le-chant-des-sirenes-2
Transcription
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“Le Chant des sirènes” – De toutes les aventures que je vais vous raconter, celle-ci est certainement la plus mystérieuse. Le vieil homme s’aménagea une pause, croisant ses mains sur son ventre rebondi et reprenant son souffle un peu court à cause de son âge. James retint un sourire amusé en voyant tous ses jeunes cousins se rapprocher inconsciemment, impatient de connaître la suite. – J’avais quatorze ans, raconta Grand-Père Lee, c’était pendant l’hiver de l’année 1911. Le vent soufflait sans interruption, l’océan était secoué de vagues puissantes qui menaçaient de submerger la ville. Téméraire, je décidai de ne pas changer mes habitudes et passai comme tous les jours sur les quais pour rentrer à la maison. Quand soudain, un cri attira mon attention. La nuit était déjà tombée, mais je pus l’apercevoir sans problème. Là, au milieu de l’eau tourbillonnante, une fille se débattait pour ne pas se noyer ! Karen plaqua ses mains sur sa petite bouche et les yeux d’Hugh s’écarquillèrent derrière ses lunettes. Les enfants s’échangèrent des regards et des exclamations. Le vieux Lee profita de son répit pour allumer une cigarette. – Qu’est-ce qui s’est passé après, Papy ? ne put s’empêcher de demander Anthony. – Eh bien je n’avais pas trop le choix, gamin. Je lâchai mon sac d’école, ôtai ma veste et ma chemise et sautai dans l’eau glacée. Je crus bien que ma dernière heure était arrivée. L’océan était déchaîné, le ciel trop sombre pour m’être utile en quoi que ce soit, et brusquement, il n’y avait plus de cri, juste le bruit des vagues qui s’écrasaient contre les quais. Je commençai à nager pour éviter de connaître le même sort et tentai de retrouver la jeune fille. Elle se trouvait beaucoup plus loin que ce que j’avais d’abord pensé, et paraissait à bout de force. Je fis alors mon possible pour la rejoindre et battis des pieds contre le courant qui m’entraînait inlassablement vers le bord. Il expira longuement la fumée, les enfants toujours pendus à ses lèvres. James devait bien avouer qu’il ne l’avait jamais entendue, cette histoire-là, et qu’il était impatient d’en connaître la suite. – Je n’ai jamais su pas comment je parvins à l’atteindre, toujours est-il que je rattrapai la pauvre fille que l’eau allait bientôt emporter. Je passai mon bras sous les siens et me tournai vers le bord. Du moins, la direction que je pensais être celle du bord, car il n’y avait plus rien à l’horizon que de l’eau, et encore de l’eau ! George poussa un petit cri surpris qui fit sursauter les autres. – Qu’est-ce que tu as fait, alors ? Hein Papy ? – J’ai nagé, sacré bon dieu ! s’écria-t-il en écrasant presque sa cigarette dans son poing. J’ai nagé comme je n’avais jamais nagé, et pourtant, la côte restait hors de vue. Je commençai à désespérer, la fille à moitié évanouie pesait sur mon bras droit et le gauche luttait contre le puissant courant. En plus ce cela, l’eau était glacée et le vent n’aidant pas, je fus rapidement frigorifié. Mes dents claquaient les unes contre les autres, mon corps était secoué de frissons si puissants qu’ils en étaient douloureux, et retenir la fille devint presque impossible. Une vague nous passa finalement au-dessus et nous submergea. On entendait plus rien, pas même une mouche voler, tant les enfants étaient captivés. James attendait lui aussi la suite avec impatience, ce qui ne lui était pas arrivé depuis ses dix ans. – D’abord, le noir. Les ténèbres les plus obscures, pas un bruit, j’ai cru être mort. Je ne voyais rien, pas même les cheveux roux de la fille que je tenais pourtant serrée contre moi. James fronça les sourcils. Cette histoire impliquait-elle la rencontre de son grand-père et sa grand-mère ? Les cheveux flamboyants de sa grand-mère avaient passé les générations et tout le monde connaissait la famille Sheppard aux cheveux carotte. – Je ne savais pas où était la surface, mais je nageais. Peut-être vers le fond, peut-être vers l’air, je n’en avais aucune idée. Je perdais espoir à mesure que mon souffle s’amenuisait, et j’étais sur le point de me résigner quand une chose incroyable se passa. Il tira sur sa cigarette presque entièrement consumée et fixa par la fenêtre le ciel étoilé. Le silence dura un long moment, chaque enfant trépignant d’impatience, quand Maureen le brisa. – Quoi Papy ? – Un chant. Doux, qui allait crescendo, et qui amenait avec lui une lumière d’un jaune presque blanc du fond de l’océan. Ebloui, abasourdi, j’arrêtai de nager pour simplement observer cette lumière, écouter ce chant, suivre ces silhouettes qui dansaient autour de nous. Un spectacle magnifique. – Qu’est-ce que c’était, Papy ? s’enquit Hugh. – Des requins ? hasarda Karen, l’air effrayé. – Des dauphins ? proposa Maureen, émerveillée. – Des calamars ! s’écria George. Lee observa chacun de ses petits-enfants avant de sourire, nostalgique. – Des sirènes, lâcha-t-il dans un murmure. De magnifiques sirènes, qui chantaient comme d’une seule voix, claire et mélodieuse. J’aurais pu rester là éternellement à les écouter, à les regarder, flottant dans les profondeurs de l’océan, oublieux de tout. Mes poumons se vidaient cependant de leur oxygène et la fille semblait sur le point de s’évanouir, à côté de moi. Je savais qu’il fallait agir vite. J’avais un choix simple : je devais décider de la voie qui mènerait à la surface. Tandis que j’optai pour la direction opposée à la lumière, le chant cessa, aussi soudainement qu’il avait commencé. Une sirène s’approcha de moi, et dans son sourire confiant, je pus lire que nous étions sauvés. Elle posa sa main sur mon bras et… Le vieil homme sembla brusquement se perdre dans ses pensées et il se tut. Un long, très long moment. Aucun des enfants ne semblait oser rompre le silence qui régnait, et la tension était telle qu’elle en était presque palpable. James s’agaça, il voulait connaître la suite. Qu’était-il arrivé ensuite ? Comment avaient-ils été sauvés ? Cela faisait dix ans qu’une des histoires de son grand-père n’avait pas suscité autant d’intérêt chez lui, et à présent il se souvenait à quel point ces pauses pouvaient être désagréables. – Et alors ? demande finalement la petite July, n’y tenant plus. – Alors je m’évanouis dans les ténèbres.