face à ses démons

Transcription

face à ses démons
Présenté par
La finance
FA C E À S E S D É M O N S
Un supplément de CONSEILLER.CA
Juin 2010
Des entretiens avec :
• Dan Ariely
• Jeremy Grantham
• Tom Hourican
• Sean Sherrin
La finance
• Jason Zweig
…et plusieurs autres à l’occasion de la
63e conférence annuelle du CFA Institute.
FA C E À S E S D É M O N S
4 La titrisation n’est pas morte
La pratique de vendre des titres de
créances reprendra du service, sous
un nouvel emballage.
5 Vos commissions
sont-elles éthiques ?
La rémunération des conseillers
serait en conflit avec les intérêts
des clients.
CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons
7 La déontologie est-elle
en chute libre ?
L’industrie des services financiers
est devenue un ring de boxe où il
n’y a plus d’arbitre.
10Selon l’histore, octobre
rime avec risque
Les investisseurs qui ont le goût du
risque devraient peut-être conserver
leurs liquidités jusqu’en octobre.
Juin 2010
2
La titrisation
n’est pas morte
La pratique de vendre des titres de créances reprendra
du service, simplement sous un nouvel emballage.
Steven Lamb, journaliste au Groupe Conseiller
L
a titrisation de créances n’a pas disparu : elle est
simplement en hibernation, selon un groupe
d’experts réunis au 63e congrès annuel du CFA
Institute, à Boston. Même si elle figure en bonne
place dans le bataillon des démons qui ont consumé
des billions de dollars des portefeuilles du monde
entier, la pratique de vendre des titres de créances
sous un nouvel emballage reprendra du service.
La communauté mondiale des investisseurs est
avide de produits en dollars américains avec une
cote de risque AAA et ne répugne pas de se saigner
à blanc pour en payer le prix, affirme Sean Sheerin,
codirecteur, groupe des titres adossés à des titres de
créances immobilières commerciales pour DA Capital.
À preuve, il signale la flambée des prix des effets du
Trésor américains, malgré l’offre abondante de titres
de créance du gouvernement des États-Unis.
Entre temps, le marché de l’habitation des ÉtatsUnis génère des billions en dettes hypothécaires
susceptibles, une fois adéquatement refondues,
d’être à nouveau titrisées avec une cote AAA. « Il y
a sûrement un moyen de réunir ces deux éléments »,
estime M. Sheerin.
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La source de la crise du crédit de 2008 n’était pas
la pratique de la titrisation en soi, allègue M. Sheerin,
mais l’usage qui a été fait de ces titres. « La titrisation n’est pas plus funeste qu’une pelle. Mais vous
pouvez tuer quelqu’un en lui donnant un coup de
pelle sur la tête. »
En fait, la titrisation de dettes à la consommation
et de créances commerciales a dispersé le risque et
renforcé le système financier, comme c’était le but,
ajoute-t-il. Le hic, c’est qu’après avoir accordé les
prêts, des banques qui n’ont pas réussi à vendre
les titres adossés à créances (TAC) avec la marge
souhaitée en ont modelés plusieurs sous forme
de titres adossés à des créances avec flux groupés
(TACFG) et les ont servis à l’enseigne d’instruments
de placements spéciaux.
Trop souvent, chacune de ces étapes ajoutait au
potentiel de gravité de problèmes éventuels. Mais
le véritable ennui, c’est que le prêt hypothécaire
d’origine se retrouvait comptabilisé sous trois ou
quatre formes différentes dans les livres de l’émetteur d’origine. Le risque n’était donc pas dispersé,
contrairement au but de la manœuvre.
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« Du point de vue d’un investisseur,
Aux États-Unis, les émissions de TAC ont atteint
leur sommet en 2006, comptant pour mille milliards
de dollars, mais elles avaient déjà fondu comme neige
au soleil en 2008, à seulement 200 milliards $US,
déclare M. Hourican.
Cette somme phénoménale se composait d’hypothèques commerciales, de prêts automobiles, de
prêts par cartes de crédit et, oui, également de ces
hypothèques résidentielles aujourd’hui si infâmes.
En 2004, les titres adossés à des créances immobilières résidentielles (TACIR) constituaient 65 % de
l’ensemble du marché des titres adossés à des actifs.
Cette proportion est tombée à un maigre 2,2 % en 2008
et à zéro en 2009 et 2010.
Quand la paralysie a frappé en 2008 le marché
des titres adossés à des actifs, les écarts entre ces
produits et les effets du Trésor ont explosé. L’information est beaucoup plus discrète sur le fait que ces
écarts sont retombés et qu’ils sont à présent à peine
plus élevés qu’avant la crise du crédit.
Heureusement, les prêteurs demeurent capables
d’octroyer des crédits car les dépôts sont une
source de capital extrêmement bon marché grâce à
une politique monétaire tout aussi accommodante,
explique Tom Hourican, directeur général et chef
de la gestion de risque des titrisations pour la
Société Générale.
Bien que les Américains soient la cible d’appels
au désendettement répétés, M. Hourican craint
qu’une contraction du crédit ne se traduise par une
réduction dramatique de l’économie.
Du fait de la désintermédiation du risque, la
titrisation profite indubitablement aux initiateurs
des prêts, mais elle procure aussi des bénéfices aux
investisseurs, estime Jennifer Quisenberry, spécialiste en catégorie d’actif chez General Re–New
England Asset Management. « Du point de vue d’un
investisseur, je pense que le principal attrait de la
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le principal attrait de la titrisation
est la latitude de ne se préoccuper
que du rendement et des
caractéristiques des biens nantis.»
titrisation est la latitude de ne se préoccuper que du
rendement et des caractéristiques des biens nantis. »
La seule entrave au retour de la titrisation de gros
est la nouvelle réglementation qui devrait faire partie
de la réforme financière attendue de Washington.
« Aujourd’hui, plus que jamais, l’avenir de la titrisation ne dépend pas des forces du marché mais de
la réglementation, constate Jeffrey Prince, directeur
général de Babson Capital Management. L’avenir de la
titrisation est ce que Washington voudra qu’il soit. »
En conséquence, les banques effectueront moins de
titrisations et les investissements privés combleront
une partie du vide. Ces occasions seront sans doute
plus intéressantes pour les investisseurs – en général
des investisseurs institutionnels – car ils auront
davantage de poids pour établir les conditions de la
créance comprise dans le produit structuré. Toutefois,
M. Hourican fait remarquer que les créances relatives
à ce genre d’instruments sont habituellement de
nature complexe, sans aucune couverture pour les
prêts par cartes de crédit, les prêts hypothécaires ou
les prêts automobile.
Selon la réglementation actuellement à l’étude, les
prêteurs devront miser leurs propres billes en assumant 5 % du risque du prêt. M. Hourican convient
qu’il soit judicieux de remettre les titres adossés à des
actifs dans le bilan de l’émétteur d’origine, mais la
mesure proposée lui semble trop sommaire car elle
exagère le risque posé par les prêts les moins hasardeux et minimise les autres.
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Vos commissions
sont-elles éthiques ?
La rÉmunération des
conseillers serait en conflit
avec les intérêts des clients.
Steven Lamb,
journaliste au Groupe Conseiller
C
e n’est pas d’hier que les défenseurs
des droits des investisseurs contestent
la rémunération des conseillers en services
financiers, jugeant les commissions intégrées
aux produits en conflit d’intérêts avec les
intérêts du client.
On ne saurait leur donner tort, de l’avis de
Dan Ariely, auteur de « C’est (vraiment ?) moi
qui décide » et de James B. Duke, professeur
d’économie comportementale à la Duke University, en Caroline du Nord, mais l’industrie
des services financiers n’a pas l’exclusivité de
ces conflits. En fait, ils se retrouvent fréquemment dans des situations critiques.
« Tant que vous êtes en position de conflit
d’intérêts, vous êtes voués à l’échec, non
pas du fait que vous soyez une mauvaise
personne, mais parce que tout le monde peut
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céder à la tentation, a déclaré M. Ariely lors
du 63e congrès annuel du CFA Institute, à
Boston. La question qui se pose est : comment allez-vous, en tant qu’industrie, lutter
contre le problème omniprésent de conflit
d’intérêts, surtout quand personne n’estime
en être affecté ? »
Pour illustrer son propos, M. Ariely a
demandé aux participants quelle serait leur
réaction s’ils devaient être jugés par un
magistrat payé en fonction des amendes
qu’il impose. « Cela n’a aucun sens, n’est-ce
pas ? Mais si vous vivez aux États-Unis,
vous consultez des médecins rémunérés en
fonction des tests qu’ils vous font subir et
vous avez recours à des conseillers financiers payés selon le même principe. J’ai de
la difficulté à comprendre que nous soyons
relativement conscients de cet état de fait
sans y avoir jamais réagi. Jusqu’à présent,
le principal dispositif employé pour gérer
le problème des conflits d’intérêts est
d’encourager les gens à les dénoncer »,
affirme M. Ariely. Mais il ajoute que le risque
de retour de flamme nous pend au nez.
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Lorsqu’un conseiller présente deux options à un
client en indiquant que l’une est plus rémunératrice
pour lui, il peut en résulter deux choses, poursuit
M. Ariely. Soit le client accorde moins de crédit à
l’opinion du conseiller qu’il considère partial, soit, pire
encore, le conseiller se sent justifié de mettre l’accent
sur le produit le plus lucratif puisqu’il a mis carte
sur table.
« Laquelle de ces deux forces aura le dessus ? Le
client accordera-t-il moins d’importance au conseiller; le conseiller s’estimera-t-il en droit de faire
primer ses propres intérêts encore davantage ? La
réponse, explique M. Ariely, est que les conseillers
sont prêts à modeler la réalité dans une mesure
nettement supérieure à la capacité des clients à
faire fi de leur avis. Aujourd’hui, les conseillers
qui annoncent la couleur ont moins de scrupules à
promouvoir leurs propres intérêts. »
Jason Zweig, rédacteur d’une chronique sur les
finances personnelles dans The Wall Street Journal,
fait remarquer qu’il est dans la nature humaine de se
blâmer en cas de malheur, comme la victime d’une
agression qui déclare « c’est de ma faute, j’aurais dû
éviter de passer par cette ruelle ». Cette propension à
s’en prendre à soi permet à l’individu d’éluder une
réalité autrement insupportable : sa ville est complètement désorganisée et la criminalité y sévit.
La tendance à l’autoflagellation était assez courante lorsque la bulle des point.com a éclaté, notet-il, des investisseurs s’accusant du péché d’avidité.
Ayant fait le serment de ne plus recommencer,
ils ont décidé d’agir dans leur « intérêt personnel
rationnel », principe qui est la pierre angulaire de la
plupart des théories sur les marchés financiers.
Cependant, en 2008, ils sont nombreux à avoir
perdu des plumes avec ce principe. Selon M. Zweig,
les investisseurs savent pertinemment qu’ils ne sont
pas responsables de la déconfiture de leurs portefeuilles cette fois, et ils crient vengeance.
M. Ariely estime que cette démarche tout à fait
naturelle est le fondement des relations de confiance
entre humains. Le fait de savoir que l’autre cherchera
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à se venger empêche généralement de trahir sa confiance. Il cite en exemple l’expérience suivante.
Deux individus sont installés dans deux pièces
séparées. On remet 10 $ au sujet A en lui expliquant
qu’il peut soit partir avec cet argent, soit le remettre
au sujet B. En choisissant de donner l’argent au sujet
B, le montant en jeu sera quadruplé et le sujet B aura
alors le choix de garder ces 40 $ ou d’en remettre
la moitié au sujet A. M. Ariely a constaté qu’une
majorité écrasante des sujets A ont choisi de faire
cadeau des 10 $ au sujet B escomptant, nous le supposons, qu’ils obtiendront le double quand le sujet B
leur remettra la moitié des 40 $.
Ce qui est encore plus surprenant, c’est qu’ils ont
eu raison de faire confiance à l’autre, et le sujet B a
effectivement renvoyé l’ascenseur. Rien ne saurait
être plus opposé à l’intérêt personnel rationnel
voulant que le sujet B empoche les 40 $ point final.
M. Ariely en déduit que le sujet B ne veut pas trahir
la confiance du sujet A.
La nature humaine tend à être irrationnelle mais
elle démontre que l’espèce a un comportement plus
honorable que ne l’exige d’agir dans son intérêt
personnel rationnel.
Depuis quelque temps, le désir de vengeance a pris
le devant de la scène, incarné par des leaders politiques
populistes qui réclament d’imposer taxes et pénalités à
ceux qui ont tiré profit de la débâcle de 2008.
M. Ariely fait cependant remarquer qu’il est
préférable d’attendre que l’émotivité soit dissipée
avant de prendre des décisions aussi graves.
Sur le plan pratique, cela signifie que les conseillers devraient reporter la révision du portefeuille à
la fin de la rencontre puisque les rendements antérieurs, bons ou mauvais, auront une influence sur la
décision du client.
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La déontologie estelle en chute libre ?
L’industrie des services financiers
est devenue un ring de boxe où il
n’y a plus d’arbitre.
Steven Lamb, journaliste au Groupe Conseiller
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Q
uand un nuage de cendres volcaniques cloue
au sol l’avion qui doit faire venir d’Europe
un conférencier de renom invité à votre congrès,
il vaut mieux avoir un remplaçant. Et c’est encore
mieux si vous avez un remplaçant en la personne
de Jeremy Grantham, stratège en chef et fondateur
de GMO LLC, et auteur d’un bulletin fort prisé.
« Il me semble que l’industrie des services
financiers s’est égarée, qu’elle est devenue un ring
de boxe où il n’y a plus d’arbitre, a-t-il déclaré aux
membres du 63e congrès annuel du CFA Institute à
Boston. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle
ne répond pas aux règles habituelles du capitalisme auxquelles on prêtait une certaine efficacité. »
Lorsque M. Grantham est arrivé aux États-Unis,
dans le milieu des années 1960, le secteur des
services financiers ne représentait que 3 % du PIB
et il étayait les industries considérées les « vrais »
moteurs de l’économie. Malgré les problèmes
politiques et économiques qui l’ont marquée, cette
décennie s’est révélée la plus prospère des ÉtatsUnis, avec une croissance de 4,5 %.
« Depuis lors, [le secteur financier] a connu
une expansion continue et compte désormais
pour 7,5 %, note-t-il. Autrement dit, nous avons
4 % de plus du PIB dans l’industrie des services
financiers dont le seul but est de soutenir les 93 %
restants [de l’économie]. »
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« Les normes déontologiques ont pratiquement disparu.
Aujourd’hui, la norme d’éthique se résume à faire de son
mieux pour éviter la prison.»
Mais dans la foulée de cette croissance,
l’industrie a vu son éthique s’étioler, entachant
tous les aspects de ce secteur, y compris sa propre
activité : la gestion des placements. « Si nous augmentons nos frais, d’un demi pourcent à un pour
cent de l’actif total, nous puisons en fait dans le
bilan de tout le monde. Au lieu d’épargner 7 %, ils
n’épargnent que 6,5 % à cause de ce demi pourcent
de plus que nous percevons. Ainsi, nous transvasons
ce demi pourcent dans le PIB de l’année courante. »
Cette injection à court terme dans le PIB se
fait au détriment de sa croissance à long terme,
explique-t-il, car le client dispose alors de moins
d’argent à investir et l’impact de la composition se
fait sentir à la longue sur cette hausse de frais d’un
demi pour cent par an. Ceci explique en partie le
ralentissement spectaculaire de la croissance du
PIB depuis le taux de 4,5 % enregistré dans les
années 1960.
Dans cette même décennie, l’industrie américaine
des fonds communs de placement a perdu du terrain, mais sa croissance a explosé dans les années
1970 et l’actif géré a décuplé.
Selon les rudiments de la science économique,
les gains considérables d’une économie d’échelle
et l’intensification de la concurrence devraient se
traduire par une réduction des frais. Pourtant, la
moyenne des frais par dollar confié à un gestionnaire a augmenté.
« Selon les rouages du capitalisme, il devrait
en être autrement. Si vous êtes en présence
d’économies d’échelle extraordinaires et de nombreux joueurs, les frais sont soumis aux forces en
présence et sous-enchéris entre les concurrents
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jusqu’à en arriver à un rendement du capital
normal, explique-t-il. Mais cela n’as pas été le cas,
ni cette fois-là, ni jamais. Curieusement, notre
industrie n’a jamais été soumise à un véritable
mécanisme de fixation du prix. »
Néanmoins, à part la question des frais,
M. Grantham constate que l’industrie de la gestion de placements témoigne d’une assez bonne
éthique, surtout en comparaison à d’autres secteurs du système financier.
Sa critique la plus sévère concerne les pupitres
de négociation de banques d’investissements. « La
chose devrait être illégale; c’est clairement contraire à l’éthique; c’est clairement un conflit d’intérêt »,
affirme-t-il.
« Jadis prépondérantes, les normes déontologiques ont pratiquement disparu. Aujourd’hui,
la norme d’éthique se résume à faire de son mieux
pour éviter la prison. »
« Il y a 25 ans seulement, ajoute-t-il, les grandes
banques d’investissement étaient, à mon avis, des
modèles en matière d’éthique. À l’époque, elles
n’auraient jamais imaginé prendre une décision
en matière de gestion de placements, puisque ce
faisant, elles se posaient en concurrentes de leurs
propres clients. Elles n’auraient pu envisager de
se charger de négocier les titres de leurs propres
comptes, car elles l’auraient fait au détriment de
leurs clients. Elles disposent de tout cet argent
que nous leur confions en tant que clients et
l’emploient à leur avantage. On considère cette
manœuvre tout à fait normale, on trouve que la
négociation est rentable et intéressante si elles
s’en chargent. »
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Le plus désolant est que cette absence d’éthique
soit non seulement un secret de Polichinelle, mais
que les banques s’en vantent. Mais il y a pire : lorsque ces pratiques mènent les banques au bord de
la faillite, on oblige les contribuables à les sauver.
« Nous avons toléré cette détérioration de la
déontologie. Il y a 30 ans, quiconque aurait proposé une de ces opérations aux dirigeants d’une
grande banque d’investissement aurait été fusillé
sur le champ. »
M. Grantham a mis l’industrie au défi de redresser le cap, signalant que personne n’a encore
retiré ses comptes de sa banque d’investissement
« Le plus désolant est que
cette absence d’éthique soit
non seulement un secret de
Polichinelle, mais que les
banques s’en vantent.»
CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons
actuelle pour les transférer vers la firme la moins
contraire à l’éthique. « Nous avons assisté sans
sourciller à cette glissade vers l’impasse dans
laquelle nous sommes aujourd’hui. Il me semble
qu’il est facile d’en sortir : il suffirait que quelques
firmes donnent l’exemple en annonçant leur intention de confier leurs affaires à la société la plus
soucieuse de son éthique, et qui renonce à son
pupitre de négociation interne. »
Jusqu’à présent, aucune société ne s’est portée
volontaire. « C’est déplorable; GMO n’a pas pris
cette décision et j’en ai honte pour nous », conclut-il.
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Selon l’histoire,
octobre rime avec risque
Les investisseurs qui ont le
goût du risque devraient peutêtre ­conserver leurs liquidités
jusqu’en octobre.
L
e vieil adage « vendre en mai et s’en aller »
s’est encore avéré cette année, mais les investisseurs qui ont le goût du risque devraient peutêtre conserver leurs liquidités jusqu’en octobre,
de l’avis de Jeremy Grantham, stratège en chef et
cofondateur de GMO.
« En ce qui concerne la répartition de l’actif,
notre démarche est fort simple. Notre credo est
que tout revient à la normale, déclare M. Grantham
dans son allocution au 63e congrès annuel du CFA
Institute, à Boston. Avec un tel principe, il vaut
mieux être précis sur ce qui est normal. Autrement
dit, nous croyons qu’au bout de sept ans, nous
reviendrons à des ratios C/B normaux et des
marges bénéficiaires normales. »
L’essoufflement économique actuel n’est pas
une surprise car les deux premières années d’un
mandat présidentiel aux États-Unis ont toujours
été caractérisées par des marchés baissiers. La
situation devrait se redresser en 2011, étant donné
que la troisième année d’une présidence est historiquement la plus florissante.
Les raisons de ce « boom de l’an trois » sont élémentaires : les deux premières années, les présidents
utilisent leur capital politique pour implanter des
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Steven Lamb, journaliste au Groupe Conseiller
mesures impopulaires, puis ils s’attèlent à la stimulation de l’emploi au cours de la troisième année,
en prévision des prochaines élections. Le cycle de
l’emploi atteint ses plus hauts niveaux environ neuf
mois avant les élections. « Les politiciens ne sont pas
totalement idiots et ils ont compris ce qui motive le
vote et ce qui stimule l’emploi », ajoute-t-il.
Si l’excédent du rendement réel du S&P 500 se
chiffre en moyenne à 10,1 % pour la deuxième année
d’un mandat présidentiel, il grimpe à +15,3 % (en
moyenne toujours) au cours de la troisième année.
Comme dans le cas de la plupart de ses pronostics, M. Grantham formule une mise en garde.
Ces gains proviendront des titres de l’indice qui
comportent le plus de risque. Les titres les plus
volatils, qui représentent 25 % de l’indice, compte
pour 30 points de base du rendement total. En fait,
le trimestre qui présente le plus risque le plus élevé
n’enregistre de profits que dans la troisième année.
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Les deux premières années d’un
mandat présidentiel aux États-Unis
ont toujours été caractérisées par
des marchés baissiers.
« Le message que nous donne la Fed est : allez-y,
spéculez, et si ça tourne au vinaigre je ferai de mon
mieux pour redresser le cap; mais au cours des
années un et deux, son message a toujours été : si
vous spéculez, c’est à vos risques et périls. Comme
les spéculateurs sont des personnes rationnelles,
ils sont beaucoup plus actifs au cours de la troisième
année », explique-t-il.
L’an trois commence en octobre 2010, et M. Grantham
s’attend à ce que le président de la Fed, Ben Bernanke,
évoque un « motif sans aucun rapport » pour
maintenir la politique actuelle de taux incitatifs.
Si cette mesure n’est pas précédée d’une correction
à la baisse du S&P 500, elle pourrait déclencher
une nouvelle bulle boursière pour les investisseurs
américains en 2011.
Mais selon M. Grantham, un autre scenario est
plus probable. « À mon avis, les protagonistes de la
prochaine bulle seront les marchés émergents et les
produits de base. »
« Dans les deux dernières bulles importantes
— celles du Japon et des technologiques du
NASDAQ — les ratios C/B ont atteint le triple
de ceux du reste du monde. Franchement, c’était
un argument d’achat minable. En revanche, les
arguments à l’appui d’une bulle dans les marchés
émergents sont en béton. Le FMI vient de publier
une projection de croissance du PIB réel sur quatre
ans de 6 % pour les marchés émergents et de 2,25
% pour les États-Unis. Je suis persuadé que l’écart
entre 2,25 % et 6 % suffira à lui seul à convaincre le
monde d’investir dans les nouvelles économies. »
Il prédit que les actions des marchés émergents
se négocieront avec une prime appréciable de 50 %
pendant les prochaines années, soit une nette
CONSEILLER.ca | La finance face à ses démons
différence par rapport aux multiples de trois enregistrés pendant les bulles du Japon et des technologiques. Au fur et à mesure que la bulle prendra de
l’ampleur, M. Grantham surpondérera sans doute
le secteur afin de tirer parti de cette croissance.
Quant aux produits de base, il affirme que le
secteur forestier est le seul où il est relativement
évident d’investir. Il compte y placer 50 % de l’actif
de sa fondation personnelle et pense que c’est un
moyen simple de protéger l’environnement.
Il table sur un potentiel de croissance de 6 %
pour le secteur forestier, qu’il considère moins
risqué que les dettes souveraines puisqu’il comporte une certaine protection contre l’inflation,
ajoutant que cette catégorie d’actif a l’avantage
d’être anticyclique.
Il se montre moins favorable à la valeur refuge
anti-inflation traditionnelle. « Je déteste l’or. Il ne
rapporte pas de dividendes, il n’a pas de valeur, on
ne peut pas prédire son évolution. Selon le modèle
d’évaluation que l’on adopte, la valeur de l’or varie
entre 800 $ et 6 500 $, dit-il. Mais il précise que cela ne
l’a pas empêché d’en acheter et ajoute, en plaisantant,
qu’il est sur le point d’y mettre un terme. L’or est le
refuge de dernier recours. Je suis tellement excédé de
le voir grimper que je vais m’en débarrasser. »
Pour les titres à revenu fixe, son pronostic est
« horrible » car ceux qui élaborent les politiques vont
jeter les retraités sur la paille. Les rendements réels
normaux devraient se situer autour de 1,5 % à 2 %, et
non pas à leur niveau courant de 1 %. « Ce n’est
qu’une tactique pour remplir les poches des banques et des fonds de couverture », conclut-il.
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