Psychogériatrie
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PFI75423_FR VOLUME 2 Aspects cliniques Psychogériatrie Chapitre 5 La démence Les dépressions Le delirium Alcoolisme et abus de tranquillisants 250 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR La démence M. Vandewoude La démence est l’un des principaux syndromes en gériatrie. Ses conséquences socio-économiques sont nombreuses, tant sur le plan individuel que collectif. Un syndrome démentiel doit être abordé du point de vue du diagnostic différentiel. La démence n’est pas un phénomène “normal” du vieillissement. Elle est un syndrome clinique acquis, caractérisé par de multiples troubles des fonctions cognitives. Elle affecte surtout les personnes âgées et se caractérise par une altération croissante des fonctions psychiques. Le comportement et le caractère subissent aussi des modifications profondes et divers troubles apparaissent dans le fonctionnement du sujet dément. A. Epidémiologie Si l’on effectue des projections dans l’avenir sur la base des chiffres de prévalence actuels et des pronostics pour la population par tranche d’âge, les constatations sont alarmantes. C’est ce qu’indiquent les chiffres concrets d’une étude pour la Région flamande et la province d’Anvers : la prévalence et l’incidence de la démence augmentent de manière exponentielle à partir de 65 ans, avec un doublement tous les 5 ans. Il n’est donc pas étonnant qu’avec le vieillissement de la population, il y ait un fort accroissement du nombre total de personnes démentes. L’âge est en effet le principal facteur de risque pour la démence. Nombre de cas de démence en région flamande sur la base des chiffres de l’INS (1989) et des chiffres de prévalence de Roelands (1992) préval. % 1992 2000 2010 2020 60-64 (0,7) 2.253 2.191 2.483 2.812 65-69 0,6 1.714 1.806 1.612 2.047 70-74 5,1 9.839 12.862 12.972 14.800 75-79 7,6 12.205 15.347 16.481 14.907 80-84 16,2 19.018 15.048 24.149 24.770 85+ 33,6 27.697 37.243 42.324 52.248 72.726 84.497 100.021 111.584 total La maladie d’Alzheimer est le type le plus fréquent de démence (± 50%). Classiquement, on estime la part des démences vasculaires et des démences du type mixte à environ 20% chacune ( figure 1). Ces chiffres doivent toutefois être interprétés avec prudence, un diagnostic plus fin donnant une fréquence plus grande pour les autres démences. B. Symptomatologie La démence est une maladie invalidante, présentant des symptômes cognitifs, comportementaux, affectifs et fonctionnels. Les critères du DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 1994), résumés dans le tableau 1, permettent de bien décrire le syndrome de démence. Pour pouvoir parler de démence, il faut que tous les critères soient remplis. Critères du syndrôme de démence Les déficits cognitifs caractéristiques Troubles de la mémoire Les déficiences objectivables de la mémoire à court et à long termes sont typiques. Le patient a des difficultés à apprendre de nouvelles informations et à se souvenir de données qu’il connaissait bien autrefois. 251 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Troubles cognitifs essentiels additionnels a) aphasie : troubles de l’usage et de la compréhension de la langue b) apraxie : troubles des actes coordonnés, sans limitation locomotrice idéomotrice : incapacité à effectuer des mouvements d’expression simples d’idéation : incapacité à effectuer des mouvements complexes et composés visuelle et constructive : difficultés avec les commandes visuelles et spatiales d’habillement : difficultés à s’habiller et se déshabiller c) agnosie : problèmes de reconnaissance ou d’identification d’objets, avec un fonctionnement sensitif normal d) dysfonction d’exécution : difficultés dans l’établissement de plans, l’organisation, l’abstraction et la détermination de séquences. Un critère seuil Les troubles cognitifs interfèrent fortement avec les activités professionnelles et sociales, et montrent une altération significative par rapport au passé. Un critère d’exclusion Les déficits n’apparaissent pas seulement pendant une période de délire. Une cause organique sous-jacente L’anamnèse, l’examen physique ou les examens techniques montrent un facteur organique spécifique expliquant ce syndrome. Des troubles psychiques non organiques ont également été exclus. Symptômes complémentaires, mais non essentiels Les symptômes comportementaux Les troubles comportementaux et psychologiques (Behavioral and psychological symptoms of dementia - BPSD) sont fréquents dans la démence et font partie de la symptomatologie. Ces BPSD sont une lourde charge pour le soignant et jouent souvent un rôle déterminant dans la décision d’institutionnalisation précoce du patient. Les symptômes peuvent apparaître aux divers stades de la maladie, mais pratiquement tous les patients présentent ces problèmes à l’un ou l’autre stade. Le tableau 2 reprend les principaux symptômes des BPSD et leur impact sur le soignant central. Les symptômes affectifs Le syndrome démentiel s’accompagne, chez 10 à 40% des patients, de symptômes de dépression, allant de la dépression au sens strict à un tableau variable d’altération de l’humeur. Les symptômes des deux syndromes se chevauchent. Un tableau de dépression avec déficit cognitif à un âge avancé laisse présager un risque élevé de démence ultérieure. Le trouble affectif est ici un prodrome de la démence. Cet aspect affectif peut en partie s’expliquer par les sentiments et les sensations propres au sujet dément. L’anxiété occupe la place centrale. D’autres sentiments comme la colère, l’inquiétude, la défiance, la tristesse et la dépression sont la conséquence de cette anxiété. Les modifications des systèmes de neurotransmetteurs dans le syndrome démentiel peuvent cependant aussi être la base organique de ces fluctuations affectives. Les symptômes fonctionnels L’autonomie diminue progressivement, avec, pour conséquence, un accroissement du laisser-aller, des problèmes dans les activités de la vie quotidienne, une perte des règles de la bienséance, une inversion des biorythmes, une hygiène déficiente, une alimentation réduite ou insuffisante. Sur le plan fonctionnel, les sujets déments évoluent de l’autonomie à la dépendance complète. 252 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Tableau 1 Critères de la démence selon le DSM-IV Apparition de troubles cognitifs multiples tels qu’observés : - dans l’atteinte de la mémoire, - dans l’un ou plusieurs des troubles suivants : aphasie, apraxie, agnosie, fonctionnement d’exécution perturbé (capacité d’organisation, de jugement...) Ces troubles entraînent manifestement une perturbation dans le travail, les activités sociales habituelles ou les rapports avec autrui Ils sont le signe d’une régression significative par rapport au niveau de fonctionnement antérieur Ces troubles n’apparaissent pas uniquement dans une situation de délire L’éventail des symptômes ne peut pas être expliqué par une autre maladie clinique (comme une dépression majeure ou une schizophrénie) Tableau 2 Les troubles comportementaux et psychologiques (BPSD) selon leur fréquence ou leur charge pour le soignant central Très fréquents ou lourds Moyennement fréquents ou lourds Moins fréquents ou lourds Psychologiques Psychologiques Comportementaux Délires Illusions Pleurs Humeur dépressive Comportementaux Questions répétitives Insomnies Apathie Filature Anxiété Nervosité Hallucinations Jurons Conduite inadaptée Comportementaux et désinhibition Errances ou fugues Appels Agression physique Agitation C. Manifestations cliniques L’étiologie de la démence peut être déterminante dans l’apparition, l’évolution et la manifestation clinique de la maladie. Lors du vieillissement normal, il se produit une réduction des fonctions cognitives, liée à l’âge. La question clinique difficile est de savoir dans quelle mesure ce recul cognitif est un premier signe de démence débutante. Le déficit cognitif léger (MCI - Mild Cognitive Impairment) est une situation de transition, récemment décrite, entre le vieillissement normal et le syndrome de démence. Chez ces patients, on observe un trouble de la mémoire qui est anormal pour l’âge et le niveau d’éducation. On signale surtout des déficits de la mémoire verbale épisodique, alors que d’autres fonctions cognitives (langue, praxie, fonctions exécutives) restent épargnées. La mémoire épisodique recèle des informations autobiographiques qui sont accumulées en relation avec des événements dans le temps et dans l’espace. Dans ce contexte, des problèmes surviennent chez ces patients. Un certain nombre d’entre eux développera cependant au cours des années suivantes un syndrome qui répond aux critères de la maladie d’Alzheimer. Les patients souffrant de la maladie d’Alzheimer passent donc par un stade clinique de MCI, mais tous les patients souffrant de MCI n’évoluent pas vers une maladie d’Alzheimer clinique. Il existe aussi une relation entre les anomalies neuropathologiques et les déficits cognitifs. On trouve par exemple un dépôt d’amyloïde plus important chez les patients souffrant de MCI que chez les patients âgés. Chez les patients souffrant de maladie d’Alzheimer, ce dépôt est cependant encore plus important. La présence de lésions de la substance blanche joue aussi un rôle dans la détérioration cognitive. Ceci fait supposer que toutes ces lésions ont des conséquences cliniques et qu’elles ne 253 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR peuvent pas être considérées comme tout à fait bénignes. Sur la base du tableau clinique et du profil du dysfonctionnement cognitif, on peut distinguer plusieurs prototypes de démence. Une différence importante se fait par les types de démence corticale et sous-corticale. Il ne s’agit cependant pas ici d’une subdivision purement anatomique. A cause de la forte imbrication des structures corticales et souscorticales, des caractéristiques de l’autre type apparaîtront dans les deux types de démence. Des exemples de démences corticales sont la maladie d’Alzheimer et la démence fronto-temporale. Parmi les formes sous-corticales types, citons les démences vasculaires et les démences des maladies de Parkinson et de Huntington. La maladie d’Alzheimer connaît un début insidieux, avec des troubles nets de la mémoire, et une évolution progressive, avec la présence de troubles phasiques, gnosiques et praxiques. La maladie diffuse à corps de Lewy (diffuse Lewy body disease), qui tire son nom des corps de Lewy, est une entité à part avec des inclusions neuronales typiques situées dans le tronc cérébral et le cortex. Ici, des éléments cliniques importants sont une évolution très variable, avec des hallucinations importantes, surtout visuelles, et des caractéristiques extrapyramidales ou une forte sensibilité aux neuroleptiques. La démence fronto-temporale apparaît plus tôt. Elle se caractérise par une importante dysfonction des lobes frontaux, avec de l’euphorie, un émoussement des normes émotionnelles et sociales, de l’agitation ou de l’apathie. Les troubles comportementaux précèdent souvent les problèmes de mémoire. Dans les formes de démences sous-corticales, on trouve plutôt un ralentissement de la motricité et de l’idéation, des troubles de la mémoire avec une reconnaissance relativement intacte, des troubles des aptitudes acquises et des changements de l’affectivité. Les troubles de la parole, de la vision spatiale et de la praxie sont moins prononcés, les problèmes moteurs étant plus nets. La démence plurilacunaire résulte de plusieurs accidents vasculaires cérébraux ischémiques. C’est pourquoi on assiste à l’apparition brutale du tableau clinique présentant une évolution par paliers, où des périodes de relative lucidité sont encore fréquentes. Une accumulation de plusieurs AVC, qu’ils soient ou non subcliniques, peut finalement engendrer un tableau démentiel. L’évolution de la maladie peut être très variable. Il existe parfois un effet-seuil, qui donne l’impression que la démence apparaît rapidement, alors que ce n’est pas le cas. L’altération cognitive jusqu’alors non perçue par le monde extérieur, mais cependant bien présente, ne devient visible que lorsque la personne âgée doit s’adapter à une situation nouvelle, ou lorsqu’un soignant est brusquement indisponible. Le syndrome de démence n’est pas une affection bénigne, et il évolue vers la mort en quelques années. Les données récentes suggèrent que la survie moyenne après le diagnostic est plus courte que les 5 à 9 années classiquement admises. En incluant les patients à évolution rapide, la survie moyenne ne serait que de 3 à 4 ans après le diagnostic. Une démence peut parfois avoir une évolution très rapidement progressive, comme dans la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ou au contraire rester longtemps stationnaire (figure 2) comme suite à un traumatisme cérébral. D. Anatomopathologie, physiopathologie et hérédité dans la maladie d’Alzheimer Anatomopathologie A l’examen macroscopique du cerveau chez un sujet atteint de la maladie d’Alzheimer, on observe une atrophie corticale et sous-corticale généralisée, le poids du cerveau n’atteignant plus 1 kg. L’examen microscopique révèle la présence d’amas de neurofibrilles (NFT - neurofibrillar tangles) dans les cellules. Il s’agit de neurofilaments qui s’enchevêtrent en spirale. Les protéines tau, anormalement phosphorylées, sont un composant important de ces amas de neurofibrilles, qui sont, avec les plaques amyloïdes, une caractéristique neuropathologique essentielle. Ces plaques séniles, présentant un dépôt amyloïde en leur centre, entourées de neurones, de dendrites et d’axones dégénérés, se trouvent dans le cortex et l’hippocampe. Chez les personnes âgées, on observe, dans des circonstances normales, un nombre limité d’amas neurofibrillaires et de plaques dans les anciennes zones phylogénétiques de l’écorce cérébrale. Dans la maladie d’Alzheimer, la présence d’amas 254 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR neurofibrillaires et de plaques est plus répandue. Le dépôt d’amyloïde bêta, ou Aß, est une caractéristique neuropathologique précoce, qui précède l’apparition des neurofibrilles de plusieurs années. L’Aß est vraisemblablement responsable de la formation des plaques et est formée par décomposition de la protéine précurseur de l’amyloïde (APP). Selon l’endroit de division de l’APP, il apparaît des fragments non toxiques (solubles) ou toxiques (insolubles). La voie non toxique est stimulée par activation cholinergique. Physiopathologie Sur le plan physiopathologique, la maladie d’Alzheimer s’accompagne de changements quantitatifs au niveau de différents neurotransmetteurs et au niveau des enzymes responsables de leur synthèse et de leur métabolisme. Les troubles les plus frappants sont les chutes des concentrations d’acétylcholine, de noradrénaline, et de sérotonine. L’hypothèse cholinergique suppose une association entre les troubles cognitifs et la moindre présence de neurones cholinergiques dans le cortex et les autres régions cérébrales. Cette perte donne lieu à un déficit cholinergique, qui est causé par les moindres concentrations en acétylcholine (ACh), la moindre activité de la choline-acétyltransférase, la moindre affinité pour la choline et une réduction de la synthèse et de la libération d’acétylcholine. D’autres neuropeptides, comme la somatostatine et la substance libératrice de la corticotropine, sont moins présents également. Hérédité Les mécanismes génétiques de la maladie d’Alzheimer sont plus hétérogènes que l’on ne le pensait. Dans quelques formes précoces, il existe une transmission autosomique dominante, associée à des mutations des chromosomes 1 (préséniline 2), 14 (préséniline 2) et 21 (protéine précurseur de la b-amyloïde). Dans ce cadre, il est à signaler que les patients atteints du syndrome de Down qui survivent jusqu’à la cinquantaine montrent des anomalies neuropathologiques comparables à celles de la maladie d’Alzheimer. Certains de ces patients développent aussi des troubles cognitifs. Sur le chromosome 19, se trouve le gène codant pour l’apolipoprotéine E. Ce gène est lié à la maladie d’Alzheimer, tant dans ses formes sporadiques que familiales. Les mécanismes exacts de l’influence ne sont cependant pas connus. Il y a trois variétés d’allèles pour ce gène : e2, e3, et e4. Le plus fréquent est e3, le plus rare étant e2. Diverses études ont montré que e4 augmente le risque de maladie d’Alzheimer, tandis que e2 réduit ce risque. Mais e4 n’est pas un marqueur de la maladie et il n’est ni nécessaire ni suffisant pour développer la maladie. Actuellement, il n’est pas indiqué de rechercher cet allèle pour le diagnostic (différentiel). Il existe un certain nombre d’autres maladies familiales, plus rares, caractérisées par un syndrome démentiel et des anomalies génétiques. Des exemples en sont la maladie de Huntington et l’amyloïdose cérébrale, appelée “Dutch Haemorrhage”. E. Diagnostic Une mise au point diagnostique est nécessaire pour le diagnostic différentiel d’une démence débutante. En pratique, les personnes présentant une confusion aiguë ou du délire sont souvent présentées comme souffrant de démence. Le diagnostic ne peut pourtant jamais être posé dans une situation clinique instable. Le diagnostic se fait en deux phases. D’abord, il faut établir la présence d’un syndrome démentiel et la sévérité de celui-ci, sur la base de l’existence des critères nécessaires. Dans une deuxième phase, on en établira le type et la cause sous-jacente. Un diagnostic précoce est important, parce qu’il permettra d’adopter l’attitude adéquate vis-à-vis de la personne démente et de lui apporter l’assistance nécessaire, tant médicale que thérapeutique et sociale. Anamnèse Toute mise au point diagnostique commence par une anamnèse approfondie et surtout une hétéro-anamnèse d’un informateur fiable, le plus souvent le soignant central. Celle-ci nous donne une idée de l’état actuel de la maladie et de son évolution. Il faut toujours réaliser une anamnèse détaillée des médications administrées, étant donné que de nombreuses substances peuvent induire ou aggraver la confusion et les troubles cognitifs. Il faut rechercher les antécédents de troubles affectifs, d’abus d’alcool ou de malnutrition. 255 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Examen clinique L’examen clinique porte sur les anomalies infectieuses, vasculaires, endocrines et neurologiques. Il faut en outre être attentif aux signes de désintégration psychomotrice comme l’akinésie ou l’hypokinésie, l’hypertonie, la stéréotypie, l’apparition de réflexes archaïques et de signes extrapyramidaux. Des réflexes asymétriques ou des signes de latéralisation pourront indiquer des troubles focaux (vasculaires). Analyses de laboratoire Il faut réaliser un examen de laboratoire d’orientation, qui facilitera le dépistage de démences “réversibles”. Les analyses de laboratoire comprennent donc au minimum un bilan hématologique, une analyse des fonctions rénale et hépatique, un ionogramme, la glycémie, le calcium, les tests thyroïdiens, la vitamine B12, l’acide folique et parfois aussi la sérologie de la syphilis. Psychométrie Un bon diagnostic serait incomplet sans une évaluation neuropsychologique; celle-ci nécessite cependant un travail considérable et des connaissances approfondies. L’examen neuropsychologique utilise des tests psychométriques, l’observation comportementale et un examen neurologique comportemental. On évalue aussi le comportement quotidien, le fonctionnement émotionnel et la façon dont le patient aborde les situations problématiques. Cette évaluation doit se faire par l’application d’instruments de test standardisés, normalisés et validés. L’instrument optimal d’évaluation du statut mental est le MMSE (Mini-Mental Status Experimentation, voir l’appendice). Le test MMSE est facile à réaliser : il comprend 30 épreuves destinées à évaluer l’orientation dans le temps et dans l’espace, le pouvoir de concentration, la mémoire, la parole, la gnosie et la praxie. Ceci reste toutefois un test de dépistage en lui-même qui est insuffisant pour poser un diagnostic et qui doit être complété par d’autres tests. Pour le diagnostic des troubles cognitifs légers, ces instruments ne sont parfois pas assez sensibles. Evaluation fonctionnelle Lors du diagnostic de la démence, il faut être attentif au besoin de soins du patient. Ce besoin de soins est évalué par une appréciation du fonctionnement quotidien. Celle-ci se fait par une évaluation spécifique et instrumentale des activités de la vie quotidienne (ADL et iADL – échelles de Katz, Lawton and Brody, voir appendice). Une évaluation fonctionnelle plus large et globale donnera une bonne idée (de l’évolution) du syndrome démentiel, surtout aux stades plus sérieux de l’affection. Un instrument classique, développé dans ce but, est la GDS (Global Deterioration Scale). Cette échelle de la détérioration globale (voir appendice) donne un aperçu en 7 stades, depuis le fonctionnement normal jusqu’au stade terminal de la démence. Ces échelles décrivent parfois mieux l’évolution du patient que les instruments cognitifs classiques. Le besoin de soins est aussi influencé par la présence de troubles du comportement et d’antécédents psychotiques. On dispose ici d’instruments d’observation et d’évaluation, qui sont néanmoins mieux adaptés dans un environnement psychogériatrique. Des exemples en sont l’échelle Behave-AD et le NPI (Neuropsychiatric Inventory). Imagerie Parmi les techniques d’imagerie, le CT-scan (sans contraste) et la RMN occupent une place importante, parce qu’ils donnent des informations sur l’anatomie du cerveau. Ils sont particulièrement indiqués pour dépister des causes non dégénératives de détérioration cognitive, comme l’hydrocéphalie, les tumeurs, les hématomes sous-duraux ou les zones infarcies. Ils peuvent parfois donner des arguments pour le diagnostic différentiel. Ainsi, dans la démence dégénérative, on verra plus rapidement une hypotrophie du système limbique. Le SPECT-scan (single photon emission computerized tomography) nous donne une image du fonctionnement, du métabolisme et de l’irrigation des différentes parties du cerveau. Une hypoperfusion temporo-pariétale est compatible avec le diagnostic de maladie d’Alzheimer, mais elle n’est pas pathognomonique. La même remarque vaut pour une hypoperfusion préfrontale dans la démence fronto-temporale. 256 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Autres examens techniques Par ailleurs, certains autres examens techniques peuvent être utiles dans des cas sélectionnés. Dans la démence d’Alzheimer, l’EEG révélera un ralentissement du rythme de base et une augmentation des activités plus lentes. Dans la phase tardive de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, on peut voir apparaître à certains moments des complexes caractéristiques, biphasiques ou triphasiques. Dans la démence vasculaire, l’échographie carotidienne montrera les plaques, les sténoses ou les occlusions carotidiennes. L’échocardiographie est nécessaire pour détecter les lésions valvulaires et les thrombus. F. Stratégie thérapeutique La stratégie thérapeutique dépendra de l’étiologie de la démence. Les interventions, comme le placement d’un système de drainage ventriculaire dans une hydrocéphalie à pression normale, ou un traitement antidépresseur dans un déficit cognitif dépressif, peuvent parfois apporter une amélioration dans les formes secondaires. Dans une démence vasculaire, le mieux est d’adopter une stratégie préventive, comme c’est défini pour les affections vasculaires cérébrales. Vu que le syndrome démentiel est une affection multifactorielle, il faudra sans doute une combinaison d’interventions tant pharmacologiques que non pharmacologiques. Une combinaison de médications pourra aussi trouver sa place. En effet, les diverses approches ne s’excluent pas mutuellement. Médication employee dans la maladie d’alzheimer Approche du déficit cholinergique Les cerveaux des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer présentent diverses modifications neuropathologiques et neurochimiques. L’hypothèse cholinergique a conduit au développement de diverses stratégies destinées à améliorer la transmission cholinergique. L’utilisation des inhibiteurs de la cholinestérase (ChEI) est actuellement le seul traitement pertinent en clinique. Si la dégradation de l’ACh au niveau de la synapse est ralentie, il s’ensuivra une concentration plus forte en ACh au niveau des récepteurs muscariniques et nicotiniques. D’après l’hypothèse cholinergique, les fonctions cognitives devraient en être améliorées. Les ChEI diffèrent les uns des autres par leur mode d’action. Les inhibiteurs réversibles, comme la tacrine ou le donépézil, se lient à l’acétylcholinestérase, ce qui empêche la formation d’un complexe entre l’enzyme et l’ACh. Par contre, les inhibiteurs “pseudo-irréversibles”, comme la rivastigmine, diminuent l’activité enzymatique en interférant avec le site catalytique de l’enzyme. Les mécanismes d’action des produits ne dépendent pas seulement du type d’inhibition, mais aussi de la vitesse de resynthèse de la cholinestérase. De plus, il y a une sélectivité pour diverses estérases. Ainsi, la tacrine va bloquer tant l’acétylcholinestérase (surtout présente dans le système nerveux central) que la butyrylcholinestérase (surtout présente dans les tissus périphériques), tandis que le donépézil et la rivastigmine sont des inhibiteurs sélectifs de l’acétylcholinestérase. La tacrine a été le premier ChEI qui parut utilisable en pratique. Les nombreux effets secondaires du produit limitent cependant son utilisation à grande échelle, de sorte que son application clinique est déjà dépassée. Le donépézil est un ChEI de la deuxième génération, réversible et sélectif, ayant une longue durée d’action et une grande spécificité pour le cerveau. Il a une demi-vie de 70 heures, et des concentrations stables sont atteintes en deux semaines. La dose de départ recommandée est de 5 mg, mais l’effet est dose-dépendant, de sorte que la dose peut être augmentée à 10 mg après un mois de traitement. La plupart des patients supportent cette dose sans problème, bien que des effets cholinergiques gastro-intestinaux puissent se produire. Les repas n’influencent pas l’absorption. Le médicament est partiellement excrété, inchangé, par le rein et il est métabolisé via le cytochrome P450 (2D6 et 3A4). La rivastigmine est un ChEI relativement sélectif et pseudo-irréversible, ayant des effets prometteurs sur la cognition et le comportement des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer. La rivastigmine est utilisée à doses faibles (2 x 1.5 mg) à fortes (jusqu’à 2 x 6 mg/j). La galantamine est une molécule qui, outre sa (faible) inhibition de la cholinestérase, a une action de modulation allostérique sur le récepteur nicotinique. Un traitement à 24 mg/jour pendant 12 mois a donné une stabilisation des aptitudes cognitives et fonctionnelles. La tolérance était meilleure avec un schéma de départ lentement progressif, où la dose était augmentée de 8 mg toutes les 4 semaines. Pour résumer, on peut dire que les effets cliniques sont comparables pour les divers produits, mais que la tolérance peut varier, avec une meilleure tolérance pour le donépézil, qui ne doit être administré que 1 x par jour. Au cours du 257 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR traitement des divers stades de la démence, on voit aussi des effets positifs dans les formes plus sérieuses, moins sur la cognition que sur le comportement. Les patients traités continuent à aller mieux que ceux qui n’ont pas reçu de traitement, et des données montrent que leur institutionnalisation est retardée. Si le traitement est arrêté, le patient perd des capacités cognitives et fonctionnelles, qui ne seront pas entièrement récupérées même en cas de reprise de la médication. C’est pourquoi la continuité du traitement est recommandée. L’évolution des courbes d’observation plaide pour un effet modulateur de la maladie médié par les inhibiteurs de la cholinestérase. Agents anti-inflammatoires Certaines données suggèrent que des processus inflammatoires jouent un rôle dans la destruction tissulaire se produisant dans la maladie d’Alzheimer. La microglie réactive dont la présence a été démontrée autour des plaques séniles et des astrocytes pourrait donner lieu à la production de cytokines, comme l’interleukine-1 et l’interleukine6, qui stimulent la synthèse de l’amyloïde bêta. Les observations montrent que les patients qui ont été soignés longtemps aux antiphlogistiques pour des affections inflammatoires chroniques, comme l’arthrite rhumatoïde, ont un risque moindre de développer une démence. La prévalence d’une association des diagnostics de maladie d’Alzheimer et d’arthrite rhumatoïde était de 6 à 12 fois moindre que prévu dans un groupe de patients âgés sortant de l’hôpital. Mais d’autres études prospectives à ce sujet sont nécessaires. Traitement antioxydant Le stress oxydant, avec sa production de radicaux libres, peut donner lieu à une peroxydation des lipides et à des lésions cellulaires. Ceci pourrait jouer un rôle fondamental dans la dégénérescence neurologique de la maladie d’Alzheimer. On peut distinguer deux mécanismes qui peuvent réduire ce stress oxydant. C’est possible grâce à des molécules qui interfèrent avec les radicaux libres eux-mêmes et les rendent inoffensifs. Ce sont les piégeurs de radicaux libres (“scavengers”), dont les vitamines A, C et E, mais aussi les oestrogènes et le Gingko biloba sont des exemples. Outre les piégeurs de radicaux libres, il y a les antioxydants, qui limitent la production des radicaux libres. Un exemple en est la sélégiline, un inhibiteur sélectif de la monoamine oxydase B, qui a un effet antioxydant par réduction de la concentration en catécholamines. Des études complémentaires, à divers stades de la maladie, sont nécessaires pour mieux décrire le potentiel thérapeutique des antioxydants. Substitution oestrogénique On connaît quelques mécanismes biologiques plausibles par lesquels les oestrogènes pourraient être efficaces dans la conservation de la cognition et dans la prévention du syndrome démentiel. On peut citer par exemple le soutien des activités cholinergiques et sérotoninergiques dans certaines régions du cerveau, un effet favorable sur les fractions de lipoprotéines, et la prévention des troubles vasculaires. Les études cliniques réalisées jusqu’à présent montrent toutefois des défauts méthodologiques et donnent des résultats controversés. La première étude randomisée, avec contrôle placebo et en double aveugle du traitement par oestrogènes chez des patientes atteintes de maladie d’Alzheimer de gravité légère à moyenne n’a pas montré de ralentissement du processus morbide après un an, et il n’y a pas eu d’amélioration de l’état global, fonctionnel ou cognitif des patientes traitées par rapport au groupe placebo. Pour le moment, l’utilisation en routine d’œstrogènes chez les femmes ménopausées souffrant de la maladie d’Alzheimer ne peut donc pas être recommandée. Attitude pratique Chez un patient pour qui une démence a été établie, il faut d’abord en déterminer le type. Dans les démences secondaires, il faudra dans un premier temps aborder le problème sous-jacent, selon les directives thérapeutiques et préventives. Lorsque le diagnostic de maladie d’Alzheimer est posé, il faudra envisager un traitement d’épreuve au donépézil ou à la rivastigmine. Il faudra chercher à atteindre la dose optimale du médicament, en tenant compte de la tolérance individuelle de chaque patient. L’efficacité du traitement instauré sera évaluée après 3 à 6 mois, en se basant sur les résultats sur le plan cognitif, fonctionnel et général, tels qu’ils sont interprétés par le soignant. En cas d’amélioration ou de stabilisation par rapport à la situation de départ, on poursuivra le traitement. Si l’évaluation cognitive et fonctionnelle montre une aggravation, il vaut mieux arrêter le traitement. Si la régression du patient s’accélère significativement après l’arrêt du traitement, on discutera avec le soignant de l’opportunité de reprendre le traitement. Outre les stratégies dont nous avons parlé, et qui forment la base du traitement de la démence d’Alzheimer, d’autres médications, telles que les neuroleptiques, les anxiolytiques et les antidépresseurs, peuvent 258 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR être utilisées pour combattre les complications. A ce sujet, je vous renvoie aux chapitres sur le délire et les troubles affectifs. G. Démence et revalidation La revalidation est décrite différemment chez les personnes démentes. C’est essayer de faire fonctionner le patient au niveau le plus élevé possible, en tenant compte des restrictions imposées par le processus du vieillissement. Entraînement aux Activités de la Vie Quotidienne L’entraînement aux activités de la vie quotidienne vise la meilleure autonomie possible, par la pratique des activités elles-mêmes et par la prise de mesures ergonomiques destinées à optimaliser ces activités. Entraînement à la réalité et à l’orientation L’entraînement à la réalité et à l’orientation vise à combattre le processus de détérioration mentale par la délivrance régulière des mêmes informations de base (espace, temps, dénomination d’objets, faits récents…) et en y faisant appel de manière répétitive. Pour cela, on a recours à deux méthodes complémentaires. a) L’entraînement à la réalité et à l’orientation de 24 heures (ou entraînement individuel à la réalité et à l’orientation ) Par cette approche individuelle, le patient/résident reçoit tout au long de la journée des informations sur le temps, le lieu et la personne, ainsi que des commentaires sur les événements… Ces renseignements l’aident à mieux s’orienter. Dans cette formation, le contact du thérapeute avec le patient est essentiel. L’environnement joue un rôle important. On essaie d’améliorer la reconnaissance en offrant des informations sur le temps, l’espace et la personne. b)Les sessions intensives de l’entraînement à la réalité et à l’orientation (ou entraînement à la réalité et à l’orientation en groupe) Ces séances mettent l’accent sur le contact entre patients, les aptitudes sociales étant stimulées par le travail en groupe. Les résultats de l’entraînement à la réalité et à l’orientation sont l’objet de discussions. Il n’y a pas d’unanimité sur l’importance des résultats au plan cognitif et comportemental. L’entraînement à la réalité et à l’orientation repose trop souvent sur la confrontation ; c’est pourquoi on lui préfère aujourd’hui une approche plus modérée. Exercices de la mémoire Des exercices de la mémoire n’apporteront plus aucun soulagement aux personnes dont la mémoire a disparu. Pour que de tels exercices soient efficaces, il faut que celle-ci soit en principe encore accessible. On enseigne au patient comment retenir plus facilement les choses. La mesure dans laquelle ces exercices ont un effet sur la détérioration elle-même dans la démence est cependant fortement mise en doute. Les contacts sociaux sont naturellement aussi une excellente occasion de rester actif et de continuer à utiliser la mémoire. H. Comment aborder les sujets déments ? Il est difficile de donner une réponse claire et nette à cette question. Le respect et la patience sont essentiels. Chaque patient demande sa propre approche. Dans le contact avec les patients déments, quelques points sont prioritaires, comme le contact physique, le besoin de communication, le rétablissement des règles de bienséance, le respect du territoire et de l’intimité et le souci de l’état de santé physique et des soins (figure 3). Il est inutile de faire remarquer à une personne âgée démente les erreurs qu’elle a commises, que ce soit directement ou indirectement; cela ne ferait qu’engendrer un sentiment de frustration. Par ailleurs, il faut s’efforcer d’apporter aussi peu de changements que possible dans l’entourage de ces personnes; tout changement provoque un sentiment d’insécurité. Toute phrase ou question doit inclure un maximum d’informations pertinentes, pour que la personne âgée ait davantage de repères. Il est évidemment important de maintenir la personne âgée en activité et de lui 259 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR laisser faire ce dont elle est capable. Nous avons beaucoup trop tendance à lui prendre tout des mains. Un sujet dément ne peut en aucun cas être comparé à un enfant. Il ne faut pas non plus adopter un comportement mesquin ou parler en des termes humiliants; la désignation par le prénom et le tutoiement ne sont pas toujours souhaitables non plus. Ci-dessous sont décrites deux formes d’accompagnement thérapeutique contenant des éléments qui trouvent leur application dans la fréquentation et l’accompagnement quotidiens du sujet dément. Traitement de validation Dans le traitement de validation, l’accent est mis sur la communication empathique : le thérapeute s’efforce de se mettre dans la peau du sujet dément et de ressentir son univers : il ne s’oriente plus selon la notion de “ici et maintenant”, mais bien selon la réalité du patient/résident. L’objectif poursuivi est d’aider le patient à réaliser ses aspirations au présent, de diminuer la pression psychique, de résoudre les conflits et les problèmes latents, de rétablir le sens de la dignité et de combattre toute autre forme de désorientation. En dépit des nombreuses critiques, l’approche du traitement de validation recèle des éléments qui sont indubitablement importants pour l’accompagnement des sujets déments : · l’approche empathique, par laquelle on s’insère dans l’univers du patient et où l’on prend ses sensations au sérieux; · l’importance du contact physique; · l’importance d’éveiller les souvenirs… Perceptions sensorielles Cette approche non verbale des personnes démentes trouve son origine dans les soins apportés aux handicapés mentaux lourds. Concrètement, cela signifie que le thérapeute joue sur les perceptions, les observations et les expériences sensorielles du patient. On attache de l’importance au toucher, aux sons, à la lumière, aux odeurs et au goût. Cette forme de contact est principalement d’application chez les patients âgés chez qui le processus de démence est déjà à un stade avancé et avec qui le contact verbal est difficile. I. Problématique familiale La démence constitue pour le conjoint, la famille, les proches et l’entourage une charge émotionnelle et relationnelle importante. Les soignants encourent le risque de souffrir eux-mêmes de problèmes psychiques et physiques. Soutenir ces personnes dans les soins qu’elles apportent au malade et dans le contact qu’elles ont avec lui peut contribuer à éviter pas mal de problèmes, de chagrins et de sentiments de culpabilité. Avoir la charge d’un membre dément de la famille induit généralement une forte dose de stress. Le moment de l’internement ou du placement reste, indépendamment de la nécessité éventuelle d’y recourir, un problème particulièrement pénible pour la famille. Pour beaucoup, ce moment signifie la dernière étape avant la séparation définitive. Lorsque le sujet dément a été placé en institution, la vie de la personne qui en a la charge change radicalement. Cependant, on n’observe pas chez tout le monde un changement positif. La démence entraîne des réactions de deuil Lorsqu’un membre de la famille devient dément, l’entourage direct vit une situation de perte. De nombreuses réactions par rapport à la perte subie peuvent être décrites comme un comportement de deuil : il s’agit d’un deuil ressenti, d’une part par rapport à la perte de la santé du conjoint ou du parent, d’autre part par rapport à la mort qui se profile à l’horizon : en d’autres termes, il s’agit d’un deuil anticipé. Il existe toutefois des différences marquées avec le deuil normal consécutif à un décès : - Le partenaire ou le parent est toujours en vie et jouit souvent encore d’une bonne condition physique. - La perte n’est pas soudaine. On observe une diminution très progressive des capacités. - On n’est pas considéré comme endeuillé par autrui. - Le deuil anticipé peut durer des années. 260 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Les principales caractéristiques du deuil anticipé sont : la négation, l’état dépressif, le sentiment de culpabilité, le sentiment d’agressivité et finalement l’acceptation. La démence nécessite une information L’accompagnement de la famille repose en premier lieu sur l’information. Le médecin généraliste doit rappeler régulièrement les renseignements nécessaires (soignants professionnels, adresses de contact des groupes d’entraide…) et les compléter si nécessaire. La famille doit aussi être informée à temps des problèmes juridiques qui peuvent surgir. Depuis 1990, il existe une nouvelle loi régissant la gestion des biens de personnes inaptes. Par le biais d’une requête, certificat médical à l’appui, on peut introduire une demande auprès du juge de paix qui a le pouvoir de désigner un administrateur provisoire pour gérer les biens du patient dans des conditions strictes. (voir chapitre : Aspects juridiques) Le maintien d’une communication entre le généraliste et les membres de la famille est un instrument important dans le soutien de leur évolution émotionnelle. 261 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Figure 1 Répartition des démences selon leur type (en %) 46% Alzheimer 20% 20% vasculaire 15% 15% autres 46% 19% mixte 19% F O N C T I O N N E M E N T C O G N I T I F Figure 2 Evolution selon l’étiologie temps Démence d’Alzheimer Détérioration progressive temps temps Post-traumatique Détérioration brusque temps temps Démence plurilacunaire Evolution par étapes temps Creutzfeldt-Jacob Détérioration brusque temps 262 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Figure 3 Les dix commandements du contact et de la communication avec les patients souffrant de la maladie d’Alzheimer Pour communiquer avec le patient, Pour aborder le patient, • Près de la personne, tu te tiendras; • Lentement et distinctement, tu parleras; • Son nom, tu diras; • Des mots simples et concrets, des phrases courtes, tu emploieras; • Son corps, tu toucheras; • Avec des gestes et le toucher, tes paroles, tu compléteras • A sa hauteur et face à lui, tu te tiendras; • Un message à la fois, tu donneras; • Un contact visuel, tu établiras. • Aux énoncés affirmatifs, tu recourras. Copyright Ligue Alzheimer - Liège 263 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Les dépressions J. Defleur A. Introduction Ces dernières trente années ont notamment été marquées par la prise en considération croissante de la psychopathologie des personnes âgées (P.A.). La description et les possibilités de traitement de la dépression de la P.A. se sont dans le même temps heurtées à plusieurs difficultés : a) les descriptions sémiologiques se sont d’abord faites par l’ajout de traits spécifiques au tableau clinique de l’adulte plus jeune déprimé mais surtout en cherchant à intégrer les pertes que l’être vieillissant est réputé connaître, ce qui revenait en fait à minimiser la réalité du vécu dépressif du vieillard. Du “vieillir, c’est perdre”, on est souvent passé au “vieillir, c’est se perdre”, un vécu triste étant alors considéré comme normal, comme inéluctable et les plaintes, surtout répétées et perçues dans leur apparente stéréotypie, étant elles considérées au mieux comme n’étant pas justifiées, au pire comme malvenues, indécentes presque ! b) le groupe des P.A. a longtemps été considéré comme étant une entité socialement et psychologiquement bien définie. C’était oublier que le vieillissement est un processus différentiel que “plus je vieillis, plus je suis moi-même et donc différent des autres au moins psychologiquement”. La prise en compte de l’hétérogénéité du groupe des P.A. et de ses répercussions sur l’analyse sémiologique a sans doute constitué un premier progrès. c) à l’instar de la démarche pédiatrique, on a voulu établir arbitrairement des posologies réduites d’antidépresseurs : tel préconise des demi-doses, tel autre estime qu’il serait vain d’augmenter les posologies en cas de non-réponse. C’est peu dire qu’il n’y a pas d’étude longitudinale et même très peu d’études pharmacologiques chez les plus de 70 ans de sorte que l’on considère actuellement, nonobstant les notices, que ce sont les modalités d’administration et non les posologies, qui constituent la différence au niveau thérapeutique (cfr infra). d) longtemps, les médecins, et parmi eux les psychiatres plus particulièrement, ont négligé l’impact du physique dans la genèse ou dans l’entretien du syndrome dépressif : il y a 25 ans, le psychogériatre précisait - et cela faisait sourire - qu’il était le psychiatre qui ne faisait pas semblant de ne plus savoir où était son stéthoscope. Actuellement, commence à être intégrée la notion que le physique est aussi l’enjeu des mécanismes de défense : les pertes sensorielles, l’inappétence, les handicaps moteurs avec chute(s), l’utilisation plus ou moins adéquate des prothèses... sont terrains de chasse reconnus pour les manifestations de résistance par exemple. B. Clinique C’est sans doute la prise en considération des chiffres et des modalités du suicide chez les P.A. qui peut le plus nous inciter à la réflexion sur la réalité de la dépression dans cette catégorie de patients. Selon une étude de l’Institut d’Hygiène et d’Epidémiologie (1985) réalisée via son réseau de médecins vigies, l’incidence des tentatives de suicide (T.S.), qui pour la population générale est de 22,8 cas pour 10.000 habitants, est de 16,9 cas pour 10.000 habitants si l’on n’envisage que la population de plus de 70 ans. Par contre l’incidence des T.S. avec issue fatale est trois fois plus élevée dans le groupe des plus de 70 ans (9,8 °/000) que dans la population générale (3,3 °/000). Cette double évolution s’accompagne d’une surreprésentation des hommes âgés : le taux de létalité (rapport entre le nombre total de T.S. et le nombre de celles ayant conduit à un décès) est de 80,0 % (25,3 % dans la population générale). Ces chiffres et le fait que les vieillards recourent massivement préférentiellement à des méthodes violentes et radicales (pendaison, armes à feu, défenestration) doivent nous interpeller et nous inciter à l’effort. Gottfries insiste depuis de nombreuses années : “le grand problème semble ne pas être tellement le traitement pharmacologique de la dépression du vieillard que l’identification et le diagnostic de cette dépression”. 264 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Les désordres dépressifs se présentent chez les P.A. avec une plus grande hétérogénéité; de sorte que si les dépressions majeures sont moins fréquentes, et cela se comprend, les épidémiologistes recensent 12 à 15 % de dépressions chez les plus de 65 ans; leurs diagnostics recouvrant les dépressions majeures, les dépressions mineures, les dépressions masquées, les dépressions secondaires à une maladie somatique et la dépression “organique” des Anglo-Saxons, c’est-à-dire celle qui accompagne la détérioration psycho-organique. Ces pourcentages ne comprennent pas les dépressions secondaires à la consommation (inadéquate ?) de médicaments, ceux-ci étant pourtant d’après Baumann responsables d’un tiers des admissions en gériatrie ! Par contre, il faut admettre qu’ils sont sans doute minorés par un facteur culturel par rapport auquel nous n’avons pas beaucoup de recul et qui fait que, cadets de nos vieux patients, nous avons parfois tendance à considérer certains affects dépressifs comme composantes “normales” du vieillissement surtout s’ils sont exprimés de manière stéréotypée et rabâchée. Au cours des années, une clinique de la dépression de la P.A. s’est peaufinée qui a amené l’équipe de Goettingen à proposer le concept de dépression gériatrique. Le tableau classique de la dépression est modifié par : a) une importance plus grande de plaintes somatiques : celles-ci sont souvent plus vagues et polymorphes et devraient être pour le praticien indicatrices de dépression lorsqu’elles ne sont pas documentées par les examens techniques, répondent peu ou paradoxalement aux traitements et surtout lorsqu’elles connaissent des fluctuations dans la journée (maximales au lever et dans la matinée, en régression voire disparition l’après-midi). b) une structuration différente de la perte d’estime de soi : chez le vieillard, celle-ci est souvent nourrie par des reproches ou des autoaccusations qui prennent appui sur des faits anciens, invérifiables et que parfois le patient évoque pour la première fois. L’incrédulité perplexe que l’entourage exprime et surtout que le médecin ressent devant ces assertions incontrôlables constitue un élément important de diagnostic. c) une réduction du champ fantasmatique : alors que les déprimés de tous âges expriment souvent deux fantasmes - “partir loin, on ne sait où” et “dormir une bonne fois pour récupérer” - ceux-ci ne sont - et c’est un piège - quasi pas exprimés par les vieux patients même suicidaires si ce n’est de manière incidente par exemple par ce que l’on appelle une “fugue” ou par une décision impulsive de placement. Le plus souvent, ils sont agis, déguisés par des comportements régressifs : négligence de la toilette, isolement social, omissions de tâches domestiques, oublis de médicaments, monotonie de l’alimentation... d) le peu d’intérêt qu’offrent certains symptômes (l’agitation ou l’inhibition par exemple) alors que d’autres moins fréquents en psychiatrie générale, devraient nous alerter : l’irritabilité, les troubles de l’endormissement ou de multiples réveils agités. Le “on vieillit comme on a vécu” est règle suffisamment générale en gériatrie pour que le moindre changement caractériel ou comportemental s’impose comme un gyrophare ! e) la présence éventuelle de signaux suicidaires : Osgood en 1982 avait déjà épinglé le fait de mettre ses affaires en ordre, de rédiger un testament, de distribuer ses biens, de tenir des propos impersonnels sur la mort, de changer inopinément de religion ou de modifier impulsivement son régime alimentaire... Ajoutons la situation fréquente d’une demande de consultation au début de laquelle le patient affirme ne plus “savoir pourquoi il est venu” : le trouble mnésique apparent n’est sans doute pas le primum movens ! Le diagnostic clinique doit également tenir compte des trois éléments circonstanciels suivants : 1. les déficits des fonctions cognitives et en particulier de la mémoire risquent du fait de leur médiatisation (y compris dans les milieux médicaux) d’occulter d’autre(s) pathologie(s) souvent curable(s). Un tel déficit en tant que tel et surtout s’il n’est “objectivé” qu’une seule fois ne constitue un paramètre ni de diagnostic ni d’exclusion de la dépression. Un dément peut être déprimé et il existe une clinique d’allure démentielle chez certains déprimés âgés (= les pseudodémences). 2. les vieux messieurs que nous soignons actuellement appartiennent à une génération qui a appris qu”un garçon, ça ne pleure pas”. Devenu vieux, ce petit garçon ne pleure toujours pas... sauf avec son tube digestif ou son hypertension et si son médecin attend qu’il pleure pour le vivre comme dépressif, il risque de devoir acter son suicide ! Barraclough a montré que 45 % des vieillards qui se suicident avaient vu un médecin la semaine qui précédait leur 265 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR geste et qu’ils étaient 70 % à l’avoir consulté dans le dernier mois ! 3. l’anamnèse est une donnée fréquemment négligée en gériatrie. Sa récolte n’est pas facile, elle n’est apparemment pas toujours fiable, doit souvent se compléter ultérieurement et requiert d’interroger l’entourage. Et cependant, le début des troubles, leurs caractéristiques initiales, leur évolution, les échecs des mises au point et des premiers traitements et les changements de personnalité par exemple sont d’une incalculable richesse diagnostique. Le médecin devrait se convaincre que plus son patient est âgé, que plus il est conscient de sa finitude et que plus il est tenté de mettre fin à sa vie, plus il aspire inconsciemment à se dire, à dire sa vérité d’être : “Plus on vieillit, plus la nostalgie de l’être l’emporte sur la tentation de falsification” (Cribier). C. Les traitements médicamenteux Il est unanimement admis aujourd’hui que l’ensemble des molécules à action dépressive prescrites en psychiatrie générale est également utilisable chez les P.A.. Ce sont les modalités d’administration qui doivent être adaptées et les précautions liées aux contre-indications et interférences qui doivent être sensiblement plus grandes. Les tricycliques Les tricycliques ont été pendant trente ans la pierre angulaire des traitements médicamenteux de la dépression. Leur action antidépressive est bien établie sur différents types de dépression et chez des patients de tous âges. La clomipramine reste une référence à laquelle toutes les nouvelles molécules sont comparées. Leur prescription doit se faire prudente compte tenu d’une cardiotoxicité incontestable bien corrélée avec les taux plasmatiques en tricycliques lesquels, il faut cependant le noter, n’ont jamais été standardisés pour les P.A. en terme de rapport taux sérique/efficacité. La toxicité sur le système nerveux central (syndrome toxique anticholinergique du S.N.C. : désorientation, confusion, agitation, paresthésies, hallucinations + autoapognosie) bien que beaucoup plus rare (et devenue plus rare) est également fonction des taux sériques. Plus souvent déniées par le praticien et d’autant plus dangereuses sont les multiples interactions pharmacodynamiques : les amines tertiaires (imipramine et amitriptyline) sont beaucoup plus susceptibles de telles interactions que les amines secondaires (désipramine, nortriptyline). Celles-ci doivent donc être préférentiellement employées en cas de troubles hépatiques (on by-passe la déméthylation). L’action anticholinergique périphérique est bien connue, peut-être même trop bien connue ! En effet, les effets anticholinergiques, jugés mineurs en psychiatrie générale, ont en gériatrie de grandes conséquences : la sécheresse des muqueuses altère la bonne adaptation des prothèses dentaires et peut aggraver la malnutrition... Les troubles visuels se surajoutent fréquemment à des déficits sensoriels préexistants de sorte que les chutes ne sont pas toujours dues à une hypotension orthostatique et que les dyspraxies d’habillage ou alimentaires ne sont pas toujours imputables à une détérioration sous-jacente. De même, il ne faut pas perdre de vue qu’en cas de maladie d’Alzheimer, la clinique anticholinergique est une majoration du syndrome démentiel et une apparition précipitée de la confusion. L’ensemble de ces effets indésirables ne doit pas décourager le praticien dont ils mettent à vrai dire la vigilance et la compétence à l’épreuve : il doit tout au contraire s’interroger. - Pourquoi chez le jeune adulte prenons-nous la peine de le prévenir, avant traitement, d’une probable sécheresse de bouche ou d’une éventuelle constipation et ne le ferions-nous pas avec un vieillard ? - Pourquoi chez celui-là note-t-on au dossier les symptômes physiques de sa dépression pour lui rappeler ensuite s’il veut en faire des effets secondaires de sa médication et ne ferions-nous pas de même avec celui-ci ? A propos d’effets secondaires, rappelons le paradoxe de Nydam : “Plus le patient est déprimé, moins nombreux sont les effets secondaires” de sorte que si ceux-ci apparaissent tardivement, le médecin averti peut y voir une justification à une première réduction de posologie... N’ayons pas peur : prévenons nos patients, départageons symptômes dépressifs et effets secondaires, osons dire à nos vieux patients connus comme nous le disons aux plus jeunes qu’il est malheureusement un prix à payer “pour s’en sortir” et quand je dis “prix”, je ne parle évidemment pas “finances” puisque le coût financier des tricycliques est très bas. - Une attitude de défiance à l’égard des tricycliques n’est-elle pas paradoxale chez celui qui les décrie et prescrit par ailleurs des neuroleptiques ou de l’oxybutynine ? - Se souvient-on assez que les tricycliques sont fortement liés aux protéines et que dès lors, en cas de baisse du taux d’albumine circulante, la fraction d’antidépresseur non liée et donc active sera plus grande ? Un profil protéique est donc souvent utile et justifié. 266 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Pour faire bref procès, rappelons succinctement que : - La clomipramine a une action anxiolytique et voilà peut-être une benzodiazépine de moins ! L’amitryptiline a une action sédative les 10-12 premiers jours qui peut aider contre les troubles du sommeil et protège aussi le patient suicidaire contre ses impulsions. - La trimipramine très sédative peut également remplacer un hypnogène. L’amertume de ses gouttes prévient la tentation de surconsommation. - La dosulépine est de cette famille certes la moins anticholinergisante mais son action antidépressive est aussi un peu moins spectaculaire. Les I.M.A.O. Il y a un quart de siècle, nous regrettions que la réputation fâcheuse des I.M.A.O. se soit injustement étendue à la psychogériatrie. Depuis lors, l’évolution s’est faite de manière assez paradoxale. Alors que les psychogériatres anglo-saxons défendent et préconisent la prescription de ces molécules en se basant sur des dosages, post-mortem il est vrai, des monoaminooxydases cérébrales. En Belgique, nous ne disposons plus que de deux substances, la phénelzine et le moclobémide (I.M.A.O. réversible). Elles peuvent être utiles pour traiter une première dépression tardive et fort apathique. Une autre I.M.A.O., la sélégiline, n’est remboursée que dans le traitement de la maladie de Parkinson. Elle peut cependant être efficace dans les dépressions mélancoliformes qui accompagnent parfois la vraie maladie d’Alzheimer. La charge financière que sa prescription entraîne est malheureusement un frein, bien que nous pourrions nous interroger sur le rapport qualité/prix de certains nootropes dans les mêmes indications... Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) La faible affinité de ces substances pour les récepteurs muscariniques et alpha-adrénergiques dont témoignent leurs moindres effets anticholinergiques et cardiovasculaires leur a valu une popularité qui déborde dans l’univers médiatique. Ces médications apportent un progrès et des avantages. Leur efficacité est réelle mais peut-être pas supérieure aux quelques tricycliques auxquels ils ont été comparés. C’est surtout une tolérance plus grande qui a fait que pour beaucoup de médecins, les ISRS sont devenus le premier choix dans le traitement médicamenteux de la dépression de la P.A. A l’absence d’effets anticholinergiques s’ajoute une qualité, l’avantage de la prise unique journalière. En raison de leur usage répandu, leurs effets indésirables sont bien connus : a) des effets secondaires spécifiques : - troubles gastro-intestinaux (nausées, vomissements, diarrhées) - céphalées - anorexie et perte de poids - insomnie et sudation excessive - troubles sexuels b) une inhibition des isoenzymes du cytochrome P450, ce qui induit des risques d’interaction médicamenteuse. Les études en ce domaine sont parfois contradictoires : il faut néanmoins se souvenir que pour certains ISRS (paroxétine et fluvoxamine), les interactions médicamenteuses subséquentes concernent notamment les bêta-bloquants, des neuroleptiques, des anticoagulants coumariniques, certains antiarythmiques et les antidépresseurs tricycliques. c) c’est en association avec ces derniers, ou avec certains antiparkinsoniens ou certains neuroleptiques, que les ISRS ont pu occasionnellement induire un syndrome sérotoninergique. Celui-ci, décrit pour la première fois en 1991 par Sternbach, comprend de la confusion, de l’agitation parfois hypomaniaque, des myoclonies et des tremblements, des frissons et de l’hyperhydrose et d’abondantes diarrhées. Depuis lors, des issues fatales ont été décrites lors de l’association fluoxétine / I.M.A.O. et le syndrome semble même s’être produit dans des situations de monoprescription (toujours difficiles à contrôler cependant). Des études contrôlées, de plus longue durée, chez les P.A. sont souhaitables. L’interférence avec les coenzymes du cytochrome P450 doit être précisée. De plus, il serait utile de mieux cibler les différents produits. Mais il faut savoir que contrairement à ce qui se passe chez l’adulte plus jeune, il est chez le vieillard hasardeux de 267 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR prétendre prévoir l’effet sédatif ou stimulant de la molécule. Dans notre expérience, une fois sur trois le moment de l’administration a dû être décalé pour cause d’insomnie ou de somnolences imprévisibles. Breasley a ainsi publié en 1992 une analyse de l’action de la fluoxétine. Chez 40 % des patients, cette substance a une action excessivement activatrice. Chez 23%, elle induit une sédation exagérée et chez quelques-uns, elle associe les deux actions ! Des accidents de sevrage peuvent apparaître en cas d’arrêt brutal. Les autres antidépresseurs La miansérine offre l’avantage d’un large éventail posologique et d’un effet initial souvent très sédatif, qui l’apparente parfois aux hypnogènes. En gériatrie, il convient de la prescrire en dose unique le soir et il faut garder à l’esprit la prise de poids et les risques non négligeables de leucopénie (réversible). Le généraliste pourra aussi occasionnellement prescrire en M.R. ou M.R.S la viloxazine sous forme de perfusion intraveineuse. Celle-ci placée lors de son arrivée dans l’établissement, sera terminée une heure et demie plus tard lorsqu’il aura terminé son tour. Active dans les dépressions apathiques, cette molécule offre l’avantage d’un résultat rapide endéans la douzaine de jours lorsqu’il se produit. Toutefois, la viloxazine se signale aussi par une intolérance digestive initiale et une potentialité épileptogène. La prescription de carbonate de lithium a soulevé en gériatrie bien des controverses. Un consensus semble actuellement se faire autour des points suivants : - l’âge en soi n’est pas une contre-indication à une lithiumthérapie ; - les indications ne changent pas avec l’avance en âge ; - des garanties doivent être prises quant à l’intégrité des fonctions rénales et cardiaques. L’usage concomitant d’un diurétique est absolument proscrit ; - une attention particulière doit être apportée aux fluides : 2 litres de boissons par jour et le monitoring sanguin doit être renforcé en cas de vomissement, de diarrhée ou de sudation (les canicules !) ; - à l’équilibre thymique, les lithiémies ont tendance chez les P.A. à être légèrement plus élevées sans doute du fait de la diminution du volume total de l’eau ; - il est également acquis que des signes objectifs d’atrophie cérébrale même “débutante” sont des facteurs d’exclusion d’une lithiumthérapie. Par contre, l’arrêt d’une lithiumthérapie (avec ou sans passage à un autre stabilisateur) ou au contraire, l’adjonction éventuelle d’un antipsychotique “atypique” (risperdone ou olanzapine, par exemple) relèvent exclusivement de la compétence d’un praticien expérimenté et justifient même souvent une (brève) hospitalisation. Les médecins disposent depuis quelques années d’antidépresseurs qui à l’inhibition de la recapture de la sérotonine (ISRS) ajoutent celle - et elle est alors qualifiée de “puissante”- de la recapture de la noradrénaline (INSRS) : ce sont par exemple la venlafaxine, la réboxétine et la mirtazapine. Cette dernière propriété pharmacologique est sans doute responsable d’effets secondaires particulièrement pénibles en clinique gériatrique : états d’agitation et insomnies d’endormissement difficiles à supporter par l’entourage familial et qui induisent paradoxalement l’adjonction d’un “sédatif” ! De surcroît, les possibilités d’association(s) médicamenteuse(s) - la polymédication de P.A. est parfois incontournable - n’ont semble-t-il encore été étudiées qu’avec d’autres psychotropes ou des antihypertenseurs et ceci au seul plan de la tolérance clinique. “Aucune étude d’interaction médicamenteuse pharmacocinétique spécifique n’a été entreprise” (Lacante, souligné par nous). La courte demi-vie de la réboxétine expose les patients à un risque de syndrome de sevrage en cas d’arrêt brutal du traitement. Par contre, la forme à libération prolongée de la venlafaxine n’a été étudiée que par un seul auteur qui, en dépit d’une clairance plasmatique réduite de 20 %, estime que cela ne requiert généralement pas d’adaptation de la dose. Pour la mirtazapine, les études seraient en cours... Ces considérations imposent donc la plus grande prudence dans la prescription gériatrique de ces nouvelles substances. La sismothérapie Des controverses identiques ont concerné le recours aux électrochocs (E.C.T.). Des contre-indications existent, essentiellement cardiovasculaires et d’atrophie cérébrale : elles ne sont pas en relation directe avec l’âge. Des effets indésirables existent également (troubles mnésiques, confusion) généralement transitoires et dont témoignent les précautions prises par ceux qui les pratiquent (E.C.T. unilatéraux, prescription préalable et concomitante de nootropes...). 268 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR D. Les conclusions Le recours correct aux médicaments antidépresseurs ne peut s’imaginer sans un support psychothérapeutique minimal : un médicament, aussi judicieux en soit le choix, ne restitue pas les bons objets d’investissement ! Un code de bonne prescription suppose en outre le respect de quelques règles : - savoir reconnaître la dépression, c’est-à-dire avoir la volonté de la débusquer et s’imposer un travail de sémiologie adaptée à la P.A., - avant de traiter, bien la définir dans sa symptomatologie et l’inscrire dans l’histoire personnelle du patient, - parallèlement, traquer les troubles somatiques, soigner une dépression chez un vieillard, c’est aussi tester nos connaissances en médecine physique et sans doute, est-ce alors que l’on est pleinement médecin, - cet abord clinique est d’autant plus impérieux que les tests biologiques, non standardisés en gériatrie, sont sans intérêt dans le diagnostic différentiel et qu’une lésion cérébrale (une atrophie, par exemple) même bien documentée n’exclut pas une dépression ni son traitement. Traiter, oser traiter même dans le doute. Il est admis actuellement que devant un diagnostic incertain (une pseudodémence supposée, par exemple), les effets secondaires éventuels d’un traitement incisif sont préférables à une condamnation à la démence. Et traiter, c’est souvent commencer par un sevrage et en tout cas éviter la polythérapie ! Combien de temps faut-il traiter ? Les avis divergent, mais on se souviendra que 20 % des déprimés âgés rechutent dans les six mois de l’arrêt du traitement et que plus la dépression survient tard dans la vie, plus les risques de rechutes sont grands. Dans la même perspective, l’étude Old Age Depression Interest Group a montré que sur 2,5 ans, la probabilité de rester en bonne santé (thymique) est 2,5 fois plus grande chez les P.A. qui reçoivent un antidépresseur (et ajouterons-nous, c’est sans doute aussi incidemment dire l’importance du contact avec le médecin-prescripteur du dit antidépresseur !). C’est dire que la période de vulnérabilité, classiquement décrite au cours d’un traitement anti-dépresseur et après obtention d’un effet thérapeutique, est sensiblement plus longue chez la P.A. qui doit être assimilée à une personne à risque (notion de fragilité). “Rien n’est plus doux à l’âme que de rendre une âme moins triste” Verlaine 269 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Le delirium J. Godderis · · · · Un trouble psycho-organique très fréquent surtout chez les personnes âgées en hospitalisation aiguë Renvoie presque toujours à un problème somatique aigu ou à l’administration (ou l’arrêt) brutale de médicaments. Le diagnostic se pose de manière clinique. Un des principaux symptômes est le trouble de l’attention. Pour le delirium, il n’existe aucun test de laboratoire ou psychologique fiable. Le diagnostic différentiel avec la démence repose sur des différences dans le tableau clinique (fonctions d’attention) et sur l’évolution. A. Définition et épidémiologie Le delirium est un trouble psycho-organique aigu et en principe réversible qui peut survenir sous l’influence de conditions matérielles diverses (affection somatique, médicaments…), mais aussi être la conséquence d’un stress de longue durée, lorsque le patient se trouve déjà dans un équilibre biopsychologique très instable. Quoique le delirium soit un trouble psycho-organique très fréquent, il existe peu d’études de qualité concernant sa prévalence et/ou son incidence. Néanmoins, on peut observer que parmi les personnes âgées hospitalisées, au moins une sur quatre présentera du delirium à un moment donné au cours de son séjour à l’hôpital. Il est important de reconnaître cet état; en effet, le delirium peut parfois suivre un cours défavorable (entre 15 et 40% des cas seront associés à une évolution fatale dans le mois qui suit). B. Delirium, démence ou “confusion” ? Les tableaux cliniques du delirium et de la démence (avec laquelle on confond souvent ce syndrome) souffrent encore de l’emploi sémantique incohérent qui est fait de ces deux termes. De fait, les profanes, mais aussi certains médecins, utilisent volontiers les termes “confus” et “confusion” pour recouvrir les deux syndromes. Bien souvent, on ne sait pas avec certitude s’il faut utiliser ces termes au niveau du diagnostic, c.-à-d. en tant que catégories de classification (“il ou elle présente un syndrome de confusion”) ou s’il faut les utiliser comme des termes purement descriptifs (“il ou elle souffre d’une démence caractérisée par une confusion sévère”). Chacun semble savoir ce qu’on entend précisément par “confusion”, et pourtant, il s’avère que personne ne le sait en réalité. Il y a presque autant de définitions de la “confusion” que de professionnels de la santé qui en parlent. Si les mots doivent avoir un sens permettant de véhiculer des significations univoques, le terme “confusion”, du moins dans un contexte médical, n’y réussit pas vraiment et provoque une grande “confusion”. Simpson a diffusé en 1984 un rapport concernant une enquête par questionnaire dans laquelle on demandait à 274 médecins et membres du personnel paramédical de choisir, dans une liste, les symptômes ou problèmes qui leur semblaient caractéristiques d’un état confusionnel. Simpson a mis en évidence une grande variation dans les symptômes et problèmes choisis, lesquels allaient des troubles de l’orientation aux difficultés de concentration, en passant par les troubles de la mémoire immédiate, la régression sur le plan cognitif, l’angoisse, la nervosité et/ou les symptômes psychotiques. Il concluait avec raison que ce terme n’était pas à utiliser dans la pratique clinique, à moins d’être employé à des fins opérationnelles. D’autres continuent néanmoins à utiliser le terme “confusion” parce qu’il “évoque de manière simple un problème important, auquel sont confrontés les patients comme les prestataires de soins. Son emploi lors d’une évaluation initiale permet d’éviter volontairement de qualifier prématurément cet état clinique de démence (qui a souvent la connotation d’irréversibilité) ou de delirium (qui suggère la réversibilité) à un moment où il est encore difficile de 270 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR choisir une dénomination non équivoque et où celle-ci risquerait probablement de trop résulter de préjugés lors du diagnostic chez les personnes âgées.” On peut souscrire sans difficulté à cette dernière constatation, c.-à-d. qu’il est difficile de diagnostiquer ces symptômes chez une personne âgée (surtout dans ce qu’on appelle les formes frustes ou oligosymptomatiques), où l’on reconnaît les recommandations du grand médecin et psychiatre néerlandais H.C. Rümke, selon qui il n’est possible d’arriver qu’à des interprétations plus ou moins correctes et souvent transitoires de l’état d’un patient, lesquelles peuvent ensuite être revues à mesure que l’on obtient des éléments de réinterprétation. Néanmoins, cette observation (où transparaît une peur des “étiquettes”) est problématique pour plusieurs raisons. La confusion de la pensée (évidemment reflétée dans une confusion au niveau de la question de ce qu’il convient de faire !) n’en est pas supprimée pour autant. En réalité, il est impératif d’établir un diagnostic correctement différencié le plus rapidement possible. Les actions et le pronostic du clinicien en dépendent. Il est d’ailleurs possible, la plupart du temps, de différencier rapidement deux syndromes bien définis : démence et delirium, même s’il faut tenir compte d’un certain recouvrement symptomatologique, trompeur lors d’un premier coup d’œil rapide. C. Recouvrement symptomatologique De fait, on peut observer, aussi bien chez le patient présentant un delirium que chez le patient dément, un grand nombre de troubles : fébrilité, agitation, désinhibition, tics vocaux et apathie; troubles cognitifs tels que des troubles de la mémoire, de l’orientation et des facultés d’abstraction; troubles non cognitifs tels que des troubles de la perception (c.-à-d. hallucinations ou erreurs dans la reconnaissance des personnes); troubles de l’humeur et de l’affect, voire parfois du delirium paranoïaque floconneux (tableau 1). Tableau 1 Symptômes du delirium et de la démence Troubles du comportement · · · · · Fébrilité Agitation Désinhibition Tics vocaux Apathie Troubles cognitifs · · · · Troubles de la mémoire Troubles de l’orientation Troubles de la faculté d’abstraction Troubles de l’idéation Troubles non-cognitifs · Troubles de la perception (hallucinations, fausses identifications) Troubles de l’humeur et de l’affect (humeur dépressive, anxiété) Labilité émotionnelle · · En outre, les deux syndromes peuvent coexister, du moins en principe : un pourcentage non négligeable de patients souffrant de démence (40% selon certaines études) présentent, à leur arrivée dans un hôpital général, un tableau clinique de delirium. Inversement, 25% des patients présentant du delirium présentent aussi de la démence. D. Les causes du delirium et de la démence Tout ceci ne simplifie pas les choses. Il n’en reste pas moins important de bien séparer les deux syndromes (dans leur forme prototypique). En effet, un delirium implique pratiquement toujours la présence d’une affection somatique subaiguë à aiguë (de localisation intracérébrale ou, plus fréquemment encore, extracérébrale) qui compromet de manière soudaine et souvent brutale les processus homéostasiques déjà précaires du patient (tableau 2). 271 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Tableau 2 Causes les plus fréquentes Delirium · · · · · · · · · Infections aiguës (intra- ou extracrâniennes) Trouble physiologique ou métabolique Décompensation cardiaque Infarctus du myocarde Accident vasculaire cérébral Traumatisme cérébral Tumeur au cerveau Intoxication médicamenteuse, empoisonnement Arrêt brusque d’une médication Démence · · · · · · · Maladie d’Alzheimer Démence vasculaire Atrophie lobaire focale (maladie de Pick) Maladie de Parkinson Affection corticale diffuse avec corps de Lewy Maladie de Huntington Démence frontale E. Diagnostic Présentation clinique du delirium La symptomatologie (c.-à-d. le tableau psychiatrique) du delirium est caractérisée par de très nombreux symptômes présents pendant la journée de manière plus ou moins marquée, mais dont l’intensité, en général, augmente la nuit. Les symptômes constitutifs du diagnostic sont des fluctuations très nettes dans les fonctions d’attention tonique et/ ou d’attention sélective (y compris une incapacité à mobiliser cet aspect de l’attention sur une période relativement longue). Ces symptômes, qui sont un peu plus importants que les autres symptômes du delirium, doivent dès lors faire l’objet de recherches actives (tableau 3). En outre, ils sont absents en cas de démence (à moins que la démence ne se complique d’un delirium). Tableau 3 Le delirium – tableau psychiatrique Troubles De l’attention tonique De l’attention sélective Symptômes du premier rang Du rythme du sommeil et de l’éveil De la mémoire De l’orientation Temps, lieux, personnes De la perception Pareidolies IIlusions Hallucinations De l’activité psychomotrice Hyperactivité Hypoactivité De la parole et du cheminement des pensées De l’humeur et de l’affect Anxiété, dépression Agressivité 272 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Fonction d’attention tonique Chez le patient présentant un delirium, les fluctuations de la fonction d’attention tonique sont typiques, ce que Mesulam appelait la fonction “matrice” de l’attention (tableau 4). Cet aspect de l’attention (on pourrait dire aussi “conscience”) sous-entend la vigilance (alertness) et la faculté de concentration, c.-à-d. deux conditions nécessaires pour un traitement efficace de l’information reçue de l’environnement. Presque tous les stades intermédiaires peuvent être observés entre la lucidité à l’état pur (pondération) et l’état comateux, depuis un léger obscurcissement (ou hébétude) et une somnolence profonde et croissante (sive sopor) jusqu’au précoma ou au coma. Dans ce dernier cas, la scène de la conscience (pour reprendre l’image de Jaspers) est pour ainsi dire de moins en moins éclairée, et finit par rester dans l’obscurité totale. Tableau 4 Attention tonique - fonction matrice · Vigilance de l’esprit (“alertness”) · Faculté de concentration Intérêt d’un traitement efficace de l’information · Fluctuant · Variable Pondération Hébétude(Obscurcissement) Somnolence Sommeil profond Etat précomateux Coma · Parfois trouble léger Si l’attention tonique est légèrement altérée, le patient réagira de manière lente et inadéquate. Il faut élever la voix, crier le nom du patient, frapper légèrement son épaule ou revenir dans son champ de vision afin de “ressusciter” sa conscience, pour ainsi dire. Le patient semble trouver compliquées des demandes simples; la plupart du temps, il ne les comprend pas bien. L’attention sélective Une fluctuation de l’attention sélective (ce que Mesulam appelle la fonction “vecteur” de l’attention) est probablement, en fonction du temps, le symptôme le plus important dans le delirium (tableau 5). Tableau 5 Attention – fonction vecteur Fonction d’attention sélective (“sélection”) régulation de la direction et de l’objectif de l’attention dans différents “espaces” - extra-personnel - mnémonique - sémantique - viscéral (stimuli internes) “égarement” - être dévié - ne pas pouvoir diriger ses pensées - ne pas pouvoir faire d’opérations tendues vers un but - aucun dialogue possible “fixation” - rester “collé” - ne pas pouvoir passer d’un sujet à l’autre - persévérer 273 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Cet aspect de l’attention concerne la “sélection”. Il règle la direction et le but de l’attention dans les divers espaces pertinents considérés du point de vue du comportement : l’espace extra-personnel (l’espace où se situe le patient à un moment donné), l’espace mnémonique (ou l’espace de son contenu mémoriel), l’espace sémantique et l’espace viscéral (ou espace des stimuli internes issus de divers organes). Bien que ce symptôme fondamental (fluctuation de l’attention sélective), encore plus important que l’éventuel (mais non nécessaire) trouble de l’attention tonique préalable, soit souvent caché par d’autres symptômes plus nets (p.ex. de l’agitation), il ne sera jamais absent à l’examen plus poussé. S’il est observé, il s’agit d’un symptôme de premier rang. Il pèse d’un poids décisif dans le diagnostic du delirium. De fait, par à-coups, le patient délirant paraît vite perdu; en général, il ne parvient pas à diriger son attention vers les stimuli qui lui parviennent de son environnement. Il se trouve dans l’impossibilité apparente de penser de manière dirigée et, en même temps, il ne réussit pas à mener à bien les actes déterminés par un but après les avoir ébauchés. Pour les mêmes raisons, il est impossible de l’impliquer dans une conversation, même brève. Il est sans cesse distrait par quantité de stimuli non pertinents, ou bien il glisse assez vite en dehors de la conversation, dans laquelle il ne peut plus du tout être ramené, ou du moins très difficilement. On l’observe parfois parler de manière pour ainsi dire autonome, mais il apparaît clairement qu’à aucun moment il ne donne une réponse véritable aux questions posées; il donne en outre l’impression que sa notion de la réalité ou sa compréhension de la situation sont fortement altérées. Chez ce patient, aucun dialogue (“Zweigespräch”) ne s’établit, quels que soient les efforts déployés par luimême et par l’expérimentateur. Ceci contraste nettement avec la conversation des patients déments qui (si leurs facultés d’attention ne sont pas altérées, ce qui est généralement le cas) donnent une réponse rapide, et même, en général, une réponse d’un type attendu par l’expérimentateur. Cependant, à l’examen poussé (c.-à-d. en vérifiant les données hétéro-anamnestiques), il s’avère que cette réponse est fausse. Outre cette tendance accrue à dévier, à cause de laquelle il est impossible de diriger l’attention, même sur une brève période, vers des stimuli environnementaux, le “vecteur” de l’attention chez les patients en état confusionnel aigu peut rester fixé sur un stimulus déterminé. Dès lors, la syntonisation souple sur de nouveaux stimuli extérieurs n’est plus possible. Le patient reste pour ainsi dire collé sur des thèmes ou des stimuli déterminés; il persévère éventuellement et il apparaît alors que ses pensées se dirigent de manière itérative sur un nombre limité de thèmes ou sur un stimulus bien déterminé. Il est possible de quantifier l’”attention sélective” et la concentration (faculté de fixer cet aspect de la fonction d’attention sur des stimuli déterminés sur une période un peu plus longue) grâce à des tests comme le “digit repetition test” (test de répétition de chiffres), le “Random Letter test” (consistant à frapper sur la table avec un crayon lors de la présentation d’une lettre cible déterminée), le “serial substraction of sevens test” (soustraction séquentielle du chiffre 7, en commençant à 100), la déclamation du nom des mois de l’année en ordre inverse, la demande d’énumérer des mots commençant par une lettre donnée (p. ex. le B) ou appartenant à une catégorie sémantique particulière (p. ex. animaux, fruits, etc.). Rythme veille-sommeil Il existe encore d’autres symptômes, mais qui ne sont pas constitutifs du diagnostic de delirium. Il s’agit des troubles du rythme veille-sommeil (caractérisés par la somnolence et l’inactivité dans la journée et un réveil vers le soir, associé à de l’agitation et de l’hyperactivité). Ces symptômes ne sont pas spécifiques. Comme on le sait, il n’est pas rare de les observer également chez les patients atteints de démence. Mémoire On constate aussi, en cas de delirium, des troubles de la mémoire. Au contraire de ce que l’on observe dans la démence, ils doivent être interprétés comme des troubles secondaires. Il s’agit d’une conséquence directe de troubles primaires préalables de l’attention et/ou de la concentration. Le déficit de l’attention portée sur les stimuli environnementaux ou, autrement dit, l’inaptitude à sélectionner les plus pertinents parmi les stimuli qui se présentent, issus des divers espaces internes et externes, a pour conséquence que le patient éprouve d’autant plus de difficultés à bien mémoriser des informations nouvelles, à bien les conserver ensuite, et à bien pouvoir les reproduire. Chez un patient atteint de delirium, il est difficile, sinon impossible, de circonscrire de manière différenciée les troubles de la mémoire. Quand le delirium s’est dissipé, on constate le plus souvent une amnésie partielle ou même complète pour l’épisode en question. Tout se passe comme si les stimuli reçus par le patient au cours de cette période n’avaient laissé sur lui aucune trace. 274 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Orientation En cas de delirium, d’autres troubles peuvent encore constituer des symptômes notables : il s’agit des troubles de l’orientation dans le temps et, éventuellement, dans l’espace, ou entre les personnes, ou même d’une double orientation et/ou désorientation géographique (où le patient sait qu’il se trouve, p. ex., à l’hôpital mais en même temps, il est persuadé de faire un séjour dans un petit sous-département de cet hôpital, tout près de sa maison). Ces troubles (de même que les troubles de la mémoire) doivent être attribués à des troubles fondamentaux de l’attention. Perception On constate fréquemment la présence de troubles de la perception, tels que de véritables expériences hallucinatoires (essentiellement visuelles) mais les pareidolies et les illusions (p. ex. l’impression fugace qu’un manteau qui pend derrière une porte est une personne qui se tient là avec une attitude menaçante) sont également fréquentes, au contraire de ce que l’on peut constater en cas de démence. Il est important de noter que ces troubles peuvent être présents de manière très changeante d’un moment à l’autre. Dans ce cas, l’aspect matrice de l’attention n’est pas nécessairement altéré, mais c’est comme si la fonction vecteur correspondante se déplaçait, de manière fluctuante et très chaotique, voire kaléidoscopique, sous l’influence d’un bruit de fond nerveux préalable et de l’affect concomitant (p. ex. l’angoisse ou l’affolement). L’activité psychomotrice On constate la plupart du temps aussi un certain degré d’agitation et d’agitation motrice. Pourtant, on peut aussi observer de l’hypoactivité, à savoir de l’apathie et de l’akinésie, surtout à mesure que le delirium s’aggrave. Cela peut même aller jusqu’à un négativisme locomoteur extrême et quasi catatonique, ou à la stupeur. Dans de tels cas de delirium silencieux, le patient présente une apparente absence de réaction aux stimuli. Il se tait et reste immobile, paralysé ou raide dans son lit, pour ainsi dire soudainement figé dans tous ses mouvements. De fait, stupeur vient du verbe latin stupere, signifiant “s’arrêter brusquement dans ses mouvements”. Souvent, le patient est couché avec les yeux ouverts, parfois avec un regard un peu atone et difficile à sonder; d’autres fois, le regard est plus extraverti mais toujours fixe et anxieux. Il n’est pas toujours facile, sur base de l’examen du regard, de faire la différence entre ces patients et les patients déments calmement alités. La parole et le cheminement de la pensée Les patients atteints de delirium ont souvent aussi un flux de pensées et un langage incohérents. Dans les premières phases du delirium, le patient a du mal à ordonner ses pensées. Il ne parvient plus à relier les pensées, en perd facilement le fil, rate l’essentiel d’un exposé et ne peut distinguer l’important de l’accessoire. Il saute de manière inattendue d’un sujet à l’autre et parle parfois de manière franchement incohérente, surtout quand le delirium s’aggrave. Des idées ou des contenus de pensées morcelés et fugaces hantent alors son esprit. Le patient éprouve alors plus de difficultés non seulement pour structurer la réalité mais aussi pour ordonner ses expériences intérieures. Il éprouve beaucoup de peine à faire la différence entre ses expériences et ses souvenirs d’une part, et d’autre part, ce qui se déroule dans le monde extérieur, sur lequel il n’a plus prise. L’humeur et l’affect Enfin, il faut encore signaler les troubles de l’humeur et de l’affect, qui peuvent aller de l’euphorie à la dépression. On observe aussi très souvent de la stupeur accompagnée d’apathie et d’indifférence (paisible). Tout aussi fréquente est la labilité de l’affect : le patient devient brusquement anxieux, courroucé ou agressif, p. ex. dans le cadre d’un delirium paranoïaque peu systématisé et effiloché, qui se tisse autour du trouble de la perception préalable. (La fausse identification du manteau derrière la porte comme une personne menaçante peut s’incorporer dans une idée délirante que toute personne qui s’approche fait partie d’une sinistre conjuration). F. Diagnostic différentiel avec la démence Le tableau du delirium est donc beaucoup plus pléiomorphe et kaléidoscopique que dans le syndrome de démence. Ce dernier (s’il ne se complique pas d’un delirium concomitant) se caractérise par le développement et l’aggravation progressifs de troubles de la mémoire (d’une diminution primaire de l’aptitude à apprendre de nouvelles informations ou à se souvenir d’informations apprises au préalable); il s’associe éventuellement (mais pas nécessairement) et dans une mesure variable, à des troubles cognitifs, tels que des troubles phatiques, pratiques et gnostiques ou à des 275 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR troubles des fonctions d’exécution (faire des plans, organiser, faire des déductions logiques, des abstractions). Cependant, les fonctions d’attention sont bien conservées. G. Evolution du delirium La démence et le delirium divergent également du point de vue de leur évolution. Le tableau clinique du delirium commence le plus souvent de manière aiguë ou subaiguë (en quelques heures ou en quelques jours). Le delirium apparaît plus souvent comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, quoiqu’on observe parfois une phase annonciatrice caractérisée par un syndrome émotionnel ou neurasthénique. Sur ce point, le delirium s’oppose donc à la démence (tableau 6). Il est clair que certaines démences peuvent connaître une installation aiguë, p. ex. celles qui sont liées à un traumatisme cérébral, à une attaque ou à une intoxication par le monoxyde de carbone. Mais les démences dégénératives se caractérisent par un début insidieux et une évolution progressive. Tableau 6 Différences entre delirium et démence Delirium Démence Attention troublée intacte Illusions et hallucinations fréquentes rares Cycle d’éveil et de sommeil le plus souvent troublé souvent normal Symptômes somatiques/végétatifs très présents rarement proéminents Installation brusque lente et progressive Evolution capricieuse constante Durée la plupart du temps quelques jours, présent de manière prolongée parfois quelques semaines, (années) rarement plus d’un mois Dans la plupart des cas, la durée du delirium – en dépit du caractère souvent criant de la symptomatologie – est assez courte, à condition que le problème de base soit traité rapidement. En l’absence de complications, le patient traité de manière adéquate évolue rapidement vers un retour à la normale, bien que certains symptômes (p. ex. les troubles de la mémoire, comme on l’a montré dans plusieurs essais récents) aient un caractère moins passager que d’autres. Dans des cas plutôt rares, il peut même subsister, de manière nette, un psychosyndrome organique résiduel avec évolution prolongée (p. ex. une démence). Cette évolution dépend fortement de la cause et des lésions occasionnées. Des deliriums découlant d’une hypoxie cérébrale marquée pendant la chirurgie hypotensive ou d’un arrêt cardiaque soudain peuvent parfois se poursuivre sous la forme de démences, de même qu’un syndrome amnestique de Korsakoff peut succéder à une encéphalopathie aiguë de Wernicke (c.-à-d. la combinaison d’un delirium le plus souvent silencieux, d’une ataxie et d’un trouble de la motilité oculaire). Enfin, les divers troubles cognitifs dans le cadre du delirium ont le plus souvent un caractère fluctuant et kaléidoscopique : les moments de lucidité alternent avec les épisodes de confusion. Bien que le delirium soit en principe un état réversible, le pronostic est souvent mauvais, surtout quand les causes sous-jacentes ne sont pas diagnostiquées et traitées à temps, ou dans les cas où le patient refuse de boire et de s’alimenter. Bien qu’il puisse exister, entre la démence et le delirium, des différences évidentes en ce qui concerne le tableau clinique et l’évolution, il n’est pas toujours facile de distinguer ces deux syndromes, surtout quand on se base sur une observation à un moment précis. Evidemment, des difficultés se font jour quand le tableau confusionnel n’est pas manifeste. En outre, il ne faut pas perdre de vue qu’un delirium se superpose assez fréquemment à un syndrome de démence. Il faut en tenir compte quand il existe des éléments suggérant une anamnèse de retard cognitif chez le patient avant l’apparition du changement aigu de comportement; une détérioration subite de l’état du patient dément (surtout quand aucun élément, ou des éléments peu nombreux, ne suggère l’existence d’une démence vasculaire) doit également faire penser à la possibilité de l’apparition d’un delirium concomitant. C’est aussi le cas 276 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR quand s’installe très rapidement un état de léthargie ou de stupeur. Des examens techniques aident à poser le diagnostic clinique ou différentiel (à l’exception peut-être de l’EEG). Ils permettent souvent d’identifier le facteur causal sous-jacent. H. Aspects pathophysiologiques communs du delirium et de la démence Le fait que les deliriums puissent apparaître si rapidement chez les patients déments alors que les facteurs déclenchants ne sont que modérés, ou qu’ils puissent même se produire “spontanément” dans le cadre d’une maladie d’Alzheimer évoluant rapidement, évoque la possibilité de l’existence de certains mécanismes pathogénétiques communs à la maladie d’Alzheimer et au delirium. Cependant, on se perd encore en conjectures à ce sujet. On pense que le delirium est la conséquence d’une diminution du métabolisme cérébral, allant de pair avec une diminution de la synthèse des neurotransmetteurs, entre autres de l’acétylcholine (c’est aussi et surtout ce médiateur chimique qui semble faire défaut en cas de maladie d’Alzheimer). Il semblerait en outre que des médiateurs inflammatoires, tels que l’interleukine 1, jouent un rôle dans le développement d’un delirium. Ils pourraient constituer un maillon de la chaîne pathogénétique, entre les infections extracérébrales et le delirium qui se produit fréquemment dans ce cas; mais les inclusions amyloïdes, typiques de la maladie d’Alzheimer, présentent également les caractéristiques d’une inflammation chronique. Celles-ci comportent différentes protéines de la phase aiguë. Ceci pourrait vraisemblablement expliquer l’observation clinique selon laquelle les patients déments présentent souvent des épisodes confusionnels : en plus de la lésion cérébrale, la réaction de la phase aiguë pourrait être un facteur prédisposant spécifique. I. Delirium : l’approche thérapeutique Le traitement du delirium est d’abord un traitement des causes (p. ex. une antibiothérapie en cas d’infection aiguë, la correction de troubles métaboliques, etc.). Il faut toujours être attentif à l’état général (nutrition, bilan hydrique) du patient, surtout chez les patients âgés vivant seuls (négligence personnelle!). La sédation pharmacologique (parfois une condition sine qua non afin de pouvoir mener à bien les recherches cliniques et diagnostiques nécessaires) et la sécurisation psychique (donner des explications, permettre les contacts avec la famille…) sont évidemment des mesures importantes (tableau 7). Tableau 7 Le delirium – principes thérapeutiques Causal Optimalisation de l’état général bilan hydrique nutrition,… Symptomatique sédation : médicaments sécurisation : approche psychologique · donner des informations - soutien émotionnel - réorientation · optimalisation de l’environnement - sensoriel - social Quand une sédation rapide est nécessaire chez un patient présentant un delirium et de l’agitation, on fera appel de préférence à un antipsychotique ou à un neuroleptique. Tous les agents appartenant au groupe des butyrophénones (halopéridol), pipampérone, dropéridol comme aux groupe des phénothiazines (chlorpromazine), thioridazine chlorhydrate, lévomépromazine, etc.) sont comparables du point de vue de l’efficacité. Dans le domaine des effets secondaires potentiels, il existe cependant de nettes différences entre ces produits. Les effets secondaires sont déterminés par l’affinité de ces substances pour certains récepteurs centraux et périphériques. Ainsi, des substances comme la thioridazine, du sous-groupe des phénothiazines, exerceront un blocage des récepteurs cholinergiques tant centraux que périphériques, ce qui donnera lieu, respectivement, à une aggravation 277 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR du delirium et un risque accru de glaucome et de rétention urinaire. Ensuite, par leur liaison au récepteur H1, ces substances augmenteront la somnolence, ce qui détériorera plus encore la vigilance. Leur liaison aux récepteurs a1adrénergiques peut encore, entre autres, provoquer une hypotension (orthostatisme). De ce qui précède, on peut conclure qu’au moment de choisir un neuroleptique, il faudra accorder la préférence au groupe des butyrophénones, plutôt qu’au groupe des phénothiazines, ou à des substances comme la rispéridone ou l’olanzapine, qui appartiennent au groupe récent des neuroleptiques atypiques, et dont l’activité anti-agressive a bien été documentée récemment (tableau 8) ! Tableau 8 Le delirium – pharmacothérapie Neuroleptiques halopéridol < = > thioridazine pipampérone, clotiapine Alternatives clométhiazole trazodone citalopram sertraline carbamazépine Quand l’emploi d’un antipsychotique ne donne pas le résultat escompté, ou quand l’emploi de ces substances est contre-indiqué (p. ex. chez un patient atteint de la maladie de Parkinson), on peut avoir recours à d’autres médicaments, tels que le clométhiazole, la trazodone, la sertraline, le citalopram ou la carbamazépine (tableau 9). Tableau 9 Le delirium – pharmacothérapie Traitement rapide d’une agitation grave halopéridol 2,5 à 5 mg IM prendre garde aux troubles extrapyramidaux rispéridone 1 à 1,5 mg P.O. Traitement d’entretien de l’agitation pipampérone 20 à 120 mg par jour (2 x) halopéridol 0,5 à 4 mg/jour (2 x) zuclopenthixol 2 à 10 mg/jour (1 à 2 x) rispéridone 0,5 à 1 mg/jour (la nuit) Traitement de l’agitation nocturne pipampérone 20 à 40 mg la nuit clométhiazole 192 à 384 mg la nuit clotiapine 10 à 40 mg la nuit, prendre garde à l’orthostatisme ! Alternatives aux antipsychotiques carbamazépine 200 à 800 mg (3 à 4 x) prendre garde à la leucopénie et aux exanthèmes trazodone chlorhydrate 50 à 200 mg/jour (2 à 3 x) (1 x la nuit) citalopram bromhydrate 20 à 40 mg/jour (2 x) sertraline 50 à 100 mg/jour (2 x) Aspects du traitement et de la prévention · Le but principal du traitement est de corriger ou de supprimer le facteur causal sousjacent. · Il faut en outre garder à l’esprit les points suivants : donner des informations au patient une chambre d’hôpital bien éclairée et calme, avec des points de repère (réveil, calendrier, photos de membres de la famille…) polarisation de la surveillance et des soins sur un même membre du personnel. · Limiter le plus possible les médicaments pour un trouble comportemental (choisir de manière judicieuse). · Chez les patients à risque (grand âge, démence…), prendre garde au changement de l’état somatique et à l’administration trop rapide (ou l’arrêt trop rapide) de certains médicaments. 278 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Alcoolisme et abus de tranquillisants J.-C. Leners A. Alcoolisme chez le sujet âgé 1. Epidémiologie Une étude anglaise de Iliffe (1990), effectuée par des médecins généralistes, présente les données suivantes concernant la consommation d’alcool (tableau 1): Tableau 1 Consommation d’alcool hommes femmes de façon occasionnelle 58% 81% de façon modérée 1 à 21 verres/ semaine pour les hommes 1 à 14 verres/ semaine pour les femmes 39% 15% de façon excessive > 21 verres/ semaine pour les hommes > 14 verres/ semaine pour les femmes 4% 3% Aux Etats-Unis, Schuckit estime que le nombre de malades alcooliques âgés (plus de 60 ans) est de 5 à 10% pour les hommes et de 3 à 5% pour les femmes. Pour Oslin {1997} 29% des résidents en maison de soins auraient un problème d’alcool. Une recherche épidémiologique récente de Johnson {2000} montre en détail la prévalence de l’alcoolisme chez les sujets âgés (tableau 2) : 2. L’influence de l’alcool chez le sujet âgé Pour quatre raisons, les personnes âgées sont plus exposées aux effets néfastes de l’alcool : · A cause d’un volume de distribution plus petit (moins d’eau), une quantité moindre d’alcool produit les mêmes effets chez le sujet âgé qu’une plus grande quantité chez le sujet jeune. · La présence fréquente d’autres maladies augmente les risques néfastes chez le sujet vieillissant. · Le système nerveux central vieillissant semble beaucoup plus sensible aux effets de l’alcool (surtout en ce qui concerne les effets sur les troubles de la mémoire !). Les autres troubles cognitifs liés à une alcoolisation chronique sont les suivants : baisse de la concentration, de l’attention et des capacités d’abstraction et diminution de la capacité d’adaptation. · La dépendance à l’alcool est en partie due à une diminution de l’activité GABAergique corrélée à une augmentation du nombre des récepteurs aux benzodiazépines (BZD). 3. Conséquences de l’alcool L’abus d’alcool chez le sujet âgé peut entraîner des situations très spécifiques, qu’il faut savoir reconnaître : Conduite d’un véhicule Même de petites quantités d’alcool peuvent rendre la conduite très dangereuse, à cause des effets plus prononcés sur le temps de réaction et sur la vision. Les fonctions cognitives L’abus d’alcool, chez le sujet âgé, peut simuler un processus démentiel débutant, à cause des effets sur la mémoire et l’orientation. Certains auteurs affirment même que l’alcool peut influencer de façon négative l’apparition d’une démence. 279 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Tableau 2 Définition de la consommation problématique Auteur Pré-valence Commentaires Abus d’alcool ou alcoolodépendance (critères du DSM-III) Adams and Cox (1995) 2-4% Chiffres provenant d’un résumé de l’article. La prévalence citée de la consommation problématique est une estimation basée sur plusieurs études. Consommation problématique (diverses définitions) Adams and Cox (1995) 10% Bien que des taux jusqu’à 20% soient rapportés, les auteurs critiquent ces études pour l’utilisation de définitions floues ou leur application à des populations non représentatives. Alcoolisme (CAGE positif ) Callahan and Tierney (1995) 10,5% 3954 sujets (60 ans et plus; 31% d’hommes) en soins primaires. Abus d’alcool (CAGE positif ) Adams et al. (1966) 9% d’hommes 5065 sujets (60 ans et plus; 44% d’hommes) en 3% de femmes soins primaires ont rempli un questionnaire quantité-fréquence et le CAGE. Alcoolisme, abus d’alcool ou consommation problématique (définitions non spécifiées pour ces chiffres) American Medical Ass. (1996) 2-10% Ce rapport cite des chiffres d’une étude antérieure. Consommation quotidienne (données quantité-fréquence) Graham et al. (1966b) 16% 826 sujets (65 ans et plus; 35% d’hommes); échantillon ambulatoire. Interrogés à domicile. Abus d’alcool (définitions non spécifiées pour ces chiffres) Gambert (1997) 3-15% Un article faisant référence à des recherches antérieures. Problèmes d’alcool (diverses définitions) Lakhani (1997) 5,1% (moyenne) Méta-analyse d’études ambulatoires. Consommation excessive (plus de 13 verres par semaine) Sangwan et al. (1997) 17% hommes 2% femmes Alcoolisme (définition non spécifiée) Fleischmann et al. (1998) 9,9% plus de 55 ans 114 sujets d’un échantillon de 1153 alcooliques hospitalisés étaient âgés de 55 ans et plus (81% des cas étaient des hommes). Consommation excessive (CAGE positif ) Friedmann et al. (1998) 11% 792 sujets (65 ans et plus); échantillon du service des urgences. 26% 154 sujets (50 ans et plus); échantillon de maison de repos. Les auteurs ont construit des critères de problèmes d’alcool à vie ‘probables’ ou ‘possibles’. 1. Études ambulatoires 3448 sujets (65 ans et plus); échantillon ambulatoire. 2. Études en maisons de repos Problème de boisson actif (étude structurée, voir commentaires) Joseph et al. (1995) Consommation problématique à vie Joseph et al. (1955) 45,5% Les données ont été recueillies en utilisant un concept de revue rétrospective des notes. Alcoolisme (définition non spécifiée) Goldstein et al. (1996) 11% Voir commentaires ci-dessus à propos du même article. La prévalence citée se réfère à un échantillon de maison de repos. Abus d’alcool à vie (interrogatoire clinique structuré d’après le DSM-III-R) Hermann and Eryavec (1996) 53% 62 sujets (66-90 ans, 100% vétérans masculins de la 2e guerre mondiale); échantillon provenant d’une institution de soins à long terme. Les résidents intacts sur le plan de la cognition étaient testés par le “Structured Clinical Interview” du DSM-III-R, (SCID) Abus d’alcool courant (interrogatoire clinique structuré d’après le DSM-III-R) Herrmann and Eryavec 8% (1996) Les consommateurs excessifs avaient des expériences de combat significativement plus intenses. Abus d’alcool à vie (critères du DSM-III) Oslin et al. (1997) 160 sujets (âge moyen 74 ans, 98% hommes); échantillon de maison de repos. Interrogés selon le “Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia” modifié. Des antécédents d’alcool existaient chez 110 sujets. 29% (DSM : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) (CAGE : C= Cut down, A= Annoy, G= Guilty, E= Eye opener) 280 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR (Dans certains endroits du cerveau, la perte des récepteurs muscariniques était plus marquée chez les sujets déments ayant eu une histoire d’alcoolisation dans leur passé que chez des sujets déments non alcooliques). En générale, selon Saunders {1991}, l’abus d’alcool fait quintupler le risque d’une pathologie psychiatrique ! L’alcool et les médicaments L’association d’alcool et de médicaments peut entraîner des effets secondaires plus importants, à cause d’une élimination moins rapide de certains médicaments (p.ex. héparine, propranolol, benzodiazépines,...) (tableau 3). Tableau 3 Influence de l’âge et de l’alcool sur le métabolisme hépatique de certains médicaments Médicament Effet de l’âge Effet de l’alcool Aspirine clairance normale ou diminuée temps de saignement allongé Anticoagulants effet majoré potentialisation de l’effet Benzodiazépines taux plasmatique augmenté clairance diminuée Antihistaminiques sédation accrue effet potentialisé Cimétidine clairance rénale diminuée alcoolémie augmentée Propranolol clairance légèrement diminuée clairance diminuée Alcool et états dépressifs Au départ, l’alcool peut être pris comme un “médicament antidépresseur” par la personne âgée. Bientôt cependant, les effets négatifs vont réapparaître : troubles du sommeil et troubles de la mémoire. La malnutrition L’alcool a des effets négatifs sur l’alimentation : appétit moindre; malabsorption de vitamines, de fer et de zinc; pertes d’électrolytes (K+ surtout) par la diarrhée et le vomissement. 4. Les caractéristiques de l’alcoolisme chez le sujet vieillissant Il existe une différence selon le sexe : les femmes âgées boivent moins que les hommes âgés : en général 5 fois moins. L’alcoolisme de la femme âgée est moins fréquent et plus discret : elle boit seule, résignée, pratiquement jamais révoltée, mais néanmoins angoissée. Trois types de consommateurs peuvent se rencontrer chez le sujet âgé : a)Les “buveurs par habitude” (early-onsets) continuent à boire, mais souvent plus modérément; ceci pour plusieurs raisons : tolérance moindre ressources moindres état de santé plus précaire tolérance moindre de l’entourage social b)Les “sujets abstinents” qui, dans des situations de stress dues à l’âge, recommencent à boire (ceci concerne surtout les femmes âgées). c)Les “buveurs tardifs” (late-onsets) qui, n’ayant jamais eu de problèmes d’alcool dans la vie, commencent à boire à cause : d’un deuil (le conjoint, un enfant) d’un statut social changeant (retraite) d’une pathologie organique. Pour l’American Medical Association (1996) le pronostic est meilleur pour la catégorie (c) en comparaison avec les « early-onsets » (a). 281 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR 5. Les conséquences physico-psycho-comportementales Au niveau somatique, on retrouve : · une réduction du sommeil (moins de sommeil paradoxal et moins de stades 3 et 4 pour le sommeil lent) · une fréquence accrue des chutes et de leurs complications possibles : hémorragie cérébrale, fracture du col du fémur, ... · des infections plus fréquentes et répondant moins bien au traitement · des états de malnutrition et de maldigestion · de l’hypertension artérielle · des états dépressifs · des crises épileptiques tardives · des états confusionnels · de l’incontinence urinaire, de la diarrhée, voire une négligence de sa propre personne. Au niveau neuropsychique, on constate : · des encéphalopathies plus résistantes au traitement en cas de cirrhose · des syndromes de sevrage plus longs · des états confusionnels, voire · des psychoses alcooliques, ou · l’association avec la maladie d’Alzheimer Au niveau comportemental, on peut être confronté : · au « squalor syndrome », qui est un état de négligence corporelle totale · à des troubles du comportement accompagnés d’agressivité, d’injures verbales, pouvant même aller jusqu’au placement d’office de ces malades. 6. Le diagnostic Il repose sur l’anamnèse, l’hétéroanamnèse, l’examen clinique, les examens complémentaires classiques et sur un questionnaire très bref comprenant quatre questions (CAGE Questionnaire) dont voici les énoncés : N’avez-vous jamais senti le besoin de réduire votre consommation d’alcool ? (= Cut down > C) Est-ce que des gens vous ont agacé en critiquant votre consommation d’alcool ? (= Annoy > A) Est-ce que vous ne vous êtes jamais senti mal à l’aise, voire coupable à cause de votre consommation d’alcool ? (= Guilty > G) N’avez-vous jamais pris un verre d’alcool le matin à jeun pour calmer vos nerfs ou pour vous mettre en forme ? (= Eye opener > E) Toute réponse positive fait soupçonner au clinicien un problème de boisson. Cependant, on a recherché à valider le CAGE chez les personnes âgées. Un questionnaire alternatif bref appelé le TWEAK a été récemment proposé à cet effet. L’acronyme signifie tolérance (Tolerance), inquiétude à propos de la boisson (W = Worry about drinking), petit verre pris au réveil (E = Eye opener), amnésie (Amnesia) et réduction de la boisson (K = Cut down on drinking). Le TWEAK comporte trois questions : Combien de verres faut-il avant que vous commenciez à ressentir les premiers effets de l’alcool ? Combien de verres faut-il avant que l’alcool vous endorme ou vous fasse tomber ivre mort ? Vous arrive-t-il de ne pas vous souvenir de ce que vous avez dit ou fait après avoir bu ? L’autre test largement utilisé est le test de dépistage d’alcoolisme de Michigan (Michigan Alcoholism Screening Test : MAST). Beaucoup de questions du MAST traitent de problèmes et de caractéristiques de l’abus d’alcool, qui ont moins de rapport avec les personnes âgées, tels que les problèmes légaux, la perturbation sociale, les symptômes 282 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR de l’état d’ébriété et de manque et la prise de conscience d’un problème personnel. De ce fait, la version MASTGériatrie (MAST-G) a été récemment introduite et a démontré une excellente sensibilité et une excellente spécificité (tableau 4). Tableau 4 Dépistage de l’Alcoolisme du Michigan Version Gériatrique Michigan Alcoholism Screening Test Geriatric Version (MAST-G) Oui 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. Non Après avoir bu, avez-vous déjà noté une augmentation de votre rythme ? Lorsque vous parlez avec d’autres personnes, est-ce que vous minimisez la quantité de boissons qu’en fait vous prenez ? Est-ce que l’alcool vous fait dormir de sorte que vous vous assoupissez dans votre fauteuil ? Après quelques verres, vous est-il arrivé de ne pas manger ou bien d’être capable de sauter un repas parce que vous n’aviez plus faim ? Le fait de prendre quelques verres vous aide-t-il à diminuer le tremblement des mains ou de tout le corps ? L’alcool fait-il qu’il vous est parfois difficile de vous souvenir de certains événements de la journée ou de la nuit ? Est-ce que vous avez des principes pour vous-même, tels que de ne pas boire avant une certaine heure du jour ou de la nuit ? Avez-vous perdu l’intérêt à certains passe-temps ou à certaines activités qui jadis vous inté ressaient ? Quand vous vous réveillez le matin, avez-vous parfois des difficultés à vous souvenir d’une partie des événements de la nuit précédente ? Le fait de prendre un verre vous aide-t-il à mieux dormir ? Cachez-vous vos bouteilles d’alcool aux membres de votre famille ? Après une réunion ou une rencontre, vous êtes-vous déjà sentis mal parce que vous aviez trop bu ? Avez-vous déjà pris conscience que boire peut être nocif pour votre santé ? Vous arrive-t-il de prendre un dernier verre pour finir la soirée ? Avez-vous remarqué que votre consommation d’alcool avait augmenté, après qu’un de vos proches soit décédé ? En général, préférez-vous prendre quelques verres à la maison plutôt que de sortir pour rencontrer des amis ? Buvez-vous plus maintenant que par le passé ? D’habitude prenez-vous un verre pour vous relaxer ou calmer vos nerfs ? Buvez-vous pour oublier des problèmes qui vous occupent l’esprit ? Avez-vous augmenté votre consommation d’alcool après avoir vécu une perte dans vot re vie ? Vous arrive-t-il de conduire après avoir trop bu ? Est-ce qu’un médecin ou un infirmier/infirmière vous a fait part de son inquiétude ou de sa préoccupation sur votre consommation d’alcool ? Avez-vous déjà des règles personnelles pour prendre en charge le fait de boire ? Quand vous vous sentez seul(e), est-ce que le fait de prendre un verre vous aide ? Score : 5 réponses « oui » ou plus sont le signe d’un problème relatif à l’alcool. 7. Les approches thérapeutiques : Les effets négatifs de l‘encadrement professionnel vis-à-vis des malades alcoolo-dépendants doivent être évités : Le comportement même du malade risque d‘avoir des répercussions sur notre attitude envers le malade, surtout lors du premier contact : retard à la consultation, apparence mal soignée, ivresse légère, etc. Souvent, ce comportement n‘est que le reflet d‘une attitude émotionnelle négative envers une tierce personne : conjoint(e), …. Des programmes de thérapie (trop) bien organisés et structurés jusqu‘au moindre détail (et en outre toujours 283 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR bien intentionnés), risquent également de maintenir la dépendance (au sens large du terme) du patient. Un règlement interne (au service hospitalier) trop strict et non modulable en fonction du malade risque de faire du thérapeute un contrôleur, ce qui aura des répercussions négatives sur la prise en charge du patient. L’image de l‘alcool véhiculée par la société (« pathologie du caractère ») risque de voir le sujet dépendant comme un être faible et sans « caractère » (surtout en cas de rechutes répétées) Enfin, il semble que certains thérapeutes analytiques aient résignés en face de malades autodestructeurs déterminés à aller « jusqu‘au bout ». Ces malades acceptent la conséquence ultime, c.à.d. le suicide à petit feu (Suizid auf Raten/ Menninger). Le malade alcoolique a droit à la même empathie que tout autre malade, malgré le fait que nous le revoyons peutêtre pour la énième fois. - a) Thérapie du sevrage La désintoxication volontaire du malade alcoolique âgé devrait en principe toujours se faire à l’hôpital. Le risque de faire une crise épileptique lors du sevrage est de 7% selon des études américaines (tableau 5). Tableau 5 : Signes de sevrage en fonction de l’âge Signes Sujets âgés (> 60 ans) Sujets jeunes anxiété 77% 89% atteinte cognitive 50% 8% dépression 65% 50% n.s n.s. < 0.001 insomnie 27% 19% n.s irritabilité 40% 25% n.s. nausée 12% 25% n.s. agitation psycho-motrice 25% 22% n.s. tremblements 92% 86% n.s. faiblesse générale 48% 8% hypertension artérielle 88% 69% < 0.001 0.042 maux de tête 4% 33% < 0.001 somnolence diurne 43% 19% 0.026 Ici, il importe de connaître les consommations d’alcool des derniers jours pour se faire une idée du risque de delirium tremens. Le nouveau traitement avec l’acamprosate n’est pas utilisable chez le sujet âgé ! Le traitement médical repose sur la prescription de médicaments de type sédatif, p.ex. tiapride, buspirone, une BZD classique à demi-vie courte (p.ex. chlordiazépoxide). Souvent, une thérapie antidépressive est nécessaire, en fonction du tableau clinique, p.ex. sertraline, fluoxétine, tianeptine. Parfois il est utile d’y associer une thérapie anticonvulsive, p.ex. à base de carbamazépine. cf. les schémas ci-joints) (tableau 6) Bien entendu, toute autre pathologie somatique en rapport ou non avec la consommation d’alcool doit aussi être traitée ! Il faut bannir des produits du type disulfiram à cause des risques cardiaques majeurs ! Tableau 6: Schémas thérapeutiques pour le sevrage à l’alcool Tiapride Clorazépate dipotassique Prothipendyl.hydrochlorid Hémineurine Pour dormir le soir Pour éviter les crises épileptiques Pour éviter les neuropathies 100 mg toutes les 4 ou 6 heures pendant une semaine 3 x 25 mg/ j pendant 3 ou 4 jours, puis réduction 40 mg 2 x 1 (Attention : glaucome; hypertrophie de la prostate; rétention urinaire) en schéma dégressif : 3 ou 4 x 2 comprimés le premier jour, un comprimé en moins par jour alimémazine, zopiclone, zolpidem, chlorméthiazole, mélatonine ou zaleplon carbamazépine : 2 X 100 ou 200 mg / jour complexes vitaminiques B pendant 6 semaines. La déficience vitaminique porte essentiellement sur les vitamines : folates, B1, B2, B6, PP, C, D, E et K. Le traitement de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke se fait par l’intermédiaire de la thiamine (vitamine B1) jusqu’à 1 gramme/jour pendant plusieurs mois. 284 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR b) Traitement de stabilisation : Ici les mesures de thérapie psychosociale sont les plus importantes : psychothérapie individuelle ou de groupe techniques de relaxation ergothérapie psychomotricité et expression corporelle art-thérapie entraînement de la mémoire groupes d’entraide, type A.A.(Alcooliques Anonymes) reconstruction d’un tissu social, si nécessaire. Toutes ces démarches peuvent se réaliser à différents endroits : à l’hôpital général ou psychogériatrique; à l’hôpital de jour; au centre de jour ou en consultation ambulatoire Il faut savoir qu’à cet âge, le transfert vers une institution pour personnes âgées peut parfois aider ces malades à mieux se stabiliser en ce qui concerne leur consommation d’alcool. Même si le but doit rester une abstinence totale, nous savons tous que certains malades alcooliques âgés continuent à boire une quantité moindre d’alcool sans faire systématiquement des rechutes graves . B. L’abus de tranquillisants chez le sujet âgé 1. Epidémiologie Certains auteurs admettent qu’entre 5 et 10% des sujets âgés prennent régulièrement des tranquillisants; Une étude allemande de 1986 estime que 25% des femmes et 13% des hommes reçoivent quotidiennement un psychotrope. En 1983, Morgan a estimé sur base de la littérature que l’abus de tranquillisants variait entre 6 et 30% pour les personnes vivant à domicile et entre 22 et 50% pour les sujets âgés institutionnalisés. En général, on admet que les femmes âgées sont plus consommatrices de tranquillisants que les hommes âgés. En résumé, on peut admettre que plus de 50% des usagers âgés consommateurs de médicaments psychotropes deviennent des consommateurs réguliers sur plusieurs années !! 2. Physiopathologie de l’abus de tranquillisants Ce type de dépendance est généralement appelé : „low-dose-abuse“ , c.-à-d. que la quantité de substance absorbée reste plus ou moins constante même sur une longue période (p.ex. plusieurs années). On estime que 80% des sujets qui consomment régulièrement pendant une année un tranquillisant sont dépendants vis-à vis de cette substance ! Le risque majeur réside dans le fait que certaines molécules à demi-vie longue peuvent avoir des effets sédatifs le lendemain matin (Hangover) et des effets cumulatifs (intoxication lente et chronique). 3. Les risques majeurs sont les suivants : troubles de la mémoire états confusionnels chutes dues à l’intoxication crises épileptiques à l’arrêt brutal du médicament Il faut savoir que beaucoup d’autres signes restent souvent méconnus (tableau 7) 285 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Tableau 7 Signes méconnus de la dépendance envers une substance psycho-active - accidents accrus amnésie anxiété déclin des fonctions cognitives confusion dépression démence diarrhées désorientation chutes fréquentes fièvre d’origine inconnue incontinence malnutrition perte de mémoire attaque de panique épilepsie inconnue activités sexuelles réduites troubles du sommeil troubles de l’élocution isolement social troubles gastriques troubles de la marche comportement inadapté négligence corporelle 4. Les causes d’une prescription abusive Au niveau des institutions, la prescription de médicaments psychotropes a pu être associée à certains facteurs (tableau 8) : ¨ attitude négative du personnel vis-à-vis de l’âge en général et des femmes en particulier ¨ personnel non qualifié effectuant des tâches auprès des patients ¨ prise en charge insuffisante des situations de vie stressantes (deuil...) ¨ un renouvellement des ordonnances trop peu scrupuleux et trop facile ¨ un usage abusif de la formule : »prescrit à la demande » ! Tableau 8 Facteurs associés à une consommation exagérée de benzodiazépines dans les maisons de soins - attitude du personnel envers la vieillesse - attitude du personnel envers la sexualité des personnes âgées - visites médicales insuffisantes - personnel non qualifié au service des personnes âgées - prise en charge insuffisante des crises existentielles (p.ex. deuil du conjoint...) - mise au point périodique du malade inexistante - rapport soignant/soigné inadéquat - renouvellement des ordonnances trop facile - usage exagéré des prescriptions à la demande 5. Les attitudes thérapeutiques Le sevrage des tranquillisants devrait toujours s’effectuer en milieu hospitalier. Un sevrage progressif s’étalant sur une quinzaine de jours paraît souvent nécessaire. (Il arrive même que le patient ne puisse pas se passer complètement des ces substances et qu’il faut essayer de trouver la dose minimale, mais suffisante). Le ‘New York State Department of Health’ préconisa en 1986 une consommation limitée (quelques mois) de BZD. Il faut utiliser des médicaments ayant peu d’effets d’accoutumance : buspirone, tiapride, etc. (tableau 9) On pourrait éventuellement passer p.ex. aux imidazopyridines (zopiclone) pour sevrer les malades des BZD (cf. le schéma ci-joint). 286 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Des études neuro-psychologiques après le sevrage ont montré que l’apprentissage et la mémorisation sont altérés pendant au moins quelques semaines après le sevrage. La phase de stabilisation requiert les mêmes stratégies thérapeutiques que pour l’abus d’alcool, à savoir : travail de relaxation, d’ergothérapie, de musicothérapie, d’art-thérapie,... restructuration d’un tissu social pour éviter l’isolement orientation du malade vers un groupe d’entraide, si tel est son désir soutien psychologique en ambulatoire au long cours. Tableau 9 Schéma permettant de remplacer une BZD classique : Zopiclone ½ dose de la BZD plus 1 ou ½ comprimé pendant 10 jours, ensuite le zopiclone seul pendant 2 ou 3 semaines Buspirone En tant que substitution 3 ou 4 x 1 ou ½ comprimé/jour Tiapride 4 x 1/jour pendant plusieurs semaines Petites doses de neuroleptiques en gouttes pipampérone, lévomépromazine,... Les nouveaux antidépresseurs sont parfois indiqués ici sertraline ou paroxétine fluoxétine ou fluvoxamine venlafaxine ou mirtazatine C. En guise de conclusion En général, face à une personne âgée ayant un problème d’abus d’alcool et/ou de tranquillisants, il faudrait garder à l’esprit les éléments suivants : · · · · · · · · · Ne pas avoir de jugement préconçu vis-à-vis du malade et de son traitement. Toujours individualiser le traitement. Traiter systématiquement toute pathologie médicale associée. Aider le malade à reconnaître et à accepter sa dépendance. Travailler sur des projets et buts réalisables et réalistes. Toujours se souvenir que le sevrage risque d’être plus long et plus pénible pour le sujet âgé. Utiliser les groupes d’entraide. Passer le relais à d’autres structures au moment de la sortie du malade. Soutenir l’entourage familial. 287 Black Cyan Magenta Yellow PFI75423_FR Le modele mega-interactif de l’abus de substances toxiques parmi les personnes agees Facteur 'personne âgée' Facteur 'temps' Variables physiques • âge (exemple: personnes âgées jeunes et personnes âgées moins jeunes) • maladie douloureuse chronique (exemple: polyarthrite rhumatoïde) • sexe • état de santé général (exemple: robuste ou fragile) • prédisposition génétique (exemple: antécédents familiaux d’abus de substances toxiques) 1 • maladies majeures 1 • fonction organique • atteinte ou handicap physique 1 Variables de temps • période historique (exemple: prohibition) • durée de l’abus de substances toxiques • période de la vie du consommateur Variables psychologiques • angoisse • attitudes • ennui1 • fonction cognitive • dépression1 • état mental général • intelligence • solitude1 • incidents négatifs majeurs ou changements néfastes du mode de vie (exemple: mise à la retraite) 1 • troubles de la personnalité1 • adaptation psychologique • estime de soi1 • expériences vécues à l’occasion de traitements Variables sociales • culture • décès du conjoint1 • statut économique (emploi, pauvreté) 1 • niveau d’instruction • éthique • contexte ethnique • état civil • religion • changement de résidence (exemple: placement en institu tion)1 • perte du rôle1 • orientation/préférence sexuelle • compétence sociale • interaction sociale (exemple: isolement) • soutien social (famille et autres réseaux sociaux) Facteurs déterminants U N I T E pour DE BASE le sujet Facteur 'substance toxique' Facteur 'société' Variables de société • attitudes à l’égard de facteurs pertinents (exemple: vieillesse, sexe, usage et abus de substances toxiques) • culture • sévices envers les personnes âgées • éthique • système de soins de santé • “Law of the Land” • formation professionnelle • actes posés dans le cadre du travail (exemple: médecine, soins infirmiers, pharmacie, psychologie, travail social) • religions • contrôles sociaux • moeurs sociales 1 • programmes sociaux • disponibilité des traitements (exemple: accès, coût) 288 Black Cyan Magenta Yellow Facteurs déterminants pour la société Variables liées à la substance toxique • risque d’abus d’une substance toxique • disponibilité 1 • coût • quantité consommée (exemple: dose individuelle, fréquence) • interactions • statut légal • pharmacocinétique • pharmacologie • toxicologie Variables liées au schéma de consommation • consommation initiale • consommation sociale • consommation habituelle • abus • consommation compulsive 1 indique les facteurs qui ont été associés à la plus forte incidence d’abus de substances toxiques parmi les personnes âgées.