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actualité, info
point de vue
Gammy, 7 mois, trisomique, cardiaque,
né d’une mère porteuse (15 000 dollars)
GPA (gestation pour autrui) avec rémunéra­
tion était illégale en Thaïlande. Le travail
médiatique étant ce qu’il est, le couple aus­
tralien ne pouvait rester longtemps anonyme.
Il ne le resta pas.
Dans un communiqué transmis par une
amie au Bunbury Mail, Wendy et David Far­
nell dénoncent les allégations de la mère por­
teuse thaïlandaise. Ils ne lui auraient jamais
demandé d’avorter en apprenant que «leur»
fils Gammy était trisomique. Ils n’auraient
pas choisi d’abandonner leur petit garçon
pour ne repartir qu’avec sa sœur (leur fille)
en bonne santé. Ils reconnaissent qu’ils sa­
vaient que «leur» fils souffrait de problèmes
CC BY Tom and Katrien
C’est une histoire moderne, monstrueuse.
Une histoire de mère porteuse qui a mal
tourné. C’est la bien triste histoire de Gam­
my. Gammy est aujourd’hui âgé de sept mois.
Trisomique, il souffre d’une malformation
cardiaque et son état nécessite une interven­
tion chirurgicale. Il vit en Thaïlande avec
Pattaramon Chanbua, la femme qui lui a
donné le jour. Pattaramon Chanbua, 21 ans,
déjà mère de deux enfants. Gammy a été
conçu par fécondation in vitro. Par contrat
et pour un couple australien. Un couple hé­
térosexuel qui n’aurait pas voulu de Gammy
(les informations divergent) au motif qu’il
est trisomique, ce qui n’était pas prévu dans
le contrat. Pattaramon Chanbua a
toutefois bien touché les 15 000 dol­
lars pour lesquels elle avait signé :
le couple demandeur a été intéressé
par la (fausse) jumelle de Gammy
qui n’était pas, elle, dotée d’un chro­
mosome surnuméraire.
La mère porteuse a su au qua­
trième mois de sa grossesse que le
fœtus («son» fœtus ?) était trisomi­
que. Le couple acheteur lui aurait
alors demandé d’avorter. Or, elle ne
pou­vait pas avorter : l’avortement
est une pratique incompatible avec
ses croyances bouddhis­tes. Et c’est
parce qu’elle n’a pas les moyens de
financer l’intervention chirurgicale
que l’affaire est devenue publique.
Elle avait ima­giné que les 15 000
dollars lui permettraient d’éduquer
correctement ses enfants. Fort des
images de l’enfant trisomique non
désiré, le journal thaïlandais Thai
Rath (un million d’exemplaires par
jour) a publié l’histoire. Et un appel
en ligne a été lancé (avec relais des
réseaux sociaux #HopeForGammy)
pour recueillir des fonds destinés à réaliser
l’intervention. Des milliers de personnes se
sont manifestées et l’objectif des 150 000 dol­
lars a été vite atteint. Puis dépassé.
Puis, l’affaire a pris une dimension poli­
tique. Un porte-parole du ministère austra­
lien des Affaires étrangères a fait savoir qu’il
était «préoccupé» et qu’il était en consulta­
tion avec les autorités thaïlandaises sur les
questions de maternité de substitution. Tares
Krassanairawiwong, fonctionnaire du minis­
tère thaïlandais de la Santé, a déclaré que la
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cardiaques. «Gammy était très malade à la
naissance. On a dit aux parents biologiques
qu’il ne survivrait pas, qu’il avait au mieux
un jour à vivre et qu’il fallait venir lui dire
au revoir» explique l’amie du couple.
On apprend encore, via le Bunbury Mail,
que l’accouchement devait avoir lieu dans un
«grand hôpital international de Thaïlande»
mais la mère porteuse s’est rendue dans un
autre établissement, «violant ainsi l’accord
passé avec les parents biologiques». Les en­
fants sont nés avec deux mois d’avance à
cause de complications médicales. L’accord
rompu, le couple n’avait plus, en principe,
«aucun droit» sur les enfants. La mère por­
teuse (qui voulait garder Gammy et lui or­
ganiser des funérailles thaïlandaises) a néan­
moins accepté de leur donner «sa» (leur) fille.
Elle affirme désormais qu’elle n’abandonnera
jamais Gammy.
C’est là une affaire «à fendre le cœur» a
avoué le ministre australien de l’Immigra­
tion Scott Morrison. «Bien sûr, beaucoup
d’Australiens attendent désespérément de
devenir parents, a-t-il reconnu. Mais je pense
que cela ne peut pas justifier ce que nous
voyons ici.» La Thaïlande est l’une des des­
tinations privilégiées par de nombreux cou­
ples étrangers pour utiliser les services de
cliniques de fécondation in vitro et des mères
porteuses rémunérées. Le recours payé à une
mère porteuse n’est pas autorisé en Austra­
lie et des centaines de couples australiens se
rendent chaque année à l’étranger pour trou­
ver des mères porteuses. C’est une informa­
tion donnée par la société Surrogacy Aus­
tra­lia qui travaille au grand jour avec des
officines indiennes et américaines spéciali­
sées dans le recrutement de mères porteuses
mais aussi de donneurs de sperme et d’ovo­
cytes.
La révélation de l’imbroglio Gammy a eu
pour effet de mettre en lumière les graves
incohérences politiques, idéologiques et éthi­
ques soulevées par la pratique des mères
porteuses. C’est tout particulièrement vrai
en France où les familles intellectuelles de
gauche se déchirent depuis des années sur
ce sujet. La France, qui vient d’être tancée sur
ce sujet par la Cour européenne des droits
de l’homme (CEDH). Cette instance lui de­
mande (ainsi qu’à tous les pays de son res­
sort) de reconnaître dans son état-civil les
enfants nés de GPA à l’étranger. Et ce, alors
que la GPA est une pratique formellement
interdite sur le sol français.
Au vu de l’émotion suscitée par l’histoire
de Gammy, le quotidien français Libération
a interrogé Laurence Rossignol, secrétaire
d’Etat chargée de la Famille. Un entretien
qui permet de prendre l’exacte mesure, ac­
tualisée, de l’incohérence du gouvernement
français sur le sujet.
On y apprend que ce gouvernement ne
contestera pas l’arrêt de la Cour européenne
des droits de l’homme, le gouvernement le
trouvant «conforme à l’esprit humaniste fran­
çais». «Les enfants ne doivent pas être péna­
lisés du mode de conception, même contes­
table, choisi par leurs parents, explique la
secrétaire d’Etat. C’est une évolution pro­
gressiste qui s’inscrit dans la continuité du
code civil qui ne fait plus de différence entre
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 13 août 2014
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lu pour vous
Coordination : Dr Jean Perdrix, PMU
([email protected])
Cardiopathie ischémique :
prévenir vaut mieux que guérir…
Mais comment ?
La cardiopathie ischémique est associée à une
morbidité et une mortalité significatives, et elle
est principalement liée aux facteurs de risque
cardiovasculaire classiques. Si des mesures
d’amélioration de l’hygiène de vie se sont révé­
lées efficaces dans des populations très sélec­
tionnées, l’application de ces résultats à la
popu­lation générale n’est pas évidente, princi­
palement du fait de l’hétérogénéité et de la
pauvreté méthodologique des données. L’ob­
servation, depuis plus de quinze ans, d’une
cohor­te danoise (Inter99) a permis de dévelop­
per et valider un score prédictif du risque adapté
à cette population (PRECARD), et dans un
deuxiè­me temps de proposer des interventions
individuelles spécifiques «intenses» aux sujets
à risque. Ces interventions ont effectivement
induit des modifications significatives et persis­
tantes des habitudes de vie (réduction du taba­
gisme et de la sédentarité, amélioration des
habitudes alimentaires, et diminution de la
consommation d’alcool excessive), mais leur
impact sur le développement de la cardio­
pathie ischémique restait indéterminé. Pour
répon­dre à cette question, les auteurs de cette
étude interventionnelle ont recruté dans cette
cohorte plus de 60 000 sujets sains de 29 à
60 ans, et les ont randomisés en deux groupes :
un quart des patients ont été soumis à un
dépis­tage de leurs facteurs de risque, puis ont
bénéficié d’une «éducation» individuelle inten­
sive et répétée, ciblée sur ces facteurs. Le
reste de la cohorte n’était pas invité à évaluer le
risque cardiovasculaire et n’était pas exposé à
des conseils spécifiques. Au total, 52% des
suje­ts invités à participer à l’intervention y ont
répondu, et ont pu suivre le programme. Après
un suivi de dix ans, aucune diminution signifi­
cative de l’incidence de cardiopathie isché­
mique n’a pu être observée dans le groupe
inter­ventionnel, y compris après ajustement
pour d’éventuels facteurs confondants. Les
auteu­rs concluent que le dépistage population­
nel des facteurs de risque et l’application à
large échelle de conseils hygiéno-diététiques
n’ont pas d’impact dans les dix ans qui suivent
l’intervention.
Commentaire : Ces résultats décevants
confirment des données d’une étude interven­
tionnelle suédoise plus ancienne (Wilhelmsen
et al. Eur Heart J 1986;7:279-88) et d’une métaanalyse de la Colla­
boration Cochrane.
Bien que quelques
faiblesses puissent
être relevées, notam­
ment le fait que seuls
52% des suje­ts invi­
tés à participer au
groupe intervention­
nel aient répondu
posi­tivement et aient
été soumis à l’inter­
vention, la rigueu­r
méthologique de
cette étude fera date,
principalement quant
à la qualité et l’inten­
sité des interventions
de conseils indivi­
duels, décrites en
détai­l dans l’article du
enfants légitimes, naturels, adultérins. Il est c’est une marchandisation du corps qui pros­
donc juste que les enfants nés de GPA béné­ père sur la détresse matérielle et la surex­
ficient de la même sécurité juridique que les ploitation des femmes. Dans ces pays, on se
autres. Ce qui est en jeu, c’est bien l’intérêt retrouve avec deux types de traites : repro­
supérieur de l’enfant, pour reprendre une ductive et sexuelle. Comme la prostitution,
notion souvent avancée.»
la GPA est un marché dont le corps de la
Elle soutient encore que
«sécuriser juridiquement les … "Ce qui se passe dans certains pays
enfants ne signifie pas légiti­ pauvres s’apparente à la traite" …
mer la GPA».Et elle ajoute
que le gouvernement français «est favorable femme est la richesse. Une sensibilisation
à une application fer­me du code pénal, qui internationale peut être menée à partir des
permet déjà de lutter contre la marchandisa­ conventions sur la traite. Je ne connais aucune
tion du corps, le trafic d’êtres humains et de jeune femme diplômée qui se demande si
sanctionner les intermédiaires. Ce qui se elle va faire mère porteuse, directrice mar­
passe dans certains pays pauvres s’appa­ keting ou prostituée ! Une société doit dire
rente à la traite.»
ce qui est moralement et philosophiquement
Libération lui demande s’il peut exister une acceptable ou pas.»
«GPA éthique et encadrée». Réponse du gou­
Dire, par exemple, que la misère des fem­
vernement français : «En France, il y a ceux mes (celle qui pousse à la location utérine)
qui privilégient la liberté individuelle et con­ est inacceptable ? Dire qu’il n’est guère ac­
tractuelle et pour qui la GPA est une liberté. ceptable d’évoquer, dans un tel débat, le fait
Et ceux qui pensent, comme le dit la loi, que que l’on connaît (ou pas) des jeunes femmes
BMJ. A ce stade, on peut donc conclure avec
les auteurs quant à l’absence d’impact – dans
la population générale – d’un «check-up» de
santé (ce que la littérature a déjà clairement
démontré). Restent donc tout de même les
messages de prévention générale des risques
dans la population, et les interventions de pré­
vention primaire, essentiellement médicamen­
teuses, dont l’efficacité est démontrée.
Dr Thierry Fumeaux
Service de médecine
Hôpital de Nyon
Jørgensen T, et al. Effect of screening and lifestyle
counselling on incidence of ischaemic heart disease
in general population : Inter99 randomised trial. BMJ
2014;348:g3617.
diplômées qui se demandent si elles «vont
faire mères porteuses, directrices marketing
ou prostituées» ?
La secrétaire d’Etat chargée de la Famille
fait savoir qu’elle recevra «après le 15 août»
les personnalités de gauche (dont Hervé
Chneiweiss, neurobiologiste, président du
Comité d’éthique de l’Inserm, Jacques Tes­
tart, biologiste et René Frydman, gynéco­
logue-obstétricien) signataires de la lettre
publiée le 14 juillet dans Libération deman­
dant à Fran­çois Hollande, président de la
République française, de s’opposer solen­
nellement à l’arrêt rendu par la Cour euro­
péenne des droits de l’homme.
On sait que François Hollande est person­
nellement allergique à la pratique des mères
porteuses. L’histoire de Gammy lui offre une
belle opportunité de s’exprimer.
Jean-Yves Nau
[email protected]
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 13 août 2014
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