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Pratique juridiquePratique juridique Actualité finance étude de marché droit de la construction L’expertise judiciaire : le rôle de l’Expert Vaste domaine que l’expertise en général, ce terme pouvant recouvrir des réalités aussi différentes que l’expertise technique amiable ou l’expertise judiciaire, celle-ci étant elle-même différente si elle est civile, administrative ou pénale ; des mises en cause récentes et des aménagements de procédure conduisent à en fixer le cadre plus particulièrement dans les domaines immobiliers et industriels qui sont les nôtres. L a nécessité de l’expertise judiciaire apparaît dès qu’un litige par son caractère technique ne peut être tranché par le Juge sans un éclairage sur les causes lui permettant de déterminer des fautes et des responsabilités conformes à la réalité technique ; c’est dire qu’elle est indispensable à l’aboutissement d’un grand nombre de procès à qui elle permet d’ailleurs, de plus en plus souvent, un règlement amiable sur des bases techniques ainsi établies. Pour autant son coût, parfois très lourd et incompressible, et sa durée, conduisent le Juge à la réserver à des intérêts de litige importants, et à chercher des solutions alternatives ; c’est ainsi que dans le sillage des textes conférant aux expertises d’assurances une valeur contradictoire, notamment en matière d’assurance dommages-ouvrage, des décisions de plus en plus fréquentes tentent de se contenter des expertises amiables à qui elles confèrent au minimum une valeur de “simple renseignement”. car l’objet même de l’expertise, au-delà des constatations, c’est la recherche des causes. Le décret n° 2005.1678 du 28 décembre 2005, portant réforme de la procédure civile, est venu notamment renforcer les pouvoirs de l’Expert Mais bien souvent, plutôt que d’utiliser ces moyens détournés qui ne peuvent donner satisfaction car les principes de contradictoire et d’impartialité y sont manifestement bafoués, le Juge ne feraitil pas mieux d’utiliser d’autres moyens que le Nouveau Code de Procédure Civile met aussi à sa disposition ? Et si un simple éclairage technique est nécessaire au Juge, il peut aussi se contenter d’utiliser la consultation prévue aux articles 256 et suivants du N.C.P.C. ce qu’il fait bien rarement, les parties s’abstenant elles aussi la plupart du temps de lui suggérer de tels outils. L’expertise ne devrait en effet jamais être ordonnée pour de simples constatations, même techniques, il existe pour cela le constat technique (art. 249 N.C.P.C.) ou même encore, ce qui est malheureusement bien oublié aujourd’hui, le transport sur les lieux du Tribunal ou de l’un de ses membres (article 179 du N.C.P.C.), Enfin, il faut évoquer la possibilité de demander la désignation d’un médiateur avec des compétences techniques qui est, surtout lorsque seules deux parties sont en présence, un bon moyen de se passer d’une expertise mais aussi d’un procès (ADR - alternative dispute résolution). De son côté l’Expert ne peut concilier les parties et se doit, hors l’hypothèse d’une conciliation intervenant sans lui, de déposer un rapport. L’Expert est donc enfermé dans le cadre de sa mission et il se doit de répondre aux questions posées par le Juge comme à celles que peuvent lui poser les parties. Le décret n° 2005.1678 du 28 décembre 2005, portant réforme de la procédure civile, est venu notamment renforcer les pouvoirs de l’Expert dans ses rapports avec les parties dans le but d’accélérer le déroulement des opérations d’expertise. Ainsi, aux termes du nouvel article 276 du N.C.P.C., lorsque l’Expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n’est plus tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l’expiration de ce délai, à moins qu’il n’existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il doit en faire rapport au Juge. Par ailleurs, lorsqu’elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu’elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties. Autrement dit, récapitulatif, le est d’étendre à tion d’abandon du N.C.P.C. en instaurant un dire souhait du législateur l’expertise la présompdes articles 753 et 954 L’intérêt du dire récapitulatif c’est de ne retenir, à la fin des opérations d’expertise, que les points qui restent en suspens alors que beaucoup d’autres ont pu être éliminés par l’Expert et les parties pendant le cheminement de ces opérations qui ont, manifestement, un caractère évolutif dans la recherche de la vérité technique. Soulignons également le nouvel article 278-1 du N.C.P.C. qui permet désormais 184 Décideurs : Stratégie Finance Droit - N°74-75 74_p156-189_Chroniques_Juridique184 184 17/05/2006 19:08:17 Nicolas Boytchev, Avocat associé et Marc Buffard, Avocat associé. RACINE à l’Expert de se faire assister dans l’accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité. Au départ d’un litige technique, notamment en construction, les parties ne connaissent qu’un résultat : les désordres dont elles constatent l’existence et dont il leur revient d’apporter la preuve ; elles n’ont souvent aucune idée, ou des idées fausses, sur la cause de ces désordres. L’expertise technique, si elle est un moyen pour éclairer le Juge dans sa décision, est aussi le seul moyen objectif pour faire connaître et comprendre aux parties la cause des désordres, ce qui leur permettra de justifier en droit leurs demandes, et peut être de parvenir à une transaction. Il est intéressant de rechercher quels sont les principes qui gouvernent l’évolution de l’expertise qui semblent aller dans le sens d’un Expert plus organisé et plus puissant. L’organisation de son statut en 2004 avec, comme corollaire à l’extension de son importance, la définition de ses devoirs sous des sanctions disciplinaires, en sont le premier signe. Aujourd’hui c’est l’aménagement de la procédure d’expertise qui renforce cette idée. Ainsi à l’encontre des réflexions récentes menées sur la procédure pénale, on constate que la procédure civile, et plus encore la procédure administrative, renforcent leur caractère inquisitorial et augmentent, au prétexte de rapidité et d’efficacité, les pouvoirs du Juge et avec eux, ceux de l’Expert. Dès lors le procès glisse-t-il peu à peu de l’adage “le procès est la chose des parties” vers le Juge et donc vers l’Expert, lesquels prennent en charge la marche des opérations ; après la mise en état sous l’autorité du Juge, après les conclusions récapitulatives, voici les délais impartis par l’Expert et le dire récapitulatif. Nicolas BOYTCHEV, avocat associé Voici alors venir le règne de l’Expert tout puissant : investi de pouvoirs de coercition sur les parties (respect des délais, injonctions, notamment de produire des pièces) il aura, quoiqu’on en dise, celui de fixer les responsabilités et donc en définitive de juger. Certes, si la Cour de Cassation rappelle régulièrement que la fixation des responsabilités, notamment par la détermination de pourcentages, ne peut faire Voici alors venu le règne de l’Expert tout puissant partie de la mission de l’Expert, puisque de l’essence même de la mission du Juge, on voit régulièrement les rapports d’expertise devenir de véritables jugements dont la force est confirmée par les ordonnances de référé-provision entérinant les propositions de l’Expert au prétexte que les contestations ne sont pas sérieuses dès lors qu’elles vont à l’encontre des conclusions du technicien. les points clés n Le décret du n° 2005.1678 du 28 décembre 2005 introduit la pratique du dire récapitulatif et donne à l’Expert des pouvoirs de cœrcition sur les parties. n Se dirige-t-on vers une expertise judiciaire devenue un mode autonome de règlement des litiges techniques ? Marc Buffard, avocat associé Il existe même un cas, celui du référé préventif, particulièrement à Paris, où l’Expert s’érige en patron des opérations de démolition et reconstruction dans le but, certes louable, d’éviter aux voisins de graves désordres ou des nuisances trop importantes ; il s’agit là de la énième application du “principe de précaution” qui, pour les meilleures raisons du monde, nous entraîne petit à petit à renier les principes de droit ayant constitué la base de l’enseignement juridique. Mais il est vrai, en tous cas pouvons nous l’espérer, que c’est là le prix à payer pour une Justice plus rapide et plus efficace qui passe, dans les matières techniques, par des expertises plus rapides et plus efficaces. On s’achemine dès lors peu à peu vers une sorte d’arbitrage technique dans lequel le Juge n’aura d’autre rôle, mais il est déjà important, de désigner seul le ou les arbitres ; il sera là aussi pour corriger les dysfonctionnements et, ce sera rare, ordonner des contre-expertises chaque fois qu’une ou plusieurs parties lui auront démontré que l’Expert s’est trompé. sur les auteurs Fondé en 1981, le cabinet RACINE regroupe aujourd’hui 60 avocats intervenant dans tous les domaines du Droit des affaires. Associés au sein du cabinet RACINE, à PARIS et à LYON, Nicolas BOYTCHEV et Marc BUFFARD ont une expérience reconnue sur toutes les questions d’immobilier, de construction et d’urbanisme. Ils conseillent ou assistent une clientèle composée notamment de promoteurs, d’entreprises et de collectivités territoriales. Décideurs : Stratégie Finance Droit - N°74-75 185 74_p156-189_Chroniques_Juridique185 185 17/05/2006 19:08:19