L`analyse d`une photo - Robert Doisneau.pub
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L`analyse d`une photo - Robert Doisneau.pub
L’analyse d’une photographie : Robert Doisneau Le sujet : « Bolides à Paris » présente un enfant qui joue dans sa petite voiture à pédales. Il dépasse un vrai véhicule et se raconte sûrement une histoire en prenant de vitesse dans sa petite voiture, une automobile d’adulte qui peut-être l’avait elle-même dépassé peu avant. Le photographe : Robert Doisneau est né en 1912 à Gentilly, en banlieue parisienne. Jeunesse grise derrière les rideaux de macramé d’une famille de la petite bourgeoisie, il apprend à 15 ans le métier de graveur lithographe à l’école Estienne. Il obtient son diplôme de graveur et de lithographe en 1929 et entre dans la vie active en dessinant des étiquettes pharmaceutiques. Un an plus tard il intègre l’atelier Ullmann en tant que photographe publicitaire. En 1932, Robert vend son premier reportage photographique, qui est diffusé dans le journal « l’Excelsior ». En 1934, le constructeur automobile Renault de Boulogne-Billancourt, l’embauche comme photographe industriel, mais, il se fait renvoyer cinq ans plus tard, en 1939 du fait de ses Bolides à Paris, 1956 © Robert Doisneau nombreux retards. Après la Seconde Guerre mondiale, Robert Doisneau devient photographe indépendant en intégrant officiellement, dès 1946, l’agence de photographie Rapho. C'est sans doute à cette époque que se manifeste l'influence réciproque entre lui et Jacques Henri Lartigue. Il travaille alors principalement sur Paris, ses faubourgs et ses habitants : Artisans, bistrots, clochards, gamins des rues, amoureux, bateleurs, populace des halles, vendeuses, etc. Il enregistra pendant près d'un demi-siècle des milliers de portraits du petit peuple de Paris. Page 1 L’analyse d’une photographie : Robert Doisneau Le contexte : Nous sommes à Paris, dans les années de reconstruction, celles du « Plan de modernisation » d’après guerre. Mais un conflit se profile en Algérie dès 1955. Un décret prolonge la durée initiale du service militaire de 6 à 9 mois. On remarque le képi de l’enfant qui ressemble à celui d’un militaire. Nous sommes manifestement dans les beaux jours, en témoigne la tenue « estivale » du garçon, donc après avril 1956, et ce décret est déjà en vigueur. L’impression : Ce qui saute aux yeux à la vue de cette image est la comparaison entre l'énorme taille du véhicule adulte, à droite, et la voiture miniature de l'enfant, à gauche. Par ailleurs il y a une notion de vitesse exprimée dans le titre (Bolides) et par le dépassement. Format, angle et cadrage : Le format retenu amplifie l’importance de la différence. Pour mémoire, le rectangle au format portrait est adapté aux lignes verticales en leur donnant une sensation de grandeur, les sujets sont ainsi tirés vers le haut. La photographie penche à droite, nous verrons plus loin l’importance de ce choix puisque Robert Doisneau aurait très bien pu redresser l’image lors du développement. Page 2 Analyse de l’inclinaison : Bolides à Paris, 1956 © Robert Doisneau L’analyse d’une photographie : Robert Doisneau Profondeur et lumière : La netteté profonde permet de bien voir toute la scène et de garder le dynamisme procuré par les fuyantes dont nous parlerons plus loin. Doisneau aurait très bien pu ouvrir beaucoup plus pour recentrer l’attention du spectateur sur le scène objet centrale de la photographie. Il n’en a rien fait, préférant une image plus fraîche plus naturelle à l’oeil avec moins de technique dedans. Couleur : Le noir et blanc colle parfaitement avec le sujet, les vielles voitures et l’époque photographiée. De plus, il nous permet comme souvent de nous focaliser sur la situation et non de nous laisser emporter par telle ou telle tonalité. Composition : Il y a beaucoup à dire sur la composition, reste à savoir si Robert a pensé à tout ce que nous, « spécialistes », allons analyser aujourd’hui. Pour être honnête, j’en doute. Je pense plutôt qu’il travaillait de manière instinctive, mais qu’il avait en lui ce feeling et le don de créer des compositions hors du commun, intéressantes et Analyse des lignes de fuites : Bolides à Paris, 1956 © Robert Doisneau complexes. Ainsi nous remarquons par exemple l’étrange perfection des lignes Page 3 L’analyse d’une photographie : Robert Doisneau de fuite, entre celle de l’horizon et celles des différentes obliques nous obtenons une intersection le point de fuite vers lequel tout converge. Cela crée la dynamique de l’image, notre oeil est inexorablement ramené vers ce point quelque soit le sens de lecture que l’on adopte. Les univers : La composition de cette image nous ramène sur ce que j’ai expliqué dans le Mag n° 56 de février 2015 sur « La théorie des dimensions » ou « des mondes ». On se rend compte que cette image met en opposition deux univers bien distincts, celui de l’enfance, et celui de l’adulte. Cela est induit par le jouet roulant qui est confronté à la voiture. L'enfant joue dans son monde ; le trottoir tandis que la voiture est dans le sien : la route. Par ailleurs, un élément du monde adulte pénètre dans le monde de l'enfant : une roue du véhicule adulte déborde sur le trottoir. Par extrapolation, on peut en déduire un second ensemble d’univers, le monde de l’enfant qui joue à faire respecter la loi, et qui se traduit par le képi de l’autorité, le sens de circulation bien rectiligne, la position appliquée des mains sur le volant et le regard sur l’infraction qu’il vient de relever… On peut raisonnablement penser Page 4 Analyse des univers : Bolides à Paris, 1956 © Robert Doisneau L’analyse d’une photographie : Robert Doisneau que l’enfant joue au gendarme. De l’autre côté le monde de l’adulte est représenté par le désordre et l’infraction ; le pneu crevé et la roue sur le trottoir. Cerise sur le gâteau, la photographie tire à droite, je le soulignais plus haut. Cela renforce cette opposition entre les deux univers puisqu’elle s'effondre du côté ou l'ordre n’est pas respecté, ça penche du côté adulte ce qui renforce l’autorité et fait paraître encore plus faible ce monde qui ne respecte pas les règles établies. Connotations éventuelles : Le pouvoir des photographies de Doisneau réside, selon moi, dans le fait qu’il nous fournit des images, mais qu’il nous laisse construire dessus nos propres histoires. C’est d’ailleurs peut être la raison qui fait qu’il aimait tant photographier les enfants. Ils n’ont pas encore appris à faire semblant, à paraître et laissent percer leurs émotions, ils se moquent de savoir si on les regarde. A l’image ils sont, ni plus ni moins, ce qu’ils ont dans la tête à un moment donné… A ce propos, cette image me fait penser à une autre intitulée « Les beaux jeudis » prise en 1957 où l’on retrouve encore un enfant dans la peau de son personnage. Il s’agit d’un policier qui semble faire une ronde. A côté le monde adulte matérialisé par la femme, qui est sans doute sa mère. A l’instant où a été prise cette photographie, il était un policier à la tenue impeccable et à l’allure sérieuse. Il jouera plus tard au cerceau, tenu par sa mère, ou il l’a déjà fait, mais à ce Les beaux jeudis, 1957 © Robert Doisneau moment précis ; il est l’ordre et reflète cette image. Squal Page 5