Baert P. Intensité lumineuse à bord des sous
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Baert P. Intensité lumineuse à bord des sous
Médecine en conditions extrêmes Intensité lumineuse à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. P. Baerta, M. Trousselardb, C. du Retail, A. Delhommea, J.-L. Caylaa, O. Costec. a BCRM de Brest, Centre médical de base militaire de Défense de Brest, Département Forces sous-marines, CC 500 – 29240 Brest Cedex 9. b Département des facteurs humains, pôle de neurophysiologie du stress, IRBA, Antenne de Grenoble, BP 87 – 38702 la Tronche cedex. c IRBA, Antenne de Toulon, BP 20548 – 83041 Toulon Cedex 09. Article reçu le 25 mars 2009, accepté le 8 février 2010. Résumé Le métier de sous-marinier s’exerce dans un environnement extrême. Au cours des patrouilles des Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, des troubles psycho-cognitifs sont parfois observés. La privation de lumière naturelle pourrait être à l’origine de phénomènes de désynchronisation des rythmes circadiens et par conséquent d’une perturbation des états de vigilance des équipages. La lumière étant le principal synchroniseur de l’horloge circadienne humaine, des mesures d’éclairement ont été effectuées à bord d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engin afin d’évaluer l’exposition lumineuse des sous-mariniers français. Les auteurs insistent sur la nécessité de réaliser des études de terrain pour quantifier l’impact sur la vigilance de la vie en espace confiné. D O S S I E R Mots-clés : Intensité lumineuse. Rythmes circadiens. Sous-marin. Vigilance. Abstract LIGHT LEVEL ONBOARD SUBMARINE SHIP BALLISTIC NUCLEAR. Working onboard submarines is a tough environment job. Psychological and cognitive disorders are sometimes observed during Ballistic missile Nuclear powered Submarine (SSBN) patrols. Natural light deprivation may induce circadian rhythm de-synchronization and thus alter the crew’s state of awareness. Being Light the main human circadian clock synchronizer; enlightenment levels have been measured onboard an SSBN in order to assess French submariners light exposure levels. The authors insist on the need for ground studies to quantify the impact on awareness levels in confined space life. Keywords: Alertness. Circadian rhythms. Light intensity. Submarine. Introduction. L’exercice du métier de sous-marinier est soumis à des contraintes multiformes sur des durées parfois prolongées, tout particulièrement lors des patrouilles opérationnelles des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). L’une d’elles est la privation totale de lumière naturelle dès la prise de plongée. L’environnement lumineux à bord devient dès lors artif iciel, P. BAERT, médecin en chef, praticien confirmé. M. TROUSSELARD, médecin en chef, praticien certifié. C. DU RETAIL, médecin principal. A. DELHOMME, médecin principal. J.-L. CAYLA, médecin en chef. O. COSTE, médecin en chef, praticien certifié. Correspondance : P. BAERT, BCRM de Brest, Centre médical de Base militaire de Défense de Brest. Département Forces sous-marines, CC 500 – 29240 Brest Cedex 9. E-mail : [email protected] médecine et armées, 2010, 38, 4, 291-298 avec maintien d’une alternance jour-nuit, qui place l’équipage dans un cycle lumineux inhabituel pour une durée de l’ordre de 9 à 11 semaines. À cette contrainte environnementale, s’ajoute celle opérationnelle de la perturbation du cycle veille-sommeil pour les marins assujettis aux quarts tournants. La combinaison de cette organisation du travail et de l’absence de lumière naturelle est actuellement une des hypothèses étudiées pour expliquer l'émoussement psychoaffectif rencontré chez certains sous-mariniers en patrouille. Malgré le maintien de synchroniseurs sociaux, comme les heures régulières des repas, de lever et de coucher, une désynchronisation des rythmes circadiens est suspectée. En l’absence de données précises sur l’intensité lumineuse à bord des SNLE, nous avons réalisé une cartographie lumineuse complète d’un sous-marin du type Le Triomphant. Après un rappel sur les conditions de vie à bord des SNLE en patrouille, 291 sur les rythmes circadiens et les effets biologiques des faibles ambiances lumineuses, nous présentons les résultats des mesures effectuées et discutons des implications possibles sur les sous-mariniers en les comparant à d’autres environnements confinés. Données fondamentales. Conditions de vie à bord des SNLE en patrouille. Contraintes environnementales. Un SNLE de type Le Triomphant est un bâtiment à propulsion nucléaire de 138 mètres de long, 12,5 mètres de diamètre déplaçant 14 300 tonnes en plongée (fig. 1). Il embarque 16 missiles type M45 chacun capable de délivrer six têtes nucléaires à plusieurs milliers de kilomètres. L’équipage, constitué de 111 hommes (16 officiers, 88 officiers mariniers et 7 quartiers maîtres et matelots), effectue des patrouilles de neuf à onze semaines sans jamais remonter à la surface ni faire d’escales. À ce conf inement physique total vient s’ajouter la promiscuité, puisque la surface habitable des locaux vie ne dépasse pas 800 m2. effectuant ainsi deux quarts par jour. Dans la Marine nationale, la durée des quarts est un peu différente puisque chaque poste peut être occupé par un tiers pendant 4, 3 ou 2 heures. Ce rythme de travail irrégulier a pour particularité de ne pas spécialiser les personnels sur certaines tranches horaires tout en préservant chaque nuit une durée minimum de sommeil de quelques heures (tab. II). Cependant une partie de l’équipage ne fonctionne pas en travail posté. Ces personnels dits « Hors Quart » (HQ) appartiennent à l’état-major (commandant, commandant en second, commandants adjoints opération et navire), au service commissariat (cuisiniers, maîtres d’hôtel, boulanger), au service hygiène et santé (médecin et infirmiers) ou à d’autres services où ils exercent des fonctions de supervision. Tableau II. Quarts par tiers – type « Marine nationale ». Horaires de Quart 00:0004:00 04:0008:00 08:0012:00 Organisation du travail. L’activité permanente d’un bâtiment à la mer impose une organisation dite en « travail posté continu » où trois équipes (appelées « tiers ») se succèdent à un même poste de travail 24/24 h et 7/7 jours. Traditionnellement, dans la plupart des Marines occidentales, cette répartition du travail posté est celle dite du « quart maritime » (tab. I) où chaque poste dure quatre heures, chaque tiers Tableau I. Quarts par tiers – type « Quart maritime ». Horaires de Quart 00:0004:00 04:0008:00 08:0012:00 12:0016:00 16:0020:00 20:0024:00 J1 18:0020:00 20:0024:00 J2 J3 2e tiers 3e tiers Éclairage à bord des sous-marins. À bord des sous-marins français, l’éclairage des locaux est déterminé par une instruction technique fixant des valeurs moyennes ne dépassant pas 200 lux (1). Il est constitué de lampes fixes à incandescence (ampoules claires ou opalisées de 10 à 100 Watts (W)) ou fluorescentes (8, 16 ou 20 W). Seuls certains locaux opérationnels présentent un niveau d’éclairement volontairement plus bas pour favoriser la perception sur écran et éviter une diminution de l’acuité visuelle en cas d’observation par le périscope la nuit. Enfin, à la tombée de la nuit, un éclairage rouge d’adaptation à l’obscurité est mis en place dans toutes les coursives de passage et échappées. Cet éclairage rouge est obtenu grâce à des ampoules à incandescence disposées dans des lampes munies de diffuseurs en verre rouge. La valeur moyenne d’éclairement recherchée est alors de 1 à 2 lux af in de préserver de l’éblouissement les personnels prenant leur quart de nuit. En 1995 le Naval Health Research Center (NHRC) de San Diego a effectué une campagne de mesure d’éclairement à bord de l’USS Asheville, un sous-marin d’attaque de la classe Los Angeles. Les résultats révélaient une forte hétérogénéité de l’éclairement avec des valeurs ne dépassant que très rarement 200 lux dans le plan horizontal du regard (2). Rythmes circadiens. J2 J3 1er tiers 292 15:0018:00 J1 1er tiers Figure 1. SNLE type Le Triomphant. Photo CPAR Cherbourg. 12:0015:00 2e tiers 3e tiers Chez les vertébrés, certains phénomènes biologiques connaissent une régulation qui permet à l’organisme de s’adapter aux variations périodiques de son environnement terrestre, liées à la rotation de la Terre sur p. baert elle-même (alternance jour/nuit) et autour du Soleil (saisons). Il en est ainsi des rythmes dont la périodicité correspond approximativement à la durée d’une journée et qui sont appelés rythmes circadiens (du latin circa : environ et dien : jour). L’alternance veille-sommeil, la température corporelle, la sécrétion de cortisol et un certain nombre d’autres fonctions physiologiques, cognitives, hormonales ou enzymatiques, sont régis par ce type de cycle qui peut être représenté et quantifié par une fonction périodique avec un sommet (acrophase, Ø), un creux (bathyphase) situés à des moments précis et reproductibles d’une période (τ) proche de 24 heures. Chez l’homme, ces rythmes sont gouvernés par une «horloge biologique endogène» localisée récemment dans une zone cérébrale appelée noyau suprachiasmatique (NSC) (3). Situé dans l’hypothalamus près du chiasma optique, les neurones du NSC possèdent une activité électrique rythmique d’origine génétique indépendante des facteurs environnementaux (4). Ainsi, lorsqu’on isole un individu de son environnement, l’horloge biologique finit au bout de quelques jours par adopter une périodicité légèrement supérieure à 24 heures (~24,2 h) (5, 6). On dit dans ces conditions que l’horloge est en libre cours. Cela signifie donc qu’en conditions naturelles, la périodicité de l’horloge biologique est constamment ramenée à 24 heures par des signaux extérieurs, qualifiés de « synchroniseurs » ou « zeitgebers ». Chez l’homme, le principal synchroniseur est l’alternance lumière/obscurité (7). Le NSC, reçoit en effet via la rétine et le faisceau rétinohypothalamique des informations sur le niveau d’éclairement ambiant et les retransmet par voie afférente à la glande pinéale (épiphyse) qui synthétise et sécrète la mélatonine (fig. 2). Cette mélatonine (N-acétyl-5méthoxytryptamine) est une neuro-hormone dérivée de la sérotonine qui favorise le sommeil, la diminution de Figure 2. Relations nerveuses entre rétine, Noyau Supra-Chiasmatique (NSC) et épiphyse. intensité lumineuse à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins la température corporelle et des performances cognitives. Pour certains auteurs, un seuil d’intensité supérieur à 2 500 lux serait nécessaire pour inhiber la sécrétion de mélatonine (8). Cependant d’autres synchroniseurs non photiques pourraient jouer un rôle. Ainsi, les comportements sociaux, l’activité physique et d’une façon générale toutes les tâches qui peuvent être répétées régulièrement au cours d’un cycle de 24 heures participeraient également, mais à un degré plus faible, à la régulation chronobiologique d’un individu (9). Effets biologiques de la lumière. Désynchronisation. Si l’on expose un individu à une lumière de forte intensité (de l’ordre de 10 000 lux) pendant plusieurs heures au début de la nuit, on observe un retard de l’heure habituelle du début de sécrétion de la mélatonine. À l’inverse une même intensité lumineuse appliquée en fin de nuit aura pour effet d’avancer l’arrêt de sécrétion de la mélatonine (8). La lumière est donc capable de d’avancer ou de retarder l’horloge interne en fonction de son intensité, de la durée et de la période pendant laquelle elle est appliquée (10-13). Or les différents rythmes biologiques circadiens sont liés les uns aux autres et lorsque ceux-ci sont harmonieusement synchronisés ou en phase on parle d’euchronisme. Lorsque l’intensité lumineuse produit un décalage de l’horloge interne, les rythmes circadiens que celle-ci commande ne vont pas s’adapter à la même vitesse au nouvel horaire. Il se produit alors une rupture de relation de phase entre certains paramètres physiologiques appelée désynchronisation (ou dyschronisme) (3). Cet état de désynchronisation qui peut apparaître chez les sujets soumis au travail posté durant lequel les horaires sont tantôt diurnes, tantôt nocturnes, se traduit par des symptômes tels que somnolence, fatigue, trouble du sommeil, et dégradation des performances cognitives (14, 15). Dépression saisonnière. Les Troubles affectifs saisonniers (TAS) ou seasonal affective disorders (SAD), aussi appelés dépression saisonnière, ont été décrits au début des années 1980 par Rosenthal et al. (16). Ils se caractérisent par un état dépressif, débutant à l’automne et se dissipant au printemps, accompagné d’une fatigue persistante, d’une hypersomnie et d’une hyperphagie avec prise de poids. Les études d’incidence révèlent que les SAD toucheraient 4 % à 10 % de la population générale, mais cumulés avec ses formes frustres (subsyndromal seasonal affective disorder (S-SAD)), ils pourraient toucher un nombre plus important de sujets avec un sex ratio de quatre femmes pour un homme (17). La physiopathologie des SAD n’est pas encore parfaitement expliquée, plusieurs hypothèses cohabitent, mais celle dite « du retard de phase » (phase-shift hypothesis (PSH)) s’avère ici particulièrement intéressante. En effet, les SAD seraient la conséquence d’un déphasage des cycles veille-sommeil, de la sécrétion de mélatonine et de la 293 D O S S I E R température centrale, lui-même induit par la réduction du niveau d’ensoleillement (18, 19). De nombreuses études et méta-analyses ont depuis confirmé la pertinence de la PSH (20, 21), en particulier celles prouvant la remarquable efficacité de la photothérapie matinale (22) ou l’administration d’une faible dose de mélatonine en fin d’après-midi (19). Risque de cancers. De nombreuses publications se sont intéressées ces dernières années aux relations entre cancers et travail posté de nuit. Un excès de risque de survenue de cancer du sein a ainsi été mis en évidence parmi les femmes travaillant en horaires décalés (23). Pour certains auteurs, la suppression du pic nocturne de la mélatonine par la lumière artificielle favoriserait la promotion tumorale (24). La mélatonine est en effet un inhibiteur potentiel des radicaux libres et exerce une activité inhibitrice sur les cellules du cancer du sein in vitro (15). Un risque relatif de cancers colorectaux plus important chez les travailleurs en rythme posté de nuit semble également avoir récemment été identifié (25). Méthodologie. L’éclairement correspond à la quantité de lumière reçue, par seconde, par unité de surface. Il est le résultat visible de l’éclairage, c’est ce que perçoit l’œil. L’unité d’éclairement est le lux (lx) qui représente un flux lumineux de un lumen (lm) couvrant uniformément une surface de un mètre carré. Le niveau d’éclairement se mesure à l’aide d’un luxmètre. Des mesures d’éclairement ont été réalisées à bord du SNLE Le Terrible. Le luxmètre utilisé était un Testo 545 (Testo AG, Lenzkirch, Allemagne) possédant une plage de mesure de 0 à 100 000 Lux. Pour comparer les valeurs d’éclairement obtenues avec celles de l’étude américaine de 1995, le protocole du NHRC a été appliqué: Les mesures d’éclairement ont donc été réalisées sous chaque source lumineuse, en position assise ou debout, à hauteur des yeux dans le plan horizontal du regard, puis en visant directement cette source lumineuse. Les principaux postes de quart et les locaux destinés à la détente et au séjour ont été retenus pour réaliser les mesures en raison de la plus grande fréquentation de ces lieux par l’équipage. Compte tenu des écarts parfois très importants des valeurs d’éclairement entre les différents locaux, un traitement logarithmique selon la formule 10xlog(I) (où (I) représente l’éclairement du local considéré) a été appliqué afin d’obtenir une représentation graphique exploitable des résultats (fig. 3). Résultats. Les résultats des mesures effectuées sont présentés dans le tableau III avec celles du NHRC. Le tableau IV présente des intensités lumineuses de la vie courante à titre de comparaison. Les sous-marins américain et français n’étant pas identiques, certaines mesures n’ont pas de correspondance sur l’USS Asheville, c’est le cas, par exemple, de l’infirmerie qui est beaucoup plus vaste 294 et mieux équipée sur SNLE. D’autres localisations n’ont pas été mesurées dans l’étude du NHRC alors qu’elles présentent un intérêt opérationnel. Les postes de l’ingénieur de quart, des opérateurs machine, du maître de central ou du barreur sont particulièrement importants en terme de vigilance et méritaient donc d’être inclus dans cette étude. Il existe des variations considérables entre l’éclairement de certains locaux. Ces écarts s’expliquent par la disposition des équipements, par la couleur des parois, le type et le nombre des sources lumineuses présentent dans chaque local ainsi que sa fonction opérationnelle. Les valeurs d’éclairement à bord d’un SNLE sont globalement peu élevées, même si elles correspondent aux spécif ications de l’instruction technique de référence (1). Aucun local ou poste de quart ne permet de recevoir une intensité lumineuse supérieure à 2 000 lux dans le plan horizontal du regard. Cependant, en dehors du central opération (CO), l’éclairement est globalement plus élevé que celui des SNA américains où la plus forte valeur enregistrée est de 324 lux (office off iciers). Cette différence ne peut s’expliquer par le vieillissement des lampes de l’USS Asheville puisque celles-ci venaient d’être intégralement changées lors de la réalisation des mesures par le NHRC. Il est en revanche très surprenant de constater une différence si peu élevée sur le sous-marin américain entre certaines valeurs mesurées dans le plan horizontal et celles obtenues en visant directement la source lumineuse. Quoiqu’il en soit, si l’on considère ici uniquement les lieux où le personnel passe un temps significatif et en retenant les valeurs dans le plan horizontal (puisqu’il est rare de f ixer directement une source lumineuse pendant des heures), l’intensité lumineuse ne dépasse jamais les 300 lux (chambres officiers assis, carrés, couchette lampe allumée, boulangerie, mess et postes de quart PCP et du CO). Seule la cuisine et le bloc opératoire présentent un niveau d’éclairement significativement plus élevé (844 et 810 lux) en raison de la présence de revêtements de paroi clairs et/ou en inox possédant un fort pouvoir réfléchissant. Discussion. Depuis 1971, plus de 400 patrouilles de SNLE ont été effectuées. Au cours de ces missions, un état de fatigue s’installe progressivement, avec pour certains marins des perturbations du sommeil qui ne disparaitront que trois à sept jours après le retour à terre. Cependant, pour quelques individus, des modif ications du comportement peuvent apparaître de façon plus ou moins marquées au cours de la patrouille. Décrites sous le nom de « syndrome de J-40 ». Ce tableau regroupe des troubles de l’humeur (repli sur soi, tristesse, anhédonie) et une sensation de ralentissement psycho-cognitif. Une appétence accrue pour les produits sucrés, pouvant générer une prise de poids, y est généralement associée. La particularité de ce syndrome est de survenir dans les jours qui suivent la fête de mi-patrouille ou « cabane » (vers le quarantième jour), d’où le nom de « syndrome de J-40 ». p. baert Chambre Officier, debout Chambre Officier, assis au bureau Maitre de Central (assis) 2000 Poste pilotage (assis) CO, debout Chambre Officier, passage Chambre Officier, lavabo Sonar room, devant la console Tête Officier, Toilette 200 Periscope Office Officier, debout sous la lampe 20 Control room Carré Officier à table 2 Table navigation Carré Officier, assis au salon 0, Opérateur Km-Mécanicien Carré Officiers Mariniers Supérieurs Opérateur Kr-Réacteur (assis) Dortoir, debout Ingénieur de quart (assis) Couchette, cache lampe en place Mess équipage (assis) Couchette sans cache lampe Mess équipage, 2e localisation Soute Torpille Mess équipage Souillarde Terrible horizontal / ref Espace médical Boulangerie Cuisine Asheville horizontal / ref Bloc opératoire Réf : 200 lux Réf : 2000 lux Figure 3. Expression logarithmique des valeurs d’éclairement de l’USS Asheville et du SNLE type Le Triomphant dans l’axe horizontal du regard (lux). intensité lumineuse à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins 295 D O S S I E R Tableau III. Comparaison des valeurs d’éclairement entre l’USS Asheville et le SNLE type Le Triomphant (lux). Tableau IV. Intensités lumineuses de la vie courante (lux). Lux USS ASHEVILLE SNLE LE TERRIBLE Localisation Horizontal Vertical Horizontal Vertical Chambre Officier, debout 81 108 592 2 497 Chambre Officier, assis au bureau 108 432 88 450 Chambre Officier, passage 194 270 235 620 Chambre Officier, lavabo 140 248 763 2 075 Tête Officier, Toilette 162 378 93 171 Office Officier, debout 324 1 188 216 2 388 Carré Officier à table 184 346 220 650 Carré Officier, assis au salon - - 62 213 Carré Officiers Mariniers - - 60 375 Dortoir, debout 65 486 324 2 564 Couchette, cache lampe en place 54 248 70 111 Couchette sans cache lampe 119 227 198 396 Soute Torpille 80 151 93 215 Espace médical 54 140 336 2 448 Bloc opératoire - - 844 3 573 Cuisine 162 347 810 1 803 Boulangerie - - 367 1 036 230 1 676 Souillarde Mess équipage 184 324 235 2 470 Mess équipage, 2e localisation 108 270 151 950 Mess équipage (assis) - - 217 336 Ingénieur de quart (assis) - - 17 260 Opérateur Kr-Réacteur (assis) - - 55 100 Opérateur KmMécanicien - - 75 143 Table navigation 86 216 1 1 Central-Opération 5 81 5 36 Poste Commande Propulsion (PCP) Central opération (CO) Périscope 11 151 1 1 Console détection sous-marine 0 5 4 10 CO, debout 43 194 5 36 Poste pilotage (assis) - - 2 5 Maitre de Central (assis) - - 5 12 296 Nuit étoilée 0,01 Nuit de pleine lune 0,5 - 1 Rue bien éclairée 20 - 70 Pièce éclairée (habitation) 100 - 300 Bureau, pièce de travail 200 - 1 000 Lever/coucher du Soleil 1 000 - 5 000 Journée ensoleillée 50 000 - 100 000 La prévalence de ces plaintes et leur objectivation n’ont jamais été réalisées. Il n’existe, à ce jour en France, qu’une seule étude portant sur l’optimisation des conditions de vie à bord des SNLE en rapport avec les conditions de travail. En 1996, l’Institut de médecine navale du Service de santé des armées (IMNSSA) a effectué une enquête sur les rythmes circadiens des sous-mariniers en patrouille (26). Celle-ci a permis de montrer que la rythmicité de sécrétion de mélatonine des personnels à bord d’un SNLE en patrouille ne semblait pas fondamentalement altérée. Quelle que soit la catégorie de personnels (quart tournant ou hors quart), la sécrétion maximale se situait globalement pendant la phase nocturne. En revanche, la sécrétion de la mélatonine semblait plus faible en mer, en particulier chez les personnels du PCP qui rapportaient en outre un niveau de fatigue plus élevé que les autres catégories étudiées (personnels du CO et HQ). Malheureusement, la rythmicité de la sécrétion de mélatonine était évaluée ici par le niveau d’excrétion de son métabolite urinaire, la sulfate-oxy-mélatonine, obtenu grâce à un protocole de recueil relativement contraignant pour les sujets. Par conséquent, une proportion assez importante d’échantillons douteux n’a pas permis une analyse informatisée destinée à extraire des paramètres chronobiologiques comme la période τ et l’horaire de l’acrophase. La Marine des États-Unis (US Navy) a cherché à évaluer dès la fin des années 70 l’impact de la privation de lumière naturelle sur ses sous-mariniers. À l’inverse des résultats de l’IMNSSA, toutes les études réalisées ont conf irmé l’existence de désynchronisations et de phénomènes de libre-cours parmi leurs équipages, malgré la persistance de synchroniseurs sociaux et la connaissance des horaires (2, 27-31). Notons cependant que les personnels à bord des sous-marins de l’US Navy sont soumis à des rythmes de quarts sensiblement différents de ceux de la Marine nationale, p. baert puisqu’ils sont organisés sur une journée de 18 heures. Chacun des quarts de six heures est suivi de 12 heures de récupération (6-on/12-off), pendant lesquelles les sous-mariniers prennent leurs repas, se reposent, mais effectuent aussi diverses activités au prof it du sous-marin ou de leur formation personnelle. Or pour certains auteurs, l’entraînement de la plupart des rythmes biologiques des mammifères n’est possible que si la période imposée par les synchroniseurs se situe entre 20 et 28 heures (3). Les rythmes circadiens ne pourraient donc être synchronisés et suivraient leur période propre, ce qui aboutirait à ce phénomène de libre-cours constaté chez ces sous-mariniers. Des perturbations similaires des rythmes circadiens et du cycle veille-sommeil ont été observées et évalués à l’occasion de séjours dans des milieux extrêmes comparables aux sous-marins nucléaires : les vols spatiaux et les bases polaires. Dans le cadre de la préparation des futurs voyages de longue durée vers la Lune et Mars, la National aeronautics and space administration (NASA) a réalisé de nombreuses recherches au sol comme dans l’espace (32-34). Celles-ci ont pu mettre en évidence l’existence de perturbations des rythmes circadiens que ce soit chez les cosmonautes de la station MIR (35, 36) ou plus récemment encore, lors de deux vols de navettes américaines. Dans cette dernière étude, il a été démontré que la détérioration de l’humeur et des performances des astronautes était corrélée à la diminution progressive de l’amplitude du rythme circadien, de la température centrale et du retard de phase de sécrétion du cortisol (37). Pour les auteurs, l’organisation d’un rythme de travail d’une durée de 23,5 heures et une exposition à des niveaux d’éclairement pouvant varier de 93 à 80 000 lux pourraient expliquer ces perturbations et leurs conséquences, même si d’autres variables environnementales telles que la microgravité, le bruit, l’exercice physique, l’isolation ou le « mal de l’espace » ont été évoquées. Dans les bases polaires, les températures souvent inférieures à -60 °C et l’absence de lumière du jour pendant six mois imposent aux personnels un hivernage dans leur base-vie éclairée par une lumière artificielle qui n’excédent pas 300 lux. À l’occasion d’une expédition en antarctique de 13 mois, Yoneyama et al. ont mesuré les variations des rythmes circadiens et du cycle veille-sommeil chez neuf sujets en les analysant en fonction de leur activité et de leur exposition à la lumière (38). Les résultats obtenus suggèrent qu’en fonction du contexte environnemental, trois situations sont envisageables : en l’absence de synchroniseurs sociaux forts et réguliers, l’entraînement des rythmes circadiens et du cycle veille-sommeil dépendraient exclusivement de l’exposition lumineuse. À l’inverse, une organisation sociale fortement régulée et structurée, serait capable d’entraîner à elle seule ces rythmes. Entre les deux, le cycle veille sommeil serait influencé par les synchroniseurs sociaux et les horaires de travail, alors que les variations circadiennes de la mélatonine et de la température centrale dépendraient de la photopériode. intensité lumineuse à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins Cependant, une autre explication des troubles psycho-cognitifs rencontrés chez le personnel des expéditions polaires a été avancée en 1971 par Strange et Youngman. Le winter-over syndrome, qui n’est pas une entité clinique au sens du DSM-IV, serait un état subdépressif associant des perturbations du sommeil, un ralentissement cognitif et des tensions voire des conflits interpersonnels. Une des caractéristiques importante de ce tableau est son évolution en deux phases au décours de la mission avec une apparition dans le troisième quart du séjour suivie d’une amélioration d’autant plus importante que le terme de la mission se rapproche. En réalisant que seule la moitié de la mission s’est à peine écoulée, les individus ne parviendraient plus à s’en représenter une issue, ne percevant dès lors qu’une succession de contraintes insurmontables (39). L’origine des troubles serait ici plus psychosociale qu’environnementale, ce qui expliquerait que ceux-ci n’apparaissent pas à chaque mission et ne dépendent pas de sa durée (40). Conclusion. Les mesures d’éclairement réalisées dans cette étude permettent d’aff irmer que les sous-mariniers français sont exposés à des intensités lumineuses très inférieures à celles susceptibles d’avoir une action sur l’horloge biologique. Au regard de la revue bibliographique présentée ici, il est intéressant de constater que les modifications psycho-cognitives décrites chez certains sous-mariniers lors des patrouilles de SNLE sont très proches de celles observées au sein de microsociétés évoluant en environnement confiné. À ce jour aucune étude ne permet de savoir si le « syndrome de J-40 » serait une désynchronisation des rythmes circadiens liée au travail posté, une forme fruste du SAD ou un équivalent du winter-over syndrome et surtout s’il entrainerait des conséquences sur les niveaux de performance des personnels. La prise en compte des facteurs favorisant la fatigue des équipages de sous-marin et de ses effets sur la santé et la capacité opérationnelle est fondamentale. Cette préoccupation a d’ailleurs récemment été réaff irmée dans les conclusions de l’audit « facteur humain » présentées à l’été 2007 par le Service de santé des armées (41). Plusieurs Marine étrangères et entreprises « off-shore » ont déjà entamé des programmes de réflexion sur les rythmes de travail posté et sur l’utilisation de programmes d’exposition lumineuse pour tenter de réduire les troubles circadiens de leur personnel (42-45). En raison des enjeux opérationnels potentiels, il paraît donc nécessaire de mener des études de terrain au cours de patrouilles de SNLE af in d’évaluer et de quantif ier un éventuel impact psychophysiologique et cognitif mais aussi de recueillir des données biologiques permettant d'étudier les troubles circadiens suspectés. 297 D O S S I E R RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. DGA. Instruction technique 8 400 DTCN/STCAN/RT/80/50 du 23 juin 1980 relative à l’éclairage des bâtiments de surface et des sous-marins. 2. Hunt PD, Kelly TL. 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