Psychogériatrie

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Psychogériatrie
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VOLUME 2 Aspects cliniques
Psychogériatrie
Chapitre 5
La démence
Les dépressions
Le delirium
Alcoolisme et abus de
tranquillisants
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La démence
M. Vandewoude
La démence est l’un des principaux syndromes en gériatrie.
Ses conséquences socio-économiques sont nombreuses, tant sur le plan individuel que collectif.
Un syndrome démentiel doit être abordé du point de vue du diagnostic différentiel.
La démence n’est pas un phénomène “normal” du vieillissement. Elle est un syndrome clinique acquis, caractérisé
par de multiples troubles des fonctions cognitives. Elle affecte surtout les personnes âgées et se caractérise par une
altération croissante des fonctions psychiques. Le comportement et le caractère subissent aussi des modifications
profondes et divers troubles apparaissent dans le fonctionnement du sujet dément.
A. Epidémiologie
Si l’on effectue des projections dans l’avenir sur la base des chiffres de prévalence actuels et des pronostics pour la
population par tranche d’âge, les constatations sont alarmantes. C’est ce qu’indiquent les chiffres concrets d’une
étude pour la Région flamande et la province d’Anvers : la prévalence et l’incidence de la démence augmentent de
manière exponentielle à partir de 65 ans, avec un doublement tous les 5 ans. Il n’est donc pas étonnant qu’avec le
vieillissement de la population, il y ait un fort accroissement du nombre total de personnes démentes. L’âge est en
effet le principal facteur de risque pour la démence.
Nombre de cas de démence en région flamande sur la base des chiffres de l’INS (1989) et des chiffres de
prévalence de Roelands (1992)
préval. %
1992
2000
2010
2020
60-64
(0,7)
2.253
2.191
2.483
2.812
65-69
0,6
1.714
1.806
1.612
2.047
70-74
5,1
9.839
12.862
12.972
14.800
75-79
7,6
12.205
15.347
16.481
14.907
80-84
16,2
19.018
15.048
24.149
24.770
85+
33,6
27.697
37.243
42.324
52.248
72.726
84.497
100.021
111.584
total
La maladie d’Alzheimer est le type le plus fréquent de démence (± 50%). Classiquement, on estime la part des
démences vasculaires et des démences du type mixte à environ 20% chacune ( figure 1). Ces chiffres doivent
toutefois être interprétés avec prudence, un diagnostic plus fin donnant une fréquence plus grande pour les autres
démences.
B. Symptomatologie
La démence est une maladie invalidante, présentant des symptômes cognitifs, comportementaux, affectifs et
fonctionnels. Les critères du DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 1994), résumés dans le
tableau 1, permettent de bien décrire le syndrome de démence. Pour pouvoir parler de démence, il faut que tous les
critères soient remplis.
Critères du syndrôme de démence
Les déficits cognitifs caractéristiques
Troubles de la mémoire
Les déficiences objectivables de la mémoire à court et à long termes sont typiques. Le patient a des
difficultés à apprendre de nouvelles informations et à se souvenir de données qu’il connaissait bien autrefois.
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Troubles cognitifs essentiels additionnels
a) aphasie :
troubles de l’usage et de la compréhension de la langue
b) apraxie :
troubles des actes coordonnés, sans limitation locomotrice
idéomotrice : incapacité à effectuer des mouvements d’expression simples
d’idéation : incapacité à effectuer des mouvements complexes et composés
visuelle et constructive : difficultés avec les commandes visuelles et spatiales
d’habillement : difficultés à s’habiller et se déshabiller
c) agnosie :
problèmes de reconnaissance ou d’identification d’objets, avec un fonctionnement sensitif normal
d) dysfonction d’exécution :
difficultés dans l’établissement de plans, l’organisation, l’abstraction et la détermination de
séquences.
Un critère seuil
Les troubles cognitifs interfèrent fortement avec les activités professionnelles et sociales, et montrent une altération
significative par rapport au passé.
Un critère d’exclusion
Les déficits n’apparaissent pas seulement pendant une période de délire.
Une cause organique sous-jacente
L’anamnèse, l’examen physique ou les examens techniques montrent un facteur organique spécifique expliquant
ce syndrome. Des troubles psychiques non organiques ont également été exclus.
Symptômes complémentaires, mais non essentiels
Les symptômes comportementaux
Les troubles comportementaux et psychologiques (Behavioral and psychological symptoms of dementia - BPSD)
sont fréquents dans la démence et font partie de la symptomatologie. Ces BPSD sont une lourde charge pour le
soignant et jouent souvent un rôle déterminant dans la décision d’institutionnalisation précoce du patient. Les
symptômes peuvent apparaître aux divers stades de la maladie, mais pratiquement tous les patients présentent ces
problèmes à l’un ou l’autre stade. Le tableau 2 reprend les principaux symptômes des BPSD et leur impact sur le
soignant central.
Les symptômes affectifs
Le syndrome démentiel s’accompagne, chez 10 à 40% des patients, de symptômes de dépression, allant de la
dépression au sens strict à un tableau variable d’altération de l’humeur. Les symptômes des deux syndromes se
chevauchent. Un tableau de dépression avec déficit cognitif à un âge avancé laisse présager un risque élevé de
démence ultérieure. Le trouble affectif est ici un prodrome de la démence.
Cet aspect affectif peut en partie s’expliquer par les sentiments et les sensations propres au sujet dément. L’anxiété
occupe la place centrale. D’autres sentiments comme la colère, l’inquiétude, la défiance, la tristesse et la dépression
sont la conséquence de cette anxiété.
Les modifications des systèmes de neurotransmetteurs dans le syndrome démentiel peuvent cependant aussi être
la base organique de ces fluctuations affectives.
Les symptômes fonctionnels
L’autonomie diminue progressivement, avec, pour conséquence, un accroissement du laisser-aller, des problèmes
dans les activités de la vie quotidienne, une perte des règles de la bienséance, une inversion des biorythmes, une
hygiène déficiente, une alimentation réduite ou insuffisante. Sur le plan fonctionnel, les sujets déments évoluent de
l’autonomie à la dépendance complète.
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Tableau 1 Critères de la démence selon le DSM-IV
Apparition de troubles cognitifs multiples tels qu’observés :
- dans l’atteinte de la mémoire,
- dans l’un ou plusieurs des troubles suivants :
aphasie,
apraxie,
agnosie,
fonctionnement d’exécution perturbé (capacité d’organisation, de jugement...)
Ces troubles entraînent manifestement
une perturbation dans le travail, les activités sociales habituelles ou les rapports avec autrui
Ils sont le signe
d’une régression significative par rapport au niveau de fonctionnement antérieur
Ces troubles n’apparaissent pas uniquement
dans une situation de délire
L’éventail des symptômes ne peut pas être expliqué par
une autre maladie clinique (comme une dépression majeure ou une schizophrénie)
Tableau 2 Les troubles comportementaux et psychologiques (BPSD) selon leur fréquence ou leur charge pour le
soignant central
Très fréquents ou lourds
Moyennement fréquents ou lourds
Moins fréquents ou lourds
Psychologiques
Psychologiques
Comportementaux
Délires
Illusions
Pleurs
Humeur dépressive
Comportementaux
Questions répétitives
Insomnies
Apathie
Filature
Anxiété
Nervosité
Hallucinations
Jurons
Conduite inadaptée
Comportementaux
et désinhibition
Errances ou fugues
Appels
Agression physique
Agitation
C. Manifestations cliniques
L’étiologie de la démence peut être déterminante dans l’apparition, l’évolution et la manifestation clinique de la
maladie. Lors du vieillissement normal, il se produit une réduction des fonctions cognitives, liée à l’âge. La question
clinique difficile est de savoir dans quelle mesure ce recul cognitif est un premier signe de démence débutante.
Le déficit cognitif léger (MCI - Mild Cognitive Impairment) est une situation de transition, récemment décrite, entre le
vieillissement normal et le syndrome de démence. Chez ces patients, on observe un trouble de la mémoire qui est
anormal pour l’âge et le niveau d’éducation. On signale surtout des déficits de la mémoire verbale épisodique, alors
que d’autres fonctions cognitives (langue, praxie, fonctions exécutives) restent épargnées. La mémoire épisodique
recèle des informations autobiographiques qui sont accumulées en relation avec des événements dans le temps et
dans l’espace. Dans ce contexte, des problèmes surviennent chez ces patients. Un certain nombre d’entre eux
développera cependant au cours des années suivantes un syndrome qui répond aux critères de la maladie d’Alzheimer.
Les patients souffrant de la maladie d’Alzheimer passent donc par un stade clinique de MCI, mais tous les patients
souffrant de MCI n’évoluent pas vers une maladie d’Alzheimer clinique. Il existe aussi une relation entre les anomalies
neuropathologiques et les déficits cognitifs. On trouve par exemple un dépôt d’amyloïde plus important chez les
patients souffrant de MCI que chez les patients âgés. Chez les patients souffrant de maladie d’Alzheimer, ce dépôt
est cependant encore plus important. La présence de lésions de la substance blanche joue aussi un rôle dans la
détérioration cognitive. Ceci fait supposer que toutes ces lésions ont des conséquences cliniques et qu’elles ne
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peuvent pas être considérées comme tout à fait bénignes.
Sur la base du tableau clinique et du profil du dysfonctionnement cognitif, on peut distinguer plusieurs prototypes de
démence. Une différence importante se fait par les types de démence corticale et sous-corticale. Il ne s’agit cependant
pas ici d’une subdivision purement anatomique. A cause de la forte imbrication des structures corticales et souscorticales, des caractéristiques de l’autre type apparaîtront dans les deux types de démence. Des exemples de
démences corticales sont la maladie d’Alzheimer et la démence fronto-temporale. Parmi les formes sous-corticales
types, citons les démences vasculaires et les démences des maladies de Parkinson et de Huntington.
La maladie d’Alzheimer connaît un début insidieux, avec des troubles nets de la mémoire, et une évolution progressive,
avec la présence de troubles phasiques, gnosiques et praxiques.
La maladie diffuse à corps de Lewy (diffuse Lewy body disease), qui tire son nom des corps de Lewy, est une entité
à part avec des inclusions neuronales typiques situées dans le tronc cérébral et le cortex. Ici, des éléments cliniques
importants sont une évolution très variable, avec des hallucinations importantes, surtout visuelles, et des
caractéristiques extrapyramidales ou une forte sensibilité aux neuroleptiques.
La démence fronto-temporale apparaît plus tôt. Elle se caractérise par une importante dysfonction des lobes frontaux,
avec de l’euphorie, un émoussement des normes émotionnelles et sociales, de l’agitation ou de l’apathie. Les
troubles comportementaux précèdent souvent les problèmes de mémoire.
Dans les formes de démences sous-corticales, on trouve plutôt un ralentissement de la motricité et de l’idéation, des
troubles de la mémoire avec une reconnaissance relativement intacte, des troubles des aptitudes acquises et des
changements de l’affectivité. Les troubles de la parole, de la vision spatiale et de la praxie sont moins prononcés, les
problèmes moteurs étant plus nets.
La démence plurilacunaire résulte de plusieurs accidents vasculaires cérébraux ischémiques. C’est pourquoi on
assiste à l’apparition brutale du tableau clinique présentant une évolution par paliers, où des périodes de relative
lucidité sont encore fréquentes. Une accumulation de plusieurs AVC, qu’ils soient ou non subcliniques, peut finalement engendrer un tableau démentiel.
L’évolution de la maladie peut être très variable. Il existe parfois un effet-seuil, qui donne l’impression que la
démence apparaît rapidement, alors que ce n’est pas le cas. L’altération cognitive jusqu’alors non perçue par le
monde extérieur, mais cependant bien présente, ne devient visible que lorsque la personne âgée doit s’adapter à
une situation nouvelle, ou lorsqu’un soignant est brusquement indisponible. Le syndrome de démence n’est pas une
affection bénigne, et il évolue vers la mort en quelques années. Les données récentes suggèrent que la survie
moyenne après le diagnostic est plus courte que les 5 à 9 années classiquement admises. En incluant les patients
à évolution rapide, la survie moyenne ne serait que de 3 à 4 ans après le diagnostic. Une démence peut parfois avoir
une évolution très rapidement progressive, comme dans la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ou au contraire rester
longtemps stationnaire (figure 2) comme suite à un traumatisme cérébral.
D. Anatomopathologie, physiopathologie et hérédité dans la maladie d’Alzheimer
Anatomopathologie
A l’examen macroscopique du cerveau chez un sujet atteint de la maladie d’Alzheimer, on observe une atrophie
corticale et sous-corticale généralisée, le poids du cerveau n’atteignant plus 1 kg.
L’examen microscopique révèle la présence d’amas de neurofibrilles (NFT - neurofibrillar tangles) dans les cellules.
Il s’agit de neurofilaments qui s’enchevêtrent en spirale. Les protéines tau, anormalement phosphorylées, sont un
composant important de ces amas de neurofibrilles, qui sont, avec les plaques amyloïdes, une caractéristique
neuropathologique essentielle. Ces plaques séniles, présentant un dépôt amyloïde en leur centre, entourées de
neurones, de dendrites et d’axones dégénérés, se trouvent dans le cortex et l’hippocampe. Chez les personnes
âgées, on observe, dans des circonstances normales, un nombre limité d’amas neurofibrillaires et de plaques dans
les anciennes zones phylogénétiques de l’écorce cérébrale. Dans la maladie d’Alzheimer, la présence d’amas
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neurofibrillaires et de plaques est plus répandue.
Le dépôt d’amyloïde bêta, ou Aß, est une caractéristique neuropathologique précoce, qui précède l’apparition des
neurofibrilles de plusieurs années. L’Aß est vraisemblablement responsable de la formation des plaques et est
formée par décomposition de la protéine précurseur de l’amyloïde (APP). Selon l’endroit de division de l’APP, il
apparaît des fragments non toxiques (solubles) ou toxiques (insolubles). La voie non toxique est stimulée par
activation cholinergique.
Physiopathologie
Sur le plan physiopathologique, la maladie d’Alzheimer s’accompagne de changements quantitatifs au niveau de
différents neurotransmetteurs et au niveau des enzymes responsables de leur synthèse et de leur métabolisme.
Les troubles les plus frappants sont les chutes des concentrations d’acétylcholine, de noradrénaline, et de sérotonine.
L’hypothèse cholinergique suppose une association entre les troubles cognitifs et la moindre présence de neurones
cholinergiques dans le cortex et les autres régions cérébrales. Cette perte donne lieu à un déficit cholinergique, qui
est causé par les moindres concentrations en acétylcholine (ACh), la moindre activité de la choline-acétyltransférase,
la moindre affinité pour la choline et une réduction de la synthèse et de la libération d’acétylcholine.
D’autres neuropeptides, comme la somatostatine et la substance libératrice de la corticotropine, sont moins présents
également.
Hérédité
Les mécanismes génétiques de la maladie d’Alzheimer sont plus hétérogènes que l’on ne le pensait. Dans quelques
formes précoces, il existe une transmission autosomique dominante, associée à des mutations des chromosomes 1
(préséniline 2), 14 (préséniline 2) et 21 (protéine précurseur de la b-amyloïde). Dans ce cadre, il est à signaler que les
patients atteints du syndrome de Down qui survivent jusqu’à la cinquantaine montrent des anomalies
neuropathologiques comparables à celles de la maladie d’Alzheimer. Certains de ces patients développent aussi
des troubles cognitifs. Sur le chromosome 19, se trouve le gène codant pour l’apolipoprotéine E. Ce gène est lié à la
maladie d’Alzheimer, tant dans ses formes sporadiques que familiales. Les mécanismes exacts de l’influence ne
sont cependant pas connus. Il y a trois variétés d’allèles pour ce gène : e2, e3, et e4. Le plus fréquent est e3, le plus
rare étant e2. Diverses études ont montré que e4 augmente le risque de maladie d’Alzheimer, tandis que e2 réduit
ce risque. Mais e4 n’est pas un marqueur de la maladie et il n’est ni nécessaire ni suffisant pour développer la
maladie. Actuellement, il n’est pas indiqué de rechercher cet allèle pour le diagnostic (différentiel). Il existe un
certain nombre d’autres maladies familiales, plus rares, caractérisées par un syndrome démentiel et des anomalies
génétiques. Des exemples en sont la maladie de Huntington et l’amyloïdose cérébrale, appelée “Dutch Haemorrhage”.
E. Diagnostic
Une mise au point diagnostique est nécessaire pour le diagnostic différentiel d’une démence débutante. En pratique,
les personnes présentant une confusion aiguë ou du délire sont souvent présentées comme souffrant de démence.
Le diagnostic ne peut pourtant jamais être posé dans une situation clinique instable. Le diagnostic se fait en deux
phases. D’abord, il faut établir la présence d’un syndrome démentiel et la sévérité de celui-ci, sur la base de
l’existence des critères nécessaires. Dans une deuxième phase, on en établira le type et la cause sous-jacente. Un
diagnostic précoce est important, parce qu’il permettra d’adopter l’attitude adéquate vis-à-vis de la personne démente et de lui apporter l’assistance nécessaire, tant médicale que thérapeutique et sociale.
Anamnèse
Toute mise au point diagnostique commence par une anamnèse approfondie et surtout une hétéro-anamnèse d’un
informateur fiable, le plus souvent le soignant central. Celle-ci nous donne une idée de l’état actuel de la maladie et
de son évolution. Il faut toujours réaliser une anamnèse détaillée des médications administrées, étant donné que de
nombreuses substances peuvent induire ou aggraver la confusion et les troubles cognitifs. Il faut rechercher les
antécédents de troubles affectifs, d’abus d’alcool ou de malnutrition.
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Examen clinique
L’examen clinique porte sur les anomalies infectieuses, vasculaires, endocrines et neurologiques. Il faut en outre
être attentif aux signes de désintégration psychomotrice comme l’akinésie ou l’hypokinésie, l’hypertonie, la stéréotypie,
l’apparition de réflexes archaïques et de signes extrapyramidaux. Des réflexes asymétriques ou des signes de
latéralisation pourront indiquer des troubles focaux (vasculaires).
Analyses de laboratoire
Il faut réaliser un examen de laboratoire d’orientation, qui facilitera le dépistage de démences “réversibles”. Les
analyses de laboratoire comprennent donc au minimum un bilan hématologique, une analyse des fonctions rénale
et hépatique, un ionogramme, la glycémie, le calcium, les tests thyroïdiens, la vitamine B12, l’acide folique et parfois
aussi la sérologie de la syphilis.
Psychométrie
Un bon diagnostic serait incomplet sans une évaluation neuropsychologique; celle-ci nécessite cependant un
travail considérable et des connaissances approfondies.
L’examen neuropsychologique utilise des tests psychométriques, l’observation comportementale et un examen
neurologique comportemental. On évalue aussi le comportement quotidien, le fonctionnement émotionnel et la
façon dont le patient aborde les situations problématiques. Cette évaluation doit se faire par l’application d’instruments
de test standardisés, normalisés et validés.
L’instrument optimal d’évaluation du statut mental est le MMSE (Mini-Mental Status Experimentation, voir l’appendice).
Le test MMSE est facile à réaliser : il comprend 30 épreuves destinées à évaluer l’orientation dans le temps et dans
l’espace, le pouvoir de concentration, la mémoire, la parole, la gnosie et la praxie.
Ceci reste toutefois un test de dépistage en lui-même qui est insuffisant pour poser un diagnostic et qui doit être
complété par d’autres tests.
Pour le diagnostic des troubles cognitifs légers, ces instruments ne sont parfois pas assez sensibles.
Evaluation fonctionnelle
Lors du diagnostic de la démence, il faut être attentif au besoin de soins du patient. Ce besoin de soins est évalué par
une appréciation du fonctionnement quotidien. Celle-ci se fait par une évaluation spécifique et instrumentale des
activités de la vie quotidienne (ADL et iADL – échelles de Katz, Lawton and Brody, voir appendice). Une évaluation
fonctionnelle plus large et globale donnera une bonne idée (de l’évolution) du syndrome démentiel, surtout aux
stades plus sérieux de l’affection. Un instrument classique, développé dans ce but, est la GDS (Global Deterioration
Scale). Cette échelle de la détérioration globale (voir appendice) donne un aperçu en 7 stades, depuis le
fonctionnement normal jusqu’au stade terminal de la démence. Ces échelles décrivent parfois mieux l’évolution du
patient que les instruments cognitifs classiques.
Le besoin de soins est aussi influencé par la présence de troubles du comportement et d’antécédents psychotiques.
On dispose ici d’instruments d’observation et d’évaluation, qui sont néanmoins mieux adaptés dans un environnement
psychogériatrique. Des exemples en sont l’échelle Behave-AD et le NPI (Neuropsychiatric Inventory).
Imagerie
Parmi les techniques d’imagerie, le CT-scan (sans contraste) et la RMN occupent une place importante, parce qu’ils
donnent des informations sur l’anatomie du cerveau. Ils sont particulièrement indiqués pour dépister des causes
non dégénératives de détérioration cognitive, comme l’hydrocéphalie, les tumeurs, les hématomes sous-duraux ou
les zones infarcies. Ils peuvent parfois donner des arguments pour le diagnostic différentiel. Ainsi, dans la démence
dégénérative, on verra plus rapidement une hypotrophie du système limbique.
Le SPECT-scan (single photon emission computerized tomography) nous donne une image du fonctionnement, du
métabolisme et de l’irrigation des différentes parties du cerveau.
Une hypoperfusion temporo-pariétale est compatible avec le diagnostic de maladie d’Alzheimer, mais elle n’est pas
pathognomonique. La même remarque vaut pour une hypoperfusion préfrontale dans la démence fronto-temporale.
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Autres examens techniques
Par ailleurs, certains autres examens techniques peuvent être utiles dans des cas sélectionnés. Dans la démence
d’Alzheimer, l’EEG révélera un ralentissement du rythme de base et une augmentation des activités plus lentes. Dans
la phase tardive de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, on peut voir apparaître à certains moments des complexes
caractéristiques, biphasiques ou triphasiques. Dans la démence vasculaire, l’échographie carotidienne montrera
les plaques, les sténoses ou les occlusions carotidiennes. L’échocardiographie est nécessaire pour détecter les
lésions valvulaires et les thrombus.
F. Stratégie thérapeutique
La stratégie thérapeutique dépendra de l’étiologie de la démence. Les interventions, comme le placement d’un
système de drainage ventriculaire dans une hydrocéphalie à pression normale, ou un traitement antidépresseur
dans un déficit cognitif dépressif, peuvent parfois apporter une amélioration dans les formes secondaires. Dans une
démence vasculaire, le mieux est d’adopter une stratégie préventive, comme c’est défini pour les affections vasculaires
cérébrales. Vu que le syndrome démentiel est une affection multifactorielle, il faudra sans doute une combinaison
d’interventions tant pharmacologiques que non pharmacologiques. Une combinaison de médications pourra aussi
trouver sa place. En effet, les diverses approches ne s’excluent pas mutuellement.
Médication employee dans la maladie d’alzheimer
Approche du déficit cholinergique
Les cerveaux des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer présentent diverses modifications neuropathologiques
et neurochimiques. L’hypothèse cholinergique a conduit au développement de diverses stratégies destinées à
améliorer la transmission cholinergique. L’utilisation des inhibiteurs de la cholinestérase (ChEI) est actuellement le
seul traitement pertinent en clinique. Si la dégradation de l’ACh au niveau de la synapse est ralentie, il s’ensuivra une
concentration plus forte en ACh au niveau des récepteurs muscariniques et nicotiniques. D’après l’hypothèse
cholinergique, les fonctions cognitives devraient en être améliorées. Les ChEI diffèrent les uns des autres par leur
mode d’action. Les inhibiteurs réversibles, comme la tacrine ou le donépézil, se lient à l’acétylcholinestérase, ce qui
empêche la formation d’un complexe entre l’enzyme et l’ACh. Par contre, les inhibiteurs “pseudo-irréversibles”,
comme la rivastigmine, diminuent l’activité enzymatique en interférant avec le site catalytique de l’enzyme. Les
mécanismes d’action des produits ne dépendent pas seulement du type d’inhibition, mais aussi de la vitesse de
resynthèse de la cholinestérase. De plus, il y a une sélectivité pour diverses estérases. Ainsi, la tacrine va bloquer
tant l’acétylcholinestérase (surtout présente dans le système nerveux central) que la butyrylcholinestérase (surtout
présente dans les tissus périphériques), tandis que le donépézil et la rivastigmine sont des inhibiteurs sélectifs de
l’acétylcholinestérase. La tacrine a été le premier ChEI qui parut utilisable en pratique. Les nombreux effets secondaires
du produit limitent cependant son utilisation à grande échelle, de sorte que son application clinique est déjà
dépassée.
Le donépézil est un ChEI de la deuxième génération, réversible et sélectif, ayant une longue durée d’action et une
grande spécificité pour le cerveau. Il a une demi-vie de 70 heures, et des concentrations stables sont atteintes en
deux semaines. La dose de départ recommandée est de 5 mg, mais l’effet est dose-dépendant, de sorte que la dose
peut être augmentée à 10 mg après un mois de traitement. La plupart des patients supportent cette dose sans
problème, bien que des effets cholinergiques gastro-intestinaux puissent se produire. Les repas n’influencent pas
l’absorption. Le médicament est partiellement excrété, inchangé, par le rein et il est métabolisé via le cytochrome
P450 (2D6 et 3A4).
La rivastigmine est un ChEI relativement sélectif et pseudo-irréversible, ayant des effets prometteurs sur la cognition
et le comportement des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer. La rivastigmine est utilisée à doses faibles (2
x 1.5 mg) à fortes (jusqu’à 2 x 6 mg/j). La galantamine est une molécule qui, outre sa (faible) inhibition de la
cholinestérase, a une action de modulation allostérique sur le récepteur nicotinique. Un traitement à 24 mg/jour
pendant 12 mois a donné une stabilisation des aptitudes cognitives et fonctionnelles. La tolérance était meilleure
avec un schéma de départ lentement progressif, où la dose était augmentée de 8 mg toutes les 4 semaines.
Pour résumer, on peut dire que les effets cliniques sont comparables pour les divers produits, mais que la tolérance
peut varier, avec une meilleure tolérance pour le donépézil, qui ne doit être administré que 1 x par jour. Au cours du
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traitement des divers stades de la démence, on voit aussi des effets positifs dans les formes plus sérieuses, moins
sur la cognition que sur le comportement. Les patients traités continuent à aller mieux que ceux qui n’ont pas reçu
de traitement, et des données montrent que leur institutionnalisation est retardée. Si le traitement est arrêté, le
patient perd des capacités cognitives et fonctionnelles, qui ne seront pas entièrement récupérées même en cas de
reprise de la médication. C’est pourquoi la continuité du traitement est recommandée. L’évolution des courbes
d’observation plaide pour un effet modulateur de la maladie médié par les inhibiteurs de la cholinestérase.
Agents anti-inflammatoires
Certaines données suggèrent que des processus inflammatoires jouent un rôle dans la destruction tissulaire se
produisant dans la maladie d’Alzheimer. La microglie réactive dont la présence a été démontrée autour des plaques
séniles et des astrocytes pourrait donner lieu à la production de cytokines, comme l’interleukine-1 et l’interleukine6, qui stimulent la synthèse de l’amyloïde bêta. Les observations montrent que les patients qui ont été soignés
longtemps aux antiphlogistiques pour des affections inflammatoires chroniques, comme l’arthrite rhumatoïde, ont
un risque moindre de développer une démence. La prévalence d’une association des diagnostics de maladie
d’Alzheimer et d’arthrite rhumatoïde était de 6 à 12 fois moindre que prévu dans un groupe de patients âgés sortant
de l’hôpital. Mais d’autres études prospectives à ce sujet sont nécessaires.
Traitement antioxydant
Le stress oxydant, avec sa production de radicaux libres, peut donner lieu à une peroxydation des lipides et à des
lésions cellulaires. Ceci pourrait jouer un rôle fondamental dans la dégénérescence neurologique de la maladie
d’Alzheimer. On peut distinguer deux mécanismes qui peuvent réduire ce stress oxydant. C’est possible grâce à des
molécules qui interfèrent avec les radicaux libres eux-mêmes et les rendent inoffensifs. Ce sont les piégeurs de
radicaux libres (“scavengers”), dont les vitamines A, C et E, mais aussi les oestrogènes et le Gingko biloba sont des
exemples. Outre les piégeurs de radicaux libres, il y a les antioxydants, qui limitent la production des radicaux libres.
Un exemple en est la sélégiline, un inhibiteur sélectif de la monoamine oxydase B, qui a un effet antioxydant par
réduction de la concentration en catécholamines. Des études complémentaires, à divers stades de la maladie, sont
nécessaires pour mieux décrire le potentiel thérapeutique des antioxydants.
Substitution oestrogénique
On connaît quelques mécanismes biologiques plausibles par lesquels les oestrogènes pourraient être efficaces
dans la conservation de la cognition et dans la prévention du syndrome démentiel. On peut citer par exemple le
soutien des activités cholinergiques et sérotoninergiques dans certaines régions du cerveau, un effet favorable sur
les fractions de lipoprotéines, et la prévention des troubles vasculaires. Les études cliniques réalisées jusqu’à
présent montrent toutefois des défauts méthodologiques et donnent des résultats controversés. La première étude
randomisée, avec contrôle placebo et en double aveugle du traitement par oestrogènes chez des patientes atteintes
de maladie d’Alzheimer de gravité légère à moyenne n’a pas montré de ralentissement du processus morbide après
un an, et il n’y a pas eu d’amélioration de l’état global, fonctionnel ou cognitif des patientes traitées par rapport au
groupe placebo. Pour le moment, l’utilisation en routine d’œstrogènes chez les femmes ménopausées souffrant de
la maladie d’Alzheimer ne peut donc pas être recommandée.
Attitude pratique
Chez un patient pour qui une démence a été établie, il faut d’abord en déterminer le type. Dans les démences
secondaires, il faudra dans un premier temps aborder le problème sous-jacent, selon les directives thérapeutiques
et préventives. Lorsque le diagnostic de maladie d’Alzheimer est posé, il faudra envisager un traitement d’épreuve
au donépézil ou à la rivastigmine. Il faudra chercher à atteindre la dose optimale du médicament, en tenant compte
de la tolérance individuelle de chaque patient. L’efficacité du traitement instauré sera évaluée après 3 à 6 mois, en
se basant sur les résultats sur le plan cognitif, fonctionnel et général, tels qu’ils sont interprétés par le soignant. En
cas d’amélioration ou de stabilisation par rapport à la situation de départ, on poursuivra le traitement. Si l’évaluation
cognitive et fonctionnelle montre une aggravation, il vaut mieux arrêter le traitement. Si la régression du patient
s’accélère significativement après l’arrêt du traitement, on discutera avec le soignant de l’opportunité de reprendre
le traitement. Outre les stratégies dont nous avons parlé, et qui forment la base du traitement de la démence
d’Alzheimer, d’autres médications, telles que les neuroleptiques, les anxiolytiques et les antidépresseurs, peuvent
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être utilisées pour combattre les complications. A ce sujet, je vous renvoie aux chapitres sur le délire et les troubles
affectifs.
G. Démence et revalidation
La revalidation est décrite différemment chez les personnes démentes. C’est essayer de faire fonctionner le patient
au niveau le plus élevé possible, en tenant compte des restrictions imposées par le processus du vieillissement.
Entraînement aux Activités de la Vie Quotidienne
L’entraînement aux activités de la vie quotidienne vise la meilleure autonomie possible, par la pratique des activités
elles-mêmes et par la prise de mesures ergonomiques destinées à optimaliser ces activités.
Entraînement à la réalité et à l’orientation
L’entraînement à la réalité et à l’orientation vise à combattre le processus de détérioration mentale par la délivrance
régulière des mêmes informations de base (espace, temps, dénomination d’objets, faits récents…) et en y faisant
appel de manière répétitive. Pour cela, on a recours à deux méthodes complémentaires.
a) L’entraînement à la réalité et à l’orientation de 24 heures (ou entraînement individuel à la réalité et à l’orientation )
Par cette approche individuelle, le patient/résident reçoit tout au long de la journée des informations sur le temps,
le lieu et la personne, ainsi que des commentaires sur les événements… Ces renseignements l’aident à mieux
s’orienter. Dans cette formation, le contact du thérapeute avec le patient est essentiel.
L’environnement joue un rôle important. On essaie d’améliorer la reconnaissance en offrant des informations sur le
temps, l’espace et la personne.
b)Les sessions intensives de l’entraînement à la réalité et à l’orientation (ou entraînement à la réalité et à l’orientation
en groupe)
Ces séances mettent l’accent sur le contact entre patients, les aptitudes sociales étant stimulées par le travail en
groupe.
Les résultats de l’entraînement à la réalité et à l’orientation sont l’objet de discussions. Il n’y a pas d’unanimité sur
l’importance des résultats au plan cognitif et comportemental. L’entraînement à la réalité et à l’orientation repose
trop souvent sur la confrontation ; c’est pourquoi on lui préfère aujourd’hui une approche plus modérée.
Exercices de la mémoire
Des exercices de la mémoire n’apporteront plus aucun soulagement aux personnes dont la mémoire a disparu. Pour
que de tels exercices soient efficaces, il faut que celle-ci soit en principe encore accessible. On enseigne au patient
comment retenir plus facilement les choses. La mesure dans laquelle ces exercices ont un effet sur la détérioration
elle-même dans la démence est cependant fortement mise en doute. Les contacts sociaux sont naturellement aussi
une excellente occasion de rester actif et de continuer à utiliser la mémoire.
H. Comment aborder les sujets déments ?
Il est difficile de donner une réponse claire et nette à cette question. Le respect et la patience sont essentiels.
Chaque patient demande sa propre approche. Dans le contact avec les patients déments, quelques points sont
prioritaires, comme le contact physique, le besoin de communication, le rétablissement des règles de bienséance, le
respect du territoire et de l’intimité et le souci de l’état de santé physique et des soins (figure 3).
Il est inutile de faire remarquer à une personne âgée démente les erreurs qu’elle a commises, que ce soit directement ou indirectement; cela ne ferait qu’engendrer un sentiment de frustration. Par ailleurs, il faut s’efforcer d’apporter
aussi peu de changements que possible dans l’entourage de ces personnes; tout changement provoque un sentiment d’insécurité. Toute phrase ou question doit inclure un maximum d’informations pertinentes, pour que la personne
âgée ait davantage de repères. Il est évidemment important de maintenir la personne âgée en activité et de lui
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laisser faire ce dont elle est capable. Nous avons beaucoup trop tendance à lui prendre tout des mains. Un sujet
dément ne peut en aucun cas être comparé à un enfant. Il ne faut pas non plus adopter un comportement mesquin
ou parler en des termes humiliants; la désignation par le prénom et le tutoiement ne sont pas toujours souhaitables
non plus.
Ci-dessous sont décrites deux formes d’accompagnement thérapeutique contenant des éléments qui trouvent leur
application dans la fréquentation et l’accompagnement quotidiens du sujet dément.
Traitement de validation
Dans le traitement de validation, l’accent est mis sur la communication empathique : le thérapeute s’efforce de se
mettre dans la peau du sujet dément et de ressentir son univers : il ne s’oriente plus selon la notion de “ici et
maintenant”, mais bien selon la réalité du patient/résident. L’objectif poursuivi est d’aider le patient à réaliser ses
aspirations au présent, de diminuer la pression psychique, de résoudre les conflits et les problèmes latents, de
rétablir le sens de la dignité et de combattre toute autre forme de désorientation.
En dépit des nombreuses critiques, l’approche du traitement de validation recèle des éléments qui sont
indubitablement importants pour l’accompagnement des sujets déments :
·
l’approche empathique, par laquelle on s’insère dans l’univers du patient et où l’on prend ses sensations
au sérieux;
·
l’importance du contact physique;
·
l’importance d’éveiller les souvenirs…
Perceptions sensorielles
Cette approche non verbale des personnes démentes trouve son origine dans les soins apportés aux handicapés
mentaux lourds. Concrètement, cela signifie que le thérapeute joue sur les perceptions, les observations et les
expériences sensorielles du patient. On attache de l’importance au toucher, aux sons, à la lumière, aux odeurs et au
goût. Cette forme de contact est principalement d’application chez les patients âgés chez qui le processus de
démence est déjà à un stade avancé et avec qui le contact verbal est difficile.
I. Problématique familiale
La démence constitue pour le conjoint, la famille, les proches et l’entourage une charge émotionnelle et relationnelle
importante. Les soignants encourent le risque de souffrir eux-mêmes de problèmes psychiques et physiques. Soutenir
ces personnes dans les soins qu’elles apportent au malade et dans le contact qu’elles ont avec lui peut contribuer
à éviter pas mal de problèmes, de chagrins et de sentiments de culpabilité.
Avoir la charge d’un membre dément de la famille induit généralement une forte dose de stress.
Le moment de l’internement ou du placement reste, indépendamment de la nécessité éventuelle d’y recourir, un
problème particulièrement pénible pour la famille. Pour beaucoup, ce moment signifie la dernière étape avant la
séparation définitive.
Lorsque le sujet dément a été placé en institution, la vie de la personne qui en a la charge change radicalement.
Cependant, on n’observe pas chez tout le monde un changement positif.
La démence entraîne des réactions de deuil
Lorsqu’un membre de la famille devient dément, l’entourage direct vit une situation de perte. De nombreuses
réactions par rapport à la perte subie peuvent être décrites comme un comportement de deuil : il s’agit d’un deuil
ressenti, d’une part par rapport à la perte de la santé du conjoint ou du parent, d’autre part par rapport à la mort qui
se profile à l’horizon : en d’autres termes, il s’agit d’un deuil anticipé.
Il existe toutefois des différences marquées avec le deuil normal consécutif à un décès :
- Le partenaire ou le parent est toujours en vie et jouit souvent encore d’une bonne condition physique.
- La perte n’est pas soudaine. On observe une diminution très progressive des capacités.
- On n’est pas considéré comme endeuillé par autrui.
- Le deuil anticipé peut durer des années.
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Les principales caractéristiques du deuil anticipé sont : la négation, l’état dépressif, le sentiment de culpabilité, le
sentiment d’agressivité et finalement l’acceptation.
La démence nécessite une information
L’accompagnement de la famille repose en premier lieu sur l’information.
Le médecin généraliste doit rappeler régulièrement les renseignements nécessaires (soignants professionnels,
adresses de contact des groupes d’entraide…) et les compléter si nécessaire.
La famille doit aussi être informée à temps des problèmes juridiques qui peuvent surgir. Depuis 1990, il existe une
nouvelle loi régissant la gestion des biens de personnes inaptes. Par le biais d’une requête, certificat médical à
l’appui, on peut introduire une demande auprès du juge de paix qui a le pouvoir de désigner un administrateur
provisoire pour gérer les biens du patient dans des conditions strictes. (voir chapitre : Aspects juridiques)
Le maintien d’une communication entre le généraliste et les membres de la famille est un instrument important dans
le soutien de leur évolution émotionnelle.
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Figure 1 Répartition des démences selon leur type (en %)
46% Alzheimer
20%
20% vasculaire
15%
15% autres
46%
19% mixte
19%
F O N C T I O N N E M E N T
C O G N I T I F
Figure 2 Evolution selon l’étiologie temps
Démence d’Alzheimer
Détérioration progressive
temps
temps
Post-traumatique
Détérioration brusque temps
temps
Démence plurilacunaire
Evolution par étapes temps
Creutzfeldt-Jacob
Détérioration brusque
temps
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Figure 3 Les dix commandements du contact et de la communication avec les patients souffrant de la maladie
d’Alzheimer
Pour communiquer avec le patient,
Pour aborder le patient,
• Près de la
personne,
tu te tiendras;
• Lentement et
distinctement,
tu parleras;
• Son nom,
tu diras;
• Des mots simples
et concrets, des
phrases courtes,
tu emploieras;
• Son corps,
tu toucheras;
• Avec des gestes
et le toucher,
tes paroles,
tu compléteras
• A sa hauteur
et face à lui,
tu te tiendras;
• Un message
à la fois,
tu donneras;
• Un contact visuel,
tu établiras.
• Aux énoncés
affirmatifs,
tu recourras.
Copyright Ligue Alzheimer - Liège
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Les dépressions
J. Defleur
A. Introduction
Ces dernières trente années ont notamment été marquées par la prise en considération croissante de la psychopathologie des personnes âgées (P.A.). La description et les possibilités de traitement de la dépression de la P.A. se sont
dans le même temps heurtées à plusieurs difficultés :
a) les descriptions sémiologiques se sont d’abord faites par l’ajout de traits spécifiques au tableau clinique de
l’adulte plus jeune déprimé mais surtout en cherchant à intégrer les pertes que l’être vieillissant est réputé connaître,
ce qui revenait en fait à minimiser la réalité du vécu dépressif du vieillard.
Du “vieillir, c’est perdre”, on est souvent passé au “vieillir, c’est se perdre”, un vécu triste étant alors considéré
comme normal, comme inéluctable et les plaintes, surtout répétées et perçues dans leur apparente stéréotypie,
étant elles considérées au mieux comme n’étant pas justifiées, au pire comme malvenues, indécentes presque !
b) le groupe des P.A. a longtemps été considéré comme étant une entité socialement et psychologiquement bien
définie. C’était oublier que le vieillissement est un processus différentiel que “plus je vieillis, plus je suis moi-même
et donc différent des autres au moins psychologiquement”. La prise en compte de l’hétérogénéité du groupe des P.A.
et de ses répercussions sur l’analyse sémiologique a sans doute constitué un premier progrès.
c) à l’instar de la démarche pédiatrique, on a voulu établir arbitrairement des posologies réduites d’antidépresseurs
: tel préconise des demi-doses, tel autre estime qu’il serait vain d’augmenter les posologies en cas de non-réponse.
C’est peu dire qu’il n’y a pas d’étude longitudinale et même très peu d’études pharmacologiques chez les plus de 70
ans de sorte que l’on considère actuellement, nonobstant les notices, que ce sont les modalités d’administration et
non les posologies, qui constituent la différence au niveau thérapeutique (cfr infra).
d) longtemps, les médecins, et parmi eux les psychiatres plus particulièrement, ont négligé l’impact du physique
dans la genèse ou dans l’entretien du syndrome dépressif : il y a 25 ans, le psychogériatre précisait - et cela faisait
sourire - qu’il était le psychiatre qui ne faisait pas semblant de ne plus savoir où était son stéthoscope. Actuellement,
commence à être intégrée la notion que le physique est aussi l’enjeu des mécanismes de défense : les pertes
sensorielles, l’inappétence, les handicaps moteurs avec chute(s), l’utilisation plus ou moins adéquate des prothèses... sont terrains de chasse reconnus pour les manifestations de résistance par exemple.
B. Clinique
C’est sans doute la prise en considération des chiffres et des modalités du suicide chez les P.A. qui peut le plus nous
inciter à la réflexion sur la réalité de la dépression dans cette catégorie de patients. Selon une étude de l’Institut
d’Hygiène et d’Epidémiologie (1985) réalisée via son réseau de médecins vigies, l’incidence des tentatives de
suicide (T.S.), qui pour la population générale est de 22,8 cas pour 10.000 habitants, est de 16,9 cas pour 10.000
habitants si l’on n’envisage que la population de plus de 70 ans. Par contre l’incidence des T.S. avec issue fatale est
trois fois plus élevée dans le groupe des plus de 70 ans (9,8 °/000) que dans la population générale (3,3 °/000).
Cette double évolution s’accompagne d’une surreprésentation des hommes âgés : le taux de létalité (rapport entre
le nombre total de T.S. et le nombre de celles ayant conduit à un décès) est de 80,0 % (25,3 % dans la population
générale). Ces chiffres et le fait que les vieillards recourent massivement préférentiellement à des méthodes violentes
et radicales (pendaison, armes à feu, défenestration) doivent nous interpeller et nous inciter à l’effort.
Gottfries insiste depuis de nombreuses années : “le grand problème semble ne pas être tellement le traitement
pharmacologique de la dépression du vieillard que l’identification et le diagnostic de cette dépression”.
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Les désordres dépressifs se présentent chez les P.A. avec une plus grande hétérogénéité; de sorte que si les
dépressions majeures sont moins fréquentes, et cela se comprend, les épidémiologistes recensent 12 à 15 % de
dépressions chez les plus de 65 ans; leurs diagnostics recouvrant les dépressions majeures, les dépressions mineures,
les dépressions masquées, les dépressions secondaires à une maladie somatique et la dépression “organique” des
Anglo-Saxons, c’est-à-dire celle qui accompagne la détérioration psycho-organique. Ces pourcentages ne
comprennent pas les dépressions secondaires à la consommation (inadéquate ?) de médicaments, ceux-ci étant
pourtant d’après Baumann responsables d’un tiers des admissions en gériatrie ! Par contre, il faut admettre qu’ils
sont sans doute minorés par un facteur culturel par rapport auquel nous n’avons pas beaucoup de recul et qui fait
que, cadets de nos vieux patients, nous avons parfois tendance à considérer certains affects dépressifs comme
composantes “normales” du vieillissement surtout s’ils sont exprimés de manière stéréotypée et rabâchée.
Au cours des années, une clinique de la dépression de la P.A. s’est peaufinée qui a amené l’équipe de Goettingen à
proposer le concept de dépression gériatrique. Le tableau classique de la dépression est modifié par :
a) une importance plus grande de plaintes somatiques : celles-ci sont souvent plus vagues et polymorphes et
devraient être pour le praticien indicatrices de dépression lorsqu’elles ne sont pas documentées par les examens
techniques, répondent peu ou paradoxalement aux traitements et surtout lorsqu’elles connaissent des fluctuations
dans la journée (maximales au lever et dans la matinée, en régression voire disparition l’après-midi).
b) une structuration différente de la perte d’estime de soi : chez le vieillard, celle-ci est souvent nourrie par des
reproches ou des autoaccusations qui prennent appui sur des faits anciens, invérifiables et que parfois le patient
évoque pour la première fois. L’incrédulité perplexe que l’entourage exprime et surtout que le médecin ressent
devant ces assertions incontrôlables constitue un élément important de diagnostic.
c) une réduction du champ fantasmatique : alors que les déprimés de tous âges expriment souvent deux fantasmes
- “partir loin, on ne sait où” et “dormir une bonne fois pour récupérer” - ceux-ci ne sont - et c’est un piège - quasi pas
exprimés par les vieux patients même suicidaires si ce n’est de manière incidente par exemple par ce que l’on
appelle une “fugue” ou par une décision impulsive de placement. Le plus souvent, ils sont agis, déguisés par des
comportements régressifs : négligence de la toilette, isolement social, omissions de tâches domestiques, oublis de
médicaments, monotonie de l’alimentation...
d) le peu d’intérêt qu’offrent certains symptômes (l’agitation ou l’inhibition par exemple) alors que d’autres moins
fréquents en psychiatrie générale, devraient nous alerter : l’irritabilité, les troubles de l’endormissement ou de
multiples réveils agités. Le “on vieillit comme on a vécu” est règle suffisamment générale en gériatrie pour que le
moindre changement caractériel ou comportemental s’impose comme un gyrophare !
e) la présence éventuelle de signaux suicidaires : Osgood en 1982 avait déjà épinglé le fait de mettre ses affaires
en ordre, de rédiger un testament, de distribuer ses biens, de tenir des propos impersonnels sur la mort, de changer
inopinément de religion ou de modifier impulsivement son régime alimentaire...
Ajoutons la situation fréquente d’une demande de consultation au début de laquelle le patient affirme ne plus
“savoir pourquoi il est venu” : le trouble mnésique apparent n’est sans doute pas le primum movens !
Le diagnostic clinique doit également tenir compte des trois éléments circonstanciels suivants :
1. les déficits des fonctions cognitives et en particulier de la mémoire risquent du fait de leur médiatisation (y compris
dans les milieux médicaux) d’occulter d’autre(s) pathologie(s) souvent curable(s). Un tel déficit en tant que tel et
surtout s’il n’est “objectivé” qu’une seule fois ne constitue un paramètre ni de diagnostic ni d’exclusion de la
dépression. Un dément peut être déprimé et il existe une clinique d’allure démentielle chez certains déprimés âgés
(= les pseudodémences).
2. les vieux messieurs que nous soignons actuellement appartiennent à une génération qui a appris qu”un garçon,
ça ne pleure pas”. Devenu vieux, ce petit garçon ne pleure toujours pas... sauf avec son tube digestif ou son
hypertension et si son médecin attend qu’il pleure pour le vivre comme dépressif, il risque de devoir acter son suicide
! Barraclough a montré que 45 % des vieillards qui se suicident avaient vu un médecin la semaine qui précédait leur
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geste et qu’ils étaient 70 % à l’avoir consulté dans le dernier mois !
3. l’anamnèse est une donnée fréquemment négligée en gériatrie. Sa récolte n’est pas facile, elle n’est apparemment
pas toujours fiable, doit souvent se compléter ultérieurement et requiert d’interroger l’entourage. Et cependant, le
début des troubles, leurs caractéristiques initiales, leur évolution, les échecs des mises au point et des premiers
traitements et les changements de personnalité par exemple sont d’une incalculable richesse diagnostique. Le
médecin devrait se convaincre que plus son patient est âgé, que plus il est conscient de sa finitude et que plus il est
tenté de mettre fin à sa vie, plus il aspire inconsciemment à se dire, à dire sa vérité d’être : “Plus on vieillit, plus la
nostalgie de l’être l’emporte sur la tentation de falsification” (Cribier).
C. Les traitements médicamenteux
Il est unanimement admis aujourd’hui que l’ensemble des molécules à action dépressive prescrites en psychiatrie
générale est également utilisable chez les P.A.. Ce sont les modalités d’administration qui doivent être adaptées et
les précautions liées aux contre-indications et interférences qui doivent être sensiblement plus grandes.
Les tricycliques
Les tricycliques ont été pendant trente ans la pierre angulaire des traitements médicamenteux de la dépression.
Leur action antidépressive est bien établie sur différents types de dépression et chez des patients de tous âges. La
clomipramine reste une référence à laquelle toutes les nouvelles molécules sont comparées.
Leur prescription doit se faire prudente compte tenu d’une cardiotoxicité incontestable bien corrélée avec les taux
plasmatiques en tricycliques lesquels, il faut cependant le noter, n’ont jamais été standardisés pour les P.A. en terme
de rapport taux sérique/efficacité. La toxicité sur le système nerveux central (syndrome toxique anticholinergique
du S.N.C. : désorientation, confusion, agitation, paresthésies, hallucinations + autoapognosie) bien que beaucoup
plus rare (et devenue plus rare) est également fonction des taux sériques. Plus souvent déniées par le praticien et
d’autant plus dangereuses sont les multiples interactions pharmacodynamiques : les amines tertiaires (imipramine
et amitriptyline) sont beaucoup plus susceptibles de telles interactions que les amines secondaires (désipramine,
nortriptyline). Celles-ci doivent donc être préférentiellement employées en cas de troubles hépatiques (on by-passe
la déméthylation). L’action anticholinergique périphérique est bien connue, peut-être même trop bien connue ! En
effet, les effets anticholinergiques, jugés mineurs en psychiatrie générale, ont en gériatrie de grandes conséquences
: la sécheresse des muqueuses altère la bonne adaptation des prothèses dentaires et peut aggraver la malnutrition...
Les troubles visuels se surajoutent fréquemment à des déficits sensoriels préexistants de sorte que les chutes ne
sont pas toujours dues à une hypotension orthostatique et que les dyspraxies d’habillage ou alimentaires ne sont
pas toujours imputables à une détérioration sous-jacente. De même, il ne faut pas perdre de vue qu’en cas de
maladie d’Alzheimer, la clinique anticholinergique est une majoration du syndrome démentiel et une apparition
précipitée de la confusion.
L’ensemble de ces effets indésirables ne doit pas décourager le praticien dont ils mettent à vrai dire la vigilance et
la compétence à l’épreuve : il doit tout au contraire s’interroger.
- Pourquoi chez le jeune adulte prenons-nous la peine de le prévenir, avant traitement, d’une probable sécheresse
de bouche ou d’une éventuelle constipation et ne le ferions-nous pas avec un vieillard ? - Pourquoi chez celui-là
note-t-on au dossier les symptômes physiques de sa dépression pour lui rappeler ensuite s’il veut en faire des
effets secondaires de sa médication et ne ferions-nous pas de même avec celui-ci ? A propos d’effets secondaires,
rappelons le paradoxe de Nydam : “Plus le patient est déprimé, moins nombreux sont les effets secondaires” de
sorte que si ceux-ci apparaissent tardivement, le médecin averti peut y voir une justification à une première
réduction de posologie... N’ayons pas peur : prévenons nos patients, départageons symptômes dépressifs et
effets secondaires, osons dire à nos vieux patients connus comme nous le disons aux plus jeunes qu’il est
malheureusement un prix à payer “pour s’en sortir” et quand je dis “prix”, je ne parle évidemment pas “finances”
puisque le coût financier des tricycliques est très bas.
- Une attitude de défiance à l’égard des tricycliques n’est-elle pas paradoxale chez celui qui les décrie et prescrit par
ailleurs des neuroleptiques ou de l’oxybutynine ?
- Se souvient-on assez que les tricycliques sont fortement liés aux protéines et que dès lors, en cas de baisse du
taux d’albumine circulante, la fraction d’antidépresseur non liée et donc active sera plus grande ? Un profil
protéique est donc souvent utile et justifié.
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Pour faire bref procès, rappelons succinctement que :
- La clomipramine a une action anxiolytique et voilà peut-être une benzodiazépine de moins !
L’amitryptiline a une action sédative les 10-12 premiers jours qui peut aider contre les troubles du sommeil et
protège aussi le patient suicidaire contre ses impulsions.
- La trimipramine très sédative peut également remplacer un hypnogène. L’amertume de ses gouttes prévient la
tentation de surconsommation.
- La dosulépine est de cette famille certes la moins anticholinergisante mais son action antidépressive est aussi un
peu moins spectaculaire.
Les I.M.A.O.
Il y a un quart de siècle, nous regrettions que la réputation fâcheuse des I.M.A.O. se soit injustement étendue à la
psychogériatrie. Depuis lors, l’évolution s’est faite de manière assez paradoxale. Alors que les psychogériatres
anglo-saxons défendent et préconisent la prescription de ces molécules en se basant sur des dosages, post-mortem
il est vrai, des monoaminooxydases cérébrales. En Belgique, nous ne disposons plus que de deux substances, la
phénelzine et le moclobémide (I.M.A.O. réversible). Elles peuvent être utiles pour traiter une première dépression
tardive et fort apathique. Une autre I.M.A.O., la sélégiline, n’est remboursée que dans le traitement de la maladie de
Parkinson. Elle peut cependant être efficace dans les dépressions mélancoliformes qui accompagnent parfois la
vraie maladie d’Alzheimer. La charge financière que sa prescription entraîne est malheureusement un frein, bien que
nous pourrions nous interroger sur le rapport qualité/prix de certains nootropes dans les mêmes indications...
Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS)
La faible affinité de ces substances pour les récepteurs muscariniques et alpha-adrénergiques dont témoignent
leurs moindres effets anticholinergiques et cardiovasculaires leur a valu une popularité qui déborde dans l’univers
médiatique.
Ces médications apportent un progrès et des avantages. Leur efficacité est réelle mais peut-être pas supérieure aux
quelques tricycliques auxquels ils ont été comparés. C’est surtout une tolérance plus grande qui a fait que pour
beaucoup de médecins, les ISRS sont devenus le premier choix dans le traitement médicamenteux de la dépression
de la P.A. A l’absence d’effets anticholinergiques s’ajoute une qualité, l’avantage de la prise unique journalière.
En raison de leur usage répandu, leurs effets indésirables sont bien connus :
a) des effets secondaires spécifiques :
- troubles gastro-intestinaux (nausées, vomissements, diarrhées)
- céphalées
- anorexie et perte de poids
- insomnie et sudation excessive
- troubles sexuels
b) une inhibition des isoenzymes du cytochrome P450, ce qui induit des risques d’interaction médicamenteuse. Les
études en ce domaine sont parfois contradictoires : il faut néanmoins se souvenir que pour certains ISRS (paroxétine
et fluvoxamine), les interactions médicamenteuses subséquentes concernent notamment les bêta-bloquants, des
neuroleptiques, des anticoagulants coumariniques, certains antiarythmiques et les antidépresseurs tricycliques.
c) c’est en association avec ces derniers, ou avec certains antiparkinsoniens ou certains neuroleptiques, que les
ISRS ont pu occasionnellement induire un syndrome sérotoninergique. Celui-ci, décrit pour la première fois en 1991
par Sternbach, comprend de la confusion, de l’agitation parfois hypomaniaque, des myoclonies et des tremblements,
des frissons et de l’hyperhydrose et d’abondantes diarrhées. Depuis lors, des issues fatales ont été décrites lors de
l’association fluoxétine / I.M.A.O. et le syndrome semble même s’être produit dans des situations de monoprescription
(toujours difficiles à contrôler cependant).
Des études contrôlées, de plus longue durée, chez les P.A. sont souhaitables. L’interférence avec les coenzymes du
cytochrome P450 doit être précisée. De plus, il serait utile de mieux cibler les différents produits.
Mais il faut savoir que contrairement à ce qui se passe chez l’adulte plus jeune, il est chez le vieillard hasardeux de
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prétendre prévoir l’effet sédatif ou stimulant de la molécule. Dans notre expérience, une fois sur trois le moment de
l’administration a dû être décalé pour cause d’insomnie ou de somnolences imprévisibles. Breasley a ainsi publié en
1992 une analyse de l’action de la fluoxétine. Chez 40 % des patients, cette substance a une action excessivement
activatrice. Chez 23%, elle induit une sédation exagérée et chez quelques-uns, elle associe les deux actions !
Des accidents de sevrage peuvent apparaître en cas d’arrêt brutal.
Les autres antidépresseurs
La miansérine offre l’avantage d’un large éventail posologique et d’un effet initial souvent très sédatif, qui l’apparente
parfois aux hypnogènes. En gériatrie, il convient de la prescrire en dose unique le soir et il faut garder à l’esprit la
prise de poids et les risques non négligeables de leucopénie (réversible).
Le généraliste pourra aussi occasionnellement prescrire en M.R. ou M.R.S la viloxazine sous forme de perfusion
intraveineuse. Celle-ci placée lors de son arrivée dans l’établissement, sera terminée une heure et demie plus tard
lorsqu’il aura terminé son tour. Active dans les dépressions apathiques, cette molécule offre l’avantage d’un résultat
rapide endéans la douzaine de jours lorsqu’il se produit. Toutefois, la viloxazine se signale aussi par une intolérance
digestive initiale et une potentialité épileptogène.
La prescription de carbonate de lithium a soulevé en gériatrie bien des controverses. Un consensus semble
actuellement se faire autour des points suivants :
- l’âge en soi n’est pas une contre-indication à une lithiumthérapie ;
- les indications ne changent pas avec l’avance en âge ;
- des garanties doivent être prises quant à l’intégrité des fonctions rénales et cardiaques. L’usage concomitant d’un
diurétique est absolument proscrit ;
- une attention particulière doit être apportée aux fluides : 2 litres de boissons par jour et le monitoring sanguin doit
être renforcé en cas de vomissement, de diarrhée ou de sudation (les canicules !) ;
- à l’équilibre thymique, les lithiémies ont tendance chez les P.A. à être légèrement plus élevées sans doute du fait de
la diminution du volume total de l’eau ;
- il est également acquis que des signes objectifs d’atrophie cérébrale même “débutante” sont des facteurs d’exclusion
d’une lithiumthérapie.
Par contre, l’arrêt d’une lithiumthérapie (avec ou sans passage à un autre stabilisateur) ou au contraire, l’adjonction
éventuelle d’un antipsychotique “atypique” (risperdone ou olanzapine, par exemple) relèvent exclusivement de la
compétence d’un praticien expérimenté et justifient même souvent une (brève) hospitalisation.
Les médecins disposent depuis quelques années d’antidépresseurs qui à l’inhibition de la recapture de la sérotonine
(ISRS) ajoutent celle - et elle est alors qualifiée de “puissante”- de la recapture de la noradrénaline (INSRS) : ce sont
par exemple la venlafaxine, la réboxétine et la mirtazapine. Cette dernière propriété pharmacologique est sans
doute responsable d’effets secondaires particulièrement pénibles en clinique gériatrique : états d’agitation et
insomnies d’endormissement difficiles à supporter par l’entourage familial et qui induisent paradoxalement
l’adjonction d’un “sédatif” !
De surcroît, les possibilités d’association(s) médicamenteuse(s) - la polymédication de P.A. est parfois incontournable
- n’ont semble-t-il encore été étudiées qu’avec d’autres psychotropes ou des antihypertenseurs et ceci au seul plan
de la tolérance clinique. “Aucune étude d’interaction médicamenteuse pharmacocinétique spécifique n’a été
entreprise” (Lacante, souligné par nous). La courte demi-vie de la réboxétine expose les patients à un risque de
syndrome de sevrage en cas d’arrêt brutal du traitement. Par contre, la forme à libération prolongée de la venlafaxine
n’a été étudiée que par un seul auteur qui, en dépit d’une clairance plasmatique réduite de 20 %, estime que cela ne
requiert généralement pas d’adaptation de la dose. Pour la mirtazapine, les études seraient en cours... Ces
considérations imposent donc la plus grande prudence dans la prescription gériatrique de ces nouvelles substances.
La sismothérapie
Des controverses identiques ont concerné le recours aux électrochocs (E.C.T.). Des contre-indications existent,
essentiellement cardiovasculaires et d’atrophie cérébrale : elles ne sont pas en relation directe avec l’âge. Des
effets indésirables existent également (troubles mnésiques, confusion) généralement transitoires et dont témoignent
les précautions prises par ceux qui les pratiquent (E.C.T. unilatéraux, prescription préalable et concomitante de
nootropes...).
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D. Les conclusions
Le recours correct aux médicaments antidépresseurs ne peut s’imaginer sans un support psychothérapeutique
minimal : un médicament, aussi judicieux en soit le choix, ne restitue pas les bons objets d’investissement !
Un code de bonne prescription suppose en outre le respect de quelques règles :
- savoir reconnaître la dépression, c’est-à-dire avoir la volonté de la débusquer et s’imposer un travail de sémiologie
adaptée à la P.A.,
- avant de traiter, bien la définir dans sa symptomatologie et l’inscrire dans l’histoire personnelle du patient,
- parallèlement, traquer les troubles somatiques, soigner une dépression chez un vieillard, c’est aussi tester nos
connaissances en médecine physique et sans doute, est-ce alors que l’on est pleinement médecin,
- cet abord clinique est d’autant plus impérieux que les tests biologiques, non standardisés en gériatrie, sont sans
intérêt dans le diagnostic différentiel et qu’une lésion cérébrale (une atrophie, par exemple) même bien documentée
n’exclut pas une dépression ni son traitement. Traiter, oser traiter même dans le doute. Il est admis actuellement
que devant un diagnostic incertain (une pseudodémence supposée, par exemple), les effets secondaires éventuels
d’un traitement incisif sont préférables à une condamnation à la démence. Et traiter, c’est souvent commencer par
un sevrage et en tout cas éviter la polythérapie !
Combien de temps faut-il traiter ?
Les avis divergent, mais on se souviendra que 20 % des déprimés âgés rechutent dans les six mois de l’arrêt du
traitement et que plus la dépression survient tard dans la vie, plus les risques de rechutes sont grands. Dans la même
perspective, l’étude Old Age Depression Interest Group a montré que sur 2,5 ans, la probabilité de rester en bonne
santé (thymique) est 2,5 fois plus grande chez les P.A. qui reçoivent un antidépresseur (et ajouterons-nous, c’est
sans doute aussi incidemment dire l’importance du contact avec le médecin-prescripteur du dit antidépresseur !).
C’est dire que la période de vulnérabilité, classiquement décrite au cours d’un traitement anti-dépresseur et après
obtention d’un effet thérapeutique, est sensiblement plus longue chez la P.A. qui doit être assimilée à une personne
à risque (notion de fragilité).
“Rien n’est plus doux à l’âme que de rendre une âme moins triste”
Verlaine
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Le delirium
J. Godderis
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Un trouble psycho-organique très fréquent surtout chez les personnes âgées en
hospitalisation aiguë
Renvoie presque toujours à un problème somatique aigu ou à l’administration (ou l’arrêt)
brutale de médicaments.
Le diagnostic se pose de manière clinique. Un des principaux symptômes est le trouble de
l’attention.
Pour le delirium, il n’existe aucun test de laboratoire ou psychologique fiable.
Le diagnostic différentiel avec la démence repose sur des différences dans le tableau
clinique (fonctions d’attention) et sur l’évolution.
A. Définition et épidémiologie
Le delirium est un trouble psycho-organique aigu et en principe réversible qui peut survenir sous l’influence de
conditions matérielles diverses (affection somatique, médicaments…), mais aussi être la conséquence d’un stress
de longue durée, lorsque le patient se trouve déjà dans un équilibre biopsychologique très instable.
Quoique le delirium soit un trouble psycho-organique très fréquent, il existe peu d’études de qualité concernant sa
prévalence et/ou son incidence. Néanmoins, on peut observer que parmi les personnes âgées hospitalisées, au
moins une sur quatre présentera du delirium à un moment donné au cours de son séjour à l’hôpital. Il est important
de reconnaître cet état; en effet, le delirium peut parfois suivre un cours défavorable (entre 15 et 40% des cas seront
associés à une évolution fatale dans le mois qui suit).
B. Delirium, démence ou “confusion” ?
Les tableaux cliniques du delirium et de la démence (avec laquelle on confond souvent ce syndrome) souffrent
encore de l’emploi sémantique incohérent qui est fait de ces deux termes. De fait, les profanes, mais aussi certains
médecins, utilisent volontiers les termes “confus” et “confusion” pour recouvrir les deux syndromes. Bien souvent,
on ne sait pas avec certitude s’il faut utiliser ces termes au niveau du diagnostic, c.-à-d. en tant que catégories de
classification (“il ou elle présente un syndrome de confusion”) ou s’il faut les utiliser comme des termes purement
descriptifs (“il ou elle souffre d’une démence caractérisée par une confusion sévère”).
Chacun semble savoir ce qu’on entend précisément par “confusion”, et pourtant, il s’avère que personne ne le sait
en réalité. Il y a presque autant de définitions de la “confusion” que de professionnels de la santé qui en parlent. Si
les mots doivent avoir un sens permettant de véhiculer des significations univoques, le terme “confusion”, du moins
dans un contexte médical, n’y réussit pas vraiment et provoque une grande “confusion”. Simpson a diffusé en 1984
un rapport concernant une enquête par questionnaire dans laquelle on demandait à 274 médecins et membres du
personnel paramédical de choisir, dans une liste, les symptômes ou problèmes qui leur semblaient caractéristiques
d’un état confusionnel. Simpson a mis en évidence une grande variation dans les symptômes et problèmes choisis,
lesquels allaient des troubles de l’orientation aux difficultés de concentration, en passant par les troubles de la
mémoire immédiate, la régression sur le plan cognitif, l’angoisse, la nervosité et/ou les symptômes psychotiques. Il
concluait avec raison que ce terme n’était pas à utiliser dans la pratique clinique, à moins d’être employé à des fins
opérationnelles.
D’autres continuent néanmoins à utiliser le terme “confusion” parce qu’il “évoque de manière simple un problème
important, auquel sont confrontés les patients comme les prestataires de soins. Son emploi lors d’une évaluation
initiale permet d’éviter volontairement de qualifier prématurément cet état clinique de démence (qui a souvent la
connotation d’irréversibilité) ou de delirium (qui suggère la réversibilité) à un moment où il est encore difficile de
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choisir une dénomination non équivoque et où celle-ci risquerait probablement de trop résulter de préjugés lors du
diagnostic chez les personnes âgées.”
On peut souscrire sans difficulté à cette dernière constatation, c.-à-d. qu’il est difficile de diagnostiquer ces symptômes
chez une personne âgée (surtout dans ce qu’on appelle les formes frustes ou oligosymptomatiques), où l’on reconnaît
les recommandations du grand médecin et psychiatre néerlandais H.C. Rümke, selon qui il n’est possible d’arriver
qu’à des interprétations plus ou moins correctes et souvent transitoires de l’état d’un patient, lesquelles peuvent
ensuite être revues à mesure que l’on obtient des éléments de réinterprétation.
Néanmoins, cette observation (où transparaît une peur des “étiquettes”) est problématique pour plusieurs raisons.
La confusion de la pensée (évidemment reflétée dans une confusion au niveau de la question de ce qu’il convient de
faire !) n’en est pas supprimée pour autant. En réalité, il est impératif d’établir un diagnostic correctement différencié
le plus rapidement possible. Les actions et le pronostic du clinicien en dépendent. Il est d’ailleurs possible, la plupart
du temps, de différencier rapidement deux syndromes bien définis : démence et delirium, même s’il faut tenir compte
d’un certain recouvrement symptomatologique, trompeur lors d’un premier coup d’œil rapide.
C. Recouvrement symptomatologique
De fait, on peut observer, aussi bien chez le patient présentant un delirium que chez le patient dément, un grand
nombre de troubles : fébrilité, agitation, désinhibition, tics vocaux et apathie; troubles cognitifs tels que des troubles
de la mémoire, de l’orientation et des facultés d’abstraction; troubles non cognitifs tels que des troubles de la
perception (c.-à-d. hallucinations ou erreurs dans la reconnaissance des personnes); troubles de l’humeur et de
l’affect, voire parfois du delirium paranoïaque floconneux (tableau 1).
Tableau 1 Symptômes du delirium et de la démence
Troubles du comportement
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Fébrilité
Agitation
Désinhibition
Tics vocaux
Apathie
Troubles cognitifs
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Troubles de la mémoire
Troubles de l’orientation
Troubles de la faculté d’abstraction
Troubles de l’idéation
Troubles non-cognitifs
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Troubles de la perception
(hallucinations, fausses identifications)
Troubles de l’humeur et de l’affect
(humeur dépressive, anxiété)
Labilité émotionnelle
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·
En outre, les deux syndromes peuvent coexister, du moins en principe : un pourcentage non négligeable de patients
souffrant de démence (40% selon certaines études) présentent, à leur arrivée dans un hôpital général, un tableau
clinique de delirium. Inversement, 25% des patients présentant du delirium présentent aussi de la démence.
D. Les causes du delirium et de la démence
Tout ceci ne simplifie pas les choses. Il n’en reste pas moins important de bien séparer les deux syndromes (dans leur
forme prototypique). En effet, un delirium implique pratiquement toujours la présence d’une affection somatique
subaiguë à aiguë (de localisation intracérébrale ou, plus fréquemment encore, extracérébrale) qui compromet de
manière soudaine et souvent brutale les processus homéostasiques déjà précaires du patient (tableau 2).
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Tableau 2 Causes les plus fréquentes
Delirium
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Infections aiguës (intra- ou extracrâniennes)
Trouble physiologique ou métabolique
Décompensation cardiaque
Infarctus du myocarde
Accident vasculaire cérébral
Traumatisme cérébral
Tumeur au cerveau
Intoxication médicamenteuse, empoisonnement
Arrêt brusque d’une médication
Démence
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Maladie d’Alzheimer
Démence vasculaire
Atrophie lobaire focale (maladie de Pick)
Maladie de Parkinson
Affection corticale diffuse avec corps de Lewy
Maladie de Huntington
Démence frontale
E. Diagnostic
Présentation clinique du delirium
La symptomatologie (c.-à-d. le tableau psychiatrique) du delirium est caractérisée par de très nombreux symptômes
présents pendant la journée de manière plus ou moins marquée, mais dont l’intensité, en général, augmente la nuit.
Les symptômes constitutifs du diagnostic sont des fluctuations très nettes dans les fonctions d’attention tonique et/
ou d’attention sélective (y compris une incapacité à mobiliser cet aspect de l’attention sur une période relativement
longue). Ces symptômes, qui sont un peu plus importants que les autres symptômes du delirium, doivent dès lors
faire l’objet de recherches actives (tableau 3). En outre, ils sont absents en cas de démence (à moins que la
démence ne se complique d’un delirium).
Tableau 3 Le delirium – tableau psychiatrique
Troubles
De l’attention tonique
De l’attention sélective
Symptômes du premier rang
Du rythme du sommeil et de l’éveil
De la mémoire
De l’orientation
Temps, lieux, personnes
De la perception
Pareidolies
IIlusions
Hallucinations
De l’activité psychomotrice
Hyperactivité
Hypoactivité
De la parole et du cheminement des pensées
De l’humeur et de l’affect
Anxiété, dépression
Agressivité
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Fonction d’attention tonique
Chez le patient présentant un delirium, les fluctuations de la fonction d’attention tonique sont typiques, ce que
Mesulam appelait la fonction “matrice” de l’attention (tableau 4). Cet aspect de l’attention (on pourrait dire aussi
“conscience”) sous-entend la vigilance (alertness) et la faculté de concentration, c.-à-d. deux conditions nécessaires
pour un traitement efficace de l’information reçue de l’environnement. Presque tous les stades intermédiaires
peuvent être observés entre la lucidité à l’état pur (pondération) et l’état comateux, depuis un léger obscurcissement
(ou hébétude) et une somnolence profonde et croissante (sive sopor) jusqu’au précoma ou au coma. Dans ce dernier
cas, la scène de la conscience (pour reprendre l’image de Jaspers) est pour ainsi dire de moins en moins éclairée, et
finit par rester dans l’obscurité totale.
Tableau 4 Attention tonique - fonction matrice
· Vigilance de l’esprit (“alertness”)
· Faculté de concentration
Intérêt d’un traitement efficace de l’information
· Fluctuant
· Variable
Pondération
Hébétude(Obscurcissement)
Somnolence
Sommeil profond
Etat précomateux
Coma
· Parfois trouble léger
Si l’attention tonique est légèrement altérée, le patient réagira de manière lente et inadéquate. Il faut élever la voix,
crier le nom du patient, frapper légèrement son épaule ou revenir dans son champ de vision afin de “ressusciter” sa
conscience, pour ainsi dire. Le patient semble trouver compliquées des demandes simples; la plupart du temps, il ne
les comprend pas bien.
L’attention sélective
Une fluctuation de l’attention sélective (ce que Mesulam appelle la fonction “vecteur” de l’attention) est probablement,
en fonction du temps, le symptôme le plus important dans le delirium (tableau 5).
Tableau 5 Attention – fonction vecteur
Fonction d’attention sélective (“sélection”)
régulation de la direction et de l’objectif
de l’attention dans différents “espaces”
- extra-personnel
- mnémonique
- sémantique
- viscéral (stimuli internes)
“égarement”
- être dévié
- ne pas pouvoir diriger ses pensées
- ne pas pouvoir faire d’opérations tendues vers un but
- aucun dialogue possible
“fixation”
- rester “collé”
- ne pas pouvoir passer d’un sujet à l’autre
- persévérer
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Cet aspect de l’attention concerne la “sélection”. Il règle la direction et le but de l’attention dans les divers espaces
pertinents considérés du point de vue du comportement : l’espace extra-personnel (l’espace où se situe le patient
à un moment donné), l’espace mnémonique (ou l’espace de son contenu mémoriel), l’espace sémantique et l’espace
viscéral (ou espace des stimuli internes issus de divers organes). Bien que ce symptôme fondamental (fluctuation de
l’attention sélective), encore plus important que l’éventuel (mais non nécessaire) trouble de l’attention tonique
préalable, soit souvent caché par d’autres symptômes plus nets (p.ex. de l’agitation), il ne sera jamais absent à
l’examen plus poussé. S’il est observé, il s’agit d’un symptôme de premier rang. Il pèse d’un poids décisif dans le
diagnostic du delirium.
De fait, par à-coups, le patient délirant paraît vite perdu; en général, il ne parvient pas à diriger son attention vers les
stimuli qui lui parviennent de son environnement. Il se trouve dans l’impossibilité apparente de penser de manière
dirigée et, en même temps, il ne réussit pas à mener à bien les actes déterminés par un but après les avoir ébauchés.
Pour les mêmes raisons, il est impossible de l’impliquer dans une conversation, même brève. Il est sans cesse distrait
par quantité de stimuli non pertinents, ou bien il glisse assez vite en dehors de la conversation, dans laquelle il ne
peut plus du tout être ramené, ou du moins très difficilement. On l’observe parfois parler de manière pour ainsi dire
autonome, mais il apparaît clairement qu’à aucun moment il ne donne une réponse véritable aux questions posées;
il donne en outre l’impression que sa notion de la réalité ou sa compréhension de la situation sont fortement
altérées. Chez ce patient, aucun dialogue (“Zweigespräch”) ne s’établit, quels que soient les efforts déployés par luimême et par l’expérimentateur. Ceci contraste nettement avec la conversation des patients déments qui (si leurs
facultés d’attention ne sont pas altérées, ce qui est généralement le cas) donnent une réponse rapide, et même, en
général, une réponse d’un type attendu par l’expérimentateur. Cependant, à l’examen poussé (c.-à-d. en vérifiant les
données hétéro-anamnestiques), il s’avère que cette réponse est fausse.
Outre cette tendance accrue à dévier, à cause de laquelle il est impossible de diriger l’attention, même sur une brève
période, vers des stimuli environnementaux, le “vecteur” de l’attention chez les patients en état confusionnel aigu
peut rester fixé sur un stimulus déterminé. Dès lors, la syntonisation souple sur de nouveaux stimuli extérieurs n’est
plus possible. Le patient reste pour ainsi dire collé sur des thèmes ou des stimuli déterminés; il persévère
éventuellement et il apparaît alors que ses pensées se dirigent de manière itérative sur un nombre limité de thèmes
ou sur un stimulus bien déterminé.
Il est possible de quantifier l’”attention sélective” et la concentration (faculté de fixer cet aspect de la fonction
d’attention sur des stimuli déterminés sur une période un peu plus longue) grâce à des tests comme le “digit
repetition test” (test de répétition de chiffres), le “Random Letter test” (consistant à frapper sur la table avec un
crayon lors de la présentation d’une lettre cible déterminée), le “serial substraction of sevens test” (soustraction
séquentielle du chiffre 7, en commençant à 100), la déclamation du nom des mois de l’année en ordre inverse, la
demande d’énumérer des mots commençant par une lettre donnée (p. ex. le B) ou appartenant à une catégorie
sémantique particulière (p. ex. animaux, fruits, etc.).
Rythme veille-sommeil
Il existe encore d’autres symptômes, mais qui ne sont pas constitutifs du diagnostic de delirium. Il s’agit des troubles
du rythme veille-sommeil (caractérisés par la somnolence et l’inactivité dans la journée et un réveil vers le soir,
associé à de l’agitation et de l’hyperactivité). Ces symptômes ne sont pas spécifiques. Comme on le sait, il n’est pas
rare de les observer également chez les patients atteints de démence.
Mémoire
On constate aussi, en cas de delirium, des troubles de la mémoire. Au contraire de ce que l’on observe dans la
démence, ils doivent être interprétés comme des troubles secondaires. Il s’agit d’une conséquence directe de
troubles primaires préalables de l’attention et/ou de la concentration.
Le déficit de l’attention portée sur les stimuli environnementaux ou, autrement dit, l’inaptitude à sélectionner les
plus pertinents parmi les stimuli qui se présentent, issus des divers espaces internes et externes, a pour conséquence
que le patient éprouve d’autant plus de difficultés à bien mémoriser des informations nouvelles, à bien les conserver
ensuite, et à bien pouvoir les reproduire.
Chez un patient atteint de delirium, il est difficile, sinon impossible, de circonscrire de manière différenciée les
troubles de la mémoire. Quand le delirium s’est dissipé, on constate le plus souvent une amnésie partielle ou même
complète pour l’épisode en question. Tout se passe comme si les stimuli reçus par le patient au cours de cette
période n’avaient laissé sur lui aucune trace.
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Orientation
En cas de delirium, d’autres troubles peuvent encore constituer des symptômes notables : il s’agit des troubles de
l’orientation dans le temps et, éventuellement, dans l’espace, ou entre les personnes, ou même d’une double
orientation et/ou désorientation géographique (où le patient sait qu’il se trouve, p. ex., à l’hôpital mais en même
temps, il est persuadé de faire un séjour dans un petit sous-département de cet hôpital, tout près de sa maison). Ces
troubles (de même que les troubles de la mémoire) doivent être attribués à des troubles fondamentaux de l’attention.
Perception
On constate fréquemment la présence de troubles de la perception, tels que de véritables expériences hallucinatoires
(essentiellement visuelles) mais les pareidolies et les illusions (p. ex. l’impression fugace qu’un manteau qui pend
derrière une porte est une personne qui se tient là avec une attitude menaçante) sont également fréquentes, au
contraire de ce que l’on peut constater en cas de démence. Il est important de noter que ces troubles peuvent être
présents de manière très changeante d’un moment à l’autre. Dans ce cas, l’aspect matrice de l’attention n’est pas
nécessairement altéré, mais c’est comme si la fonction vecteur correspondante se déplaçait, de manière fluctuante
et très chaotique, voire kaléidoscopique, sous l’influence d’un bruit de fond nerveux préalable et de l’affect concomitant
(p. ex. l’angoisse ou l’affolement).
L’activité psychomotrice
On constate la plupart du temps aussi un certain degré d’agitation et d’agitation motrice. Pourtant, on peut aussi
observer de l’hypoactivité, à savoir de l’apathie et de l’akinésie, surtout à mesure que le delirium s’aggrave. Cela
peut même aller jusqu’à un négativisme locomoteur extrême et quasi catatonique, ou à la stupeur. Dans de tels cas
de delirium silencieux, le patient présente une apparente absence de réaction aux stimuli. Il se tait et reste immobile,
paralysé ou raide dans son lit, pour ainsi dire soudainement figé dans tous ses mouvements. De fait, stupeur vient
du verbe latin stupere, signifiant “s’arrêter brusquement dans ses mouvements”. Souvent, le patient est couché
avec les yeux ouverts, parfois avec un regard un peu atone et difficile à sonder; d’autres fois, le regard est plus
extraverti mais toujours fixe et anxieux. Il n’est pas toujours facile, sur base de l’examen du regard, de faire la
différence entre ces patients et les patients déments calmement alités.
La parole et le cheminement de la pensée
Les patients atteints de delirium ont souvent aussi un flux de pensées et un langage incohérents. Dans les premières
phases du delirium, le patient a du mal à ordonner ses pensées. Il ne parvient plus à relier les pensées, en perd
facilement le fil, rate l’essentiel d’un exposé et ne peut distinguer l’important de l’accessoire. Il saute de manière
inattendue d’un sujet à l’autre et parle parfois de manière franchement incohérente, surtout quand le delirium
s’aggrave. Des idées ou des contenus de pensées morcelés et fugaces hantent alors son esprit. Le patient éprouve
alors plus de difficultés non seulement pour structurer la réalité mais aussi pour ordonner ses expériences intérieures.
Il éprouve beaucoup de peine à faire la différence entre ses expériences et ses souvenirs d’une part, et d’autre part,
ce qui se déroule dans le monde extérieur, sur lequel il n’a plus prise.
L’humeur et l’affect
Enfin, il faut encore signaler les troubles de l’humeur et de l’affect, qui peuvent aller de l’euphorie à la dépression. On
observe aussi très souvent de la stupeur accompagnée d’apathie et d’indifférence (paisible). Tout aussi fréquente
est la labilité de l’affect : le patient devient brusquement anxieux, courroucé ou agressif, p. ex. dans le cadre d’un
delirium paranoïaque peu systématisé et effiloché, qui se tisse autour du trouble de la perception préalable. (La
fausse identification du manteau derrière la porte comme une personne menaçante peut s’incorporer dans une idée
délirante que toute personne qui s’approche fait partie d’une sinistre conjuration).
F. Diagnostic différentiel avec la démence
Le tableau du delirium est donc beaucoup plus pléiomorphe et kaléidoscopique que dans le syndrome de démence.
Ce dernier (s’il ne se complique pas d’un delirium concomitant) se caractérise par le développement et l’aggravation
progressifs de troubles de la mémoire (d’une diminution primaire de l’aptitude à apprendre de nouvelles informations
ou à se souvenir d’informations apprises au préalable); il s’associe éventuellement (mais pas nécessairement) et
dans une mesure variable, à des troubles cognitifs, tels que des troubles phatiques, pratiques et gnostiques ou à des
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troubles des fonctions d’exécution (faire des plans, organiser, faire des déductions logiques, des abstractions).
Cependant, les fonctions d’attention sont bien conservées.
G. Evolution du delirium
La démence et le delirium divergent également du point de vue de leur évolution. Le tableau clinique du delirium
commence le plus souvent de manière aiguë ou subaiguë (en quelques heures ou en quelques jours). Le delirium
apparaît plus souvent comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, quoiqu’on observe parfois une phase
annonciatrice caractérisée par un syndrome émotionnel ou neurasthénique. Sur ce point, le delirium s’oppose donc
à la démence (tableau 6). Il est clair que certaines démences peuvent connaître une installation aiguë, p. ex. celles
qui sont liées à un traumatisme cérébral, à une attaque ou à une intoxication par le monoxyde de carbone. Mais les
démences dégénératives se caractérisent par un début insidieux et une évolution progressive.
Tableau 6 Différences entre delirium et démence
Delirium
Démence
Attention
troublée
intacte
Illusions et hallucinations
fréquentes
rares
Cycle d’éveil et de sommeil
le plus souvent troublé
souvent normal
Symptômes somatiques/végétatifs
très présents
rarement proéminents
Installation
brusque
lente et progressive
Evolution
capricieuse
constante
Durée
la plupart du temps quelques jours, présent de manière prolongée
parfois quelques semaines,
(années)
rarement plus d’un mois
Dans la plupart des cas, la durée du delirium – en dépit du caractère souvent criant de la symptomatologie – est
assez courte, à condition que le problème de base soit traité rapidement. En l’absence de complications, le patient
traité de manière adéquate évolue rapidement vers un retour à la normale, bien que certains symptômes (p. ex. les
troubles de la mémoire, comme on l’a montré dans plusieurs essais récents) aient un caractère moins passager que
d’autres.
Dans des cas plutôt rares, il peut même subsister, de manière nette, un psychosyndrome organique résiduel avec
évolution prolongée (p. ex. une démence). Cette évolution dépend fortement de la cause et des lésions occasionnées.
Des deliriums découlant d’une hypoxie cérébrale marquée pendant la chirurgie hypotensive ou d’un arrêt cardiaque
soudain peuvent parfois se poursuivre sous la forme de démences, de même qu’un syndrome amnestique de
Korsakoff peut succéder à une encéphalopathie aiguë de Wernicke (c.-à-d. la combinaison d’un delirium le plus
souvent silencieux, d’une ataxie et d’un trouble de la motilité oculaire).
Enfin, les divers troubles cognitifs dans le cadre du delirium ont le plus souvent un caractère fluctuant et
kaléidoscopique : les moments de lucidité alternent avec les épisodes de confusion. Bien que le delirium soit en
principe un état réversible, le pronostic est souvent mauvais, surtout quand les causes sous-jacentes ne sont pas
diagnostiquées et traitées à temps, ou dans les cas où le patient refuse de boire et de s’alimenter.
Bien qu’il puisse exister, entre la démence et le delirium, des différences évidentes en ce qui concerne le tableau
clinique et l’évolution, il n’est pas toujours facile de distinguer ces deux syndromes, surtout quand on se base sur
une observation à un moment précis. Evidemment, des difficultés se font jour quand le tableau confusionnel n’est
pas manifeste. En outre, il ne faut pas perdre de vue qu’un delirium se superpose assez fréquemment à un syndrome
de démence. Il faut en tenir compte quand il existe des éléments suggérant une anamnèse de retard cognitif chez
le patient avant l’apparition du changement aigu de comportement; une détérioration subite de l’état du patient
dément (surtout quand aucun élément, ou des éléments peu nombreux, ne suggère l’existence d’une démence
vasculaire) doit également faire penser à la possibilité de l’apparition d’un delirium concomitant. C’est aussi le cas
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quand s’installe très rapidement un état de léthargie ou de stupeur. Des examens techniques aident à poser le
diagnostic clinique ou différentiel (à l’exception peut-être de l’EEG). Ils permettent souvent d’identifier le facteur
causal sous-jacent.
H. Aspects pathophysiologiques communs du delirium et de la démence
Le fait que les deliriums puissent apparaître si rapidement chez les patients déments alors que les facteurs
déclenchants ne sont que modérés, ou qu’ils puissent même se produire “spontanément” dans le cadre d’une
maladie d’Alzheimer évoluant rapidement, évoque la possibilité de l’existence de certains mécanismes
pathogénétiques communs à la maladie d’Alzheimer et au delirium. Cependant, on se perd encore en conjectures à
ce sujet.
On pense que le delirium est la conséquence d’une diminution du métabolisme cérébral, allant de pair avec une
diminution de la synthèse des neurotransmetteurs, entre autres de l’acétylcholine (c’est aussi et surtout ce médiateur
chimique qui semble faire défaut en cas de maladie d’Alzheimer).
Il semblerait en outre que des médiateurs inflammatoires, tels que l’interleukine 1, jouent un rôle dans le développement
d’un delirium. Ils pourraient constituer un maillon de la chaîne pathogénétique, entre les infections extracérébrales
et le delirium qui se produit fréquemment dans ce cas; mais les inclusions amyloïdes, typiques de la maladie
d’Alzheimer, présentent également les caractéristiques d’une inflammation chronique. Celles-ci comportent différentes
protéines de la phase aiguë. Ceci pourrait vraisemblablement expliquer l’observation clinique selon laquelle les
patients déments présentent souvent des épisodes confusionnels : en plus de la lésion cérébrale, la réaction de la
phase aiguë pourrait être un facteur prédisposant spécifique.
I. Delirium : l’approche thérapeutique
Le traitement du delirium est d’abord un traitement des causes (p. ex. une antibiothérapie en cas d’infection aiguë,
la correction de troubles métaboliques, etc.). Il faut toujours être attentif à l’état général (nutrition, bilan hydrique) du
patient, surtout chez les patients âgés vivant seuls (négligence personnelle!). La sédation pharmacologique (parfois
une condition sine qua non afin de pouvoir mener à bien les recherches cliniques et diagnostiques nécessaires) et
la sécurisation psychique (donner des explications, permettre les contacts avec la famille…) sont évidemment des
mesures importantes (tableau 7).
Tableau 7 Le delirium – principes thérapeutiques
Causal
Optimalisation de l’état général
bilan hydrique
nutrition,…
Symptomatique
sédation : médicaments
sécurisation : approche psychologique
· donner des informations
- soutien émotionnel
- réorientation
· optimalisation de l’environnement
- sensoriel
- social
Quand une sédation rapide est nécessaire chez un patient présentant un delirium et de l’agitation, on fera appel de
préférence à un antipsychotique ou à un neuroleptique. Tous les agents appartenant au groupe des butyrophénones
(halopéridol), pipampérone, dropéridol comme aux groupe des phénothiazines (chlorpromazine), thioridazine
chlorhydrate, lévomépromazine, etc.) sont comparables du point de vue de l’efficacité.
Dans le domaine des effets secondaires potentiels, il existe cependant de nettes différences entre ces produits. Les
effets secondaires sont déterminés par l’affinité de ces substances pour certains récepteurs centraux et périphériques.
Ainsi, des substances comme la thioridazine, du sous-groupe des phénothiazines, exerceront un blocage des
récepteurs cholinergiques tant centraux que périphériques, ce qui donnera lieu, respectivement, à une aggravation
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du delirium et un risque accru de glaucome et de rétention urinaire. Ensuite, par leur liaison au récepteur H1, ces
substances augmenteront la somnolence, ce qui détériorera plus encore la vigilance. Leur liaison aux récepteurs a1adrénergiques peut encore, entre autres, provoquer une hypotension (orthostatisme).
De ce qui précède, on peut conclure qu’au moment de choisir un neuroleptique, il faudra accorder la préférence au
groupe des butyrophénones, plutôt qu’au groupe des phénothiazines, ou à des substances comme la rispéridone ou
l’olanzapine, qui appartiennent au groupe récent des neuroleptiques atypiques, et dont l’activité anti-agressive a
bien été documentée récemment (tableau 8) !
Tableau 8 Le delirium – pharmacothérapie
Neuroleptiques
halopéridol < = > thioridazine
pipampérone, clotiapine
Alternatives
clométhiazole
trazodone
citalopram
sertraline
carbamazépine
Quand l’emploi d’un antipsychotique ne donne pas le résultat escompté, ou quand l’emploi de ces substances est
contre-indiqué (p. ex. chez un patient atteint de la maladie de Parkinson), on peut avoir recours à d’autres
médicaments, tels que le clométhiazole, la trazodone, la sertraline, le citalopram ou la carbamazépine (tableau 9).
Tableau 9 Le delirium – pharmacothérapie
Traitement rapide d’une agitation grave
halopéridol
2,5 à 5 mg IM prendre garde aux troubles extrapyramidaux
rispéridone
1 à 1,5 mg P.O.
Traitement d’entretien de l’agitation
pipampérone 20 à 120 mg par jour (2 x)
halopéridol 0,5 à 4 mg/jour (2 x)
zuclopenthixol 2 à 10 mg/jour (1 à 2 x)
rispéridone 0,5 à 1 mg/jour (la nuit)
Traitement de l’agitation nocturne
pipampérone 20 à 40 mg la nuit
clométhiazole 192 à 384 mg la nuit
clotiapine 10 à 40 mg la nuit, prendre garde à l’orthostatisme !
Alternatives aux antipsychotiques
carbamazépine 200 à 800 mg (3 à 4 x)
prendre garde à la leucopénie et aux exanthèmes
trazodone chlorhydrate 50 à 200 mg/jour
(2 à 3 x) (1 x la nuit)
citalopram bromhydrate 20 à 40 mg/jour (2 x)
sertraline 50 à 100 mg/jour (2 x)
Aspects du traitement et de la prévention
·
Le but principal du traitement est de corriger ou de supprimer le facteur causal sousjacent.
·
Il faut en outre garder à l’esprit les points suivants :
donner des informations au patient
une chambre d’hôpital bien éclairée et calme, avec des points de repère (réveil,
calendrier, photos de membres de la famille…)
polarisation de la surveillance et des soins sur un même membre du personnel.
·
Limiter le plus possible les médicaments pour un trouble comportemental (choisir de
manière judicieuse).
·
Chez les patients à risque (grand âge, démence…), prendre garde au changement de l’état
somatique et à l’administration trop rapide (ou l’arrêt trop rapide) de certains
médicaments.
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Alcoolisme et abus de tranquillisants
J.-C. Leners
A. Alcoolisme chez le sujet âgé
1. Epidémiologie
Une étude anglaise de Iliffe (1990), effectuée par des médecins généralistes, présente les données suivantes
concernant la consommation d’alcool (tableau 1):
Tableau 1
Consommation d’alcool
hommes
femmes
de façon occasionnelle
58%
81%
de façon modérée
1 à 21 verres/ semaine pour les hommes
1 à 14 verres/ semaine pour les femmes
39%
15%
de façon excessive
> 21 verres/ semaine pour les hommes
> 14 verres/ semaine pour les femmes
4%
3%
Aux Etats-Unis, Schuckit estime que le nombre de malades alcooliques âgés (plus de 60 ans) est de 5 à 10% pour les
hommes et de 3 à 5% pour les femmes.
Pour Oslin {1997} 29% des résidents en maison de soins auraient un problème d’alcool.
Une recherche épidémiologique récente de Johnson {2000} montre en détail la prévalence de l’alcoolisme chez les
sujets âgés (tableau 2) :
2. L’influence de l’alcool chez le sujet âgé
Pour quatre raisons, les personnes âgées sont plus exposées aux effets néfastes de l’alcool :
· A cause d’un volume de distribution plus petit (moins d’eau), une quantité moindre d’alcool produit les mêmes
effets chez le sujet âgé qu’une plus grande quantité chez le sujet jeune.
· La présence fréquente d’autres maladies augmente les risques néfastes chez le sujet vieillissant.
· Le système nerveux central vieillissant semble beaucoup plus sensible aux effets de l’alcool (surtout en ce qui
concerne les effets sur les troubles de la mémoire !). Les autres troubles cognitifs liés à une alcoolisation chronique
sont les suivants : baisse de la concentration, de l’attention et des capacités d’abstraction et diminution de la
capacité d’adaptation.
· La dépendance à l’alcool est en partie due à une diminution de l’activité GABAergique corrélée à une augmentation
du nombre des récepteurs aux benzodiazépines (BZD).
3. Conséquences de l’alcool
L’abus d’alcool chez le sujet âgé peut entraîner des situations très spécifiques, qu’il faut savoir reconnaître :
Conduite d’un véhicule
Même de petites quantités d’alcool peuvent rendre la conduite très dangereuse, à cause des effets plus prononcés
sur le temps de réaction et sur la vision.
Les fonctions cognitives
L’abus d’alcool, chez le sujet âgé, peut simuler un processus démentiel débutant, à cause des effets sur la mémoire
et l’orientation. Certains auteurs affirment même que l’alcool peut influencer de façon négative l’apparition d’une
démence.
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Tableau 2
Définition de la consommation
problématique
Auteur
Pré-valence
Commentaires
Abus d’alcool ou alcoolodépendance
(critères du DSM-III)
Adams and Cox (1995)
2-4%
Chiffres provenant d’un résumé de
l’article. La prévalence citée de la
consommation problématique est une
estimation basée sur plusieurs études.
Consommation problématique
(diverses définitions)
Adams and Cox (1995)
10%
Bien que des taux jusqu’à 20% soient
rapportés, les auteurs critiquent ces études
pour l’utilisation de définitions floues ou leur
application à des populations non
représentatives.
Alcoolisme (CAGE positif )
Callahan and Tierney
(1995)
10,5%
3954 sujets (60 ans et plus; 31%
d’hommes) en soins primaires.
Abus d’alcool (CAGE positif )
Adams et al. (1966)
9% d’hommes 5065 sujets (60 ans et plus; 44% d’hommes) en
3% de femmes soins primaires ont rempli un questionnaire
quantité-fréquence et le CAGE.
Alcoolisme, abus d’alcool ou
consommation problématique
(définitions non spécifiées pour
ces chiffres)
American Medical Ass.
(1996)
2-10%
Ce rapport cite des chiffres d’une étude
antérieure.
Consommation quotidienne
(données quantité-fréquence)
Graham et al. (1966b)
16%
826 sujets (65 ans et plus; 35% d’hommes);
échantillon ambulatoire. Interrogés à
domicile.
Abus d’alcool (définitions non
spécifiées pour ces chiffres)
Gambert (1997)
3-15%
Un article faisant référence à des recherches
antérieures.
Problèmes d’alcool
(diverses définitions)
Lakhani (1997)
5,1% (moyenne) Méta-analyse d’études ambulatoires.
Consommation excessive
(plus de 13 verres par semaine)
Sangwan et al. (1997)
17% hommes
2% femmes
Alcoolisme (définition non spécifiée)
Fleischmann et al. (1998) 9,9% plus de
55 ans
114 sujets d’un échantillon de 1153 alcooliques
hospitalisés étaient âgés de 55 ans et plus
(81% des cas étaient des hommes).
Consommation excessive
(CAGE positif )
Friedmann et al. (1998)
11%
792 sujets (65 ans et plus); échantillon du
service des urgences.
26%
154 sujets (50 ans et plus); échantillon de
maison de repos. Les auteurs ont construit des
critères de problèmes d’alcool à vie
‘probables’ ou ‘possibles’.
1. Études ambulatoires
3448 sujets (65 ans et plus);
échantillon ambulatoire.
2. Études en maisons de repos
Problème de boisson actif (étude
structurée, voir commentaires)
Joseph et al. (1995)
Consommation problématique à vie
Joseph et al. (1955)
45,5%
Les données ont été recueillies en utilisant un
concept de revue rétrospective des notes.
Alcoolisme (définition non spécifiée)
Goldstein et al. (1996)
11%
Voir commentaires ci-dessus à propos du
même article. La prévalence citée se réfère à
un échantillon de maison de repos.
Abus d’alcool à vie
(interrogatoire clinique structuré
d’après le DSM-III-R)
Hermann and Eryavec
(1996)
53%
62 sujets (66-90 ans, 100% vétérans
masculins de la 2e guerre mondiale);
échantillon provenant d’une institution de
soins à long terme. Les résidents intacts sur
le plan de la cognition étaient testés par le
“Structured Clinical Interview” du DSM-III-R,
(SCID)
Abus d’alcool courant
(interrogatoire clinique structuré
d’après le DSM-III-R)
Herrmann and Eryavec 8%
(1996)
Les consommateurs excessifs avaient des
expériences de combat significativement
plus intenses.
Abus d’alcool à vie
(critères du DSM-III)
Oslin et al. (1997)
160 sujets (âge moyen 74 ans, 98% hommes);
échantillon de maison de repos. Interrogés
selon le “Schedule for Affective Disorders and
Schizophrenia” modifié. Des antécédents
d’alcool existaient chez 110 sujets.
29%
(DSM : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders)
(CAGE : C= Cut down, A= Annoy, G= Guilty, E= Eye opener)
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(Dans certains endroits du cerveau, la perte des récepteurs muscariniques était plus marquée chez les sujets
déments ayant eu une histoire d’alcoolisation dans leur passé que chez des sujets déments non alcooliques).
En générale, selon Saunders {1991}, l’abus d’alcool fait quintupler le risque d’une pathologie psychiatrique !
L’alcool et les médicaments
L’association d’alcool et de médicaments peut entraîner des effets secondaires plus importants, à cause d’une
élimination moins rapide de certains médicaments (p.ex. héparine, propranolol, benzodiazépines,...) (tableau 3).
Tableau 3 Influence de l’âge et de l’alcool sur le métabolisme hépatique de certains médicaments
Médicament
Effet de l’âge
Effet de l’alcool
Aspirine
clairance normale ou diminuée
temps de saignement allongé
Anticoagulants
effet majoré
potentialisation de l’effet
Benzodiazépines
taux plasmatique augmenté
clairance diminuée
Antihistaminiques
sédation accrue
effet potentialisé
Cimétidine
clairance rénale diminuée
alcoolémie augmentée
Propranolol
clairance légèrement diminuée
clairance diminuée
Alcool et états dépressifs
Au départ, l’alcool peut être pris comme un “médicament antidépresseur” par la personne âgée. Bientôt cependant,
les effets négatifs vont réapparaître : troubles du sommeil et troubles de la mémoire.
La malnutrition
L’alcool a des effets négatifs sur l’alimentation : appétit moindre; malabsorption de vitamines, de fer et de zinc;
pertes d’électrolytes (K+ surtout) par la diarrhée et le vomissement.
4. Les caractéristiques de l’alcoolisme chez le sujet vieillissant
Il existe une différence selon le sexe : les femmes âgées boivent moins que les hommes âgés : en général 5 fois
moins.
L’alcoolisme de la femme âgée est moins fréquent et plus discret : elle boit seule, résignée, pratiquement jamais
révoltée, mais néanmoins angoissée.
Trois types de consommateurs peuvent se rencontrer chez le sujet âgé :
a)Les “buveurs par habitude”
(early-onsets) continuent à boire, mais souvent plus modérément; ceci pour plusieurs raisons :
tolérance moindre
ressources moindres
état de santé plus précaire
tolérance moindre de l’entourage social
b)Les “sujets abstinents”
qui, dans des situations de stress dues à l’âge, recommencent à boire (ceci concerne surtout les femmes âgées).
c)Les “buveurs tardifs”
(late-onsets) qui, n’ayant jamais eu de problèmes d’alcool dans la vie, commencent à boire à cause :
d’un deuil (le conjoint, un enfant)
d’un statut social changeant (retraite)
d’une pathologie organique.
Pour l’American Medical Association (1996) le pronostic est meilleur pour la catégorie (c) en comparaison avec les «
early-onsets » (a).
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5. Les conséquences physico-psycho-comportementales
Au niveau somatique, on retrouve :
·
une réduction du sommeil (moins de sommeil paradoxal et moins de stades 3 et 4 pour le sommeil
lent)
·
une fréquence accrue des chutes et de leurs complications possibles : hémorragie cérébrale,
fracture du col du fémur, ...
·
des infections plus fréquentes et répondant moins bien au traitement
·
des états de malnutrition et de maldigestion
·
de l’hypertension artérielle
·
des états dépressifs
·
des crises épileptiques tardives
·
des états confusionnels
·
de l’incontinence urinaire, de la diarrhée, voire une négligence de sa propre personne.
Au niveau neuropsychique, on constate :
·
des encéphalopathies plus résistantes au traitement en cas de cirrhose
·
des syndromes de sevrage plus longs
·
des états confusionnels, voire
·
des psychoses alcooliques, ou
·
l’association avec la maladie d’Alzheimer
Au niveau comportemental, on peut être confronté :
·
au « squalor syndrome », qui est un état de négligence corporelle totale
·
à des troubles du comportement accompagnés d’agressivité, d’injures verbales, pouvant même
aller jusqu’au placement d’office de ces malades.
6. Le diagnostic
Il repose sur l’anamnèse, l’hétéroanamnèse, l’examen clinique, les examens complémentaires classiques et sur un
questionnaire très bref comprenant quatre questions (CAGE Questionnaire) dont voici les énoncés :
N’avez-vous jamais senti le besoin de réduire votre consommation d’alcool ?
(= Cut down > C)
Est-ce que des gens vous ont agacé en critiquant votre consommation d’alcool ?
(= Annoy > A)
Est-ce que vous ne vous êtes jamais senti mal à l’aise, voire coupable à cause de votre consommation
d’alcool ?
(= Guilty > G)
N’avez-vous jamais pris un verre d’alcool le matin à jeun pour calmer vos nerfs ou pour vous mettre
en forme ?
(= Eye opener > E)
Toute réponse positive fait soupçonner au clinicien un problème de boisson.
Cependant, on a recherché à valider le CAGE chez les personnes âgées. Un questionnaire alternatif bref appelé le
TWEAK a été récemment proposé à cet effet. L’acronyme signifie tolérance (Tolerance), inquiétude à propos de la
boisson (W = Worry about drinking), petit verre pris au réveil (E = Eye opener), amnésie (Amnesia) et réduction de la
boisson (K = Cut down on drinking). Le TWEAK comporte trois questions :
Combien de verres faut-il avant que vous commenciez à ressentir les premiers effets de l’alcool ?
Combien de verres faut-il avant que l’alcool vous endorme ou vous fasse tomber ivre mort ?
Vous arrive-t-il de ne pas vous souvenir de ce que vous avez dit ou fait après avoir bu ?
L’autre test largement utilisé est le test de dépistage d’alcoolisme de Michigan (Michigan Alcoholism Screening Test :
MAST). Beaucoup de questions du MAST traitent de problèmes et de caractéristiques de l’abus d’alcool, qui ont
moins de rapport avec les personnes âgées, tels que les problèmes légaux, la perturbation sociale, les symptômes
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de l’état d’ébriété et de manque et la prise de conscience d’un problème personnel. De ce fait, la version MASTGériatrie (MAST-G) a été récemment introduite et a démontré une excellente sensibilité et une excellente spécificité
(tableau 4).
Tableau 4 Dépistage de l’Alcoolisme du Michigan Version Gériatrique
Michigan Alcoholism Screening Test Geriatric Version (MAST-G)
Oui
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
24.
Non
Après avoir bu, avez-vous déjà noté une augmentation de votre rythme ?
Lorsque vous parlez avec d’autres personnes, est-ce que vous minimisez la quantité de
boissons qu’en fait vous prenez ?
Est-ce que l’alcool vous fait dormir de sorte que vous vous assoupissez dans votre fauteuil ?
Après quelques verres, vous est-il arrivé de ne pas manger ou bien d’être capable de sauter
un repas parce que vous n’aviez plus faim ?
Le fait de prendre quelques verres vous aide-t-il à diminuer le tremblement des mains ou
de tout le corps ?
L’alcool fait-il qu’il vous est parfois difficile de vous souvenir de certains événements de
la journée ou de la nuit ?
Est-ce que vous avez des principes pour vous-même, tels que de ne pas boire avant
une certaine heure du jour ou de la nuit ?
Avez-vous perdu l’intérêt à certains passe-temps ou à certaines activités qui jadis vous inté
ressaient ?
Quand vous vous réveillez le matin, avez-vous parfois des difficultés à vous souvenir
d’une partie des événements de la nuit précédente ?
Le fait de prendre un verre vous aide-t-il à mieux dormir ?
Cachez-vous vos bouteilles d’alcool aux membres de votre famille ?
Après une réunion ou une rencontre, vous êtes-vous déjà sentis mal parce que vous
aviez trop bu ?
Avez-vous déjà pris conscience que boire peut être nocif pour votre santé ?
Vous arrive-t-il de prendre un dernier verre pour finir la soirée ?
Avez-vous remarqué que votre consommation d’alcool avait augmenté, après qu’un de
vos proches soit décédé ?
En général, préférez-vous prendre quelques verres à la maison plutôt que de sortir pour
rencontrer des amis ?
Buvez-vous plus maintenant que par le passé ?
D’habitude prenez-vous un verre pour vous relaxer ou calmer vos nerfs ?
Buvez-vous pour oublier des problèmes qui vous occupent l’esprit ?
Avez-vous augmenté votre consommation d’alcool après avoir vécu une perte dans vot
re vie ?
Vous arrive-t-il de conduire après avoir trop bu ?
Est-ce qu’un médecin ou un infirmier/infirmière vous a fait part de son inquiétude ou de
sa préoccupation sur votre consommation d’alcool ?
Avez-vous déjà des règles personnelles pour prendre en charge le fait de boire ?
Quand vous vous sentez seul(e), est-ce que le fait de prendre un verre vous aide ?
Score : 5 réponses « oui » ou plus sont le signe d’un problème relatif à l’alcool.
7. Les approches thérapeutiques :
Les effets négatifs de l‘encadrement professionnel vis-à-vis des malades alcoolo-dépendants doivent être évités :
Le comportement même du malade risque d‘avoir des répercussions sur notre attitude envers le malade,
surtout lors du premier contact : retard à la consultation, apparence mal soignée, ivresse légère, etc.
Souvent, ce comportement n‘est que le reflet d‘une attitude émotionnelle négative envers une tierce
personne : conjoint(e), ….
Des programmes de thérapie (trop) bien organisés et structurés jusqu‘au moindre détail (et en outre toujours
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bien intentionnés), risquent également de maintenir la dépendance (au sens large du terme) du patient.
Un règlement interne (au service hospitalier) trop strict et non modulable en fonction du malade risque de
faire du thérapeute un contrôleur, ce qui aura des répercussions négatives sur la prise en charge du patient.
L’image de l‘alcool véhiculée par la société (« pathologie du caractère ») risque de voir le sujet dépendant
comme un être faible et sans « caractère » (surtout en cas de rechutes répétées)
Enfin, il semble que certains thérapeutes analytiques aient résignés en face de malades autodestructeurs
déterminés à aller « jusqu‘au bout ». Ces malades acceptent la conséquence ultime, c.à.d. le suicide à petit
feu (Suizid auf Raten/ Menninger).
Le malade alcoolique a droit à la même empathie que tout autre malade, malgré le fait que nous le revoyons peutêtre pour la énième fois.
-
a) Thérapie du sevrage
La désintoxication volontaire du malade alcoolique âgé devrait en principe toujours se faire à l’hôpital. Le risque de
faire une crise épileptique lors du sevrage est de 7% selon des études américaines (tableau 5).
Tableau 5 : Signes de sevrage en fonction de l’âge
Signes
Sujets âgés (> 60 ans)
Sujets jeunes
anxiété
77%
89%
atteinte cognitive
50%
8%
dépression
65%
50%
n.s
n.s.
< 0.001
insomnie
27%
19%
n.s
irritabilité
40%
25%
n.s.
nausée
12%
25%
n.s.
agitation psycho-motrice
25%
22%
n.s.
tremblements
92%
86%
n.s.
faiblesse générale
48%
8%
hypertension artérielle
88%
69%
< 0.001
0.042
maux de tête
4%
33%
< 0.001
somnolence diurne
43%
19%
0.026
Ici, il importe de connaître les consommations d’alcool des derniers jours pour se faire une idée du risque de delirium
tremens.
Le nouveau traitement avec l’acamprosate n’est pas utilisable chez le sujet âgé !
Le traitement médical repose sur la prescription de médicaments de type sédatif, p.ex. tiapride, buspirone, une BZD
classique à demi-vie courte (p.ex. chlordiazépoxide).
Souvent, une thérapie antidépressive est nécessaire, en fonction du tableau clinique, p.ex. sertraline, fluoxétine,
tianeptine. Parfois il est utile d’y associer une thérapie anticonvulsive, p.ex. à base de carbamazépine. cf. les
schémas ci-joints) (tableau 6)
Bien entendu, toute autre pathologie somatique en rapport ou non avec la consommation d’alcool doit aussi être
traitée !
Il faut bannir des produits du type disulfiram à cause des risques cardiaques majeurs !
Tableau 6: Schémas thérapeutiques pour le sevrage à l’alcool
Tiapride
Clorazépate dipotassique
Prothipendyl.hydrochlorid
Hémineurine
Pour dormir le soir
Pour éviter les crises épileptiques
Pour éviter les neuropathies
100 mg toutes les 4 ou 6 heures pendant une semaine
3 x 25 mg/ j pendant 3 ou 4 jours, puis réduction
40 mg 2 x 1 (Attention : glaucome; hypertrophie de la prostate; rétention urinaire)
en schéma dégressif :
3 ou 4 x 2 comprimés le premier jour, un comprimé en moins par jour
alimémazine, zopiclone, zolpidem, chlorméthiazole, mélatonine ou zaleplon
carbamazépine : 2 X 100 ou 200 mg / jour
complexes vitaminiques B pendant 6 semaines.
La déficience vitaminique porte essentiellement sur les vitamines : folates, B1, B2, B6, PP, C, D, E et K.
Le traitement de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke se fait par l’intermédiaire de la thiamine (vitamine B1)
jusqu’à 1 gramme/jour pendant plusieurs mois.
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b) Traitement de stabilisation :
Ici les mesures de thérapie psychosociale sont les plus importantes :
psychothérapie individuelle ou de groupe
techniques de relaxation
ergothérapie
psychomotricité et expression corporelle
art-thérapie
entraînement de la mémoire
groupes d’entraide, type A.A.(Alcooliques Anonymes)
reconstruction d’un tissu social, si nécessaire.
Toutes ces démarches peuvent se réaliser à différents endroits : à l’hôpital général ou psychogériatrique; à l’hôpital
de jour; au centre de jour ou en consultation ambulatoire
Il faut savoir qu’à cet âge, le transfert vers une institution pour personnes âgées peut parfois aider ces malades à
mieux se stabiliser en ce qui concerne leur consommation d’alcool.
Même si le but doit rester une abstinence totale, nous savons tous que certains malades alcooliques âgés continuent à boire une quantité moindre d’alcool sans faire systématiquement des rechutes graves .
B. L’abus de tranquillisants chez le sujet âgé
1. Epidémiologie
Certains auteurs admettent qu’entre 5 et 10% des sujets âgés prennent régulièrement des tranquillisants;
Une étude allemande de 1986 estime que 25% des femmes et 13% des hommes reçoivent quotidiennement un
psychotrope.
En 1983, Morgan a estimé sur base de la littérature que l’abus de tranquillisants variait entre 6 et 30% pour les
personnes vivant à domicile et entre 22 et 50% pour les sujets âgés institutionnalisés.
En général, on admet que les femmes âgées sont plus consommatrices de tranquillisants que les hommes âgés.
En résumé, on peut admettre que plus de 50% des usagers âgés consommateurs de médicaments psychotropes
deviennent des consommateurs réguliers sur plusieurs années !!
2. Physiopathologie de l’abus de tranquillisants
Ce type de dépendance est généralement appelé : „low-dose-abuse“ , c.-à-d. que la quantité de substance absorbée
reste plus ou moins constante même sur une longue période (p.ex. plusieurs années).
On estime que 80% des sujets qui consomment régulièrement pendant une année un tranquillisant sont dépendants
vis-à vis de cette substance !
Le risque majeur réside dans le fait que certaines molécules à demi-vie longue peuvent avoir des effets sédatifs le
lendemain matin (Hangover) et des effets cumulatifs (intoxication lente et chronique).
3. Les risques majeurs sont les suivants :
troubles de la mémoire
états confusionnels
chutes dues à l’intoxication
crises épileptiques à l’arrêt brutal du médicament
Il faut savoir que beaucoup d’autres signes restent souvent méconnus (tableau 7)
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Tableau 7 Signes méconnus de la dépendance envers une substance psycho-active
-
accidents accrus
amnésie
anxiété
déclin des fonctions cognitives
confusion
dépression
démence
diarrhées
désorientation
chutes fréquentes
fièvre d’origine inconnue
incontinence
malnutrition
perte de mémoire
attaque de panique
épilepsie inconnue
activités sexuelles réduites
troubles du sommeil
troubles de l’élocution
isolement social
troubles gastriques
troubles de la marche
comportement inadapté
négligence corporelle
4. Les causes d’une prescription abusive
Au niveau des institutions, la prescription de médicaments psychotropes a pu être associée à certains facteurs
(tableau 8) :
¨
attitude négative du personnel vis-à-vis de l’âge en général et des femmes en particulier
¨
personnel non qualifié effectuant des tâches auprès des patients
¨
prise en charge insuffisante des situations de vie stressantes (deuil...)
¨
un renouvellement des ordonnances trop peu scrupuleux et trop facile
¨
un usage abusif de la formule : »prescrit à la demande » !
Tableau 8 Facteurs associés à une consommation exagérée de benzodiazépines dans les maisons de soins
-
attitude du personnel envers la vieillesse
-
attitude du personnel envers la sexualité des personnes âgées
-
visites médicales insuffisantes
-
personnel non qualifié au service des personnes âgées
-
prise en charge insuffisante des crises existentielles (p.ex. deuil du conjoint...)
-
mise au point périodique du malade inexistante
-
rapport soignant/soigné inadéquat
-
renouvellement des ordonnances trop facile
-
usage exagéré des prescriptions à la demande
5. Les attitudes thérapeutiques
Le sevrage des tranquillisants devrait toujours s’effectuer en milieu hospitalier.
Un sevrage progressif s’étalant sur une quinzaine de jours paraît souvent nécessaire.
(Il arrive même que le patient ne puisse pas se passer complètement des ces substances et qu’il faut essayer de
trouver la dose minimale, mais suffisante).
Le ‘New York State Department of Health’ préconisa en 1986 une consommation limitée (quelques mois) de BZD.
Il faut utiliser des médicaments ayant peu d’effets d’accoutumance : buspirone, tiapride, etc. (tableau 9)
On pourrait éventuellement passer p.ex. aux imidazopyridines (zopiclone) pour sevrer les malades des BZD (cf. le
schéma ci-joint).
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Des études neuro-psychologiques après le sevrage ont montré que l’apprentissage et la mémorisation sont altérés
pendant au moins quelques semaines après le sevrage.
La phase de stabilisation requiert les mêmes stratégies thérapeutiques que pour l’abus d’alcool, à savoir :
travail de relaxation, d’ergothérapie, de musicothérapie, d’art-thérapie,...
restructuration d’un tissu social pour éviter l’isolement
orientation du malade vers un groupe d’entraide, si tel est son désir
soutien psychologique en ambulatoire au long cours.
Tableau 9 Schéma permettant de remplacer une BZD classique :
Zopiclone
½ dose de la BZD plus 1 ou ½ comprimé pendant 10 jours, ensuite le
zopiclone seul pendant 2 ou 3 semaines
Buspirone
En tant que substitution 3 ou 4 x 1 ou ½ comprimé/jour
Tiapride
4 x 1/jour pendant plusieurs semaines
Petites doses de neuroleptiques
en gouttes
pipampérone, lévomépromazine,...
Les nouveaux antidépresseurs
sont parfois indiqués ici
sertraline ou paroxétine
fluoxétine ou fluvoxamine
venlafaxine ou mirtazatine
C. En guise de conclusion
En général, face à une personne âgée ayant un problème d’abus d’alcool et/ou de tranquillisants, il faudrait garder
à l’esprit les éléments suivants :
·
·
·
·
·
·
·
·
·
Ne pas avoir de jugement préconçu vis-à-vis du malade et de son traitement.
Toujours individualiser le traitement.
Traiter systématiquement toute pathologie médicale associée.
Aider le malade à reconnaître et à accepter sa dépendance.
Travailler sur des projets et buts réalisables et réalistes.
Toujours se souvenir que le sevrage risque d’être plus long et plus pénible pour le sujet âgé.
Utiliser les groupes d’entraide.
Passer le relais à d’autres structures au moment de la sortie du malade.
Soutenir l’entourage familial.
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Le modele mega-interactif de l’abus de substances toxiques parmi les personnes agees
Facteur 'personne âgée'
Facteur 'temps'
Variables physiques
• âge (exemple: personnes âgées
jeunes et personnes âgées moins
jeunes)
• maladie douloureuse chronique
(exemple: polyarthrite
rhumatoïde)
• sexe
• état de santé général
(exemple: robuste ou fragile)
• prédisposition génétique
(exemple: antécédents familiaux
d’abus de substances toxiques) 1
• maladies majeures 1
• fonction organique
• atteinte ou handicap physique 1
Variables de temps
• période historique
(exemple: prohibition)
• durée de l’abus de substances
toxiques
• période de la vie du
consommateur
Variables psychologiques
• angoisse
• attitudes
• ennui1
• fonction cognitive
• dépression1
• état mental général
• intelligence
• solitude1
• incidents négatifs majeurs ou
changements néfastes du mode
de vie (exemple: mise à la
retraite) 1
• troubles de la personnalité1
• adaptation psychologique
• estime de soi1
• expériences vécues à l’occasion
de traitements
Variables sociales
• culture
• décès du conjoint1
• statut économique
(emploi, pauvreté) 1
• niveau d’instruction
• éthique
• contexte ethnique
• état civil
• religion
• changement de résidence
(exemple: placement en institu
tion)1
• perte du rôle1
• orientation/préférence sexuelle
• compétence sociale
• interaction sociale
(exemple: isolement)
• soutien social
(famille et autres réseaux sociaux)
Facteurs
déterminants
U N I T E pour
DE BASE le sujet
Facteur 'substance toxique'
Facteur 'société'
Variables de société
• attitudes à l’égard de facteurs
pertinents (exemple: vieillesse, sexe,
usage et abus de substances
toxiques)
• culture
• sévices envers les personnes âgées
• éthique
• système de soins de santé
• “Law of the Land”
• formation professionnelle
• actes posés dans le cadre du
travail (exemple: médecine, soins
infirmiers,
pharmacie, psychologie, travail
social)
• religions
• contrôles sociaux
• moeurs sociales 1
• programmes sociaux
• disponibilité des traitements
(exemple: accès, coût)
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Facteurs
déterminants
pour
la société
Variables liées à la substance
toxique
• risque d’abus d’une substance
toxique
• disponibilité 1
• coût
• quantité consommée
(exemple: dose individuelle,
fréquence)
• interactions
• statut légal
• pharmacocinétique
• pharmacologie
• toxicologie
Variables liées au schéma de
consommation
• consommation initiale
• consommation sociale
• consommation habituelle
• abus
• consommation compulsive
1
indique les facteurs qui ont été
associés à la plus forte incidence
d’abus de substances toxiques
parmi les personnes âgées.

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