Intoxication par le méthanol

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Intoxication par le méthanol
Intoxication par le méthanol
N. Rhalem, Gh. Jalal, R. Soulaymani
1. Cas cliniques :
Au Maroc, une intoxication collective a été enregistrée en 1996, impliquant 76 personnes dont
7 décès et 4 cas de cécité. Il s’agissait d’une prise d’alcool frelaté (Vodka vendue à bord d’un
bateau russe). Ces cas et d’autres cas secondaires à l’ingestion d’alcool à brûler, sont reportés
de temps à autre au Centre Anti Poison du Maroc pour identifier le toxique et avoir la conduite
à tenir.
2. Introduction
L’alcool frelaté et l’alcool à brûler contiennent des concentrations variables du méthanol
(alcool méthylique) en remplacement de l’éthanol. Le méthanol est appelé autre fois « esprit de
bois » qui entre dans la composition d’un grand nombre de solvants et de nombreux produits de
commerce tels que les peintures, les démaquillants liquides et les carburants. Il est aussi utilisé
comme matière première dans l’industrie de synthèse.
Il s’agit d’une intoxication rare mais potentiellement grave, qui peut être volontaire ou
accidentelle, après ingestion, inhalation ou pénétration dermique de méthanol pur ou mélangé à
d’autres produits.
L’évolution de l’intoxication au méthanol est conditionnée par le degré d’acidose et le délai
entre l’exposition et l’instauration du traitement spécifique.
3. Données physico-chimiques et cinétiques :
Le méthanol est un liquide incolore, volatil dont la formule chimique est CH3OH. Son poids
moléculaire est de 32. Son odeur est légèrement sucrée mais souvent masquée par les impuretés.
Le méthanol est une substance osmolaire. Sa résorption est rapide en moins de 15 min. Le pic
plasmatique est atteint en 30 à 60 min.
La demie vie plasmatique augmente avec la quantité ingérée et l’association d’éthanol.
Le métabolisme est lent, après ingestion, des taux significatifs de méthanol peuvent être
retrouvés dans le corps jusqu’à plus de 7 jours.
La biotransformation se fait au niveau du foie dans 95 %. Le méthanol se transforme en
formaldéhyde et acide formique sous l’action de l’acide déshydrogénase.
La dose potentiellement mortelle du méthanol est estimée à 30 ml. La cécité peut être
occasionnée par une quantité minime de méthanol pur (4 à 10 ml).
4. Physiopathologie :
La toxicité du méthanol est liée à ses métabolites qui sont neurotoxiques et responsables
d’acidose métabolique.
Le principal métabolite responsable de la toxicité du méthanol est l’acide formique. C’est un
toxique fonctionnel et potentiellement lésionnel.
Le mécanisme de toxicité serait lié à l’inhibition de l’activité cytochrome oxydase
mitochondrial qui entraînerait une inhibition de la synthèse de l’ATP (adénosine triphosphate) .
Au niveau visuel, l’œdème de la papille optique serait la conséquence de la diminution du flux
axonal, énergie dépendant, avec stase axonale.
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La neuropathie serait en outre secondaire à l’inhibition de l’activité Na-K-ATPase qui
provoquerait une diminution de la conduction électrique et des troubles visuels.
OH-4 - MP
Formaldéhyde
(HCHO)
CH3OH
Alcool déshydrogénase
(ADH)
ALDH
Élimination
Rénale
Pulmonaire
Acide formique
(HCOOH)
Hémodialyse
Acide
Folique
CO2
Schéma simplifié du métabolisme du méthanol
5. Clinique :
Après une période de latence variable, de 30 à 120 min, apparaissent des signes neurologiques
mineurs faits de céphalées, somnolence, ébriété, léthargie, confusion et irritabilité, signes
retrouvés également dans l’intoxication éthylique.
Le diagnostic précoce, à cette phase de l’intoxication, permet le plus souvent de sauver le
patient :
Après un temps de latence de plusieurs heures (1 à 72 h) surviennent :
Des signes gastro-intestinaux avec irritation des muqueuses, nausées, vomissements et
douleurs abdominales.
Une atteinte oculaire qui est assez fréquente et est de grande valeur diagnostique. Elle
apparaît entre 12 et 24 heures après l’ingestion mais parfois plus tôt. Elle se manifeste
au début par un flou visuel avec diminution de l’acuité et du champ visuel. L’examen
retrouve alors un œdème papillaire qui évolue vers une atrophie papillaire et une cécité
qui peut être irréversible dans 25% en absence de traitement.
Des signes cardio vasculaires faits habituellement de tachycardie. Une bradycardie
peut se voir lors de prises massives, une défaillance cardiaque et une hypotension
sévère peuvent alors se produire.
Une dépression du système nerveux central pouvant aller jusqu’au coma avec
convulsions.
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Des troubles respiratoires peuvent se voir à type de polypnée liée à l’acidose
métabolique. Une défaillance respiratoire brusque peut s’installer dans la phase
terminale.
L’acidose métabolique peut être sévère dans les intoxications importantes. Elle
conditionne le pronostic vital.
D’autres complications sont possibles à type:
D’hémolyse et de rhabdomyolyse
De lésions rénales (insuffisance rénale aigue et myoglobinurie)
D’atteinte pancréatique avec possibilité d’hypoglycémie.
D’insuffisance hépatique, au cours de prise létale de méthanol, dans le cadre
d’une défaillance multi viscérale précédant le décès.
6. Paraclinique :
La gazométrie : le pH, la pression de CO2 (pCO2) et la réserve alcaline (RA) sont
abaissés.
L’ionogramme sanguin montre : une hypokaliémie paradoxale, consécutive à la
formation de formates potassiques, une hypoglycémie, la chlorémie est normale et
les taux d’urée et de créatinine sont parfois augmentés.
Le trou anionique est augmenté : (Na + K) – (RA+Cl)> 20.
Le trou osmolaire est supérieur à 10 mosmoles. Il est calculé selon la formule :
osmolarité mesurée – osmolarité calculée> 10 mosmoles.
L’osmolarité calculée est égale à : 2 x natrémie (mmol/l) + taux d’urée (mmol/l) +
glycémie (mmol/l) + 10 mmol.
L’osmolarité mesurée est représentée par l’osmolarité en mosmoles/kg eau multiplié par
0,93.
Les taux des CPK et de LDH sont élevés en cas de rhabdomyolyse.
L’amylasémie, la liposémie : leurs taux sont exceptionnellement augmentés.
Bilan toxicologique :
Il comprend le dosage du méthanol par chromatographie et le dosage plasmatique et
urinaire de l’acide formique par colorimétrie.
Une concentration nulle en méthanol ne permet pas d’exclure de manière fiable
l’intoxication. Donc, la recherche du toxique lui-même peut exposer à une erreur
diagnostique.
En revanche, les concentrations en acide formique restent détectables beaucoup plus
longtemps, et permettent de signer l’intoxication par le méthanol de manière formelle.
7. Diagnostic positif
Il repose sur un faisceau d’arguments :
La notion d’ingestion de méthanol,
La présence de signes cliniques pouvant évoquer initialement une intoxication éthylique,
L’acidose métabolique : pH, réserve alcaline et pCO2 bas,
Le trou anionique augmenté avec présence d’un trou osmolaire,
La mesure sanguine de l’acide formique et du méthanol.
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8. Conduite à tenir :
Contacter toujours le Centre Anti Poison pour identifier le toxique et avoir plus de détails sur
la prise en charge, qui repose sur :
Le lavage gastrique qui doit être réalisé dans les premières heures (<1 heure)
L’alcanisation pour corriger rapidement l’acidose. Elle repose sur la perfusion de
bicarbonate de sodium. Il faut surveiller le pH sanguin, la réserve alcaline et les troubles
hydro électrolytiques.
En cas de défaillance respiratoire grave une intubation et une ventilation peuvent être
nécessaires.
La mise en route du traitement antidotique ne doit pas tarder. Celui ci repose sur :
L’éthanol qui permet de bloquer efficacement l’alcool déshydrogénase et
d’empêcher la formation d’acide formique. La dose d’attaque est de 10 ml/kg d’éthanol
à 10 % (0,6 g/kg) en IV sur 30 min ou par voie orale. La dose d’entretien est de 1 à 2
ml /kg/h d’éthanol 10% dans du glucosé à 5 % en IV ou par voie orale (154 mg/kg chez
les éthyliques chroniques).
L’éthanolémie doit être surveillée initialement toutes les heures et la perfusion sera
ajustée en fonction de sa concentration. Le but est de maintenir l’éthanolémie à 1g/l
jusqu’à 48h après la disparition du méthanol dans le sang. Si le taux sanguin d’éthanol
n’est pas disponible, un léger état d’ébriété est significatif. Un control fréquent de la
glycémie s’impose car l’éthanol induit une hypoglycémie chez l’enfant.
Le 4-méthyl-pyrazole qui est également un inhibiteur de l’alcool déshydrogénase
et qui a l’avantage de ne pas exposer au risque de surdosage comme l’éthanol.
Une dose de charge de 4-méthyl-pyrazole de 10-20 mg/kg en IV sur 30 min ou par voie
orale permet de bloquer temporairement la formation de métabolites toxiques, de faire
le bilan de l’intoxication et d’adopter secondairement le traitement. La dose d’entretien
étant de 10-20 mg/kg/24h.
Le folinate de calcium augmente le métabolisme des formates aux doses usuelles.
L’hémodialyse constitue un traitement épurateur efficace. L’épuration extra
rénale du méthanol permet également l’élimination des métabolites toxiques.
L’efficacité de ce traitement est liée aux caractéristiques du méthanol : bas poids
moléculaire, faible volume de distribution (0,6 l/kg), absence de liaison aux protéines.
Cette dernière propriété rend compte de l’inutilité du charbon activé dans l’épuration
gastrique.
Les indications de l’hémodialyse sont:
Troubles visuels et/ou
Insuffisance rénale et /ou
Acidose métabolique sévère et/ou
Troubles électrolytiques malgré un traitement bien conduit et/ou
Méthanolémie > 500mg/l et/ou
Quantité ingérée de méthanol pur >40ml.
9. Éléments pronostiques :
Certains éléments interviennent dans l’appréciation de la gravité de l’intoxication par le
méthanol :
La quantité ingérée supérieure à 40 ml,
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Le délai thérapeutique de plus de 10 heures,
Le degré d’acidose métabolique : CO2< 10 mmol/l,
Le taux de formates sanguins > 0,5g/l,
Références :
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