. Son rayon d'action n'est pas l'humanitaire ou le social mais le politique. Il cherche à asseoir un pouvoir temporel en reconstituant la communauté des croyants et en réinstallant par la force la «pureté » de l'Islam des premiers siècles. L'Islamisme radical, qui se nourrit de haine et de mort, prospère sous des appellations variées et des alliances objectives : Al-Qaida ou Hezbollah, Hamas, Frères Musulmans ou cellules dormantes des banlieues occidentales, cellules de veille dans les pays arabes, que le printemps arabe a mise en éveil (Ennahda en Tunisie, ses équivalents en Libye, Égypte, Syrie, et autres salafistes…) Il faut reconnaître et admirer le courage de ces musulmans qui, pour vivre une religion pacifiée, luttent à contrecourant des Frères Musulmans et de leur volonté de conquête et de puissance, lourde hypothèque pour l'avenir. Les pouvoirs publics oublient de leur tendre la main, de les protéger à la hauteur du danger que leur libre parole leur fait courir. Quant aux médias, des bruits de la rue au monde du sport, ils se complaisent à prétendre à l’objectivité quand ils se contentent de chercher des symétries là où elles n’existent pas. Intégrisme Juif Le Livre constitutif, la Torah, Bible ou Ancien Testament, n'est pas simplement une Loi. C'est une vision du monde. Le judaïsme est un mode de vie, la rencontre d'une parole, d'un acte de création et d'un peuple qui accepte l'Alliance. Ce peuple défini comme élu – plus exactement choisi -, ne l'est pas en droits mais en devoirs exceptionnels. Devoirs envers les siens, mais en toute égalité envers l'Autre, à la fois identique et différent. « Ve ahavta ré’éha camo’ha : Et tu aimeras celui qui est ton semblable et ton différent comme toi-même ». C’est une philosophie ouverte, fondée sur l'action par rapport à soi-même et jamais contre autrui «ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l'on te fît », sur l'étude et sur la connaissance. Étude ininterrompue même aux pires moments de l'histoire, d'un texte plusieurs fois millénaire, mais toujours contemporain. Chaîne des générations où les enfants boivent à la même source que leurs ancêtres et que leurs descendants. L'histoire juive n'a pas connu d'intégrisme conquérant, la population juive mondiale de 13 millions d'individus en atteste. Il y eut des combats au sein de ce peuple « à la nuque raide », des luttes intestines et des rivalités politiques. Mais d'actions violentes, pas ou peu : le peuple juif garde un souvenir cuisant de l'une des rares de son histoire : en 586 avant J-C, Guedalia, chargé par l'occupant de maintenir l'ordre parmi les Judéens, fut assassiné par un Zélote, membre d'une secte dont on sait la fidélité extrême et irrédentiste. Un assassinat provoqué par la volonté de maintenir la pureté du culte ou de la terre est à ce point éloigné des valeurs juives privilégiant l'humain que, 2600 ans après les faits, le jeûne de Guedalia est encore inscrit au calendrier juif comme souvenir amer. L'histoire juive contemporaine comptabilise les actes criminels de Baruch Goldstein à Hébron et l'assassinat de Itshak Rabin par le sinistre Yigal Amir. Ces crimes, dont les auteurs ont été sanctionnés, sont-ils des actes intégristes ? Oui dans la forme, car tous deux sont le fait d’hommes religieux, non dans le fond : ils se situent dans un contexte de contestation politique précis. Le judaïsme n'étant pas prosélyte, la conversion est un véritable parcours du combattant qui demande un apprentissage pouvant prendre plusieurs années. La conséquence est, objectivement, que le judaïsme est aujourd'hui la seule religion monothéiste dont le nombre de pratiquants diminue. Les auteurs du livre « Tirs croisés » font référence à l'intégrisme juif dans le domaine du droit des femmes et de l'intolérance culturelle. L'intolérance culturelle dont parlent Caroline Fourest et Fiammetta Venner n'est, en tout cas, pas liée à l'intégration sociale, car les textes juifs sont clairs : «La loi de ton pays est ta loi », ils impliquent l'obligation d'obéir aux règles du lieu de résidence. Ce qui fait du respect de la démocratie une règle absolue, attestée par la « bénédiction du Président et du peuple qui nous accueille » en ouverture de chaque office religieux. Cette intolérance culturelle n'est pas non plus liée à l'histoire : la célébration de la sortie d'Égypte lors de la Pâque juive inclut une minute de silence pour les souffrances endurées par les Égyptiens qui payèrent cher la libération de leurs esclaves. Cette intolérance culturelle n'est pas non plus d'ordre du social, le premier des préceptes religieux juifs demeurant « Aime l'étranger car tu as été étranger ». Le judaïsme pose le postulat que l'ère messianique sera le résultat de l'œuvre sur terre des hommes, de tous les hommes, Juifs ou non. Il s'appuie sur la responsabilité et la dignité humaines. Mais cette intolérance culturelle se réfère probablement aux puristes dont l'étude est l'unique occupation et qui appliquent à la lettre les textes originels. Leur quête absolue de pureté est avant tout un acte tourné vers l'intérieur et non vers le monde extérieur, un parcours d'Esséniens des temps modernes, plus comparables aux Amish américains qu’aux wahhabites… Ces fondamentalistes, vêtus de noir de la tête aux pieds, oublient que le judaïsme, depuis Babylone, est avant tout une interprétation des textes. Ils se réfèrent aux seuls propos de leur Rabbi, celui du Shtetl de la lointaine Europe de l’Est. Ces fondamentalistes ne sont en rien un danger pour l’humanité. Ils sont par contre un poison au quotidien pour la vie juive et la cohésion de l’État d’Israël. Ils n’ont rien accepté du sionisme, qui est un gigantesque mouvement révolutionnaire de libération du peuple juif. Il est temps pour Israël de remettre de l’ordre. La Général de division Orna Barbivaï (première femme à atteindre ce poste après neuf femmes pilotes d’essai) a déjà pris des décisions en ce qui concerne le comportement collectif et le respect de l’égalité des sexes. Des étudiants israéliens, auxquels se sont joints des étudiants juifs de France, sont allés envahir les autobus de Jérusalem dans lesquels les orthodoxes voulaient installer une ségrégation de genre. Filles parmi les hommes et vice versa, cet « envahissement » a eu lieu dans une joyeuse pagaille. Les rabbins et la plus grande partie des juifs religieux prennent enfin la parole. Le rabbin Amsellem a fait, devant la Knesset, une remise au point argumentée et sans concession vis-àvis de ces extrémismes inacceptables. Toutefois, Il est moins dangereux pour l'humanité de voir un fondamentaliste juif finir son parcours dans une yeshiva de Jérusalem plutôt qu'un intégriste islamiste dans un camp d'entraînement d'Afghanistan. Les citoyens israéliens, eux, qu’ils soient sionistes, laïcs ou religieux, n’ont pas à souffrir dans leur quotidien des exigences outrancières de minorités intégristes. Le Juif n’est pas sur terre pour sauver son âme au Paradis ou rejoindre les hypothétiques vierges dans le ciel. Il est sur terre pour accomplir la Loi et son Dieu lui a dit : « j’ai mis devant toi la vie et la mort, choisis la vie.. » Et Jacques Busseuil de conclure : La voie royale pour combattre l’intégrisme est celle du dialogue, de l’information, et de la formation des jeunes. Les sociétés ne sont plus étanches, elles s’entremêlent et deviennent multiconfessionnelles. Les lois communes, nécessairement laïques, doivent donc se situer au-dessus des lois religieuses. La séparation du pouvoir politique et du pouvoir religieux va dans le sens de l’histoire. Dans ce contexte, les intégristes nagent à contre-courant, en développant une haine féroce à l’encontre de leurs contradicteurs, et en communiquant cette haine à leurs enfants. L’école, accessible à tous, garçons et filles, doit être le lieu par excellence où les enfants sont protégés du prosélytisme et de la haine. Par ailleurs, une aide internationale neutre ne devraitelle pas viser tous les lieux où les intégristes recrutent, dans les prisons, dans les quartiers de misère, afin de ne pas leur y laisser le champ libre... Après cet exposé, dont la qualité fut saluée notamment par le rabbin Mickael Garbaï, et par Charles Aïdan, on passa aux festivités avec les danses israéliennes de Maguy et Mireille, et avec les chansons pour la paix de Jacques Busseuil. La conclusion, en apothéose, fut constituée par la projection d’une vidéo de Ofra Haza chantant magnifiquement Yeroushalaim, dont le refrain fut repris en cœur par tous les participants, puis par la projection d’une vidéo de Barbara Streisand, chantant l’Hatikva pendant que les participants élevaient leurs bougies, symboles de vie… Compte rendu de Jacques Busseuil