Raymond Guérin - Du côté de chez Malaparte

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Raymond Guérin - Du côté de chez Malaparte
Du côté de chez Malaparte, Raymond Guérin – Editions Finitude
128 pages, 13,50 Par Marc Villemain
Du bon côté
Ils ont le don des jolies idées, chez FINITUDE. Voici donc réédité
par leurs soins, sans raison ni actualité apparentes, ce petit livre
de Raymond Guérin, récit de son séjour, en mars 1950, dans la
Casa Come me de Malaparte, sise tout au bout d’une pointe du
monde où Godard, plus tard, ira magnifier Brigitte Bardot.
« Venez », lui avait simplement écrit Malaparte – et Guérin ne se
fit pas prier.
Du côté de chez Malaparte est un hommage comme il ne se
pratique plus guère aujourd’hui. La visite au grand écrivain est,
classiquement, de celles marquent une existence, quitte, parfois,
à entretenir quelques fantasmes. Elle induit une forme de
révérence et de courtoisie qui, transposée dans le travail littéraire, fait toujours courir à celuici le risque d’une certaine complaisance, voire davantage. De cela il ne saurait évidemment
être question ici, Raymond Guérin étant un écrivain bien trop irréductible, rebelle par instinct
autant que par histoire personnelle. Pourtant, une certaine affectation a pu parfois me gêner,
notamment au début du livre (donc du séjour), quand l’enthousiasme de Guérin semble
l’inciter à trouver beau, bon et juste tout ce que dit, pense et fait Malaparte. Au point de lui
inspirer un lyrisme qui, mal compris, pourrait affecter la spontanéité du propos, comme si, en
plus de l’être spontanément, il avait décidé d’être charmé. Je mesure, naturellement, ce que ce
jugement peut avoir d’injuste. Car l’emphase qui se manifeste ici ou là, au fil de la
conversation entres les deux hommes, n’est autre que l’expression d’une admiration et d’une
authentique amitié mutuelles. Ce qui, au demeurant, ne doit pas toujours aller de soi avec
Malaparte, qui ne déteste pas jouer les matamores. D’une liberté assez affolante, peu soucieux
des jugements qu’il peut susciter, le personnage ne demande pas mieux que de provoquer. Au
cours d’une de leurs innombrables conversations, et après que Raymond Guérin a vanté sa
façon « de donner l’assaut à une idée, à un fait, à un individu, de conquérir son sujet à la
force du poignet… », il a cette repartie, tellement naturelle : « Oui, j’ai conscience d’avoir une
vision du monde plus libérée que la vôtre. » Ce type d’assertion n’induit pourtant aucune
implication d’ordre moral ou vertueux : elle est factuelle en toute simplicité. Aussi, ce qui est
saisissant dans ce récit, outre qu’il se lit avec beaucoup de plaisir tant il est charnel, lettré,
empathique, c’est que ces deux hommes ne se ressemblent finalement que bien peu. A cette
aune, leur amitié n’en est que plus troublante, y compris peut-être à leurs propres yeux.
Malaparte a ce côté canaille qui, d’ordinaire, agacerait sans doute Raymond Guérin, ce
dernier étant plutôt du genre à se défier des frasques ou des manifestations par trop
excentriques. Mais le courant passe, et plus que cela encore, en vertu d’une compréhension
réciproque assez supérieure ; il existe de ces amitiés qui n’ont guère besoin de preuves pour
s’éprouver.
Moyennant quoi, ce récit est une petite mine pour qui souhaiterait voir Malaparte sous un jour
plus domestique. Les échanges sont nombreux, nourris, toujours vifs, souvent drôles, on
mange, on boit, on rit, on courtise galamment, on admire la nature, les pierres, les odeurs,
laissant Malaparte s’exprimer sans aucune pudibonderie sur lui-même, sur l’Italie (« un
peuple doit accepter de faire ses comptes avec sa littérature »), sur les femmes bien sûr, au fil
d’un chapitre gentiment misogyne (« avec les femmes, il est un homme qui prend et qui se
sert », dit de lui Raymond Guérin), et sur tant d’autres sujets encore, graves ou légers, les uns
et les autres se recoupant parfois dans une certaine allégresse ; ou encore sur son chien Febo,
où le maître pourrait en remontrer à Michel Houellebecq : « Jamais je n’ai aimé une femme,
un frère, un ami, comme j’ai aimé Febo. C’était un chien comme moi. C’était un être noble, la
plus noble créature que j’aie jamais rencontrée dans ma vie. »
Enfin le livre s’achève, très intelligemment, sur quelques fragments inédits de ce journal,
donc laissés en dehors de la rédaction de Du côté de chez Malaparte. Raymond Guérin n’y
fait pas preuve des mêmes prudences que dans le livre, son écriture est plus directe, libérée de
l’ambition littéraire de l’hommage. Ce qu’il dit ici de Malaparte corrobore en tous points son
admiration, mais la chose se fait plus personnelle, plus libre, plus distanciée aussi. La
rencontre entre Malaparte et Mussolini y est décortiquée avec beaucoup de vivacité, au fil de
quelques scènes qui valent leur pesant d’or. Et qui achèvent de donner à ce livre un charme
qui, s’il est un peu daté, n’en est pas moins très contagieux.
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