olivier lécrivain

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olivier lécrivain
OLIVIER LÉCRIVAIN
Biobibliographie suivie de quelques textes
Présentation et textes sous la responsabilité de l’auteur
Né en 1957 en banlieue parisienne, je me suis très tôt découvert deux passions : le
blues et les westerns.
Par admiration pour mes héros, j’ai appris à jouer de l'harmonica, à tirer au
pistolet, et à parler anglais. Comme je tiens trop à ma peau pour vivre au quotidien mon
rêve héroïque et brutal, j’écris. C'est plus sûr, et tout aussi exaltant.
Professeur d'anglais au lycée George Sand de La Châtre, et membre de la Charte des
Auteurs, je suis marié et père d'une fille de vingt deux ans. J’ai publié les ouvrages
suivants :
Sans plus attendre (recueil de poèmes) -Editions Commune Mesure, 1976 (épuisé)
Les poings serrés (Père Castor, Flammarion 1984 - Prix Jean Macé 1985)
Les voleurs de secrets (Editions de l'amitié, 1985)
L'été du loup Garou (Flammarion 1986 épuisé)
Blues pour Marco (Casterman, 1982 - réédité en 1988)
Les sept vies de Fred Lechat (roman écrit en collaboration avec cinq autres
écrivains et un illustrateur, en 24 heures, lors du Marathon du Salon de Beaugency 1995
épuisé)
Les Braqueurs du Crépuscule (Le castor astral, 1996) ainsi que divers contes de
fée et contes pour enfants aux Editions de l'Amitié .
Le Poète Assassin, (le Seuil Jeunesse), en 1997
La Gardienne de la Nuit, Magnard, 1999
Le Roi de Terre d’Ombre, avril 2000, Flammarion (collection tribal, atelier du
père Castor)
L’encre invisible, éditions Villa-Cisneros 2005
L’ENCRE INVISIBLE
(passages)
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La mémoire… on voudrait croire que c’est un tiroir plein de bazar, un
placard rempli de vieux polaroids qui pâlissent dans le noir, un hangar en
foutoir avec une porte aux gonds rouillés par les années… Mais non ; la
mémoire est un organe vivant, un muscle lisse, qui n’obéit qu’à sa propre
fantaisie. Une chambre secrète qui se déplace et ne se trouve jamais derrière la
même porte, une caverne magique qui décide toute seule s’il faut l’appeler
« Sésame », « Rosebud », ou « Madeleine » pour qu’elle consente à s’ouvrir.
La mémoire est une servante de comédie, une soubrette insolente qui met
un point d’honneur à exécuter vos ordres de travers. Exigez un souvenir précis,
elle fera la sourde oreille. Ordonnez-lui d’effacer un souvenir gênant, elle
ravivera aussitôt à votre front le rouge de la honte. Essayez donc de vous
étendre sur un canapé en ne pensant à rien, elle vous jettera tout le passé à la
figure. Même les beaux souvenirs, ceux que vous avez placés en lieu sûr dans
les vitrines de l’habitude, elle vous les abîme, elle en use le décor, comme les
porcelaines qu’elle récure à la paille de fer. Êtes-vous certain que la rencontre
avec l’amour de votre vie se soit passée ainsi que vous pensez vous le
rappeler ? De même que l’on transforme un conte chaque fois qu’on
le
raconte, la mémoire retouche tous les souvenirs, par le simple fait de les
avoir évoqués une fois de plus. De quoi se souvient-on, quand on se souvient ?
Surtout de celui qu’on était la dernière fois qu’on a évoqué le même souvenir.
Mais tout cela, vous le savez. Vous avez, comme moi, les poches pleines de
vieux papiers avec des numéros de téléphone inutiles, et les surnoms idiots de
gens que pour rien au monde vous ne souhaiteriez revoir. Vous avez aussi des
souvenirs honteux qui vous suivent comme des ombres, des tatouages
ineffaçables. Un de mes amis ex taulard, le genre spartiate insensible à la
douleur, s’était passé le torse et les avant-bras à la ponceuse. Le résultat de ses
efforts était d’avoir remplacé le bateau, le cœur, ou la tête de mort polychrome
qui ornait sa peau, par des cicatrices en forme de bateau, de cœur ou de tête de
mort. Il ignorait que derrière la couleur du tatouage ou du souvenir, il y a un
tracé à l’encre invisible, un filigrane que l’on peut toujours retrouver en lumière
frisante.
Sans connaître Freud, dès l’âge de huit ans,
avant la première
communion, j’ai su que le refoulé retrouvait toujours le chemin de la maison,
même quand on croyait l’avoir perdu dans les bois. J’avais accompli un crime
enfantin que je n’ai pu me résoudre à avouer au prêtre chargé d’entendre ma
première confession. Quand le dimanche est arrivé, j’ai donc communié en état
de péché mortel, et j’ai rentré la tête dans les épaules en acceptant
l’hostie, convaincu que Dieu me tenait dans le collimateur de son fusil de
sniper, et que j’allais me transformer sur-le-champ en un petit tas de poussière
radioactive. Mais Dieu devait avoir mieux à faire que de jouer à Lee Harvey
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Oswald. Après tout, le dimanche, c’est le jour de marché et de tiercé pour tout
le monde, même pour Dieu.
Je me suis donc retrouvé en sursis. Quatre ans de répit jusqu’à la
communion solennelle, quatre ans pour prendre mon élan et trouver le courage
de cracher enfin le morceau devant un nouveau prêtre. Au début, l’échéance
m’a paru infiniment lointaine. Mais très vite, le souvenir de mon forfait enfoui
est revenu me hanter. Il me tombait dessus sans crier gare, en plein milieu des
jeux du mercredi, qui s’appelait encore jeudi en ce temps là. « Tu m’as l’air
bien joyeux aujourd’hui. Pourtant tu sais très bien que tu n’as pas le droit d’être
joyeux, après ce que tu as fait ». Oui, je peux dire que je l’ai bien connu, le
souvenir refoulé. Il avait le sourire implacable des justiciers de westerns
spaghettis au cinéma de mon quartier.
Bien sûr, vous n’êtes pas forcés de me croire, puisque je dis tout cela de
mémoire, et que la mémoire raconte n’importe quoi.
Il y a quand même un domaine où je suis certain que ma mémoire ne me
trahit pas. Elle peut changer le décor, la musique, l’éclairage, le montage de
notre film intérieur, elle peut faire oublier la douleur et embellir les moments
heureux.
Elle peut travestir les propos qu’on a tenus. Je ne crois pas qu’elle puisse
changer les questions qu’on s’est posées.
Dès mon plus jeune âge j'ai cherché à comprendre Jean, mon père, cet
étonnant martien. Si je devais vous le résumer, je dirais qu’il était insatisfait,
inquiet, hyper-actif et génial; et impossible à vivre. J'avais beau l'avoir sous la
main quand j'étais gosse au moins autant que les autres gamins, jusqu'à
finalement assez tard puisque mes parents n'ont divorcé que lorsque j'avais
dix sept ans, j’avais l’impression de ne jamais le voir suffisamment.
J’adorais passer du temps dans son bureau, jouer avec sa machine à écrire
ou sa machine à calculer (un vieux tank à manivelle qui devait dater de Blaise
Pascal), fouiller ses tiroirs et sa boîte à outils comme des coffres à jouets.
J'écoutais ses disques de jazz, en me forçant un peu parfois parce qu'à sept ou
huit ans, Billie Holiday ça passait bien, mais Charlie Parker, c'était
franchement inconfortable. Plus tard, à l'adolescence, j'ai traîné dans les rayons
du magasin de disques-et-électro-ménager de ma banlieue, où mon père se les
était procurés. Je regardais les vendeurs quadragénaires en me demandant sans jamais oser leur poser la question - lequel d’entre eux avait été un de ses
copains de lycée, ou de scoutisme. J'ai flâné dans la rue où il avait eu son
premier boulot, à la General Motors, la G.M. comme il disait. Je souriais en
passant devant le portail, et je repensais à mes erreurs d'enfant, quand je
ne savais pas s'il travaillait à l'armée, chez le Général Motors, ou chez une
dame qui s'appellerait Géhème. J'ai même un moment assidûment fréquenté
mes grands-parents paternels, simplement à cause de ce qu'ils auraient pu
m'apprendre sur lui. Ils conservaient tout un tas de reliques, dans la chambre
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de bonne de leur immeuble où ils avaient installé leurs deux fils à l'époque où
l’adolescence les rendait pénibles à vivre. Il y avait un violon, dont l'archet
perdait son crin et faisait onduler des fils de lumière lorsque Jean essayait de
retrouver les morceaux appris dans son enfance. Un harmonica rouillé, qui
sentait le moisi. Des badges de scouts, des bouquins d'électricité et de radio
amateur... et aussi quelques objets mythiques, dont je connaissais l’existence,
mais qui demeuraient introuvables : un coup de poing américain ; une vieille
carabine de jardin avec une balle coincée dans le canon. Pistes éventées, feux
de camps aux cendres déjà refroidies, tous ces objets me frustraient en ne
m’apprenant rien sur Jean. Ils me comblaient en me laissant seul face à ma
quête intacte.
Olivier Lécrivain
L’encre invisible (passages)
© Éditions Villa-Cisneros, 2005
la mémoire tatouée
Contribution aux IXèmes rencontres des écrivains francophones et hispanophones (France-Chili)
Hommage à Roberto Bolaño
jeudi 17 mars 2005
Université du Littoral - Côte d’Opale
Section d’Etudes hispaniques et hispano-américaines
à Boulogne-sur-Mer
avec le concours de La Maison des Ecrivains, Paris
avec
Pedro Araya
Rémy Durand
Olivier Lécrivain
Angel Parra
Waldo Rojas
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