Bechtel - Chaire Ville de Sciences Po

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Bechtel - Chaire Ville de Sciences Po
Flux n°38 Octobre - Décembre 1999
PORTRAIT D'ENTREPRISE
chés repose sur trois niveaux : un décideur public ou privé qui confie un projet
à un ingénieriste qui en fait l'analyse et,
au stade de la réalisation, le découpe en
Bechtel
lots et en achats de prestations sur le
marché. Depuis peu cette fonction de
maîtrise d'œuvre a parfois été étendue à
Dominique Lorrain
de la maintenance d'équipement, première étape sur le chemin de l'exploitation. Même si ces ingénieristes ne sont
pas les plus grands en taille, même s'ils
ne bénéficient pas de monopoles
contractuels, leur place originale dans le
circuit décisionnel leur donne une gran-
Nous poursuivons notre présenta-
un groupe industriel ou à un grand opé-
tion des principales figures des grands
rateur ; ils ont su échapper au mouve-
groupes de réseaux avec un ingénie-
ment qui, au fil des ans, a conduit une
Dans un panorama mondial on relè-
riste : Bechtel. À ce choix plusieurs rai-
partie des ingénieristes à être absorbés
vera que ces firmes sont principalement
par des industriels, des exploitants de
américaines et anglaises, quelques
réseaux ou même des firmes de
unes sont néerlandaises. Sans doute
sons.
de influence.
Dans le mouvement d'internationali-
construction. Les plus grands n'en réa-
parce que dans ces pays les décideurs
sation de l'économie des réseaux les
lisent pas moins des chiffres d'affaires
ont opté depuis longtemps pour des
ingénieristes en général constituent de
de plus de 10 milliards de dollars qui les
architectures de mise en compétition
puissantes forces d'intégration. Ce sont
situent autour du 200ème rang des
fort différentes de celle de la grande
des entreprises « nomades » qui se
entreprises mondiales (1) et très nom-
entreprise intégrée telle que nous la
déplacent de projets en projets et qui
breux sont ceux qui réalisent plus du
connaissons en France, en Allemagne
diffusent les solutions techniques et ins-
milliard de dollars. Il s'agit d'ordre de
et au Japon. De sorte que s'intéresser
titutionnelles, les manières de penser.
grandeurs considérables pour des
aux ingénieristes indépendants est
Certes on conviendra bien d'une diffé-
acteurs qui ne construisent pas d'équi-
aussi une manière de mieux com-
rence de nature entre les consultants
pements et qui font avant tout de la
prendre le modèle anglo-américain.
financiers (les securities firms) et les très
vente de prestation de service avec,
Tout se tient, les configurations institu-
grands ingénieristes aussi appelés
pour les plus grandes, de la construc-
tionnelles comme les structures d'offre
heavy contractors mais tous participent
tion (2).
des entreprises. Les premières confor-
de ce mouvement d'homogénéisation.
tent certaines familles plutôt que
Dans cette grande famille les groupes
Cette indépendance leur confère
d'autres ; les secondes pèsent pour
d'ingénierie indépendante occupent
une place particulière comme conseil
que le système évolue dans un sens qui
une position originale, emblématique
auprès des décideurs et des maîtres
leur soit favorable.
d'une certaine conception et organisa-
d'ouvrage. Ils définissent les problèmes,
tion des marchés urbains.
élaborent les solutions techniques,
L'ingénierie américaine constitue un
organisent la sélection des fournisseurs
ensemble industriel très puissant et
Si on les qualifie « d'indépendants »
ou de l'opérateur et suivent les chan-
organisé autour d'une dizaine de firmes
c'est parce qu'ils ne sont pas intégrés à
tiers. Ce type d'organisation des mar-
historiques dont l'origine remonte au
72
Portrait d’entreprise
Classement des grands ingénieristes américains
Rang 1980-85 (5)
Total contrats
International
Rang 1990 (6)
Total contrats
International
1. Bechtel (San Francisco)
9,336
65%
3
12,003
26%
2. Kellogg Rust (7) (Texas)
3. Parsons (8) (N.Y., Pasadena)
8,481
61%
2
12,903
77%
7,860
59%
4
11,700
30%
%
%
4. Brown & Root
5,846
28%
5. Fluor (Irvine, Cal.)
5,509
55%
1
18,057
26%
6. Morrison Knudsen (Idaho)
3,858
36%
14
3,906
17%
7. Lummus Crest (9) (N.J.)
3,612
66%
7
6,060
70%
8. Foster Wheeler (N.J.)
3,356
72%
12
4,233
63%
9. Ebasco (N.Y.) (10)
2,788
9%
13
4,210
1%
10. Raymond
2,557
38%
11. C.F. Braun
2,204
90%
12. Turner (N.Y.)
2,104
8%
15
3,352
1%
13. Guy F. Atkinson
2,025
50%
14. Stone & Webster (Mass.)
1,843
34%
10
4,737
26%
15. Dravo
1,834
30%
16. Jacobs Engineering (Cal.)
1,544
26%
8
5,157
10%
(5) D'après Strassmann et Wells. The Global Construction Industry, London, Unwin Hyman, 1988, p29.
(6) Strassmann, in Campagnac (dir.), op. cité, p69.
(7) Kellogg et Rust ont fusionné en 1981 et se sont séparés en 1985.
Kellogg a fusionné avec Brown & Root (groupe Halliburton);
Rust a été absorbé par Wheelabrator, filiale du groupe de déchets Waste Management.
(8) Sous le nom Parsons, on trouve deux groupes, celui de Pasadena et Parsons Brinckerhoff basé à New York.
(9) Désormais appelé ABB Lummus, après acquisition par le groupe Suédois.
(10) Fait partie du groupe Raytheon, ténor de l'aéronautique et des industries de défense mais diversifié dans l'énergie
(Ebasco) et la construction d'usines chimiques (Badger, Boston). Raytheon Engineers & Constructors regroupe désormais Ebasco, Badger et United Engineers & Constructors.
début du siècle avec la construction des
firme comme Bechtel se positionne plus
américaines et 9 parmi les 20 pre-
grandes infrastructures : chemins de fer,
du côté de la conception, enfin cer-
mières. Sur le seul marché américain les
canaux, barrages. Elles ont poursuivi
taines comme Stone & Webster ne font
20 premières firmes ont obtenu 61 %
leur développement après la seconde
que de l'ingénierie. Ces différences
des contrats et plus d'un quart revient
guerre mondiale avec les centrales ther-
expliquent largement les tailles (voir
aux 4 majors (4). Si l'on en croit les tra-
miques, les aéroports et, en participant
tableau). Ces firmes portent haut et fort
vaux de Strassmann, ces très grandes
à la construction de grandes unités
le drapeau américain aux quatre coins
entreprises ont trois caractéristiques.
industrielles, dans la chimie et le pétro-
de la planète. Selon les classements de
Elles développent une forte activité à
le. Les plus grandes - Kellogg Brown &
la revue spécialisée Engineering News
l'international. Elles ont une forte spé-
Root, ou Foster Wheeler - font de la
Record (ENR) parmi les 200 premières
cialisation dans des installations indus-
conception et de la fabrication. Une
firmes d'ingénierie mondiales (3) 80 sont
trielles (chimie, pétrole), et donc pour ce
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Flux n°38 Octobre - Décembre 1999
tures industrielles aux États-Unis et
Bechtel - États-Unis
dans le monde entier : des chemins de
fer, des routes et autoroutes, des cen-
Entreprise familiale créée en 1907, dirigée par la quatrième
génération de Bechtel, non cotée
Chiffre d'affaires 1998 $11,30 billions
trales
électriques
classiques
ou
nucléaires, des raffineries de pétrole ou
des pipelines, des usines pétrochimiques.
Secteurs d'origine
Grands équipements industriels
& pétrochimie
Énergie
Grandes infrastructures
de transport (autoroutes, tunnels)
Diversification
transports urbains
déchets toxiques
eaux usées
aménagement urbain
télécommunications
Par rapport aux entreprises qui
interviennent dans l'économie des
réseaux elle présente deux caractéristiques. Premièrement, aujourd'hui encore cette entreprise reste familiale. Elle
Chiffre d'affaires maximum
1984 $14.1 billions ;
1990 $5.63 billions ;
1992 $7.8 billions,
1994 $7,34 billions
Effectifs au début : 1984 44 000 ;
22 000 en 1986 ; 29 000 en 1994 et 31 000 en 1998.
n'est pas cotée en bourse et demeure
toujours la propriété de la famille
Bechtel qui la dirige depuis quatre générations. Riley Bechtel a succédé à son
père Stephen D. Bechtel Jr. Deuxièmement, Bechtel reste avant tout une
Partenaires dans les infrastructures.
United Utilities (GB), Sembawang (Singapour), Citic (Chine), Shell.
entreprise de services qui conçoit et
réalise (design & build) mais qui ne possède ni usine, ni ligne de montage et qui
n'a donc pas d'investissements lourds
qui nous intéresse, les infrastructures
indiens. Puis vers 1903 il travaille pour
en capital. C'est une société qui a pour
urbaines représentent plutôt une activité
Stone une firme de construction califor-
actif la valeur de ses collaborateurs et
de diversification. Elles opèrent princi-
nienne déjà réputée. Il réalise ensuite
ses procédures de travail.
palement sous deux types de contrats :
quelques travaux d'irrigation dans cet
design & build et construction manage-
État. Mais la véritable fondation de la
On ne peut pas examiner ce groupe
ment. Pour le moment leur incursion
firme remonte à 1907, année du trem-
sans évoquer le réseau étroit de rela-
dans les contrats d'exploitation reste
blement de terre de San Francisco.
tions d'affaires et d'amitié qui unit
limitée.
Warren Bechtel achète une pelle à
Bechtel aux plus grands dirigeants et
vapeur, considère qu'il est désormais en
responsables politiques américains et
société et applique un panneau « W.A.
ce depuis les origines. En simplifiant,
Bechtel Co » (11).
trois cercles peuvent être décrits (12) :
Bechtel représente l'une des grands
Depuis cette date la firme a accom-
figures de l'ingénierie américaine et
pagné tous les grands défis industriels
Le cercle politique. Le groupe a tou-
mondiale. L'histoire commence en 1898
des États-Unis, tant la construction du
jours eu de solides appuis au plus haut
lorsque le jeune Warren A. Bechtel, âgé
Boulder « Dam » que l'effort militaire
niveau de l'administration américaine,
de 26 ans, loue ses services et son atte-
pendant la seconde guerre mondiale en
mais il a atteint le sommet de son
lage de mules à la Rock Island & Pacific
participant à la construction des fameux
influence avec l'élection de Ronald
Railroad Company qui étend ses lignes
« Liberty Ship ». Elle s'est développée
Reagan, en 1980 ; plusieurs hauts diri-
vers l'ouest à travers les territoires
en construisant des grandes infrastruc-
geants du groupe sont alors entrés
74
Portrait d’entreprise
dans son administration : Caspar Weinberger
(Attorney
(Pentagon),
General),
Corp. iv) Bechtel a été associé longue-
groupe sont licenciés; l'effectif passe de
Edwin
Meese
ment avec Morrison Knudsen (Boise,
44 000 à 22 000 en 1986. Cette crise
George
Shultz
Idaho) dans un consortium dénommé
va conduire le groupe à s'intéresser à
Six Companies, créé pour le barrage de
de nouveaux marchés, plus petits et
(secrétaire d’État).
Les grands clients, partenaires de
Boulder en 1931, où l'on retrouve
plus urbains : centrales électriques à
Kaiser et MacCone ; ce grand équipe-
partir de l'incinération des déchets,
usine de traitement des eaux usées.
longue date. On décrit là tout l'esta-
ment de l'ouest va leur apporter la
blishment financier du pays. Bechtel a
renommée et des commandes ; les six
été associé à General Electric pour
vont maintenir leur association pendant
construire une grande partie des cen-
quelques années.
Tout en gardant ses anciens marchés (en 1991 contrat au Koweït pour
trales nucléaires (l'autre concurrent était
remettre en état la production de pétro-
Westinghouse). Il a réalisé une grande
Bechtel, Parsons font encore partie
le après la guerre du golfe, 16 000
partie des chemins de fer de Southern
des grands de l'ingénierie américaine et
hommes furent à certains moments
Pacific Railroad, a construit la majorité
mondiale. IFC Kaiser se situe au niveau
employés par le groupe sur ce projet ;
des hôtels de la Pan-Am. Bechtel est
du cinquantième rang selon les classe-
en 1993 un contrat gazier de $1,3bn à
intervenu pour Atlantic Richfield et
ments de Engineering News Record.
Abu
Union Oil au Canada et a réalisé de
Morrison Knudsen semblait tenir la dis-
Technip ; cette même année participa-
nombreuses centrales électriques pour
tance mais en 1995 les pertes très
tion à un contrat évalué à $20bn pour
Dhabi
en
association
avec
Pacific Gas & Electric et pour
sérieuses de son département transport
développer les ressources pétrolières
Southern California Edison.
l'ont conduit à deux doigts de la procé-
du Kazakhstan ; contrat pour moderni-
dure de mise en faillite.
ser deux fonderies d'aluminium en
Le cercle des anciens partenaires
Russie ; plus récemment extension du
ingénieristes. Quatre noms reviennent
Dans une histoire contemporaine,
réseau de transport du gaz naturel en
en permanence dans l'histoire du grou-
1985 représente un moment d'inflexion
Californie), le groupe se diversifie dans
pe, des années vingt à l'après-guerre. i)
de la politique du groupe. Cette année
les années quatre-vingt dix dans les
Kaiser Entreprises avec qui Warren
là il traverse de sérieuses difficultés.
transports, la dépollution, l'énergie et
divers réseaux techniques.
Bechtel s'était associé en 1921, lorsque
Viennent se combiner le ralentissement
ses fils étaient trop jeunes pour l'épau-
de la demande pétrolière qui conduit à
ler. Leur association lancera le groupe. ii)
un arrêt de certains projets dans les
Les transports
MacCone, avant la seconde guerre ils
pays producteurs de pétrole, la remise
— Consultant pour les extensions du
ont travaillé ensemble sur de nombreux
en cause du programme nucléaire amé-
port de Hong Kong et du nouvel aéro-
projets ; ils ont participé à l'effort de
ricain (une centrale dans l'Ohio et une
port,
guerre en produisant une flotte dans
autre dans le Michigan sont annulées) et
— Segment de 275 kilomètres pour
des arsenaux privés (Calship). Plus tard
une concurrence plus vive sur le marché
l'autoroute Trans-Turquie,
John MacCone sera nommé président
de l'ingénierie lourde. Les grands améri-
— Ingénierie du tunnel sous la Manche,
de la Commission pour l’Énergie
cains voient leur position soumise à la
— Ingénierie du métro d'Athènes,
Atomique (AEC).iii) Le groupe est aussi
concurrence
— Base de lancement de satellites pour
souvent associé avant la guerre à
quelques européens. Le chiffre d'af-
l'armée en Californie,
Parsons
sous
le
nom
des
japonais
et
de
Bechtel-
faires s'effondre. On passe du record de
— Aéroports Internationaux de Miami et
MacCone-Parsons ; leur séparation, en
1984, 14,1 milliards de dollars, à 8,2 en
de Las Vegas,
1944, donnera alors naissance à l'entre-
1985 et à 6,5 l'année suivante (voir
— En association avec Parsons, le
prise de Pasadena (California), Parsons
encadré). La moitié des salariés du
groupe a été choisi par l'État du
75
Flux n°38 Octobre - Décembre 1999
Massachussets pour superviser la
gestion du programme de dépollution
L'énergie
conception et la construction d'une
des centrales nucléaires. Il intervient sur
Après avoir été actives dans la politique
nouvelle autoroute à Boston en rempla-
plusieurs sites. En juin 1999, le DoE
énergétique américaine que ce soit par
cement de l'ancienne « freeway »,
choisit le consortium piloté par Bechtel
son volet gaz et pétrole ou par les cen-
métallique et surélevée qui coupe le
pour gérer un centre de l'Idaho. Dans
trales électriques, les équipes de
centre en deux. C'est un projet financiè-
cette mission la firme remplace le titulai-
Bechtel suivent les transformations de
rement important ($6,4 billions pour le
re du contrat passé, Lockheed Martin et
ce marché en faveur de producteurs
seul tunnel reliant le centre à Logan
bat son concurrent Morrison Knudsen.
indépendants.
Airport) et hautement symbolique d'une
— Au début des années 90 le groupe
possible restructuration urbaine conci-
— Le groupe intervient aussi dans le
participe à l'exploitation de plusieurs
liant l'automobile et la ville.
programme CLEAN de dépollution pour
centrales thermiques, mentionnons en
— En juillet 1998, associé avec Adtranz
la Navy. Un autre contrat a déjà été
Arabie Saoudite celle de Shoaiba II.
(ABB,
passé avec Jacobs Engineering Group.
— En 1997, il s'associe au pétrolier
Daimler
Benz)
et
Parsons
Brinkerhoff, Bechtel remporte l'appel
d'offre pour un métro léger à Camden
dans le New Jersey, devant quatre
Les autres concurrents étaient Fluor
Daniel, Parsons Environmental Services
et Montgomery Watson.
concurrents. Il s'agit du premier BOT
monté pour ce type d'infrastructure aux
États-Unis.
— En septembre de cette même année
le groupe est introduit dans le pilotage
de l'extension de la Jubilee Line pour le
métro de Londres. Il se positionne ainsi
sur le marché de la privatisation du
métro et des chemins de fer britannique
dont les premières franchises vont être
renouvelées à partir de 2003.
Shell pour créer InterGen, une filiale
pour la production d'électricité. Deux
ans plus tard, cette société remportait
en Australie son 9ème projet (840 MW
— Le groupe intervient avec divers partenaires pour dépolluer plusieurs sites
militaires, gérés cette fois par le DoD, où
se trouvaient des armes nucléaires ou
chimiques : sous contractant de Martin
Marietta Energy Systems à Oak Ridge
fin 1993 ; fin 1995 associé à Lockheed
sur le site de test du Nevada. Ces pro-
dans le Queensland) portant sa puissance installée cumulée à 5200MW. Elle
avait aussi des contrats de services
pour des centrales représentant une
puissance installées de 6765 MW.
InterGen intervient en Grande-Bretagne,
en
Australie,
aux
Philippines,
en
Colombie, au Brésil, au Mexique, en
Égypte et en Turquie.
grammes le conduisent à s'intéresser
aux techniques d'incinération pour éli-
Réseaux urbains et
L'environnement
miner un stock de 31 400 tonnes d'an-
infrastructures urbaines
et la dépollution
ciennes armes chimiques.
La première activité urbaine de Bechtel
— En complément de ses activités
reste la conception réalisation de
d'origine - l'industrie pétrolière- Bechtel
La compétition est rude entre les
s'associe avec des entreprises mexi-
majors de l'ingénierie pour ces gros
fut le cas pour l'Université de Ryad. Le
caines pour aborder le marché de la
contrats publics. En octobre 1993, le
groupe reste actif sur ce segment. En
dépollution de sites industriels dans ce
groupe Parsons conteste devant le
1993, est créé Bechtel Construction
pays.
General Accounting Office - GAO -, le
International.
— Après avoir été le principal construc-
choix de l'offre associant Bechtel à
— Design du parc EuroDisney,
teur de centrales nucléaires, Bechtel
CH2M Hill pour un programme de $800
— En 1992, le groupe obtient un contrat
participe activement au programme de
millions de reconversion d'un site
de gestion pour la réalisation d'un
dépollution, « Super Fund ». Il obtient du
d'armes nucléaires. Le GAO demande-
immeuble de 30 étages à Tokyo.
grands ensembles urbains comme ce
Ministère de l’Énergie - DoE -, à la fin de
ra au DoE de réévaluer précisément les
— Il intervient sur le projet énorme de
l'administration Reagan, le contrat de
deux offres.
Jubail, une ville nouvelle industrielle de
76
Portrait d’entreprise
750 km2 en Arabie Saoudite.
Plus récemment Bechtel s'intéresse
loppe depuis la fin 1999 par une socié-
ment de ce texte. Il y a fort à parier que
té spécialisée - Pilot Network Services.
ici ou là en fonction des réseaux d'in-
au marché de l'environnement urbain.
fluence passés le groupe va parvenir à
La filiale anglaise, Bechtel Ltd. créée
Tout ceci fait-il de Bechtel une entre-
en 1952, ouvre en 1991 un départe-
prise avec laquelle il faudra compter
teurs sa culture du projet. Mais les
ment pour le marché européen. Elle
pour le développement futur des
réseaux techniques urbains ont leurs
s'implanter et à exporter dans ces sec-
compte à son actif une usine de traite-
réseaux urbains ? La réponse est nuan-
propres spécificités. Par définition ils
ment des eaux, la gestion de sites pour
cée.
sont locaux et leur gestion suppose un
déchets toxiques et des études de pol-
Jusqu'à présent, Bechtel a réalisé
ancrage de longue durée. Sur ces
lution de l'air. Sur ce marché le change-
une large partie de son activité dans
points, la culture Bechtel se trouve en
ment est venu d'une alliance straté-
trois secteurs, les grands équipements
partie décalée. Le groupe a plus une
gique avec United Utilities.
industriels dont la pétrochimie, l'énergie
culture de chantier et de projet que
— Ils interviennent ensemble à Manille,
(centrales thermiques et nucléaires), les
d'exploitant. Ses clients historiques ont
à Manchester (le territoire sous mono-
grandes infrastructures de transports,
été de grands industriels, des minis-
pole de United Utilities). Bechtel Water
(autoroutes, ports, aéroports). La liste
tères, de grandes autorités publiques
participe au programme d'émissaire
impressionnante de ses réalisations en
(ports, aéroports, la Nasa), ou des « uti-
autour
the
atteste. Dans ces grands systèmes
lités » dans l'électricité. À l'étranger, ses
Manchester Ring Main - MRM pour les
techniques le groupe va continuer à
terrains d'intervention correspondent
spécialistes - et développe des outils de
avoir un rôle important. Mais celui-ci va
assez bien aux pays sous influence
télémétrie et de calcul pour gérer un
varier selon des éléments qui tiennent
américaine - Turquie, Grèce, Koweït,
réseau capable d'acheminer 410 000
cette fois à la politique américaine
Thaïlande. Bechtel est une organisation
m3/j.
puisque les apprentissages faits sur un
qui maîtrise les réseaux décisionnels au
de
l'agglomération,
— Sur le marché américain leur filiale
marché national servent de références à
sommet. Il joue en première division et
commune
remporté
l'étranger ; par conséquent la manière
ses correspondants sont des chefs d’É-
quelques contrats de gestion de
dont les réformes vont être menées sur
tat, des ministres ou les directions de
réseaux d'eau : reprise de Camden
le territoire américain pour le secteur de
grandes firmes. En se diversifiant dans
US
Water
a
Water (N.J.), de Reidsville (NCa) et de
la dépollution, de l'énergie et des trans-
les infrastructures urbaines, le groupe
Easton (Pa)
ports va s'avérer déterminante. Cette
fait son entrée dans le monde des déci-
expérience sera ensuite plus ou moins
deurs locaux dont il n'était pas familier.
Enfin le groupe s'intéresse aux télé-
démultipliée en fonction de l'influence
communications et aux NTIC.
américaine : forte en Amérique Latine,
Il y pénètre alors au moyen d'al-
— Il passe un accord général avec
dans les États du Golfe et en Asie du
liances. Partenariat avec North West
AT&T (1995)
Sud-Est ; situation plus ouverte au
Water qui lui ouvre les eaux de Manille
— Il a une joint venture avec Cellnet
Japon, en Chine et en Europe.
(1997). Partenariat avec la société des
Data Systems - BCN Data Systems qui gère des communications hert-
transports de Lyon - Semaly - en 1991
Pour les réseaux techniques urbains
qui le renforce dans les métros ; ils inter-
ziennes en dehors des États-Unis.
les choses sont un peu plus compli-
viennent à Athènes, à Kuala Lumpur, au
— Après avoir développé pour ses
quées. D'un côté, Bechtel comme les
Caire. Partenariat avec Sembawang,
besoins propres, un logiciel extranet qui
autres grands ingénieristes va y introdui-
l'ingénieriste de Singapour, pour abor-
permet des échanges sécurisés entre
re certaines de ses méthodes de travail.
der l'Asie et le marché chinois. Bechtel
les équipes qui travaillent sur le même
On se trouve bien dans la compétition
participe à des fonds, comme Asia
projet - Project Net - Bechtel le déve-
entre modèles évoquée au commence-
Infrastructure Fund, nécessaires pour
77
Flux n°38 Octobre - Décembre 1999
monter les projets en BOT ou concession. En Chine, associé à CITIC, il intervient pour le développement et l'aménagement d'une ville nouvelle sur l'île de
Daxie au sud de Shanghai ; le projet
débute en 1995. Les résultats de ces
initiatives ne sont pas acquis. Est-ce le
prologue à des engagements durables ? Les marchés urbains vont-ils offrir
une rentabilité suffisante à une firme très
profitable ? Une chose est sûre, cette
présence d'un grand ingénieriste dans
le secteur des réseaux techniques
urbains introduit des principes différents
de ceux des opérateurs publics et des
groupes privés de services tels que
nous les connaissons.
NOTES
(1) Forbes July 27, 1998, The
International 800.
(2) Voir les typologies de Engineering
News Record (ENR).
(3) En fait il s'agit des Top Design
Firms. ENR produit un autre classement
pour les Top 225 International Contractors. Chacun repose sur les contrats
annuels déclarés par les firmes, d'ou un
problème d'imputation entre chaque
rubrique et une cohérence maintenue
d'une année sur l'autre ; ce problème
est particulièrement visible si on suit ces
classements sur plusieurs années ; on
peut se demander si les fortes variations
enregistrées s'expliquent par des phénomènes réels ou par des changements
d'imputation par les déclarants. De ce
fait ces chiffres peuvent différer sensiblement des chiffres d'affaires annuels.
Ce même découpage s'applique aux
firmes américaines. Elles sont classées
en 5 familles : design, contractors, design & build, construction management,
environmental firms. Ce découpage, on
s'en doute, ne facilite pas les comparaisons d'ensemble. Néanmoins pour ce
78
qui nous intéresse, ceci n'affecte pas la
liste des plus grandes entreprises.
(4) Strassmann, Les stratégies et les
spécialités des grandes entreprises de
construction aux États-Unis, in E.
Campagnac (dir.), Les grands groupes
de construction, Paris, L'Harmattan,
1992, p61-69.
(11) Voir le livre de McCartney, chapitre 2.
(12) Voir McCartney op. cité.
(13) Forbes July 27, 1998, The
International 800.
(14) Voir les typologies de
Engineering News Record (ENR).
(15) En fait il s'agit des Top Design
Firms. ENR produit un autre classement
pour les Top 225 International
Contractors. Chacun repose sur les
contrats annuels déclarés par les firmes,
d'ou un problème d'imputation entre
chaque rubrique et une cohérence
maintenue d'une année sur l'autre ; ce
problème est particulièrement visible si
on suit ces classements sur plusieurs
années ; on peut se demander si les
fortes variations enregistrées s'expliquent par des phénomènes réels ou par
des changements d'imputation par les
déclarants. De ce fait ces chiffres peuvent différer sensiblement des chiffres
d'affaires annuels. Ce même découpage s'applique aux firmes américaines.
Elles sont classées en 5 familles : design, contractors, design & build, construction management, environmental
firms. Ce découpage, on s'en doute, ne
facilite pas les comparaisons d'ensemble. Néanmoins pour ce qui nous
intéresse, ceci n'affecte pas la liste des
plus grandes entreprises.
(16) Strassmann, Les stratégies et
les spécialités des grandes entreprises
de construction aux États-Unis, in E.
Campagnac (dir.), Les grands groupes
de construction, Paris, L'Harmattan,
1992, p61-69.
(17) D'après Strassmann et Wells.
The Global Construction Industry,
London, Unwin Hyman, 1988, p29.
(18) Strassmann, in Campagnac
(dir.), op. cité, p69.
(19) Kellogg et Rust ont fusionné en
1981 et se sont séparés en 1985.
Kellogg a fusionné avec Brown &
Root (groupe Halliburton)
Rust a été absorbé par Wheelabrator, filiale du groupe de déchets Waste
Management.
(20) Sous le nom Parsons, on trouve
deux groupes, celui de Pasadena et
Parsons Brinckerhoff basé à New York.
(21) Désormais appelé ABB
Lummus, après acquisition par le groupe Suédois.
(22) Fait partie du groupe Raytheon,
ténor de l'aéronautique et des industries
de défense mais diversifié dans l'énergie
(Ebasco) et la construction d'usines chimiques (Badger, Boston). Raytheon
Engineers & Constructors regroupe
désormais Ebasco, Badger et United
Engineers & Constructors.
(23) Voir le livre de McCartney, chapitre 2.
(24) Voir McCartney op. cité.
SOURCES
Base de données à partir d'articles
de la presse financières depuis 1991 :
Financial Times, Engineering News
Record, Business Week, Forbes, Asian
Wall Street Journal.
Bases de données informatiques.
Analyse de l'offre non française.
Secteur de l'ingénierie. Peat marwick,
Mitchell & Co., juin 1981, Paris, Ministère de l'Industrie.
Laton McCartney, Friends in High
Pkaces, (the Bechtel Story), Ballantine,
New York, 1989.
Strassmann & Wells, The Global
Construction Industry, Unwin Hyman,
London, 1988.
Dominique Lorrain est chercheur au
CEMS-CNRS/EHESS
54 boulevard Raspail
75006 Paris
[email protected]

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